I - Constats de la pénurie sanitaire
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
i e s a n i t a i r e Union p é n u r syndicale Sor tir d e l a Solidaires pour aller eraineté sanitaire Juin 2021 s u n e s o u v ver I - Constats de la pénurie sanitaire En février 2021, dans de nombreuses villes et dans de nom- Il y a quelques années déjà, des breux départements, nombre de personnes qui veulent se organisations syndicales, dont faire vacciner, tant pour se protéger du virus que pour contri- l’Union syndicale Solidaires, et des buer à freiner sa propagation, ne le peuvent. Du fait qu’à associations, dont Attac, avaient terme il faudra que toute la population soit vaccinée pour pou- dénoncé le manque de certains médi- voir espérer faire reculer la circulation de ce virus, il est normal caments, tout comme l’avaient fait des que le gouvernement ait été amené à décider de « groupes de pharmaciens qui constataient qu’il leur personnes prioritaires ». Ainsi, la vaccination a d’abord été était difficile de fournir des patients ouverte aux patients des EHPAD, puis aux professionnels de conformément aux ordonnances éta- santé âgés de plus de 50 ans ou fragiles, aux pompiers, aux aides blies par des médecins, faute d’être à domicile, puis aux 5 millions de personnes de plus de 75 ans pourvus en médicaments. Ces organi- et aux 800 000 personnes présentant des pathologies à « haut sations syndicales, ces associations, ces risque ». Mais, dès les premières semaines, ça « bouchonne » professionnels, dénonçaient la politique sérieusement, notamment du fait que parmi ces couches de la menée depuis des années par les gou- population, le souhait de se faire vacciner est fort, et surtout du vernements à l’égard du médicament fait que notre pays ne dispose pas, loin de là, des doses de vac- et des laboratoires pharmaceutiques. cins suffisantes. La pénurie de vaccins est telle qu’elle oblige Nous étions de ceux qui préconisaient même à la fermeture de centres de vaccination parfois ouverts la construction d’un « pôle public du avec difficulté par des communes. Les prises de rendez-vous médicament » afin de répondre plus sont difficiles et nous avons une multitude de cas de personnes aisément aux demandes sanitaires de de plus de 75 ans, annoncées comme « prioritaires » par le gou- la population et pour s’assurer que vernement dans cette campagne de vaccination, qui se heur- les crédits publics seraient effective- tent à une impossibilité de se retrouver même sur une liste ment utilisés dans la recherche et dans d’attente. Cette situation scandaleuse se retrouve autant dans les l’investissement pour pouvoir ensuite grandes villes, dans les banlieues, que dans les zones rurales : produire ces biens essentiels. Bien non seulement les centres de vaccination sont insuffisants, entendu, les « décideurs », les éditoria- parfois très éloignés du domicile de personnes qui ne peuvent listes de renom et les gouvernants ont se déplacer, mais ils sont rarement pourvus de vaccins en ignoré superbement de telles proposi- nombre suffisant. A titre d’exemple, les organisations de tions en répétant qu’il fallait faire con- retraité.es du Val-de-Marne et plusieurs maires soulignent qu’il y fiance au marché, que seul le marché a 100 000 seniors de plus de 75 ans dans ce département. Ce était en mesure de répondre aux sont des personnes déclarées prioritaires, après le personnel besoins et aux demandes. médical et soignant, pour la vaccination. En février 2021, le département reçoit une dotation de 5 000 vaccins par semaine. En début d’année 2020, avec l’arrivée Du fait qu’il faut deux doses par personne pour qu’elle soit du virus en Europe et en France, le vaccinée, il faudrait donc 200 000 doses pour ne vacciner que constat fut rapide et impitoyable : un ces 100 000 seniors. Au rythme de 5 000 vaccins par semaine, il manque de chambres et un manque faudrait 40 semaines, ce qui amènerait les dernières vaccina- de lits dans les hôpitaux, un manque tions de cette seule catégorie de personnes au mois d’octobre de lits et de matériels de réanimation, 2021. Et, pendant le même temps, aucune autre catégorie de un manque de respirateurs, un man- personnes ne pourrait être vaccinée ! Le summum est atteint que de personnels, et aussi un manque quand on sait que, pour élaborer sa stratégie de vaccination, de masques, de blouses, de gants, de le gouvernement a recours à des officines privées, payées très charlottes pour toutes les personnes tra- chèrement, au mépris des multiples agences gouvernementales. vaillant dans les services hospitaliers, P1
