FÊTES GALANTES ROMANCES SANS PAROLES - précédé de POÈMES SATURNIENS VERLAINE - Flammarion
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FÊTES GALANTES ROMANCES SANS PAROLES précédé de POÈMES SATURNIENS VERLAINE Flammarion Extrait de la publication Texte intégral
FÊTES GALANTES ROMANCES SANS PAROLES précédé de POÈMES SATURNIENS VERLAINE Figure emblématique du poète maudit, Verlaine chante « sur Graphisme : Les Associés réunis / Illustration : Marion Tigréat / Photo : Philippe Cabaret ; © Flammarion un mode mineur » une poésie de l’évanescence dévoilant des sentiments toujours en demi-teinte. Littérature, musique et peinture s’entremêlent laissant apparaître, derrière l’amour galant hérité du libertinage, une mélancolie sans raison, la découverte d’un vide et d’un manque intérieur qui traverse toute son œuvre poétique : C’est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine, Mon cœur a tant de peine ! Cette édition reproduit les trois recueils dans leur intégralité. Le dossier complète la lecture par des écrits théoriques de Verlaine qui éclairent ses intentions poétiques. Il consacre un groupement de textes à la correspondance des arts (Baudelaire, Rimbaud, Proust, Mallarmé…), montrant l’influence qu’a exercée Verlaine sur le mouvement symboliste. Présentation et dossier par François-Xavier Hervouët Adaptation Studio Flammarion 3,20 € Prix France ISBN : 978-2-0812-1972-4 11-III P Flammarion Extrait de la publication
VERLAINE Poèmes saturniens Fêtes galantes Romances sans paroles Présentation, notes et dossier par FRANÇOIS-XAVIER HERVOUËT, professeur de lettres
La poésie dans la même collection Au nom de la liberté, poèmes de la Résistance BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal HUGO, De Napoléon Ier à Napoléon III (Poésies 2) HUGO, Enfances (Poésies 1) LA FONTAINE, Fables Poèmes de la Renaissance Poésie et lyrisme Poésie, j’écris ton nom © Éditions Flammarion, 2011. ISBN : 978-2-08121972-7 ISSN : 1269-8822
SOMMAIRE ■ Présentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 « Au vent mauvais » 9 Du romantisme au Parnasse : tradition et avant-garde 14 « Tout en chantant sur le mode mineur » 21 Le mirage de l’expression 28 ■ Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Poèmes saturniens 49 Fêtes galantes 129 Romances sans paroles 157 ■ Dossier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Questionnaire de lecture 191 Verlaine et l’art poétique 192 « De la musique avant toute chose » : la musique et les arts 205 Microlectures 218 Sujets d’invention, de commentaires et de dissertation 220
PRÉSENTATION « Au vent mauvais » Étrange destin que celui de l’œuvre verlainienne. Alors que toute la production de Rimbaud fait toujours l’objet de lectures et d’études, des premiers vers de l’enfant prodige aux fulguran- tes Illuminations, seuls quelques recueils et poèmes célébrissi- mes ont hissé Verlaine au panthéon de la poésie française, quand des pans entiers de son œuvre sont tombés dans un relatif oubli, si bien que les éditions préfèrent le plus souvent se concentrer sur les œuvres de jeunesse. Car l’œuvre verlainienne semble che- miner à rebours, ce que souligne par exemple Jacques Borel. À la différence de nombreux artistes, Verlaine aurait été d’emblée en pleine possession de son art, avant de renoncer aux chemins que lui-même avait frayés et de se retrancher dans une poésie bien plus « académique » : « Il chante presque d’emblée avec cet accent inouï qui est le sien ; […] tout ce qui fait la magie fragile et obsédante de l’art verlainien est là, presque totalement délivré et maîtrisé dès les Poèmes saturniens, s’exprime avec une extra- ordinaire liberté dans les Fêtes galantes et surtout les Romances sans paroles […]. À l’inverse de la plupart, le chant verlainien jaillit presque aussitôt dans sa limpidité et sa singularité, puis, à partir de 1876 environ, il s’embourbe et se perd, ne reparaissant plus ici et là qu’en fusées vite retombées 1. » Ainsi, le portrait s’est fixé 1. Verlaine, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 3. Présentation 9
d’un poète originellement talentueux, et qui, soumis aux aléas de la pauvreté, de l’alcoolisme, de la maladie, ainsi qu’aux tyran- nies de la production alimentaire, s’est survécu avec peine : les derniers poèmes seraient placés sous le signe d’une stérilité progressive. Cette vision date du vivant de l’auteur, dont les contemporains valorisent avant tout le poème « Art poétique », les recueils Fêtes galantes et Romances sans paroles, car ces tex- tes conjuguent spécialement l’expérimentation et l’innovation, la tradition et la modernité, et semblent les plus en phase avec les préoccupations des « avant-gardes » de l’époque. Certes, Verlaine fut tôt reconnu par ses contemporains : dès quatorze ans, il écrit à Victor Hugo qu’il a décidé d’embrasser « l’orageuse carrière de la poésie » et lui adresse quelques vers antibonapartistes 1 sous le titre « La Mort », qui inaugurent le thème de la malédiction, baudelairien mais aussi romantique, qui parcourt l’œuvre dans son entier. Ainsi Verlaine se choisit-il d’emblée un destin – celui du « poète maudit » –, dont les souf- frances et l’incompréhension sont le signe d’une élection. Pour lui, cette élection a bien pour contrepartie les errances et les souffrances d’une existence chaotique 2. Et, de fait, les éléments biographiques sont particulièrement parlants : amour inces- tueux pour Élisa Moncomble, dont se ressentent nombre de poèmes du recueil Poèmes saturniens, aventure homosexuelle avec Arthur Rimbaud, qui fournit l’arrière-plan de Romances sans paroles, mise au ban de l’administration après les événe- ments de la Commune de Paris, divorce avec Mathilde Mauté. 