Exposition à Toulouse : Lune, épisode II, à la Cité de l'espace
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Exposition à Toulouse : Lune, épisode II, à la Cité de l’espace Après l’épisode I au début de l’année 2019, la Cité de l’espace inaugure « Lune épisode II ». Comme l’a rappelé le directeur, Jean-Baptiste Desbois, en introduction de la présentation aux journalistes, « la Lune redevient un sujet majeur de l’exploration spatiale ». En effet, début 2019, la Chine a envoyé un robot pour explorer sa face cachée ; le 11 avril, Israël a lui essayé de poser un engin qui a fini par s’écraser. L’Inde est également entrée dans la course. Olivier Sanguy, chargé des actualités à la Cité de l’espace, y voit la conjonction de trois agendas. « Il y a un agenda technoscientifique qui incite à retourner sur la Lune, pour tester des instruments et équipements avant d’aller sur Mars ; un agenda budgétaire car c’est moins coûteux que d’aller sur la planète rouge ; un agenda politique car le temps de l’exploration lunaire est plus en phase avec le temps électoral. Je ne crois pas au hasard quand Donald Trump annonce un homme sur la Lune en 2024. Ce sera la fin de son potentiel deuxième mandat ! Il espère ainsi pouvoir serrer la main de celui qui aura réalisé le voyage. » Sur les six missions Apollo L’épisode I de l’exposition rappelait l’événement du 20-21 juillet 1969, dont on fête les 50 ans cette année, et les six missions Apollo de la NASA qui se sont posées sur la Lune entre 1969 et 1972. Une animation propose aux visiteurs de découvrir de manière ludique trois faits intéressants autour de ces missions. Comment les astronautes ont-ils pu ramasser les 380 kilos de pierres de Lune ? D’ailleurs, un morceau de pierre de Lune, prêté par la NASA, est exposé dans la partie muséale permanente du lieu. Comment le drapeau américain a-t-il pu
flotter sur la Lune, alors qu’il n’y a pas d’air ? Qu’a fait Alan Shepard lorsqu’il était là-bas ? Ensuite, le visiteur entre dans la seconde et nouvelle partie. Les pieds s’enfoncent et s’accrochent légèrement au sol qui n’est autre que… de la moquette imprimée, imitation sol lunaire. « Nous avons fait fabriquer 450 m2 de moquette à partir de vraies images », explique Aude Lesty, la commissaire de l’exposition. Des zones d’ombre ont même été réalisées pour donner l’impression d’être vraiment sur le pôle sud de la Lune. Aux murs, les décors s’animent et montrent la vue qu’ont les astronautes sur Terre. Dans la partie « expérimentations », un animateur invite les participants à mieux comprendre ce qu’est la Lune à partir de manipulations. On découvre notamment que la couleur de la Lune n’est pas blanche ou grise mais bien noire ! Le visiteur se promène dans le village lunaire et passe de dômes en dômes. Il découvre comment les humains pourraient se nourrir sur la Lune, exploiter ses ressources, les défis à relever et les difficultés à surmonter pour installer une vraie base dans ce lieu hostile à l’humain. Une vidéo propose de discuter avec Matthias Maurer, un astronaute allemand de l’Agence spatiale européenne (ESA), sélectionné pour participer aux prochaines missions spatiales. En effet, l’ESA travaille sur un système de navigation qui sera intégré dans le véhicule spatial Orion que la NASA prévoit d’envoyer dans l’espace en 2020 puis en 2022, cette fois avec des astronautes à bord, comme l’a expliqué Bernard Foing, astrophysicien et directeur du programme lunaire de l’ESA. Une ambiance particulière « Pour l’ensemble de ce qui est présenté, nous nous sommes appuyés sur les recherches actuelles, précise Aude Lesty. L’intention est de créer une ambiance particulière, immersive, qui fasse vivre un moment lunaire aux visiteurs. Le but est qu’ils se souviennent, quand l’actualité de l’exploration spatiale arrivera, de leur visite à la Cité de l’espace. Qu’ils se rappellent avoir vu cette brique lunaire, ou tel autre projet ! » Le visiteur peut ainsi s’amuser à se balader en rover (un véhicule d’exploration) sur la Lune, découvrir son odeur, parler avec le même décalage de communication qu’entre la Terre et la Lune, soit 1,25 seconde. Dans le dernier dôme, Charlie Duke, le dixième Américain à avoir foulé le sol
lunaire, raconte son expérience et explique pourquoi la Lune est une étape indispensable avant d’aller sur Mars. Il donne aussi des conseils aux jeunes générations. La vidéo se termine avec cette citation de Neil Armstrong : « C’est un endroit intéressant, je le recommande. » Tout comme cette exposition ! À voir Lune, épisode II, à la Cité de l’espace à Toulouse jusqu’en octobre 2020, www.cite-espace.com Événements : observations de la Lune, les 12 et 13 juillet, place du Capitole à Toulouse et à l’observatoire de Jolimont ; Moon party le 21 juillet, à la Cité de l’espace. Qu’est-ce qu’un trou noir ? Entretien avec l’astrophysicien Michel Cassé Questions à Michel Cassé, astrophysicien, directeur de recherche émérite au Commissariat à l’énergie atomique Le mercredi 10 avril dernier, le monde de l’astronomie était en émoi. Des astrophysiciens présentaient pour la première fois une image reconstituée de la silhouette d’un trou noir, situé au cœur de la galaxie M87. Si cet objet céleste ne cesse de fasciner, on peine à se le représenter. Spécialiste du sujet, l’astrophysicien Michel Cassé nous livre ici quelques clefs de