pour les infirmières et les infirmiers, les Dès la fin de l’année 2020, quand il est devenu possi- aides-soignants et les aides-soignantes, toutes ble de parler plus sérieusement de l’agrément de vac- celles et tous ceux qui sont au contact des cins et de leur « mise sur le marché », il est vite apparu malades ou au contact de personnes fragiles que ce serait de nouveau une relative déroute pour ou « à risque », comme les personnels des nombre d’États. Dès le début de cette pandémie, les EHPAD et de l’aide à domicile. Et un manque Françaises et les Français se doutaient que cette crise de masques pour les particuliers, tout comme sanitaire planétaire, frappant notamment les pays un manque de gel hydro-alcoolique. Cette riches, et pouvant même toucher les personnes riches situation ne pouvait plus être cachée (nous de ces pays riches, allait provoquer une course effré- avons tout de même encore le souvenir d’une née entre les laboratoires pharmaceutiques pour ministre, qui plus est de la Santé, continuant décrocher le jack pot du vaccin qui inonderait le de mentir effrontément en disant tout à la marché mondial. fois qu’il n’y avait aucune crainte à avoir, puis qu’elle avait la maîtrise de la situation), après Dans cette course, les multinationales américaines avoir été niée par les « décideurs » malgré du secteur partaient favorites : sur les dix plus gros des alertes et des mises en garde antérieures, laboratoires au monde, six sont aux États-Unis (dont notamment par des organisations syndicales Pfizer et Merck & Co), alors que la Suisse en compte et des professionnels soucieux de la santé deux (Novartis et Roche), quand Sanofi se classe tout de publique. Et un grand nombre de nos conci- même au septième rang mondial. Et, au cours des der- toyennes et concitoyens ont découvert avec niers mois, nous avons encore vu les gesticulations du effarement où en était arrivé notre pays en gouvernement vanter la nécessité du vaccin tout en matière de pénurie sanitaire : la cinquième sachant qu’il n’était en rien maître de leur production puissance économique mondiale incapable et de leur distribution. Le Conseil Scientifique, le Con- de répondre rapidement à un pic de besoins seil de Défense, les experts, ont défilé et défilent sur les sanitaires et obligée de confiner une grande plateaux « télé » pour inviter les Françaises et les Fran- partie de sa population (sauf les métiers qui, çais à se faire vacciner, car c’est le meilleur moyen d’un seul coup, devenaient « essentiels ») pour pour se protéger individuellement et pour se débar- éviter un engorgement dans les services hospi- rasser collectivement du virus. Mais, comme il n’est taliers. matériellement pas possible de vacciner rapidement toute la population, et ça nous pouvons aisément le Quelques semaines plus tard, ces manques comprendre, le gouvernement fixe des catégories priori- de matériels de protection étaient moins taires : les personnels hospitaliers, celles et ceux des dramatiques (grâce notamment aux efforts EHPAD, etc., puis les personnes âgées de plus de 75 de plein de professionnels de la santé, aux ans. Et, de nouveau, nos concitoyennes et concitoyens bonnes volontés de nombreuses personnes, sont confrontés à la dure réalité d’un pays qui n’a, dans aux bricolages, etc.), mais obligeaient tou- ce domaine non plus, aucune souveraineté sanitaire jours à des modifications importantes dans et qui se trouve en totale dépendance à l’égard de l’organisation de la vie économique, de la vie laboratoires en concurrence mondiale. D’autant plus sociale et familiale, au travail, dans la cité, au que les laboratoires « français » n’ont rien à proposer : domicile. Après avoir menti en prétendant à ce jour, en février 2021, Sanofi, tout comme l’Institut que les masques ne protégeaient de rien Pasteur, sont hors jeu dans l’élaboration d’un vaccin per- (tout ça parce qu’il n’y avait pas de stocks formant et disponible. disponibles), des membres du gouvernement, et d’autres dont la fonction est de porter le Aujourd’hui, en février 2021, le constat est clair : discours officiel, ont également tordu la vérité notre pays n’a aucune autonomie sanitaire et nous quant aux tests. La France n’avait pas assez de dépendons totalement des multinationales, en l’occur- matériel pour faire les tests, et il était par rence des multinationales du médicament, pour four- exemple impossible de tester les « personnes nir les professionnels en vaccins. Le fait de se à risques », ce