1. En 1858, Victor Hugo est en exil car il s’est opposé au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte et demeure un adversaire acharné de Napoléon III. Il est alors considéré comme le maître de la poésie romantique, et comme la figure de proue de la résistance républicaine. Il a notamment publié le recueil Les Châtiments (1853), satire féroce de celui qu’il appelle « Napoléon le petit ». 2. Voir aussi la chronologie, p. 35 à 47. 10 Verlaine
Même la conversion de Verlaine au catholicisme, à partir du recueil Sagesse, suppose aussi les revers de l’alcoolisme et de la pauvreté : au fil de sa biographie, c’est un homme dégoûté de lui-même que l’on découvre, dégoûté de son physique ingrat, rancunier et jaloux, capable d’une brutalité inquiétante vis-à- vis de sa femme, qu’il frappe quelques semaines avant la nais- sance de son unique enfant, mais aussi de sa mère, qu’il tente d’étrangler à plusieurs reprises. Ajoutons à cela la faiblesse et la violence dont il fait part dans son aventure avec Rimbaud : chantages au suicide pour faire revenir son amant, tentative d’assassinat qui lui valut un séjour en prison… L’homme a donc fait par sa vie beaucoup de mal au poète, par ce destin sombre qu’il s’est lui-même choisi et qu’il a lui-même construit. Or, être « poète maudit », c’est bien se heurter à l’incompréhension de ses semblables – et elle dure encore en partie aujourd’hui. Être un poète « saturnien », pour Verlaine, c’est reconnaître en toute lucidité la névrose obsessionnelle de l’échec qui orientera toute sa vie, et reconnaître que certains recueils répondent avant tout à des impératifs financiers : depuis qu’il a été rayé des registres du fonctionnariat, il n’a d’autre ressource que les textes qu’il écrit. Bons ou mauvais, il les publie, escomptant d’un journal ou d’une revue quelque rémunération qui lui permettra de vivre. C’est pour cette raison que les trois recueils de jeunesse Poèmes saturniens, Fêtes galantes et Romances sans paroles sont les plus connus, les plus lus et étudiés, au détriment d’autres œuvres qui sont pourtant tout aussi importantes : La Bonne Chanson, Sagesse, Amour, Parallèlement, Bonheur… Par ailleurs, Verlaine est trop grand poète pour ne pas savoir quand il fait du « mauvais » Verlaine. Ainsi écrit-il à Pierre Louÿs au moment où il projette de publier ses œuvres complètes : « Quant à Jadis et naguère, ce sont des raclures de tiroirs, que je disperserai dans mes autres œuvres… » Élu par ses confrères « Prince des poètes » Présentation 11
(août 1894), cette reconnaissance lui restera après sa mort, par- delà les inégalités de sa production poétique et les déchéances de l’homme. Des écrivains tel Mallarmé (qui lui consacrera le poème « Tombeau de Verlaine » 1), Gustave Kahn (l’inventeur du vers libre) et jusqu’aux surréalistes comme André Breton, vont perpétuer l’image d’un poète novateur, essentiel dans l’évo- lution de la poésie française vers la modernité. C’est ainsi que Verlaine est passé à la postérité. Mais une telle vision de l’œuvre et de l’homme pose un certain nombre de problèmes : si Verlaine est d’emblée en pleine possession de son génie poétique, pourquoi certains des Poèmes saturniens sont-ils empreints de références explicites aux aînés, les « Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci », pastiches d’Hugo ou des parnassiens, poèmes trop inspirés par Baudelaire pour être novateurs ? Les contemporains n’ont en effet pas manqué de souligner l’extrême hétérogénéité de ce premier recueil, et de critiquer ces emprunts. Mais c’est oublier que le poème liminaire, « Les Sages d’autrefois… », induit cet effet de lecture, en plaçant le recueil sous le signe de Saturne, de l’« Influence maligne », thèmes chers au romantisme – on pense notamment ici à Musset, Nerval, Hugo, ainsi qu’aux romanti- ques allemands, entre autres – et à Baudelaire dans la référence explicite à l’« Idéal » opposé à la mélancolie du « Spleen ». Or, à tout prendre, faut-il considérer ces déclarations préala- bles comme un hommage aux maîtres de la poésie romantique et parnassienne, ou bien plutôt y lire a contrario une subver- sion, un détournement plus qu’une imitation ? Cette affiliation est trop soulignée par le recours appuyé au temps passé – la sagesse antique, les nécromanciens et les grimoires anciens. 1. Voir p. 33. 12 Verlaine Extrait de la publication
