Festival d'Automne à Paris - Creuzevault - El Khatib - Charmatz - Rodrigues - Béasse - Dereere & Huysmans Toloza-Fernández & Goñi - Festival Vevey ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
I/O — WWW.IOGAZETTE.FR — LA GAZETTE DES FESTIVALS — OCTOBRE 2020 — GRATUIT n°111 Festival d’Automne à Paris Creuzevault — El Khatib — Charmatz — Rodrigues — Béasse — Dereere & Huysmans Toloza-Fernández & Goñi — Festival Vevey Images — Festival Le Chaînon Manquant Courtesy of the artist Kevin Bennett Moore & Gallery Kayafas
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR LES SERPENTS RÉMI CONDOR LE GARDE-FOU Marie NDiaye Hector Malot Frédéric Vossier Julie Ménard Jacques Vincey Jonathan Capdevielle Anne Théron Sophie Guibard SOMMAIRE 29 sept › 8 oct 14 › 18 déc 2 › 5 fév 1er › 3 avril MOBY DICK 3 ANNONCIATIONS NORMALITO INSOUTENABLES LONGUES ÉTREINTES — Herman Melville Pascal Rambert Pauline Sales Stuart Seide 7 › 12 jan 15 › 19 fév Ivan Viripaev Théâtre Olympia 3 › 7 nov Galin Stoev centre dramatique SEUL CE QUI BRÛLE LA GIOIA 14 › 17 avril national de Tours KADOC Christiane Singer Pippo Delbono FOCUS PAGES 4-8 cdntours.fr Rémi De Vos Julie Delille 10 › 13 mars A BRIGHT ROOM Sylvain Creuzevault : Le Grand Inquisiteur Jean-Michel Ribes 19 › 21 jan CALLED DAY Tiago Rodrigues : Sopro LES BONNES « Comment ça s’appelle, 17 › 21 nov HOW DEEP IS YOUR Robyn Orlin Tony Kushner Silke Huysmans & Hannes Dereere : Pleasant Island Catherine Marnas Laida Azkona Goni & Txalo Toloza-Fernandez : Pacífico BLEUE USAGE DE L’ART ? 17 › 20 mars 21 › 24 avril Clémence Weill Antoine Franchet Mohamed El Khatib : La Dispute Coraline Cauchi Benoît Lambert FESTIVAL WET° JEANNE DARK Boris Charmatz : La Ruée quand tout le monde a tout gâché 24 › 25 nov Jean-Charles Massera 25 › 28 mars Marion Siéfert — 26 › 28 jan 18 › 21 mai LA RÉPONSE REGARDS PAGE 10 DES HOMMES MONUMENTS ÉCHO Simon Senn : Echelle Humaine - Be Arielle F. Tiphaine Raffier HYSTÉRIQUES Vanasay Clément Poirée : A l'abordage ! 2 › 4 déc Vanasay Khamphommala 28 › 30 jan Khamphommala 22 › 24 juin et que tout est perdu, Nathalie Béasse : Aux éclats... Julien Prévieux : La Valeur de la vie — RETOUR SUR PAGE 12 mais que le jour se lève Wilfried Wendling : FAKE Emmanuel Demarcy-Mota : Les Sorcières de Salem — et que l’air quand même se respire ? SUISSE PAGE 14 Festival Images Vevey Trân Tran : HERE & NOW Eric Devanthéry : Trois minutes de temps additionnel Cela s’appelle l’Aurore, mademoiselle. » — TRIBUNE PAGE 16 écouter pour voir : malte martin/vassilis kalokyris Théâtre en danger, théâtre dangereux — LIVRES PAGE 18 Julia Kerninon : Liv Maria Achille Mbembe : Brutalisme — REPORTAGE PAGE 19 Festival Le Chaînon Manquant création Pascal Rambert – Arthur Nauzyciel septembre – octobre création Frédéric Fisbach 2020 septembre – octobre Biennale de Venise, Festival d’Edimbourg, Mladi Levi Festival (Ljubljana), Zürcher Theater www.iogazette.fr Spektakel (Zürich), International Festival Theater (Pilsen), Bitef (Belgrade), Tbilisi Interna- tional Festival of Theater (Géorgie), MESS (Sarajevo), Romaeuropa (Rome), Interferences (Cluj), Drama Festival (Budapest), Isradrama (Tel Aviv), Boska Komedia (Cracovie), Ge- Wajdi Mouawad nève Danse, Mala Inventura(Prague),Kunstenfestivaldesarts(Bruxelles),Festival TransAmé- novembre riques (Montréal), Festival d’Almada (Lisbonne), Biennale de danse (Lyon), Francophonies du Limousin (Limoges), Festival d’Automne de Paris, Festival des Arts de Bordeaux, Les Boréales (Caen), Festival Parallèle (Marseille), Vagamondes (Mulhouse), Suresnes Danse, création Faits d’hiver (Paris), Vivat la danse ! (Armentières), Dijon Danse, Les Rencontres de la forme courte (Bordeaux), Reims Scènes d’Europe, DañsFabrik (Brest), Etrange Cargo (Paris), Festival MARTO ! (lle-de-France), Festival SPRING (Normandie), Théâtre en mai Simon Falguières (Dijon), Latitudes Contemporaines (Lille), Les Nuits de Fourvière (Lyon), Printemps des novembre – décembre Comédiens (Montpellier), Festival de Marseille, Montpellier Danse, Festival d’Avignon, Fes- tival d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Rencontres photographiques d'Arles, Mousson d'été (Pont-à-Mousson), Theatre Olympics (Wroclaw), NEXT (Hauts-de- France), Swiss Dance Days (Genève), En Marche (Marrakech), Festival d'Abu Dhabi, Oslo Internasjonale Teater- festival, Golden Mask (Moscou), Budapest Spring Festival, BoCA Bienal (Lisbonne), Mettre Wajdi Mouawad en scène (Rennes), Swedstage (Stockholm), Actoral (Marseille), SIFA (Singapour)... décembre Depuis sa création en 2015, jeune public I/O Gazette a couvert plus de 270 festivals à travers le monde. Simon Falguières décembre www.colline.fr 15, rue Malte-Brun, Paris 20e métro Gambetta
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — 4 octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR ’Automne Festival d LE GRAND INQUISITEUR TEXTE D'APRÈS FÉDOR DOSTOÏEVSKI / MISE EN SCÈNE SYLVAIN CREUZEVAULT À L'ODÉON, THÉÂTRE DE L'EUROPE JUSQU'AU 18 OCTOBRE « Un objet scénique autonome : une vertigineuse parabole sur la liberté qui se prête à une grande variété de traitements. » TIBI DABO — par Mathias Daval — Poutre faîtière de tout l’édifice romanesque dostoïe- a deux ans le Stepane Verkhovenski des « Démons ») et dans l’obscurité, Jésus reste muet. Il y a dans l’acte, écri- vskien, la séquence dite « du Grand Inquisiteur » est une des saynètes burlesques – et un peu lourdingues – autour vait Musil, un pessimisme grandiose à l’égard des paroles : réflexion dialectique abyssale sur la théodicée. Après des caricatures de Trump, Staline ou Thatcher, apporte le silence du Christ est celui de l’Agneau-Verbe dont on « Les Démons », Sylvain Creuzevault poursuit son explo- un commentaire désordonné mais revigorant sur l’état ne peut rien retrancher ni ajouter à la parole émancipa- ration théâtrale intello-farcesque de l’âme humaine. du monde actuel. Comme à son habitude, Creuzevault trice. Creuzevault laisse