Grotte Chauvet : 5 clés pour un succès annoncé

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Grotte Chauvet : 5 clés pour un succès annoncé
Grotte Chauvet : 5 clés pour un succès
annoncé
Michèle Warnet / Journaliste | Le 24/04 à 15:47, mis à jour à 18:32

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       image: http://www.lesechos.fr/medias/2015/04/24/1114264_grotte-chauvet-5-cles-pour-un-succes-ann

       Les lions en chasse de la Caverne du Pont-dArc - SYCPA-Sébastien-Gayet

La Caverne du Pont-d’Arc, réplique de la grotte Chauvet
découverte en 1994, ouvre le 25 avril après trente mois de
travaux. Ce lieu unique, qui attend 400.00 visiteurs par an,
affiche tous les ingrédients d'une belle réussite. Retour sur
les cinq atouts d’un projet inspirant, inspiré et mené de
façon exemplaire.
La grotte Chauvet accumule les superlatifs. Avec sa datation à 36.000 ans, elle est la plus
ancienne grotte ornée découverte à ce jour. Grâce à un éboulement qui en a hermétiquement
scellé l’entrée, elle est aussi la mieux conservée de toutes. Elle est la plus grande. Avec 8.500
mètres carrés de voûtes et concrétions splendides, c’est un site géologique d’exception. La
réplique en a compacté la structure sur 3.000 mètres carrés en s’appuyant sur des technologies
3D de pointe. A titre de comparaison, Lascaux ne totalise que trois cents mètres carrés.

Et enfin, on peut se risquer à dire que c’est la plus belle. Les dessins y sont l’oeuvre d’artistes
vraisemblablement accomplis, capables du même parti pris que nos contemporains. Ce pont
splendide et inattendu jeté par delà les millénaires méritait d’être vu de tous. C’est chose faite
avec la réplique. Elle est le fruit d'un projet lourd mais rondement mené qui a uni de concert
35 entreprises, depuis le géant Vinci, pour le gros œuvre jusqu'aux artisans, pour la beauté du
geste de nos ancêtres. Le résultat a tout d’une réussite. Cinq atouts pourraient en être la clé.

1. Paix et consensus politique

Quand on possède un tel joyau dans une région, on souhaite le partager mais on espère aussi
capitaliser dessus pour le rayonnement de tout un territoire. La rendre visible et visitable,
d’une façon ou d’une autre, était surtout une des conditions pour obtenir le classement au
patrimoine de l’humanité de l’UNESCO. Deux projets échouent pourtant successivement, faut
de mettre d’accord les parties en présence : architectes, Etat, environnement, culture. Au
début des années 2000, le découragement gagne les scientifiques et les élus. Chacun retourne
à ses dossiers. Un nouvel acteur va alors entrer en scène.

A la faveur de son élection en 2006 à la tête du Conseil général de l'Ardèche, Pascal Terrasse,
spéléologue passionné, relance le projet. Lui qui a eu le privilège, douze ans plus tôt, de fouler
le sol de la grotte (la vraie) alors qu’il était jeune politique socialiste montant, voit là venu son
temps pour apporter une pierre décisive à l’édifice. Il a à cœur d’éviter les écueils où ses
prédécesseurs ont échoué. Il veut un projet culturellement fort et entend appaiser les conflits
politiques.

Il met sur pieds en 2007 le Syndicat mixte de la Caverne du Pont d’Arc afin d’asseoir à la
même table le Conseil régional Rhône Alpes et le Département de l’Ardèche. « Pour réaliser
Chauvet, c’était comme en amour, il fallait des preuves » évoque joliment cet enfant du pays.
Des preuves et de l’entente. L’implication doit être forte, motivée et partagée, quelle que soit
la couleur politique. Le financement se fait à parts égales, région et département mettent
chacun 14,7 millions d’euros au pot auxquels s’ajoutent les fonds levés au niveau de l’Etat (
12,2 millions d’euros) et de l’Union européenne (9,9 millions). La dernière tranche de 3,5
millions est apportée par la société Kléber Rossillon. Forte de son expérience dans le
développement de sites touristiques et culturels auprès du public, l’entreprise emporte la
gestion et l’exploitation du site dans le cadre d’une délégation de service public. Une façon,
pour le député Pascal Terrasse, de remettre le délicat poste des revenus à des professionnels et
de libérer ainsi les collectivités locales de toute sollicitation potentielle.

