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DÉVELOPPEMENT DURABLE BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES OCTOBRE 2019
SOMMAIRE
PRÉAMBULE___________________________________________________________ 4 CE QU’IL FAUT EN RETENIR___________________________________________ 6 1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?___________________ 8 2/ ÉTATS DES LIEUX____________________________________________________ 16 3/ LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, BON POUR L’ÉCONOMIE__________ 22 4/ PAR OÙ COMMENCER ?______________________________________________ 26 5/ MESURES ENVIRONNEMENTALES___________________________________ 29 6/ MESURES SOCIALES_________________________________________________ 36 7/ MESURES ÉCONOMIQUES ET DE GOUVERNANCE___________________ 42 8/ FINANCE DURABLE___________________________________________________ 46 GLOSSAIRE___________________________________________________________ 50 Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes ou des fonctions (telles que directeurs ou entrepreneurs) n’a d’autre fin que celle d’alléger le texte.
4 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES PRÉAMBULE
5 Développement durable, responsabilité sociétale des entreprises, agenda 2030, stratégie 2050, objectifs de développement durable. Autant de termes qui sont devenus omniprésents et qui vont impacter toujours plus la vie des sociétés. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Que peuvent concrètement faire les entrepreneurs ? De quels exemples genevois peuvent-ils s’inspirer ? Telles sont quelques-unes des questions traitées dans cette étude publiée par la CCIG et la BCGE, avec la collaboration de l’OCSTAT. Au-delà des contraintes légales et des impacts positifs pour la planète, suivre une démarche de développement durable comporte de nombreux avantages pour l’entreprise. En termes d’attractivité, de mobilisation interne, de créativité, de productivité et même très souvent de finances. Et, à l’inverse, la non-action va coûter toujours plus cher, pour des questions d’image, mais plus fondamen- talement encore en ce qui concerne la gestion des risques. Car aujourd’hui, les principaux risques majeurs sont liés à des facteurs concernant le développe- ment durable. Sans compter que les consommateurs sont devenus plus attentifs à la théma- tique et que la plupart des gouvernements ont des objectifs précis pour réali- ser une transition vers une économie post-carbone et socialement responsable. Ainsi, à la fin de l’été 2019, le Conseil fédéral a décrété la neutralité carbone en 2050. En Suisse, se préoccuper du développement durable n’est pas une tâche facul- tative, la Confédération ayant élevé ce dernier au rang de but constitutionnel et attendant des entreprises qu’elles assument leurs responsabilités en la matière. Ces dernières sont d’ailleurs toujours plus nombreuses à prendre, ou à vouloir prendre, des mesures environnementales (énergie, déchets, transports, maté- riaux, etc.), sociales (politique RH, égalité des genres, santé et sécurité au travail, etc.) et de gouvernance (achats responsables, dialogue avec les parties prenantes, lutte contre la corruption et la fraude, etc.). Les manières de mener une démarche de développement durable sont nom- breuses et les domaines abordés variés. A chacune et chacun de fixer ses priori- tés en fonction de son entreprise, de son type d’activités et de ses impacts. Mais au cœur du processus, les questionnements et les bonnes pratiques sont géné- ralement similaires. Se pencher sur les mesures prises par d’autres est donc un exercice utile. Cette étude présente ainsi un grand nombre d’exemples concrets mis en œuvre par des sociétés de la région afin de donner des idées aux autres et de participer à un cercle vertueux. Nos remerciements s’adressent à Aline Yazgi, auteure de l’étude, ainsi qu’au comité de pilotage, composé d’Alexandra Rys (CCIG), Lydia Albrecht (BCGE), ainsi que de Hervé Montfort (OCSTAT). Nous vous souhaitons une lecture inspirante et enrichissante. Blaise Goetschin Vincent Subilia CEO Directeur général BCGE CCIG
6 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES CE QU’IL FAUT EN RETENIR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE CONCERNE AUJOURD’HUI TOUTES LES ENTREPRISES. SOUVENT PERÇU PAR CES DERNIÈRES COMME UNE CONTRAINTE, IL EST POURTANT SOURCE D’OPPORTUNITÉS ET COMPTE DE NOMBREUX AVANTAGES. TOUR D’HORIZON D’UNE CINQUANTAINE DE BONNES PRATIQUES ENVIRONNEMENTALES, SOCIALES ET ÉCONOMIQUES. Le premier chapitre s’attache à définir un certain nombre de termes qui ont fleuri ces dernières années (responsa- bilité sociale des entreprises, agenda 2030, etc.), en com- mençant par rappeler que le développement durable est le fruit d’un équilibre subtil entre une efficacité écono- mique, une responsabilité environnementale et une équité sociale. Diverses initiatives ont été prises pour encoura- ger l’évolution de l’économie mondiale vers des systèmes plus durables: l’ONU a formulé les Objectifs de développe- ment durable (ODD) et le Pacte mondial regroupe quelque 10’000 sociétés s’engageant à appliquer un certain nombre de principes universels, pour ne citer que ces deux exemples. Et pour y parvenir, certaines entreprises com- mencent à recourir à de nouveaux modèles économiques, tels que l’économie circulaire, l’écologie industrielle ou l’économie de la fonctionnalité.
