France-Russie : l'avenir d'un partenariat stratégique - COMPTE-RENDU DU COLLOQUE ORGANISÉ PAR L'OBSERVATOIRE FRANCO-RUSSE ET L'IRIS, EN ...
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C O M P T E - R E N D U France-Russie : l’avenir d’un partenariat stratégique COMPTE-RENDU DU COLLOQUE ORGANISÉ PAR L'OBSERVATOIRE FRANCO-RUSSE ET L'IRIS, EN PARTENARIAT AVEC LE MEDEF ET LE CCIFR, LE JEUDI 18 AVRIL, SALLE VICTOR HUGO, PARIS.
Colloque FRANCE-RUSSIE : L’avenir d’un partenariat stratégique Jeudi 18 avril 2013 - Paris, Salle Victor Hugo (Immeuble Jacques Chaban-Delmas - 101, rue de l’Université, Paris 7e) 9H00 - ALLOCUTIONS DE BIENVENUE Pascal BONIFACE, Directeur de l’IRIS Emmanuel QUIDET, Président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR) Thierry COURTAIGNE, Directeur général du MEDEF International 9H15 - ALLOCUTIONS D’OUVERTURE Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Sénateur, Représentant spécial de la France pour la Russie S.Exc. M. Alexandre ORLOV, Ambassadeur de Russie en France S.Exc. M. Jean DE GLINIASTY, Ambassadeur de France en Russie 9H45 - QUELLES RELATIONS POLITIQUES ENTRE PARIS ET MOSCOU ? Modérateur Arnaud DUBIEN, Directeur de l’Observatoire franco-russe Eric FOURNIER, Directeur de l’Europe continentale, Ministère des Affaires étrangères Fiodor LOUKIANOV, Rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs, Président du Conseil de politique étrangère et de Défense (SVOP) Jean-Marie LE GUEN, Député de Paris, Vice-président du groupe d'amitié France-Russie de l’Assemblée nationale Alexandre BABAKOV, Député à la Douma d’État, Représentant spécial du président pour la coopération avec les Russes de l’étranger Yves POZZO DI BORGO, Sénateur de Paris, Vice-président du groupe d’amitié France-Russie 11H30 - REGARDS CROISÉS FRANCO-RUSSES SUR L’ACTUALITÉ STRATÉGIQUE INTERNATIONALE (MALI, SÉCURITÉ EUROPÉENNE, « PRINTEMPS ARABE », AFGHANISTAN) Modérateur Konstantin SIMONOV, Directeur général de la Fondation pour la sécurité énergétique nationale Gwendal ROUILLARD, Président du Conseil d’administration de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Député du Morbihan, Secrétaire de la com- mission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale Mikhaïl MARGUELOV, Président de la commission des Affaires internationales, Conseil de la Fédération, Représentant spécial du président russe pour l’Afrique Hubert VÉDRINE, Ancien ministre des Affaires étrangères, Fondateur et associé-gérant d'Hubert Védrine Conseil Sergueï KARAGANOV, Président du Club de Valdaï Andreï KORTOUNOV, Directeur général, Conseil russe pour les affaires internationales (RSMD) 14H30 - ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DES RELATIONS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES FRANCO-RUSSES Modérateur Emmanuel QUIDET, Président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR) Jean-Pierre DUPRIEU, Directeur Général adjoint, Air Liquide Boris TITOV, Médiateur en charge de la protection des droits des entrepreneurs Ekaterina TROFIMOVA, Première vice-Présidente, Gazprombank Jacques DE BOISSÉSON, Directeur Général, Total E&P Russie Elisabeth PUISSANT, Directrice de la Mission économique Ubifrance à Moscou Gonzague DE PIREY, Directeur Général, Saint-Gobain Russie Raphaël BELLO, Chef de Service pour les affaires bilatérales et l’internationalisation des entreprises, Direction générale du Trésor, Ministère de l’Economie et des Finances 16H45 - MOSCOU-PARIS : COMMENT FRANCHIR UN NOUVEAU CAP ? Modérateur Pavel CHINSKY, Directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR) Justin VAÏSSE, Directeur du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie, ministère des Affaires étrangères Artem MALGUINE, Vice-recteur, MGIMO Rouslan POUKHOV, Directeur du Centre d’analyse des stratégies et technologies Thierry MARIANI, Député de la 11ème circonscription des Français de l’étranger, Co-président du Dialogue franco-russe Jean-Gabriel ARQUEROS, Président du comité d’orientation de l’Observatoire franco-russe
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 Compte-rendu « France-Russie : l’avenir d’un partenariat stratégique » ALLOCUTIONS DE BIENVENUE Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), ouvre le colloque en félicitant les nombreux participants de leur présence qui montre l’importance du thème, les relations franco- russes étant un sujet essentiel dans l’intérêt national des deux pays. Il déplore le « Russian bashing » de la presse française, qui demande souvent de limiter les relations entre les deux Etats. Or, M. Boniface assure que si la France veut avoir une politique étrangère active et une place importante sur la scène internationale, elle ne doit pas se contenter des limites de l’Union européenne (UE) mais développer d’autres partenariats. Le directeur de l’IRIS rappelle que la Russie est depuis longtemps déjà un partenaire majeur de la France. Pour lui, il est dans l’intérêt des deux pays de parler franchement des points d’accord et de désaccord, et ce dans le respect mutuel. Il estime que les convergences sur les sujets stratégiques, économiques et politiques restent plus nombreuses que les divergences, et affirme que diaboliser ces relations serait pénaliser la France, en l’empêchant d’avoir une politique extérieure active. M. Boniface termine son discours d’ouverture en exprimant son espoir que le colloque permettra d’avancer la réflexion sur les points d’accord entre la France et la Russie, ainsi que sur les secteurs dans lesquels les deux Etats pourraient travailler ensemble et améliorer leur coopération. Thierry Courtaigne, directeur général du Medef International, rappelle qu’en plus d’être un grand pays, la Russie constitue un partenaire incontournable et décisif dans le monde nouveau qui se construit depuis quelques années. En effet, l’échec du multilatéralisme mène COMPTE-RENDU 1
