E-cigarette : nettement moins dangereuse que la cigarette mais addictogène

 
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   E-cigarette : nettement moins dangereuse que la cigarette mais
   addictogène

Auteur : Aude Lecrubier
29 mai 2013
Paris, France - Bien que le message reste qu'il ne faut pas inciter à consommer un produit qui
contient de la nicotine, car par définition addictogène, les e-cigarettes semblent toutefois, bien moins
dangereuses que les vraies, selon un rapport de l'Office Français de prévention du Tabagisme
(OFT) réalisé avec l'aide de laDirection Générale de la Santé (DGS) pour le 31 mai 2013, date de
la Journée mondiale sans tabac[1].

La conclusion du rapport très fouillé sur l'e-cigarettes (plus de 200 pages et allant jusqu'à évaluer leur
impact électromagnétique !) est claire : « L'e-cigarette, bien fabriquée et bien utilisée est en elle-même
un produit qui présente des dangers infiniment moindre que la cigarette, mais les dangers ne sont pas
totalement absents. Le principal danger intrinsèque de l'e-cigarette est lié à la dépendance à la
nicotine contenue, mais la forme du produit et sa gestuelle sont aussi des facteurs qui pourraient
contribuer à entretenir la dépendance. »

Les auteurs du rapport rappellent qu'en l'absence d'arrêt du tabac, un fumeur sur deux meurt d'une
maladie directement liée à son tabagisme et que la dépendance au tabac est voisine de celles liées à
la cocaïne et à l'héroïne.

Enfin un rapport exhaustif de l'état des connaissances
Si des « incertitudes demeurent sur la sécurité des e-cigarettes », « les connaissances progressent
rapidement » et « on ne peut attendre pour commencer à proposer des recommandations », indique
le groupe de 10 experts français et européens réunis par l'OFT (voir encadré).

En effet, le marché de l'e-cigarette se développe de façon exponentielle « ou même peut-être plus
qu'exponentielle ». En France, il représenterait en 2012 environ 40 millions d'euros. « La première
boutique d'e-cigarettes a ouvert à Caen en décembre 2009, en avril 2013, on dénombrait 141
boutiques et, selon les estimations de certains connaisseurs, il y en aura probablement 300 à la fin de
l'année », notent les auteurs du rapport.

Il était donc temps de fournir un document exhaustif, reflétant les données de la littérature et de
diverses enquêtes de consommateurs, mais aussi la position des agences sanitaires, et celle des
différents pays concernés.

L'e-cigarette ne libère pas de quantité significative de cancérogènes
Selon le rapport, des traces de produits cancérogènes, du même ordre de grandeur que celles
trouvées dans les substituts nicotiniques existent dans les e-liquides des cigarettes électroniques,
mais ces concentrations sont « sans signification clinique ». « Ces données ont cependant conduit
certains à tenir des propos alarmants sur les premières e-cigarettes », notent les auteurs.
« Les recherches de cancérogènes dans la vapeur de l'e-cigarette n'identifient actuellement aucun
produit classe cancérogène « probable » ou « certain » pour l'homme. Quelques PHA (Polycycli
Aromatic Hydrocarbons, hydrocarbures aromatiques polycycliques) non classés cancérogènes sont
identifiés dans la fumée mais à des taux 100 fois inférieurs à ceux retrouvés dans les bouffées de
cigarette.

Sous réserve que la température des atomiseurs ne continue pas à augmenter (car la glycérine
végétale présente un risque théorique de formation d'acroléine, un produit formé à partir du glycérol
quand la température monte et que la molécule se déshydrate), on peut considérer à ce jour - et sauf
étude contraire - que l'e-cigarette n'a pas de potentiel cancérogène contrairement à la fumée du tabac
(plus de 60 cancérogènes sont identifiés dans la fumée du tabac dont 11 classes cancérogènes
classées catégorie 1 par le CIRC) ».
Quels effets sur la santé ?

L'absence de monoxyde de carbone (CO) dans la « vapeur » de l'e-cigarette et le taux normal de
monoxyde de carbone trouvé dans l'air expiré montrent qu'elle ne prive pas l'organisme d'oxygène
comme le fait la cigarette et que « les effets cardio-vasculaires, s'ils existent, devraient être donc
moins importants. »

Aussi, la vapeur ne contient pas de particules solides à des taux significatifs alors que chaque
cigarette fumée produit plus d'un milliard de particules solides submicroniques dans le courant
primaire et 5 milliards de nanoparticules dans le courant secondaire. « Il est donc hautement
vraisemblable que les effets cancérogènes, irritants pour les voies respiratoires et délétères pour le
coeur, de ces micros et nanoparticules sont absents avec l'utilisation de l'e-cigarette. »

En outre, les produits irritants de la « vapeur » produite par les e-cigarettes sont différents de ceux de
la cigarette. « Cependant en dehors d'études spécifiques, il est difficile de faire des hypothèses sur la
réduction ou non de l'irritation des voies aériennes supérieures et des bronches lors de l'utilisation d'e-
cigarette. »

Concernant la toux, symptôme fréquent chez les utilisateurs d'e-cigarette, elle aurait souvent un point
de départ ORL et non bronchique comme avec le tabac et pourrait s'expliquer par l'augmentation de la
toux durant les premières semaines du passage de la cigarette a l'e-cigarette, comme lors de l'arrêt du
tabac.

