Lobbying associatif : l'exemple de l'autisme - REVUE MÉDECINE ET PHILOSOPHIE - Revue Médecine et Philosophie
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Médecine et Philosophie | Lobbying associatif : l’exemple de l’autisme REVUE MÉDECINE ET PHILOSOPHIE Brigitte Chamak∗ ∗ CERMES3- INSERM U988 - CNRS UMR 8211 - EHESS. Université Paris Descartes RÉSUMÉ Comment le système associatif contribue-t-il à façonner les représentations et les politiques publiques en matière d’autisme ? Cette question renvoie au rôle plus général des mouvements sociaux. Dans le domaine de la santé, ces mouvements participent de plus en plus à l’action publique et acquièrent une influence grandissante. Les associations de parents d’enfants autistes ont contribué à la prise de conscience du public et ont joué un rôle croissant dans les changements des représentations et des politiques publiques en matière d’autisme mais un fossé s’est creusé entre les positions adoptées par des « experts associatifs » qui pèsent sur les décisions politiques et les situations que vivent au quotidien de nombreux parents. Cet article sur le rôle des associations de parents d’enfants autistes aux États-Unis et en France vise à analyser la montée en puissance d’un lobbying associatif qui influence les autorités politiques afin d’établir de nouvelles normes en matière d’autisme. MOTS-CLÉS autisme, associations, mobilisation, activisme, lobbying. Introduction aux, ces organisations militantes qui revendiquent de représen- ter les mêmes intérêts et de partager une idéologie, une culture De nombreux parents d’enfants autistes revendiquent la recon- et des objectifs communs (Crossley, 2006). Ces mouvements naissance de leurs compétences parentales et réclament une lib- constituent la principale forme sociale à travers laquelle des erté de choix d’orientation et d’interventions pour leurs enfants. collectivités expriment leurs revendications et tentent de pro- Ils sont d’ailleurs de plus en plus impliqués dans l’éducation mouvoir ou de résister à un changement dans une société (Snow et les interventions auprès de leurs enfants (Brewer, 2018 ; Des et al. 2004). Pour Tilly (2008), un mouvement social est un Rivières-Pigeon et Courcy, 2014 ; Singh, 2016). Depuis les années ensemble de campagnes de revendications adressées aux déten- 1960, les parents ont joué un rôle prépondérant dans les con- teurs du pouvoir, utilisant un répertoire d’actions et exprimant troverses et la mobilisation des pouvoirs publics et des médias valeurs et engagements collectifs. Dans le domaine de la santé, autour de l’autisme (Chamak, 2008a,b ; Langan, 2011 ; Silver- ces mouvements émergent pour réclamer l’accès aux soins, la man, 2012). Dans le contexte de la généralisation des valeurs qualité des soins, mais aussi pour revendiquer un changement de l’autonomie à l’ensemble de la vie sociale, qui se caractérise social plus large (Barbot, 2002 ; Brown et Zavestoski, 2004). Ils par l’ancrage dans la vie quotidienne d’un double idéal de réali- participent de plus en plus à l’action publique (Hassenteufel, sation de soi et d’initiative individuelle (Ehrenberg, 1991), des 2008), acquièrent une influence grandissante et contribuent à parents qui, auparavant, subissaient et acceptaient les décisions remodeler les relations entre professionnels de santé, respons- prises par les psychiatres, ont décidé d’agir et de choisir les ables politiques, et marchés économiques (Callon et Rabeharisoa, modes d’accompagnement pour leurs enfants (Chamak, 2008a). 2008). Ces transformations ont été rendues possibles grâce à un mouve- Les associations de parents d’enfants autistes ont contribué à ment associatif que certains parents d’enfants autistes ont créé et la prise de conscience du public et ont joué un rôle croissant consolidé, le rendant de plus en plus influent (Chamak, 2008b). dans les changements des représentations et dans l’élaboration Comment le système associatif contribue-t-il à façonner les des politiques publiques et des actions en matière d’autisme représentations et les politiques publiques en matière d’autisme (Chamak, 2008b). Dans les années 1960, Bernard Rimland, psy- et quelle place occupent aujourd’hui les familles d’enfants chologue et père d’un enfant autiste, a été la figure majeure du autistes dans les services de soin et d’accompagnement ? Ces mouvement activiste américain (Caruso, 2010 ; Eyal et al. 2010). questions renvoient au rôle plus général des mouvements soci- Il a cherché à éliminer la représentation très largement répan- Médecine et Philosophie 1
