Entretien avec Mario Monti
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Entretien avec Mario Monti* Italie : souffrir pour guérir Cet entretien a été réalisé par Richard Heuzé** En pleine bourrasque monétaire, le président de la République italienne Giorgio Napolitano, angoissé à l ’idée que la troisième économie européenne puisse être rattrapée par la crise grecque, fait appel en novembre 2011 à un technocrate pour succéder à Silvio Berlusconi : un universitaire réputé pour ses talents d’éco- nomiste et ses irréprochables états de service européens (1). Mario Monti, un Lombard de 69 ans né à Varese le 19 mars 1943, est investi président du Conseil le 18 novembre. Une semaine aupa- ravant, le 9 novembre, le chef de l ’État l ’avait nommé sénateur à vie. Mario Monti fut pendant dix ans membre de la Commission de Bruxelles. C’est Silvio Berlusconi qui, à peine élu président du Conseil en avril 1994, lui demande d’y représenter l ’Italie aux côtés de la radicale Emma Bonino. Dans un premier temps, Jacques Santer lui confie les portefeuilles du marché intérieur, des services financiers, de l ’intégration financière, de la fiscalité et de l ’Union douanière. Lorsque la Commission se démet en bloc en 1999 à la suite d’un abus de pouvoir, Mario Monti, qui n’est pas concerné par cette affaire, est confirmé à un autre poste : celui de la concurrence. C’est lui qui bloquera, en 2001, la pro- position de fusion entre Microsoft et Honeywell Bull, considérant qu’elle dérogeait aux normes antitrust. Il infligera au géant amé- ricain dirigé par Bill Gates une amende colossale de 497 millions de dollars. Son mot d’ordre est déjà : « À bas les privilèges ! » * Président du Conseil italien depuis novembre 2011. ** Correspondant du Figaro à Rome.
234 POLITIQUE INTERNATIONALE Mario Monti est un libéral formé à l ’école du prix Nobel d’économie, le professeur James Tobin (celui de la taxe sur les transactions financières), dont il fut l ’élève à l ’Université de Yale. À son retour des États-Unis, au début des années 1970, il se tourne vers l ’enseignement : il devient professeur d’économie politique à la Bocconi de Milan, principale pépinière de talents et de décideurs du pays, puis directeur de l ’Institut d’économie poli- tique. Parallèlement, pendant dix ans, il dirige le Giornale degli Economisti. À la fin des années 1980 commence pour Mario Monti une période d’intense activité. Il est nommé à la tête de la commis- sion nationale sur le crédit et la finance, puis de la commission Sarcinelli sur la réforme de l ’administration. Il participe aussi à des commissions sur la réforme de la dette publique sous les gouvernements d’Enrico De Mita (1988-1989) et de Giuliano Amato (1992-1993). En 1989, il devient recteur de l ’université Bocconi avant d’en prendre la présidence en 1994 à la mort de son maître à penser, l ’ancien président du Conseil républicain Giovanni Spadolini. Il occupera à nouveau ce poste, en 2004, lorsqu’il quittera ses fonctions à la Commission de Bruxelles. Mario Monti compense sa discrétion et son apparence aus- tère par un humour décapant et une pensée audacieuse. Alors qu’on lui demandait, en novembre 2011, lors de son investiture à la présidence du Conseil, s’il voulait être appelé Président ou Professeur, il avait fait rire le Parlement en répondant : « Appe- lez-moi Professeur. L’un de mes illustres prédécesseurs, Giovanni Spadolini, avait coutume de dire : les Présidents passent, les Pro- fesseurs restent. » Ses goûts sont demeurés modestes. Il refuse tout train de vie ostentatoire et mène une existence simple en famille. Après sa nomination, il décide de s’installer au palais Chigi, mal- gré l ’exiguïté de l ’appartement attribué au président du Conseil. Catholique pratiquant, il fréquente assidûment l ’église. Son épouse Elsa Antonioli, sa cadette de un an, était une volontaire de la Croix-Rouge. Aujourd’hui encore, alors que son mari dirige le gouvernement, on la voit souvent faire son marché. En un an, Mario Monti a réussi à s’imposer au premier rang de la scène internationale. Angela Merkel voit en lui un interlocu- teur privilégié et Barack Obama le consulte régulièrement sur les questions européennes. Pour le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, il est « the right man in the right place at the right time »… R. H.