en suspens les conséquences de D ne cherche pas à dénouer les fils, mais à proposer un la- la construction de cette seconde tour de Babel, promesse ans l’un des plus importants commentaires boratoire scénique expérimental, peut-être plus précis et fallacieuse de rédemption par la réunification des langues, sur l’œuvre de Dostoïevski, Nicolas Berdiaev épuré qu’à l’accoutumée, mais acculant volontairement le non pas dans le Verbe édénique, mais dans une Parole résume sans équivoque : « L’apparente huma- spectateur à cet « excès de conscience » que Dostoïevski dévoyée, creuse, fausse. En insufflant du dostoïevskisme nité, liberté et unité des hommes cache le mal voyait comme une maladie – traduit ici par le « Penser est dans son théâtre, le metteur en scène prolonge la réflexion du futur, un mal complexe et définitif, mais non moins fondamentalement coupable » de Müller. de Freud sur la grande trilogie parricide – « Oedipe-Roi », visible. Ce mal final, le plus séduisant, prend l’apparence « Hamlet » et « Les Frères Karamazov » –, qui n’est autre du bien. » Cette apparence trompeuse est bien entendu qu’une tentative de résoudre l’absence de Dieu. Le théâtre celle de l’Inquisiteur, qui ouvre la pièce en une longue Vision de la rédemption de Creuzevault est toujours polymorphe et brouillon, mais séquence étonnamment néoclassique pour Creuzevault, toujours tout aussi indispensable comme affirmation du privilégiant d’abord l’esthétisme scénographique et la Le Grand Inquisiteur lui-même (excellente interprétation pouvoir de la pensée dans l’acte politique. Et, assurément, fidélité aux mots des « Frères Karamazov ». C’est dans palpatinienne de Sava Lolov) est sur le fil entre l’évocation porteur d’une vision de la rédemption qui offre un contre- un deuxième temps que la transposition politique, par satanique, celle de la tentation du désert, et une incarna- point salutaire au défaitisme de l’histoire. un entrelacement entre une herméneutique portée par tion luciférienne et pourvoyeuse de connaissance. Face à Heiner Müller (joué par Nicolas Bouchaud, qui était il y ces avatars qui semblent servir un mauvais démiurge tapi « Le Grand Inquisiteur » © Simon Gosselin FOCUS ’Automne Festival d SOPRO TEXTE ET MISE EN SCÈNE TIAGO RODRIGUES THÉÂTRE 71 (MALAKOFF) LES 7 ET 8/10, THÉÂTRE JEAN-VILAR (VITRY-SUR-SEINE) LE 10/10, POINTS COMMUNS (CERGY) LE 13/10, ESPACE 1789 (SAINT-OUEN) LES 15 ET 16/10 (Vu au festival d'Avignon en juillet 2017) « Une profonde révérence à l’art dramatique et aux personnes qui l’animent. » THAUMATURGIE THÉÂTRALE — par Jean-Christophe Brianchon — Sur le plateau vide d’un théâtre des Carmes mort noyé passée dans le noir à veiller à ce que jamais le fil du rêve se faire le passeur de cette idée, car s’il est bien une chose sous les décombres d’une réalité destructrice, Tiago Ro- ne se brise. Car c’est bien cela que Cristina Vidal incarne : qui apparaît certaine, c’est que le dramaturge portugais drigues propose à son public de prendre le temps pour la posture d’une souffleuse devenue Charon des eaux du n’est pas atteint de ce que Barthes nommait étrangement mieux le voir : de « refuser le chahut du monde » pour, Styx en charge de ramener les acteurs titubants des rives « trouble du langage » pour parler de l’impossibilité qui peut-être, « rester en vie ». du réel dégradant à celles ensoleillées de la fiction qui nous étrangle parfois lorsque nous tentons d’exprimer M nous lie. Ce faisant, c’est alors toute une idée du théâtre une émotion. Ici, tout est émotion et nous ramène à l’es- ais comment cela est-il seulement possible qui s’affiche sur la scène : celle qui veut faire de lui cet art sentiel : la vision d’un théâtre qui résonne comme « l’appel de croire à ce point en la capacité d’un art impalpable et pourtant indispensable qui nous maintient au dehors » dont parlait Blanchot. « Un dehors qui ne soit de soigner les maux du monde ? Comment hors du chahut du monde pour nous laisser rêver en la ni un autre monde, ni un arrière monde », mais le monde croire avec autant de force qu’avec quelques possibilité d’autre chose. dans lequel nous voulons vivre, tout simplement. Et alors, vers déclamés sur une scène il sera possible de contrer quel est ce monde ? Un endroit sans la maladie du temps, toute la marche de ce temps qui écrase les âmes et tue les nous raconte cette pièce. « J’organise une sculpture hommes ? C’est impensable et c’est pourtant bien ce que Vous vous souviendrez de tout comme on soigne un malade », disait Louise Bourgeois. Tiago Rodrigues nous dit à longueur d’histoires, alors qu’il A sa façon, Tiago Rodrigues s’inscrit alors dans ses pas, ne cesse par son œuvre de démontrer qu’à défaut « d’ai- Vision assez classique, somme toute, mais que Tiago quand au fil de ses pièces s’affiche peu à peu la volon- mer les choses tant qu’elles existent », il reste possible de Rodrigues parvient à incarner mieux que jamais dans « té qu’il a de guérir le monde de cette plaie suintante de contrer l’oubli par l’émergence d’un souvenir constructif Sopro » tant il assume sa position de thaumaturge mys- l’histoire qui barre son visage ; il fait œuvre de prophétie qui jamais ne se confond avec la nostalgie. C’est donc ici tique à mesure que le bruit du vent s’empare des murs quand il fait dire à Cristina Vidal cette phrase aussi sublime ce qu’il fait une fois de plus, alors que sur scène s’avance effrités de ce cloître du XIIIe siècle. Par ses mots, il affirme que désespérante : « Vous vous souviendrez de tout. » la trouble silhouette de cette femme-souffleuse et que effectivement non seulement sa croyance en la possibilité « Sopro » © Filipe Ferreira devant nous se tisse l’histoire de sa vie. De cette vie du théâtre de soigner les âmes, mais aussi sa capacité à
