Entretien avec Mario Monti

 
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Entretien avec Mario Monti*

            Italie : souffrir pour guérir

                                                       Cet entretien a été réalisé
                                                           par Richard Heuzé**

En pleine bourrasque monétaire, le président de la République
italienne Giorgio Napolitano, angoissé à l ’idée que la troisième
économie européenne puisse être rattrapée par la crise grecque,
fait appel en novembre 2011 à un technocrate pour succéder à
­Silvio Berlusconi : un universitaire réputé pour ses talents d’éco-
 nomiste et ses irréprochables états de service européens (1). Mario
 Monti, un Lombard de 69 ans né à Varese le 19 mars 1943, est
 investi président du Conseil le 18 novembre. Une semaine aupa-
 ravant, le 9 novembre, le chef de l ’État l ’avait nommé sénateur
 à vie.
      Mario Monti fut pendant dix ans membre de la Commission
 de Bruxelles. C’est Silvio Berlusconi qui, à peine élu président
 du Conseil en avril 1994, lui demande d’y représenter l ’Italie
 aux côtés de la radicale Emma Bonino. Dans un premier temps,
 Jacques Santer lui confie les portefeuilles du marché intérieur,
 des services financiers, de l ’intégration financière, de la fiscalité
 et de l ’Union douanière. Lorsque la Commission se démet en bloc
 en 1999 à la suite d’un abus de pouvoir, Mario Monti, qui n’est
 pas concerné par cette affaire, est confirmé à un autre poste :
 celui de la concurrence. C’est lui qui bloquera, en 2001, la pro-
 position de fusion entre Microsoft et Honeywell Bull, considérant
 qu’elle dérogeait aux normes antitrust. Il infligera au géant amé-
 ricain dirigé par Bill Gates une amende colossale de 497 millions
 de dollars. Son mot d’ordre est déjà : « À bas les privilèges ! »

* Président du Conseil italien depuis novembre 2011.
** Correspondant du Figaro à Rome.
234   POLITIQUE INTERNATIONALE

      Mario Monti est un libéral formé à l ’école du prix Nobel
d’économie, le professeur James Tobin (celui de la taxe sur les
transactions financières), dont il fut l ’élève à l ’Université de
Yale. À son retour des États-Unis, au début des années 1970, il
se tourne vers l ’enseignement : il devient professeur d’économie
politique à la Bocconi de Milan, principale pépinière de talents et
de décideurs du pays, puis directeur de l ’Institut d’économie poli-
tique. Parallèlement, pendant dix ans, il dirige le Giornale degli
Economisti.
      À la fin des années 1980 commence pour Mario Monti une
période d’intense activité. Il est nommé à la tête de la commis-
sion nationale sur le crédit et la finance, puis de la commission
Sarcinelli sur la réforme de l ’administration. Il participe aussi
à des commissions sur la réforme de la dette publique sous les
gouvernements d’Enrico De Mita (1988-1989) et de Giuliano
Amato (1992-1993). En 1989, il devient recteur de l ’université
Bocconi avant d’en prendre la présidence en 1994 à la mort de
son maître à penser, l ’ancien président du Conseil républicain
Giovanni Spadolini. Il occupera à nouveau ce poste, en 2004,
lorsqu’il quittera ses fonctions à la Commission de Bruxelles.
      Mario Monti compense sa discrétion et son apparence aus-
tère par un humour décapant et une pensée audacieuse. Alors
qu’on lui demandait, en novembre 2011, lors de son investiture
à la présidence du Conseil, s’il voulait être appelé Président ou
Professeur, il avait fait rire le Parlement en répondant : « Appe-
lez-moi Professeur. L’un de mes illustres prédécesseurs, Giovanni
Spadolini, avait coutume de dire : les Présidents passent, les Pro-
fesseurs restent. » Ses goûts sont demeurés modestes. Il refuse tout
train de vie ostentatoire et mène une existence simple en famille.
Après sa nomination, il décide de s’installer au palais Chigi, mal-
gré l ’exiguïté de l ’appartement attribué au président du Conseil.
Catholique pratiquant, il fréquente assidûment l ’église. Son
épouse Elsa Antonioli, sa cadette de un an, était une volontaire de
la Croix-Rouge. Aujourd’hui encore, alors que son mari dirige le
gouvernement, on la voit souvent faire son marché.
      En un an, Mario Monti a réussi à s’imposer au premier rang
de la scène internationale. Angela Merkel voit en lui un interlocu-
teur privilégié et Barack Obama le consulte régulièrement sur les
questions européennes. Pour le ministre allemand des Finances
Wolfgang Schäuble, il est « the right man in the right place at the
right time »…
                                                              R. H.
Mario Monti        235

