FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste

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FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227 - Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres retrouvées                        > fév. 2022

                                     FloriLettres
                                Revue littéraire de la Fondation La Poste

                                                   Sommaire
                                                                     Dossier
                                                        Marguerite Duras et Michelle Porte
                                                    « Lettres retrouvées et archives inédites »

                                                   02.   Édito
                                                   03.   Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon
                                                   10.   Lettres et extraits choisis - « Lettres retrouvées »
                                                   12.   Michelle Porte, Marguerite Duras, correspondance
                                                         et portrait croisé

                                                   14 Pierre Bergounioux, « Carnet de notes 2016-2020 »
                                                   16. Dernières parutions
                                                   18. Agenda
Photo et conception graphique
N. Jungerman
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
Édito
Marguerite Duras et Michelle Porte
« Lettres retrouvées et archives inédites »
Nathalie Jungerman

« La filmographie de Michelle Porte comme la bibliographie de Marguerite
Duras témoignent du lien privilégié qui unissait la cinéaste et l’écrivaine.
Michelle Porte a, en effet, consacré deux de ses films à Marguerite Duras,
Les Lieux de Marguerite Duras (1976) et Savannah Bay, c’est toi (1984),
avant d’adapter au cinéma en 2004 pour son premier long métrage le
roman L’Après-midi de Monsieur Andesmas. Et dans le très étroit corpus
des ouvrages de Marguerite Duras écrits en collaboration, on trouve
aux Éditions de Minuit le livre Les Lieux de Marguerite Duras, publié en
1978 sous la double signature de Marguerite Duras et de Michelle Porte,
et Le Camion, suivi de Entretien avec Michelle Porte (Minuit, 1977). »
Ainsi commence la préface du recueil qui paraîtra en mars prochain chez
Gallimard avec le soutien de la Fondation La Poste, publié, lui aussi,
« sous la double signature » : Marguerite Duras, Michelle Porte, Lettres
retrouvées 1969-1989. L’ouvrage est constitué de seize lettres (dont une
carte postale) de l’écrivaine et de deux de la cinéaste, d’archives inédites,
de photographies et de souvenirs de Michelle Porte recueillis par Joëlle
Pagès-Pindon qui a préfacé et annoté l’édition. La construction du livre
semble poursuivre le dialogue entre les deux femmes dont les relations
d’amitié et de travail ont duré trente années et se sont traduites par
des œuvres en commun. Une troisième femme, la sculptrice Marie-Pierre
Thiébaut, compagne de Michelle Porte, à qui Marguerite Duras s’adresse
également, est au cœur des échanges. Sans oublier Joëlle Pagès-Pindon,
ancien professeur de Chaire supérieure, chercheuse et Vice-présidente de
L’Association Marguerite Duras, qui connaît Michelle Porte depuis plus de
vingt ans et prolonge le dialogue, suscitant les commentaires de chaque
lettre. Joëlle Pagès-Pindon, que nous avions déjà interviewée en 2014
à l’occasion du Centenaire de l’écrivaine, est l’auteur, notamment, de
Marguerite Duras, L’écriture illimitée, la coéditrice des volumes III et IV
des Œuvres complètes de Marguerite Duras en Pléiade et l’éditrice de
Marguerite Duras, Le Livre dit. Entretiens de Duras filme.

Photo de couverture : Marguerite Duras et Michelle Porte sur le tournage de Véra Baxter, 1976 (coll. Michelle Porte)

                                                                                                                       02
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

Entretien avec
Joëlle Pagès-Pindon
Propos recueillis par Nathalie Jungerman

Marguerite Duras et Michelle                     choix de vie et ne doit rien concéder
Porte : trente années d’échanges                 aux conventions ordinaires. Peut-
(1966-1996), de collaborations                   être aussi la formation scientifique
(livres, films), de rencontres, de                de Michelle Porte était-elle une sé-
dialogues, de lettres (1969-1989),               duction aux yeux de Duras qui, dans
d’appels téléphoniques. Rappelez-                Les Lieux de Marguerite Duras, pour
nous dans quelles circonstances                  parler de son père disparu quand elle
elles se sont rencontrées et com-                avait sept ans, donnera cette seule
ment un lien à la fois amical et ar-             indication : « Il a fait un livre de ma-
tistique a pris forme et a été en-               thématiques sur les fonctions expo-
tretenu au fil des années ?                       nentielles, que j’ai perdu ».
                                                 Par la suite, Michelle Porte sera aux      Joëlle Pagès-Pindon
                                                                                            Photo DR
Joëlle Pagès-Pindon Entre Michelle               côtés de Marguerite Duras dans
Porte et Marguerite Duras, dès leur              une collaboration qui se matéria-          Joëlle Pagès-Pindon est agrégée
rencontre en 1966, la collaboration              lise sous différentes formes : elle        de Lettres classiques, ancien
artistique et la relation amicale se-            est assistante pour la préparation         professeur de Chaire supérieure
                                                                                            à Paris, Vice-présidente de
ront indissociables. Michelle Porte à            ou le tournage de plusieurs de ses         L’Association Marguerite Duras et
cette époque, après avoir entrepris              films (Détruire, dit-elle, India Song,      chercheuse associée du laboratoire
et abandonné des études de ma-                   Baxter, Véra Baxter) ; elle dialogue       THALIM-Sorbonne Nouvelle-CNRS
                                                                                            (UMR 7172). Ses travaux portent sur
thématiques puis de médecine, est                avec elle à propos du Camion – un          la genèse de l’imaginaire durassien
assurée de sa vocation de cinéaste.              entretien que Duras fait publier aux       à travers ce que l’écrivain nomme
Admirative de l’œuvre littéraire de              Éditions de Minuit en 1977, à la suite     « le réel vécu comme un mythe ».
                                                                                            Auteur d’un essai sur Marguerite
Duras, qu’elle a lue très tôt, et ayant          du texte du film. Mais c’est en réali-      Duras. L’écriture illimitée (Ellipses,
appris que la romancière va réaliser             sant son film Les Lieux de Marguerite       2012), elle est coéditrice des tomes
son premier film, La Musica, elle fait            Duras, en 1976, devenu livre publié        3 et 4 des Œuvres complètes de
                                                                                            Marguerite Duras (Gilles Philippe
la démarche de la solliciter pour se             aux Éditions de Minuit en 1978, que        dir., Gallimard, Bibliothèque de
faire engager ; mais l’équipe techni-            Michelle Porte manifeste le plus clai-     la Pléiade, 2014) et a publié des
                                                                                            entretiens inédits de Marguerite
que étant déjà constituée, Duras lui             rement sa proximité intellectuelle,        Duras, Le Livre dit. Entretiens de
propose d’être à ses côtés durant le             artistique et amicale avec l’écrivaine     Duras filme (Joëlle Pagès-Pindon
tournage sans statut officiel et elle             – une approche de l’œuvre qui in-          éd., Gallimard « Les Cahiers de
                                                                                            la NRF », 2014). Elle a codirigé
lui offre même de loger dans son ap-             fluencera de façon durable la créa-         avec Mary Noonan un recueil sur
partement des Roches Noires à Trou-              tion durassienne. La décennie qua-         le théâtre de Duras Marguerite
ville. Il me semble que les circons-             tre-vingts est ensuite marquée par         Duras. Un théâtre de voix/A
                                                                                            Theatre of Voices (Mary Noonan
tances de cette rencontre et le rôle             la réalisation de Savannah Bay, c’est      et Joëlle Pagès-Pindon dir., Leyde,
tenu par Michelle Porte auprès de                toi, dans laquelle Michelle Porte filme     Brill, 2018). Conseiller scientifique
Duras au cours de ce tournage sont               Marguerite Duras qui met en scène          de Paris Bibliothèques pour les
                                                                                            manifestations du Centenaire
emblématiques des liens qui uniront              elle-même sa pièce Savannah bay            Duras, elle a été commissaire de
les deux femmes durant trente an-                au Théâtre du Rond-Point, avec les         l’exposition de photographies « Lieux
nées – une longévité à souligner,                comédiennes Madeleine Renaud et            de Marguerite Duras. De l’Indochine
                                                                                            à la rue Saint-Benoît » (Médiathèque
car on sait qu’en raison du carac-               Bulle Ogier. Une des Lettres retrou-       Marguerite Duras 75020). Au cours
tère exclusif de l’écrivaine, bien des           vées, adressée au directeur de l’INA,      de l’année 2014, elle a participé
amitiés au cours de sa vie ont été               montre combien Marguerite Duras            à de nombreux colloques ou
                                                                                            manifestations culturelles sur Duras
à éclipses... Si la sympathie entre              avait une confiance absolue dans            en France (Amphithéâtre Guizot
elles deux a été immédiate, si leurs             le travail de Michelle Porte, à l’ex-      de la Sorbonne, Théâtre Artistic
personnalités se sont d’emblée ac-               clusion de tout autre cinéaste, pour       Athévains, Centre National du
                                                                                            Théâtre, BPI de Beaubourg à Paris,
cordées, c’est sans doute parce que              l’accompagner au cours de ces trois        Centre culturel de Cerisy-la-Salle,
Duras avait perçu chez Michelle Porte            semaines de répétitions. Le film, qui       Château de Duras, Musée Montebello
                                                                                            à Trouville, Palais ducal à Nevers) et
la même exigence que celle qui l’ani-            fait assister le spectateur à une véri-    à l’étranger (Universités et centres
mait : la création, qu’elle soit litté-          table leçon de théâtre, est un docu-       culturels de Bellinzona, Ottawa,
raire ou filmique, est une expérience             ment exceptionnel, comme on peut           Madrid, Cork, Lausanne, Shangai,
                                                                                            Nankin, Tokyo, Kyoto).
existentielle, qui détermine tous les            le constater en lisant les entretiens