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — 6 octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR SAISON GWENAËL MORIN / PHILIPPE QUESNE LÉA DROUET ANTONIN ARTAUD FARM FATALE + L’EFFET DE SERGE VIOLENCES 2020 LE THÉÂTRE ET SON DOUBLE ↓ Festival d ’Automne PLEASANT ISLAND 2021 MILO RAU FAMILIE BORIS CHARMATZ / TERRAIN AATT ENEN TIONON TEXTE ET MISE EN SCÈNE SILKE HUYSMANS & HANNES DEREERE THOMAS SCIMECA, THÉÂTRE DE LA VILLE (ESPACE PIERRE-CARDIN) DU 13 AU 18/10 (Vu à Actoral, Marseille, en septembre 2020) ANNE-ÉLODIE SORLIN & MAXENCE TUAL FRANÇOIS CHAIGNAUD « Une performance théâtrale et documentaire qui, depuis un territoire géographique, JAMAIS LABOUR N’EST TROP PROFOND & AKAJI MARO sonde les symptômes économiques et sociaux d’un système globalisé. » GOLD SHOWER ITINÉRAIRE D'UNE ÎLE GUILLAUME AUBRY GISÈLE VIENNE / MEG STUART / — par Mariane de Douhet — QUEL BRUIT FAIT LE SOLEIL LORSQU’IL SE COUCHE À ROBERT WALSER THÉO MERCIER DAMAGED GOODS CASCADE L’HORIZON ? L’ÉTANG & STEVEN MICHEL C’est l’histoire de la petite île de Nauru, minuscule État rallèles, délicatement en retrait, les deux metteurs en scène, parallèle qui justifie encore un peu plus le dispositif. C’est en BIG SISTERS situé au large de l’Australie, île-confetti du Pacifique munis du téléphone correspondant, en pianotent active- se présentant comme artistes, cherchant à enquêter pour de 21 km2, d’à peine 14 000 habitants, ancien éden ment le clavier, scrollent l’écran, cliquent frénétiquement, les besoins d’un spectacle, et non comme journalistes, que ESZTER SALAMON JONATHAN CAPDEVIELLE, tropical rendu richissime par ses gisements de phos- lancent des enregistrements audio, vidéo, remontent leurs les Bruxellois sont parvenus à s’engouffrer dans la brèche MONUMENT 0.6 : HÉTÉROCHRONIE / PALERMO BERTRAND MANDICO ARTHUR B.GILLETTE 1599 – 1920 CONAN LA BARBARE phate puis devenu chaos dévasté, couvert de terres fils WhatsApp. Autant de menus gestes digitaux, à la fois de l’île, verrouillée médiatiquement. Nous sommes devenus & JENNIFER ELIZ HUTT incultivables, d’obèses diabétiques et de réfugiés re- hyperactifs et ultrarapides, par lesquels le spectacle se des fonctions de nos téléphones, mais nos téléphones fonc- GRAPHISME → FRÉDÉRIC TESCHNER / LISA STURACCI LES BONIMENTEURS foulés par l’Australie. déploie, racontant, par et à travers l’écran, ce qu’est la vie, tionnent aussi pour nous, pour saisir une parole toujours ELVIRE CAILLON FRANÇOIS-XAVIER D aujourd’hui, à Nauru. plus vive, immédiate, proche de celui qui l’émet : éléments ROUYER e la gloire économique dans les années 1970 de proximité plus que distance, les écrans rectangulaires VIMALA PONS & LÉONARD MARTIN LA POSSESSION (des habitants, les Nauruans, parachutés nababs témoignent physiquement de la limite imposée au point de LE PÉRIMÈTRE DE DENVER TEMPURA COCKPIT MARLÈNE SALDANA à la suite de la nationalisation minière, gavés de Utopies déchues vue, pour qui « veut voir Nauru » : images floutées, prises & JONATHAN DRILLET SHOWGIRL royalties, exemptés de taxes) au mégacrash des sur le vif à travers une vitre de voiture, etc. – habillées par CHRISTOPH MARTHALER / années 2000 : mines à sec, sols stériles, dépotoir pour Le contraste entre les artistes, mutiques, et le foisonnement instants, pendant le spectacle, par des sons électroniques à DIETER ROTH argent sale, l’île est un bouge postcolonial où, sans res- du téléphone est vertigineux : pas besoin de faire des spec- la fatalité mélancolique. C’est le génie du montage qui fait BRUNO LATOUR DAS WEINEN (DAS WÄHNEN) EL CONDE DE TORREFIEL sources propres, les habitants importent tout en attendant tacles à thèse sur la prééminence de la technique dans nos de « Pleasant Island » un document hallucinant à la forme & FRÉDÉRIQUE AÏT-TOUATI LOS PROTAGONISTAS PHOTO → ADELAP VIRAL de croupir au milieu des « pinacles » – ces gisements de vies, il suffit de laisser parler nos téléphones, porte-voix du inédite, entre performance et documentaire. Les utopies phosphate asséchés qui ressemblent à des termitières réel plus véritables que le récit qu’on en fait, témoins aux mul- déchues ont par définition toujours quelque chose de fas- JULIA LANOË géantes calcifiées. C’est le récit ahurissant de cette gloire tiples supports (vocal, vidéo, écrit). À la surface de l’écran, cinant : Nauru incarne ce lieu d’élection et de damnation. CARTE BLANCHE puis décadence économique vécue par l’île que reconsti- une multiplicité de fenêtres et d’applications – toujours plus « Pleasant Island » recueille la parole d’un peuple otage tue le duo bruxellois formé par Silke Huysmans et Hannes d’ouvertures vers des fonctionnalités qui pullulent. Derrière de sa propre histoire, celle d’une gestion politique catas- Réservations / informations pratiques → nanterre‑amandiers.com +33 (0)1 46 14 70 00 Dereere, en explorant avec brio les possibilités narratives l’écran, une claustration totale : celle des données dans le trophique de ses richesses minières. Captivant comme la du smartphone : c’est à celui-ci que les deux metteurs téléphone, des habitants de Nauru sur l’île (des « autoch- rencontre hyperréaliste sur un écran de smartphone du en scène laissent, respectivement, le rôle principal, deux tones » comme des réfugiés – ceux que l’Australie refuse naufrage néolibéral et des cocotiers. écrans centraux à taille humaine occupant le plateau. Pa- et parque sur l’île en l’échange de quelques subsides). Un FOCUS theatredelacite.com ’Automne Festival d PACÍFICO TEXTE ET MISE EN SCÈNE LAIDA AZKONA GONI & TXALO TOLOZA-FERNANDEZ THÉÂTRE DE LA VILLE (ESPACE PIERRE-CARDIN) DU 6 AU 8/10 « Une forme originale d’art politique, qui démêle, sous les yeux du public, l’histoire complexe de l’Amérique latine. » CAPITALISME ET SCHIZOPHRÉNIE — par Pascaline Défontaines — THÉÂTRE n 4 > 19 DÉCEMBRE Avec trois spectacles, le premier, « Extranos Mares Arden », créé en 2014, le deuxième, « Tierras del Sud », conte la construction du Teatro Amazonas), occupent un large écran en fond, alors que les deux interprètes, tour à l’émoi suscité par les incendies des années 2000 et de la seconde moitié du xxe siècle. Bien que