7 “ Pour que le système économique fonctionne, les entreprises doivent pouvoir Pourquoi en parler maintenant ? Certes, l’expression dégager des bénéfices. « développement durable » a 40 ans, mais aujourd’hui plus aucune entreprise ne peut ignorer la thématique, La performance économique sous peine de ne plus durer elle-même longtemps. D’ail- fait donc bien partie du leurs, « le Conseil fédéral attend des entreprises domici- liées en Suisse qu’elles assument leurs responsabilités développement durable. environnementales et sociales dans toutes leurs activi- Mais pas à n’importe quel prix ” tés »1. Et comme le montre le chapitre 2, les observateurs constatent que les sociétés genevoises sont toujours plus ni n’importe comment. demandeuses de conseils en développement durable, qu’elles sont plus nombreuses à prendre des mesures et que leurs démarches se sont professionnalisées. Genève se distingue en outre par quelques initiatives novatrices. Le chapitre 5 donne plus de vingt bonnes pratiques en matière environnementale, tirées d’exemples genevois. Le chapitre 3 détaille les avantages très concrets qu’ont les Visant à être des sources d’inspiration, elles concernent entreprises à mettre en place des politiques de développe- la consommation d’énergie, la mobilité, les ressources, les ment durable : sources d’opportunités, création d’emplois, déchets, la biodiversité et la compensation des émissions. attractivité accrue, hausse de la motivation, amélioration du dialogue interne, facteur de différenciation, diminution des Le chapitre 6 s’intéresse aux mesures sociales et socié- risques juridiques, opérationnels et liés à leur image, etc. tales. Conditions de travail, égalité entre femmes et Les enjeux environnementaux et sociaux constituent éga- hommes, diversité, embauches, formation, santé et sécu- lement un terreau pour construire de nouveaux modèles rité au travail, mais aussi respect des droits humains sont d’affaires, comme en témoignent le large spectre de firmes autant de thèmes inclus dans la dimension sociale du récemment créées et les nouvelles solutions offertes par développement durable. des groupes déjà bien établis. Avec, à la clé, l’émergence Pour que le système économique fonctionne, les entre- de nouveaux métiers. Enfin, de nombreuses aides finan- prises doivent pouvoir dégager des bénéfices. La cières existent pour ceux qui entament une démarche envi- performance économique fait donc bien partie du déve- ronnementale. loppement durable. Mais pas à n’importe quel prix ni n’im- Mais par où commencer ? Chaque entreprise étant diffé- porte comment. Certaines bonnes pratiques économiques rente, il n’existe pas de réponse unique. Le chapitre 4 décrit et de gouvernance sont indispensables et sont décrites toutefois les principaux points aidant à guider la démarche dans le chapitre 7. et donne quelques pistes pour s’orienter dans la jungle Enfin, le chapitre 8 traite de la finance durable, car les des labels. Le développement durable ne consiste pas en placements prenant en compte des critères de durabi- une liste qu’il faut suivre, mais bien en un processus qui lité connaissent une croissance exponentielle. Revêtant doit s’inscrire dans une réflexion autour du fonctionne- différentes formes (exclusion, sélection, activisme, impact ment global et qui doit faire sens dans le contexte propre positif), ils peuvent offrir des rendements identiques, voire à chacun. supérieurs aux placements traditionnels. Sans compter que l’un des plus grands défis relatifs au financement de l’Agenda 2030 est d’attirer et diriger l’investissement privé dans les domaines qui permettront la réalisation des ODD. La finance d’impact apporte dans ce contexte une contri- bution bienvenue. 1 Conseil fédéral Agenda 2030 pour le développement durable, Rapport national 2018 de la Suisse, 2018.
8 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES 1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? SOUVENT UTILISÉ DE MANIÈRE RÉDUCTRICE COMME SYNONYME D’ENVIRONNEMENT, LE DÉVELOPPEMENT DURABLE*1 INCLUT CERTES LES ENJEUX ÉCOLOGIQUES, MAIS VISE ÉGALEMENT À RÉPONDRE AUX PROBLÉMATIQUES SOCIALES, TOUT EN ASSURANT UNE ÉCONOMIE QUI FONCTIONNE. QUELQUES DÉFINITIONS Le développement durable peut ainsi Il peut donc y avoir de vraies fractures se résumer par trois adjectifs : il est conceptuelles, se traduisant par des Développement durable équitable, viable et vivable. Traduit en frustrations et des critiques. langage comptable, au lieu de regar- Pour reprendre la définition de la A l’origine, le développement durable der uniquement la « bottom line » (la Commission mondiale sur l’environ- est un concept systémique, où dernière ligne du compte de résul- nement et le développement des chaque action est considérée selon tat), il s’agit d’avoir une approche Nations Unies, « le développement ses impacts globaux sur les divers de la « triple bottom line », autre- durable est un développement qui aspects. Toutefois, pour être plus ment dit, évaluer la performance de répond aux besoins du présent sans concrète et donner des idées aux son entreprise non seulement par compromettre la capacité des généra- entreprises, cette étude va passer en le profit financier, mais aussi par son tions futures de répondre aux leurs ». revue une cinquantaine de bonnes impact environnemental et ses consé- pratiques en matière environnemen- Le développement durable résulte quences sociales (sur l’ensemble de tale, sociale et de gouvernance. donc de l’évolution harmonieuse de ses parties prenantes). trois dimensions interdépendantes : Il s’agit donc d’un équilibre subtil et la dimension économique (liée à la création de richesse et à l’améliora- durable entre une efficacité écono- mique, une responsabilité environne- Les objectifs tion des conditions de vie matérielle), la dimension sociale (qui englobe les mentale et une équité sociale. Or qui de développement domaines de la santé, de l’éducation, dit équilibre, dit aussi compromis. Ce qui en fait sa force, mais aussi sa fai- durable (ODD) de l’habitat, de l’emploi, de l’équité blesse. Force, car cette thématique Pour encourager l’évolution de l’éco- intra- et intergénérationnelle ainsi que complexe fait appel à la concerta- nomie mondiale vers des systèmes la prévention de l’exclusion sociale) tion entre tous les acteurs: population, plus responsables et plus durables, et la dimension écologique (préserva- entreprises, politiciens, scientifiques, l’Organisation des Nations Unies tion de l’environnement, des espèces associations, etc. Et au sein des entre- (ONU) a formulé les Objectifs du déve- et des ressources)2. prises – focus de l’étude – le dévelop- loppement durable (ODD), qui tiennent pement durable ne peut être mis en compte des principaux défis écono- œuvre que si l’ensemble des unités miques, sociaux et environnementaux et des collaborateurs sont pris en de la planète. En 2015, 193 pays ont compte. Par nature, le développement adopté ces 17 ODD (subdivisés en 169 durable est transversal (avec, dans les cibles) que les Etats membres visent entreprises, l’agréable corollaire de à atteindre à l’horizon 2030 (Agenda décloisonner les très décriés silos) et 2030). Ils constituent un appel mondial privilégie l’approche participative. à agir pour éradiquer la pauvreté, pro- téger la planète et faire en sorte que Mais être le fruit de compromis tous les êtres humains vivent dans la constitue aussi sa faiblesse. Car paix et la prospérité. selon leurs convictions, les uns trou- veront que l’accent est trop mis sur Souvent perçus comme des outils l’environnement, d’autres sur l’éco- destinés en premier lieu aux collecti- nomie, d’autres encore sur le social. vités publiques ou à la population, ils concernent toutefois également les 1 entreprises. Et cela à plusieurs titres. Les termes assortis d’un astérisque sont expliqués également dans le glossaire qui se trouve à la fin de l’étude. 2 Service cantonal du développement durable, 2003. « PME et développement durable. » Juin 2003.