                                                                                                                                     03
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N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

qui se sont déroulés à cette occasion              images qui proviennent de ses créa-
et que nous avons transcrits dans                  tions textuelles ou cinématographi-
l’ouvrage que nous publions, ajou-                 ques évoquées en extraits (Nathalie
tant au dialogue du film les passages               Granger, La Femme du Gange, In-
inédits que la réalisatrice n’avait pas            dia Song). Ainsi plusieurs plans des
repris au montage.                                 Lieux se répondent en une sorte de
                                                   diptyque : on voit par exemple, fil-
« ... l’influence ne s’est pas exer-                mées de dos devant une fenêtre de
cée dans un seul sens, mais fut ré-                la maison de Neauphle, tour à tour
ciproque », peut-on lire dans votre                Marguerite Duras et la comédienne
préface. Que Marguerite Duras ait                  Lucia Bose, qui interprète la mère
inspiré et influencé Michelle Porte,                de Nathalie Granger dans le film du
nous le savons aujourd’hui. Mais,                  même nom. Il ressort de cette pré-
à la lecture des lettres, nous pre-                sentation que Marguerite Duras fait
nons conscience que l’inverse est                  corps, au sens littéral du mot, avec             Marguerite Duras, Michelle Porte
aussi vrai. Qu’est-ce que Michelle                 sa création et que sa présence phy-              Lettres retrouvées (1969-1989)
                                                                                                    Édition de Joëlle Pagès-Pindon
Porte a apporté à Marguerite                       sique, corporelle et vocale, est partie          Éditions Gallimard
Duras, que lui a-t-elle permis de                  intégrante de son œuvre. C’est donc              (Hors série littérature)
                                                                                                    mars 2022
découvrir de son travail, de son                   Michelle Porte qui sera à l’origine de
univers créatif ?                                  cette prise de conscience qu’en aura             Ouvrage publié avec le soutien de
                                                   alors Duras et qui influencera l’orien-
JPP. La décision de Michelle Porte de              tation de son œuvre à venir. Comme
faire un portrait cinématographique                me l’a confié Michelle Porte, en re-
de Marguerite Duras à travers ses                  gardant les rushes des Lieux, l’écri-
lieux (Les Lieux de Marguerite Duras,              vaine s’est écriée qu’elle ne se savait
1976) repose sur une intuition fon-                pas si bonne comédienne !
damentale qui deviendra par la suite               Elle en tirera la conclusion
une évidence pour l’écrivaine comme                suivante : « [...] j’ai l’im-
pour ses lecteurs : la dimension ma-               pression qu’il n’y a plus de
tricielle des lieux dans la création du-           hiatus entre ce que je fais
rassienne – qu’ils représentent l’es-              et ce que je suis. Il n’y a
pace réel des demeures où elle vit ou              plus de différence entre ce
l’espace dans lequel elle fait évoluer             que je montre et ce que je
les personnages de ses fictions. Car                dis. On va vers un temps
sa maison de Neauphle-le-Château                   où il n’y aura plus de dif-
et son appartement de la Résiden-                  férence entre l’être et le
ce des Roches Noires à Trouville, où               paraître. C’est pourquoi
l’écrivaine est filmée et interviewée,              les émissions de télévision
sont bien plus que des habitations,                où je parlais de ma mai-
bien plus qu’un décor ; ils ont pour               son, par exemple, ont eu
fonction de témoigner d’une double                 le même effet qu’un film.
osmose : osmose entre le réel et                   Cela me fait une drôle
l’imaginaire – « Toutes les femmes                 d’impression [2] ».
de mes livres ont habité cette mai-                Ce constat d’une osmose
son » dira Duras ; et osmose entre                 entre sa personne et son
l’espace et le temps – « La mémoire                œuvre dépasse la dimen-
pour moi est une chose répandue dans               sion autobiographique de
tous les lieux [1] » –, les demeures               son œuvre et la conduira
et les paysages faisant resurgir les               à développer ce que j’ai
années de l’enfance en Indochine.                  appelé son « automytho-
D’emblée, la cinéaste conçoit son film              graphie » ou « écriture du
non comme un reportage, mais com-                  mythe de soi », qui consiste à réin-             Fac-similé d’une lettre (datée du 31
me une exploration sonore et visuelle              vestir son passé et son vécu dans                juillet 1969) de Marguerite Duras
de l’imaginaire durassien, instaurant              un récit poétique, un « muthos » au              à Michelle Porte (4 pages et une
                                                                                                    enveloppe)
une correspondance poétique entre                  sens antique, qui mieux que le dis-              Lettres retrouvées (1969-1989)
les lieux réels où l’écrivaine évolue et           cours rationnel, le « logos », rende             Éditions Gallimard, mars 2022
a tourné plusieurs de ses films et les              compte des grandes interrogations