les deux ar- Tropique de la violence en 2018, et le dernier, « Teatro Amazonas », sorti cette tour, incarnent les différentes voix de l’histoire du Brésil. tistes prennent position (ils s’abstiennent, et avec beau- année, Laida Azkona Goni et Txalo Toloza-Fernandez, La narration est profondément polyvoque, retraçant la coup d’humour et d’intelligence, de rester « neutres » ou formés l’une à la danse et l’autre à la vidéo, explorent complexité de l’Histoire (avec sa « grande hache ») colo- « objectifs »), les différents médiums utilisés et les diffé- à travers cette trilogie intitulée « Pacifico » l’histoire niale. Les deux comédiens dessinent au fur et à mesure le rentes opinions exprimées rendent compte des entrelacs coloniale de l’Amérique latine. fleuve Amazone avec des bandes de scotch rouge, puis temporels et culturels qui font l’histoire et la mémoire. Alexandre Zeff L TEXTE DE Nathacha Appanah des villes. Un paysage se construit sous nos yeux : celui C’est compliqué. Mais cette œuvre transmédia, entre a dernière création en date, « Teatro Amazonas », terrible de l’hubris capitaliste. « Notre geste politique, installations, vidéos et témoignages, n’évite pas l’écueil nous conte l’histoire du Brésil de Christophe c’est de poser des questions », affirment-ils dans un en- du rapport « catalogue », où se mêlent une multitude de Colomb à Bolsonaro, sur fond de critique acerbe tretien réalisé par Yaël Kreplak en avril 2020. récits et d’informations auditives et visuelles qui peinent Cette adaptation bouleversante retrace du capitalisme étatique. « Teatro Amazonas » à se vivre comme un ensemble cohérent, et à justifier le le parcours d’un jeune orphelin de Mayotte se noue autour du lieu éponyme construit à Manaus, médium scénique. au cœur de la forêt amazonienne, à la fin du xixe siècle. Hubris capitaliste qui tombe dans les filets d’une petite frappe, Plus qu’une mise en abyme, la présence narrative de ce roi autoproclamé d’une microsociété théâtre dans la pièce devient le noyau – l’épicentre – du Ce « théâtre documentaire » interroge ce qui a construit d’adolescents livrés à eux-mêmes. 17, bd Jourdan, Paris 14 récit ou des récits historiques. Les différents rushes de le Brésil contemporain. Les deux artistes montrent bien tarifs de 7 à 23 € Txalo Toloza-Fernandez, capturés sur place, certaines qu’au cœur de cette forêt « poumon de la planète », avec le soutien de la Fondation OCIRP réservations 01 43 13 50 50 images d’archives ainsi que des extraits de « Fitzcarral- l’Amazonie, vient se jouer le destin de nos imaginaires do », d’Herzog (lui-même tourné en Amazonie, et où il ra- et de certaines de nos luttes politiques ; en témoigne
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — 8 octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR ’Automne Festival d LA DISPUTE TEXTE ET MISE EN SCÈNE MOHAMED EL KHATIB / ESPACE 1789 (SAINT-OUEN) LES 7 ET 8/11, LA FERME DU BUISSON LE 15/11, POINTS-COMMUNS (CERGY-PONTOISE) DU 19 AU 21/11 (Vu au Festival d'Automne en 2019) « Façonnée par le prisme de l’enfance dès son écriture, cette nouvelle fiction évolue sur un fil ténu entre audace et pudeur, émotion et espièglerie. » LE TRIBUNAL DES ENFANCES DÉÇUES — par Jean-Christophe Brianchon — Sur le chemin de son œuvre, Mohamed El Khatib revient autre état de fait, plus large et cher à Mohamed El Khatib, le plateau évoluent trois filles et trois garçons à qui rien et fait encore une fois de la représentation ce fil qui relie que nous sommes invités : celui de la certitude menson- de leur enfance n’est volé, puisque aucune de leurs mi- le théâtre à nos vies. Un instant qui nous mène au cœur gère qui nous habite de mener la « vie bonne » quand miques ni de leurs expressions de gamins n’est gommée d’une souffrance majeure : celle de nos enfants. autour de nous les âmes de nos enfants pleurent les men- pour faire d’eux ce que le théâtre et son spectateur se- A songes que nous leur imposons. Des mensonges qui ne raient supposés vouloir : des marionnettes au service lors il y a la bienveillance, évidemment. Cette couvrent qu’une seule vérité, pourtant acceptable : celle d’une cause d’adultes sachants. « C’est ma vie », nous dit bienveillance caractéristique du regard d’un de deux parents qui ont cessé de s’aimer. un des jeunes comédiens présents sur le plateau en nous metteur en scène qui travaille à transformer regardant droit dans les yeux. Et c’est exactement ce le théâtre en miroir d’une réalité qu’il espère qu’affirme avec douceur cette pièce pourtant violente sur parvenir un jour à faire mentir. Mais il ne faut pas se mé- « On ne vous en veut pas » le fond : la vie de nos enfants n’est pas la nôtre, mais nous prendre. Comme souvent chez Mohamed El Khatib, l’im- pouvons l’impacter lourdement si nous ne respectons portance qu’il accorde à son sujet l’oblige à faire de son Et c’est ici que la proposition de Mohamed El Khatib pas notre plus grand devoir à leur égard, qui n’est autre public le coupable d’une situation qu’il vient régler sur le trouve son sens le plus juste : redonner à l’enfant la place que de respecter leur intelligence. Une intelligence qui plateau. Il ne faut donc pas se laisser bercer par ce décor d’individu plein et entier qu’il mérite. Cette place, le résonne fort aux derniers instants du spectacle, quand en Lego qui s’offre à nous : les six enfants qui s’apprêtent metteur en scène l’affirme même triplement : une pre- ces enfants qui viennent de nous condamner s’apprêtent à nous parler une heure durant ne sont plus des adultes mière fois quand il questionne la bêtise de ces parents à faire preuve de l’humanité dont nombre des adultes qui en devenir, mais déjà les juges d’une souffrance dont ils incapables de dire à leurs enfants la séparation du couple constituent leur public ne seraient pas capables en cas de Domaine de Grammont sont les victimes – celle d’avoir eu à vivre la séparation de qu’ils formaient. Une deuxième en faisant de