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 à la réorganisation du monde en grandes régions parmi lesquelles, pour être forte, l’Europe doit s’associer à la Russie, aux pays du Golfe, aux Etats méditerranéens, et à l’Afrique. Pour M. Courtaigne, l’histoire, la culture, les intérêts géostratégiques et économiques vont dans le sens d’une association forte entre la France et la Russie, ce qui a bien été compris par le monde économique français. Il cite les chiffres qui témoignent de cette confiance des entreprises en l’avenir de la Russie : avec 20 milliards d’euros d’échanges, soit 4% du marché russe, la Russie est le troisième partenaire commercial européen de la France après l’Allemagne et l’Italie. 12 milliards ont été investis dans des secteurs variés allant de l’automobile à la haute technologie, en passant par l’agroalimentaire, le secteur bancaire, les travaux publics ou encore la distribution. Le vice-président du Medef explique que son organisation prépare l’avenir avec son partenaire russe, l’Union des industriels et des entrepreneurs de Russie (RSPP), avec lequel il a créé le Conseil pour la Coopération économique France-Russie, coprésidé par Jean-Yves le Gall et M. Yakounine. La Chambre de Commerce et d’Industrie franco-russe (CCIFR), véritable fer de lance des entreprises françaises en Russie, a été associée à ce Conseil. M. Courtaigne énonce ensuite un principe : entre amis, il faut se dire la vérité, et être capable de l’entendre. Cet adage, indique-t-il, est appliqué quotidiennement dans les relations entre le Medef et le RSPP, et est très bien accepté des deux côtés. Enfin, il termine son allocution sur une note positive : si seuls, on va vite, dit-il, ensemble, on ira loin. Emmanuel Quidet, président de la CCIFR, prend à son tour la parole pour accueillir les participants. Il fait de suite référence à l’expression « Russian bashing » utilisée par Pascal Boniface, phénomène dont les hommes d’affaires présents en Russie souffrent énormément. Il insiste sur le fait que le but du colloque est aussi de montrer la Russie sous un jour différent. COMPTE-RENDU 2
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 M. Quidet a reçu François Hollande lors de sa visite à Moscou le 28 février 2013, et a assisté à sa rencontre avec Vladimir Poutine, au cours de laquelle il a pu observer les deux chefs d’Etat échanger chaleureusement. Il s’étonne alors que la presse ait décrit ces relations comme étant glaciales. Pour lui, cette question des relations avec la Russie n’est pas un débat entre droite et gauche mais un débat entre ceux qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas. Il salue ensuite la présence d’intervenants de haut-niveau : des diplomates, des parlementaires, des experts, des membres de comités d’affaires français et russes… en d’autres termes, dit-il, tous ceux qui font la relation franco-russe dans leurs domaines respectifs. Pour finir, M. Quidet félicite l’Observatoire franco-russe, dont c’est le premier anniversaire, pour le lancement de son ouvrage La Russie 2013, ainsi que Arnaud Dubien et Pascal Boniface, pour avoir organisé la conférence et souhaite à tous de fructueux échanges. Jean-Pierre Chevènement, sénateur et représentant spécial de la France en Russie, réaffirme que la visite du président Hollande en Russie a été un succès, de par les contacts établis et le nombre de sujets abordés. Le président de la République y a clairement marqué sa volonté de franchir un nouveau cap dans la relation franco-russe. Le premier point de l’intervention de M. Chevènement porte sur le ralentissement de l’économie dans le monde et en Europe, et surtout sur la façon de la relancer, qui devra être débattue dans les échanges franco-russes. Il rappelle que la Russie est – et restera – le principal fournisseur d’énergie de l’Europe, ce qui les rend interdépendantes. Vladimir Poutine a annoncé un plan d’investissement dans les infrastructures, afin de soutenir le programme de modernisation et de diversification de son économie, pour lequel la Russie a besoin d’investissements directs et de technologies de pointe. M. Chevènement estime que le marché russe offre ainsi aux entreprises françaises un important relais de croissance, notamment grâce à l’essor des classes moyennes qui ouvre de nombreuses perspectives dans des domaines comme l’aménagement urbain et touristique, l’environnement, les transports, les produits agricoles et alimentaires, COMPTE-RENDU 3
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 l’habillement, etc. Il félicite également les efforts français pour attirer les investissements russes. Affirmant que la France n’oublie pas l’histoire de ses relations avec la Russie, ni ce qu’elle doit aux soldats russes, M. Chevènement insiste sur l’importance de la confiance dans les relations franco-russes, qu’il faut renforcer malgré l’image obsolète de la Russie que renvoient encore les médias français. En conclusion, M. Le Représentant spécial se dit optimiste pour l’avenir, et déclare que le peuple russe est un grand peuple européen. Pour la France, préconise-t-il, il ne saurait y avoir de politique étrangère à vocation mondiale sans un partenariat rapproché avec la Russie. Son Excellence M. l’Ambassadeur Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France, remarque que le colloque arrive à un très bon moment dans les relations franco-russes, car la visite du président français a créé les conditions pour un nouveau départ. L’ambassadeur réaffirme que le handicap majeur reste une mauvaise connaissance de la Russie en France, entretenue par la presse française qui transforme cette méconnaissance en méfiance. Or la confiance est une condition sine qua non pour une bonne coopération bilatérale. M. Orlov félicite à ce sujet la CCIFR pour son annuaire, qui donne les informations nécessaires pour bâtir une relation de long terme, dont la vision manque actuellement. Pour l’ambassadeur, il faut se fixer un objectif stratégique : la création d’un espace commun économique et humain, dans les termes du traité de Rome de 1957, en insistant sur la libre- circulation des hommes. Pour cela, il faut d’abord une volonté politique européenne d’abolir les visas. M. Orlov considère que les relations franco-russes ont une grande importance au niveau global, mais qu’il reste encore beaucoup à faire. Il se félicite du temps que M. Poutine et M. Hollande ont passé à discuter des relations bilatérales, et affirme que les échanges sur la Syrie ont été instructifs et positifs, puisqu’ils ont mené à la décision de commencer, en France, un dialogue politique entre les belligérants. COMPTE-RENDU 4