Mario Monti 235 Richard Heuzé — Monsieur le Président du Conseil, le 16 novembre, vous fêterez le premier anniversaire de votre installation au palais Chigi. Jamais un gouvernement italien ne s’était autant impliqué dans le redressement des comptes publics. Vous attendiez-vous à faire face à de telles diffi cultés ? Mario Monti — Je savais bien que la tâche serait difficile. Ma première priorité a consisté à garantir l’équilibre du budget pour l’année 2013, afin d’engager la dette publique sur une pente des- cendante. Il a fallu, pour cela, prendre des mesures impopulaires comme la réintroduction de la taxe foncière et l’augmentation de l’âge du départ à la retraite. Les dépenses publiques ont été sys- tématiquement revues à la baisse à tous les niveaux : national, régional et local. L’autre grand chantier, encore plus compliqué, est celui des réformes structurelles. Pour dynamiser la crois- sance, il a fallu libérer les forces de l’économie. Les entraves à la concurrence ont été levées dans le secteur de l’énergie et des autres industries dites de réseau ainsi que dans les professions libérales et les services économiques locaux (2). Les instances de régulation ont vu leur indépendance et leurs pouvoirs renforcés. L’administration a été modernisée ; le marché du travail, rendu plus flexible et plus juste, ce qui devrait contribuer à accroître la productivité. La justice a été réformée. Il y a encore beaucoup à faire, mais l’OCDE a récemment estimé que les réformes que nous avons réalisées permettront de gagner quatre points de crois- sance sur dix ans. R. H. — Après avoir longtemps écarté cette hypothèse, vous n’ex- cluez plus à présent de rester à la tête du gouvernement après les élections législatives du début 2013 si — je vous cite — « les circonstances étaient telles qu’on vienne me le demander ». Comment envisagez-vous les choses ? M. M. — Je n’envisage rien, en tout cas rien de plus que ce que les commentateurs peuvent en dire. Le président de la République m’a confié le pays pour une tâche précise et une période bien déterminée. La législature actuelle se termine en avril 2013, date à laquelle il y aura des élections. Comme je l’ai affirmé plusieurs fois, l’Italie doit retrouver les voies d’un processus démocratique normal et il n’y a aucune raison pour que ce scrutin ne permette pas de dégager une majorité à même de gouverner. Ce que j’ai dit récemment, c’est que, dans l’hypothèse où il apparaîtrait impos- sible de constituer une telle majorité, je serais là. Et s’il le fallait, je continuerais.
236 POLITIQUE INTERNATIONALE R. H. — Vous avez engagé une série de réformes douloureuses pour les Italiens afin de restaurer la crédibilité internatio- nale du pays : plan « sauver l ’Italie », réforme des retraites, libéralisation, lutte contre la fraude fiscale, réforme du droit du travail, réduction des dépenses publiques, etc. Avez-vous été surpris par le soutien que les forces politiques — toutes tendances confondues — vous ont apporté ? M. M. — Dans une certaine mesure, oui. Nous avons proposé plusieurs centaines de mesures et avons très souvent sollicité la confiance du Parlement afin de boucler les dossiers plus rapide- ment. Les partis politiques qui soutiennent ce gouvernement — ce que j’ai appelé l’« étrange majorité » — ont fait preuve d’une grande responsabilité. R. H. — Craignez-vous, comme les marchés, que le gouvernement qui vous succédera ne détricote la rigueur budgétaire que vous avez imposée au pays ? M. M. — Pour parer à ce danger, il faut se dépêcher de publier les décrets d’application lorsque cela n’a pas encore été fait. Mais le gros des réformes est déjà en place et il sera difficile de reve- nir en arrière. Je suis également rassuré par le fait qu’un grand nombre de responsables politiques se sont engagés à continuer sur cette route vertueuse. Ces réformes bénéficient d’ailleurs du soutien de la population. Les Italiens se rendent bien compte que, par le passé, les bons choix n’ont pas toujours été faits et que ces sacrifices sont nécessaires pour créer des emplois au profit des générations présentes et futures. R. H. — En arrivant au pouvoir, vous avez déclaré que vous sou- haitiez que l ’Italie redevienne un pays « normal ». En quoi consiste ce retour à la « normalité » ? M. M. — J’entends par « normal » un pays qui fasse moins parler de lui et qui, lorsque c’est le cas, en fasse parler en bien. Cer- taines pratiques, profondément ancrées dans les mentalités, ne sont pas dignes d’un pays développé membre du G7 — un pays qui, par surcroît, se trouve être la deuxième puissance industrielle d’Europe (3). Je pense, par exemple, à la fraude fiscale. Les obser- vateurs estiment souvent qu’il y a une raison simple à ce phéno- mène : l’Italie est une nation relativement jeune — 150 ans — par rapport à ses voisins européens, et elle a développé au cours de l’Histoire une méfiance vis-à-vis des autorités « extérieures » en général et de Rome en particulier. Je pense aussi au népotisme qui a cours à tous les niveaux et qui empêche les plus méritants