sa pièce un conflit. Une humanité qui leur fait dire ces mots simples, Montpellier réservation : 04 67 99 25 00 leurs parents. Une séparation deux fois fautive, puisque geste « tout public », démontrant à cet instant l’absence mais essentiels pour un théâtre dont l’objectif n’est pas www.13vents.fr au-delà de notre incapacité à rendre heureux les enfants d’une barrière qui séparerait l’intelligence de l’enfant de d’enflammer le monde, mais bien plutôt de l’apaiser : confrontés à cette douleur, c’est aussi au jugement d’un celle de ses parents. Et enfin une troisième, alors que sur « On ne vous en veut pas. » FOCUS ’Automne Festival d LA RUÉE REPRENDRE SES DROITS CHORÉGRAPHIE BORIS CHARMATZ / MC93 RIRE DE RÉSISTANCE / SAISON 14 (Vu au Théâtre National de Bretagne en 2019) « Un chaos historique, dansant, criant, vacillant : une ruée. » ! Z-VOUS L'HISTOIRE À LA CRIÉE ABONNE JEAN-MICHEL RIBES TANIA DE MONTAIGNE GILLES COHEN — par Timothée Gaydon — SWANN ARLAUD ANNE BEREST LOLITA CHAMMAH Se ruer pour sortir, afin d’éviter les atermoiements lar- gnac, et assez imparfaite pour briser la possibilité d’une rencontre hasardeuse avec les interprètes et par là même ALÉVÊQUE MARC FRAIZE CHRISTINE MURILLO CHRISTOPHE ALÉVÊQ moyants, les nostalgies surjouées et les rétrospectives norme. Acte I : la lumière. Avec l’installation d’Yves Godin, avec les dates et les événements. L’histoire se soulève et pétrifiantes, voilà le programme envisagé par Boris Char- la lumière signale la décomposition d’un mythe français et le visiteur se met d’accord avec le principe d’une histoire MICHA LESCOT PANAYOTIS PASCOT PIERRE RIGAL VINCENT ROCA matz il y a deux ans pour achever sa résidence au Théâtre dit l’entrée dans une histoire qui ne peut plus être limpide. agitée, et parfois convulsive. Acte III : le temps, dernier JEAN-CLAUDE GRUMBERG VICTORIA CHAPLIN national de Bretagne, à Rennes, ville qui aura vu émerger Cette histoire refuse toute clairvoyance, manière là de cli- acte de cet arrangement chorégraphique. La lumière et chez elle, entre autres, le revigorant musée de la Danse. gner de l’œil en direction de Barthes et de sa définition du le mouvement contribuent alors à la reconfiguration du JEAN-BAPTISTE THIERRÉE JEAN-LOUIS MARTINELLI CHRISTINE CITTI SARA GIRAUDEAU MARIE-SOPHIE FERDANE A mythe ; ce mythe-là qui nous plonge dans « un monde étalé temps, historique comme chorégraphique. Le temps his- mateur d’archives, praticien iconoclaste de l’es- dans l’évidence », lequel « fonde une clarté heureuse [où] torique se doit d’être compris comme un temps subjectif, pace muséal, le chorégraphe ne pouvait trouver les choses ont l’air de signifier toutes seules ». Ce soir, le la disponibilité du visiteur indique sa présence désirante MARIE NDIAYE JEAN-CLAUDE GALLOTTA RODOLPHE BURGER mieux qu’en la personne de Patrick Boucheron mythe s’effrite, l’histoire refuse la clarté et le discernement, dans l’histoire. Le tracé aléatoire de notre errance dessine OUSMANE SY SALOMÉ LELOUCH ALEX LUTZ et en son « Histoire mondiale de la France » les qui relèvent d’un défaut de pensée. Nous est raconté en une nouvelle frise chronologique, celle d’une histoire de ARNAUD MEUNIER ANNE BROCHET PHILIPPE TORRETON moyens de signifier son départ, rameutant nombre de pro- amorce qu’il n’y aura de visible que des faisceaux de savoir. la France singularisée par le mouvement et par la danse, blématiques qui lui tiennent à cœur. Boucheron et Char- hasardeuse et meuble. Quittant la pénombre pour re- ALICE ZENITER LAETITIA CASTA ALESSANDRO BARICCO matz sont, au demeurant, deux chorèges qui dirigent des joindre la nuit, le spectateur aura le temps de réfléchir à PIERRE NOTTE DANIEL PENNAC DENIS LAVANT… voix diverses et qui les établissent dans une architecture Amas de poésie et de forces virulentes l’esthétique composite qu’il a arpentée, aux arcanes qu’il contemporaine, occupant la France comme un territoire a visités. La somme des gestes vus et des paroles enten- nouveau. Libre qu’il était, le visiteur construisait sa visite Acte II : le mouvement. Le manque de lumière entraîne de dues lui reviendra alors aléatoirement, amas de poésie, de au gré des rencontres. Mais ce visiteur était-il spectateur facto l’errance, la découverte des propositions au rythme forces virulentes et d’angoisses. À l’heure d’une histoire ou citoyen ? À lui de trancher. « La Ruée » met en exergue, d’un pas à pas. La déambulation recouvre alors une pra- qui renoue avec l’idée même de chaos, d’éclatement et de en les faisant jaillir, les enjeux historiographiques de tique historiographique mais aussi chorégraphique chère dissémination – au temps où de nouvelles formes de mani- l’œuvre de Boucheron et par là même ceux de Charmatz en nous présentant une tragédie en trois actes, volontai- à Charmatz : le sujet se déplace en même temps que l’his- toire se meut. En faisant le choix – contraint ? – de l’er- festation surgissent –, « La Ruée » sonne particulièrement juste et l’on s’en réjouit. RÉSERVATIONS 01 44 95 98 21 — THEATREDURONDPOINT.FR rement insoumise aux règles classiques de l’abbé d’Aubi- rance, le spectateur accepte la sortie du sentier battu, la