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 L’ambassadeur, à l’instar de M. Chevènement, revient enfin sur les bases solides dont bénéficie la relation franco-russe, en particulier leur histoire commune. Il informe que pour la première fois, en 2014, la Russie célébrera le centenaire de la Seconde Guerre mondiale, rappelant ainsi que les deux pays se sont battus ensemble. La culture, ajoute-t-il, fournit aussi un terreau indispensable aux relations franco-russes. En effet, la Russie a parlé français pendant deux siècles. De même, un enseignement plus systématique du russe en France pourrait garantir l’avenir des relations. Son Excellence M. l’Ambassadeur Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie, débute son allocution en expliquant que, si la Russie n’est pas invulnérable aux effets de la crise économique, ses fondamentaux restent solides : elle a un budget équilibré, une consommation intérieure forte, des carnets de commande pleins, notamment sur des grands projets d’infrastructure à l’étranger. Il ajoute que le pays prévoit 2,5% de croissance cette année, et que sa présidence du G20 lui donne une place importante dans l’ordonnancement de la lutte contre la crise. Pour l’ambassadeur, la Russie sera la bouée de sauvetage des pays de l’UE, son partenaire stratégique essentiel. Il rappelle que la modernisation de la Russie ne peut passer ni par la Chine, ni par les Etats-Unis, ni par le Japon avec qui elle a encore des contentieux. Elle passe donc, conclut-il, par l’UE, son partenaire naturel. M. De Gliniasty tempère que cette dernière manque encore d’une vision stratégique de ses relations avec la Russie, ce que la France pourrait changer grâce à sa capacité d’entraînement au sein de l’UE. Il rappelle que la dimension stratégique est déjà pleinement utilisée et porte ses fruits dans le conseil conjoint sur les questions de sécurité : à part sur l’analyse des « Printemps arabes » et de la situation syrienne, la France et la Russie sont d’accord sur tout. L’ambassadeur donne alors les exemples de l’Afghanistan, de l’Afrique ou encore de la lutte contre les trafics de drogue qui fait l’objet du Pacte de Paris, co-présidé par la France et la Russie. Il en conclut que, à l’exception des Etats-Unis, le dialogue stratégique entre la France et la Russie est sans pareil. COMPTE-RENDU 5
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 Enfin, l’ambassadeur aborde la question des images respectives qui, selon lui, sont positives et témoignent d’un respect mutuel même si l’image économique de la France en Russie et l’image politique de la Russie en France ternissent quelque peu ce tableau. Pourtant, explique-t-il, il y a de la part du gouvernement russe une volonté de modernisation de la société, de la vie, de l’économie… dont le symbole est l’adhésion à l’OMC. La base électorale du gouvernement étant plutôt traditionaliste, elle s’inquiète de cette adhésion, et s’interroge sur la pertinence de la relation avec l’UE. M. De Gliniasty observe alors un décalage entre ce traditionalisme et la volonté de modernisation affichée par le gouvernement. ***** COMPTE-RENDU 6
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 TABLE-RONDE : QUELLES RELATIONS POLITIQUES ENTRE PARIS ET MOSCOU ? Eric Fournier, directeur du département Europe continentale au Ministère des Affaires étrangères, ouvre la première table ronde en encourageant les participants à s’exprimer librement, car certains sujets doivent être abordés sans la barrière du politiquement correct. Il salue la presse, qui, certes, « fouette », mais traite les problèmes sans détour, et remercie les journalistes de dire ce qui se passe, en France comme en Russie. M. Fournier fait ensuite une parenthèse sur l’échec du multilatéralisme dont a parlé M. Courtaigne : la Russie est très attachée à ce principe, très soucieuse de son image à l’ONU, qui, même si elle traverse une période de blocage, reste la seule enceinte où les pays peuvent parler tous ensemble des crises. Il y a donc, pour lui, une obligation à promouvoir le multilatéralisme. Il revient aussi sur les problèmes de visa et le nombre d’étudiants français en Russie pour rappeler que ces derniers n’étaient que 3500 il y a deux ans, contre 4000 aujourd’hui, ce qui montre une croissance. Pour lui, le réel problème à régler est la reconnaissance des diplômes. Abordant le sujet du passé militaire franco-russe mentionné par les intervenants précédents, M. Fournier se dit frappé par le fait que l’histoire commune entre la France et la Russie « pue le sang et la bataille » : la bataille de Stalingrad a causé un million de morts, par exemple. M. Fournier tient aussi à préciser que la France n’a pas de partenariat stratégique formel avec la Russie, comme elle l’a avec la Serbie ou le Kazakhstan, sans doute car ces partenariats ont pour but de renforcer une relation encore faible, ce qui ne correspond pas à la relation avec la Russie. M. Fournier développe enfin quelques propositions pour développer la relation politique franco-russe. Le premier point pour lui est de diversifier le dialogue avec les élites politiques et économiques, les autorités religieuses, les think tanks, les fondations et les ONG russes. COMPTE-RENDU 7
