Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique

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Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Dossier
Numéro 105
Bimestriel
février, mars 2012
                           Pérou : pays d’exception?

                          défis sud
Rue aux Laines, 4
1000 Bruxelles

Bureau de dépôt
Bruxelles X
N° d’agrément : P307409

                                             RDC :
                                             Les combats
                                             de Espérance Nzuzi
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Somma i r e
      Perspectives République démocratique du Congo                              p 3-6
En RDC, 75 millions d’hectares de terres arables seraient susceptibles, s’ils étaient bien
utilisés, de nourrir un milliard d’habitants sur terre. Exploité à 10 % seulement, ce po-
tentiel ne subvient qu’aux besoins de 75 % de la population congolaise, soit de 53 mil-
lions de personnes. Pour en parler, Défis Sud a rencontré Espérance Nzuzi, présidente de
la Fopako (Force Paysanne du Kongo Central).

  Dossier                                                                     p8-23
  Pérou : pays d’exception?
  Alors que la crise financière frappe, le Pérou fait figure d’exception. Ce pays ac-
  cumule les bons résultats macro-économiques. Mais les fruits de la croissance
  sont-ils bien redistribués ? De plus, les changements climatiques menacent : 75 %
  des glaciers tropicaux du monde se trouvent dans les Andes péruviennes. Or, 22 %
  de cette superficie ont disparu au cours des 30 dernières années. Cette évolution
  commence à porter préjudice à l’approvisionnement en eau pour la consommation
  humaine. Entre-temps, le nouveau président Ollanta Humala a trahi ses promesses
  et continue à investir dans le secteur minier, au préjudice de l’environnement et au
  bénéfice probable d’une minorité de Péruviens.
      Introduction: Sous le vernis, la pauvreté                                p 8 - 10

                                                                                                                                                                     © Anne Kennes / SOS Faim
      Mines de richesses et de conflits                                       p10 - 13
      épée de Damoclès climatique                                             p13 - 14
      Marca Perú : à la conquête des marchés                                  p15 - 16
      Les vraies stars du Mistura                                             p17 - 18 Dans la province de Chumbivilcas (article page 21).
      Une solution douce ou un leurre ?                                       p19 - 20
      Débouchés publics pour les campesinos                                   p21 - 23

                                                                                                Directeur de la publication : Jean-Jacques Grodent. Rédacteur
                                                                                                en chef : Pierre Coopman. Conseil éditorial : Laurent Biot, Chris-
     Filière Café au Burundi                                                 p24-26             tophe Brisme, François Cajot, Pierre Coopman, Thierry Defense,
                                                                                                Freddy Destrait, Jean-Jacques Grodent, Marine Lefebvre, Marc
Le 30 décembre 2011, se clôturait le second appel d’offres pour la vente de stations            Mees, François Vandercam. Collaborateurs : Patrice Debry,
                                                                                                Mathieu Gonzales, Emamnuel Juste, François Misser, Aurélie
de lavage du café par l’État burundais. La suite logique d’un processus de privatisa-           Vankeerberghen. Couverture : Protestation contre la mine
tion initié en 2008 sous l’impulsion de la Banque mondiale. Loin de faire l’unanimité,          Conga / Pérou/ Reporters. Rédaction-Belgique : Rue aux
                                                                                                Laines, 4, 1000 Bruxelles. tél. 32 (0)2 511 22 38 Rédaction-
ce processus est remis en question, tant par la communauté internationale que par               Luxembourg : Rue Victor Hugo, 88, 4141 Esch/Alzette. Tél. 352
                                                                                                49 09 96 21 Réalisation : Studio Marmelade. Impression : Arte
les caféiculteurs burundais. Ces derniers peinent à faire entendre leur voix, mais les          Print. Défis-Sud est une publication de SOS Faim. Défis-Sud
                                                                                                est un forum où des auteurs d’horizons divers s’expriment sur
récentes évolutions du dossier leur laissent entrevoir d’autres possibilités.                   les thèmes du développement. Tous droits de reproduction
                                                                                                réservés. Les articles n’engagent que leurs auteurs. Les titres
                                                                                                et les sous-titres sont parfois de la Rédaction. Les manuscrits
     agir                                                                          p27          envoyés spontanément ne sont pas rendus.
                                                                                                E-mail : pco@sosfaim.org
Année internationale de l’agriculture familiale ; Importations massives de riz au Ca-           Site web : www.sosfaim.org
meroun ; L’Europe à la reconquête de sa souveraineté alimentaire.                               Imprimé sur papier recyclé. Éditeur responsable : Freddy Destrait
                                                                                                rue aux Laines, 4 - 1000 Bruxelles.
                                                                                                Défis Sud bénéficie du soutien de la Direction générale de la
                                                                                                coopération au développement (DGCD) et d’un apport du Ministère
                                                                                                des Affaires étrangères luxembourgeois (MAE).
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
éditorial

 L’Afrique sahélienne
 en zone de turbulences
     L’éditorial de Freddy Destrait Secrétaire général de SOS Faim Belgique
      et de Thierry Defense Directeur de SOS Faim Luxembourg

                                                         L’Afrique de l’Ouest, et en particulier les pays sahéliens, traverse des turbu-
                                                         lences qui risquent de la déstabiliser durablement. Cette zone géographique
                                                         (où se situent des partenaires de SOS Faim : Burkina Faso, Mali, Niger, Séné-
                                                         gal) est confrontée non seulement à la persistance de la pauvreté et de l’insé-
                                                         curité alimentaire récurrente, mais également à des problèmes d’insécurité
                                                         globale des populations et à des problèmes politiques qui affaiblissent les
                               © Mihnea Popescu.

                                                         capacités des États à remplir leurs obligations vis-à-vis de leurs citoyens.
                                                         Nous croyons que pour affronter ces périls, l’Afrique de l’Ouest doit réelle-
                                                         ment renforcer sa coopération régionale au sein de la Communauté des États
Freddy Destrait                                          d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
                                                         L’espace ouest-africain est devenu une aire de transit pour des activités illégales
                                                         en tout genre, en particulier le trafic de drogue. On estime que 15 % de la produc-
                                                         tion mondiale de cocaïne transiterait par l’Afrique de l’Ouest1. Cette économie
                                                         criminelle gangrène les États, car certaines sphères du pouvoir politique tolèrent
                                                         ces pratiques, considérées comme un outil de régulation interne sur le plan éco-
                         © Etienne Delorme/ Paper Jam.