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — — LA GAZETTE DES FESTIVALS — 10 octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR AUX ÉCLATS... CONCEPTION ET MISE EN SCÈNE NATHALIE BÉASSE THÉÂTRE DE LA BASTILLE JUSQU'AU 8/10 LA HALLE AUX GRAINS (BLOIS) LES 12 ET 13/11, LE 24/11 À L'ESPAL (LE MANS), THÉÂTRE SORANO LES 15 ET 16/12 (TOULOUSE) « Le plateau devient le lieu où les forces de la nature se manifestent et se déchaînent. » À L’ABORDAGE ! UNE JOIE DE PLANTE — par Pierre Lesquelen — LA VALEUR DE LA VIE L TEXTE EMMANUELLE BAYAMACK-TAM e comique absolu dont parlait sans le savoir encore, notre mystère Avec les détritus du théâtre, velours en novembre 2019) résonne bien sûr MISE EN SCÈNE CLÉMENT POIRÉE Baudelaire resurgit toujours le plus joyeux. Pas cette mécanique verts maudits et projecteurs cabossés, en ces temps trop sombres comme CONCEPTION JULIEN PRÉVIEUX THÉÂTRE DE LA TEMPÊTE, JUSQU'AU 18/10 des gravats. Deux ans après que disséquait Bergson. Pas ce miroir le trio ravive cette magie clocharde une heureuse transgression. Mais dé- THÉÂTRE DE LA CITÉ INTERNATIONALE DU 11 AU 12/03 2021 le souffle en ruines de Tiago vivant oxydé par les tiques, les rides, chère à Nathalie Béasse. Leur fantaisie barrassé de sa démagogie et de ses (Vu au Festival Actoral, Marseille, Théâtre Joliette, en septembre 2020) « "À l’abordage !" ou comment conquérir son désir et gagner sa liberté. » Rodrigues, le théâtre de la Bastille est les grimaces, humilié par les bananes brechtienne, qui exhibe toujours ses prétentions résistantes, le rire totale- cette fois en travaux. Nous n’entendons glissantes. Mais cette chose enfantine, merveilleuses ficelles, est faite d’in- ment incontrôlable qu’il provoque sans « L'envers de la médaille numérique et les effets de la quantification sur PLUS D’AMOUR, ET PLUS DE PÉTRISSAGE plus le bruit des arbres qui tombent « analogue au balancement de queue termèdes illusionnistes, de tableaux interruption n’a rien d’une réparation, nos corps et nos vies, à travers une performance documentaire, mais celui des scies sauteuses, qui des chiens », comme disait Charles. surréalistes, de pantomimes British. d’un baume collectif. Il n’est qu’une partition textuelle et chorégraphique. » — par Pierre Lesquelen — L s’activent pour une représentation Cette énergie inutile, vaine et humaine N’en dévoilons pas davantage. Tout énigme enfantine, une mécanique du e quadrifrontal, élaboré par l’actualisation, quand elle n’est qu’un jeu future. La scène se couvre de poussière qu’est le rire lorsqu’il est éclaté. Trois doit rester apparition. Un détail tout de trouble, un tremblement de la matière. Erwan Creff pour les circons- d’échos trop lâche avec le présent. La blanche, ou peut-être du talc d’un clown d’entre nous (Étienne Fague, Clément même : si un coussin péteur est déposé Le propre d’un homme qui se reconnaît PARCE QUE JE (NE) LE VAUX (PAS) BIEN — par Mariane de Douhet — Q tances, fait du spectateur un ma- sage communauté masculine, qui aurait fantôme. Et nous, dans notre fauteuil, Goupille et Stéphane Imbert), petits sur votre siège, vous serez le premier enfin. Tout cela sous l’apparence d’une rivaudeur averti. Comme souvent pu incarner toutes les retraites utopiques attendons que quelqu’un se montre, fonctionnaires cartoonesques aux à en rire. Car à l’école des éclats, on blague trop grossière, ou d’un masque (de « La Dispute » de Vincey au « Jeu de (et parfois rétrogrades) des hommes que quelque chose démarre. Il n’en sera cravates disgracieuses, finiront par éradique toujours le jugement et la d’Halloween en mal d’amour. Crions u’elle est vilaine, notre époque chorégraphique, articulée autour de la l’amour » de Lambert), ce panoptique le contemporains, n’est ici qu’une confrérie rien. Car nous sommes venus chercher, occuper le plateau en toute impunité. malice. Le spectacle de Béasse (créé alors au miracle. de comptables, ce chiffrocène distance/proximité des corps ; le simu- transforme physiquement en laborantin caricaturale (emmenée par une fausse ingrat, ère du dénombrement lacre de laboratoire faussement scien- des cœurs. Dans cet extérieur-intérieur prude enguenillée qui n’emporte, dans maniaque où nous décomp- tifique ; le moment absurde (une sorte REGARDS judicieusement indéterminé, un jeune son flamenco libérateur, que des rires tons tout, nos pulsations cardiaques, nos d’empilement avec un balai dont on n’a liseur (puisé dans un tableau haloté de gênés). Quelques élans dialectiques plutôt amours, nos performances, le nombre de toujours pas compris le sens) ; le vernis Boucher) transparaît derrière des voiles bien vus (la peur de devenir un homme poulets sur terre – 52 milliards, et malheu- technologique (la captation numérique brechtiennes. La belle troupe de Clément social, le rejet des désirs électroniques…) reusement ce n’est pas le spectacle qui des corps en mouvement). Prévieux ’Automne Poirée (dont le plaisir frôle le cabotinage) donnent à la « secte » une profondeur nous l’apprend… Oui, nous sommes deve- pointe notre tendance à la quantophrénie met en avant deux jeunes comédiennes dramatique trop vite délaissée, dans un Festival d nus de cyniques calculettes, le cœur rem- aiguë, pathologie qui consiste à vouloir totalement épatantes : Elsa Guedj (récente cheffe de chœur chez Daniel Jeanneteau) troisième acte pseudo-shakespearien où les retournements artificiels étoupent ÉCHELLE HUMAINE – BE ARIELLE F. placé par des équations, évoluant dans un univers aseptisé et anonyme que la scéno- traduire systématiquement les phéno- mènes sociaux et humains en langage et Louise Grinberg. Elles seules font exis- tout vertige. Clément Poirée a le mérite graphie de « La Valeur de la vie » restitue, mathématique. Mais tant qu’à souligner ter, dans un micro à piles de karaoké ou de révolutionner sans préciosité la ges- CONCEPTION ET MISE EN SCÈNE SIMON SENN sans grande surprise. Les comédiens sont pour la millième fois la quantification de dans la coulée d’une moustache maquil- tuelle graveleuse de la farce, sans parvenir LAFAYETTE ANTICIPATIONS (Vu au Grütli, Genève, en janvier 2020) vêtus de combinaisons grises uniformi- nos vies, à interroger la pulsion d’équation lée, le trouble qui manque cruellement à à faire exister le corps féminin comme la sées ; ils parlent comme des machines ; qui nous traverse, pourquoi ne pas faire ce spectacle qui confond le tissage mari- chair sensible du drame. La faute peut-être « L’intrication inattendue entre image, sensualité, technologie, loi, psychologie et genre. » lorsqu’ils bougent, leur mouvement est un spectacle sur ce passionnant domaine vaudien avec la mécanique moliéresque, à Marivaux lorsqu’on l’attrape comme un quantifié en données numériques. La qu’est la