[1] Les Lieux de Marguerite Duras, Paris, Éditions de Minuit, 1978, respectivement p.12 et p. 96.
[2] « “Le désir est bradé, saccagé. On libère le corps et on le massacre” dit Marguerite
Duras », entretien avec Michèle Manceaux, Marie-Claire, n° 297, mai 1977.
                                                                                                                                           04
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                     de l’être humain : la vie et la mort, l’amour et la               avait sans doute, de ma part, un souhait inconscient
Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon

                                     haine, l’universel et le singulier... En effet, dès le            « d’entrer dans la boucle » comme vous le dites,
                                     début de l’année suivante, en 1977 avec Le Ca-                    de contribuer personnellement à l’approfondisse-
                                     mion, Duras choisira d’incarner le personnage de                  ment de l’œuvre durassienne. Ayant accueilli avec
                                     « la dame des Yvelines », lui prêtant son corps et                bienveillance mon premier ouvrage sur l’écrivaine,
                                     sa voix face à l’acteur Gérard Depardieu.                         Michelle Porte m’a associée en 2004 à la diffusion de
                                     Un autre élément du film voulu par Michelle Porte                  son long métrage adapté de Duras, L’Après-midi de
                                     aura une importance décisive pour la suite de la                  Monsieur Andesmas, avec Michel Bouquet et Miou-
                                     création durassienne, c’est la présence des pho-                  Miou comme interprètes. J’avais été frappée par la
                                     tographies de famille, en particulier celles de l’en-             beauté d’un film qui donnait à voir, dans un équiva-
                                     fance en Indochine, montrées pour la première                     lent poétique parfait, ce que la passion durassienne
                                     fois et commentées par l’écrivaine. D’ailleurs, les               contient d’ombre et de lumière. Quand ce film a été
                                     Éditions de Minuit qui demanderont à Michelle                     sélectionné pour faire l’ouverture de la Semaine in-
                                     Porte de faire un livre à partir de son film, en                   ternationale de la critique au Festival de Cannes, j’ai
                                     y intégrant les photographies, présenteront cet                   collaboré au livret destiné aux journalistes ; ensuite,
                                     ouvrage comme « un album », les images ayant                      avec une présentation du film, j’ai participé au DVD
                                     pour fonction de « prolonger le texte ». Vérita-                  que le producteur Marin Karmitz en a publié. En-
                                     bles vecteurs d’imaginaire pour l’écrivaine comme                 semble, au cours des mois qui ont suivi sa sortie,
                                     pour ses lecteurs, les photographies joueront par                 nous avons accompagné les projections de ce film
                                     la suite un rôle essentiel dans la construction du                en France et à l’étranger – en Suède, en Slovaquie,
                                     mythe de soi, jusqu’à L’Amant, qui devait être à                  en Italie – et ce fut l’occasion de forger des liens
                                     l’origine le commentaire des photos de famille et                 d’amitié qui se sont renforcés au fil des années. Plus
                                     dont un des titres envisagés était « La photogra-                 tard, quand j’ai été chargée de l’édition critique des
                                     phie absolue ».                                                   Lieux de Marguerite Duras pour le tome 3 des Œu-
                                                                                                       vres complètes de Marguerite Duras dans la Biblio-
                                     Quant à vous, Joëlle Pagès-Pindon, c’est en                       thèque de la Pléiade, j’ai pris pleinement conscience
                                     2000 que vous faites la connaissance de                           de l’influence qu’a eue le travail de Michelle Porte sur
                                     Michelle Porte autour de l’œuvre et de l’ima-                     la création durassienne et de l’apport inestimable du
                                     ginaire de Marguerite Duras (cf. FloriLettres                     dialogue que je pouvais poursuivre avec ce témoin
                                     n°154). De sa rencontre avec l’écrivaine,                         essentiel.
                                     Michelle Porte commencera à réaliser des
                                     documentaires, notamment autour et sur                            À travers lettres, commentaires de lettres
                                     son œuvre en train de se faire. Et à votre                        (Michelle Porte commente chaque lettre de
                                     tour, après votre découverte de l’œuvre du-                       Duras), entretiens et archives inédites, cet
                                     rassienne puis de celle de Michelle Porte,                        ouvrage permet de voir des femmes artistes
                                     vous entrerez dans la boucle. Est-ce comme                        au travail : Marguerite Duras et Michelle Porte,
                                     un « passage du témoin » ?                                        mais aussi la sculptrice Marie-Pierre Thiébaut,
                                                                                                       compagne de Michelle Porte et pour qui
                                     JPP. Comme je l’ai dit précédemment, la confron-                  Marguerite Duras a écrit un texte très fort à
                                     tation avec la création durassienne, plus que pour                l’occasion de l’exposition Paysages-Sculptures
                                     tout autre artiste, rend tangible cette osmose entre              à l’Espace Pierre Cardin en 1972. Elles s’inter-
                                     l’œuvre et la personne. En lisant les textes de Du-               rogent, sont attachées à des lieux, partagent
                                     ras, en regardant ses films, j’avais été saisie par ce             « la même intuition de l’unité primordiale de
                                     que l’on perçoit de sa personne, dans sa totalité :               l’espace et du temps, du visible et de l’invisi-
                                     son corps, sa voix, sa sensibilité, son intelligence,             ble, de l’homme et du monde ». En cela, ce
                                     son humour. Aussi le fétichisme qui caractérise tout              livre, dans sa construction, rappelle la façon
                                     admirateur se double-t-il concernant Duras, du désir              dont Marguerite Duras concevait ses films et
                                     profond de communiquer, d’interagir avec l’artiste et             la façon dont Michelle Porte mène ses entre-
                                     par là même, de participer quelque peu à sa créa-                 tiens : un lieu habité par des femmes où le
                                     tion. Ayant commencé à étudier l’œuvre de Duras                   réel et l’imaginaire sont mêlés et sont objet de
                                     trois ans après sa disparition, je n’avais pas eu l’oc-           réflexion, de création. En avez-vous eu cons-
                                     casion de la rencontrer – une rencontre qui d’ailleurs            cience en concevant ce livre ?
                                     à une certaine époque, comme je vous l’avais confié
                                     dans notre entretien de 2014, me paraissait inutile,              JPP. En effet, nous avons conçu ce livre, Michelle
                                     voire néfaste, eu égard au choc que représentait la               Porte et moi, comme un lieu dans lequel se re-
                                     découverte de ses créations. Aussi quand j’ai eu la               trouveraient toutes sortes de traces témoignant
                                     chance, en 2000, de rencontrer Michelle Porte et de               concrètement des liens qui avaient uni une écri-
                                     découvrir son travail avec et autour de Duras, il y               vaine, une cinéaste, une sculptrice dans une