                                                         nomique et intégrées dans le jeu social comme source de pouvoirs2.
                                                         Cette situation, qui va de pair avec l’accélération du trafic d’armes, y compris
                                                         des armes lourdes, suite à la guerre en Libye3, va considérablement accroître
                                                         l’insécurité des populations de la région. Nous assistons actuellement à une
                                                         recrudescence de la violence (plusieurs centaines de morts, assassinats et
Thierry Defense                                          prises d’otages), notamment au nord du Mali où des groupes armés (Aqmi :
                                                         Al-Qaïda au Maghreb islamique et le MNLA – groupes touaregs du mouvement
                                                         national pour la libération de l’Azawad) semblent faire alliance pour contrô-
                                                         ler ces vastes territoires qui deviennent des zones de non-droit.
                                                         Sur le plan politique, les élections, qui constituent un des piliers du fonc-
                                                         tionnement démocratique des sociétés et des États, sont aussi régulièrement
                                                         à l’origine de la violence et du climat d’insécurité (Niger, Burkina Faso, Sé-
                                                         négal). Ainsi, les violences qui secouent actuellement le Sénégal posent la
                                                         question de la dimension politique de la gestion des élections (manipulation
                                                         constitutionnelle et des listes électorales, absence de confiance des acteurs
                                                         politiques entre eux et absence de confiance des électeurs dans leurs élites
                                                         politiques, faiblesse des contre-pouvoirs).
                                                         Dans ce contexte agité, les États sahéliens paraissent très faibles et ne pour-
                                                         ront individuellement régler les problèmes auxquels leurs populations sont
                                                         confrontées. En l’absence d’une réelle coopération régionale au sein de la
                                                         Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), cette région géogra-
                                                         phique risque de connaître une période de déstabilisation néfaste à son déve-
                                                         loppement.

                                                         1 : Simon Julien, « le Sahel comme espace de transit des stupéfiants – acteurs et conséquences politiques », in
                                                         revue Hérodote, n° 142 – 2011.
                                                         2 : Benoît Richard in revue Sciences Humaines, janvier 2012.
                                                         3 : Dauzan et Moisseron, « Essai de prospective géopolitique du conflit libyen », in revue Hérodote, n° 142-2011.

                                                                                                                   n° 105 - Bimestriel - février, mars 2012 défis sud        3
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Perspectives

              République démocratique du Congo

              Promouvoir la production
              agricole locale
            Un article de François Misser                                                                                une série de facteurs dont l’insécurité et
                                                                                                                         les « tracasseries » des agents de l’État,
       En décembre dernier, un séminaire organisé à l’Université de                                                      la dégradation des pistes rurales et le
       Gembloux1 a mis l’accent sur l’organisation du monde paysan                                                       manque de formation. L’insuffisance
                                                                                                                         du niveau d’éducation a également des
       en République démocratique du Congo. Thomas Kembola Ke-                                                           répercussions considérables sur la san-
       juni, secrétaire général honoraire du ministère de l’Agriculture                                                  té de la population, chez qui se répand
                                                                                                                         le « konzo » : la paralysie des membres
       congolais, a rappelé le potentiel considérable du pays (75 mil-                                                   inférieurs, provoquée par la consomma-
       lions d’hectares de terres arables), susceptible « s’il était uti-                                                tion de manioc insuffisamment traité,
                                                                                                                         qui affecte 25 % des villages de la zone
       lisé judicieusement » de nourrir un milliard d’habitants.                                                         de Kahemba (Bandundu).
                                                                                                      La déstructuration passée
                                                           Exploité à 10 % seulement, ce poten-       Le professeur Grégoire Ngalamulume
                                                           tiel ne subvient qu’aux besoins de 75 %    Tshibue, du Centre de recherche-action
                                                           de la population congolaise, soit de 53    en population, environnement et déve-
                                                           millions de personnes. Du coup, il faut    loppement (Craped) de l’Institut supé-
                                                           recourir aux importations pour satisfaire  rieur de développement rural (ISDR) de
                                                           ceux des 18 millions d’habitants res-      Tshibashi (Kasaï Occidental), considère
                                                           tants. Mais il n’est pas sûr que les quan- que « le secteur agricole a souffert pen-
                                                           tités nécessaires sont effectivement       dant des décennies de l’absence d’une
François Misser                                            importées et distribuées : selon l’Institutpolitique agricole claire, cohérente et
                                                           national de la statistique, le nombre de   volontariste »2. Pour Jean-Philippe Pee-
est correspondant à Bruxelles de                           personnes en insécurité alimentaire fri-   mans, économiste de l’UCL, les causes re-
BBC-Afrique. Il suit l’actualité                           sait en effet les 21 millions en 2008.     montent à la période Mobutu. « Jusqu’en
africaine depuis 1983 et plus
                                                                                                      1973, la part de l’agriculture dans les
particulièrement les thématiques                           Et la situation s’aggrave, selon Thomas dépenses ordinaires du budget de l’État
intéressant l’économie et la                               Kembola, qui souligne l’écart s’agran- représentait environ 1 % », observe-t-il.
conflictualité dans la région                              dissant entre le taux d’accroissement
des Grands Lacs. Il est l’auteur                           annuel de la production (2 %) et celui Malgré tout, il y avait un certain dyna-
de plusieurs ouvrages, dont                                de la population (3 %) qui passera de 71 misme de la petite production paysanne
« Géopolitique du Congo (RDC) »                            millions en 2010 à 116 millions en 2025. à qui l’on doit au milieu des années 1970
(Complexe, 2006), écrit avec Marie-                        À ce rythme, le taux de dépendance ali- une hausse de 60 % de la production vi-
France Cros et « Les gemmocraties,                         mentaire du pays vis-à-vis de l’extérieur vrière commercialisée, rappelle le pro-
l’économie politique du diamant                            passera de 25 % à 40 %. D’où la nécessité fesseur Peemans. Mais la situation s’est
africain » (Desclée de Brouwer, 1997),                     absolue de promouvoir la production lo- aggravée avec la désorganisation des
écrit avec Olivier Vallée.                                 cale, qui émane à 90 % de la petite pay- circuits de production et de commerce,
                                                           sannerie. Dans certaines régions, la pro- provoquée par la zaïrianisation, trans-
                                                           portion des ménages dont le niveau de férant aux barons du régime la propriété
                                                           consommation atteint un seuil « limite » des grandes exploitations. Et les tenta-
                                                           est considérable (52 % au Maniema, 37 % tives étatiques de contrôler les surplus
                                                           au Katanga et au Sud Kivu). À l’origine de agricoles ont provoqué le repli des pay-
                                                           cette situation, Thomas Kembola relève sans sur l’autoconsommation. Il y a bien
                                                                                                      eu une tentative de redresser la barre,
                                                           1 : « Quelle politique agricole pour accroître la sécurité
                                                           alimentaire ? », organisé le 7 décembre 2011 par le Groupe    2 : « Politique agricole et sécurité alimentaire au Congo-
                                                           de recherche en appui à la politique (Grap3a), qui associe    Kinshasa », Éditions Universitaires Européennes, Sarrebrück,
                                                           Gembloux Agro biotech et l’Université de Liège (ULG - UCL).   2011

        4    défis sud n° 105- Bimestriel - février, mars 2012
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Perspectives

avec la mise en œuvre de « conventions
de développement » visant à intéresser
les grandes entreprises à la relance de
la production. Cela a favorisé la pro-
duction du maïs pour les brasseries de
Kinshasa ou celle de la filiale Agris de la
Gécamines pour ses travailleurs et même
donné lieu à des contrats avec de petits
producteurs, de la part de Tabac Zaïre.
Mais au cours des années 1990, l’effon-
drement de la production minière et la
crise politique ont entraîné une dilution
de l’État, dépourvu des moyens de défi-
nir une politique agricole si bien que le