métaphysique computationnelle, et le langage des cœurs avec la rhétorique dramaturge de la « rhétorique » (comme perte d’humanité peut-être ? Le problème qui entend démontrer logiquement l’exis- LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ D’ARIELLE ET DE SIMON des âmes. La fable de Marivaux, réécrite Emmanuelle Bayamack-Tam dans sa note de « La Valeur de la vie », c’est qu’on s’at- tence de Dieu ? Ou compter le nombre de — par Muriel Weyl — D avec Emmanuelle Bayamack-Tam, fait d’intention) et non comme un grand écri- tend à absolument tous les éléments de Haribo qu’il faut mettre bout à bout pour apparaître tous les écueils gênants de vain des langages. urant le Black Friday, Simon « sauf pour des actes sexuellement adressés. Toute réflexion morale, spiri- Web, dans l’appauvrissement globali- sa démonstration, en outre pas drôle : la faire le tour de la Terre ? Ou relire le texte achète au rabais sur Internet explicites », effacement de la frontière tuelle ou politique un peu approfondie sé de la pensée. Si Simon Senn est un critique, désormais classique, de la Start- des « Fondements de la métaphysique la réplique digitale d’Arielle. masculin/féminin. On s’attend à en qui découlerait de ces nouveaux habitus romantique, empathique, sensible, en- Up Nation et de son lexique ; l’esthétique des mœurs », où Kant distingue le prix et Il se met à utiliser et à habiter découdre visuellement et intellectuelle- est balayée. On aurait pu espérer qu’au thousiaste, il ne traite son propos ni en Ikea-esque déshumanisante ; la partition la valeur ? cette image féminine. Bouleversé par ment. Tristement, ni proposition claire moins l’émotion passerait, mais Senn poète ni en philosophe. Ces tentatives l’expérience, il veut retrouver l’ex-pro- ni poésie visuelle (sauf les trois minutes ne parvient même pas à partager son ratées sonnent comme un double échec, priétaire du scan et lui rendre certains que dure la danse jumelle sur scène « bouleversant coup de foudre » avec à la fois artistique et conceptuel. Si le des droits et rétributions dont elle s’est et sur écran) ni aucune fulgurance ne son nouveau corps féminin. Et c’est danger de perdre corps et âme guette délibérément privée. La promesse d’un parviennent jusqu’à nous. Seule languit sans parler des entretiens avec une – peut-être – le citoyen du xxie siècle, spectacle ouvert sur une pléthore d’ex- une longue déclamation linéaire d’un Arielle F. en chair et en os (soit filmée, un nouveau système de pensée doit cellentes propositions n’est jamais autant processus de recherche qui ne décolle soit en direct par portable interposé), être mis en œuvre. Il y a alors urgence trahie que quand l’artiste, non pas passe jamais vraiment. Scolaire dans son débit certes bonne fille, mais dont on ne tire à se confronter dans l’arène du théâtre à côté de son sujet, mais l’effleure. Le et son plat déroulé chronologique, la pas grand-chose. Navrés, mortifiés, à des propositions plus abouties. À sa concept contemporain idéal est pourtant proposition ne lève aucun lièvre. Si Senn nous sommes voués à être les témoins décharge, Senn a bien compris qu’il là, les thèmes de la nouvelle décennie aborde bien la question civile du droit, passifs de la platitude de leurs échanges. fallait en parler, et s’il a manqué son abondent, réalité virtuelle, achat en ligne l’immense sujet de la perte consentie Alors on bout d’impatience et on piétine but d’autres s’y colleront. Le sujet est de répliques digitales de corps humains, de l’image de soi et ses conséquences de frustration de voir le sujet se noyer devenu incontournable. utilisation sans limite du double scanné éthiques sont très superficiellement comme au centre du vide sidéral du FACILES. LE SIROP LAISSE DES NAUSÉES. IL NOUS FAUDRA CEPENDANT DÉFENDRE DES ŒUVRES
— LA GAZETTE DES FESTIVALS — 12 octobre 2020 WWW.IOGAZETTE.FR FAKE Théâtre Olympia CONCEPTION ET MUSIQUE ÉLECTRONIQUE WILFRIED WENDLING centre dramatique DU 13 AU 15/11 À L'ARCHIPEL (PERPIGNAN), NOUVEAU THÉÂTRE DE MONTREUIL LE 21/11 national de Tours cdntours.fr (Vu à la Canopée du Forum des Halles en mai 2019) « La pièce d’Henrik Ibsen, "Peer Gynt", librement (ra)contée, constitue la trame principale de ce spectacle. » — par Julien Avril — D ans l’atrium de la Canopée des Halles, milière humaine. Tendant son micro, Patrix inter- changer notre regard et d’aiguiser notre écoute j’enfile mon casque : des crissements pelle les passants, qui pensent avoir affaire à un au monde.rance un jeune homme, et son groupe d’abord, sons granulaires, bruits journaliste : « C’est quoi, être soi-même ? » « On d’amis acquiesce. Et ainsi la foule écrit, elle aussi, blancs entrecoupés d’extraits d’ac- n’est jamais soi-même, on ment tout le temps ! » la partition de cette pièce hybride et composite tualités radiophoniques… Ainsi démarre l’ouver- répond avec assurance un jeune homme, et son qui parvient à distance à nos oreilles. La musique ture de l’opus du directeur de la Muse en circuit groupe d’amis acquiesce. Et ainsi la foule écrit, électro-acoustique agit comme un sous-texte Wilfried Wendling, qui joue en direct à l’aide de elle aussi, la partition de cette pièce hybride et de base, un terreau émotionnel et intellectuel ses différents instruments électroniques. Puis composite qui parvient à distance à nos oreilles. complexe qui nous propulse dans une autre “il ne fera qu’une l’on distingue la voix d’Anne Alvaro, qui appelle : La musique électro-acoustique agit comme un dimension, une torpeur poétique proche d’un bouchée de moi” 29 sept › 8 oct « Abbi ! Abbi ! », écho à celle d’Ase appelant son sous-texte de base, un terreau émotionnel et in- degré supérieur de conscience. Tout est faux, Marie NDiaye fils dans les premières lignes de « Peer Gynt ». Le tellectuel complexe qui nous propulse dans une c’est vrai, mais alors tout est vivant, tout est pas- Jacques Vincey conteur Abbi Patrix, dissimulé on ne sait où au autre dimension, une