Revue Médecine et Philosophie due des « mères frigidaires » et celle de la responsabilité des place en structures médico-sociales, temps scolaire insuffisant, parents dans les manifestations autistiques de leur enfant. En prise en charge morcelée, demandes de méthodes cognitivo- 1964, il proposa une explication alternative à la psychanalyse comportementales non satisfaites (Chamak et Bonniau, 2017). et à l’approche psychodynamique en défendant une étiologie Certains parents se forment aux méthodes cognitives et com- biologique et une théorie neurale du comportement (Rimland, portementales et considèrent qu’ils connaissent mieux l’autisme 1964). Actuellement, de puissantes organisations, telles que que la plupart des professionnels. Ils deviennent parfois eux- Autism Society of America1 and Autism Speaks2 se trouvent mêmes des professionnels de l’autisme. Ils écrivent des livres, au centre de l’activisme en matière d’autisme. Autism Speaks a dirigent des associations, agissent au niveau national et eu- mis en place une stratégie très active de collecte de fonds faisant ropéen pour obtenir la généralisation et le financement des méth- appel à des célébrités (Caruso, 2010) et un lobbying intensif en odes cognitivo-comportementales. D’autres sont submergés par direction des autorités politiques a permis d’obtenir des finance- les difficultés quotidiennes et les conséquences financières dues ments très importants pour la recherche sur l’autisme (Wayne, souvent à la nécessité d’arrêter de travailler pour l’un des par- 2007)3 . ents (Chamak et Bonniau, 2018). La plupart du temps, l’enfant En France, si les associations des années 1960 ont dénoncé le autiste doit rester à la maison en attendant la réponse de la manque de financement et d’établissements, dans les années Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) 1990 et 2000 a émergé une nouvelle génération d’associations et quand la notification arrive, parfois après 6 mois, le nom- qualifiant l’autisme de problème majeur en santé publique, bre d’heures d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) est très limité et dénonçant le monopole des psychiatres français, la définition de l’enfant n’est accepté qu’une heure par jour à l’école (Chamak et l’autisme comme une psychose, et refusant les interprétations Bonniau, 2018). psychanalytiques jugées culpabilisante pour les mères (Chamak, Les changements des vingt-cinq dernières années ont permis aux 2008b ; Demailly, 2019 ; Méadel, 2006). Les méthodes comporte- parents d’obtenir un diagnostic de façon plus précoce et pour mentales intensives et l’inclusion scolaire ont été réclamées. Cet des formes très diverses, avec pour conséquence une grande article sur la place des familles et le rôle des associations de par- hétérogénéité des cas d’autisme (personnes sans langage avec ents d’enfants autistes aux États-Unis et en France vise à mieux déficience intellectuelle jusqu’au profil de personnes avec de comprendre l’investissement personnel et l’engagement de plus grandes capacités langagières et intellectuelles). Les représen- en plus important des parents d’enfants autistes et à analyser tations de l’autisme sont moins négatives du fait de la médi- la montée en puissance d’un lobbying associatif qui influence atisation des personnes présentant un syndrome d’Asperger4 . les autorités politiques afin d’établir de nouvelles normes en Cependant, le vécu des familles n’en est pas toujours amélioré. matière d’autisme. La scolarité s’arrête souvent en maternelle, les interventions actuelles sont davantage morcelées et faire appel aux méthodes Une vie parentale centrée autour de l’enfant autiste comportementales à domicile coûte cher (Chamak et Bonniau, 2017, 2018)5 . Avoir un enfant autiste implique souvent, pour les parents, Les professionnels décrivent trois types de réactions des parents : stress, fatigue, problèmes professionnels et familiaux, stigma- une dépression et un épuisement, un activisme et la recherche de tisation, isolement, investissement en temps, en énergie, en ar- solution à tout prix, des réactions d’énervement, d’agressivité et gent et en recherche d’information et de services (Brewer, 2018 ; de revendication (Chamak et Bonniau, 2018). C’est l’activisme et Chamak et Bonniau, 2018 ; Damamme, 2009 ; Des Rivières- une logique d’empowerment6 qui ont conduit certains parents à Pigeon et Courcy, 2014 ; Gray, 1994 ; Singh, 2016). Certains par- s’impliquer dans le milieu associatif pour obtenir, des pouvoirs ents vouent leur vie entière à leur enfant autiste, ce qui pose sou- publics, davantage de financement et de prise en compte des vent problème pour les autres enfants de la fratrie. La détresse difficultés rencontrées par les parents d’enfants autistes. Ces psychologique est fréquente (41 %) chez les mères d’enfants combats datent des années 1960 et ne cessent d’évoluer et de autistes (Des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014). Une étude con- s’amplifier. duite aux États-Unis auprès de mères élevant seules leur enfant autiste a révélé que 77 % d’entre elles étaient à risque de dépres- Le développement d’un lobbying associatif aux États- sion (Dyches et al., 2016). Afin d’analyser les difficultés rencontrées par les parents Unis d’enfants autistes en France, une étude sociologique a été réal- En 1965, Bernard Rimland créa, avec d’autres parents, isée pour comparer l’expérience des parents avant et après 1990 l’American Society