                                                                                                                                                                    © François Cajot / SOS Faim.
nombre des sous-alimentés est passé de
11 millions pour la période 1990-1992 à
40 millions en 2004-2006.
L’État congolais n’est pas le seul à avoir
tenu la paysannerie pour quantité négli-
                                              Le potentiel agricole du Congo n’est utilisé qu’à 10 % de ses possibilités.
geable. La responsabilité des bailleurs de
fonds est aussi en cause : « La paysanne-
rie comme acteur collectif a perdu toute      de l’accès au financement du monde ru-                      création récente des Conseils agricoles
visibilité, transformée définitivement en     ral, le renforcement des capacités insti-                   ruraux de gestion (Carg), interfaces entre
masse de pauvres à assister par certaines     tutionnelles et des ressources humaines.                    les organisations paysannes, les services
ONG », observe Peemans. Un autre pro-         Mais à deux conditions préalables, « une                    de l’État, les gouvernements provinciaux
blème est l’amplification des conflits        vraie volonté politique et la paix et la sé-                et les administrations de territoire. L’ob-
autour du foncier, dont témoignent des        curité juridique et physique ».                             jectif est de définir des priorités de dé-
accaparements de terre au Kivu par des                                                                    veloppement et de permettre aux acteurs
politiciens, des militaires, des commer-      Pour Jean-Jacques Grodent, de l’Alliance                    ruraux de disposer des services pour
çants ou des fonctionnaires.                  Agricongo3, il est impératif d’appuyer                      améliorer leurs revenus, leur sécurité
                                              la structuration des organisations pay-                     alimentaire et la gestion des ressources
Nécessité d’une nouvelle structuration        sannes congolaises et l’élaboration                         naturelles.
Dans ces conditions, comment lever les        d’une politique agricole en faveur d’une
contraintes en vue d’améliorer la sécuri-     agriculture familiale comme choix d’un                    L’avènement des Carg est important dans
té alimentaire ? Le gouvernement a éla-       développement rural durable. Pour ce                      la mesure où il incarne la reconnaissance
boré le Programme national de sécurité        faire, Agricongo se cale sur l’agenda des                 d’une dynamique communautaire basée
alimentaire (PNSA), qui préconise l’amé-      organisations paysannes, au service des-                  sur la solidarité et un savoir local paysan
lioration de la productivité et entend        quelles elle a contribué à créer des struc-               permettant de maîtriser l’environnement
entreprendre des opérations d’appui à la      tures de lobbying comme le journal « La                   (gestion du sol, de l’eau, de la faune et
réhabilitation et à la relance du secteur,    Voix du Paysan congolais » et une pré-                    de la flore), estime Patrick Makala. Mais
ainsi que l’élaboration d’un programme        sence sur internet (blogs, Twitter, Face-                 pour faire fonctionner ce système, il faut
national d’investissements agricoles,         book) afin de favoriser le développement                  encore mettre au point les mécanismes
observe Thomas Kembola. Encore faut-il        d’un mouvement fort et démocratique.                      de formulation des demandes de la part
que ces bonnes intentions soient accom-       Agricongo a également appuyé l’orga-                      des organisations paysannes, redéfi-
pagnées des moyens nécessaires.               nisation des deux premiers Carrefours                     nir les relations entre les acteurs de ces
                                              paysans (2010 et 2011) et l’édition du                    Carg et former des conseillers agricoles
Grégoire Ngalamulume propose que soit         livre « Changer l’agriculture congolaise »                ruraux. L’expérience en est à ses débuts
reconnu « le rôle primordial de l’agricul-    qui vise à contribuer au renforcement de                  et les résultats sont inégaux. « Plusieurs
ture » et que lui soit conférée « une place   l’identité paysanne et à l’échange des                    Carg travaillent réellement à l’élaboration
de choix dans les priorités nationales »,     expériences.                                              d’une politique provinciale qui oriente
ainsi que la responsabilisation des agri-                                                               réellement les faibles investissements »
culteurs, qu’il faut doter des moyens de      Les Conseils agricoles ruraux de gestion                  constate Jean-Jacques Grodent, pour
leur autonomie. Il préconise à cet effet la   Le professeur Patrick Makala Nzengu, qui les Carg ont le mérite, du fait que les
promotion de la petite agriculture fami-      directeur en chef des services généraux acteurs ne se connaissent pas vraiment,
liale, à côté de mesures visant à accroître   au ministère de l’Agriculture évoque la de réunir des gens qui concrètement, sur
la productivité des cultures vivrières et                                                               le terrain ont à collaborer (achats com-
l’approvisionnement des marchés en            3 : Agricongo regroupe les ONG Diobass, Oxfam, Solidarité
                                                                                                        muns de semences, d’outils, commercia-
produits manufacturés, l’amélioration         Socialiste, SOS Faim, Trias, Vredeseilanden et WWF.
                                                                                                                                         Suite à la page suivante

                                                                                                    n° 105 - Bimestriel - février, mars 2012 défis sud        5
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Perspectives