                                                                                                                                                                 05
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                     même vision de la création : une expérience exis-                JPP. Marguerite Duras a été l’écrivaine qui a sans
                                     tentielle qui oriente les choix de vie, qui abolit les           doute été la plus interviewée, celle qui a occupé
Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon

                                     frontières entre le réel et l’imaginaire, entre ce               le plus largement l’espace médiatique (journaux,
                                     que l’on est et ce que l’on fait, entre ce que l’on              radio, télévision), d’une façon qu’on a jugée par-
                                     donne et ce que l’on reçoit. Quand Michelle Porte                fois excessive : Philippe Sollers, faisant en 2000
                                     a retrouvé, je dirais presque « exhumé », l’une                  dans Télérama le bilan de cinquante années de
                                     après l’autre, ces seize lettres qu’elle avait reçues            vie culturelle, voit en elle « une grande Pythie »,
                                     de Marguerite Duras, au fil de leurs trente années                « une sorte de bouche d’ombre très autoritaire ».
                                     d’amitié, et qu’elle avait oubliées entre des pages              Mais cette surexposition publique n’a pas con-
                                     de livres ou dans des dossiers de préparation de                 tribué à donner d’elle une image authentique,
                                     ses films, son émotion a été extrême. Leur lec-                   comme elle l’a dit elle-même dans Les Parleu-
                                     ture faisait revivre, avec une incroyable authen-                ses en 1974 : « Je suis très connue, mais pas de
                                     ticité, des lieux, des événements, des personnes.                l’intérieur. Je suis connue autour, voyez, pour de
                                     En sortant les feuilles de leur enveloppe – dont                 mauvaises raisons ». Au contraire, au travers des
                                     la plupart étaient conservées –, en les dépliant                 lettres qu’elle adresse à deux artistes dont elle
                                     avec précaution, en découvrant les mots de Duras                 se sent proche, elle se dévoile « de l’intérieur »,
                                     inscrits en noir ou en bleu sur la page, si présents             comme elle aurait pu le faire dans un journal, si
                                     dans leur mouvement graphique, Michelle Porte                    elle en avait tenu un, ce qui n’a pas été le cas. Il
                                     a eu le sentiment qu’elle retrouvait son amie dis-               existe à ce jour très peu de lettres de Margue-
                                     parue, dans une immédiateté qui rejoignait ce                    rite Duras, et encore moins de lettres à caractère
                                     qu’elle ressentait devant les plans de ses films                  privé, adressées à des proches – à l’exception de
                                     où elle était présente. C’est pourquoi, très vite, la            quelques lettres à Robert et Monique Antelme et à
                                     construction du livre s’est imposée autour de trois              son fils Jean Mascolo, qui ont été publiées dans le
                                     axes. Il lui fallait d’abord poursuivre le dialogue              Cahier de l’Herne Duras en 2005. Une des raisons
                                     avec Marguerite Duras qui s’adressait si intensé-                de cette rareté est sans doute que l’écrivaine pré-
                                     ment à elle ; c’est ce qui a déterminé les nom-                  férait la communication téléphonique, instaurant
                                     breux entretiens au cours desquels je recueillais                une présence plus immédiate et plus physique. En
                                     cette parole spontanée, navigant librement au gré                lisant ces « lettres retrouvées », on est frappé par
                                     de la remontée des souvenirs réveillés par chaque                l’authenticité de sa parole, qui rend compte de son
                                     lettre. Ensuite, puisque comme vous le soulignez,                vécu dans toutes ses dimensions : on la suit dans
                                     la création est au cœur des échanges entre les                   le quotidien de sa « Vie matérielle », dans son
                                     trois femmes qui apparaissent dans ces lettres,                  « Monde extérieur » comme dans son intériorité
                                     il était important de faire entrer le lecteur dans               de créatrice, avec ses doutes et ses enthousias-
                                     leur univers artistique ; c’est ce qui a conduit à               mes. C’est pourquoi ces lettres constituent un té-
                                     faire figurer dans notre ouvrage la transcription                 moignage exceptionnel qui nous révèle une Duras
                                     de deux entretiens, en grande partie inédits, que                intime, loin des clichés souvent répandus à son
                                     Michelle Porte avait eus avec Marguerite Duras,                  sujet d’une écrivaine narcissique, élitiste – insup-
                                     l’un autour du film Son nom de Venise dans Cal-                   portable en un mot.
                                     cutta désert, en 1976, qui s’appelait encore India
                                     Song bis, et l’autre en 1983 lors de la mise en                  Les lettres de Marguerite Duras sont souvent
                                     scène par Duras elle-même de sa pièce Savannah                   très courtes, mais extrêmement précises,
                                     bay, dont la cinéaste a filmé les répétitions dans                qu’elle parle du quotidien, de ses voyages,
                                     Savannah bay, c’est toi. Enfin, Michelle Porte a                  créations, loyers... Elles sont faites aussi de
                                     souhaité faire partager par le lecteur l’émotion                 fulgurances reconnaissables entre mille du
                                     qui l’avait saisie à la découverte des lettres, en lui           style durassien...
                                     donnant à voir la matérialité de ces pages, dont
                                     plusieurs sont reproduites en fac-similé dans un                 JPP. En effet, j’ai été personnellement très frappée
                                     cahier hors texte.                                               par le style de ces lettres : leur lecture fait instan-
                                                                                                      tanément résonner à nos oreilles cette parole qui
                                     Vous écrivez, toujours dans votre préface,                       était celle de Marguerite Duras, inimitable, à la fois
                                     que « les lettres de l’écrivaine nous font en-                   dans son contenu – des formules « fulgurantes »
                                     trer dans son intimité à la manière d’un jour-                   comme vous le dites, pleines d’intelligence et d’in-
                                     nal, car elles sont l’écho de tout ce qui fait la                vention, de drôlerie – et dans sa forme, rythmique
                                     trame de son existence : l’œuvre accomplie                       et mélodique. Car la fameuse « musique » à laquelle
                                     ou en devenir, les événements de la vie quo-                     on fait référence quand il s’agit de son écriture – et
                                     tidienne, les voyages, le cercle des proches                     lui accoler l’adjectif de « petite » me semble une
                                     et des amis. » Était-ce votre motivation pre-                    erreur – est d’abord celle d’une voix inimitable,
                                     mière en élaborant cette édition ?                               avec son phrasé, son rythme, ses silences aussi ;
                                                                                                      et tous ceux qui l’ont côtoyée ont été marqués par

                                                                                                                                                                06
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                     la séduction de cette voix. C’est cette           et telle que la dépeignent ses
Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon

                                     extraordinaire présence vocale que les            proches, est sa propension en
                                     lettres nous restituent et c’est ce qui           toutes choses à « aller jus-
                                     explique que Michelle Porte, quand elle           qu’au bout », voire à dépasser
                                     les a retrouvées, a tenu à me les lire            les limites – la tiédeur lui étant
                                     d’abord à voix haute avant de les met-            totalement étrangère ! C’est
                                     tre sous mes yeux. Et à ce moment-                bien sûr ce qui apparaît dans
                                     là encore, avec la lecture silencieuse,           la constance et le courage de
                                     l’illusion de sa présence reste forte à           ses positions politiques ; dans
                                     travers l’aspect matériel de ces let-             la singularité de sa création lit-
                                     tres : la façon d’occuper l’espace de la          téraire et filmique. Elle-même
                                     page, la graphie, la ponctuation – tous           a pu faire ce constat dans La
                                     ces éléments concourent à faire revi-             Vie matérielle : « On me dit
                                     vre devant nous la personne qui s’ex-             que j’exagère. On me dit tout
                                     prime. Comme je l’ai souligné dans ma             le temps : Vous exagérez. Vous
                                                                                                                                 Marguerite Duras lors du tournage de La
                                     Note sur l’édition, Duras a écrit au fil           croyez que c’est le mot ? » Mais ces      Musica, 1966.
                                     de la plume, avec des ratures, des                « fringales » se manifestent aussi        Photo Michelle Porte
                                                                                                                                 Lettres retrouvées (1969-1989)
                                     soulignements ou des lettres capita-              dans sa vie quotidienne, et elles ré-
                                                                                                                                 Éditions Gallimard
                                     les pour attirer l’attention sur tel ou           vèlent une nature très physique qui
                                     tel mot, des ajouts dispersés en tête             peut étonner chez cette écrivaine
                                     ou en fin de lettre. La ponctuation                que l’on dit volontiers « intellectuel-
                                     est « expressive », avec des ono-                 le ». Le film de Michelle Porte, Les
                                     matopées (« ouf ! »), de multiples                Lieux de Marguerite Duras, a bien
                                     points d’exclamation, des parenthè-               mis en évidence le lien corporel de
                                     ses accumulées et souvent signalées               l’écrivaine avec sa maison, avec son
                                     par des tirets de longueur différente,            jardin : « Je connais tout, je con-
                                     comme pour hiérarchiser l’importan-               nais la place des anciennes portes,
                                     ce des différentes remarques !                    tout, les murs de l’étang, toutes les
                                     On découvre aussi, dans ces lettres, un           plantes, la place de toutes les plan-
                                     trait qui lui est propre et qui contraste         tes, même des plantes sauvages je
                                     avec son aisance langagière : c’est son           connais la place, tout ». Une scène
                                     indifférence, je dirais même sa désin-            du film montre aussi son approche
                                     volture à l’égard de l’orthographe des            très sensuelle du piano, dont elle
                                     noms propres, qu’elle écrit souvent de            caresse les touches avec douceur.
                                     manière purement phonétique. Mais                 Yann Andréa, qui a partagé avec           Michelle Porte, 1963.
                                     afin de restituer la vérité historique             elle les seize dernières années de sa     Photo Suzanne Baron.
                                     de ses références à divers de ses con-            vie, affirmait, dans un entretien de       Lettres retrouvées (1969-1989)
                                                                                                                                 Éditions Gallimard
                                     temporains, nous avons pris le parti              1982 avec Michèle Manceaux (Je
                                     de corriger tous les noms propres mal             voudrais parler de Duras, Pauvert,
                                     orthographiés – et ils sont assez nom-            2016) : « Le mot clé, c’est “ encore,
                                     breux. Nous avons signalé, cependant,             encore ”... Elle, elle fonce, elle s’en
                                     que nous tenions à garder son ortho-              fout ... elle est complètement dans
                                     graphe du prénom de Michelle Porte                la vie, dans la passion ».
                                     qu’elle écrit « Michèle », sauf à la fin
                                     de sa vie. Car comme le dit la prin-              Votre ouvrage dresse un portrait
                                     cipale intéressée, cela n’avait aucune            de Marguerite Duras qui pouvait
                                     importance, et elle ne voyait pas l’in-           être à la fois autocrate, exclusi-
                                     térêt de « corriger » Marguerite !                ve, sans concession, orgueilleu-
                                                                                       se, colérique, angoissée, dans
                                     Il y a un mot qui revient à quatre                ses conflits d’argent avec ses
                                     reprises. Il s’agit de « fringales ».             producteurs, éditeurs et locatai-
                                     Qu’il s’agisse de son rapport à                   res, mais aussi inspirée, amicale,
                                     l’écriture, à l’image, mais aussi à               amatrice de jeux de mots, gé-
                                     la nourriture ou aux travaux ma-                  néreuse et investie... Vous écri-
                                     nuels...                                          vez : « Marguerite Duras se ré-           Marie-Pierre Thiébaut, 1968
                                                                                                                                 Photo Michelle Porte
                                                                                       vèle dans ces lettres un véritable        Lettres retrouvées (1969-1989)
                                     JPP. Il est vrai qu’un des traits de              personnage. Car, comme le dit             Éditions Gallimard
                                     caractère de Marguerite Duras, telle              Michelle Porte : ” Avec elle, on
                                     qu’elle se dévoile dans ces lettres               était dans la littérature ! “ » Est-

                                                                                                                                                                           07
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                     ce notamment pour cette raison                     bles de l’œuvre théâtrale de Margue-
Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon

                                     que leur amitié a duré ?                           rite Duras, en raison de l’importance
                                                                                        des rôles de personnages durassiens
                                     JPP. Quand j’ai posé cette question à              qu’elle a interprétés et en raison de
                                     Michelle Porte, elle m’a répondu, para-            sa position éminente dans l’histoire
                                     phrasant Montaigne à propos de son                 du théâtre. Comme l’écrit Margue-
                                     ami La Boétie : « Parce que c’était elle,          rite Duras en exergue de la pièce
                                     parce que c’était moi »... Il me semble            qu’elle a écrite pour elle, Savannah
                                     aussi que l’amitié sans failles qui les a          Bay : « Tu es la comédienne de théâ-
                                     unies reposait sur le fait que Michelle            tre, la splendeur de l’âge du monde,
                                     Porte savait garder son indépendan-                son accomplissement, l’immensité
                                     ce d’esprit à l’égard de Duras, qu’elle            de sa dernière délivrance. »
                                     n’était jamais dans une muette ado-                Leur première collaboration date de
                                     ration, dans une adhésion aveugle à                1965, quand Madeleine Renaud in-
                                     tout ce qu’elle proposait – comme le               terprète le personnage de « La mère »     L’Après-midi de Monsieur Andesmas, un film de
                                     furent certains. Car comme le remar-               dans Des journées entières dans les       Michelle Porte, d’après le roman éponyme de
                                     que Michèle Manceaux dans L’Amie,                  arbres, une pièce adaptée de la nou-
                                     de façon paradoxale, avec Duras,                   velle du même nom et mise en scène        Michelle Porte
                                     « ceux qui demeurent proches sont                  par Jean-Louis Barrault au Théâtre        Filmographie
                                     ceux qui prennent leurs distances.                 de l’Odéon. La pièce montre l’amour       Les Lieux de Marguerite Duras, 1976
                                                                                                                                  Les Lieux de Virginia Woolf, 1980
                                     Elle dit qu’elle déteste fasciner les              aveugle d’une vieille femme pour          La Peste : Marseille 1720, 1982
                                     gens, que la fascination est une dé-               son fils, un raté qui ne pense qu’à        Savannah Bay, c’est toi, 1984
                                                                                                                                  La Princesse Palatine à Versailles : portrait d’une
                                     voration ». L’amitié entre Michelle et             profiter de l’argent de sa mère. On        famille royale, 1985
                                     Marguerite se nourrissait d’échan-                 sait que cette histoire a une origine     À la recherche de Carl Theodor Dreyer, 1987
                                                                                                                                  Le Tours de Victor Laloux, 1987
                                     ges permanents, d’un croisement                    autobiographique, Marguerite Duras        D’un Nord à l’autre, 1988
                                     de leurs univers aussi bien artistique             ayant toujours souffert de la préfé-      Edmond Jabès, 1989
                                                                                                                                  Christian Boltanski. Signalement, le voyage au
                                     que relationnel. Par exemple, c’est                rence absolue de sa mère pour son         Pérou, 1992
                                     grâce à Marguerite Duras que Michelle              fils aîné, Pierre. Lors de la création     Christian Boltanski. Une Maison en Allemagne,
                                                                                                                                  1992
                                     Porte avait fait la rencontre de                   de la pièce, la critique sera unanime     Degottex peintre, 1992
                                     Catherine Sellers, à qui elle confiera              pour saluer la performance de Made-       La maison de Jean-Pierre Raynaud, 1993
                                                                                                                                  Portraits de famille : avec mon père Maurice
                                     le texte lu dans son film D’un Nord                 leine Renaud et Duras affirmera alors      Denis, 1993
                                     à l’autre ; c’est grâce à Marguerite               que « Madeleine Renaud a du génie »,      Françoise Sagan, 1996 :
                                                                                                                                  L’Après-midi de Monsieur Andesmas, d’après le
                                     Duras qu’elle avait découvert l’œuvre              émerveillée de la façon dont la comé-     roman de Marguerite Duras, 2004
                                     de Virginia Woolf sur laquelle elle a              dienne fait plus qu’interpréter le per-   Marguerite Duras. Les Lieux de l’imaginaire,
                                                                                                                                  dans le cadre de la série « Une maison, un
                                     réalisé un film ; et inversement, c’est             sonnage de sa mère pour devenir           écrivain », 2012
                                     grâce à Michelle Porte que Duras a                 elle véritablement : « Et lorsqu’un       Les Mots comme des pierres. Annie Ernaux,
                                                                                                                                  écrivain, 2014
                                     découvert les sculptures de Marie-                 jour je suis arrivée à l’Odéon pour
                                     Pierre Thiébaut ou les livres de Bri-              une représentation en costumes, je        Bibliographie
                                                                                                                                  Marguerite Duras, Le Camion suivi de Entretien
                                     gitte Favresse – dont elle louera avec             me suis arrêtée à la porte de la salle,   avec Michelle Porte, Minuit, 1977.
                                     fougue les créations.                              clouée ; ma mère était sur la scène       Marguerite Duras et Michelle Porte, Les Lieux
                                                                                                                                  de Marguerite Duras, Minuit, 1978.
                                                                                        de l’Odéon » (Outside, 1980). Par la      Michelle Porte, « Le Pays de personne », Duras,
                                     Il ressort aussi de ces lettres et                 suite, la comédienne sera Claire Lan-     l’œuvre matérielle, sous la direction de Sophie
                                                                                                                                  Bogaert, éditions IMEC, 2006.
                                     échanges le rapport passionnel                     nes, cette meurtrière pleine de folie     Michelle Porte, Entre documentaire et fiction :
                                     que Marguerite Duras entrete-                      et de poésie de L’Amante anglaise ;       un cinéma libre, entretien avec Jean Cléder, Le
                                                                                                                                  Bord de l’eau, 2010.
                                     nait avec ses comédiens et co-                     elle jouera encore le personnage de       Annie Ernaux, Le Vrai lieu, entretiens avec
                                     médiennes, comme avec ses per-                     « La Mère » en 1977 dans L’Éden ci-       Michelle Porte, Gallimard, 2014.

                                     sonnages, comme dans la vie,                       néma – cette fois un rôle quasi muet
                                     dans ses liens sentimentaux et                     sur la scène du Théâtre d’Orsay. Mais
                                     amicaux. Pouvez-vous nous par-                     quand l’écrivaine la dirigera en 1983
                                     ler de la relation qu’elle entrete-                dans sa mise en scène de Savannah
                                     nait avec Madeleine Renaud pour                    bay au Théâtre du Rond-Point, les
                                     qui elle a écrit la pièce Savannah                 répétitions révèleront l’ambivalen-
                                     Bay dont les répétitions assor-                    ce d’une relation aussi passionnelle
                                     ties d’entretiens avec l’écrivaine                 que l’avait été la relation de Duras
                                     ont fait l’objet du film Savannah                   avec sa propre mère : si l’écrivaine
                                     Bay, c’est toi, réalisé par Michelle               admire plus que jamais le génie de
                                     Porte ?                                            Madeleine Renaud, si elle lui fait ce
                                                                                        cadeau d’écrire pour elle, à sa de-
                                     JPP. Madeleine Renaud fait partie                  mande, « une pièce d’amour » dans
                                     des comédiennes qui sont indissocia-               laquelle le personnage de la comé-

                                                                                                                                                                                  08
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                     dienne âgée se nomme Madeleine, elle ne peut                      Ce texte est magnifique, il en dit long sur le senti-
                                     s’empêcher d’imposer à celle qu’elle nomme « sa                   ment du tragique qui a toujours habité Marguerite
Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon

                                     mère de théâtre » sa rigueur tyrannique. En fil-                   Duras et qu’elle combattait par ce qu’elle nomme
                                     mant avec une totale authenticité le jeu tumul-                   « le gai désespoir ». Et cette vision du comédien
                                     tueux qui s’instaure entre la dramaturge et son                   de théâtre est si juste que la grande tragédienne
                                     interprète, ce n’est pas seulement une leçon de                   Francine Bergé a choisi d’enregistrer ce texte pour
                                     théâtre que Michelle Porte nous donne à voir dans                 le faire connaître ; on peut l’écouter sur Sound
                                     Savannah Bay, c’est toi, c’est aussi un incompa-                  Cloud sous le titre « La peur du théâtre ».
                                     rable témoignage sur les profondeurs de la psy-
                                     ché durassienne.                                                  Michelle Porte dit que dans son film D’un
                                                                                                       Nord à l’autre, elle fait entendre en voix off
                                     La mort est présente au cours des échan-                          beaucoup d’extraits du roman La Lise de
                                     ges, des entretiens, dans les lettres. Mais ce                    Brigitte Favresse. « Car, comme l’écrit Mar-
                                     qu’elle dit de plus fort, là où elle parvient                     guerite Duras dans sa lettre, le livre, c’est
                                     peut-être à être au plus près d’elle, se trou-                    les mouvements de l’écrit comme on dit les
                                     ve dans « Entretiens intégraux de Michelle                        mouvements de la mer ». Nous avons le senti-
                                     Porte avec Marguerite Duras pour son film                          ment qu’il en est de même dans votre livre...
                                     Savannah Bay, c’est toi » et ce qu’elle dit de
                                     la mort du comédien, de l’oubli, du trou, est                     JPP. C’est un bel éloge du livre que vous faites là,
                                     prodigieux...                                                     et je vous en remercie. Car dans l’œuvre de Du-
                                                                                                       ras, la mer est une référence absolue. Elle incarne
                                     JPP. Il est vrai que les entretiens avec Michelle                 pour elle, dans un glissement poétique hautement
                                     Porte dans Savannah Bay, c’est toi sont d’une                     signifiant, du mot « mer » au mot « mère », cette
                                     grande richesse. Mais avant d’aborder cette thé-                  mère à la fois adorée et détestée : « J’ai toujours
                                     matique de la mort dont la force vous a frappée,                  été au bord de la mer dans mes livres, je pensais
                                     il me semble important d’attirer l’attention sur                  à ça tout à l’heure. J’ai eu affaire à la mer très
                                     ce que les deux archives inédites que nous pré-                   jeune dans ma vie, quand ma mère a acheté le
                                     sentons dans l’ouvrage apportent de nouveau.                      barrage, la terre du Barrage contre le Pacifique et
                                     Lorsqu’elle dialogue avec Michelle Porte, Duras se                que la mer a tout envahi, et qu’on a été ruinés ».
                                     trouve dans une situation de confiance absolue,                    Elle incarne aussi l’amour maternel, « amour fou,
                                     car elle sait que l’écoute de son interlocutrice sera             mouvement océanique qui engloutit tout dans sa
                                     à la fois bienveillante et intelligente – la proximité            profondeur ». Et elle condense toute la puissance
                                     amicale n’induisant aucune complaisance. Pour                     poétique de l’écriture, comme elle le dit à Michelle
                                     les entretiens des Lieux de Marguerite Duras ou                   Porte dans Les Lieux : « La mer est complètement
                                     pour ceux de Savannah Bay, c’est toi, la réalisa-                 écrite pour moi ». Souhaitons donc que le lecteur
                                     trice a toujours pris le parti au montage de ne pas               soit emporté par ce que notre livre fait résonner
                                     apparaître à l’image ; le même souci de discrétion                de la parole durassienne, comme il peut l’être par
                                     se manifeste dans la bande-son des films, ses in-                  les mouvements de la mer...
                                     terventions ou questions étant toujours réduites
                                     au maximum, assurant la relance de la parole du-
                                     rassienne, qui nous apparaît alors dans l’authen-                 FloriLettres n°154, édition mai 2014
                                     ticité de son surgissement. Mais dans la première                 Marguerite Duras, Le centenaire
                                     archive inédite que nous présentons dans l’ouvra-                 Entretien avec Joëlle Pagès-Pindon
                                     ge – les entretiens autour d’India Song bis –, le
                                     dialogue est totalement équilibré, et c’est la con-
                                     frontation de leurs deux expériences de spectatri-
                                     ces qui permet d’éclairer le sens profond du film.
                                     Pour les entretiens de Savannah bay, c’est toi, là
                                     encore, nous avons ajouté au texte du film plu-
                                     sieurs passages inédits que Michelle Porte n’avait
                                     pas repris au montage et dont nous avons retrou-
                                     vé la transcription dans les documents du dossier
                                     de préparation. Le passage que vous évoquez sur
                                     la mort du comédien en fait partie : « Je com-                    Marguerite Duras
                                     prends la peur que j’ai toujours au théâtre... Et                 Le Livre dit
                                                                                                                                        https://fondationlaposte.
                                     en fait, c’est une peur de la mort du comédien...                 Entretiens de Duras filme
                                                                                                                                        org/sites/default/files/medias/
                                                                                                       Édition de Joëlle Pagès-Pindon
                                     Et cette peur-là, elle rejoint, si vous voulez, une               Éditions Gallimard, 2014
                                                                                                                                        files/2022/01/florilettres154.pdf
                                     peur d’ordre divin et la grande malédiction qui
                                     était sur le monde des comédiens, enfin, qui ré-
                                     gnait au Moyen-Age par exemple, n’est-ce pas ? ».
                                                                                                                                                                          09
FloriLettres Revue littéraire de la Fondation La Poste
N°227- Marguerite Duras, Michelle Porte • Lettres > fév. 2022

                                                   Lettres et extraits
                                                                                                                          s’est installées là-bas. Je connaissais Marguerite depuis 1966,
                                                                                                                          depuis le tournage du film La Musica. En 1966, mon amie
                                                                                                                          Marie-Pierre Thiébaut me signale qu’elle a lu dans le magazine
                                                                                                                          Arts que Marguerite Duras va faire un premier film d’après sa

                                                   choisis                                                                pièce de théâtre La Musica. Il faut absolument que je la joigne.
                                                                                                                          Je m’adresse alors à Martha Lecoutre que je connais et qui
                                                                                                                          dirige la revue Constellation, sorte de Reader’s Digest à la
                                                                                                                          française, dans laquelle Marguerite écrit des articles qu’elle
                                                                                                                          ne signe pas de son nom. Marguerite Duras me semble assez
                                                   Marguerite Duras, Michelle Porte                                       brutale au téléphone, mais elle me donne un rendez-vous pour
                                                                                                                          le lendemain après-midi. Je monte les trois étages de la rue
                                                   Lettres retrouvées (1969-1989)                                         Saint-Benoît, très angoissée. Quand la porte s’ouvre, je me
                                                                                                                          trouve face à une Marguerite Duras que j’ai l’impression de
                                                                                                                          connaître depuis toujours. Elle est très curieuse et me pose
                                                                                                                          beaucoup de questions ; je suis totalement en sympathie avec
Lettres et extraits choisis - Lettres retrouvées