qui soit seulement un vide, une existence qui ne contienne rien d’autre que sa propre révélation. Le rien lui apparaît maintenant comme le lieu de tous les possibles, comme l’origine même du fantastique. Faute d’avoir pu épouser pleinement la neutralité […] Verlaine retombe dans le marais de la particularité la plus étroitement physiologique et nerveuse. Mais ce n’est point d’elle que lui est venue sa malédiction : tout son malheur fut de s’être arrêté en chemin 1. » Il faudra de fait attendre le symbolisme et le surréalisme pour que le parcours singulier de Verlaine soit reconnu et estimé – tant cette neutralité, cet évitement sont éloignés des préoccupations romantiques ou parnassiennes, et sans doute seul un poète comme Mallarmé, fasciné par la blancheur et le rien, pouvait reconnaître en Verlaine un frère en poésie. En témoigne le « Tombeau » qu’il lui consacra, dont les deux tercets résument ce parcours : Qui cherche, parcourant le solitaire bond Tantôt extérieur de notre vagabond – Verlaine ? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine À ne surprendre que naïvement d’accord La lèvre sans y boire ou tarir son haleine Un peu profond ruisseau calomnié la mort. 1. Jean-Pierre Richard dans « Fadeur de Verlaine », Poésie et profondeur, Points Seuil, 1976. Présentation 33
CHRONOLOGIE 18301896 18301896 ■ Repères historiques et culturels ■ Vie et œuvre de l’auteur Extrait de la publication
Repères historiques et culturels 1830 Monarchie de Juillet : révolution de Juillet et règne de Louis- Philippe. 1845 Wagner, Tannhaüser. 1848 Publication posthume des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Révolution de Février et Deuxième République. 1849 Gustave Courbet, L’Enterrement à Ornans. 1851 Coup d’État du président Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre Leconte de Liste, Poèmes antiques 1852 Début du Second Empire le 2 décembre. 1853 Verdi, La Traviata. Hugo, Les Châtiments. Guerre de Crimée. 1854 Début des grands travaux à Paris, coordonnés par Haussmann 1855 Victor Hugo, Les Contemplations. 1856 Flaubert publie Madame Bovary. 1857 Baudelaire publie Les Fleurs du mal. Champfleury, Manifeste du réalisme. Théodore de Banville, Odes funambulesques. 1858 Attentat manqué d’Orsini contre Napoléon III. 1859 Guerre d’Italie. 1862 Victor Hugo, Les Misérables. 36 Verlaine
Vie et œuvre de l’auteur 1844 Naissance de Paul Verlaine à Metz, le 30 mars. Nicolas- Auguste, militaire, et Stéphanie, ses parents, ont adopté la nièce de Mme Verlaine, Élisa Moncomble, en 1836. 1853 Installation de la famille Verlaine à Paris. Études à l’institution Landry puis au lycée Condorcet. Le jeune Verlaine se familiarise avec les poètes Théodore de Banville et Charles Baudelaire. 1858 Il envoie ses premiers vers à Victor Hugo (« La Mort ») et écrit des nouvelles à la manière d’Edgar Poe. Mariage de sa cousine Élisa. 1862 Verlaine obtient son baccalauréat ès lettres. Séjour chez sa cousine Élisa et premières fréquentations des cafés dans les Ardennes. Inscription en droit au retour des vacances d’été. Extrait de la publication Chronologie 37
Vie et œuvre de l’auteur 1888 Il s’installe à l’hôtel Royer-Collard où il tient des « mercredis » littéraires. Publication d’Amour. 1889 Fait la connaissance de la prostituée Eugénie Krantz, appelée « Nini-Mouton », qui lui inspirera Chansons pour elle. Publication de Parallèlement. 1890 Il s’installe à l’hôtel des Mines, à Paris, rencontre les écrivains André Gide et Pierre Louÿs, et fait la connaissance de la prostituée Philomène Boudin, appelée « Esther ». Début de la rivalité entre Eugénie et Philomène. 1891 Représentation de la pièce Les Uns et les Autres, parution de Bonheur, des Chansons pour elle et de Mes hôpitaux. 1892- Il se met en ménage avec Philomène et vit petitement de ses 1893 conférences, d’aumônes de ses amis et de secours donnés par le ministère de l’Instruction publique. Il est intronisé père des « décadents ». Parution de Liturgies intimes, d’Elégies et du récit Mes prisons et de Odes en son honneur, dédié à Philomène. 1894 Verlaine soumet sans succès sa candidature à l’Académie française. Août : élection de Verlaine comme « Prince des poètes » par les hommes de lettres et lecteurs de la revue La Plume. Des amis, autour de Maurice Barrès et Robert de Montesquiou, versent une pension de 150 francs par mois à Verlaine. Obtient une pension du ministère de l’Instruction publique mais ne parvient pas à sortir de la misère. Parution des Confessions, Dans les limbes et Épigrammes. Rédaction de la préface des œuvres de Rimbaud. 1895 Rupture avec Esther et vie avec Eugénie. 1896 8 janvier : une congestion pulmonaire emporte Verlaine à l’âge de cinquante-deux ans. Obsèques suivies par de nombreux Parisiens, durant lesquelles Barrès, Kahn, Mendès, Moréas et Mallarmé rendent hommage au poète. Chronologie 47
POÈMES SATURNIENS Extrait de la publication
© Aisa / Leemage ■ Portrait de Paul Verlaine par Eugène Carrière, qui figure dans Choix de Poésies (1891) accompagné de la dédicace de Verlaine au peintre. (Musée d’Orsay)
© Luisa Ricciarini / Leemage ■ Allégorie de la Mélancolie, Melencholia I (1514), gravure d’Albrecht Dürer.