lisation commune, approvisionnement Un acquis récent de cette mobilisation               été quatre jours après la prestation de
des structures de transformation, com- est la promulgation le 24 décembre 2011           serment controversée de Joseph Kabila.
mercialisation vers les villes).             par le président Joseph Kabila de la Loi    Il n’est pas exclu que, réalisant le ca-
                                             agricole qui doit entrer en vigueur le      ractère précaire d’une victoire que lui
Pour l’économiste Jean-Philippe Peemans, 24 juin prochain.                               contestent l’opposition et l’Église catho-
il faut prendre en compte les droits histo-                                              lique, Joseph Kabila ait voulu conforter
riques « suzerains » des collectivités pay- Pour « La Voix du Paysan congolais »,        sa légitimité en donnant satisfaction aux
sannes, relatifs à l’accès à la terre et aux cette promulgation met fin à l’absence de   organisations paysannes. Pour ces der-
ressources naturelles, exprimés dans les la loi dans le secteur agricole et apporte      nières, c’est une manière de reconnais-
documents des organisations paysannes quelques innovations, comme la créa-               sance et un point de marqué. Encore fau-
mobilisées autour du Code agricole en tion d’un fonds de développement agri-             dra-t-il transformer l’essai. Autrement
2010-2011. Potentiellement, ces orga- cole géré par les institutions financières,        dit : que la loi soit appliquée…
nisations constituent une force impor- l’implication des agriculteurs et des
tante. Le nombre de paysans et de ruraux professionnels du secteur dans le pro-          L’article 16 de la loi, qui doit entrer en
est passé de 10 à 50 millions de personnes cessus décisionnel, justifiant la création    vigueur en juin prochain, comporte éga-
entre 1960 et 2000. On a assisté à un ren- du Conseil consultatif au niveau national     lement une clause qui inquiète les ex-
forcement de la tendance à la multiplica- et provincial. La loi prend également en       ploitants étrangers. En effet, désormais
tion des associations informelles (utilisa- compte les exigences des instruments         l’exploitant doit « être une personne phy-
teurs d’eau, par exemple). Et d’inviter à internationaux relatifs à la conserva-         sique de nationalité congolaise ou une
appréhender le fait paysan non pas comme tion et à l’utilisation des ressources          personne morale de droit congolais dont
un fait immuable, mais comme une iden- phylogénétiques et à la protection de             les parts sociales ou actions selon le cas,
tité multiforme illustrée par l’existence de l’environnement. Elle consacre le ren-      sont majoritairement détenus par l’État
deux millions de paysans-mineurs.            forcement du mécanisme de surveillance      congolais et/ou par des nationaux ».
                                             des terres destinées à l’exploitation
Plusieurs modèles ?                          agricole et l’institution d’une procédure   En d’autres termes, les propriétaires
Peemans relève que le processus d’acca- de conciliation préalable à toute action         étrangers de terres agricoles devront im-
parement des terres par l’agrobusiness a judiciaire en matière de conflits de terres     pérativement vendre leurs parts d’ici la fin
été freiné ces dernières années au Congo agricoles. Encore faut-il la vulgariser et      2012 pour ne conserver qu’un maximum
par les conflits. Du coup, la majorité des décider de mesures d’applications à tra-      de 49 % du capital et donc céder le com-
ressources naturelles, dont les terres, vers une commission que doit mettre en           mandement de leur exploitation à des re-
reste sous le contrôle des communautés place le futur ministre de l’Agriculture.         preneurs congolais. Un avocat d’affaires
villageoises. C’est donc une opportunité                                                 belge confie à Défis Sud, ses craintes
à saisir. Mais il y a un long chemin à par-                                              que cette « nationalisation » (sic), qui
courir. Peemans cite le livre de l’Alliance                   Lever                      lui rappelle la « zaïrianisation » de 1973,
Agricongo qui constate que la plupart                                                    probablement motivée par le souci de lut-
des politiciens congolais se retrouvent
                                                      les contraintes                    ter contre l’accaparement de terres par
aujourd’hui totalement coupés de leurs          et améliorer la sécurité                 des sociétés asiatiques, ne risque d’inhi-
racines paysannes. Pour eux, l’agricul-                 alimentaire.                     ber de futurs investissements.
ture paysanne est synonyme de pauvreté
et leur vision de l’agriculture est celle de                                             La Fédération des entreprises congo-
la mécanisation, de la concentration des Une chose est sûre : cette promulga-            laises considère la loi « inconstitution-
terres dans de vastes concessions, de la tion n’a pas été sans mal. Les 272 par-         nelle » et « discriminatoire ». Mais la
promotion de technologies agro-indus- ticipants du second Carrefour paysan               Confédération nationale des producteurs
trielles à l’échelle de grandes sociétés réunis à Kinshasa en octobre 2011 ont           agricoles du Congo (Conapac) s’insurge
commerciales. Cela dit, il semble peu exigé qu’elle intervienne avant les élec-          contre cette interprétation. En insérant
probable que la production paysanne tions présidentielle et législatives du 28           ces dispositions dans la loi, « le législa-
puisse avant longtemps reconquérir une novembre de la même année, tout en                teur avait le souci de protéger les terres
part significative du marché de Kinshasa. demandant également au président et            congolaises vis-à-vis des accapare-
Cela dépend de la construction de routes. au gouvernement de respecter l’engage-         ments, des spoliations de terres observées
Par contre, le cadre provincial peut être ment pris à Maputo par le Congo de réser-      ces derniers temps en Afrique », assure-
approprié pour lier les centres urbains ver au moins 10 % du budget national à           t-elle. Et de conclure que, même dans
aux producteurs locaux. Les potentiali- l’agriculture.                                   les pays occidentaux, les législations sur
tés d’un mode paysan de développement                                                    l’exploitation des terres ont toujours re-
sont très grandes au Congo. Mais on ne Appliquer la loi                                  vêtu un caractère protectionniste visant
peut pas s’attendre à ce qu’elles soient Leur vœu n’a pas été immédiatement              à protéger les nationaux.
mises en œuvre par la volonté du prince exaucé, ce qui n’est pas surprenant dans
ou du marché. Elles dépendront des ini- le cadre d’une campagne où peu de can-
tiatives et des luttes du monde paysan didats ont relayé les problèmes des pay-
organisé, prédit Peemans.                    sans. Mais il est remarquable qu’il l’ait

 6   défis sud n° 105- Bimestriel - février, mars 2012
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Perspectives