Enfin, en dehors du risque de dépendance à la nicotine, il n'est pas connu à ce jour d'autres effets
neurologiques de l'e-cigarette.

Pour conclure sur ce chapitre, les experts notent qu'il est « clairement démontré que les
cancérogènes sont responsables des cancers liés au tabagisme, que le monoxyde de carbone et les
particules fines sont les deux vecteurs majeurs de la toxicité cardio-vasculaire de la fumée des
cigarettes, que les particules solides jouent un rôle important dans la survenue de la BPCO. Il est tout
aussi démontré que ces trois produits n'existent pas à des taux significatifs dans la « vapeur » des e-
cigarettes. Il est donc logique d'attendre une réduction de ces trois risques chez les fumeurs de tabac
qui passent à l'e-cigarette, mais ces faits restent à démontrer. »

Les effets de l'e-cigarette sur les dents, la peau, les cheveux, l'haleine n'ont pas été étudiés.

Concernant les effets à long terme, en l'absence d'études scientifiques précises sur une utilisation
supérieure à 6 mois de l'e-cigarette, les experts recommandent la vigilance en ce qui concerne son
utilisation prolongée.

Le principal problème : la nicotine
Le pouvoir addictif de l'e-cigarette n'est pas connu à ce jour du fait du manque d'études, mais on sait
que la nicotine est addictive. « Certains utilisateurs décrivent un besoin d'e-cigarette identique à celui
de la cigarette », notent les auteurs du rapport.

Avec l'e-cigarette et la cigarette, la nicotine est délivrée rapidement ou très rapidement au cerveau.
Ainsi, « les e-cigarettes modernes sont capables de délivrer en moins de 5 minutes des quantités de
nicotine du même ordre de grandeur que les cigarettes, ce que ne faisaient pas les e-cigarettes
disponibles en 2010. »

« Dans l'état actuel des connaissances, la vitesse d'apparition de la nicotine dans le sang obtenue
avec l'e-cigarette est intermédiaire entre celle obtenue avec des cigarettes de tabac et celle obtenue
avec les substituts nicotiniques oraux actuellement disponibles », précisent les experts.

Deux cas de figure : les fumeurs et les non-fumeurs
« Chez le fumeur dépendant au tabac, le remplacement du tabac par l'e-cigarette devrait en théorie
contribuer à une réduction des risques et des dommages », notent les experts. Ils recommandent
donc « que l'accès des fumeurs aux e-cigarettes ne soit pas freiné, car au vu des données actuelles
elles semblent réduire les dommages lorsqu'elles remplacent la cigarette. »

En revanche, les experts recommandent de « mettre en oeuvre des mesures pour éviter toute
promotion et toute facilitation de l'accès de l'e-cigarette aux mineurs et aux sujets n'ayant jamais
fumé. »

Les experts suggèrent que, comme pour les produits du tabac, la vente des e-cigarettes soit interdite
aux moins de 18 ans et que leur utilisation soit interdite dans les lieux publics.

« Sur le plan comportemental, la ressemblance entre l'e-cigarette et la cigarette peut tout aussi bien
être une aide pour le fumeur qui abandonne la cigarette traditionnelle pour l'e-cigarette qu'un danger
pour l'adolescent qui l'utiliserait comme un produit d'initiation », expliquent les auteurs du rapport.
Les experts préconisent également que l'interdiction de la publicité en faveur de l'e-cigarette soit
mieux appliquée et que ces dernières ne soient pas vendues dans les supermarchés et boutiques
généralistes, mais uniquement par des établissements agréés pour cette vente.

Cas particulier : les experts déconseillent l'utilisation des e-cigarettes par les femmes enceintes ou
allaitantes du fait de l'absence de toute donnée démontrant leur efficacité et leur totale innocuité dans
ces conditions.

Pour un meilleur encadrement
Au final, les experts recommandent de ne pas interdire en France l'utilisation de l'e-cigarette, avec ou
sans nicotine mais de mieux réglementer le produit, sa distribution et son utilisation.