1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? 9 Les 17 objectifs de développement durable 1. PAS DE 2. FAIM 3. BONNE SANTÉ 4. ÉDUCATION PAUVRETÉ « ZÉRO » ET BIEN-ÊTRE DE QUALITÉ 6. EAU PROPRE ET 7. ÉNERGIE PROPRE 8. TRAVAIL DÉCENT 5. ÉGALITÉ ENTRE ASSAINISSEMENT ET D’UN COÛT ET CROISSANCE LES SEXES ABORDABLE ÉCONOMIQUE Chacun des objectifs est subdivisé en cibles mesurées par des indicateurs. Ainsi, l’objectif «Travail décent et croissance économique» se subdivise notamment en 9. INDUSTRIE, croissance économique (produit intérieur brut par habitant), compétitivité (pro- INNOVATION ET ductivité du travail), PME (emplois dans les branches innovatrices), utilisation des INFRASTRUCTURE ressources naturelles (empreinte matérielle) ou encore travail et salaire (taux d’activité professionnelle des femmes et disparités salariales selon les sexes). 12. CONSOMMATION ET PRODUCTION RESPONSABLES 13. MESURES RELATIVES 11. VILLES ET À LA LUTTE CONTRE 10. INÉGALITÉS COMMUNAUTÉS LES CHANGEMENTS RÉDUITES DURABLES CLIMATIQUES 14. VIE AQUATIQUE 17. PARTENAIRES POUR LA RÉALISATION DES OBJECTIFS 16. PAIX, JUSTICE 15. VIE TERRESTRE ET INSTITUTIONS EFFICACES Source : ONU.
10 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES DES SAVONS DURABLES Il s’agit d’un engagement volontaire Bien que la présente étude classe les mesures prises par les entreprises, et non contraignant qui a des relais selon qu’elles sont environnementales, sociales ou de gouvernance, dans les pays. En Suisse, c’est le nombre de projets de développement durable contiennent en même temps Global Compact Network Switzerland, ces trois sphères. C’est le cas de l’initiative à but non lucratif Youth for comptant parmi ses membres des Soap. Constatant l’énorme quantité de savons finissant à la poubelle sans multinationales, des PME et des orga- avoir été utilisés ou presque sans l’avoir été, le groupe hôtelier genevois nisations issues de la société civile, Manotel et les jeunes apprentis de la structure du DIP Espace Entreprise qui accompagne les entreprises dans ont monté un projet consistant à récolter, nettoyer, râper et reconstituer leur démarche. les savons pour les rendre comme neufs (tout en respectant les normes Ainsi, Caran d’Ache – qui a pris depuis d’hygiène). Ces derniers sont alors distribués à des associations gene- des années de nombreuses mesures voises aidant la population démunie du canton. Cette initiative répond en matière de développement ainsi à des problématiques environnementale (limiter les déchets et le gas- durable, allant de la réinsertion de pillage), sociale (offrir du savon à des personnes dans le besoin), éducative personnes en situation de handicap (projet entièrement géré par des apprentis) et intégrative (la production de à l’installation de panneaux solaires savon se fait dans un atelier protégé pour personnes ayant une déficience – a adhéré en 2018 à la charte du intellectuelle). Initialement prévu pour récupérer 1 tonne de savon par an, Pacte mondial. Objectif ? Rassembler le projet va grandir, d’autres groupes hôteliers ayant montré leur intérêt. sous un label reconnu une grande partie de ses engagements respon- sables, explique son CEO Jean-Fran- çois de Saussure 4 . Et, poursuit-il, D’abord, les 17 objectifs touchent Enfin, une étude réalisée en 2018 par l’entreprise genevoise pousse désor- tous à un degré ou à un autre les la Commission des entreprises et du mais ses partenaires et fournisseurs acteurs économiques : égalité sala- développement durable3 indique que à respecter les mêmes critères dans riale, progrès technologique ou pro- si les ODD étaient atteints, « de nou- une charte éthique qu’elle a édictée. duction responsable pour ne citer que velles opportunités de marché attei- Enfin, le Pacte « prévoit un suivi des ces exemples. gnant au moins 12’000 milliards de actions mises en place afin de jauger dollars par an pourraient être déblo- les engagements de l’entreprise et de Ensuite, ces ODD forment un cadre quées d’ici 2030 ». progresser d’année en année ». de travail permettant une vision sys- témique et globale sur la durabilité, explique Fabrice Calame, adjoint du vice-recteur de l’Université de Genève Le Pacte mondial Responsabilité sociale en charge du dicastère stratégique incluant le développement durable. Le Pacte mondial de l’ONU (United des entreprises (RSE)* Nations Global Compact) est, selon « Ils nous obligent également à nous La RSE est la prise en compte et l’inté- ses dires, « l’initiative la plus large au questionner sur le fonctionnement de gration volontaire par les entreprises monde en termes de responsabilité nos organisations, à voir quelles sont de préoccupations sociales, environ- des entreprises ». Il s’agit en effet d’un les interconnexions entre les diffé- nementales et éthiques liées à leurs regroupement de quelque 10’000 rents domaines. » activités commerciales et à leurs rela- sociétés de presque toutes les tailles tions avec l’ensemble des parties pre- Autre utilité : « Ils donnent aux entre- et de tous les secteurs provenant de nantes (collaborateurs, fournisseurs, prises une grille de référence et d’ana- plus de 160 pays s’engageant à appli- clients, société en général). lyse permettant à des personnes de quer dix principes universels rela- secteurs différents de parler le même tifs aux droits de l’homme, au travail, Trois points méritent d’être relevés : langage et ainsi de se comprendre et à l’environnement et à la lutte contre d’abord, une entreprise qui fait de la de communiquer », analyse Antonio la corruption. Elles prennent