qui aurait peut-être pu per- regrouper au niveau de l’Union Européenne pour mettre de détecter puis de confiner prioritai- centraliser les commandes et pour « peser plus fort » rement les personnes touchées par le virus. face aux laboratoires compte-tenu de l’importance des Cette mesure de prévention aurait fortement commandes confirme cette dépendance : il nous faut « réduit la propagation du virus, au lieu de marchander les prix », et plus il faut payer cher, plus les confiner une très grande partie de la popula- profits des laboratoires sont élevés, et plus la Sécurité tion, dont nombre de personnes fort heu- sociale sera en difficulté. Nous savons que dans le reusement non atteintes et dont les déplace- domaine du médicament, les « lois du marché » ont déjà ments n’auraient nullement entraîné la circu- provoqué de très fortes concentrations, les plus gros lation du virus. laboratoires pharmaceutiques rachetant les autres. P2
II - Causes de la pénurie sanitaire Les commentateurs à la télévision sont nom- et qu’il soit donc toujours occupé, et toujours breux à nous expliquer ce qu’il faut faire occupé par des personnes pour lesquelles des actes aujourd’hui, et comment ça va évoluer demain. médicaux ou chirurgicaux sont en cours. Il faut Mais ils sont très peu pour expliquer comment donc une occupation constante des lits, ce qui va notre pays en est arrivé là, à manquer de tout ce conduire à réduire leur nombre et à accélérer la qui est essentiel pour réduire les méfaits d’un rotation des occupants : la médecine ambulatoire virus qui circule au rythme de la circulation des permet que, pour un même lit, corresponde par êtres humains. Au mieux, ils vont nous dire que exemple un acte chirurgical chaque jour. Et pour c’était imprévisible, ou que c’est une sanction renforcer l’occupation de chaque lit, chaque année, divine, ou que ça vient de Chine, dont il faut se les LFSS réduiront leur nombre (moins 100 000 méfier. Très souvent, hier, ils étaient de ceux qui lits en dix ans) et réduiront le nombre d’emplois, ce estimaient que les services hospitaliers coûtaient qui a conduit à dégrader les conditions de travail et très cher aux contribuables et que les personnels et les prises en charge médicales et hospitalières des les syndicats hospitaliers n’étaient jamais contents à patients. De plus en plus, l’hôpital public travaillait toujours réclamer des emplois et des moyens. à flux tendus ; aussi, au moindre pic de nouveaux malades, l’engorgement était forcément proche. C’est à cause d’une crainte d’un engorgement des L’arrivée du virus était difficilement prévisible, services hospitaliers, qui, depuis des mois, voire mais mettre l’hôpital public à chaque fois à la des années, travaillaient « sur le fil du rasoir », limite du point de rupture était totalement irres- que le gouvernement a été amené à prendre des ponsable selon des critères de santé publique, par mesures drastiques d’arrêt d’un grand nombre contre c’était d’une grande efficacité en ce qui d’activités économiques et, dans le même temps, concerne les économies budgétaires à court terme. à décider de nombreuses dispositions venant Ca devenait un « plus » pour le capitalisme finan- réduire les possibilités de déplacement, de réunion, cier français dans son attractivité internationale : la etc., des personnes. En France, l’accélération de la France parvenait à limiter ses dépenses publiques casse de l’hôpital public s’est faite avec le Plan Juppé sous les applaudissements de tous les économistes de 1995. A l’époque, le mouvement social a pu financiers. repousser la partie du plan qui visait à casser le système des retraites, et notamment les régimes Nous pouvons trouver les causes profondes de particuliers, mais tout le reste du plan de Juppé, cette pénurie sanitaire y compris dans certains projet de la droite et des capitalistes financiers, est mots du Président de la République, c’est donc dire passé. Des lois de 1996 ont fait entrer plus que ce ne sont pas des propos d’illuminés, d’irres- directement l’hôpital dans une enveloppe budgé- ponsables, de doux rêveurs. En effet, le 12 mars taire préfixée et contrainte. Avec l’Objectif Natio- 2020, à l’issue de son « Adresse aux Français » dans nal des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) laquelle il annonçait une somme de mesures por- et la Loi de Financement de la Sécurité Sociale tant atteintes aux libertés mais visant à réduire (LFSS), chaque année le pouvoir exécutif et sa la circulation du virus, le Président de la Républi- majorité