torpeur poétique proche sionnant, tout est spectaculaire, et de l’homme milieu des vitrines, un micro à la main, répond. d’un degré supérieur de conscience. Tout est pressé à la famille qui mange tranquillement sa Commence alors un étrange voyage intérieur en faux, c’est vrai, mais alors tout est vivant, tout glace, chaque être qui traverse cet espace public RETOUR SUR écouter pour voir : malte martin / vassilis kalokyris extérieur, variations déambulatoires d’après le est passionnant, tout est spectaculaire, et de semble habité de la grâce d’un acteur sur le pla- premier acte de la pièce épique du dramaturge l’homme pressé à la famille qui mange tranquil- teau infini d’une dramaturge globale. Ce disposi- suédois, entre improvisations et saillies du texte lement sa glace, chaque être qui traverse cet tif est absolument brillant. « Fake, tout est faux d’Ibsen. Abbi Patrix se balade dans les allées espace public semble habité de la grâce d’un tout est fou » repose d’un seul coup de maître du centre commercial rénové, tantôt décrivant acteur sur le plateau infini d’une dramaturge toute une salve de questions que le théâtre est ce qu’il voit, lisant des affiches, des promotions, globale. Ce dispositif est absolument brillant. en nécessité de se poser aujourd’hui : sa pré- tantôt citant des extraits de « Peer Gynt », « Fake, tout est faux tout est fou » repose d’un sence dans l’espace public, son rapport aux nou- mettant à jour les problématiques posées par seul coup de maître toute une salve de ques- velles technologies, la place active qu’il accorde le drame d’Ibsen. Nous-mêmes nous laissons tions que le théâtre est en nécessité de se poser au spectateur dans l’élaboration et la réception aller à cette errance, cherchant à suivre de loin aujourd’hui : sa présence dans l’espace public, personnelle de l’œuvre, la réappropriation des le conteur et ses acolytes musiciens, les aper- son rapport aux nouvelles technologies, la place grands récits du répertoire, la musique comme cevant au détour d’un couloir ou remontant un active qu’il accorde au spectateur dans l’élabora- épicentre d’une dramaturgie… Il réaffirme la escalator. Nous lançons des regards complices tion et la réception personnelle de l’œuvre, la ré- mission indispensable du spectacle vivant : celle à nos camarades de jeu, dotés du même casque appropriation des grands récits du répertoire, la de modifier nos perceptions, de changer notre 13 LA d’écoute, formant tous ensemble une sous-caté- musique comme épicentre d’une dramaturgie… Il regard et d’aiguiser notre écoute au monde. gorie de cette population hétérogène du centre réaffirme la mission indispensable du spectacle commercial, une branche singulière de la four- vivant : celle de modifier nos perceptions, de N 14 LES SORCIÈRES DE SALEM U ÉDITION 15 2020 2e TEXTE ARTHUR MILLER / MISE EN SCÈNE EMMANUEL DEMARCY-MOTA I THÉÂTRE DE LA VILLE (ESPACE PIERRE-CARDIN) JUSQU'AU 10/10 T « La peste de la rumeur, des "post-vérités" – ici l’invasion de sorcières – ravage une ville qui bascule dans une pulsion puritaine, avec l’appui d’une cour de justice. » NOV — par Pierre Lesquelen — S i les œuvres montées par Emmanuel verbérer la crise des valeurs vertigineuse qu’elle du fantastique, par ses intermèdes gospeliens, Demarcy-Mota s’inscrivent dans une illustre, où « tous les faux-semblants » ne volent sa bande-son pleine de corbeaux et ses choré- « continuité d’interrogations » sur le jamais « en éclats ». Plus minimaliste que celle graphies possédées, le spectacle se donne lui- EMB rapport entre l’individu et la démence de ses précédentes productions, sans doute même à voir comme un « creuset » en ébullition collective, le directeur du théâtre de la Ville parce qu’elle est contrainte par la bonbonnière érigé contre « les facilités de lecture du monde ». DU s’attaque cette fois à une pièce autrement dia- étroite de l’Espace Cardin, la scénographie qu’il À force de tenir si serrées les contradictions, par lectique que sa dernière expérience camusienne bâtit avec Yves Collet a tout du « chaudron malé- un matériau scénique tellement prenant et com- (« L’État de siège »), se tournant vers le magi- fique » que représente pour lui la dramaturgie de pact qu’il en deviendrait presque divertissant, co-réalisme américain d’Arthur Miller, qu’il juge Miller, déclinant comme ils en ont l’habitude une Demarcy-Mota réussit-il à faire des « Sorcières trop peu représenté dans les théâtres français. boîte noire crépusculaire, ardoise ensorcelée par de Salem » un véritable échafaud analytique ? RE À l’heure où tous les classiques féministes rejail- la force déréalisante d’un tulle noir, de panneaux « L’art, comme la magie, consiste à manipuler les lissent sur les scènes parisiennes, et où la sor- mobiles et de découpes lumineuses, qui font symboles, les mots ou les images pour produire cellerie est redevenue une mythologie puissante apparaître et disparaître subrepticement per- des changements dans la conscience », écrivait CIRQUE pour interroger les représentations de la femme sonnages et espaces. Le lyrisme grand-guigno- récemment Mona Chollet, suggérant qu’entre 2020 dans la société (chez Chloé Delaume et Mona lesque de Demarcy-Mota se met judicieusement une scène ensorcelante et un sortilège purement Chollet, entre autres), « Le Creuset » (traduction à l’épreuve du réalisme noir de Miller, émoussant mystificateur il n’y a parfois qu’un pas, que De- du titre original, « The Crucible ») sonnait un peu l’emphase antipsychologique dont ses acteurs marcy-Mota, avec ses images mentales pleines comme un récitatif obligé, même si la mise en ont l’habitude (tous excellents une fois encore, de poupées vaudoues et de pieds pendus em- scène de Demarcy-Mota transcende intelligem- mention spéciale pour Grace Seri et Élodie Bou- poussiérés, ne franchit pas tout à fait. ment cette relecture circonstancielle pour ré- chez). Convoitant un sens quasi hollywoodien
Vous pouvez aussi lire