égale- RSE va plus loin que le strict cadre Gambardella, directeur de l’incuba- ment des mesures stratégiques pour légal. Ensuite, pour déployer une teur technologique Fongit. faire progresser les ODD. Enfin, les politique RSE crédible, il est essentiel principes du Pacte mondial servent pour les entreprises de contrôler de référence universelle quant à leur chaîne de sous-traitance, ce qui une manière responsable de diriger peut se révéler ardu selon les cas. une entreprise. Enfin, les principaux enjeux sociaux et valeurs morales étant différents d’un pays à un autre, la RSE varie aussi (certaines régions mettent plus l’accent sur le côté social, d’autres 3 Commission des entreprises et du environnemental). développement durable. « De meilleures entreprises, un monde meilleur. Note de synthèses ». Janvier 2017. Consultable sur http://businesscommission.org. La Commission des entreprises et du développement durable réunit des dirigeants des milieux d’affaires, des finances, de la société civile, du travail et des organisations 4 CCIG Info, 2019. « Trois questions à internationales. Jean-François de Saussure. » Juillet / août 2019.
1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? 11 10 10’000 Le spectre d’actions possibles est donc très large. « Dans une approche RSE, tous les enjeux ne sont pas per- tinents pour une entreprise, explique Andrea Baranzini, responsable de la formation continue à la Haute milliards de personnes entreprises doivent pouvoir bien vivre sont regroupées dans le Pacte école de gestion de Genève et codi- à l’horizon 2050 mondial et s’engagent à faire recteur du DAS en management progresser les Objectifs de durable. Chaque société étant diffé- développement durable rente, chacune doit se concentrer sur les points qui ont le plus d’impact sur ses parties prenantes. En déterminant cela, elle réalise déjà la moitié de la démarche. » DE NOUVEAUX MODÈLES Économie circulaire* ODD, Charte du Pacte mondial ou L’économie circulaire est un principe La thématique est d’une grande RSE, quelle que soit la terminologie, la d’organisation économique qui vise à actualité. Premièrement, le Mouve- finalité est la même. « Il s’agit d’enta- réduire systématiquement la quantité ment pour l’économie circulaire a été mer la transformation qui mène à un de matières premières et d’énergie lancé au début 2019 pour la Suisse, monde en 2050 où quelque 10 mil- sur l’ensemble du cycle de vie d’un avec un chapitre créé en Suisse liards de personnes peuvent vivre produit ou d’un service5. Elle cherche romande à la fin de l’été 2019, grâce bien (avec ce que cela implique au à sortir de la logique linéaire (extraire, à de nombreux partenaires, dont niveau de l’éducation, de la santé fabriquer, consommer, jeter) afin que les Impact Hub. Circular Economy et du travail), dans les frontières de les déchets deviennent de nouvelles Switzerland se considère comme la planète », détaille Filippo Veglio, ressources. Ces derniers peuvent soit une plateforme de coordination et managing director de l’organisa- directement être réutilisés par l’en- d’échange7. Deuxièmement, le géant tion suisse World Business Council treprise (telle Caran d’Ache qui utilise néerlandais Philips a récemment for Sustainable Development, basée ses copeaux de bois pour se chauf- annoncé vouloir réaliser 15 à 20% de à Genève et regroupant les CEO de fer), soit bénéficier à des tiers (comme son chiffre d’affaires via l’économie plus de 200 entreprises, représentant décrit dans plusieurs exemples circulaire dans les années à venir. 19 millions d’employés. ci-après). “ Comme le relève pour sa part L’économie circulaire peut se symboli- Jonathan Normand, fondateur et ser par 5 R : réduire, réutiliser, réparer, De nouvelles opportunités directeur de l’antenne suisse de réusiner et recycler. Elle permet ainsi B Lab, organisation comptant près de diminuer fortement la quantité de de marché atteignant au de 3’000 entreprises dans le monde déchets, comme le relève la Fonda- moins 12’000 milliards de certifiées B Corp pour leurs perfor- tion Ellen MacArthur, qui travaille avec dollars par an pourraient être ” mances sociales et environnemen- des entreprises, des gouvernements tales, « il s’agit de repenser le modèle et de hautes écoles pour créer les débloquées d’ici 2030. économique, en encadrant le déve- conditions nécessaires à une écono- loppement économique avec des mie circulaire6. Parmi ses principes : piliers environnementaux, sociaux et réfléchir dès la conception du produit éthiques afin que la croissance puisse à la manière d’utiliser le moins de Quant aux entreprises genevoises, être durable et équitable ». matière possible (démarche égale- nombre d’entre elles appliquent ces ment appelée écoconception). principes, soit en cherchant à faire Et pour y arriver, plusieurs nouveaux mieux avec moins (qui est aussi la modèles économiques ont vu le jour. logique prônée par l’écoconception), Si certains étaient auparavant réser- soit en incorporant davantage de vés à quelques idéalistes, ils ont fait matières issues du recyclage dans du chemin et peuvent aujourd’hui leurs produits, soit encore en réfléchis- concerner toutes les entreprises. Petit sant à la manière dont leurs déchets tour d’horizon. peuvent être utilisés comme res- sources par d’autres. 5 AUREZ Vincent, GEORGEAU Laurent, 2016. « Economie circulaire, système économique et finitude des ressources ». De Boeck supérieur. 6 www.ellenmacarthurfoundation.org. Sur son site se trouvent des études de cas, des guides, etc. 7 www.circular-economy-switzerland.ch.