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 Deuxièmement, continue-t-il, il s’agit d’améliorer la présence économique française, en particulier dans les régions russes, où les Français ne sont pas assez visibles. Il applique la même analyse à la présence russe en France. La troisième proposition de M. Fournier concerne le domaine de l’énergie, qui réclame en Russie des investissements colossaux, afin de maîtriser l’efficacité énergétique. Sa quatrième idée est de lancer des projets dans le domaine de l’innovation scientifique et technologique, financer des projets portés par les PME, et accentuer les échanges dans les secteurs de pointe. Le cinquième point concerne le développement de la russophonie en France et de la francophonie en Russie. M. Fournier propose aussi de créer un fonds pour les partenariats universitaires, dans le but d’accompagner les programmes de recherche et d’études de haut niveau. Comme septième idée, il suggère d’améliorer le maillage des coopérations franco- russes sur l’ensemble des territoires des deux pays, à travers les réseaux de consuls honoraires, les relais dans les régions, les coopérations administratives avec les collectivités territoriales, portées par les groupes d’amitié du Sénat et de l’Assemblée. Le huitième point concerne le tourisme, secteur porteur sur lequel M. Fabius a demandé de travailler. Neuvième idée : établir un dialogue politico-militaire plus régulier, au-delà du comité qui réunit annuellement les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, bien que M. Fournier admette que des progrès ont été faits. Enfin, il ajoute que les deux pays doivent travailler sur les sujets qui fâchent en politique étrangère : la Syrie et l’Iran. En ce qui concerne la Syrie, M. Fournier encourage les deux pays à se demander pourquoi ils n’arrivent pas à trouver des solutions et à proposer plus qu’une simple réunion entre quelques opposants introuvables et quelques responsables du gouvernement, tout aussi introuvables. Il conclut son intervention en insistant sur l’importance des rencontres entre les partis politiques, pour une meilleure compréhension des positions de chacun. Pour lui, il y a de COMPTE-RENDU 8
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 bonnes raisons d’être frustré de la relation franco-russe, car des pans entiers des sociétés russes et françaises s’ignorent et ne savent pas encore comment travailler ensemble. Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs et président du Conseil de politique étrangère et de Défense (SVOP), estime que la notion de partenariat stratégique a subi une dévaluation à la fin de la Guerre froide. Il suggère qu’il serait peut- être mieux, finalement, de trouver une autre forme de coopération. Pour lui, la France ne doit pas se limiter à l’UE si elle veut améliorer sa présence dans le monde. Dans ce cadre, la relation franco-russe aura une importance croissante, et les évolutions de l’UE en seront un facteur déterminant. M. Loukianov explique que l’Asie change, se développe, ce qui remet en cause l’approche traditionnelle qui veut que seul l’Occident puisse fournir à la Russie les éléments de sa modernisation. Pour lui cependant, l’orientation européenne de la Russie devrait continuer, car c’est un pays de culture européenne, et ses liens avec l’UE sont prioritaires. M. Loukianov déclare toutefois que l’UE est touchée par les changements chaotiques des équilibres mondiaux. Son avenir est donc difficile à prévoir. Selon lui, la Russie et la France se situent dans un passage difficile, une évolution vers une autre qualité. Il cite Vladimir Poutine, qui disait que « la période post-URSS est terminée ». Cela signifie que, si le passé reste présent dans les esprits, la Russie doit aujourd’hui redéfinir son identité. M. Loukianov juge qu’il en est de même en France, où toutes les idées qui étaient monnaie courante il y a quelques années sont remises en question. L’UE aussi, ajoute-t-il, est remise en cause, pas seulement par la crise de la dette, mais aussi par une crise de la conception de l’intégration économique. D’après M. Loukianov, le modèle européen est arrivé à sa fin logique, et il s’agit désormais de savoir quel sera le nouveau modèle. A ce sujet, il indique que Moscou a beaucoup de questions, dont les suivantes : quel rôle entend jouer la France dans les années 2020-2030 ? Comment va-t-elle compter sur ses partenaires extérieurs à l’UE ? M. Loukianov explique qu’il est nécessaire à la Russie de pouvoir appréhender comment ses partenaires vont réagir aux changements pour savoir sur COMPTE-RENDU 9
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 quels partenaires européens elle peut compter. Il faut voir quels axes vont définir la nouvelle UE, et si la Russie y a sa place. Jean-Marie Le Guen, député de Paris et vice-président du groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée Nationale, pense que la notion de partenariat stratégique est appropriée pour la Russie, bien qu’elle soit implicitement réservée à très peu de pays. Ce qui n’est pas évident en France, lui semble-t-il, c’est que la question des droits de l’homme, tout en étant légitime, ne peut en rien réduire les relations entre deux pays qui coopèrent sur de nombreux autres sujets. Il insiste pour que la relation de la France avec la Russie ne puisse être simplement lue au regard de cette dimension. Le député Le Guen revient ensuite sur l’affirmation de M. Loukianov selon laquelle il y a une interférence de la question européenne dans la relation franco-russe. Il faut se poser la question suivante : l’UE n’est-elle qu’une zone de libre-échange ou bien a-t-elle un avenir politique ? Pour M. Le Guen, quoi qu’il se passe, la France est porteuse d’un certain nombre de valeurs, et d’une histoire, qu’elle ne dissoudra pas dans une espèce de chaos européen où il n’y aurait finalement qu’un marché. Il ajoute qu’il est légitime que les Russes se posent des questions aussi sur leur propre vision de l’avenir, un peu opportuniste, et explique ainsi qu’il n’y a pas que la France qui oublie parfois la perspective géopolitique. Il conclut sur la conférence interparlementaire annuelle entre la France et la Douma, appelée la grande commission, et invite les parlements, au-delà des échanges économiques et au-delà des groupes d’amitié, à renforcer le contenu politique de la coopération, afin de réduire la distance qui existe, non pas dans les perceptions, mais dans le travail quotidien. Alexandre Babakov, député à la Douma d’Etat et représentant spécial du Président pour la coopération avec les Russes de l’étranger, explique que les relations internationales dépendent de beaucoup de COMPTE-RENDU 10