De ces 55 millions d’euros réunis, le syndicat mixte n’aura de cesse, au fil des sept ans de
réalisation, de veiller à ne pas le dépasser. Huit ans plus, tard ce défi est relevé. Pascal
Terrasse dit se féliciter d’une occasion rare pour un élu. « Pour la réalisation de la réplique
du Pont d’Arc, on était face à notre destin, avec le devoir de dépasser nos chamailleries
politiques. Aujourd’hui j’ai la chance d’avoir à la fois pensé ce projet et de pouvoir
l’inaugurer ».

VIDEO Un nouveau souffle pour l'Ardèche
2. Exception scientifique et volonté pédagogique

L'Etat, propriétaire de la grotte depuis 1997, soucieux de ne pas reproduire les erreurs
irréversibles commises à Lascaux, en a strictement limité l'accès et l'a équipé d'une passerelle
pour ne pas en dégrader les sols. Depuis le premier scientifique, Jean Clottes, dépêché pour
l'authentifier onze jours après sa découverte, et à qui il n'a fallu que quelques minutes pour en
réaliser la valeur, jusqu'à aujourd'hui, la grotte livre progressivement ses secrets. Ainsi, elle
s'auto-protège. Quand la température extérieure monte, le radon et le gaz carbonique
augmentent, la rendant infréquentable pour les humains mais veillant ainsi à sa conservation.

Après l'émotion que suscite la grotte la galerie de l'Aurignacien propose la phase de
compréhension du temps et de l'environnement. Il faut oublier arbres et fleurs pour s'imaginer
sur une steppe glaciale ou paissent des mammouths et chassent des lions. Des reproductions
d'animaux et d'un chasseur-cueilleur se chargent de nous donner à le voir. Pour les oeuvres de
la grotte des écrans interactifs permettent de comprendre la démarche et le geste de nos
lointains artistes.

VIDEO Jean Clottes, celui qui a authentifié la grotte en 1994

3. Technologies de pointe

La réplique reproduit fidèlement les volumes de la Grotte ornée du Pont-d’Arc. Pour y
parvenir, des spécialistes ont réalisé un modèle numérique de la cavité en trois dimensions.
L'enregistrement d’un « nuage de points » depuis l'original a permis de modéliser une
structure virtuelle correspondant à la volumétrie originelle. Là-dessus, ont été superposées les
six mille photos numériques prises selon la technique de l’anamorphose.

Les grands volumes complexes et tourmentés de la grotte ont été réalisés par projection de
béton sur une résille métal, selon la technique du béton précontraint Freyssinet. Des sculpteurs
ont ensuite peaufiné les reliefs à-même le mortier frais. La fabrication des éléments
géologiques, dont certains monumentaux, et des ossements a été faite dans des ateliers
spécialisés en matériaux composites. Ils ont ensuite été rapportés dans la réplique de la grotte
pour y être fixés.

VIDEO L'atelier de création de matériaux PHENOMENES

4. Architecture respectueuse

« C’est le genre de projet qui arrive une fois dans une vie » lance Xavier Fabre, architecte du
cabinet Fabre/Speller qui, associé à l’Atelier 3A, a remporté le chantier du site de la grotte du
Pont d’Arc en 2009. Aucune architecture ne pouvant réellement retranscrire l’époque de la
grotte, le défi de réaliser l’écrin de la réplique était à la hauteur de la beauté toute naturelle de
l’original.

De plus, la construction devait sortir d’un terrain sauvage. Il a fallu composer avec une foule
de contraintes écologiques et d’associations de défense et de protection d’espèces, très
mobilisées dans cette région. Ainsi, un bois qui accueille une espèce rare de papillons a été
préservé de toute possibilité de s’y rendre. Après coup, Xavier Fabre livre un calcul
révélateur. Depuis le début, il a participé à l’équivalent de 360 jours, presque une année, de
réunions diverses avec les multiples administrations. « Un zèle administratif exceptionnel qui
a fait de ce projet une expérience merveilleuse mais épuisante » s ‘amuse-t-il aujourd’hui.

Le parti a été pris d’une réalisation discrète que le cabinet qualifie « d’empreinte
architecturale ». La fragilité et la préciosité des lieux appelaient, selon lui, une réplique basée
sur l’immersion, dans laquelle les bâtiments s’effacent au profit de la nature environnante. Les
constructions se fondent dans les feuillages, les bâtiments sont de plain-pieds pour ne pas
dépasser la cime des arbres.