Richard Heuzé — Monsieur le Président du Conseil, le
      16 novembre, vous fêterez le premier anniversaire de votre
      installation au palais Chigi. Jamais un gouvernement italien
      ne s’était autant impliqué dans le redressement des comptes
      publics. Vous attendiez-vous à faire face à de telles diffi­
      cultés ?
Mario Monti — Je savais bien que la tâche serait difficile. Ma
première priorité a consisté à garantir l’équilibre du budget pour
l’année 2013, afin d’engager la dette publique sur une pente des-
cendante. Il a fallu, pour cela, prendre des mesures impopulaires
comme la réintroduction de la taxe foncière et l’augmentation de
l’âge du départ à la retraite. Les dépenses publiques ont été sys-
tématiquement revues à la baisse à tous les niveaux : national,
régional et local. L’autre grand chantier, encore plus compliqué,
est celui des réformes structurelles. Pour dynamiser la crois-
sance, il a fallu libérer les forces de l’économie. Les entraves à
la concurrence ont été levées dans le secteur de l’énergie et des
autres industries dites de réseau ainsi que dans les professions
libérales et les services économiques locaux (2). Les instances de
régulation ont vu leur indépendance et leurs pouvoirs renforcés.
L’administration a été modernisée ; le marché du travail, rendu
plus flexible et plus juste, ce qui devrait contribuer à accroître la
productivité. La justice a été réformée. Il y a encore beaucoup
à faire, mais l’OCDE a récemment estimé que les réformes que
nous avons réalisées permettront de gagner quatre points de crois-
sance sur dix ans.
R. H. — Après avoir longtemps écarté cette hypothèse, vous n’ex-
      cluez plus à présent de rester à la tête du gouvernement après
      les élections législatives du début 2013 si — je vous cite — «
      les circonstances étaient telles qu’on vienne me le demander
      ». Comment envisagez-vous les choses ?
M. M. — Je n’envisage rien, en tout cas rien de plus que ce que
les commentateurs peuvent en dire. Le président de la République
m’a confié le pays pour une tâche précise et une période bien
déterminée. La législature actuelle se termine en avril 2013, date
à laquelle il y aura des élections. Comme je l’ai affirmé plusieurs
fois, l’Italie doit retrouver les voies d’un processus démocratique
normal et il n’y a aucune raison pour que ce scrutin ne permette
pas de dégager une majorité à même de gouverner. Ce que j’ai dit
récemment, c’est que, dans l’hypothèse où il apparaîtrait impos-
sible de constituer une telle majorité, je serais là. Et s’il le fallait,
je continuerais.
236   POLITIQUE INTERNATIONALE