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 facteurs, mais que, concernant la France et la Russie, les relations possèdent avant tout un facteur historique : l’immigration blanche obligée de quitter la Russie face à l’armée rouge et qui a été accueillie à bras ouverts par la France. Il affirme que pour améliorer l’image de la Russie en France, c’est avec ces citoyens qu’il faut travailler, car ils doivent apprendre à connaître la nouvelle Russie afin de pouvoir passer des informations aux Français qu’ils côtoient. Il s’engage à aider les citoyens à connaître les deux pays et se réjouit que les JO d’hiver et l’Euro de football, ainsi que la coopération humanitaire, créent une base favorable pour cela. M. Babakov affirme ensuite que la voix de la France est importante pour le dialogue entre la Russie et l’UE. Pour lui, les projets de coopération recoupent de nombreux domaines, des infrastructures ferroviaires au gazoduc South Stream mais il faut renforcer le volume de cette coopération, particulièrement pour les PME. Le député à la Douma d’Etat se dit persuadé que le dialogue politique devrait permettre de renforcer cette coopération économique. Il assure que si les élections en France ont rendu beaucoup de Russes inquiets, ces craintes se sont révélées infondées, comme l’a prouvé le voyage de V. Poutine à Paris et la visite plus récente de F. Hollande à Moscou. Enfin, il conclut en affirmant que peu importe les partis au pouvoir, l’axe Paris-Berlin-Moscou reste fort. M. Pozzo di Borgo, sénateur de Paris et vice-président du groupe d’amitié France-Russie du Sénat, se dit d’abord frappé par la vision souvent héritée du passé de nombreux de ses interlocuteurs, y compris en France. Or, explique-t-il, depuis la Guerre froide, la Russie a considérablement évolué et ne peut pas aujourd’hui être regardée avec des lunettes datant d’il y a une vingtaine d’années. Pour lui, la France et la Russie ont une relation ancienne d'amitié et de coopération, renforcée par la « fraternité des armes » lors des deux guerres mondiales. En tant que sénateur de Paris, M. Pozzo di Borgo se félicite des projets d'investissements russes dans la capitale, comme le futur centre culturel et spirituel russe ou les futures tours du fonds Hermitage à La Défense. Le sénateur explique ensuite que le groupe d'amitié France-Russie COMPTE-RENDU 11
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 du Sénat a pour vocation de resserrer les liens avec les parlementaires, et s'est donné la mission de promouvoir le bicamérisme, la coopération décentralisée et les échanges culturels. Ces missions sont justifiées par la volonté exprimée par la France et par la Russie lors de la visite de M. Hollande à Moscou de coopérer étroitement, politiquement et économiquement. M. Pozzo di Borgo estime en effet que si les échanges ont progressé, beaucoup reste à faire vis-à-vis des PME et en termes de diversification géographique de l'investissement, souvent limité à Moscou et ses environs. Il présente ensuite quelques pistes pour renforcer les relations franco-russes : il faudrait aller vers un partenariat stratégique spécifique entre la Russie et l'UE, qui sont interdépendantes. De plus, dit-il, la Russie est un partenaire incontournable si l'UE veut jouer un rôle international face aux Etats-Unis ou à la Chine. Il précise qu'elle est déjà le seul pays tiers avec lequel l'UE a institutionnalisé des consultations régulières au niveau du Comité Politique et de Sécurité (COPS). Enfin, M. le sénateur conclut que ces relations resteront fragiles si elles ne s'accompagnent pas d'une multiplication des contacts au niveau de la société civile. Il propose aussi de multiplier le nombre de bourses destinées aux étudiants russes souhaitant étudier en Europe, d'encourager l'apprentissage mutuel des langues, et de créer des écoles russes en France, car la coopération culturelle est un vecteur important du rapprochement entre les peuples. ***** COMPTE-RENDU 12
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 REGARDS CROISÉS FRANCO-RUSSES SUR L’ACTUALITÉ TABLE-RONDE : STRATÉGIQUE INTERNATIONALE (MALI, SÉCURITÉ EUROPÉENNE, «PRINTEMPS ARABE», AFGHANISTAN) Mikhaïl Marguelov, président de la commission des Affaires internationales du Conseil de la Fédération et Représentant spécial du président russe pour l’Afrique, considère qu’il existe un dialogue politique très actif au niveau des parlements, des gouvernements et des ONG entre la Russie et la France. Selon lui, les questions les plus difficiles peuvent être traitées sans tabou entre parlementaires. Sur beaucoup de sujets, il constate que les positions de Paris et de Moscou sont similaires. Partant de là, le soutien russe aux opérations françaises au Mali ne lui paraît pas surprenant, l’opération étant légitime car elle n’allait pas à l’encontre des intérêts des peuples du Sahel. De plus, la situation dans la région reste très difficile et la non-implication de forces militaires au Mali aurait pu engendrer un accroissement