12 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES Ainsi, les drêches (déchets de malt) de la Brasserie l’Apaisée sont utili- L’écologie industrielle étudie donc le métabolisme des activités écono- Écoconception* sées pour faire pousser les pleurotes miques pour évaluer les quantités de Cette démarche prend en compte de la champignonnière Geminoh ressources extraites, transformées, l’ensemble du cycle de vie d’un et l’eau servant à refroidir la bière stockées et finalement relâchées produit dès sa conception afin de pour arroser les champignons. Autre dans l’environnement. Et à l’image diminuer la matière utilisée, d’allon- exemple : l’entreprise Biogaz Mande- des interactions constatées entre ger la durée de vie d’un produit, d’en ment valorise les déchets organiques certaines espèces dans les écosys- faciliter la réparation, le recondi- des agriculteurs en produisant du tèmes naturels, l’écologie industrielle tionnement et le recyclage. Il s’agit biogaz qui sert à générer de l’élec- prône « les symbioses industrielles d’un état d’esprit afin que cette thé- tricité verte et la chaleur produite qui visent à susciter de nouvelles col- matique oriente l’entreprise lors de par la génératrice est récupérée laborations entre différents acteurs toutes ces étapes. « Déjà au moment pour chauffer les serres à proximité, économiques d’un territoire dans la où l’on imagine et où l’on conçoit le tandis que les résidus de la fermen- recherche collective de performance produit, il faut penser aux impacts, tation sont épandus sur les cultures environnementale et économique »8. explique Livio Elia, directeur de l’en- en guise d’engrais. Quant à l’hé- Elle encourage ainsi la coopération, treprise familiale Eskenazi. Il faut s’in- bergeur informatique Safe Host, la la mutualisation des ressources et la terroger : pourquoi utiliser beaucoup chaleur dégagée par ses serveurs relocalisation de la production. Les d’énergie, d’eau ou de composants sert à chauffer l’entreprise adjacente zones industrielles constituent un bon quand on peut faire avec moins ? En Vacheron Constantin. exemple de telles symbioses (traite- se posant ce genre de questions, on ment des déchets par une prise en simplifie souvent aussi les proces- De ces exemples, on constate que les charge collective, réutilisation des sus. Ce qui économise généralement entreprises créent de la sorte aussi composants, mutualisation logistique, de la matière et de l’énergie, mais bien de la valeur économique, que centrale mobilité comme à la ZIPLO, aussi du temps, qui peut alors être sociale (création d’emplois à Genève) à Plan-les-Ouates, qui offre un plan utilisé pour des activités à plus haute et environnementales (réduction de mobilité mutualisé souvent cité en valeur ajoutée. » des déchets). exemple, etc.). La Fondation des Ter- rains Industriels (FTI) est d’ailleurs à Écologie industrielle* la pointe de l’écologie industrielle, étant notamment l’un des partenaires Économie de Genève est pionnière en termes fondateurs de genie.ch à côté de la la fonctionnalité* Direction générale de l’environnement d’écologie industrielle, étant active L’économie de la fonctionnalité privilé- (DGE), de l’Office cantonal de l’éner- depuis 2001 en la matière et ayant gie l’usage à la possession et tend à gie (OCEN), des Services Industriels inscrit cette notion dans sa Constitu- vendre des services liés aux produits de Genève (SIG) et de l’Office pour la tion. Mais de quoi s’agit-il ? L’écolo- plutôt que de vendre les biens eux- promotion des industries et des tech- gie industrielle consiste à rendre le mêmes. Corollaire : l’entreprise qui nologies (OPI). système économique viable à long fournit les produits a tout intérêt à ce terme et compatible avec le fonc- A noter que la notion d’écologie que ceux-ci fonctionnent le plus long- tionnement normal des écosystèmes industrielle est large et intègre les temps possible, puisque la rentabilité naturels, explique genie.ch, plate- concepts d’économie circulaire, du service augmente avec la durée forme collaborative dédiée à la pro- d’économie de la fonctionnalité (voir de vie de son support. La durabilité motion et à la création de projets ci-après) ou encore l’écoconception est donc au cœur de cette pratique, d’écologie industrielle, regorgeant (voir également ci-après). qui s’inscrit exactement à l’inverse de d’exemples concrets. l’obsolescence programmée. A ce bénéfice environnemental s’ajoute un avantage social : ce système contri- bue à créer de l’emploi dans la région (et donc à dégager des recettes fis- cales), grâce aux nécessaires tâches de maintenance. 8 https://www.genie.ch/static/petit-lexique-de- lecologie-industrielle.html.