R. H. — Vous avez engagé une série de réformes douloureuses
     pour les Italiens afin de restaurer la crédibilité internatio-
     nale du pays : plan « sauver l ’Italie », réforme des retraites,
     libéralisation, lutte contre la fraude fiscale, réforme du droit
     du travail, réduction des dépenses publiques, etc. Avez-vous
     été surpris par le soutien que les forces politiques — toutes
     tendances confondues — vous ont apporté ?
M. M. — Dans une certaine mesure, oui. Nous avons proposé
plusieurs centaines de mesures et avons très souvent sollicité la
confiance du Parlement afin de boucler les dossiers plus rapide-
ment. Les partis politiques qui soutiennent ce gouvernement — ce
que j’ai appelé l’« étrange majorité » — ont fait preuve d’une
grande responsabilité.
R. H. — Craignez-vous, comme les marchés, que le gouvernement
      qui vous succédera ne détricote la rigueur budgétaire que
      vous avez imposée au pays ?
M. M. — Pour parer à ce danger, il faut se dépêcher de publier
les décrets d’application lorsque cela n’a pas encore été fait. Mais
le gros des réformes est déjà en place et il sera difficile de reve-
nir en arrière. Je suis également rassuré par le fait qu’un grand
nombre de responsables politiques se sont engagés à continuer
sur cette route vertueuse. Ces réformes bénéficient d’ailleurs du
soutien de la population. Les Italiens se rendent bien compte que,
par le passé, les bons choix n’ont pas toujours été faits et que ces
sacrifices sont nécessaires pour créer des emplois au profit des
générations présentes et futures.
R. H. — En arrivant au pouvoir, vous avez déclaré que vous sou-
      haitiez que l ’Italie redevienne un pays « normal ». En quoi
      consiste ce retour à la « normalité » ?
M. M. — J’entends par « normal » un pays qui fasse moins parler
de lui et qui, lorsque c’est le cas, en fasse parler en bien. Cer-
taines pratiques, profondément ancrées dans les mentalités, ne
sont pas dignes d’un pays développé membre du G7 — un pays
qui, par surcroît, se trouve être la deuxième puissance industrielle
d’­Europe (3). Je pense, par exemple, à la fraude fiscale. Les obser-
vateurs estiment souvent qu’il y a une raison simple à ce phéno-
mène : l’Italie est une nation relativement jeune — 150 ans — par
rapport à ses voisins européens, et elle a développé au cours de
l’Histoire une méfiance vis-à-vis des autorités « extérieures » en
général et de Rome en particulier. Je pense aussi au népotisme
qui a cours à tous les niveaux et qui empêche les plus méritants
Mario Monti       237

d’accéder aux postes qui devraient leur revenir. En ce qui me
concerne, j’espère avoir contribué à rendre les Italiens moins tolé-
rants à l’égard tant des abus de pouvoir que de la corruption et
plus respectueux de leurs devoirs civiques, à commencer par celui
qui consiste à payer ses impôts. C’est le seul moyen de financer
des infrastructures de qualité, un système de santé digne de ce
nom et un système éducatif performant.
R. H. — Comment voyez-vous l ’Italie dans dix ans ?
M. M. — Je suis optimiste. Les actions engagées continueront de
porter leurs fruits et elles seront poursuivies. Les Italiens se ren-
dent compte que celui qui fraude le fisc est un voleur. Il vole dans
la poche des citoyens honnêtes, qui sont contraints de payer davan-
tage. Ils ont compris que de telles habitudes entachent la réputa-
tion du pays. Nous avons modernisé l’administration, imposé le
principe de marchés publics réguliers et transparents et mis en
concurrence les services économiques locaux. Nous avons réduit
le poids des allégeances politiques dans ces services, ainsi qu’au
sein de la télévision publique. Nous avons amélioré le fonctionne-
ment de la justice qui est, désormais, plus rapide et plus efficace.
R. H. — L’expérience acquise en tant que commissaire européen
      d’abord au marché intérieur (1994-1999), puis à la concur-
      rence (jusqu’en 2004) vous a-t-elle aidé à affronter la crise
      que traverse l ’Italie ?
M. M. — Les dix années que j’ai passées à Bruxelles ont été extrê-
mement importantes pour ma formation personnelle. Elles m’ont
conforté dans ma conviction profonde que l’avenir de l’Europe
réside dans son intégration et dans son union. La globalisation des
marchés permet chaque année à des millions de personnes de sor-
tir de la pauvreté dans le monde entier. Elle offre une pléthore de
nouvelles opportunités à nos entreprises. Mais l’Europe doit être
capable de parler d’une seule voix. Dans le contexte actuel, il est
fondamental de rebâtir la zone euro sur des bases plus solides (4).
      Pour répondre d’un mot à votre question, je dirais : oui, l’ex-
périence de la Commission européenne m’est également très utile
au poste difficile que j’occupe actuellement.
R. H. — Seriez-vous prêt, un jour, à retourner à Bruxelles ?
M. M. — Je suis trop occupé pour y penser !
R. H. — Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances,
    a déclaré : « Avec Monti, l ’Italie n’est pas en danger. »
238   POLITIQUE INTERNATIONALE