MELANCHOLIA 1 1. Le titre de cette première section des Poèmes saturniens renvoie explici- tement à l’eau-forte du peintre Albrecht Dürer, Melencholia. La figure du mélancolique est omniprésente dans la poésie du « mal du siècle » ou du spleen baudelairien : le substantif désigne littéralement la « bile noire » au XIXe siècle tout à la fois un sentiment de mal-être incurable et une élection : c’est alors la figure du poète maudit. Le mélancolique a inspiré notamment Théophile Gautier et Victor Hugo. Poèmes saturniens 55
À Ernest Boutier 1. I RÉSIGNATION Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor 2, Somptuosité persane et papale, Héliogabale et Sardanapale 3 ! Mon désir créait sous des toits en or, 5 Parmi les parfums, au son des musiques, Des harems sans fin, paradis physiques 4 ! 1. Ernest Boutier : violoniste ami du poète, il présenta ce dernier à l’éditeur des parnassiens, Alphonse Lemerre, qui publiera Poèmes saturniens, Fêtes galantes et La Bonne Chanson. 2. Ko-Hinnor : diamant appelé « La Montagne de lumière », possédé par le Grand Mogol, il fut offert à la reine d’Angleterre Victoria en 1857. 3. Héliogabale (ou Élagabal) : empereur romain (204-222), symbole des raffinements et des débauches orientales, qui tenta d’imposer à Rome le culte du dieu solaire Baal. Sardanapale, roi d’Assyrie, se serait donné la mort en 817 avant J.-C. en compagnie de ses femmes, en incendiant son palais. Delacroix a représenté cet épisode dans La Mort de Sardanapale. 4. Paradis physiques : renvoi probable à l’amour homosexuel. Poèmes saturniens 57
Aujourd’hui, plus calme et non moins ardent, Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie, J’ai dû refréner ma belle folie, 10 Sans me résigner par trop cependant. Soit ! le grandiose échappe à ma dent, Mais, fi 1 de l’aimable et fi de la lie 2 ! Et je hais toujours la femme jolie, La rime assonante et l’ami prudent. II NEVERMORE 3 Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne Faisait voler la grive à travers l’air atone 4, Et le soleil dardait 5 un rayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détone 6. 1. Fi : interjection exprimant le mépris. 2. Lie : dépôt qui se forme au fond des récipients contenant des boissons fermentées. 3. Nevermore signifie en anglais « jamais plus ». Verlaine a pu emprunter ce titre au poème The Raven (« Le corbeau ») d’Edgar Poe, traduit par Baude- laire. On peut constater que la monotonie des rimes s’efforce bien de rendre compte de la répétition obsessionnelle du mot Nervermore dans le poème de Poe. 4. Atone : sans vitalité, sans vigueur, amorphe. 5. Dardait : jetait, lançait comme un dard. 6. Détone : les différentes éditions parues du vivant de l’auteur donnent toutes « détonent », alors que certains éditions modernes proposent « déton- nent » (littéralement, s’écarter du ton, ne pas être en harmonie avec). Détoner signifie exploser de manière bruyante, ce qui s’accorde bien la présence de la bise qui rompt l’équilibre du paysage suggéré dans ce premier quatrain. 58 Verlaine
5 Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant : « Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique 1. 10 Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement 2. – Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées ! Et qu’il bruit avec un murmure charmant Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées ! III APRÈS TROIS ANS 3 Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu’éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant 4 chaque fleur d’une humide étincelle. 5 Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle 5 De vigne folle avec les chaises de rotin... 1. Angélique : digne d’un ange, parfait, innocent. La mention de l’angélisme est préparée par le vers 8 et l’expression « voix d’or ». 2. Dévotement : avec dévotion, respect religieux. 3. La piste autobiographique est souvent évoquée pour rendre compte du jardin ici évoqué : celui d’Élisa, cousine de Verlaine. 4. Pailletant : parsemer de paillettes. 5. Tonnelle : petit abri de jardin, fait de lattes en treillis soutenues par des cerceaux, sur lesquelles on fait grimper des plantes, ici la vigne. Extrait de la publication Poèmes saturniens 59