              République démocratique du Congo

              Les combats d’Espérance
           Un entretien avec Espérance Nzuzi                                                lopper des systèmes de formation pour
                                                                                            améliorer la qualité du produit et rajeunir
       Une des organisations paysannes les plus importantes de la RDC                       les plantations. »
       est la Force Paysanne du Kongo Central (Fopako). Celle-ci ras-                       L’inspiration venue du Kivu
       semble 65 887 membres au Bas-Congo, appartenant à 175 unions                         Preuve de l’utilité des réseaux à l’échelle
                                                                                            nationale : Espérance reconnaît l’apport
       incluant des associations comme l’Aprofel (Association de pro-                       de l’expérience de ses collègues du Kivu.
       motion de la femme de Lukula). Défis Sud a rencontré son initia-                     « J’ai participé à l’atelier sur l’état des
                                                                                            lieux du mouvement paysan en 2007 à
       trice, Espérance Nzuzi, également présidente de la Fopako.                           Goma. Nos amis de l’Est étaient plus
                                                                                            avancés que nous, alors que nous étions
                                               L’une des difficultés rencontrées par les    encore dispersés en petites associations
                                               membres d’Aprofel est la distance, en        éparpillées. J’ai vu comment ils ont orga-
                                               moyenne de 25 kilomètres, qui les sépare     nisé les associations en unions. Et nous
                                               de leurs plantations. Un autre problème      avons suivi l’exemple. »
                                               est le manque de routes de desserte
                                               agricole pour évacuer les produits. Des      Un autre combat à mener, selon elle, est
                                               hommes ont rejoint l’association, qui        l’amélioration de la desserte en électri-
                                               compte aujourd’hui plus de 500 membres       cité dans la province abritant les bar-
Espérance Nzuzi                                car « on ne peut pas promouvoir les          rages d’Inga sur le fleuve Congo. « Les
                                               femmes en ignorant les hommes à leurs        paysans n’ont pas accès à toute cette
                                               côtés », explique Espérance Nzuzi. L’ini-    électricité. À Lukula-centre, il y a du
                                               tiative a essaimé dans toute la province     courant mais toutes les maisons n’en
                                               comme en témoignent la naissance de          ont pas parce que cela coûte très cher.
                                               l’Association pour la promotion de la        Mais il y a des villages tout près d’Inga
                                               femme de Boma (Aprofebo) ou celle            qui n’ont même pas de courant. Tout au
                                               de l’Aprofekas à Kasangulu. Parallèle-       long de la route, il y a du courant par ci
                                               ment, Espérance a encouragé la création      par là, mais le courant n’arrive pas chez
                                               d’une dynamique sectorielle, qui compte      paysans. Or, nous avons besoin de l’élec-
                                               15 000 producteurs d’huile de palme.         tricité pour conserver nos produits agri-
                                               Un autre combat difficile. Car le Congo,     coles. Notre production, c’est la forêt qui
C’est une femme de la base : « Je suis         exportateur avant l’indépendance, est        la garde mais si tu tombes malade, c’est
née au village, j’y ai grandi et je n’ai       devenu importateur net : l’huile locale      un problème. » L’électricité est particu-
pas beaucoup étudié. Je me consacre            est plus chère que l’huile importée. Espé-   lièrement utile pour la filière du poisson.
à l’agriculture familiale. Je cultive          rance explique ainsi l’évolution : « Les     Parmi ses membres, la Fopako compte
le manioc et la banane plantain et             nouvelles techniques ne sont pas mises       l’Union des pêcheurs de Muanda, forte
j’ai un projet de pisciculture ainsi           en œuvre auprès des paysans, abandon-        de 7 500 adhérents. Avec le soutien de
qu’un élevage de petits ruminants.             nés à leur triste sort. Ils pressent leur    la compagnie pétrolière Perenco, l’union
Car si vous n’avez pas toutes ces              huile à la main comme au temps colo-         dispose d’une petite chambre froide.
spéculations, en cas de maladie, vous          nial. Ils n’ont pas accès aux nouvelles      Mais il en faudrait d’autres pour appro-
avez des problèmes .»                          techniques de transformation. Du coup,       visionner dans de bonnes conditions le
Moralité : il faut répartir les risques.       l’huile que nous produisons n’est pas de     marché principal, celui de Kinshasa.
                                               bonne qualité. » Espérance s’est atta-       « Pour promouvoir nos pêcheries, il fau-
                                               quée au problème en interpellant l’entre-    drait que l’on puisse avoir des chambres
                                               prise Marsavco qui transforme l’huile de     froides intermédiaires », explique Espé-
                                               palme en divers produits dérivés dont le     rance, qui fait prendre conscience à ceux
                                               savon. Il lui a été répondu que la société   qui veulent aider les paysans congolais
                                               ne pouvait pas travailler individuellement   que l’amélioration de la distribution de
                                               avec les paysans et que ceux-ci devaient     l’eau potable et de l’électricité est par-
                                               s’organiser. C’est en train de se faire :    tie prenante d’une stratégie de sécurité
                                               « Récemment, les producteurs se sont         alimentaire.
                                               réunis chez moi pour voir comment déve-                       Propos recueillis par François Misser

                                                                                      n° 105 - Bimestriel - février, mars 2012 défis sud     7
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Dossier                 Pérou : pays d’exception?
             Introduction

             Sous le vernis : la pauvreté
           Un article de Chrystelle Barbier                                                              De son côté, l’agriculture biologique
                                                                                                         offre de nouvelles opportunités aux
      Alors que la crise financière frappe de plein fouet le monde en-                                   producteurs de café, de cacao ou de
      tier, le Pérou fait figure d’exception. Dans une Amérique latine                                   banane. Avec plus de 75 000 hectares de
                                                                                                         café certifiés « bio », le Pérou est devenu
      en pleine ébullition, ce pays andin aux 30 millions d’habitants                                    le premier producteur de café biologique
      accumule les bons résultats macro-économiques. Mais les fruits                                     au monde. Ce succès a même convain-
                                                                                                         cu certains agriculteurs d’abandonner
      de la croissance sont-ils bien redistribués ? La pauvreté, en tous                                 la production de feuilles de coca, une
      les cas, est loin d’être éradiquée.                                                                culture occupant plus de 60 000 familles.
                                                                                                         Réalités contrastées
                                                          Un taux de croissance en hausse continue       Bien que vénérée par les populations
                                                          depuis douze ans (6,5 % en 2011, 5,7 %         andines qui la consomment depuis des
                                                          prévu en 2012), une inflation maîtri-          siècles, la production de feuilles de
                                                          sée (4,5 % en 2011)… « Le Pérou est une        coca sert aussi de matière première à
                                                          des économies les plus dynamiques du           l’élaboration de cocaïne (90 % de la pro-
                                                          monde », a félicité la directrice du Fonds     duction va au narcotrafic), faisant du
                                                                                                         Pérou le principal producteur et expor-
                                                          monétaire international (FMI) Christine        tateur (environ 330 tonnes en 2010) de
                                                          Lagarde, fin novembre 2011. De passage         cette drogue au monde, avec la Colom-
                                                          dans la capitale, Lima, Mme Lagarde a          bie et la Bolivie. Une première place que
                                                          même salué « une étoile naissante en           l’État évite d’ébruiter au moment où le
                                                          plein ascension, formant partie de la          pays est une destination d’affaires et de
Chrystelle Barbier                                        nouvelle vague des marchés émergents           tourisme (voir notre encadré) de plus en
                                                          leaders ». Cuivre, argent, or… La richesse     plus prisée.
Journaliste française basée au                            des sous-sols et les prix internationaux
Pérou depuis 2004. Correspondante                         des matières premières dopent la crois-         « Le Pérou avance », n’a cessé de scander
pour divers médias francophones                           sance nationale, qui repose en grande          Alan Garcia, qui a présidé le pays de 2006
dont Le Monde et Radio France                             partie sur les exportations de minerais.       à 2011. Certes, des progrès ont été enre-
Internationale.                                           En termes d’exportations (source : www.        gistrés après deux décennies « perdues »
                                                          siicex.gob.pe), tous types de produits         (de 1980 à 2000) durant lesquelles le
                                                          confondus, la Chine est le premier client      conflit entre la guérilla du Sentier Lumi-
                                                          du Pérou en 2011 (16 %), suivie par les        neux (d’inspiration maoïste-léniniste) et
                                                                                                         l’État péruvien a fait près de 70 000 vic-
                                                          USA (13 %) et la Suisse (12 %).                times. La guérilla est aujourd’hui réduite
                                                                                                         à une faction armée, qui accompagne les
                                                          Le Pérou est un pays agricole. En 2011, il a   narcotrafiquants dans le centre du pays.
                                                          exporté 1,6 million de tonnes de fruits et     Le Pérou est jugé l’une des économies
                                                          de légumes pour un montant de 2,46 mil-        les plus stables du continent. Le taux de
                                                          liards de dollars US contre 1,7 milliard       pauvreté a baissé, passant de 44,5 % en
                                                                                                         2006 à 31,5 % de la population en 2011.
                                                          l’année précédente (source : promperu.
                                                          gob.pe). Avocats, asperges, artichauts,        Fracture sociale
                                                          paprika, oignons, mais aussi mangues,          Pourtant, tout n’est pas aussi positif que
                                                          raisins et mandarines… Les produits agri-      les chiffres et les rapports économiques
                                                          coles péruviens exportés se dirigent à plus    pourraient le faire croire. En 2011, les
                                                          de 90 % vers l’Europe et les États-Unis, où    résultats inattendus de l’élection prési-
                                                          ils rencontrent un succès croissant.           dentielle ont reflété la fracture sociale.