Mario Monti 237 d’accéder aux postes qui devraient leur revenir. En ce qui me concerne, j’espère avoir contribué à rendre les Italiens moins tolé- rants à l’égard tant des abus de pouvoir que de la corruption et plus respectueux de leurs devoirs civiques, à commencer par celui qui consiste à payer ses impôts. C’est le seul moyen de financer des infrastructures de qualité, un système de santé digne de ce nom et un système éducatif performant. R. H. — Comment voyez-vous l ’Italie dans dix ans ? M. M. — Je suis optimiste. Les actions engagées continueront de porter leurs fruits et elles seront poursuivies. Les Italiens se ren- dent compte que celui qui fraude le fisc est un voleur. Il vole dans la poche des citoyens honnêtes, qui sont contraints de payer davan- tage. Ils ont compris que de telles habitudes entachent la réputa- tion du pays. Nous avons modernisé l’administration, imposé le principe de marchés publics réguliers et transparents et mis en concurrence les services économiques locaux. Nous avons réduit le poids des allégeances politiques dans ces services, ainsi qu’au sein de la télévision publique. Nous avons amélioré le fonctionne- ment de la justice qui est, désormais, plus rapide et plus efficace. R. H. — L’expérience acquise en tant que commissaire européen d’abord au marché intérieur (1994-1999), puis à la concur- rence (jusqu’en 2004) vous a-t-elle aidé à affronter la crise que traverse l ’Italie ? M. M. — Les dix années que j’ai passées à Bruxelles ont été extrê- mement importantes pour ma formation personnelle. Elles m’ont conforté dans ma conviction profonde que l’avenir de l’Europe réside dans son intégration et dans son union. La globalisation des marchés permet chaque année à des millions de personnes de sor- tir de la pauvreté dans le monde entier. Elle offre une pléthore de nouvelles opportunités à nos entreprises. Mais l’Europe doit être capable de parler d’une seule voix. Dans le contexte actuel, il est fondamental de rebâtir la zone euro sur des bases plus solides (4). Pour répondre d’un mot à votre question, je dirais : oui, l’ex- périence de la Commission européenne m’est également très utile au poste difficile que j’occupe actuellement. R. H. — Seriez-vous prêt, un jour, à retourner à Bruxelles ? M. M. — Je suis trop occupé pour y penser ! R. H. — Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, a déclaré : « Avec Monti, l ’Italie n’est pas en danger. »
238 POLITIQUE INTERNATIONALE Il voit en vous « the right man in the right place at the right time ». Ces propos élogieux correspondent-ils à l ’état de vos relations avec les autres dirigeants allemands, en particulier la chancelière Angela Merkel ? M. M. — J’entretiens de très bonnes relations avec Wolfgang Schäuble — qui fut mon homologue pendant les six mois où j’ai cumulé les fonctions de ministre des Finances et de premier ministre. Ces relations sont tout aussi bonnes avec Angela Merkel. Mon secret ? Je cherche d’abord à comprendre leur position et si celle-ci ne coïncide pas avec celle de l’Italie, je m’efforce de les convaincre de la justesse de nos arguments. Cela a toujours été ma démarche. La crise actuelle a révélé les faiblesses de l’Union éco- nomique et monétaire (UEM) telle qu’elle a été conçue, et nous devons y remédier. C’est une tâche ardue, mais je suis convaincu que nous y parviendrons. Parce que ce qui nous rapproche, tout ce que nous avons construit depuis la Seconde Guerre mondiale, est plus fort et plus précieux que ce qui nous sépare. Et parce que l’Europe est mieux armée pour se faire entendre lorsqu’elle est unie. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier. Le tout est de discuter des problèmes ouvertement et, une fois l’accord trouvé, de s’y tenir. R. H. — Partout, en Europe, les populations rejettent les mesures d’austérité que mettent en œuvre les gouvernements. Crai- gnez-vous l ’émergence d’un courant antieuropéen, voire des dérives populistes ? M. M. — Je comprends parfaitement que les gens protestent quand ils perdent leur emploi, quand on leur demande de payer plus d’impôts ou quand on impose aux fonctionnaires des réductions de salaire — ce qui est le cas dans certains pays. Les mesures bud- gétaires doivent, c’est l’évidence, être aussi justes que possible. Mais il faut aussi en expliquer aux gens les tenants et les abou- tissants afin qu’ils comprennent que leurs sacrifices sont utiles. Le danger, voyez-vous, serait de tomber dans le cercle vicieux « austérité, récession, encore plus d’austérité ». C’est la raison pour laquelle je continue de me battre dans les réunions euro- péennes pour parvenir à une stabilisation des marchés et pour soutenir l’activité économique et l’emploi. Autrement, une partie des efforts risqueraient d’être absorbés par l’augmentation de la charge de la dette. La récession provoquerait alors une nouvelle chute des revenus, ce qui nécessiterait des efforts supplémentaires pour atteindre les objectifs d’assainissement.