parlementaire vont pouvoir attribuer des que laissait croire qu’il avait pris la mesure des crédits inférieurs aux besoins. Les Agences Régio- erreurs passées et qu’il en tirait déjà des leçons « nales d’Hospitalisation (ARH, qui deviendront les pour demain » : … « Il nous faudra demain tirer les Agences Régionales de Santé – ARS en 2010 avec leçons du moment que nous traversons, interroger le Roselyne Bachelot) vont devenir progressivement modèle de développement dans lequel s’est engagé des super préfets chargés de cadrer toute cette notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses politique de limitation de l’hôpital public afin de failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos favoriser dans le secteur de la santé la rentabilité démocraties … Ce que révèle cette pandémie, c’est des capitaux privés. Le partenariat public-privé va qu’il est des biens et des services qui doivent être être mis en place, qui va coûter très cher aux con- placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre tribuables pour les plus grands profits des investis- alimentation, notre protection, notre capacité à soi- seurs privés. La tarification à l’activité va accélérer la gner, notre cadre de vie, au fond, à d’autres, est une course à la rentabilité des services hospitaliers. folie. Nous devons en reprendre le contrôle, cons- L’objectif fixé à l’hôpital public n’est plus l’amé- truire plus encore que nous le faisons déjà une lioration de l’état sanitaire de la population mais France, une Europe souveraine … Les prochaines la rentabilité financière des établissements. Au semaines et les prochains mois nécessiteront des déci- bout du bout, il faut que chaque lit soit rentable, P3 sions de rupture en ce sens. Je les assumerai ».
Ainsi, le Président de la République lui-même tion. Quand ils arrivent chez des petits actionnai- affirmait qu’il y a des biens et des services qui res, ils peuvent devenir des consommations doivent être placés en dehors des lois du marché. immédiates, ou des réinvestissements dans Mais, comme disent parfois les enfants, il disait ça d’autres sociétés, etc. Quand ils arrivent dans des « pour de rire », comme s’il était encore en cam- fonds de pension, ils se retrouvent dans la retraite pagne électorale et qu’il promette, par exemple, de trappeurs du Montana, d’employés de Califor- de « maintenir le pouvoir d’achat des personnes nie, ou d’enseignantes retraitées en Norvège. Et retraitées » ou encore « de tout faire pour maintenir quand une grande partie se retrouve dans les comp- la dignité de nos aînés et leur place dans la société ». tes des plus gros titulaires de portefeuilles, ils peu- Effectivement, c’était « pour de rire », car, au cours vent se retrouver dans le marché du luxe, dans le des mois qui ont pu suivre, et jusqu’à ce jour, nous prix des œuvres d’art et de collection, et, très n’avons vu aucune mesure de rupture attestant un souvent, dans la spéculation financière, éventuel- tant soit peu d’une recherche de souveraineté sani- lement en transitant par des paradis fiscaux. taire. Bien au contraire, les politiques suivies se Pour la partie des bénéfices qui se retrouve en sont inscrites dans la continuité des années pas- investissements, là aussi, ce sont les actionnaires sées, et la Loi de Financement de la Sécurité et les « managers » qui en décident : réinvestir Sociale 2021 comme la Loi de Finances 2021 ont dans l’entreprise, ou s’implanter dans d’autres continué de réduire les budgets publics consacrés à entreprises, du même secteur, ou dans un consor- l’hôpital public, des fermetures de lits ont été tium, ou dans des placements juteux à court terme encore programmées, des crédits et des aides ont sans aucune préoccupation industrielle ou de stra- été alloués aux grandes entreprises sans contre- tégie d’entreprise, hormis la rentabilité financière. parties ni contrôles en matière d’investissement, de Et quand il y a des investissements, ils ne se font recherche, d’embauche, etc. Les services fiscaux et pas forcément vers la recherche et l’innovation. Le des finances continuent de faire des chèques à gui- grand public sait maintenant que depuis plusieurs chet ouvert à des entreprises, si bien que certains années, Sanofi a supprimé de nombreux emplois, truands ont même vu là-dedans l’opportunité de se notamment dans le secteur « Recherche et Dévelop- présenter pour percevoir eux aussi des fonds publics. pement » : en douze ans, Sanofi a sabré ses effectifs Pour placer certains biens et services en dehors