       8    défis sud n° 105- Bimestriel - février, mars 2012
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Un malaise que douze ans de croissance
n’ont pas réussi à diminuer. Car si une par-    Les régions du Pérou
tie de la population a bénéficié de l’essor
économique, l’écart entre les plus pauvres                                                                                    Loreto
                                                                                                 Tumbes
et les plus riches ne s’est pas réduit. Bien                     PEROU                                       Ama-
                                                                                                             zonas
que le taux ait chuté, un tiers de la popu-                                                       Piura
lation vit toujours au-dessous du seuil de                                                       Lamba- Caja-
                                                                                                  yeque marca     San
pauvreté et les plus démunis ont la sen-                                                                         Martín
sation d’être laissés pour compte. Selon                                                               La Libertad

le Pnud, 14,2 % des Péruviens n’avaient                                                                      Ancash Huánuco
pas accès à l’eau potable en 2011, 19 %                                                                                 Pasco Ucayali
                                                                                                                 Lima
vivaient sans système d’égouts et un cin-                                                                                Junín
                                                                                                                                    Madre de Dios
quième de la population n’avait pas élec-                                                 Callao                       Huanca-
                                                                                                                                 Cuzco
                                                                                                                        velica
tricité. Alors que les voitures de luxe pro-                                                    Province
                                                                                                 de Lima                          Apurímac
lifèrent dans la capitale, les maisons de                                                                              Ica
                                                                                                                             Ayacucho         Puno
fortune de tôle et de bois s’entassent sur                                                                                        Arequipa
les pentes des collines de Lima, où l’on vit                                                                                           Moquegua
dans la plus grande précarité.                                                                                                               Tacna

                                               Le Pérou (1 285 220 km2) est divisé en 24 régions (divisées elles-mêmes en provinces), auxquelles il faut
   Tout n’est pas aussi                        ajouter la province de Lima, entité au statut particulier, distincte de la région de Lima. Le Pérou est un
                                               pays dit décentralisé, avec de larges compétences dévolues aux régions et aux provinces.
positif que les chiffres et
les rapports économiques nation en 2009 à 25 ans de prison pour apprivoiser les secteurs les plus conser-
      le font croire.       corruption et violation des droits de vateurs en nommant à la tête du minis-
                                           l’homme. Promettant la continuité du                            tère de l’économie et de la Banque cen-
                                           système économique, Mme Fujimori a                              trale des personnages-clefs, synonymes
Fatigués de cette réalité, les Péruviens finalement obtenu le soutien des entre-                           de continuité économique.
ont voulu protester au moyen des urnes, preneurs, inquiets face à la possible op-
en 2011, en envoyant au second tour de la tion nationaliste.                                               Assurant vouloir être jugé sur ses actes
présidentielle le nationaliste de gauche                                                                   et non sur ses discours, Ollanta Humala a
Ollanta Humala et la députée Keiko Fuji- Le second tour de la présidentielle entre                         multiplié les voyages en province depuis
mori (droite conservatrice). Ex-officier Ollanta Humala, défendu par les mou-                              son investiture, toujours accompagné de
du cadre de réserve ayant servi dans l’ar- vements de la société civile, et Keiko                          sa femme, Nadine, son bras droit et prin-
mée pendant les années de terrorisme, Fujimori, soutenue par l’establishment,                              cipal conseiller. Il a aussi promulgué la loi
M. Humala est largement arrivé en tête a donné lieu à une campagne féroce                                  de consultation anticipée des peuples,
du premier tour alors qu’il était le seul divisant le pays, mais c’est finalement                          très attendue dans un pays multicultu-
des candidats en lice à promouvoir « la le nationaliste qui l’a emporté, grâce à                           rel, qui devrait permettre, à terme, aux
grande transformation » du système éco- l’appui in extremis de nombreux intel-                             peuples indigènes de s’exprimer sur l’en-
nomique néolibéral en place au Pérou de- lectuels, comme l’écrivain Mario Vargas                           semble des projets concernant leur terre
puis 1990. Promettant l’instauration d’un Llosa, qui ont poussé l’ancien militaire                         et éviter ainsi de nombreux conflits.
État fort, défendant les intérêts natio- à modérer considérablement un pro-
naux, Ollanta Humala a recueilli un grand gramme jugé trop radical.                                        Très suivie, l’élection d’Ollanta Humala a
succès chez les électeurs les plus pauvres                                                                 fait naître beaucoup d’espoirs et a susci-
et dans les régions de province histori- Courbe rentrante ?                                                té l’engouement de nombreux Péruviens
quement exclues par le pouvoir centrali- Le 28 juillet 2011, Ollanta Humala a donc                         qui réclamaient une amélioration du sys-
sateur de la capitale, qui concentre près pris la tête d’un pays profondément                              tème en place. Mais la lune de miel n’a
du tiers de la population totale du pays. divisé. D’abord objet d’une forte oppo-                          pas duré.
                                           sition de la part des secteurs financiers
Face au nationaliste, Keiko Fujimori a qui craignaient l’arrivée au pouvoir d’un                           Depuis le mois de septembre 2011, le pré-
profité de l’aura dont bénéficie encore proche du président vénézuélien Hugo                               sident est confronté à plusieurs conflits
son père, l’ancien président (1990-2000) Chavez, peu apprécié au Pérou, le colonel                         sociaux d’envergure. Hérités du gouver-
Alberto Fujimori, malgré sa condam- à la retraite de 49 ans a rapidement su                                nement précédent, ces conflits ont repris
                                                                                                                                               Suite à la page suivante

                                                                                                n° 105 - Bimestriel - février, mars 2012 défis sud                  9
Défis sud Dossier Pérou : pays d'exception? - RDC : SOS Faim Belgique
Dossier Pérou : pays d’exception?

      avec d’autant plus d’intensité que les tous les Péruviens ». Au risque de renier      « Je ne suis ni de droite ni de gauche
      acteurs attendaient d’Ollanta Humala une certaines promesses électorales, il a fait   mais d’en bas », répond le chef de l’État,
      réponse immédiate à leurs revendications. le choix du maintien de l’immense projet    qui assure vouloir « unir le pays ». Les
                                                minier Conga dans le nord du Pérou, mal-    temps à venir seront-ils donc ceux de
      Alors qu’il était candidat, le nationa- gré l’opposition d’une grande partie du       la « grande transformation » ou de la
      liste était souvent apparu aux côtés                                                  « grande continuation » ? Les Péruviens
      des manifestants. Mais le vent est-il en peuple. Une attitude que ses alliés poli-    attendent surtout que la croissance se
      train de tourner ? Le président explique tiques issus de divers partis de gauche      traduise enfin en un développement vi-
      devoir désormais « prendre des déci- ne comprennent pas, la qualifiant avec           sible aux quatre coins du pays.
      sions au nom de l’État pour le bien de dédain de « virage à droite ».