      Il voit en vous « the right man in the right place at the right
      time ». Ces propos élogieux correspondent-ils à l ’état de vos
      relations avec les autres dirigeants allemands, en particulier
      la chancelière Angela Merkel ?
M. M. — J’entretiens de très bonnes relations avec Wolfgang
Schäuble — qui fut mon homologue pendant les six mois où
j’ai cumulé les fonctions de ministre des Finances et de premier
ministre. Ces relations sont tout aussi bonnes avec Angela Merkel.
Mon secret ? Je cherche d’abord à comprendre leur position et si
celle-ci ne coïncide pas avec celle de l’Italie, je m’efforce de les
convaincre de la justesse de nos arguments. Cela a toujours été ma
démarche. La crise actuelle a révélé les faiblesses de l’Union éco-
nomique et monétaire (UEM) telle qu’elle a été conçue, et nous
devons y remédier. C’est une tâche ardue, mais je suis convaincu
que nous y parviendrons. Parce que ce qui nous rapproche, tout
ce que nous avons construit depuis la Seconde Guerre mondiale,
est plus fort et plus précieux que ce qui nous sépare. Et parce que
l’Europe est mieux armée pour se faire entendre lorsqu’elle est
unie. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier. Le tout est de
discuter des problèmes ouvertement et, une fois l’accord trouvé,
de s’y tenir.
R. H. — Partout, en Europe, les populations rejettent les mesures
      d’austérité que mettent en œuvre les gouvernements. Crai-
      gnez-vous l ’émergence d’un courant antieuropéen, voire des
      dérives populistes ?
M. M. — Je comprends parfaitement que les gens protestent quand
ils perdent leur emploi, quand on leur demande de payer plus
d’impôts ou quand on impose aux fonctionnaires des réductions
de salaire — ce qui est le cas dans certains pays. Les mesures bud-
gétaires doivent, c’est l’évidence, être aussi justes que possible.
Mais il faut aussi en expliquer aux gens les tenants et les abou-
tissants afin qu’ils comprennent que leurs sacrifices sont utiles.
Le danger, voyez-vous, serait de tomber dans le cercle vicieux
« austérité, récession, encore plus d’austérité ». C’est la raison
pour laquelle je continue de me battre dans les réunions euro-
péennes pour parvenir à une stabilisation des marchés et pour
soutenir l’activité économique et l’emploi. Autrement, une partie
des efforts risqueraient d’être absorbés par l’augmentation de la
charge de la dette. La récession provoquerait alors une nouvelle
chute des revenus, ce qui nécessiterait des efforts supplémentaires
pour atteindre les objectifs d’assainissement.
Mario Monti        239