Actuellement, les e-cigarettes sont des produits de consommation courante. Elles ne font pas l'objet
« de réglementations spécifiques sur les contrôles qualité, les circuits de distribution, la vente aux
mineurs, la publicité et l'utilisation dans tous les espaces. Elles n'ont à respecter que les règles des
normes européennes (marquage CE) et du commerce (DGCCRF) et l'interdiction de la publicité
indirecte pour les produits du tabac. »

Les experts demandent que « la concentration en nicotine des cartouches et des cartomiseurs remplis
et scellés soit identifiable sur le produit lui-même et que soit clairement indiquée sur tous les
emballages la composition des e-liquides. »

Ils recommandent « que les fabricants de produits évoquant le tabagisme soient dans l'obligation de
déclarer la liste des arômes et ingrédients utilises en conformité avec le règlement d'exécution (UE) n°
793/2012 de la commission du 5 septembre 2012 et d'apporter les références disponibles sur leur
innocuité à court et long terme en inhalation. »

Enfin, les experts estiment que toutes les études concernant l'efficacité de l'e-cigarette dans l'aide au
sevrage tabagique et l'innocuité de son utilisation à long terme doivent être encouragées, et être
totalement indépendantes des fabricants de ce produit.

A ce jour, une seule compagnie de cigarettes électronique a fait une demande d'AMM au Royaume-
Uni. Il s'agit de la société intellicig qui a été rachetée fin 2012 par British American Tobacco. La
demande devrait aboutir en 2013. Cette e-cigarette aurait le statut de substitut nicotinique.
Des risques de pneumonie lipidique ?

Deux cas de pneumonie lipidique ont été rapportés chez des utilisateurs d'e-cigarettes. Un des deux
patients est décédé de pneumonie lipidique, mais le lien de cause à effet avec l'e-liquide est peu clair
et les données incomplètes. Le second souffrait préalablement d'asthme, de polyarthrite rhumatoïde,
de fibromyalgie, de schizophrénie et prenait plusieurs médicaments. Le lien avec l'utilisation de l'e-
cigarette contenant du e-liquide contenant de la glycérine a été fait mais l'exposition a dû être intense
et reste en partie mystérieuse dans ces observations.

« Par précaution il ne faut jamais ajouter d'huiles parfumées dans l'e-liquide car le risque de
pneumopathie lipidique devient théoriquement important si ces huiles ne sont pas solubles »,
recommandent les experts.

Les experts du rapport :
Bertrand Dautzenberg (Paris) est professeur de pneumologie et tabacologue à Paris (GHU
Pitié Salpétrière-Charles Foix et UMPC Paris 6). Responsable des enquêtes de Paris sans
tabac, il préside l'OFT et a coordonné le projet e-cigarette.
Agnes Delrieu (Paris) est médecin généraliste, tabacologue. Elle effectue de nombreuses
missions pour l'OFT, notamment en entreprise ou auprès de populations cibles spécifiques
(femmes, précaires, etc).
Antoine Deutsch (Paris) est charge du dossier tabac à l'INCa. Il intervient en accord avec sa
hiérarchie mais n'exprime ici que son avis personnel.
Beatrice Le Maitre (Caen) est médecin du travail, tabacologue, responsable du groupe de
travail e-cigarette de l'Alliance contre le tabac.
Gerard Mathern est pneumologue, tabacologue à Saint-Etienne, responsable de l'association
IRAAT (Institut Rhône-Alpes Auvergne de tabacologie). Il a travaillé sur l'e-cigarette pour la
Société française de tabacologie.
Cornel Radu-Loghin est responsable de projets européens à l'ENSP (European Network for
Smoking and Tobacco Prevention) à Bruxelles. Il a conduit une enquête sur l'e-cigarette en
Europe.
Anne-Audrey Schmitt est psychiatre, addictologue au Centre d'addictologie de Clermont-
Ferrand.
Daniel Thomas est professeur de cardiologie (Groupe hospitalier Pitié Salpétrière- Charles
Foix et UMPC Paris 6). Il est responsable du projet Jamais la première de la Fédération
française de cardiologie.
Michel Underner est pneumologue et tabacologue à Poitiers.
Les 9 experts remercient Jean-Francois Etter (Genève), professeur de sante publique à la
Faculté de médecine l'Université de Genève, politologue, spécialiste de la prévention du
tabagisme. Il a été l'un des experts ayant participé à la préparation de ce rapport, il a participé
à la première réunion et a contribué à la réflexion sur le document et à sa rédaction. Il ne
souhaite pas souscrire aux conclusions ni aux recommandations de ce rapport.
Jean-Francois Etter (Genève) rapporte un lien d'intérêt avec un fabricant d'e-cigarettes et
d'e-liquides qui a contribué à deux déplacements (Londres et Chine, avion + hôtel) sur le
thème de l'e-cigarette (aucune rémunération).
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