             Exploitations minières au Pérou

             Mines de richesses et de conflits
          Un article de Chrystelle Barbier
                                                                                      Au cœur des conflits
        Selon le ministère péruvien de l’énergie et des mines (Minem), Source de revenus sans équivalent, le
                                                                                      secteur minier est cependant au cœur
        plus de 21,6 milliards de dollars US ont été investis dans le sec- de conflits sociaux constants, dont le
        teur minier entre 1996 et 2010. La Société nationale des mines nombre n’a cessé d’augmenter au fil des
                                                                                      ans. Selon la Defensoria del Pueblo, un
        estime que d’ici à 2020, le montant des investissements pour- organe de l’État chargé de défendre les
        rait atteindre les 50,7 milliards de dollars. Un potentiel qui n’a droits de l’homme, 89 conflits étaient
                                                                                      « actifs » en 2006. En 2011, Alan Garcia a
        pas échappé aux grandes entreprises, qui ont décidé de s’ins- quitté la présidence dans un pays débor-
        taller dans un pays qui, depuis le début des années 1990, a tout dant de conflits sociaux (alors au nombre
                                                                                      de 214) répartis aux quatre coins du ter-
        mis en œuvre pour attirer les investisseurs étrangers (traités de ritoire. Plus de la moitié de ces conflits
        libre échange, contrats de stabilité juridique) et leur faciliter la sont d’origine socio-environnementale
                                                                                      et opposent en majorité des communau-
        tâche une fois implantés.                                                     tés paysannes ou indiennes aux exploi-
                                                                                      tations minières, rapporte la Defensoria
                                          Principal consommateur de métaux au del Pueblo.
                                          monde (40 % de la consommation mon-
Grand producteur mondial                  diale), la Chine a notamment choisi de Comme dans de nombreux autres pays
de minerais                               concentrer la plus grande partie de ses d’Amérique latine, ces problèmes sont
                                          investissements sur le territoire péruvien, souvent dus à un manque de consulta-
Connu de tout temps pour la               devenant l’investisseur minier le plus im- tion des peuples vivant sur les terres des-
richesse de ses sous-sols, le Pérou                                                   tinées à être exploitées. Bien que l’entre-
                                          portant du pays (20 % du montant total prise nécessite aujourd’hui une « licence
est aujourd’hui l’un des plus gros
fournisseurs de minerais au monde
                                          des investissements) devant les États- sociale », sorte d’autorisation des com-
(premier producteur mondial               Unis, le Canada, la Suisse et l’Australie.  munautés voisines des projets miniers,
d’argent, 2 de zinc et de cuivre,
            e                                                                         l’État a régulièrement par le passé donné
3e d’étain, 6e d’or). Les plus grands     Selon le Minem, le portefeuille général aux entreprises des territoires en conces-
groupes miniers internationaux            d’investissements dans le secteur minier sion, sans que personne n’ait consulté les
convoitent ces richesses, malgré                                                      habitants de la zone en question.
                                          prévu pour les cinq prochaines années
les nombreux conflits sociaux qui
affectent directement la poursuite
                                          est de 30 milliards de dollars. Une manne La lutte en Amazonie
de plusieurs projets miniers dans le      financière essentielle pour l’économie Réclamant leur droit à être préalable-
pays.                                     péruvienne, les exportations minières re- ment consultés comme le prévoit la
                                          présentant près de 60 % du montant total Convention 169 de l’Organisation inter-
                                          des exportations.                           nationale du travail (OIT), des milliers

       10 défis sud n° 105- Bimestriel - février, mars 2012
Dossier Pérou : pays d’exception?

                                                                                                                                                              © Chrystelle Barbier.
Des manifestants accusent le président Ollanta de traîtrise.

                                                       d’indiens d’Amazonie ont lutté en 2009        Les décrets ont été abrogés mais il a fallu
  La « loi du droit                                    contre une série de décrets gouverne-
                                                       mentaux qui, selon eux, mettaient en pé-
                                                                                                     attendre deux ans pour qu’un texte de
                                                                                                     loi rende obligatoire la consultation des
  à la consultation                                    ril leurs droits ancestraux et favorisaient
                                                       la privatisation de leurs territoires, afin
                                                                                                     peuples. « Cette loi est faite pour que
                                                                                                     les communautés (indigènes) puissent
  préalable »                                          de bénéficier à terme aux industries
                                                       extractives. Prêts à aller jusqu’au bout
                                                                                                     exprimer leur volonté de manière libre et
                                                                                                     souveraine et ne se laissent pas dominer
  Cette loi oblige l’État péruvien à                   de leur mouvement, les manifestants           par les pouvoirs économiques ou les faux
  consulter les peuples indigènes et                   ont protesté pendant des semaines sans        leaders », a souligné le président Ollanta
  originaires sur tout projet ou décision              trouver d’accord avec le gouvernement.        Humala, avant de promulguer le texte en
  administrative concernant leurs                      Le conflit s’enlisait quand la protesta-      septembre 2011 (voir encadré).
  droits, leur identité culturelle et leur             tion tourna à la tragédie dans la région
  territoire. « Le but de la consultation              de Bagua (nord amazonien), le 5 juin          Mines et pollution
  est d’obtenir un accord ou un consen-                2009, de violents affrontements entre la      Approuvée par l’ensemble des forces
  tement entre l’État et les peuples indi-
  gènes au sujet d’une mesure légis-
                                                       police et les manifestants faisant plus de    sociales, la loi n’a pas encore été régle-
  lative qui les affecte directement, à                30 morts.                                     mentée, au grand dam des populations
  travers un dialogue interculturel qui                                                              qui espèrent qu’elle permettra de paci-
  garantit leur inclusion dans le proces-              Fortement médiatisés, les « événements        fier le pays. « Maintenant, l’État doit
  sus de prise de décision de l’État et                de Bagua » ont marqué un point de non-        renforcer l’attention portée aux conflits
  l’adoption de mesures respectueuses                  retour dans l’histoire du pays. Prenant       sociaux », insiste le défenseur du peuple
  de leurs droits collectifs », précise                soudain conscience de l’ampleur des           Eduardo Vega, qui exhorte les autorités à
  le texte de loi, en accord avec l’OIT.               conflits existant en Amazonie, où plus        écouter les plaintes des populations, qui
  « Ce que l’on veut avec cette loi, c’est             de 70 % des territoires font l’objet de       dénoncent régulièrement la pollution des
  que votre voix soit écoutée, que vous
  soyez traités comme des citoyens
                                                       concessions, des milliers de personnes        eaux environnant les chantiers miniers.
  et non comme des enfants qu’on ne                    sont descendues dans la rue en juin 2009,     Il existe ainsi dans le pays, plusieurs
  consulte pas », a lancé le président                 pour exiger la suppression des décrets de     rivières polluées par des déchets solides
  Humala à une foule d’Indiens, pré-                   la discorde et demander qu’on légifère        ou des résidus issus des grandes exploi-
  sents lors de la promulgation.                       afin que les peuples indigènes puissent       tations minières mais aussi de mines
                                                       être consultés et informés au sujet de        informelles, qui génèrent une immense
                                                       tout projet minier concernant leur terre.     pollution dans de nombreuses régions,
                                                                                                                                   Suite à la page suivante