des de recherche de 45 %, et il va en supprimer 364 lois du marché, il faudrait que M. Macron rompe supplémentaires, sans que le gouvernement ne avec la primauté du droit de propriété, avec la pri- s’offusque. Les dirigeants actuels semblent plus mauté des règles de l’Organisation Mondiale du doués pour la recherche de profits que pour la Commerce (OMC), lesquelles règles l’emportent, y recherche médicale. C’est certainement ce qui expli- compris face aux droits humains et sociaux et aux que aussi que l’entreprise a supprimé, au cours des impératifs écologiques. C’est dire qu’au lieu dernières années, un certain nombre de sites et d’envoyer les forces de répression contre les Gilets de labos en France, dont des unités qui étaient Jaunes ou contre les manifestations syndicales et affectées à la recherche. Ces opérations ont été citoyennes, il faudrait qu’il fasse reculer les préro- décidées alors que l’entreprise Sanofi a bénéficié, gatives de la finance et des financiers. Ce n’est en dix ans, de 1,5 milliard d’euros de crédit d’impôt nullement son projet, et ce n’est surtout pas pour au titre du Crédit Impôt Recherche. Mais ces aides faire ça qu’il est à la présidence de la République. publiques, payées finalement par les autres con- tribuables, se font pratiquement sans contrôles, Cette dépendance des populations à l’égard des et toujours sans contreparties en matière d’embau- laboratoires est en effet la conséquence d’un cer- ches notamment. Et ce sont toujours les dirigeants tain nombre de causes. En France, avec la pri- de ces sociétés qui, en fonction des objectifs fixés mauté donnée au droit de propriété en ce qui con- par les actionnaires (le plus souvent, il s’agit de cerne la gestion des entreprises, ce sont les rendements financiers, augmenter la valeur des actionnaires, et particulièrement les principaux actions et / ou augmenter les dividendes versés), d’entre eux, qui décident notamment de l’affecta- décident aussi des localisations des productions. La tion des bénéfices et choisissent entre investisse- totale liberté de circulation des capitaux sur la ments et distribution de dividendes. Depuis plu- planète, sans limites ni contrôles, conduit les sieurs années, les entreprises du CAC40 sont multinationales à localiser certaines activités en championnes dans la distribution de dividendes. fonction des différences de coûts (niveau des salai- Ainsi, en 2019, Sanofi a fait 7 milliards d’euros de res, dont les cotisations sociales, mais aussi niveau profits et a distribué 4 milliards d’euros de dividen- des qualifications des mains d’oeuvre en ce qui des, tout en licenciant par ailleurs. Ensuite, ces concerne certains biens ou services, coût des milliards d’euros de dividendes ne « ruissellent » impôts, etc.). pas systématiquement sur le reste de la popula- P4
C’est là aussi que nous trouvons l’explication de du marché » pour s’assurer un approvisionne- certaines fermetures de sites de Sanofi et de ment suffisant et rapide des vaccins. En outre, certaines délocalisations. Pendant des années, les Israël a pu obtenir un stock de vaccins anti- gouvernements ont non seulement abandonné coronavirus du géant pharmaceutique Pfizer toute politique industrielle mais ont accompagné, en échange notamment du partage de données voire favorisé, la désindustrialisation du pays ; nous sur les effets de cette immunisation sur sa avons même entendu certains experts s’extasiant population. En effet, les caisses d’assurance que des pays en pointe parviennent à un capita- maladie du pays disposent de vastes bases de lisme sans usines et sans ouvriers ! Par ailleurs, et données numériques sur leurs assurés, ce qui dès lors que les États se sont privés de tout pouvoir leur permet, plus ou moins, de juger de l’effi- sur les multinationales, il n’y a pas à s’offusquer que cacité ou des effets secondaires potentiels du le PDG de Sanofi, en mai 2020, annonce que si son vaccin, selon par exemple l’âge ou les anté- laboratoire trouve un vaccin, les États-Unis seront cédents médicaux des personnes vaccinées. prioritaires car ils ont plus investi dans la recherche. Ces informations seront transmises au labora- A l’époque, le ministre de l’Economie, Bruno toire, qui pourra donc tester sur une grande Lemaire, avait mimé le ministre en colère, mais échelle les effets de son vaccin. sans aucune intervention réelle sur l’entreprise, dont le PDG depuis 2014, Serge Weinberg, avait Il est « normal », dans ce système de libre mar- d’ailleurs été élevé au rang de Grand commandeur ché et