Mario Monti 239 Je dois dire que je suis impressionné par le sens des responsa- bilités dont ont fait preuve les Italiens. Ils ont pourtant été soumis à un régime sévère : les augmentations d’impôts et la réduction des dépenses publiques ont entraîné une dégradation de la situa- tion économique et une hausse du chômage. Mais ils ne sont pas les seuls : les Européens, en général, sont conscients qu’il n’y a pas de solutions miraculeuses ou indolores. Il est normal que l’Europe soit solidaire à l’égard des pays en difficulté. L’Italie fait partie de ceux qui accordent une aide financière à ces pays. Mais je regrette que cette solidarité soit, de part et d’autre, entachée de rancœurs et marquée par d’absurdes stéréotypes. R. H. — Êtes-vous optimiste sur la sortie de crise ? M. M. — Je le suis. À condition que les responsables politiques, à tous les niveaux, se battent pour mettre en œuvre l’agenda sur lequel nous nous sommes mis d’accord au Conseil européen des 28 et 29 juin à Bruxelles. Tout le monde, les dirigeants comme les populations, veut préserver l’euro et la construction européenne. Il nous faut donc travailler de façon constructive pour stabiliser les marchés, mettre en place rapidement une supervision bancaire intégrée, briser le lien entre problèmes bancaires et dette souve- raine (5), renforcer la gouvernance de la zone euro, et faire en sorte que les institutions européennes soient plus légitimes et plus responsables (6). R. H. — Passons à un tout autre sujet. François Hollande a annoncé le retrait des forces françaises d’Afghanistan d’ici à la fin de l ’année 2012. L’Italie entend-elle faire de même ? M. M. — Le calendrier est connu. Il a été réaffirmé lors du som- met de l’Otan en mai dernier à Chicago (7). Les soldats italiens seront de retour à la fin de 2014, lorsque le transfert des responsa- bilités de sécurité aux autorités afghanes sera achevé. Il n’est pas question, pour autant, que l’Italie abandonne ce pays. Après 2014, le soutien se concentrera moins sur les aspects militaires et sécu- ritaires et davantage sur les aspects civils et économiques, comme j’ai eu l’occasion de le dire au président Hamid Karzaï lorsqu’il est venu à Rome au début de l’année. En cette occasion, nous avons d’ailleurs signé un accord bilatéral — le premier du genre entre l’Afghanistan et un pays occidental — afin de préparer cette nouvelle phase de coopération, en étroite coordination avec nos alliés de l’Otan et avec la communauté internationale.