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble 1 sa plainte sempiternelle 2. Les roses comme avant palpitent ; comme avant, 10 Les grands lys orgueilleux se balancent au vent. Chaque alouette qui va et vient m’est connue. Même j’ai retrouvé debout la Velléda 3 Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue, – Grêle 4, parmi l’odeur fade du réséda 5. IV VŒU Ah ! les oaristys 6 ! les premières maîtresses ! L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs, Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers, La spontanéité craintive des caresses ! 1. Tremble : peuplier dont les feuilles frissonnent au vent. 2. Sempiternel : continuel et lassant, perpétuel. 3. Velléda : prêtresse et prophétesse germanique (Ier siècle) livrée aux Romains pour avoir soutenu la révolte des Bataves. Chateaubriand, dans Les Martyrs, en fait une druidesse gauloise amoureuse d’un Romain. Dans les deux cas, c’est la transgression d’un interdit qu’illustre ce personnage. Une statue de Velléda se trouvait dans l’ancienne pépinière du jardin du Luxem- bourg à Paris. 4. Grêle : ténu, d’une finesse exceptionnelle. 5. Réséda : plante aux fleurs odorantes. L’adjectif « fade », qui tranche, suggère que la rêverie tourne au malaise à la fin du sonnet. 6. Oaristys : substantif rare, emprunté aux Idylles grecques de Théocrite et repris par le poète André Chénier. Il signifie idylle, ébats amoureux, conver- sation tendre. 60 Verlaine
5 Sont-elles assez loin toutes ces allégresses Et toutes ces candeurs 1 ! Hélas ! toutes devers 2 Le printemps des regrets ont fui les noirs hivers De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses ! Si que 3 me voilà seul à présent, morne 4 et seul, 10 Morne et désespéré, plus glacé qu’un aïeul, Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée. Ô la femme à l’amour câlin et réchauffant, Douce, pensive et brune, et jamais étonnée, Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant ! V LASSITUDE A batallas de amor campo de pluma 5. (GONGORA.) De la douceur, de la douceur, de la douceur ! Calme un peu ces transports fébriles 6, ma charmante. 1. Candeurs : innocences. 2. Devers (archaïsme) : « du côté de ». 3. Si que (archaïsme) : « si bien que », de telle sorte que. 4. Morne : triste, avec une connotation d’ennui. 5. « À bataille d’amour, champ de plume », tiré de Première Solitude de Luis de Góngora, poète espagnol baroque dont le style maniériste plaisait à Verlaine. Mais il faut aussi voir dans le choix du texte la référence à Baudelaire, « Sed non satiata », Fleurs du mal, XXVI. 6. Fébriles: en proie à la fièvre. Extrait de la publication Poèmes saturniens 61
Et puis, plus rien ; et puis, sortant par mille trous, Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux. – Philippe Deux était à la droite du Père. Note : pour la lecture de l’Épilogue des Poèmes saturniens, voir le dossier p. 198. Extrait de la publication Poèmes saturniens 127
© Héritage Images / Leemage ■ Pierrot, dit autrefois Gilles. Peinture de Jean-Antoine Watteau (1684-1721), musée du Louvre. Extrait de la publication
FÊTES GALANTES Extrait de la publication
CLAIR DE LUNE 1 Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques 2 Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques 3. 5 Tout en chantant sur le mode mineur 4 L’amour vainqueur et la vie opportune 5, Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur Et leur chanson se mêle au clair de lune, Au calme clair de lune triste et beau, 10 Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres 1. Au départ, ce poème s’appelait « Fêtes galantes » et le vers 9 laissait apparaî- tre le nom du peintre Watteau : « Au calme clair de lune de Watteau ». En l’effa- çant, c’est la correspondance entre peinture et poésie que Verlaine estompe. 2. Bergamasques : au sens premier, habitants de Bergame, ville d’Italie, qui fut le berceau de la commedia dell’arte. Ici, il peut donc s’agir de personnages portant des masques originaires de cette ville. Par ailleurs, une « bergamas- que » est une danse d’origine italienne. 3. Fantasques : capricieux, en proie à des fantaisies étranges. 4. Mode mineur : gamme diatonique mineure, par opposition à la gamme majeure. Ce mode est souvent associé à l’expression des sentiments, notam- ment à la mélancolie. 5 Opportune : appropriée, utile. Extrait de la publication Fêtes galantes 131