de concurrence, que les pays qui ont de la Légion d’honneur le 1er janvier 2020. reçu le plus de doses, et donc vacciné le plus D’ailleurs, le 28 janvier 2021, la direction de de personnes, soient ceux qui payent le plus Sanofi Recherche et Développement en France a cher la dose de vaccin. Les pays de l’Union confirmé , à l’occasion d’un comité social d’entre- Européenne payent entre 12 et 15,5 euros prise (CSE), la suppression de 364 emplois en l’unité, contre environ 16 euros pour les États- France, visant plus particulièrement l’unité de Stras- Unis et la Grande-Bretagne et plus de 22 euros bourg appelée à être transférée en région parisienne. pour Israël. Il est facile d’imaginer les difficul- tés qui sont celles des pays sous-développés. Du fait que les médicaments, sur les marchés Par ailleurs, il nous est dit que le fait de négo- mondiaux, sont finalement des marchandises cier avec les laboratoires au niveau européen comme les autres, il est tout à fait normal que la améliore notre situation dans le « rapport de concurrence « libre et non faussée » joue pleine- forces » avec eux (il n’y aurait pas ce problème ment également dans ce domaine. Au niveau mon- s’il y avait un pôle public du médicament), dial, en 2021, la pharmacie est, avec la finance, le mais le contenu des contrats passés semble secteur où les rémunérations sont les plus élevées : relever du « secret défense », et rien ne trans- les financiers ont investi le monde pharmaceutique pire quant aux conditions dans lesquelles les et pris le pas sur les chercheurs et les scientifiques. gouvernements et l’Union Européenne procè- Et ceci n’est pas « tombé du ciel », mais la résul- dent. tante de choix politiques pris conjointement dans la plupart des pays comme en France. L’objectif A de maintes occasions, le Président de la recherché par Sanofi, particulièrement depuis République a déclaré que nous étions en 2000, c’est « la valeur pour l’actionnaire ». Ainsi, guerre, ce qui lui donnait l’illusion de se pren- depuis 2000, le montant des dividendes versés par dre pour Georges Clémenceau, et il visitait Sanofi a augmenté de plus de 600 %. quelques hôpitaux tout comme le Tigre visitait des tranchées. Mais, avec son absence de déci- Et, en 2021, chaque pays, dont la France, est sions concrètes pour nous rendre moins dépen- dépendant des prix du marché, et ceux qui y met- dants des fournisseurs, Schneider aurait conti- tent le prix seront les premiers servis. Il n’est donc nué de vendre au plus offrant, et Renault aurait pas étonnant que les vaccinations aillent bon continué de faire des automobiles pour le train en ce moment en Israël, dans les monarchies marché américain au lieu de faire des tanks du Golfe, etc. Les laboratoires livrent en premier pour le front de Picardie. Si nous étions « en ceux qui ont payé le plus cher, c’est ainsi que les guerre », encore faudrait-il que le gouverne- USA et la Grande-Bretagne, par exemple, sont ment ait un budget « prévention d’épidémie » livrés avant l’Union Européenne, laquelle est livrée au cas où une épidémie arriverait, de la avant le Sénégal ou l’Argentine. Le cas d’Israël est même façon que le pays dispose d’un fort très éclairant sur cette course aux vaccins : tout budget militaire « au cas où » le pays serait d’abord, ce pays a déboursé davantage que « le prix engagé dans un conflit armé. P5
III - Conséquenses de la pénurie sanitaire La facture de trente ans d’abandon de toute politique Tout ceci apparaît de façon pas toujours tellement industrielle, de trente ans de casse de la recherche cohérente : les grandes surfaces sont ouvertes, et pas publique considérée comme une dépense excessive, de les petites boutiques ; les restaurants sont fermés, trente ans de discours répétés selon lesquels le marché même quand ils se sont organisés pour respecter les et les capitaux privés sauraient bien mieux que l’État règles de distanciation sanitaire. Nombre de sec- répondre aux besoins, car l’État n’était pas, parfois, la teurs économiques et de territoires sont très forte- solution, mais était toujours le problème, tout ceci nous ment impactés : le tourisme, le culturel, etc. Les tombe dessus. jeunes, écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, tra- versent des périodes où l’incertitude domine. Les Nous voyons tous les jours se développer et se multi- personnes âgées, en EHPAD ou à domicile, sont de plier les conséquences de la pénurie sanitaire. Pour évi- plus en plus isolées, les visites leur étant interdites ter l’engorgement des