      Je dois dire que je suis impressionné par le sens des responsa-
bilités dont ont fait preuve les Italiens. Ils ont pourtant été ­soumis
à un régime sévère : les augmentations d’impôts et la réduction
des dépenses publiques ont entraîné une dégradation de la situa-
tion économique et une hausse du chômage. Mais ils ne sont pas
les seuls : les Européens, en général, sont conscients qu’il n’y
a pas de solutions miraculeuses ou indolores. Il est normal que
l’Europe soit solidaire à l’égard des pays en difficulté. L’Italie fait
partie de ceux qui accordent une aide financière à ces pays. Mais
je regrette que cette solidarité soit, de part et d’autre, entachée de
rancœurs et marquée par d’absurdes stéréotypes.
R. H. — Êtes-vous optimiste sur la sortie de crise ?
M. M. — Je le suis. À condition que les responsables politiques,
à tous les niveaux, se battent pour mettre en œuvre l’agenda sur
lequel nous nous sommes mis d’accord au Conseil européen des
28 et 29 juin à Bruxelles. Tout le monde, les dirigeants comme les
populations, veut préserver l’euro et la construction européenne.
Il nous faut donc travailler de façon constructive pour stabiliser
les marchés, mettre en place rapidement une supervision bancaire
intégrée, briser le lien entre problèmes bancaires et dette souve-
raine (5), renforcer la gouvernance de la zone euro, et faire en
sorte que les institutions européennes soient plus légitimes et plus
responsables (6).
R. H. — Passons à un tout autre sujet. François Hollande a
      annoncé le retrait des forces françaises d’Afghanistan d’ici
      à la fin de l ’année 2012. L’Italie entend-elle faire de même ?
M. M. — Le calendrier est connu. Il a été réaffirmé lors du som-
met de l’Otan en mai dernier à Chicago (7). Les soldats italiens
seront de retour à la fin de 2014, lorsque le transfert des responsa-
bilités de sécurité aux autorités afghanes sera achevé. Il n’est pas
question, pour autant, que l’Italie abandonne ce pays. Après 2014,
le soutien se concentrera moins sur les aspects militaires et sécu-
ritaires et davantage sur les aspects civils et économiques, comme
j’ai eu l’occasion de le dire au président Hamid Karzaï lorsqu’il
est venu à Rome au début de l’année. En cette occasion, nous
avons d’ailleurs signé un accord bilatéral — le premier du genre
entre l’Afghanistan et un pays occidental — afin de préparer cette
nouvelle phase de coopération, en étroite coordination avec nos
alliés de l’Otan et avec la communauté internationale.
240   POLITIQUE INTERNATIONALE

R. H. — L’aggravation du conflit syrien peut-elle, selon vous,
       déboucher sur un embrasement au Proche-Orient ?
M. M. — Comme je l’ai dit à l’Assemblée générale des Nations
 unies, le 26 septembre, l’Italie soutient pleinement la mission du
 nouvel envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Il faut, en effet,
sortir de l’impasse actuelle et lancer une action internationale
énergique afin de favoriser la naissance d’une nouvelle Syrie,
­démocratique, unie, stable et respectueuse des minorités. Le
 nombre de vies perdues est absolument épouvantable. Ce mas-
 sacre doit s’arrêter sans délai. Je vous rappelle que les réfugiés se
 pressent par milliers dans les camps du Liban, de Jordanie et de
 Turquie : cet afflux de populations fait peser un vrai risque sur la
 stabilité interne de ces pays d’accueil ainsi que sur les équilibres
 régionaux. L’Italie, comme d’autres nations, s’efforce d’améliorer
les conditions de vie précaires de tous ces réfugiés syriens en leur
fournissant du matériel de secours et des médicaments.
R. H. — Apparemment, rien ne semble pouvoir dissuader l ’Iran
     de mener à bien son programme nucléaire. Dans ces condi-
     tions, une intervention militaire israélienne vous paraît-elle
     inévitable ?
M. M. — Nous demandons à l’Iran de se plier aux résolutions des
Nations unies et aux recommandations de l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA). Téhéran doit apporter la preuve à
la communauté internationale que son programme nucléaire est à
usage exclusivement civil. Bien que l’Italie soit plus touchée que
d’autres pays par les sanctions imposées à l’Iran, mon avis est que
nous devons maintenir la pression afin de parvenir, dans toute la
mesure du possible, à une solution politique.
R. H. — Comment convaincre Vladimir Poutine, que vous avez
      rencontré fin juillet à Sotchi, de faire pression sur ses alliés
      syriens pour que cesse le bain de sang ?
M. M. — J’ai expliqué avec franchise à Vladimir Poutine et à
Dmitri Medvedev combien il était important que Moscou s’asso-
cie aux efforts de la communauté internationale pour trouver une
solution à la crise en Syrie, ne serait-ce que parce que la Russie
est un membre permanent du Conseil de sécurité et que sa contri-
bution peut s’avérer fondamentale. À MM. Poutine et Medvedev,
j’ai rappelé que la vie du peuple syrien et la stabilité régionale
devraient passer avant toute autre considération ; et j’ai essayé de
les convaincre que Moscou n’avait rien à gagner à la déstabilisa-
tion de la région.
Mario Monti             241