Et sangloter d’extase les jets d’eau, Les grands jets d’eau sveltes 1 parmi les marbres 2. PANTOMIME 3 Pierrot 4, qui n’a rien d’un Clitandre 5, Vide un flacon 6 sans plus attendre, Et, pratique 7, entame un pâté. Cassandre 8, au fond de l’avenue, 5 Verse une larme méconnue 9 Sur son neveu déshérité. 1. Sveltes : de forme légère, élancée. 2. Marbres : statues de marbre. 3. Pantomime : pièce de théâtre souvent accompagnée de musique, dans laquelle les paroles sont remplacées par des gestes. Un des personnages récurrents des pantomimes est Pierrot. 4. Pierrot : personnage de la commedia dell’arte, habillé de blanc, à la figure enfarinée. Amoureux de Colombine, il apparaît d’abord comme naïf avant d’acquérir une dimension plus profonde. Il est avec Cassandre, Arlequin, Polichinelle et Colombine, le héros de nombreuses pantomimes en vogue en France dans les années 1840. Voir tableau de Watteau p. 128. 5. Clitandre : figure traditionnelle du jeune premier soupirant, notamment dans les comédies de Molière. 6. Flacon : bouteille. 7. Pratique : qui s’attache aux faits. 8. Cassandre : personnage de la mythologie grecque, sœur de Pâris, qui a déclenché la guerre de Troie. Elle était capable de prédire l’avenir. Cassandre est aussi dans la pantomime un type de vieillard qui séquestre sa fille ou sa pupille. 9. Méconnue : ignorée. 132 Verlaine
L’AMOUR PAR TERRE Le vent de l’autre nuit a jeté bas l’Amour 1 Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, Souriait en bandant malignement 2 son arc, Et dont l’aspect nous fit tant songer tout un jour ! 5 Le vent de l’autre nuit l’a jeté bas ! Le marbre Au souffle du matin tournoie, épars. C’est triste De voir le piédestal 3, où le nom de l’artiste Se lit péniblement parmi 4 l’ombre d’un arbre, Oh! c’est triste de voir debout le piédestal 10 Tout seul ! Et des pensers 5 mélancoliques vont Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond Évoque un avenir solitaire et fatal 6. Oh! c’est triste ! – Et toi-même, est-ce pas ? 7 es touchée D’un si dolent 8 tableau, bien que ton œil frivole 15 S’amuse au papillon de pourpre 9 et d’or qui vole Au-dessus des débris dont l’allée est jonchée. 1. Amour : voir note 1, p. 137. 2. Malignement : avec la volonté de faire le mal. 3. Piédestal : socle de la statue. 4. Parmi : au milieu de. 5. Pensers (archaïsme) : voir note 3, p. 97. 6. Fatal : fixé par le destin, évoque la mort. 7. Est-ce pas ? : n’est-ce pas ? 8. Dolent : voir note 6, p. 64. 9. Pourpre : voir note 2, p. 140. 154 Verlaine
EN SOURDINE 1 Calmes dans le demi-jour Que les branches hautes font, Pénétrons 2 bien notre amour De ce silence profond. 5 Fondons nos âmes, nos cœurs Et nos sens extasiés 3, Parmi les vagues langueurs 4 Des pins et des arbousiers 5. Ferme tes yeux à demi, 10 Croise tes bras sur ton sein, Et de ton cœur endormi Chasse à jamais tout dessein 6. Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux 15 Qui vient à tes pieds rider Les ondes de gazon roux. Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera, Voix de notre désespoir, 20 Le rossignol chantera. 1. En sourdine : la sourdine atténue le son d’un instrument de musique. 2. Pénétrons : imprégnons. 3. Extasiés : en proie à l’extase. 4. Langueurs : voir note 1, p. 97. 5. Arbousier : arbre aux feuilles toujours vertes, qui porte des baies sembla- bles à des cerises. 6. Dessein : voir note 4, p. 135. Extrait de la publication Fêtes galantes 155
COLLOQUE SENTIMENTAL 1 Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux formes ont tout à l’heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l’on entend à peine leurs paroles. 5 Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux spectres ont évoqué le passé. – Te souvient-il de notre extase 2 ancienne ? – Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ? – Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ? 10 Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non. – Ah! les beaux jours de bonheur indicible 3 Où nous joignions nos bouches ! – C’est possible. – Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir ! – L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. 15 Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles. 1. Colloque : entretien entre deux ou plusieurs personnes, conférence. 2. Extase : état qui transporte une personne hors d’elle-même ; ravissement. 3. Indicible : qui ne peut être dit. 156 Verlaine
ROMANCES SANS PAROLES 1 1. Romance sans paroles : « morceau de piano ou de quelque instrument, assez court et présentant un motif gracieux et chantant. Mendelssohn a composé des romances sans paroles » (Littré).