1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? 13 Trois points sont à retenir pour toute entreprise désirant adopter ce modèle d’affaires. Tout d’abord, l’économie de la fonctionnalité implique que l’en- “ treprise identifie au préalable cor- rectement les besoins de ses clients. Les entreprises suivant les principes Comme l’explique Claude Devillard, d’économie circulaire créent de directeur commercial de l’entreprise du même nom active dans les solu- la valeur économique (leurs ventes), tions documentaires, cette démarche sociale (création d’emplois à Genève) nécessite des entretiens approfon- et environnementale (réduction ” dis, ce qui prend du temps, mais qui se traduit ensuite par une grande fidé- des déchets). lité de la clientèle. Deuxièmement, la maintenance est très importante pour que les biens puissent rester en parfait état de fonctionnement. Enfin, l’économie de la fonctionna- Autre tendance : celle de la répa- Ce modèle semble gagner en attrac- lité exige un investissement initial ration. Donner une deuxième vie tivité. « Depuis une petite décennie, pour l’entreprise qui adopte ce type à ses équipements est écologique il y a toujours plus de personnes qui de modèle. « Nous devons commen- (moins de déchets) et économique. veulent créer des entreprises corres- cer par acheter des machines, ce qui Cette démarche crée également des pondant à leurs valeurs et ayant un représente une importante dépense, emplois, puisque les réparations sont impact positif d’un point de vue social alors que nous les mettons ensuite effectuées localement, par des entre- ou environnemental », constate David en location, et sommes donc payés prises, commerces et artisans. Elle Narr, directeur de Genilem, structure par mensualités », poursuit Claude renforce donc le tissu économique d’aide à la création d’entreprises. Devillard dont la société applique ce d’une région, ce qui explique aussi En outre, plusieurs institutions aca- concept depuis plus de 25 ans. pourquoi de nombreuses collectivi- démiques romandes (Université de tés publiques genevoises soutiennent Genève, EPFL et HEG Fribourg) pro- par exemple la plateforme ge-repare. posent des formations en entrepre- Économie ch, qui encourage la prolongation de la durée de vie des objets, en mettant neuriat social. du partage – Réparation en relation ceux qui ont besoin de Dans le cadre du programme Inter- reg ESSpace, les quatre Chambres de réparation et les professionnels qui la Comme l’économie de la fonction- l’Economie sociale et solidaire (ESS) pratiquent. nalité, l’économie du partage est de Genève, Vaud, Franche-Comté et basée sur les services plus que les Rhône-Alpes ont mené un diagnos- produits. Soutenues par la digitalisa- tic de l’ESS dans l’espace transfronta- tion, de nombreuses plateformes de Économie sociale lier franco-suisse. D’après l’approche location d’objets ont vu le jour dans des domaines très variés (habits et solidaire* choisie par ce programme, l’ESS tota- lise à Genève 35’200 emplois (corres- pour bébés, vêtements techniques Ce n’est ni une économie caritative, pondant à 27’000 équivalents plein pour environnement contrôlé, outils, ni une économie informelle, mais une temps), soit environ 9% du total des etc.). Parallèlement à la demande économie locale, ancrée dans un ter- emplois salariés du canton de Genève croissante de la part des Romands ritoire donné, où les acteurs écono- (selon les dernières statistiques de pour ces plateformes de partage, se miques cherchent à avoir un impact l’OCSTAT disponibles, datant de 2017 développent de nouveaux acteurs social maximum et un impact environ- et encore provisoires, le canton comp- économiques. nemental minimum pour la production tait 380’953 emplois et 319’394 EPT, de biens et de services. Autrement indépendants inclus). Dans cette mouvance, on assiste dit, le but premier de ces entités est aussi à de nombreuses initiatives Un exemple ? L’atelier de couture d’avoir un impact positif sur la société de « foodsharing », autrement dit, de Creature, qui revalorise des matières plutôt que la maximisation du profit. récupération d’invendus alimentaires premières au travers d’une production encore consommables afin de les S’il s’agit souvent d’initiatives émanant locale et artisanale de vêtements et revendre à moindre prix et éviter qu’ils d’associations et de coopératives, des d’accessoires tout en permettant à des ne soient jetés. Là aussi, les outils sàrl et des sociétés anonymes sont femmes de se construire ou recons- numériques permettent de mettre en également actives dans ce domaine, truire un projet professionnel viable. relation facilement les commerces et comme en témoignent les membres les consommateurs. (dont le nombre est croissant) de la Chambre de l’économie sociale et solidaire APRÈS-GE.
14 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES LES GRANDS JALONS HISTORIQUES 1980 APPARITION DU TERME DÉVELOPPEMENT DURABLE 1987 RAPPORT BRUNDTLAND Publication du Rapport Brundtland, du nom de Le terme « développement durable » apparaît pour la première fois dans un document la ministre norvégienne de l’Environnement et produit par le PNUE (Programme des Nations présidente de la commission ayant rédigé ce Unies pour l’Environnement), l’UICN (Union rapport commandé par l’ONU. Ce document internationale pour la conservation de la jette les prémices officielles du « sustainable nature) et le WWF intitulé « La stratégie de la development », qui sera finalement traduit par conservation mondiale ». développement durable (avant, on oscillait entre soutenable et viable). 2015 NEW YORK : SOMMET MONDIAL POUR LE DD Au Sommet mondial pour le dévelop- 2012 Le développement durable CONSTITUTION GENEVOISE pement durable à New York, la Suisse, est inscrit dans la Constitution comme 192 autres pays, a adopté les genevoise2. 17 ODD et l’Agenda 2030 pour le déve- loppement durable. Ce dernier constitue le nouveau cadre de référence mondial et guide désormais l’action de la Suisse en matière de développement durable. 2016 STRATÉGIE SUISSE : DD 2016-2019 2017 CONCEPT GENEVOIS DU DD 2030 Adoption de la Stratégie Publication du Concept pour le développement cantonal du développement durable 2016-2019 au durable 2030, définissant les niveau national. lignes directrices et les axes stratégiques d’intervention prioritaires. 2 République et Canton de Genève, Service cantonal du développement durable. « Développement durable 2030, Concept cantonal du développement durable », décembre 2018.