R. H. — Comment voyez-vous l ’évolution des « printemps arabes »
      au sud de la Méditerranée ? L’arrivée au pouvoir dans ces
      pays d’équipes dirigeantes majoritairement islamistes vous
      inquiète-t-elle ?
M. M. — Les mouvements issus des printemps arabes répondent
aux demandes légitimes de démocratie, de liberté individuelle et
de développement économique des peuples concernés. L’Italie est
liée aux pays du sud de la Méditerranée par une étroite amitié et
une histoire commune. Ces derniers mois, j’ai rencontré les nou-
veaux dirigeants arabes et j’ai senti en eux une bonne volonté qui
me laisse espérer en l’avenir. La manière dont ils ont reconstruit
les institutions est encourageante. De même que la maturité des
peuples tunisien, libyen, égyptien et yéménite. C’est la preuve que
les efforts de la communauté internationale et de l’Italie ne sont
pas vains.
      La politique méditerranéenne de l’Italie, vous le savez bien,
se déploie sur deux fronts. Le premier consiste à forger une poli-
tique extérieure européenne dotée d’une forte dimension méditer-
ranéenne et à développer une étroite collaboration avec nos amis
du sud de la Méditerranée sur des questions stratégiques comme la
sécurité, la stabilité ou les relations économiques et commerciales.
Le second passe par la défense des droits de l’homme. Nous avons
à maintes reprises souligné la nécessité d’intégrer ces droits dans
les nouveaux textes constitutionnels que sont en train d’élaborer
ces pays. Chaque fois, nous avons répété aux dirigeants de ces
nouveaux régimes que les changements historiques auxquels nous
assistons aujourd’hui ne porteront leurs fruits qu’à la condition
d’être fondés sur les deux piliers de la démocratie : le respect des
droits de l’homme et le pluralisme.

(1) Le 18 novembre 2011, Mario Monti reçoit l’investiture de la Chambre des députés par
556 voix contre 31 et aucune abstention. Le Sénat en avait fait de même la veille. Le «
Professore » succède à Silvio Berlusconi en devenant le premier chef d’un gouvernement
« technique » de l’histoire de la République italienne. Aucun de ses douze ministres n’ap-
partient à une formation politique. Tous sont des professeurs d’université, de hauts fonc-
tionnaires, des banquiers. Son équipe comprend même un catholique engagé dans l’action
humanitaire, le fondateur de la communauté Sant’Egidio, Andrea Riccardi, qui devient
ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration. « Une Italie différente monte
au créneau », commente l’éditorialiste du journal d’affaires Il Sole 24 Ore, Stefano Folli.
(2) Cette expression désigne les services fournis par les autorités locales ou régionales
(comme l’énergie ou les transports) qui devront être soumis à des appels d’offres ouverts,
transparents et réguliers.
(3) L’Italie est la troisième puissance économique d’Europe, mais Mario Monti a coutume
de se référer à la deuxième puissance industrielle (derrière l’Allemagne).
(4) Un premier pas vient d’être franchi avec la création, le 8 octobre 2012, du ­Mécanisme
européen de stabilité (MES) que l’on présente comme le « FMI d’Europe ». Doté de
242     POLITIQUE INTERNATIONALE