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Dossier Pérou : pays d’exception?

notamment au cœur de l’Amazonie, que
les mineurs déboisent et polluent à coup
de cyanure et de mercure.                               Un modèle industriel encore fondé
Déjà nombreux et constants sous le gou-
                                                        sur l’extraction primaire
vernement d’Alan Garcia, les conflits se
sont intensifiés au cours des derniers                  « Promouvoir un mine         aussi de les contrôler et     de son économie sur le
mois. « La population avait accordé                     responsable, c’est impos-    surveiller. « On ne peut      seul modèle industriel
                                                        sible si le Pérou continue   pas laisser toute la res-     d’extraction primaire.
une trêve sociale à Ollanta Humala mais                 à fonctionner dans un        ponsabilité (de la consul-
cette trêve a pris fin », constate Julia                cadre institutionnel si      tation, de la protection de
                                                                                                                   « à long terme, les coûts
Cuadros. La directrice de l’association                 faible où l’État continue    l’environnement, du bon
                                                                                                                   sociaux et environnemen-
Cooperacción, une ONG assurant un sui-                                                                             taux des mines sont trop
                                                        d’être juge et partie »,     traitement des commu-
                                                                                                                   importants », soutient la
vi régulier de la problématique minière                 affirme Julia Cuadros,       nautés, ndlr) aux seules
                                                                                                                   directrice, consciente de
dans le pays, s’inquiète de l’intensité                 la directrice de l’ONG       entreprises. Le gouverne-
                                                                                                                   contribuer à un débat de
des conflits qu’elle juge aujourd’hui                   Cooperacción, en faisant     ment doit retrouver son
                                                                                                                   plus en plus répandu dans
« plus forts et violents ». « La mine non,              référence au Minem,          autorité », insiste Mme
                                                                                                                   le pays.
l’agriculture oui », ont ainsi scandé                   le ministère chargé de       Cuadros, qui estime que
                                                        promouvoir les investis-     le Pérou ne peut plus
en novembre des milliers d’habitants                    sements miniers mais         baser la majeure partie
d’Andahuaylas, qui exigeaient l’arrêt de
toute activité minière dans leur région.
Au même moment, dans le nord du pays,
les paysans des hauts plateaux de Caja-
marca commençaient à se manifester                en eau trois provinces. Or, pour extraire        lui, une des exploitations à ciel ouvert
contre le projet Conga, une mine d’or et          le minéral, la mine devra détruire ces           les plus grandes du monde (2 kilomètres
de cuivre accusée de mettre en péril les          lagunes », explique Milton Sanchez,              de large, 1 km de profondeur, annonce
eaux de la région. « Nous vivons dans cet         le secrétaire général de la Plateforme           l’EIE). « C’est vrai que la mine apporte
espace naturel à 3900 mètres d’altitude           interinstitutionnelle de Celendin (PIC),         des revenus au pays mais elle devrait être
et nous ne sommes pas d’accord avec ce            un large mouvement citoyen opposé                respectueuse des ressources naturelles
projet qui a prévu d’éliminer les lagunes         à Conga. L’étude d’impact environne-             et surtout des ressources hydriques »,
des hauts plateaux », argumente Marino            mental (EIE) de la mine indique en effet         insiste le jeune homme.
Campos, un habitant du département de             qu’elle transvasera l’eau de quatre la-
Celendin qui a été un des premiers à se           gunes vers de grands réservoirs.                 Humala retourne la veste ?
mobiliser. « La mine va aussi engendrer
de grands mouvements de terre et rendre                                                            En novembre, ils n’étaient qu’une poi-
l’eau acide », dénonce l’agriculteur de                                                            gnée d’experts et agriculteurs à lut-
33 ans qui assure que « c’est déjà ce qu’il                    Le secteur                          ter contre l’énorme projet Conga. Ils
se passe avec Yanacocha ».                                 minier est au cœur                      ont cependant rapidement été rejoints
                                                             des conflits.                         par d’autres villageois et soutenus par
Zizanie dans les villages                                                                          le président régional Gregorio Santos.
Immense mine d’or implantée dans la                                                                Ayant activement soutenu Ollanta Hu-
région depuis 1990, Yanacocha finance             Les dirigeants du projet Conga affir-            mala durant sa campagne électorale, M.
plusieurs programmes sociaux et envi-             ment que ces barrages auront une plus            Santos était alors convaincu que le nou-
ronnementaux dans la région. Elle jouit           grande capacité que les lacs naturels            veau président ordonnerait la révision
malgré tout d’une très mauvaise réputa-           aujourd’hui existants mais l’argument            de l’étude d’impact environnemental,
tion auprès des agriculteurs de Cajamar-          ne convainc pas Patricia Rojas, experte          comme le réclamait le peuple de Caja-
ca qui l’accusent de polluer leur eau mais        environnementale pour Cooperacción.              marca. Durant ses meetings, M.Humala
aussi de les avoir arnaqués au moment             « Le problème n’est pas seulement la             avait en effet déclaré : « Qu’est-ce qui
du rachat des terres ou encore de semer           quantité d’eau que contiennent ces               est le plus important, l’or ou l’eau ? Vous
la zizanie dans les villages en créant une        lagunes mais le fait que l’eau se filtre         ne buvez pas l’or, nous ne mangez pas
opposition entre les habitants pro et an-         et réapparaisse plus bas », s’emporte la         l’or… Alors que la mine ne vienne pas s’en
ti-mine.                                          jeune femme, qui regrette que « les EIE          prendre aux ressources hydriques. »
                                                  ne prennent pas en compte la fonction
Conscients du passif de Yanacocha, les            de l’eau dans l’écosystème ». « Une              à la surprise générale, le gouvernement
paysans sont aujourd’hui très critiques           des lagunes va être transformée en une           refusa cependant de prendre en compte
face aux projets miniers, qui sont nom-           grande poubelle de déchets miniers, alors        les manifestants, puis prit rapidement
breux dans la région. Au cœur de leurs            que de cette lagune, naît une rivière qui        position pour la poursuite du projet mi-
revendications : la défense de l’eau. « Le        bénéficie à 40 communautés », soutient           nier. « Conga continuera », déclara même
projet Conga se situe dans une zone où se         encore Milton Sanchez, qui mène le com-          Ollanta Humala en décembre, assurant
trouvent diverses lagunes qui alimentent          bat contre ce qui pourrait devenir, selon        que le Pérou devait respecter ses enga-

 12 défis sud n° 105- Bimestriel - février, mars 2012
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