240 POLITIQUE INTERNATIONALE R. H. — L’aggravation du conflit syrien peut-elle, selon vous, déboucher sur un embrasement au Proche-Orient ? M. M. — Comme je l’ai dit à l’Assemblée générale des Nations unies, le 26 septembre, l’Italie soutient pleinement la mission du nouvel envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Il faut, en effet, sortir de l’impasse actuelle et lancer une action internationale énergique afin de favoriser la naissance d’une nouvelle Syrie, démocratique, unie, stable et respectueuse des minorités. Le nombre de vies perdues est absolument épouvantable. Ce mas- sacre doit s’arrêter sans délai. Je vous rappelle que les réfugiés se pressent par milliers dans les camps du Liban, de Jordanie et de Turquie : cet afflux de populations fait peser un vrai risque sur la stabilité interne de ces pays d’accueil ainsi que sur les équilibres régionaux. L’Italie, comme d’autres nations, s’efforce d’améliorer les conditions de vie précaires de tous ces réfugiés syriens en leur fournissant du matériel de secours et des médicaments. R. H. — Apparemment, rien ne semble pouvoir dissuader l ’Iran de mener à bien son programme nucléaire. Dans ces condi- tions, une intervention militaire israélienne vous paraît-elle inévitable ? M. M. — Nous demandons à l’Iran de se plier aux résolutions des Nations unies et aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Téhéran doit apporter la preuve à la communauté internationale que son programme nucléaire est à usage exclusivement civil. Bien que l’Italie soit plus touchée que d’autres pays par les sanctions imposées à l’Iran, mon avis est que nous devons maintenir la pression afin de parvenir, dans toute la mesure du possible, à une solution politique. R. H. — Comment convaincre Vladimir Poutine, que vous avez rencontré fin juillet à Sotchi, de faire pression sur ses alliés syriens pour que cesse le bain de sang ? M. M. — J’ai expliqué avec franchise à Vladimir Poutine et à Dmitri Medvedev combien il était important que Moscou s’asso- cie aux efforts de la communauté internationale pour trouver une solution à la crise en Syrie, ne serait-ce que parce que la Russie est un membre permanent du Conseil de sécurité et que sa contri- bution peut s’avérer fondamentale. À MM. Poutine et Medvedev, j’ai rappelé que la vie du peuple syrien et la stabilité régionale devraient passer avant toute autre considération ; et j’ai essayé de les convaincre que Moscou n’avait rien à gagner à la déstabilisa- tion de la région.
Mario Monti 241 R. H. — Comment voyez-vous l ’évolution des « printemps arabes » au sud de la Méditerranée ? L’arrivée au pouvoir dans ces pays d’équipes dirigeantes majoritairement islamistes vous inquiète-t-elle ? M. M. — Les mouvements issus des printemps arabes répondent aux demandes légitimes de démocratie, de liberté individuelle et de développement économique des peuples concernés. L’Italie est liée aux pays du sud de la Méditerranée par une étroite amitié et une histoire commune. Ces derniers mois, j’ai rencontré les nou- veaux dirigeants arabes et j’ai senti en eux une bonne volonté qui me laisse espérer en l’avenir. La manière dont ils ont reconstruit les institutions est encourageante. De même que la maturité des peuples tunisien, libyen, égyptien et yéménite. C’est la preuve que les efforts de la communauté internationale et de l’Italie ne sont pas vains. La politique méditerranéenne de l’Italie, vous le savez bien, se déploie sur deux fronts. Le premier consiste à forger une poli- tique extérieure européenne dotée d’une forte dimension méditer- ranéenne et à développer une étroite collaboration avec nos amis du sud de la Méditerranée sur des questions stratégiques comme la sécurité, la stabilité ou les relations économiques et commerciales. Le second passe par la défense des droits de l’homme. Nous avons à maintes reprises souligné la nécessité d’intégrer ces droits dans les nouveaux textes constitutionnels que sont en train d’élaborer ces pays. Chaque fois, nous avons répété aux dirigeants de ces nouveaux régimes que les changements historiques auxquels nous assistons aujourd’hui ne porteront leurs fruits qu’à la condition d’être fondés sur les deux piliers de la démocratie : le respect des droits de l’homme et le pluralisme. (1) Le 18 novembre 2011, Mario Monti reçoit l’investiture de la Chambre des députés par 556 voix contre 31 et aucune abstention. Le Sénat en avait fait de même la veille. Le « Professore » succède à Silvio Berlusconi en devenant le premier chef d’un gouvernement « technique » de l’histoire de la République italienne. Aucun de ses douze ministres n’ap- partient à une formation politique. Tous sont des professeurs d’université, de hauts fonc- tionnaires, des banquiers. Son équipe comprend