500 milliards d’euros à partir de 2014 auxquels s’ajouteront 200 milliards provenant du
Fonds européen de stabilité financière qui n’ont pas été utilisés, le MES interviendra pour
venir au secours de pays membres aux prises avec des difficultés budgétaires et menacés de
faillite. La Grèce, Chypre et peut-être l’Espagne et le Portugal devraient être les premiers
à y recourir. Le MES servira à renflouer un État qui ne peut se financer sur le marché. Il
pourra racheter de la dette sur les marchés primaire et secondaire, recapitaliser les banques
via un prêt au gouvernement et accorder des lignes de crédit souples garantissant en tout
ou en partie des émissions sur le marché. Au nombre des autres réformes figurent la réali-
sation de l’Union bancaire européenne et une réforme de la gouvernance européenne qui
débouchera sur l’élection d’un premier ministre européen.
(5) Le renchérissement des taux obligataires (le fameux « spread » qui mesure la différence
de taux entre les émissions de l’Allemagne et celles d’un autre pays européen) aggrave les
difficultés des banques à se ravitailler en liquidités sur le marché et les contraint à répercu-
ter ces hausses sur leurs propres encours.
(6) La feuille de route a été tracée par Herman Van Rompuy et les trois autres présidents
(Juncker de l’Eurogroupe, Draghi de la Banque européenne et Barroso de la Commission
de Bruxelles). Le rapport intitulé « Vers une véritable Union économique et monétaire » et
présenté au Conseil européen des 28 et 29 juin à Bruxelles expose « quatre éléments essen-
tiels » pour l’avenir de l’UEM : un cadre financier intégré, un cadre budgétaire intégré, un
cadre de politique économique intégré et un renforcement de la légitimité démocratique,
notamment l’obligation de rendre des comptes. À la suite d’un échange de vues ouvert,
au cours duquel différentes opinions ont été exprimées, le président du Conseil européen
a été invité à élaborer, en collaboration étroite avec les trois autres présidents, une feuille
de route spécifique assortie d’échéances précises pour la réalisation d’une véritable Union
économique et monétaire. Cette feuille de route comprendra des propositions concrètes
concernant le maintien de l’unité et de l’intégrité du marché unique dans le domaine des
services financiers. Elle tiendra compte de la déclaration du sommet de la zone euro et,
entre autres, de l’intention de la Commission de présenter des propositions sur la base
de l’article 127. Les quatre présidents examineront ce qui peut être fait dans le cadre des
traités actuels et ce qui doit être modifié. Afin d’assurer l’adhésion des États membres à
ce processus, ceux-ci seront étroitement associés aux réflexions et consultés à intervalles
réguliers. Des consultations seront également menées avec le Parlement européen. Un rap-
port final est attendu avant la fin de l’année 2012.
(7) Le 21 mai 2012, au sommet de l’Otan à Chicago, le ministre italien des Affaires étran-
gères Giulio Terzi di Sant’Agata a réaffirmé que l’Afghanistan et l’Italie partageaient le
même objectif, « garantir la paix et la stabilité après 2014 ». D’où « l’importance de l’as-
sistance au programme civil et de la collaboration » dont les deux pays sont convenus lors
de la visite du président Karzaï à Rome en début d’année. L’Italie est, en effet, le premier
pays occidental à avoir signé avec l’Afghanistan un partenariat stratégique de longue durée
prévoyant un entraînement des forces militaires et la participation de firmes italiennes aux
programmes de reconstruction du pays. Le Parlement a voté un budget de 750 millions
d’euros pour assurer la participation italienne à l’ISAF (la force multinationale qui opère
dans ce pays). Ce programme de coopération sera poursuivi après le retrait du contingent
italien, qui n’interviendra pas avant la fin 2014.
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