Le site a été éclaté en cinq bâtiments comprenant la réplique avec, plus loin, la galerie de
l’Aurignacien qui en fournit les explications avec des reproductions du contexte et des bornes
interactives ; ailleurs encore se trouve un pôle pédagogique pour accueillir scolaires et autres
groupes, un espace événementiel et un pôle restauration. Le travail, sur les façades en pierre
sèche du pays, de détails de facettes en béton matricé fait ressembler à de larges monolithes
plats, bien insérés dans leur environnement. On va de l’un à l’autre à pieds, en quelques
minutes, à travers la forêt de chênes qui coiffe la colline sur laquelle se trouve le site.

Pour l’accès à la réplique, on chemine, littéralement, au fil d’une rampe en pente et virage
doux dont les murs s’élèvent. On se coupe progressivement, visuellement et phoniquement, de
l’environnement. Un sas prépare et habitue les yeux à l’obscurité et les oreilles au silence. «
L’enjeu architectural a été d’éviter de faire le parc d’attraction de la préhistoire » précise
Xavier Fabre. La réplique est l’écrin dans lequel se dévoile la grotte et cela devait se faire
suffisamment loin des produits dérivés et des sodas. « Le choc de Chauvet c’est celui à la fois
de la distance et de la proximité. Nous avons voulu donner aux visiteurs le moyen de
l’éprouver pleinement. »

5. Génie artistique

La Grotte Chauvet est sans équivalent artistique pour au moins deux raisons. Elle a doublé le
temps auquel on attribuait l’activité d’ornement aux humains. Jusqu’à sa découverte Lascaux,
avec ses 18.000 ans, était la plus lointaine référence. On sait désormais que 36.000 ans en
arrière, la terre portait ses premiers artistes. Et, elle est une œuvre d’une qualité indéniable.

Quand on pénètre la réplique de la grotte, l’impression ne se fait pas attendre. Si du haut des
pyramides quarante siècles nous contemplent, sous les voutes de Chauvet c’est notre
semblable qui nous fait face. Du moins, son trait. L’œuvre de ce cousin, à peine éloigné, est
vibrante de modernité. Aucune naïveté mais un parti pris artistique. La main de ceux qui l’ont
réalisée, n’a pas tremblé, nulle trace d’effacement, de reprise, de correction. « Le geste est
précis, maîtrisé. Le trait est énergique, et l’essentiel de chaque panneau sûrement réalisé vite
» s'étonne encore Gilles Tosello, artiste et docteur en préhistoire qui a participé à la réplique.

Exaltation artistique ou mysthique ? Le lieu, habité et peint 8.000 ans durant, garde entier son
mystère. Une chose est quasiment sûre, les fresques porte la marque d’une expression plus
que d’une reproduction. Il y a volonté à raconter, par des scènes, par des plans, par la
recherche du mouvement. Bref, ce n’est pas le premier album illustré, c’est la première galerie
d’oeuvres d'art.

« Les sapiens de Chauvet ont le même cerveau que nous. On est là face à des génies »
aimerait nous faire comprendre Gilles Tosello, qui a eu la charge de reproduire les 44 m2 du
panneau des chevaux ainsi que la grande fresque des lions qui s’étale sur 70 m2. Lui qui
s’agace des clichés persistant sur un ancêtre vaguement idiot, très hirsute et passablement
brutal pointe que « si ces a priori étaient vrais, on ne serait sans doute pas là ».

Car sapiens, dont la population n’éxcède sûrement pas le million sur tout le globe à cette
époque, et compte peut-être juste 100.000 âmes en Europe de l’Ouest, se frotte à un
environnement extrêmement hostile. Les rudes conditions de vie sollicitent une bonne
intelligence pour ne pas y succomber. On sait peu de choses sur ce sapiens, nomade par
nécessité, mais animé du sens et de l’exigence du beau. « L’art est peut-être la plus belle
contribution de l’humanité » souffle Gilles Tosello. On est en tout cas saisit, dans cette
réplique de la Caverne du Pont d’Arc, de réaliser à quel point cela ne date pas d’hier. Et on la
quitte en révisant l'idée qu'on a parfois de cet ancêtre comme étant notre brouillon.

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