ARIETTES 1 OUBLIÉES I Le vent dans la plaine Suspend son haleine. (FAVART.) 2 C’est l’extase langoureuse 3, C’est la fatigue amoureuse, C’est tous les frissons des bois Parmi l’étreinte des brises, 5 C’est, vers les ramures 4 grises, Le chœur des petites voix. 1. Ariette : petite « aria », désigne un air chanté par une seule voix accompa- gnée d’un seul instrument. 2. Tiré de Ninette à la cour ou le Caprice amoureux, comédie de Charles- Simon Favart (1712-1792). 3. Langoureuse : languissante ; désigne notamment dans l’amour une fatigue, une langueur réelle ou feinte. 4. Ramures : voir note 3, p. 134. Romances sans paroles 159
Ô le frêle et frais murmure ! Cela gazouille et susurre 1, Cela ressemble au cri doux 10 Que l’herbe agitée expire 2... Tu dirais, sous l’eau qui vire, Le roulis 3 sourd des cailloux. Cette âme qui se lamente En cette plainte dormante 15 C’est la nôtre, n’est-ce pas ? La mienne, dis, et la tienne, Dont s’exhale l’humble antienne 4 Par ce tiède soir, tout bas ? II 5 Je devine, à travers un murmure, Le contour subtil 6 des voix anciennes Et dans les lueurs musiciennes, Amour pâle, une aurore future ! 1. Susurrer : murmurer doucement. 2. Expire : expulse des poumons l’air inspiré. Par suite, synonyme d’agoni- ser, rendre le dernier soupir. 3. Roulis : mouvement alternatif du navire sous la houle. 4. Antienne : d’abord propre à la liturgie, refrain repris par le chœur entre chaque verset d’un psaume dit ; par extension, désigne une chose répétée et lassante. 5. Première occurrence de vers ennéasyllabiques, c’est-à-dire de neuf syllabes. 6. Subtil : fin, presque imperceptible. 160 Verlaine
BEAMS 1 Elle voulut aller sur les flots de la mer, Et comme un vent bénin 2 soufflait une embellie 3, Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie, Et nous voilà marchant par le chemin amer. 5 Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse, Et dans ses cheveux blonds c’étaient des rayons d’or, Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice ! Des oiseaux blancs volaient alentour mollement. 10 Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches. Parfois de grands varechs 4 filaient en longues branches, Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement. Elle se retourna, doucement inquiète De ne nous croire pas pleinement rassurés, 15 Mais nous voyant joyeux d’être ses préférés, Elle reprit sa route et portait haut sa tête. Douvres-Ostende, à bord de la « Comtesse-de-Flandre », 4 avril 1873 5. 1. Beams : « rayons ». 2. Bénin : bienveillant, indulgent. 3. Embellie : amélioration momentanée du temps. 4. Varech : algues et goémons rejetés par la mer sur le rivage. 5. C’est à la date du 4 avril 1873 que Verlaine et Rimbaud retournent en France. Romances sans paroles 189
Extrait de la publication
DOSSIER Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre 1, Ah ! l’Inspiration, on l’invoque à seize ans ! Ce qu’il nous faut à nous, les Suprêmes Poëtes 50 Qui vénérons les Dieux et qui n’y croyons pas, À nous dont nul rayon n’auréola les têtes, Dont nulle Béatrix 2 n’a dirigé les pas, À nous qui ciselons les mots comme des coupes Et qui faisons des vers émus très froidement, 55 À nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant 3, Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes, La science conquise et le sommeil dompté, C’est le front dans les mains du vieux Faust 4 des estampes, 60 C’est l’Obstination et c’est la Volonté ! C’est la Volonté sainte, absolue, éternelle, Cramponnée au projet comme un noble condor Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile Emportant son trophée à travers les cieux d’or ! 65 Ce qu’il nous faut à nous, c’est l’étude sans trêve, C’est l’effort inouï, le combat nonpareil, C’est la nuit, l’âpre nuit du travail, d’où se lève Lentement, lentement, l’Œuvre, ainsi qu’un soleil ! Libre à nos Inspirés, cœurs qu’une œillade enflamme. 70 D’abandonner leur être aux vents comme un bouleau ; Pauvres gens ! l’Art n’est pas d’éparpiller son âme : Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ? 1. Verlaine condense en trois vers les principes mystiques de certains poètes romantiques. 2. Béatrix : muse du poète Dante (1265-1321), auteur de la Divine Comédie. 3. Allusion au célèbre poème de Lamartine, « Le lac ». 4. Faust : Voir notes 1 et 3, p. 84. Extrait de la publication Dossier 201
Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé 1, 75 Et faisons-en surgir sous nos mains empressées Quelque pure statue au péplos 2 étoilé, Afin qu’un jour, frappant de rayons gris et roses Le chef-d’œuvre serein, comme un nouveau Memnon 3 L’Aube-Postérité, fille des Temps moroses, 80 Fasse dans l’air futur retentir notre nom ! 1. Qu’est-ce qu’un « épilogue » ? Ce terme vous semble-t-il pertinent pour désigner cet excipit ? 2. Pourquoi selon vous cet épilogue est-il divisé en trois parties ? Dégagez les grandes thématiques propres à chacune d’entre elles et l’inflexion d’une partie à l’autre. 3. Quelle vision de l’homme et de la nature Verlaine reprend-il ici ? 