compréhension. Pouvez-vous rappeler ce qu’est un trou noir ? C’est un objet céleste compact dont la lumière ne peut s’échapper. On pourrait le comparer à une vasque : l’eau jaillissante ne peut que retomber, de même la lumière dans le trou noir. La matière et la lumière sont inéluctablement attirées vers son centre, tant sa densité et donc sa gravitation est forte. On appelle « horizon des événements » la limite au-delà de laquelle il est impossible de s’évader du trou noir : pour ce faire, il faudrait mobiliser une vitesse supérieure à celle de la lumière, ce qui est impossible. À l’intérieur d’un trou noir, le temps et l’espace s’échangent : cela signifie qu’aussi résolument que nous savons que surviendra mardi prochain, la matière tombe vers le centre. C’est inéluctable. Vous mentionnez vous-même « l’étrangeté » de tels objets célestes… Oui, car leur énorme densité a un effet direct sur le battement des horloges, c’est ce que l’on appelle la dilatation gravitationnelle du temps. On peut constater ce phénomène sur la Terre : en montagne, le temps s’écoule légèrement plus vite qu’en plaine, c’est un fait. Pour un observateur lointain, une horloge qui croise en tombant l’horizon immatériel des événements d’un trou noir cesse de battre, alors qu’un autre observateur plongeant dans le trou noir avec l’horloge la verrait battre normalement. De même, si vous franchissiez l’horizon des événements, vos battements de cœur resteraient les mêmes qu’à l’accoutumée. Mais pour une personne située loin de vous, loin du trou noir, le temps serait comme figé ; elle vous verrait éternellement sur le point de tomber. Comment a-t-on pu observer un trou noir de la Terre ? Par définition, un trou noir est invisible, puisqu’il absorbe toute lumière. Ce qui a été observé, grâce à la mise en réseau de huit radiotélescopes en diverses régions du globe, ce sont des ondes radio, invisibles à l’œil nu. Grâce à ce grand radiotélescope artificiel destiné à révéler l’horizon des trous noirs géants, baptisé Event Horizon Telescope (EHT), les astrophysiciens sont parvenus à capter l’image du disque de matière qui tombe dans le trou noir. Cette matière agitée accélère des électrons qui émettent des ondes radio, celles, qui ont justement été capturées. Ce que l’on détecte, c’est donc l’émission radio de la bordure du trou
noir, son horizon. Dernière chose : n’allons pas penser que la bordure des trous noirs est jaune et orange ! Les couleurs de l’image dévoilée le 10 avril sont fausses. Les zones où le rayonnement est le plus intense sont indiquées en jaune, alors que le rouge représente un rayonnement moindre. Quant à l’effet d’amplification du rayonnement que l’on perçoit d’un côté du trou noir, il nous apprend que quelque chose tourne – le trou noir, le disque de matière ou les deux. La lumière qui vient vers nous est amplifiée. Qu’est-ce qui distingue un trou noir d’un trou noir supermassif, comme celui qui réside au cœur de la galaxie M87 ? Leur masse les distingue. Lorsque le cœur de fer d’une étoile massive en fin de vie s’effondre sur lui-même, il crée un trou noir, pour peu qu’il dépasse trois masses solaires. Le trou noir au centre de la galaxie M87, située à 53 millions d’années-lumière de la nôtre, a une masse équivalente à sept milliards de masses solaires. Sept milliards ! Nous ne disposons pas pour l’instant de théorie viable pour expliquer la formation d’un tel monstre, tant sa masse est dantesque. Le mystère demeure. Notons enfin que notre propre galaxie, la Voie lactée, contient aussi en son cœur un trou noir supermassif, Sagittarius A*. Quatre millions de fois plus massif que notre soleil et distant de quelque 26 000 années-lumière de nous, il est très difficile à observer parce qu’il a quasiment absorbé toute la matière qui l’environnait, contrairement à celui de M87. Le dévoilement de l’image de ce trou noir vient-il confirmer une fois de plus la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, énoncée en 1915 ? Plusieurs physiciens, bien avant Einstein, avaient prévu l’existence de semblables objets. Au XVIIIe siècle, l’astronome anglais John Michell exposait déjà le concept d’un corps céleste si massif que même la lumière ne pourrait s’en échapper ; concept également proposé par le Français Pierre-Simon de Laplace, qui a appelé ces objets des « astres occlus ». Ce qu’a confirmé l’« image » du trou noir au centre de M87, c’est la validité de la notion d’horizon qui s’attache à ces cadavres stellaires. Cela justifie une fois de
plus la théorie de la relativité générale d’Einstein, théorie déjà validée par des milliers d’expériences, dont la détection récente d’ondes gravitationnelles. Einstein lui-même, pourtant, ne croyait pas en l’existence des trous noirs… Bien sûr, parce que d’un point de vue physique, le trou noir est une aberration. Je m’explique : selon la théorie de la relativité générale, toute la matière qui entoure un trou noir finit par tomber et s’accumuler en son centre. Plus la matière se concentre, plus la gravité devient forte, et plus elle est forte, plus la matière se concentre encore, jusqu’à se concentrer en un point que l’on nomme une « singularité ». La densité y est donc infinie. Et si l’infini est une notion mathématique, c’est une aberration d’un point de vue physique. Dès qu’un infini se présente, la physique perd son sens. La théorie de la relativité générale d’Einstein serait donc incomplète ? Oui. Zéro, le point d’extension nulle, est trop précis pour être quantique. La solution de l’énigme du trou noir passe de l’avis de nombre de physiciens par la théorie quantique, qui cherche à pallier les limites de la physique classique – cette dernière traitant du toucher, du poussé, du soulevé. La physique quantique est déconcertante, c’est une physique de l’incertitude qui s’appuie sur des calculs de probabilités. L’enjeu majeur de la recherche en astrophysique aujourd’hui est de réussir à bâtir une théorie quantique de la gravitation, qui réunisse théorie de la relativité générale et physique quantique. Nous n’en sommes peut-être pas très loin avec les théories des supercordes et de la gravité quantique à boucle. propos recueillis par Louis Fraysse Repères année-lumière : distance parcourue en un an par Ia lumière dans le vide, soit 9 461 milliards de kilomètres. La lumière qui nous parvient d’une étoile située à 10 années-lumière de nous a été donc émise il y a dix ans.