des difficultés. La situation au Mali est une des conséquences du Printemps arabe qui amène l’instabilité du Sahel à la Corne de l’Afrique. Cette opération au Mali dépasse donc largement les frontières de ce pays. Il s’agit d’une nouvelle étape dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé sur le territoire africain. M. Marguelov constate que, dans cette région, la puissance des terroristes égale presque la puissance des armées nationales. Ces islamistes sont liés aux groupes présents en Somalie, au Darfour ou au Nigéria. La Russie a été invitée par la France à participer à la conférence des donateurs. Elle contribue aussi à la formation de militaires au Mali. Selon lui, la Russie ne reste pas indifférente à la situation africaine actuelle car le pays est revenu sur le continent avec des objectifs économiques et politiques, même si, précise-t-il, la Russie n’interviendra pas dans les affaires internes des pays africains. M. Marguelov espère que le continent africain constituera un lieu où le partenariat politique, stratégique et militaire entre la France et la Russie pourra se réaliser avec une grande efficacité. Gwendal Rouillard, président du Conseil d’administration de l’IRIS, député du Morbihan, et secrétaire de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée COMPTE-RENDU 13
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 nationale, rappelle que le président Hollande a décidé d’engager la France dans l’opération Serval au Mali afin de permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale et sa sécurité. Selon le député, cette intervention sert les intérêts africains mais aussi les intérêts français, principalement au niveau économique. 4600 Français sont encore engagés aujourd’hui, dont 4000 au Mali, et plus de 6000 soldats africains, dont 1400 Tchadiens, sont également déployés dans le cadre de la MISMA. M. Rouillard insiste sur le fait que le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude a parfaitement rempli ses missions. Il le souligne puisque des discussions industrielles ont lieu sur la capacité opérationnelle des BPC français. Depuis quelques semaines, la France a engagé le dispositif de formation de l’armée malienne (European Union Training Mission in Mali – EUTM Mali), auquel la Russie prend part. M. Rouillard explique que la France tient à ce que des élections puissent s’engager cet été. Pour lui, un des enseignements de cette opération est que la France peut définir une ambition stratégique renouvelée et se ré-emparer – sereinement, positivement, et tranquillement – de l’Afrique. Autrement dit, les autorités françaises combattent les principes colonialistes ou néo-colonialistes, sans préconiser le retrait africain de la France. M. Rouillard conclut sur la relation franco-russe dans laquelle il faut progresser sur les liens entre les projets stratégiques partagés, les valeurs, les nouvelles menaces identifiées, les nouvelles réalités du monde et ce de manière pragmatique, lucide, opérationnelle et offensive. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, fondateur et associé-gérant d'Hubert Védrine Conseil, juge que le voyage du président Hollande à Moscou n’est pas suffisant, même s’il s’est bien déroulé. En effet, réveiller un dialogue stratégique entre les deux pays ne va pas de soi car le contexte est compliqué et instable. A ses yeux, il semble impossible de penser au dialogue stratégique franco-russe sans penser au système mondial et à l’ensemble des autres dialogues stratégiques dans lesquels les deux pays sont engagés. Il estime qu’il existe une demande réelle du côté russe pour un plus grand dialogue stratégique avec la France mais que, du côté français, les interrogations de COMPTE-RENDU 14
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 l’opinion sur l’évolution de la Russie posent problème. Il constate l’absence de consensus dynamique sur le type de politique russe à mener par la France en raison d’un éclatement entre ceux s’intéressant positivement à la Russie et ceux l’abordant de façon critique. Une grande partie du travail est donc à réaliser en France. M. Védrine explique également que l’intérêt russe pour la France s’insère dans une vision plus générale, dans laquelle la Russie juge aussi importantes ses relations avec des acteurs comme l’Allemagne, la Pologne ou les Etats-Unis. Français et Russes se retrouvent ensemble dans certaines enceintes où des orientations sont prises en commun, le G8, le G20 ou le Conseil de sécurité par exemple. L’ancien ministre suggère donc une réflexion sur la dimension franco-russe mais en n’oubliant pas tous ces autres éléments. Une fois ces précautions prises, M. Védrine affirme qu’il faut faire porter le dialogue stratégique entre les deux pays sur l’Afrique, mais préconise aussi un élargissement des thèmes à aborder, parmi lesquels doit figurer la question des révolutions dans le monde arabe. Il estime qu’il ne faut pas renoncer, même dans des colloques amicaux, à tenter d’y voir plus clair dans les conceptions des uns et des autres concernant le dossier syrien, chacun ayant sa vision légitime. Depuis le début du conflit syrien, l’ancien chef de la diplomatie française a d’ailleurs toujours pensé que l’idéal serait un accord entre Européens, Américains, Turcs et Russes. Il lui semble impossible de trouver une solution raisonnable sans la Russie. M. Védrine constate aussi une erreur d’analyse gigantesque des experts occidentaux qui estimaient que la chute de Bachar al-Assad allait être rapide, à l’image de celles de Hosni Moubarak, du président Ben Ali et du colonel Kadhafi. Selon lui, il manque toujours une force crédible capable de prendre des engagements pour la suite. Il pense qu’il faut également parler de l’OTAN, et de son futur après l’Afghanistan. Pour finir, M. Védrine s’interroge sur ce que recouvrent concrètement les notions de partenariat et de dialogue dont tout le monde use pour parler – entres autres – de la relation franco-russe. Sergueï Karaganov, président du Club de Valdaï, évoque dans un premier temps la question de la sécurité européenne. Selon lui, un certain nombre de problèmes n’ont pas trouvé de COMPTE-RENDU 15