4. Quelle conception de la poésie et du poète privilégie Verlaine dans cet Épilogue ? En quoi rejoint-elle celle développée dans le Prologue ? En vous référant enfin au premier poème du recueil, « Les Sages d’autrefois… », dégagez les grandes caractéristiques de l’art poétique verlainien. Vous semble-t-il correspondre à votre expérience de lecture des trois recueils ici proposés ? Justifiez votre réponse, en lisant notamment « L’art poétique » reproduit ci-après. 5. Pour aller plus loin : recherchez dans une anthologie de la poésie française des textes théoriques de poètes qui illustrent cette opposition entre inspiration et travail et présentez vos recherches sous forme d’exposé. 1. Paros : L’île de Paros, en Grèce, était célèbre pour ses carrières de marbre. 2. Péplos : vêtement féminin. 3. Memnon : Verlaine fait ici référence à un héros légendaire de la Grèce, et aux statues des colosses de Memnon, sculptures monumentales à qui l’on attri- buait le pouvoir de chanter au lever du jour, d’où la mention de « l’Aube ». 202 Verlaine
DOSSIER Texte 3 : Verlaine juge de Verlaine Dans ce texte parfois appelé « Critique des Poèmes saturniens », Verlaine revient en 1890 sur son premier recueil et le commente, à près de vingt ans de distance. Cette préface se trouve en tête de la réédition des œuvres de l’auteur. CRITIQUE DES POÈMES SATURNIENS J’avais bien résolu, lorsque je me décidai, il y a neuf ans et plus, à publier Sagesse chez l’éditeur des Bollandistes, de laisser pour toujours de côté mes livres de jeunesse, dont les Poèmes saturniens sont le tout premier. Des raisons autres que littéraires me guidaient alors. Ces raisons existent toujours mais me paraissent moins pressantes aujourd’hui. Et puis je dus compter avec des sollicitations si bienveillantes, si flatteuses vraiment ! On n’est pas de bronze non plus que de bois. Quoi qu’il en soit, succédant par l’ordre de la réimpression aux Fêtes galantes et aux Romances sans paroles, voici, après vingt-deux ans de quelque oubli, mon œuvre de début dans toute sa naïveté parfois écolière, non sans, je crois, quelque touche par-ci par-là du définitif écrivain qu’il se peut que je sois de nos jours. […] J’avais donc, dès cette lointaine époque de bien avant 1867, car quoique les Poèmes saturniens n’aient paru qu’à cette dernière date, les trois quarts des pièces qui les composent furent écrites en rhéto- rique et en seconde, plusieurs même en troisième (pardon !) j’avais, dis-je, déjà des tendances bien décidées vers cette forme et ce fond d’idées, parfois contradictoires, de rêve et de précision, que la criti- que, sévère ou bienveillante, a signalés, surtout à l’occasion de mes derniers ouvrages. De très grands changements d’objectif en bien ou en mal, en mieux, je pense, plutôt, ont pu, correspondant aux événements d’une existence passablement bizarre, avoir eu lieu dans le cours de ma production. Mes idées en philosophie et en art sont certainement modifiées, s’accentuant de préférence dans le sens du concret, jusque dans la rêverie éventuelle. J’ai dit : Dossier 203
Rien de plus cher que la chanson grise Où l’indécis au précis se joint. Mais il serait des plus facile à quelqu’un qui croirait que cela en valût la peine, de retracer les pentes d’habitude devenues le lit, profond ou non, clair ou bourbeux, où s’écoulent mon style et ma manière actuels, notamment l’un peu déjà libre versification, enjam- bements et rejets dépendant plus généralement des deux césures avoisinantes, fréquentes allitérations, quelque chose comme de l’assonance souvent dans le corps du vers, rimes plutôt rares que riches, le mot propre écarté des fois à dessein ou presque. En même temps la pensée triste et voulue telle ou crue voulue telle. En quoi j’ai changé partiellement. La sincérité, et, à ses fins, l’impression du moment suivie à la lettre sont ma règle préférée aujourd’hui. Je dis préférée, car rien d’absolu : tout vraiment est, doit être nuance. J’ai aussi abandonné, momentanément, je suppose, ne connais- sant pas l’avenir et surtout n’en répondant pas, certains choix de sujets : les historiques et les héroïques, par exemple. Et par consé- quent le ton épique ou didactique pris forcément à Victor Hugo, un Homère de seconde main, après tout, et plus directement encore à Monsieur Leconte de Lisle qui ne saurait prétendre à la fraîcheur de source d’un Orphée ou d’un Hésiode, n’est-il pas vrai ? Quelles que fussent, pour demeurer toujours telles, mon admiration du premier et mon estime (esthétique) de l’autre, il ne m’a bientôt plus convenu de faire du Victor-Hugo ou du Monsieur Leconte de Lisle, aussi bien peut-être et mieux (ça s’est vu chez d’autres ou du moins il s’est dit que ça s’y est vu) et j’ajoute que pour cela il m’eût fallu, comme à d’autres, l’éternelle jeunesse de certains Parnassiens qui ne peut reproduire que ce qu’elle a lu et dans la forme où elle l’a lu. Ce n’est pas au moins que je répudie les Parnassiens, bons camarades quasiment tous et poètes incontestables pour la plupart au nombre de qui je m’honore d’avoir compté pour quelque peu. Toutefois je m’honore non moins, sinon plus, d’avoir, avec mon ami Stéphane Mallarmé et notre grand Villiers, particulièrement plu à la nouvelle génération et à celle qui s’élève : précieuse récompense, aussi, d’efforts en vérité bien désintéressés. 204 Verlaine Extrait de la publication
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