masse solaire : la masse de notre Soleil, soit 333 000 fois celle de la Terre. galaxie : ensemble de milliards d’étoiles, de gaz et de poussières. M87 et notre Voie lactée sont des galaxies. À lire Les Trous noirs en pleine lumière Michel Cassé, Odile Jacob, 2009. Du vide et de l’éternité Michel Cassé, Odile Jacob, 2014. Du vide et de la création Michel Cassé, Odile Jacob, 2001. Sur reforme.net : relisez « Qu’est-ce que le multivers ? », entretien avec l’astrophysicien Aurélien Barrau. Quels sont les enjeux éthiques de l’exploration spatiale ? Questions à Jacques Arnould, théologien et historien des sciences, chargé des questions éthiques au Centre national d’études spatiales (Cnes) Le 3 janvier dernier, la Chine est parvenue à poser un robot sur la face
cachée de la Lune. Que vous inspire cette première dans l’histoire de l’humanité ? Une sorte de clin d’œil à l’Histoire, tout d’abord. Il y a tout juste 50 ans, en 1968, des hommes – les astronautes de la mission Apollo 8 – contemplaient pour la première fois, avec des yeux d’humains, la face cachée de notre satellite, source de tant de fantasmes. Il s’agit aussi d’une prouesse technologique de la part de la Chine, prouesse dont on devine la portée politique : l’espace, pour les Chinois, constitue un important vecteur de prestige national. J’ajouterais néanmoins qu’au moment où Pékin adressait ce message fort à la communauté internationale, un satellite franco- chinois était envoyé avec succès à partir d’un lanceur chinois. Ce signe de coopération n’est pas passé inaperçu dans la communauté spatiale. Le succès du survol de Pluton, en 2015, et de la mission européenne Rosetta, entre 2014 et 2016, ont entraîné un regain d’intérêt pour l’exploration de l’espace. Comment l’expliquer ? Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce milieu, à la fin des années 1990, le sentiment partagé était que nous arrivions après la bataille. L’« âge d’or », celui des missions Apollo et du développement des fusées Ariane, était passé. Nous ne vivrions pas ce que nos prédécesseurs avaient vécu. Au milieu des années 2000, la situation a changé, d’une part sous l’effet de l’arrivée tonitruante du « NewSpace » ou « nouvel âge spatial », d’autre part grâce aux efforts des agences spatiales et des établissements de vulgarisation scientifique, afin d’alimenter la curiosité du public et de susciter des vocations chez les plus jeunes. Qu’entend-on par NewSpace ? Ce mouvement, à la fois technologique et scientifique, désigne l’émergence d’acteurs privés, issus du monde d’Internet, dans l’industrie spatiale. Ces acteurs ont remis l’exploration sur le devant de la scène, avec la volonté affichée d’envoyer une mission habitée vers Mars, considérée comme la nouvelle frontière à franchir. Cet engouement suscité par le NewSpace s’explique également par la personnalité flamboyante de certains de ses acteurs. En 2016, j’ai assisté à un congrès mondial d’astronautique. Pour la première fois, des acteurs du NewSpace comme Blue Origin (fondé par Jeff Bezos, le patron d’Amazon) ou Virgin Galactic (propriété du milliardaire Richard Branson) étaient invités à s’exprimer sur un
pied d’égalité avec les acteurs traditionnels du milieu spatial. Mais la véritable vedette de la journée, c’était Elon Musk, le P.-D.G. de SpaceX. L’accueil qui lui a été réservé a été celui d’une rock star ; jamais un intervenant n’avait provoqué une telle bousculade. Le signe que, de nouveau, l’espace captive et fait rêver. Vous rappelez pourtant que l’intérêt des acteurs privés pour l’espace ne date pas d’aujourd’hui… Dès les débuts de l’exploration spatiale, des passionnés ont cherché à imaginer des systèmes moins coûteux pour envoyer des satellites en orbite. Ces initiatives privées, toutefois, ont fait long feu. Ironiquement, si le NewSpace a réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué, c’est justement grâce à l’investissement public ! SpaceX en particulier a largement bénéficié du soutien financier du gouvernement fédéral américain, soucieux, en faisant jouer la concurrence, de faire baisser les coûts de lancements de satellites. Et cela a fonctionné. SpaceX mène aujourd’hui une lutte acharnée contre l’opérateur européen Arianespace dans ce domaine. Il faudrait néanmoins nuancer le tableau : si l’ascension des acteurs privés semble irrésistible, il serait exagéré de réduire le secteur spatial au seul NewSpace. En termes d’investissements, ce dernier reste minoritaire. Mais cela n’enlève rien à l’audace de ces entrepreneurs : les ingénieurs de Blue Origin ont ainsi été les premiers à avoir lancé une fusée réutilisable. Quelles sont les questions éthiques soulevées par l’exploration spatiale ? Depuis le début des années 1980, l’éthique a le vent en poupe. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle est bien comprise. Trop souvent, on l’assimile à une critique négative, dont l’effet, quand on en tient compte, est de ralentir voire de suspendre une activité au nom de la prétention à savoir distinguer le bien du mal. L’éthique ne peut être réduite à cela. L’éthique n’est pas un alibi pour responsables prudents, mais plutôt l’indispensable conscience, individuelle et collective, de nos actes. C’est d’autant plus nécessaire que règne, dans la communauté spatiale, une certaine culture de la performance – le « nous pouvons le faire » des ingénieurs. On peut même parler, concernant le NewSpace, d’une tendance au « forçage technologique », autrement dit la tendance à attendre de la seule technique la solution des problèmes qu’elle a elle-même engendrés. La réflexion éthique, au contraire, propose de réfléchir, en amont, aux ressorts,