même un catholique engagé dans l’action humanitaire, le fondateur de la communauté Sant’Egidio, Andrea Riccardi, qui devient ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration. « Une Italie différente monte au créneau », commente l’éditorialiste du journal d’affaires Il Sole 24 Ore, Stefano Folli. (2) Cette expression désigne les services fournis par les autorités locales ou régionales (comme l’énergie ou les transports) qui devront être soumis à des appels d’offres ouverts, transparents et réguliers. (3) L’Italie est la troisième puissance économique d’Europe, mais Mario Monti a coutume de se référer à la deuxième puissance industrielle (derrière l’Allemagne). (4) Un premier pas vient d’être franchi avec la création, le 8 octobre 2012, du Mécanisme européen de stabilité (MES) que l’on présente comme le « FMI d’Europe ». Doté de
242 POLITIQUE INTERNATIONALE 500 milliards d’euros à partir de 2014 auxquels s’ajouteront 200 milliards provenant du Fonds européen de stabilité financière qui n’ont pas été utilisés, le MES interviendra pour venir au secours de pays membres aux prises avec des difficultés budgétaires et menacés de faillite. La Grèce, Chypre et peut-être l’Espagne et le Portugal devraient être les premiers à y recourir. Le MES servira à renflouer un État qui ne peut se financer sur le marché. Il pourra racheter de la dette sur les marchés primaire et secondaire, recapitaliser les banques via un prêt au gouvernement et accorder des lignes de crédit souples garantissant en tout ou en partie des émissions sur le marché. Au nombre des autres réformes figurent la réali- sation de l’Union bancaire européenne et une réforme de la gouvernance européenne qui débouchera sur l’élection d’un premier ministre européen. (5) Le renchérissement des taux obligataires (le fameux « spread » qui mesure la différence de taux entre les émissions de l’Allemagne et celles d’un autre pays européen) aggrave les difficultés des banques à se ravitailler en liquidités sur le marché et les contraint à répercu- ter ces hausses sur leurs propres encours. (6) La feuille de route a été tracée par Herman Van Rompuy et les trois autres présidents (Juncker de l’Eurogroupe, Draghi de la Banque européenne et Barroso de la Commission de Bruxelles). Le rapport intitulé « Vers une véritable Union économique et monétaire » et présenté au Conseil européen des 28 et 29 juin à Bruxelles expose « quatre éléments essen- tiels » pour l’avenir de l’UEM : un cadre financier intégré, un cadre budgétaire intégré, un cadre de politique économique intégré et un renforcement de la légitimité démocratique, notamment l’obligation de rendre des comptes. À la suite d’un échange de vues ouvert, au cours duquel différentes opinions ont été exprimées, le président du Conseil européen a été invité à élaborer, en collaboration étroite avec les trois autres présidents, une feuille de route spécifique assortie d’échéances précises pour la réalisation d’une véritable Union économique et monétaire. Cette feuille de route comprendra des propositions concrètes concernant le maintien de l’unité et de l’intégrité du marché unique dans le domaine des services financiers. Elle tiendra compte de la déclaration du sommet de la zone euro et, entre autres, de l’intention de la Commission de présenter des propositions sur la base de l’article 127. Les quatre présidents examineront ce qui peut être fait dans le cadre des traités actuels et ce qui doit être modifié. Afin d’assurer l’adhésion des États membres à ce processus, ceux-ci seront étroitement associés aux réflexions et consultés à intervalles réguliers. Des consultations seront également menées avec le Parlement européen. Un rap- port final est attendu avant la fin de l’année 2012. (7) Le 21 mai 2012, au sommet de l’Otan à Chicago, le ministre italien des Affaires étran- gères Giulio Terzi di Sant’Agata a réaffirmé que l’Afghanistan et l’Italie partageaient le même objectif, « garantir la paix et la stabilité après 2014 ». D’où « l’importance de l’as- sistance au programme civil et de la collaboration » dont les deux pays sont convenus lors de la visite du président Karzaï à Rome en début d’année. L’Italie est, en effet, le premier pays occidental à avoir signé avec l’Afghanistan un partenariat stratégique de longue durée prévoyant un entraînement des forces militaires et la participation de firmes italiennes aux programmes de reconstruction du pays. Le Parlement a voté un budget de 750 millions d’euros pour assurer la participation italienne à l’ISAF (la force multinationale qui opère dans ce pays). Ce programme de coopération sera poursuivi après le retrait du contingent italien, qui n’interviendra pas avant la fin 2014.
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