1/ QU’EST-CE QUE LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? 15 1992 RIO : SOMMET DE LA TERRE Sommet de la Terre à Rio. Cette 1997 GLOBAL REPORTING INITIATIVE Première initiative visant conférence des Nations Unies a adopté directement les entreprises avec une déclaration afin de permettre un le Global Reporting Initiative, « développement durable ». A la suite de un guide pour l’élaboration des ce sommet, le Gouvernement suisse a rapports de développement élaboré une politique de développement durable. durable, régulièrement mise à jour. 2001 GENÈVE : LOI LDD 1999 CONSTITUTION FÉDÉRALE Genève adopte la Loi Inscription du développement durable sur l’action publique en dans la Constitution fédérale dans trois vue d’un développement de ses articles (2, 54 et 73)1. durable (LDD). Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, interpelle les multinationales réunies au sommet de Davos et lance le Pacte mondial (Global Compact). 2019 2020 JUIN PLAN D’ACTIONS AGENDA GENEVOIS 2030 Adoption par le Conseil d’Etat Le Conseil fédéral doit genevois du plan d’actions présenter le renouvellement développement durable 2019-2023, de sa stratégie pour le qui apporte une réponse concrète développement durable, à la aux objectifs stratégiques décrits lumière de l’Agenda 2030. dans le « Concept cantonal ». 1 Conseil fédéral suisse. « Stratégie pour le développement durable, 2016-2019. » Janvier 2016.
16 OCTOBRE 2019 // DÉVELOPPEMENT DURABLE : BONNES PRATIQUES ET PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES 2/ ÉTATS DES LIEUX LES ENTREPRISES GENEVOISES SONT DÉSORMAIS DAVANTAGE SENSIBLES AU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET PRENNENT DES MESURES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES. La plupart des observateurs s’ac- Un faisceau de raisons explique cette Cela se traduit d’ailleurs de manière cordent à le dire : les entreprises à tendance : les lois (y compris à l’étran- très directe, comme le relève Bernard Genève prennent aujourd’hui beau- ger, obligeant les exportateurs suisses Girod, administrateur de Serbeco et coup plus en compte le développe- à se conformer au cadre réglemen- président de l’Association des Recy- ment durable qu’il y a 20 ans. taire sous peine de risquer de perdre cleurs de Genève : « Un nombre crois- l’accès au marché 1), le fait que les sant de consommateurs refusent Alexandre Epalle a le recul néces- pouvoirs publics incluent aujourd’hui d’acheter des produits en raison de saire pour pouvoir l’affirmer. L’actuel presque systématiquement des cri- leur suremballage, les sociétés gene- directeur général du développement tères sociaux et environnementaux voises sont plus sensibles à leur pro- économique, de la recherche et de dans leurs appels d’offres, les ques- duction de déchets. » l’innovation (DG DERI) avait créé tions d’image ou encore le fait que en 2001, puis longtemps dirigé, le Résultat : toujours plus d’entre- les entreprises se mettent à réaliser Service du développement durable prises prennent des mesures et « les que le développement durable peut du Canton. Les choses ont changé démarches se professionnalisent, être bon pour leurs affaires (voir cha- quantitativement, mais aussi qualita- relatent Andrea Baranzini et François pitre suivant « Bon pour l’économie »). tivement : « A l’époque, le développe- Sibille, coresponsables du DAS en Mais aussi parce qu’il y a une prise ment durable suscitait des craintes Management durable de la HEG. Il de conscience des dirigeants. « Tou- et des appréhensions. Aujourd’hui, il y a une dizaine d’années, le déve- jours plus de clients nous disent qu’ils compte de nombreux ambassadeurs loppement durable se résumait à veulent être le plus verts possible. dans les entreprises. Et il y a même quelques bonnes actions (fournir des Beaucoup d’entre eux le font pour des des modèles d’affaires qui se calent vélos, planter un arbre), maintenant il questions de valeurs, pas pour des sur le développement durable. » touche le fonctionnement de l’entre- raisons commerciales », tient à relever prise et est donc plus global. » Christian Brunier, directeur général des SIG. Malgré ces diverses avancées, la “ route est encore longue. Les objec- Il y a 20 ans, le Et le phénomène s’accentue : les tifs des diverses politiques publiques entreprises sensibles aux questions développement durable de développement durable se mettent ne sont pas atteints et tous les acteurs (citoyens, entreprises, collectivités suscitait des craintes et des à leur tour à privilégier les fournisseurs publiques) ont encore beaucoup de ayant les mêmes préoccupations, au appréhensions. Aujourd’hui, détriment de solutions concurrentes. progrès à faire pour que l’avenir de la planète soit réellement durable. Que il compte de nombreux Sans compter que la population est l’on pense simplement à la « Journée ambassadeurs dans les toujours plus sensible à ces probléma- suisse du dépassement de la Terre » tiques et modifie ses comportements qui arrive chaque année plus tôt : entreprises. Et il y a même d’achats. « En étant consomm’acteur, en 2019, à partir du 8 mai, la Suisse des modèles d’affaires les gens peuvent voter pour le monde a utilisé toutes les ressources natu- qu’ils désirent », souligne Jonathan relles dont elle dispose pour l’année qui se calent sur le ” Normand, le responsable de l’an- 2019, selon le WWF Suisse (au niveau développement durable. tenne suisse de B Lab, qui rappelle mondial, le jour du dépassement de la que le slogan international des B Corp Terre est tombé le 29 juillet 2019). est « Vote everyday ». 1 On citera par exemple que l’Union européenne veut inclure des facteurs durables dans toutes ses lois qui encadrent les activités financières. Ou que l’Allemagne, l’Australie, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont adopté des lois sur la publication et la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme.