aux finalités d’une entreprise, et à tenter d’évaluer ses possibles effets. Prenons la volonté d’exploiter les ressources minières des astéroïdes, par exemple. Si l’on ramène ces minerais sur Terre, que cela signifie-t-il pour notre planète ? Ce peut être un astucieux moyen de répondre à une pénurie inéluctable. Mais l’arrivée de ces minéraux peut aussi nous encourager à poursuivre notre politique de consommation folle dont on connaît l’impact sur la biosphère terrestre. La découverte de minéraux rares pourrait également bouleverser nos sociétés, comme les sociétés occidentales ont été bousculées par l’arrivée, au XVIe siècle, des ressources du Nouveau Monde. Prenons un autre exemple, celui d’éventuelles contaminations biologiques. La pollution de corps célestes pourrait réduire à néant la recherche de vie extraterrestre ; une contamination a posteriori de la Terre, lors du retour d’une mission, pourrait faire courir aux Terriens un risque mortel. Il ne s’agit pas de condamner a priori, mais bien de chercher à éviter de se retrouver devant le fait accompli. Le Cnes doit donc permettre aux Français de s’interroger sur le pourquoi et le comment des activités spatiales, et pas seulement leur apporter des réponses techniques et scientifiques. Vous rappelez que les acteurs du NewSpace se sont aussi donné pour mission de « sauver l’humanité »… C’est en effet quelque chose que l’on retrouve dans les déclarations de Jeff Bezos ou d’Elon Musk, et qui rejoint les thèses transhumanistes : le salut de l’humanité passe par le progrès technologique et par la possibilité de l’Homme de s’extraire de son carcan génétique et terrestre. Ce discours suscite néanmoins de nombreuses critiques : quitter la Terre pour sauver l’humanité entière serait difficilement envisageable. Cela reviendrait-il donc à ne sauver qu’une partie des humains ? Laquelle ? Et qui en déciderait ? De même, quelle fraction de l’humanité pourra-t-elle bénéficier des progrès promis par le transhumanisme ? Les plus riches seulement ? Quitter la Terre demanderait en outre une consommation accrue d’énergie : pouvons-nous nous le permettre aujourd’hui ? Quant à l’idée de coloniser Mars, de la « terraformer » (modifier son environnement pour le rendre compatible à la vie), elle demanderait des moyens énormes : ceux-ci ne seraient-ils pas mieux employés sur notre planète pour enrayer sa dégradation ?
Soyons clairs : je considère que l’exploration spatiale nous est nécessaire, l’humanité a besoin d’échappées cosmiques. Mais n’oublions pas d’où nous venons, cette Terre dont nous sommes responsables. Si notre planète est souvent présentée comme le « berceau » de l’humanité, j’insisterais plutôt, comme le philosophe Edmund Husserl, sur le fait qu’elle est un « sol ». Un sol où nous sommes enracinés, nous humains, et, dans une perspective chrétienne, où nous sommes incarnés. Toutes les réalités que nous connaissons, y compris nous- mêmes, y trouvent leur origine. L’humain est indissociable de la Terre. Dès lors, que cela signifierait-il de la quitter, de couper ce lien ? Les acteurs du NewSpace, comme les transhumanistes, tendent à résumer le futur de l’humanité comme un choix assez simple : la stagnation et la disparition, d’une part ; le progrès et la survie, d’autre part. Mais je doute que les choses soient aussi binaires. En conclusion, je reprendrais à mon compte la formule de l’abbé Raynal. En 1787, préoccupé par la question de l’esclavage, l’ecclésiastique s’était demandé si la découverte de l’Amérique avait été « utile ou au contraire nuisible au genre humain ». De même, nous devons nous demander ce que pourrait apporter au genre humain l’exploitation de l’espace. Quelle pourrait en être l’utilité ? La nocivité ? Qu’on le veuille ou non, ces questions nous concernent tous. Emparons- nous d’elles ! Propos recueillis par Louis Fraysse
© Jordan Steranka / Unsplash À qui donc appartient la Lune ? Dans Oublier la Terre ?, Jacques Arnould rappelle que l’espace n’est pas un domaine laissé hors-la-loi. « Avant même que les Terriens n’y envoient leurs vaisseaux, les juristes se sont interrogés sur le droit qu’il conviendrait d’appliquer à l’espace. Malgré le contexte de rivalité exacerbée entre Américains et Soviétiques, deux principes forts vont émerger dans les années 1960 pour fonder le droit spatial naissant : le principe de liberté et celui de non-appropriation. Le traité de l’espace de 1967, ratifié par plus de cent États dont les principales puissances spatiales, stipule dans son premier article que « l’espace extra- atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les États sans aucune discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement accessibles ». De ce fait, aucun État ne peut