hôpitaux, engorgement d’autant car étant plus « à risque ». Tout ceci conduit à des plus vite atteint que les moyens des hôpitaux ont été dépenses énormes : beaucoup moins d’activités méthodiquement réduits pendant plus de 25 ans, économiques, moins de rentrées fiscales pour depuis 1995, le gouvernement est « obligé » de pren- l’État (TVA, revenu, bénéfices, etc.). Et beaucoup dre des mesures pour ralentir la propagation du virus, plus de dépenses : chômage partiel, aides aux lequel se propage porté par des individus atteints vers entreprises, souvent sans contrôle, prêts garantis, etc. des individus en bonne santé. Pour freiner ces échanges entre personnes, les « gestes barrière » (masques et lava- En plus des conséquences économiques et bud- ges fréquents des mains) sont un moyen simple et effi- gétaires, les conséquences sanitaires sont très cace. On se souvient que, faute de masques, il nous a été fortes également : bien entendu, il faut prendre dit alors qu’ils ne servaient à rien. Aussi, pour freiner la en compte les nombreuses morts à cause de ce circulation du virus, il fallait freiner la circulation d’un virus, faute parfois de précautions prises faute de maximum de personnes, en les obligeant à rester chez masques ou de matériels de protection, notamment elles. Les confinements et les opérations de couvre feu chez les personnels de santé et les personnes en servent à ça. Les conséquences sont tout de suite énor- contact avec des personnes à risque (en EHPAD et mes, et le coût de tout ceci ira bien au-delà des écono- à domicile). Nous avons vu aussi des personnes mies qui ont pu être faites au cours des années passées âgées mourir, non pas du virus, mais de la solitude ; en supprimant des stocks de masques, en supprimant et, maintenant, ce sont des jeunes, et un peu toutes des lits, en supprimant des emplois dans l’hôpital. les couches de la population qui sont confrontées à Celles et ceux qui, au cours de la dernière décennie, ont l’angoisse, au stress. Par ailleurs, du fait que les autorisé, voire facilité, les délocalisations d’entreprises services sanitaires ont donné la priorité aux soins faisant en France des masques chirurgicaux, et ont à donner aux malades atteints du virus, d’autres décidé de la suppression des stocks (il fallait suppri- soins ont été reportés. Mais toutes ces personnes mer l’argent qui dort), continuent pourtant de parader ont toujours leur maladie et leurs souffrances, et et de venir nous dire ce que nous devons faire. leur situation n’aura pu qu’empirer quand ils retrou- Demain, ils nous diront que pour payer tout ceci, il veront le chemin de l’hôpital. faut réduire le train de vie de l’État. Franck Riester, qui Nous voyons aussi que le gouvernement semble fait des merveilles au Commerce extérieur comme il en profiter de cette situation pour accélérer le con- a fait à la Culture, a déclaré, en février 2021, qu’en 2020 trôle des populations. L’état d’urgence sanitaire la France a déboursé 5,9 milliards d’euros pour acheter permet à l’exécutif de prendre des décisions en se des masques à la Chine. Si nous les laissons faire, ce passant de l’avis, et même de la consultation du seront les classes moyennes et les pauvres qui seront mis Parlement. Les atteintes aux libertés se multiplient en cure d’austérité, pendant que les détenteurs de capi- et l’analyse des textes législatifs qui sont reportés taux continueront de les faire croître et multiplier, en les (Loi Grand âge, par exemple) par rapport aux tex- déplaçant du Luxembourg à Jersey, des Iles Vierges à tes qui sont tout de même maintenus au calendrier Singapour. parlementaire montre bien que le souci sécuritaire Des stratèges en économie nous disent que le coût des prime dans les préoccupations gouvernementales. confinements sur l’économie, c’est 10 points de PIB ! L’exécutif est tout puissant : il gère la pandémie, il Difficile à mesurer, mais il est certain que la mise en planifie l’économie en décidant quels secteurs sommeil d’une bonne partie des activités économi- seront en activité et quels secteurs seront fermés, ques du pays a forcément un fort impact sur le dyna- ou au ralenti. Il contrôle les populations, les liber- misme du pays. Et, à chaque fois, le gouvernement, tés publiques sont rognées, les droits fondamentaux entouré de ses experts et de son Conseil de Défense, tels que les droits de réunion, de rassemblement, de dans des délibérations secrètes, décide du sort de mil- manifestation, de circulation, de déplacement, etc., lions de personnes. P6 sont restreints.