                                                   Michelle Porte c/o MP. Thiébaut. Les Bouillons. Vaucluse.              elle et je sens que c’est réciproque. Elle ne sait pas si la pro-
                                                   Gordes                                                                 duction va pouvoir m’engager pour le film, les équipes étant
                                                                                                                          déjà formées et elle me demande de la rappeler. Le lendemain,
                                                   Vendredi 31-7-[19]69                                                   elle me dit : « Pour la production, ce n’est pas possible, mais
                                                                                                                          venez sur le tournage, vous serez avec moi. L’équipe est logée
                                                   Chère Michelle,                                                        avec moi à l’hôtel Normandy de Deauville, je vous donnerai les
                                                   Merci du mot. On se demandait où vous étiez (adresse de                clefs de mon appartement aux Roches Noires à Trouville, vous
                                                   l’année dernière perdue).                                              serez tranquille. »
                                                   Le film se termine – on mixe mercredi. La copie zéro sortira            Le tournage a débuté en mai 1966. Je rejoignais l’équipe
                                                   entre le 15 et le 18 août.                                             chaque matin par le chemin des planches, sur la plage, puis
                                                   Le jury du Festival de New York et de Londres a choisi le film.         par le petit bac pour traverser la Touques. Ce tournage de La
                                                   Je vais donc à New York pour le 15 septembre. Michèle Muller           Musica a été le début d’une longue amitié. C’est là qu’on s’est
                                                   qui a quitté Matra va venir aussi – on va aussi à Londres – Ce         vraiment connues.
                                                   film me vaudra au moins des voyages (pas Venise la liste est
                                                   close le 15 juillet !!).
                                                   J’aime le film profondément. Ça ce n’est pas intéressant, mais          Michèle Porte. Les Parrins. 84 Gordes
                                                   Dionys est complètement passionné par ce film (comme si tout            20-11-[19]73
                                                   devenait possible, dit-il) et ça c’est bien. Je crois que la qualité
                                                   première de ce travail, c’est la force. C’est finalement simple         Chère Michèle, ce voyage s’est bien passé : je suis revenue le
                                                   – le langage est simple (plus simple que dans La Musica).              25 octobre. Il y a eu de très bonnes projections de La Femme
                                                   Si subtilité il y a (qui sait ?) elle est dans le renouvellement       du Gange, privées.
                                                   du rapport humain – (c’est ça qui emballe Dionys qui dit que           Ça m’embête ce que vous me dites sur Marie-Pierre qui ne
                                                   cela se voit plus que dans le livre) – si force il y a c’est que ce    voudrait pas venir. Ça m’embête pour moi et pour vous deux
                                                   nouveau rapport est naturel.                                           – La solitude, l’isolement, c’est aussi une séduction. Plus on
                                                   Maintenant je vais sombrer dans l’ennui – je vais écrire je            est seul, plus on veut l’être. Je sais ce qu’il en est. Mais, il y a
                                                   crois. Les productrices me demandent de faire un autre film.            un mais, il ne faut pas je crois atteindre un point de non-retour
                                                   J’aurais envie de faire une partie du Vice-consul (avant tout)         à ce qu’il faut bien appeler le réel. J’ai dû me forcer pour aller
                                                   on verra.                                                              à New York et je suis très heureuse d’y être allée (au fait je me
                                                   Paris est merveilleusement vide. Température de Cuba.                  suis réconciliée avec Edgar Morin et Johanne).
                                                   On sort comme d’une occupation, d’un état anormal de la ville.         Il y a un effort à faire pour sortir de l’isolement. Je crains
                                                   On trouve des places pour les autos et on peut marcher sur les         toujours que vous ne vous enfonciez toutes les deux dans le
                                                   trottoirs. On ne se cogne plus contre le refus de votre présence       monde merveilleux du travail manuel. C’est un rêve – et que je
                                                   – lequel devient une chose très grave. Encore un mois. Après           fais aussi –, mais n’est-ce pas là, contradictoirement – le rêve
                                                   l’horreur.                                                             le plus abstrait ? Croire que c’est possible ? – Si Marie-Pierre
                                                   Quoi de neuf ?                                                         est déchirée à l’idée de venir je ne sais pas quoi vous dire.
                                                   Outa veut toujours foutre le camp. Il est toujours là.                 Elle supporte très mal la contrainte, et elle a raison, mais elle
                                                   Jacqueline a échoué à l’agrég[ation]. Elle cherche du travail.         doit savoir (quelque part en elle) si elle ne veut pas venir pour
                                                   Michèle cherche du travail. La Recherche l’a prévenue hier qu’il       travailler ou pour ne pas travailler. Je crois que là on est au
                                                   n’y avait rien pour elle (à cause du budget).                          cœur de la solitude : personne ne peut vouloir pour vous, dans
                                                   Je vous embrasse très fort                                             votre corps ou dans votre tête, ce que vous voulez. Souvent,
                                                   Marguerite                                                             ce que vous voulez, vous-même vous ne le savez pas. Je sais
                                                   Michèle vous embrasse aussi.                                           qu’il y a un problème de Marie-Pierre. Mais on est là dans la
                                                                                                                          loi sauvage, je veux parler de celle qui régit les mouvements
                                                   [En travers de la dernière page :] Vous comprenez bien                 spontanés, les réflexes inattendus, les refus, les blocages, les
                                                   que si New York n’est pas torride on restera là-bas un                 bons en avant, etc. Si Marie-Pierre croit qu’elle ne veut plus
                                                   bon bout de temps.                                                     faire des sculptures, il s’agit, j’en suis sûre, d’un faux savoir. Le
                                                                                                                          contraire est aussi vrai. – Ce qu’il faudrait peut-être c’est que
                                                                                                                          vous soyez sorties toutes les deux des travaux manuels, une
                                                                                                                          sorte de passage à vide. Du temps. Rien d’autre. Il me prend
                                                   Lettre du 31 juillet 1969                                              des fringales de travaux manuels, mais jamais comme ça, je
                                                                                                                          ne peux pas juger très bien. Je croyais ne plus aimer écrire
                                                   Michelle Porte : C’est une lettre de 1969, la première lettre          et cet été j’ai écrit pendant trois mois comme une dingue, le
                                                   que j’ai gardée. J’en ai peut-être eu d’autres, je ne sais pas. Il     cinéma ne comptait plus. –
                                                   y a des lettres qui se sont perdues. Marguerite me l’envoie aux        Je ne suis pas encore allée à l’impasse. Ça va plus ou moins
                                                   Bouillons à Gordes : c’est l’adresse de Marie-Pierre. Je suis ar-      bien entre Solange, Dionys et moi. Je n’ai plus de mensualités
                                                   rivée à Gordes en 1968, en revenant d’Algérie, où j’étais allée        de Gallimard pour le moment, j’ai des problèmes d’argent (à
                                                   rejoindre Marie-Pierre, qui travaillait pour l’architecte Fernand      force de faire du cinéma invendable) et je ne sais pas si je
                                                   Pouillon. Je devais de mon côté faire un film sur lui, qui ne           pourrai continuer à tout payer à Neauphle. On verra.
                                                   s’est pas fait à cause des événements de mai 68. Le tournage           Je vous embrasse très fort toutes les deux.
                                                   a été annulé et le projet n’a pas été repris.                          Marguerite
                                                   Donc en 1968, en rentrant d’Algérie, on a trouvé un terrain            Michèle [Muller] fait un montage, toute seule, ça va.
                                                   près de Gordes. C’était une oliveraie avec une magnifique               [Ajout en haut de la première page :] Reçu votre chèque
                                                   borie, une très grande borie que Marie-Pierre a achetée et on          et votre lettre.

                                                                                                                                                                                                  10
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