se revendiquer propriétaire de quoi que ce soit dans l’espace. Les orbites, par exemple, sont un bien commun à toute l’humanité : chaque pays ou entreprise peut y placer un satellite, sans prétendre que l’orbite lui appartient. Un autre principe, plus disputé, du droit spatial, concerne l’utilisation pacifique de l’espace. Il suscite d’intenses débats aux États-Unis autour de l’« arsenalisation » de l’espace – le fait d’y déployer des armes létales, et non seulement des systèmes de soutien des opérations au sol. Entré en vigueur en 1984, le traité sur la Lune n’a été ratifié par aucune des puissances spatiales. Il interdit en substance de tirer un profit personnel de la Lune ou des objets célestes. On passe ainsi du statut de « bien commun » à celui de « patrimoine commun » de l’humanité. Le progrès technique et l’émergence d’acteurs privés font cependant vaciller ces principes. Le droit n’est pas figé, il suit les évolutions de la société. Le 25 novembre 2015 sera à ce sujet peut-être une date à marquer d’une pierre blanche. Ce jour-là, le président Barack Obama a signé la « Loi sur l’exploration et l’utilisation des ressources de l’espace » qui ouvre la voie à leur exploitation commerciale par des entreprises privées, installées sur le sol américain. Une façon de préserver la suprématie américaine dans le domaine spatial. De fait, nous assistons depuis plusieurs années à un travail de fond de la part des juristes américains autour de la question de l’exploitation minière des astéroïdes. Certains juristes cherchent à démontrer que l’exploitation de leurs ressources est tout à fait compatible avec le principe de non-appropriation. De la même manière qu’exploiter les ressources maritimes ne revient pas à s’approprier l’océan, arguent-ils, récolter le minerai d’un astéroïde ne revient pas à se l’approprier. Ce à quoi d’autres juristes rétorquent qu’à force de réaliser des forages dans un astéroïde, il finira par ne plus y avoir d’astéroïde du tout, ce qui équivaudrait de facto à une appropriation ! L’idée d’un partage universel D’autres voix s’élèvent pour demander, au nom de l’esprit du droit de l’espace, un partage universel des bénéfices engendrés par l’exploitation minière ou le tourisme spatial. Mais ceux qui, demain, disposeront des capacités pour poser le pied à la surface d’un corps céleste, accepteront-ils de renoncer au principe du
« premier arrivé, premier servi ? » Rien n’est moins sûr. On peut enfin trouver ridicule la prétention humaine à revendiquer l’univers comme patrimoine de l’humanité. Je trouve au contraire que cette notion peut nous responsabiliser : si la Lune est un patrimoine commun, alors nous sommes responsables de ce que nous en faisons. Nous pouvons en tout cas nous réjouir que les juristes s’emparent dès aujourd’hui de ces questions, au lieu de s’en saisir en urgence, a posteriori. Ces débats, s’ils peuvent paraître obscurs, sont une excellente occasion de réfléchir à la manière dont les humains sont ou non capables de gérer en commun des ressources au fort potentiel économique. Ces questions ne relèvent plus de la science-fiction. » Propos recueillis par Louis Fraysse À lire Oublier la Terre ? La conquête spatiale 2.0 Jacques Arnould Le Pommier, 2018, 17 €. La Lune m’a dit Jacques Arnould Éd. du Cerf (à paraître en 2019).
Conquête spatiale : la Chine s’affirme en grande puissance À Pékin on aime les dates symboliques, surtout lorsqu’elles permettent d’exalter le régime et de défier l’Amérique. En célébrant l’exploit des scientifiques qui ont posé pour la première fois un engin d’exploration sur la face cachée de la lune, « un événement majeur dans la conquête spatiale », selon Pékin, les autorités n’ont pas oublié qu’en 1969, les Américains envoyaient pour la première fois un homme sur la lune. C’est au tour des Chinois d’affirmer leur présence dans l’espace. Devenu l’une des principales puissances économiques et militaires de la planète, leur pays s’affirme aussi comme une grande puissance technologique. L’obsession de la Chine est de rattraper l’Amérique. Le succès de sa mission spatiale la rapproche de son objectif. Ce rattrapage, conduit d’une main de fer par le président chinois, doit avoir lieu au plus tard en 2049, un siècle après la création de la République populaire. Cette autre date symbolique dessine l’horizon assigné à la « longue marche » de Xi Jinping, dont l’ambition est de dépasser alors le grand rival américain. Pékin multiplie les démonstrations de force. Ainsi vient-elle de tester sa plus puissante bombe non nucléaire, présentée comme la version chinoise de la « mère de toutes les bombes », en référence à un engin américain largué en 2017 en Afghanistan. Elle vient aussi de menacer d’utiliser la force pour récupérer Taïwan. La réunification, a dit Xi Jinping, est « une nécessité pour le retour en force de la nation chinoise dans la nouvelle ère ». Le président chinois a célébré les 40 ans de la politique d’ouverture et de réforme qui a produit la spectaculaire transformation du pays. Il a affiché sa double détermination de continuer l’effort de développement qui a porté la Chine au plus haut niveau et d’assurer à celle-ci « un rôle central sur la scène mondiale ». En Occident, on déplore que cet essor s’accompagne du renforcement d’un modèle autoritaire qui ne se soucie ni des droits humains ni de la liberté des minorités. S’il est un anniversaire que Pékin s’abstiendra de célébrer, c’est bien celui du massacre de Tienanmen il y a 30 ans.