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 solutions car la Guerre froide ne s’est pas terminée par la paix mais par la victoire de l’Occident, qui a marqué le début d’une expansion sans limites de l’OTAN. La question de la prolifération nucléaire serait également loin d’être résolue : celle-ci ne serait pas prête de cesser, et ce d’autant plus que l’accession à l’arme nucléaire d’Israël, de l’Inde et du Pakistan n’a pas été sanctionnée. Dans cette situation, le rôle des armes nucléaires en tant qu’arme de dissuasion reste d’actualité. Selon M. Karaganov, la vigilance est de mise pour faire en sorte que la course aux systèmes anti-missiles ne devienne pas une nouvelle course à l’armement, dont le résultat contraire aux buts recherchés, à savoir la paix et la stabilité. Dans un second temps, M. Karaganov aborde la situation au Moyen-Orient, où l’instabilité politique et militaire aurait atteint un point de non-retour. Ceci s’expliquerait non seulement par les changements de régime, mais aussi par le retrait de l’Occident, qui a perdu son rôle stabilisateur suite aux guerres en Irak et en Afghanistan. Désormais, contenir cette instabilité est un objectif commun aux Russes et aux occidentaux, bien que leurs approches puissent être différentes. Aux yeux de M. Karaganov, la position russe est simple : elle consiste à contenir l’instabilité et l’éloigner des frontières russes. La conjonction des échecs militaires occidentaux et des problèmes sociaux caractérisant le Moyen-Orient aurait suscité le passage au terrorisme de dizaines de milliers de personnes. Confrontée à ce problème en Tchétchénie, la Russie souhaite faire en sorte que ces réseaux terroristes restent cantonnés à leurs pays d’émergence. Il est donc nécessaire de coordonner les efforts entre pour limiter la crise et l’instabilité qu’elle engendre. En outre, il existe un problème que peu d’observateurs évoquent, à savoir le fait que la France et la Russie veulent être des puissances mondiales ou paraître comme telles. Or, selon M. Karaganov, les deux Etats sont actuellement sur le déclin, notamment au niveau économique, et semblent incapables d’entreprendre les réformes nécessaires pour renverser cette tendance. Pour contrer cette réalité, il est certes possible de recourir à des réformes internes, mais une solution géopolitique – proposée par la Russie – est également envisageable. Elle consisterait à créer un nouvel espace qui matérialiserait une alliance entre l’UE, la Russie et COMPTE-RENDU 16
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 d’autres pays de l’Est comme l’Ukraine. Cela permettrait la formation d’un espace commun (politique, énergétique et humain) qui s’étendrait de Lisbonne à Vladivostok. Selon le président du Club de Valdaï, seule l’Allemagne semble intéressée du côté européen. Or, un tel projet est essentiel pour éviter que la Chine et les Etats-Unis ne soient les seuls piliers du monde. Andreï Kortounov, directeur général du Conseil russe pour les affaires internationales (RSMD), explique que les figures militaires vont perdre de leur importance au XXIe siècle, comme le montre la diminution des budgets de défense européens. Seuls les Etats dont la maturité démocratique est faible, comme la Russie ou la Chine, continuent d’augmenter leur budget militaire. Partant du constat du déficit de confiance dont les armées sont victimes au sein des sociétés actuelles, M. Kortounov s’interroge sur l’identité de ceux qui sont susceptibles de remplacer les militaires en tant que « héros des peuples ». En se basant sur l’évolution de la hiérarchisation des menaces, l’intervenant estime que ce statut reviendra certainement aux policiers. En effet, les Européens ne voient plus Bismarck ou Hitler comme des incarnations de la menace. Dans l’imaginaire collectif, cette dernière renvoie aujourd’hui davantage à des phénomènes tels que le terrorisme, l’immigration illégale, le piratage informatique ou le trafic de drogues. M. Kortounov juge que nos sociétés réagissent mal à ces nouvelles menaces, ce que montre la prolifération des mouvements extrémistes selon lesquels la sécurité et la démocratie ne peuvent être compatibles car pour avoir la sécurité, il faut limiter les libertés. Ces discours se greffent sur des conditions économiques difficiles et renforcent la tentation des solutions autoritaires. Enfin, M. Kortounov considère insuffisante la coopération entre la France et la Russie. Il prône donc un renforcement des actions communes en ce qui concerne la sécurité « soft » et les nouveaux domaines de défense. Il ajoute que cette coopération ne peut pas se limiter aux Etats, elle doit aussi mobiliser les think tanks et la société civile. ***** COMPTE-RENDU 17