IV - Pour aller vers une souveraineté sanitaire Le 12 mars 2020, le Président de la République, Ce n’est pas du tout dans l’air du temps en ce qui n’est ni un gauchiste, ni un doux rêveur, ni qui concerne la majorité présidentielle actuelle un souverainiste, disait sans sourciller qu’il nous fal- ni dans les orientations du Président de la Répu- lait reprendre le contrôle de notre alimentation, de blique. Et cette condition satisfaite, il faudrait notre protection, de notre capacité à soigner, etc., et encore que les choix au quotidien des entreprises construire une France et une Europe souveraine. sur lesquelles le pays serait « souverain » aillent dans le sens de l’intérêt général, et pas dans le sens Diantre fichtre, nous voici face à un vaste pro- des dirigeants de ces entreprises, ou qu’elles ser- gramme. La seule souveraineté sanitaire, ça impli- vent finalement les intérêts des entreprises pri- querait déjà de très fortes transformations de notre vées concurrentes. Tous les jours en effet, nous environnement législatif. Ca voudrait dire que la voyons ce qu’il reste de services publics en France France doit pouvoir disposer, sur son territoire, gérés de telle mauvaise façon que ceci ne peut que d’usines en capacité de produire des médicaments, conduire à ouvrir et à préparer la place aux pro- particulièrement des vaccins. Ce qui sous-entend priétaires du secteur privé : par exemple, la SNCF que le gouvernement puisse, au moins, « inciter » détruite progressivement, au profit du routier, du des détenteurs de capitaux privés à faire des choix maritime et de l’aérien, ou même obligée d’ouvrir privilégiant l’intérêt général et pas l’intérêt de leurs certaines lignes à la concurrence ; de même pour placements financiers. EdF ou La Poste, etc. La première étape serait déjà que les aides publi- Le 12 mars 2020, le Président de la République ques soient conditionnées et que leur usage soit achevait ainsi ce paragraphe « radical » de son dis- contrôlé. Nous imaginons facilement les cris cours : « Les prochaines semaines et les prochains d’orfraie du Medef et les menaces de la Commis- mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sion de Bruxelles mettant en cause des aides publi- sens. Je les assumerai ». C’est plus certainement à ques contraires à la concurrence libre et non faus- la population de les imposer. sée. Hier nous dénoncions le manque de médica- L ' étape plus efficace serait d’interdire à une entre- ments, le manque de lits, le manque de respira- prise privée de délocaliser une activité ou de l’obli- teurs, de matériels de protection, de masques, ger à faire des recherches et ensuite à produire puis de tests, et maintenant de vaccins, et tou- sur le territoire national. Mais tout ceci est en jours le manque de moyens et de personnels, contradiction avec le principe de totale liberté de tout ceci au détriment de la santé publique. Et, circulation des capitaux sur la planète : les « investis- pendant le même temps, nous constatons l’explo- seurs », en fait les détenteurs de capitaux, sont libres sion des dividendes pour les actionnaires des de leurs choix, d’investissements ou pas, dans tel ou grands groupes de ces secteurs industriels. Et tel secteur, dans tel ou tel pays, selon leurs propres nous voyons des gouvernements qui gesticulent critères, qui sont, le plus logiquement, des critères mais qui se plient aux décisions et aux choix de rentabilité financière, et non de santé publique, des multinationales, et en passent par les fourches dans le cas de médicaments. Si le cadre général de caudines de leurs exigences en matière de prix et liberté de circulation des capitaux n’est pas mis en de leurs possibilités en ce qui concerne la produc- cause, si le gouvernement ne dénonce pas certains tion et la livraison des médicaments. C’est, comme traités commerciaux de libre échange dans lesquels il est dit par les tenants du libéralisme dans le pays est engagé (directement, ou, très générale- d’autres occasions, une « prise en otage » des ment, par le biais de l’Union Européenne), alors il populations, orchestrée au départ par les gou- faut que la puissance publique puisse intervenir vernements qui, progressivement, se sont des- dans les choix de telle ou telle entreprise. Dans le saisis de moyens pour agir face aux capitaux. cadre du capitalisme actionnarial, ceci veut dire C’est bien une inversion des normes qu’il faut qu’il faut que l’État entre au capital des sociétés imposer : la vie vaut plus que leurs profits ! dont il veut pouvoir maîtriser les choix essentiels. C’est-à-dire qu’il faudrait que l’État devienne par- tiellement ou totalement propriétaire de certaines entreprises. Gérard Gourguechon P7
Vous pouvez aussi lire