Qu’est-ce que le multivers ? Entretien avec l’astrophysicien Aurélien Barrau Questions à Aurélien Barrau astrophysicien, professeur à l’université Grenoble-Alpes Peut-on déterminer si l’Univers est infini ? Cette question n’est plus entièrement hors de portée. Imaginons que l’on regarde une flaque d’eau sur Terre. On ne peut pas en conclure grand-chose. Mais si l’on observe un océan, on voit alors la rotondité de la Terre et on peut en déduire qu’elle est de taille finie. C’est un peu ce que nous mettons à l’œuvre avec l’Univers. On voit que, dans la zone observable, la courbure de l’Univers semble nulle. Mais cette courbure est-elle réellement nulle, conduisant alors probablement à un Univers infini, ou simplement trop faible pour être mesurée ? Si l’Univers est fini, il est en tout cas très grand, beaucoup plus grand que ce que l’on peut en voir. Cela dit, il est vrai que l’infini, au sens fort, est un concept abyssal. Peut-être trop immense pour la finitude de notre esprit. Une chose est sûre : on ne pourra jamais établir avec certitude l’infinité de l’espace. Vous travaillez depuis des années sur le « multivers », ou « univers multiples ». L’idée qu’il puisse y avoir plusieurs univers semble pourtant contre-intuitive… Si on le prend en son sens propre et originel, le terme « Univers » désigne la totalité de l’existant. Le concept même de « multivers » est alors une
contradiction dans les termes. En physique, on donne cependant au mot Univers une signification quelque peu atrophiée : on veut désigner par celui-ci tout ce qui pourrait avoir interagi avec nous, tout ce qu’il serait possible de voir si l’on utilisait un télescope infiniment puissant et capable de détecter tous les types d’entités existantes. Comme la vitesse à laquelle se propage la lumière est finie, cette distance n’est pas infiniment grande. Ce qui est au-delà de cette limite se trouve donc dans un « ailleurs » radical, strictement invisible et sans la moindre conséquence sur nous. En ce sens, il pourrait exister des univers multiples. Et même des univers parallèles suivant certaines interprétations de la mécanique quantique. Cette idée d’univers multiples traverse toute l’histoire de la philosophie, d’Anaximandre à David Lewis en passant par Démocrite, Giordano Bruno, Rabelais et Leibniz. Mais il est intéressant qu’elle apparaisse aujourd’hui en physique théorique, comme une conséquence presque inexorable de certaines de nos théories. Car si l’espace est infini, cela signifie inévitablement qu’il existe une infinité d’univers ! Ce possible multivers est signifiant du point de vue du « grand récit » de nos origines et de notre environnement cosmique. Il change notre carte du monde. Mais, de plus, il influe sur nos prédictions scientifiques, même au sein de notre propre Univers. Ce n’est donc pas de la seule métaphysique, aussi noble soit-elle. Il permet aussi d’éclairer sous un jour nouveau certaines questions concernant l’émergence de la complexité. Curieusement, il cristallise d’étranges crispations alors qu’il pourrait être le « lieu » d’une réflexion subtile et nuancée. Il est souvent reproché à cette idée d’univers multiples de n’être pas scientifique parce qu’elle n’est pas falsifiable ou réfutable. Mais c’est une vision naïve : en réalité il est bien possible de mettre ces scénarios à l’épreuve. Il faut ici se garder d’une vision à l’emporte-pièce mais aussi d’une conception figée ou trop réactionnaire de ce qu’est la pratique scientifique. Celle-ci doit toujours intégrer la possibilité d’une révolution ou d’une déconstruction. Si l’espace est infiniment grand, alors tout ce qui a une probabilité non nulle de se produire doit se produire. Qu’est-ce à dire ? C’est une assertion à utiliser avec circonspection. Elle suppose en fait une
distribution de probabilité « uniforme ». Mais, sans entrer dans les détails, l’argument est essentiellement le suivant. Notre existence est possible, pour preuve nous sommes là : la probabilité que nous existions est manifestement non nulle. Si l’espace est infini, alors, notre existence doit se répéter (trivialement, on pourrait dire qu’on est certain de gagner – et même de gagner une infinité de fois – si l’on participe à une infinité de tirages du Loto, et cela même si les chances de gagner sont très minces à chaque tirage). Il pourrait donc exister une copie conforme de chacun de nous à une distance immense mais finie. Ces alter ego auraient le même passé que nous mais pas nécessairement le même futur. Vous êtes l’un des spécialistes français des trous noirs. Comment expliquez-vous la fascination qu’ils exercent ? Les trous noirs sont comme des îlots dans l’espace. Ce sont des sphères dans lesquelles il est possible d’entrer mais desquelles il est impossible de sortir. Pendant longtemps, on a supposé qu’il s’agissait de simples étrangetés mathématiques, tant la densité en leur centre paraissaît inconcevable : il faudrait par exemple concentrer la totalité de la masse de la Terre dans un rayon de quelques millimètres pour qu’elle devienne un trou noir. Mais on sait maintenant que les trous noirs existent, et même qu’ils sont banals. Récemment, nous les avons observés par les ondes gravitationnelles qu’ils émettent en fusionnant. Il n’est pas étonnant qu’ils exercent une certaine fascination, y compris sur les scientifiques. Ils poussent en effet nos théories à leur paroxysme. Ils constituent par exemple de véritables machines à voyager dans le futur ! Si l’on s’approchait d’un trou noir – sans entrer dedans – et qu’on retournait ensuite sur Terre, il pourrait s’être passé 10 minutes pour nous et 1 000 ans sur notre planète. Dans le trou noir, les choses sont plus étranges encore : le temps se change en espace et l’espace se change en temps. Quant à la mystérieuse « singularité », qui désigne le lieu au centre du trou noir où les grandeurs physiques deviennent infinies, on en ignore la nature profonde. Et on ignore tout de la manière dont ces objets célestes stockent, semble-t-il, une quantité colossale d’information. D’un point de vue scientifique, les trous noirs sont des laboratoires exceptionnels : en tentant de les comprendre, on aborde des questions immenses qui touchent tout autant à la structure de l’espace-temps qu’à celle des origines. Il est vrai qu’ils sont aussi traversés de nombreuses résonnances poétiques mais je ne vois aucune raison d’en avoir peur.