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 TABLE-RONDE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DES RELATIONS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES FRANCO-RUSSES Jean-Pierre Duprieu, directeur général adjoint de la société Air Liquide, explique que sa société n’a pas d’autres choix que d’investir dans les marchés où elle veut s’installer, car les produits ne se transportent pas. Les premiers investissements d’Air Liquide en Russie remontent donc à 1911. Actuellement, la croissance du marché russe pour la société Air Liquide est de 6% par an, et les économies en développement, dont la Russie fait partie, représentent 23% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Sur l’environnement de travail en Russie, M. Duprieu explique qu’il est tout à fait possible de faire des affaires dans le respect des règles éthiques d’Air Liquide. Selon lui, la corruption n’est pas un vrai sujet de discussion. Le poids du politique dans l’économie non plus. Aux yeux de M. Duprieu, le principal problème est plutôt constitué par la lourdeur administrative en matière de fiscalité, de comptabilité, pour créer des entreprises, des filiales, pour les permis d’exploiter, etc. Certes cette lourdeur n’est pas dissuasive mais il y a matière à progresser. La Russie, explique M. Duprieu, change énormément et offre de très belles opportunités, d’autant que le système économique russe se rapproche de plus en plus du modèle occidental, en particulier pour un certain nombre de grandes entreprises privées. Le besoin de modernisation de l’économie russe offre de nombreuses opportunités d’investissements, ce qui permet à Air Liquide de prévoir une augmentation de 50% du marché russe dans les cinq années à venir. Le pays est un vrai réservoir de talents et de travailleurs qualifiés, un luxe pour les investisseurs. Il précise toutefois que les dirigeants russes ont besoin d’engagements concrets et de projets à long terme dans les investissements qu’on leur propose. Ekaterina Trofimova, première vice-présidente de Gazprombank, regrette la tendance des Français à se focaliser sur la notion de risque plutôt que sur celle d’opportunité en ce qui COMPTE-RENDU 18
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 concerne les affaires avec la Russie, car cela limite les possibilités d’investissements. Or, une meilleure compréhension mutuelle permettrait d’améliorer les relations, déjà rendues difficiles par la différence linguistique et culturelle. La France est un des partenaires commerciaux les plus importants pour la Russie. La Russie, quant à elle, reste l’un des plus grands pays de la région, avec un PIB qui continue de croître – autour de 2 ou 2,5% – malgré des prévisions en baisse pour 2013. Ceci crée des opportunités importantes pour les investisseurs français. Selon les estimations du FMI, la Russie devrait d’ailleurs figurer pour les cinq ans à venir dans le top cinq des pays avec la croissance nominale la plus élevée. Elle possède de nombreux atouts, et surtout des fondamentaux très solides : les finances publiques sont de qualité et la dette publique très peu élevée, ce qui rend possible le financement de projets supplémentaires, notamment au niveau des infrastructures. Le rendement des investissements est très élevé, aux alentours de 8,5% ; le taux d’inflation est très bien maîtrisé, et les banques russes ne disposent pas de créances douteuses, ce qui donne des possibilités pour continuer à se développer. M. Trofimova estime donc que la Russie est plutôt en bonne position, même en comparaison avec les autres pays des BRIC. Gonzague de Pirey, directeur général de Saint-Gobain Russie, expose les motifs qui poussent son groupe, pourtant réputé très prudent, à investir et même à accélérer son développement en Russie. Cet intérêt prononcé pour le marché de la construction russe repose sur trois points : l’intérêt quantitatif, l’efficacité énergétique et la qualité de l’habitat. La Russie possède des besoins fondamentaux à satisfaire en termes de construction de logements. Un chiffre-clé : en Russie il y a 22 mètres carrés construits par habitant, contre 40 à 45 mètres carrés par habitant en Europe de l’Ouest. L’évolution et le développement du pays créent la nécessité d’augmenter le nombre de mètres carrés par habitant. Les ressources nécessaires COMPTE-RENDU 19
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013 sont disponibles, notamment grâce à l’exploitation des hydrocarbures. Le but, c’est que les ressources et les besoins puissent se rejoindre. Le deuxième point est l’efficacité énergétique, un thème d’importance croissante en Russie. Outre les économies de tout un chacun sur son utilisation d’énergie, elle présente bien sûr un intérêt écologique, pour la sauvegarde de la planète. L’efficacité énergétique est aussi un intérêt stratégique pour la Russie. Le président Poutine a d’ailleurs créé une commission présidentielle dédiée à la sécurité écologique. Pour améliorer la situation, il faut optimiser les ressources, et notamment les hydrocarbures ; mais dans l’efficacité énergétique, le logement tient également une place importante, plus importante même que les transports ou l’industrie. En ce sens, des annonces ont déjà été faites pour le renforcement des standards et des normes qui existent en termes de construction en Russie. Enfin, la qualité de l’habitat préoccupe une grande partie de la Russie. Aujourd’hui, la grande majorité de sa population vit dans des habitations de qualité relativement médiocre, en termes d’isolation thermique, mais également d’esthétique, d’isolation acoustique, de qualité de l’air – préoccupation majeure dans les grandes villes russes et en particulier à Moscou. Elisabeth Puissant, directrice de la Mission économique Ubifrance à Moscou, concentre son intervention sur la problématique de l’action des PME françaises en Russie. Ces dernières n’exploitent pas assez les nombreuses opportunités qui existent. Il leur est clairement possible de faire mieux sur le marché russe, estime Mme Puissant. On entend souvent que seuls les grands groupes peuvent réussir en Russie, que c’est un pays compliqué. Il faut donc quelqu’un pour décrypter comment y travailler. Il est important que les PME françaises sachent que la Russie constitue un relais d’opportunité. Ubifrance y travaille en se consacrant à quatre domaines dans lesquelles il existe des opportunités, les « quatre mieux », défendus notamment par la ministre du Commerce extérieur, Madame Bricq : « mieux se soigner », « mieux se nourrir », « mieux vivre en ville » et « mieux communiquer ». « Mieux se nourrir » englobe le programme de relance de l’agriculture de la Russie, qui vise COMPTE-RENDU 20
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