2/ ÉTATS DES LIEUX 17 La place de la Suisse En outre, plusieurs pays progressent rapidement sur diverses théma- Enfin, il a inclus, il y a 20 ans déjà, les entreprises et leurs représentants Il n’existe pas d’indicateur global per- tiques, du moins en termes législatifs dans sa démarche vers le développe- mettant de comparer la situation des (en France p.ex. avec l’obsolescence ment durable, ce qui s’est notamment entreprises genevoises en matière de programmée, le Royaume-Uni et les traduit par un guide très pratique pour RSE par rapport à leurs homologues droits humains, ou de manière géné- les PME4, dont nombre de recomman- suisses ou étrangères. Les seules rale l’Union européenne qui veut dations sont encore d’actualité. indications sont d’ordre plutôt macro inclure des facteurs durables dans Pour le futur, Genève a établi un économique (voir encadré « L’état des toutes les lois qui encadrent les activi- certain nombre d’objectifs dans son lieux statistiques »). En outre, la thé- tés financières). « Concept cantonal du développe- matique touchant aussi bien le côté Enfin, la Suisse ne semble pas vouloir ment durable 2030 » 5, qui s’ancre social, qu’environnemental et de gou- se profiler médiatiquement et symbo- dans la stratégie de la Confédéra- vernance, il est difficile d’établir une liquement sur la scène internationale, tion, ainsi qu’un plan d’actions 2019- sorte de baromètre des avancées en ayant par exemple refusé la proposi- 20236. Parmi les objectifs stratégiques termes législatifs (par exemple). tion de Genève d’accueillir la confé- figurent notamment le soutien d’ac- On se contentera dès lors de dire rence 2020 de l’ONU sur le climat, un tions en matière de management que la Suisse a souvent été parmi les sommet qui aurait pu renforcer l’image durable et de responsabilité sociétale pionnières dans certains domaines, du bout du lac dans la gouvernance des entreprises, la promotion de pro- par exemple en matière de loi envi- mondiale du développement durable, cessus de conception et de production ronnementale, comme le rappelle Genève étant déjà considérée comme permettant une utilisation rationnelle Alexandre Epalle, en citant la Loi sur le lieu de la mise en œuvre des objec- des ressources ou encore le support la police des forêts de 1876 «qui reste tifs de développement durable3. de lieux et de projets développant la un modèle au plan international ». Et créativité et explorant de nouveaux Cela n’empêche pas plusieurs acteurs à la suite des divers accords inter- modèles d’affaires durables. du canton d’œuvrer à consolider le nationaux, elle a rapidement établi rôle de Genève sur l’échiquier inter- des politiques s’articulant de manière national, que ce soit au niveau de la cohérente avec leurs objectifs. finance durable (voir chapitre sur ce “ Le pays a également une position sujet) ou de la recherche. C’est ainsi remarquée en matière d’innova- que l’Université de Genève s’est acti- Depuis le lancement tions environnementales. Il est ainsi vement engagée dans divers champs du programme d’économies « un chef de file mondial en matière d’études liés au développement de brevets sur les technologies de durable « afin de pouvoir amener des d’énergie SIG-éco21 traitement des eaux usées et sur la faits scientifiques et une expertise aux en 2007, l’équivalent de gestion des déchets», indique le Swiss décideurs des organisations interna- Cleantech Report2. Il se place égale- tionales », comme le souligne Fabrice la consommation d’électricité ment en tête dans le classement des Calame, adjoint du vice-recteur. annuelle de près de brevets cleantech par habitant, selon 60’000 ménages genevois ” ce même document de référence en la matière. Les initiatives genevoises a été économisé. Cela dit, la Suisse n’est pas un bon Genève a fait œuvre de pionnière, élève dans certains domaines, tels avec sa Loi cantonale sur le déve- que la quantité de déchets produits loppement durable où est inscrite la (même si, ensuite, elle est une cham- volonté de faire tendre l’ensemble pionne du recyclage), la consomma- des politiques publiques vers un tel tion d’énergie ou encore les questions développement. Datant de 2001, elle d’égalité salariale entre hommes était alors la première du genre en et femmes. Europe, souligne Alexandre Epalle. Le Canton a également été pionnier, et cette fois probablement dans le monde entier, en matière d’écologie industrielle, en calculant le poids de son économie à l’aune de sa consom- mation de ressources et en inscrivant cette thématique dans sa constitution. 4 Etat de Genève, Service cantonal du développement durable, 2003. « PME et développement durable ». Juin 2003. A noter que la CCIG était au nombre des partenaires 2 Office fédéral de l’Energie, Office fédéral de cet ouvrage. de l’Environnement, l’Institut fédéral 5 de la Propriété intellectuelle, Switzerland Approuvé en 2018 par le Conseil d’Etat. Global Enterprise et Cleantechalps, 2017. 3 BUSSARD Stéphane, 2019. 6 Coordonné par le Service cantonal du « Swiss Cleantech Report 2017 ». « Le monde a toujours plus besoin de Genève », développement durable, ce document a été La prochaine édition sera publiée en 2020. Le Temps. Mars 2019. adopté le 19 juin 2019 par le Conseil d’Etat.
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