Dans vos livres, vous mentionnez à plusieurs reprises « l’élégance » de certaines théories physiques ou cosmologiques. En quoi cette élégance a- t-elle sa place dans la recherche scientifique ? « Élégance », c’est peut-être un terme un peu trop précieux. Je crois que « beauté » serait plus juste, plus simple. J’aime ce mot parce qu’il remet un peu en cause un certain fantasme d’absoluité parfois associé à la science. Bien sûr, on ne peut pas dire n’importe quoi. Il y a des contraintes mathématiques et expérimentales. Mais le scientifique est aussi un artiste : il invente une manière de dire – presque de chanter – ce réel qui se dévoile doucement et partiellement devant lui. Vous rappelez dans votre ouvrage Des univers multiples qu’« aucune théorie physique ne peut jamais être prouvée ». Cela va à l’encontre de l’idée que l’on peut se faire de la science… En effet. Et c’est parce qu’on se fait une très mauvaise idée de la science ! Ce que je dis ici n’a rien de subversif ou d’original. Le philosophe Karl Popper a expliqué cela très en détail. Pour le dire simplement : on ne peut jamais prouver une théorie en sciences de la nature car il faudrait mener l’infinité des expériences qui la mettent à l’épreuve et le faire, pour chacune, avec une précision infinie. Ce qui est doublement impossible. Pour le caricaturer, il est évident qu’on ne peut pas prouver nos théories puisqu’elles sont toutes fausses ! Nous ne touchons pas la Vérité absolue en science, nous composons avec la meilleure description possible à un moment donné et par rapport à une attente donnée. Ce n’est pas du tout faire offense à la science que de rappeler cela. C’est lui faire l’honneur de ne pas l’obliger à être la seule version correcte du réel. L’espace en général est un domaine largement investi par les pseudosciences et nombre de théories conspirationnistes. Que peuvent faire les chercheurs pour les combattre ? Il faut être très prudent et nager entre deux écueils. D’une part, il y a toute cette nébuleuse obscurantiste qui joue de la naïveté crédule du public et tente de promouvoir des contrevérités patentes pour servir des intérêts personnels ou financiers. Cela va des gourous à Donald Trump. Mais de l’autre côté, il y a aussi des scientistes extrémistes qui pensent que la science est une sorte de vérité révélée et qu’il ne faut ni l’interroger ni la mettre en doute.
L’intelligence est toujours dans la nuance. Pour éviter Charybde et Scylla, il me semble qu’il faut être honnête et humble : montrer que la science ne dit évidemment pas n’importe quoi mais qu’elle n’est pas non plus l’achèvement indépassable de toute forme de pensée. Il faut aussi hiérarchiser nos savoirs : oui, le réchauffement climatique dû à l’homme est indubitable, sauf à jouer à un jeu de scepticisme dangereux et infondé. Mais la nature du Big Bang ou le cœur des trous noirs relève au contraire à ce stade de théories spéculatives qu’il faut évidemment présenter comme telles. Osons être honnêtes et mesurés. Si l’Univers est infini, la Terre, elle, ne dispose que de ressources finies. Que vous inspire ce paradoxe ? Cela m’inspire beaucoup de tristesse. Une profonde mélancolie et une certaine révolte aussi. Nous savons que nous sommes en train de détruire en quelques décennies le résultat de milliards d’années d’évolution subtile. Nous le savons et nous ne changeons rien. Des millions d’espèces vont disparaître, des milliards de milliards de vivants vont mourir, et sans doute aussi des milliards d’humains. C’est une catastrophe majeure, planétaire. Un crime impardonnable et imprescriptible contre l’avenir. Croire qu’une croissance exponentielle est éternellement possible dans un monde fini – car notre monde est fini : nous n’allons pas partir en vaisseau spatial – relève de la folie. Je trouve aberrant que ceux qui prônent la fin de cet emballement insensé et coupable soient souvent vus comme de « doux rêveurs » alors que les économistes ou politiciens qui se font apôtres d’une croissance qui va tuer nos enfants sont considérés comme les « gens sérieux ». Aussi objectivement qu’on puisse en juger, c’est exactement l’inverse !
« Pour les animaux, l’enfer existe » Coauteur, avec Louis Schweitzer, président de la fondation Droit animal, éthique et sciences, de L’Animal est-il un homme comme les autres ? Les droits des animaux en question, Aurélien Barrau explique ici pourquoi la cause animale est à ses yeux une cause majeure. « La réification à laquelle nous avons soumis les vivants non-humains est, j’en suis convaincu, l’un des drames éthiques immenses dont nous aurons à répondre demain… s’il y a un demain. Ce n’est pas le seul : le sort des réfugiés, les inégalités grandissantes, la faim qui touche des centaines de millions d’hommes et de femmes sont d’autres chantiers considérables. Mais le combat animalier est frère de celui qui s’oppose aux oppressions humaines. Nous tuons environ mille milliards d’animaux par an. Dans des conditions souvent épouvantables, inimaginables. Pire encore : avant cette mort atroce, ils n’ont souvent même pas eu de vie. Et tout cela n’est pas nécessaire puisque, pour prendre le seul exemple de l’alimentation, se passer de viande est à la fois bon pour la santé humaine, bon pour la planète (l’industrie de la viande pollue plus que celle des transports) et bon pour les autres hommes (on nourrit plus de personnes en s’alimentant avec des céréales et des légumineuses). Quelle que soit la manière dont on regarde la situation – éthique, logique, scientifique, esthétique – elle est injustifiable, inacceptable et intenable. Il est toujours difficile de regarder en face un crime dont nous sommes les auteurs. Mais on ne peut pas continuer à ignorer l’horreur dont nous sommes coupables. Pratiquement personne ne supporterait de regarder en face les conséquences de nos choix en matière de rapport aux animaux. Sachant que ces choix pourraient ne pas être faits et qu’ils nous sont en plus également nuisibles, on ne peut plus poursuivre dans cette incohérence. On s’intéresse en ce moment à la découverte de vie extraterrestre et c’est en effet une belle question. Mais notre planète est, encore, peuplée de millions d’espèces extraordinaires. Quand on s’en rendra compte, il sera trop tard. Elles ne seront plus là. Et ce n’est pas que le problème du réchauffement climatique. C’est aussi celui de la diminution drastique des espaces vitaux. Les vivants non
humains qui ne sont pas chosifiés dans les abattoirs n’ont simplement plus de place pour vivre. Pour les animaux, c’est sûr, l’enfer existe. Il est ici. Et c’est notre choix. » Propos recueillis par Louis Fraysse À lire Des Univers multiples. Nouveaux horizons cosmiques Aurélien Barrau Dunod, 2017, 16,90 €. L’Animal est-il un homme comme les autres ? Les droits des animaux en question Aurélien Barrau, Louis Schweitzer Dunod, 2018, 13,90 €. Le blog d’Aurélien Barrau https://blogs.futura-sciences.com/barrau
Dieu et les extraterrestres : entretien avec le théologien Jacques Arnould La question de la « pluralité des mondes », l’idée que d’autres planètes que la Terre puissent être peuplées, a passionné et opposé les théologiens chrétiens pendant des siècles. Quelles furent les grandes lignes de ces débats ? Jusqu’au XVIe siècle, la question disputée est la suivante : pour être un Créateur tout-puissant, Dieu doit-il créer d’autres mondes que le nôtre ? Inutile, répondent la plupart des théologiens qui soulignent que le nôtre est suffisamment diversifié pour « prouver » la toute-puissance divine et qu’une pluralité des mondes pourrait introduire l’idée, inacceptable, d’un rôle laissé au hasard. Mais d’autres théologiens n’hésitent pas à parler d’habitants sur la Lune ou même d’une infinité de mondes. En 1277, Étienne Tempier, l’évêque de Paris, rappelle que les hommes n’ont pas à décider ce que Dieu peut ou ne peut pas créer… Avec le XVIIe siècle et le développement des sciences astronomiques, l’existence d’autres mondes s’impose. La question débattue devient alors : sont-ils habités ? S’ils l’étaient, le Christ devrait-il s’incarner plusieurs fois pour en sauver les habitants ? Les avis sont bien entendu partagés ! Au XVIe siècle, les Réformateurs, que ce soit Luther ou Calvin, sont plutôt hostiles à la pluralité des mondes… C’est précisément la question christologique et le refus d’incarnations multiples qui conduisent les Réformateurs à s’opposer à l’idée de pluralité des mondes (comme d’ailleurs ils s’opposent à l’héliocentrisme de Copernic, pour des arguments bibliques) ; le rôle rédempteur du Christ est trop important pour le « relativiser ». Par la suite, les théologiens de la Réforme, comme ceux des autres Églises, seront plus nuancés : la question du salut des extraterrestres, voire de leur baptême, reste ouverte. Les débats mêlent souvent arguments théologiques et hypothèses scientifiques ; ils offrent l’occasion de réfléchir à l’idée même de rédemption pour les humains mais aussi pour toutes les créatures de Dieu. Que dit ou ne dit pas la Bible de la possibilité d’une vie extraterrestre ?
La Bible n’aborde pas la question de la vie extraterrestre au sens strict. Certes, il est question de « plusieurs demeures dans la maison du Père » ; mais rien ne permet d’affirmer que le Christ pense à des créatures extraterrestres. Pas davantage que le char d’Élie est une soucoupe volante ! Toutefois, n’oubliez pas que, jusqu’au début du XXe siècle, le mot « extraterrestre » signifiait « surnaturel ». Dans ce sens, les anges peuvent être qualifiés d’extraterrestres ; et, dans la tradition catholique, des auteurs ont pu parler des caractères terrestre et extraterrestre de Marie. Dès lors, sans qu’il soit question de ce que nous appelons aujourd’hui des « martiens » ou des êtres extraterrestres, nous pouvons dire que la Bible, en évoquant une réalité ou des êtres surnaturels, nous éduque à l’idée d’autres formes de vie que la nôtre. Pour la Bible, nous ne sommes pas seuls dans cet univers créé par Dieu. L’existence avérée d’extraterrestres entraînerait son lot d’interrogations majeures pour les chrétiens : Dieu peut-il créer plusieurs êtres différents à son image ? Le Christ peut-il s’incarner dans d’autres mondes que la Terre ? Comment envisager la question du péché et de la rédemption en dehors de notre planète ? Que répondre ? Il ne s’agit pas de faire de la « théologie-fiction » ! Pour l’instant, rien ne nous permet de trancher la question de l’existence d’êtres ailleurs que sur Terre. En revanche, nous pouvons faire une expérience de pensée, poser comme hypothèse une telle existence et étudier les conséquences sur notre compréhension de la foi chrétienne. Alors, nous redécouvrirons comment l’acte créateur est une alliance entre Dieu et toutes ses créatures ; relisez le récit du Déluge. Ou encore que nous sommes créés à l’image de Dieu… et non l’inverse ; pourquoi avoir peur pour Dieu ? Nous nous interrogerons sur le sens que nous accordons à la dimension cosmique du salut opéré par le Christ, comme le confessent les Pères de l’Église et que, dans le souci trop étriqué du seul salut de nos âmes, nous avons peut-être oubliée. L’existence avérée d’extraterrestres constituerait-elle une menace ou une chance pour le christianisme ? À chacun d’entre nous d’y répondre, dans la foi et dans l’intelligence de la tradition chrétienne que nous pouvons avoir. Une telle existence bousculerait nombre de nos certitudes, de nos connaissances, des images que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre singularité, enfin de Dieu. Nous
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