for Autism (ASA), qui est encore aujourd’hui (Chamak et Bonniau, 2016, 2017). Cette recherche a montré que une organisation puissante. En 1967, il créa à San Diego, en Cal- si le diagnostic d’autisme était obtenu de façon plus précoce ifornie, l’Institut de recherche sur l’autisme (Autism Research après 1990, le mécontentement des parents concernant les in- Institute, ARI) dont il fut le président jusqu’à sa mort en 2006. terventions était accru. Les parents d’enfants adultes étaient Cet institut, qui avait pour objectif de trouver des traitements satisfaits lorsqu’ils avaient enfin trouvé une structure adaptée 4 Le syndrome d’Asperger a été défini cliniquement en 1981 par Lorna Wing au fonctionnement de leur enfant mais pour les parents de jeu- comme une forme d’autisme caractérisant des personnes qui n’ont ni déficience nes enfants, les insatisfactions étaient nombreuses : manque de intellectuelle ni retard d’apparition du langage mais qui présentent des difficultés de communication et d’interactions sociales, des comportements répétitifs et 1 Le rapport d’activité 2017 d’Autism Society of America (ASA) indique que 650 000 des intérêts restreints. Cette terminologie n’est toutefois plus employée dans le personnes reçoivent des services d’ASA, que les revenus 2017 atteignent 2,5 mil- DSM5. lions de dollars et les dépenses 2,6 millions. https://www.autism-society.org/wp- 5 Au moins 2 000 euros par mois pour 35h/semaine avec un intervenant (entre 12 content/uploads/2018/12/Annual-Report-Final.pdf et 20 euros/h) et pour une psychologue comportementaliste (10h par mois) entre 2 Le rapport d’activité 2017 d’Autism Speaks indique que leurs ressources finan- 35 et 75 euros de l’heure, sans compter les charges sociales quand l’intervenant cières atteignent 96, 8 millions de dollars et le coût des services et des recherches est l’employé des parents. 89,4 millions. https://www.autismspeaks.org/sites/default/files/2018-08/2017- 6 L’empowerment est un processus social par lequel une personne accroît son annual-report0 .pd f pouvoir d’agir sur sa propre situation, et contribue à des changements sociaux 3 1,3 milliards de dollars ont été alloués pour la recherche sur l’autisme pour les qui ont des retentissements sur les conditions de vie d’autres personnes dans une années 2015-2019 par l’Autism CARES Act (Marcos, 2014) situation semblable. 2 Brigitte Chamak Revue Médecine et Philosophie
Revue Médecine et Philosophie prometteurs, s’est positionné contre les vaccinations et est à premier hôpital de jour pour enfants (Chamak, 2008b). Les l’origine du projet DAN (Defeat Autism Now !) mis en place en structures médico-sociales se sont ensuite multipliées et forment 1995. Les orientations du DAN visaient à remettre en cause la un ensemble d’établissements privés financés par des fonds science établie et à développer des recherches sur les anomalies publics. La particularité du système français tient à ce système immunologiques et le rôle des vaccins, et à faire la promotion où le secteur associatif gère plus de 80 % des établissements et de thérapies alternatives, notamment des interventions biomédi- services pour les personnes présentant un handicap. cales controversées (chélation, régimes sans gluten, sans caséine, Au milieu des années 80, une deuxième génération oxygénothérapie hyperbare. . . ). Le DAN est maintenant connu d’associations a vu le jour : d’une part, l’ARAPI7 (Asso- sous le nom de MAPS (The Medical Academy of Pediatric Spe- ciation pour la Recherche sur l’Autisme et les Psychoses cial Needs) et les thérapeutes DAN sont devenus les thérapeutes Infantiles), réunissant parents et professionnels pour favoriser MAPS. la recherche sur l’autisme, et, d’autre part, des associations, Pro L’activisme au nom de l’autisme s’est développé. Les campagnes Aid Autisme et AIDERA, qui ont créé des structures spécialisées de sensibilisation ont fait de l’autisme un problème de santé utilisant l’approche Teacch (Treatment and education of autistic publique et des mesures gouvernementales ont été prises aux and related communication handicapped children). Elaboré en États-Unis. Ainsi, la reconnaissance en 1991 de l’autisme comme 1966 par Eric Schopler, en Caroline du Nord, ce programme un handicap a permis de bénéficier d’aide éducative (Individu- proposait un projet d’éducation mettant l’accent sur les capacités als with Disabilities Education Act). Des financements impor- émergentes de l’enfant et la collaboration entre les parents et les tants ont été consacrés aux études sur les thérapies cognitivo- professionnels (Schopler et al. 2003). comportementales, et aux recherches en génétique et en neu- La troisième génération d’associations beaucoup plus reven- rosciences. La National Alliance for Autism (NAAR), créée en dicative, est apparue en 1989 avec la création d’Autisme 1994, est à l’origine du projet génome (Autism Genome Project) France suite à la scission, au sein de l’ASITP, entre ceux qui et du programme de banque de cerveaux post-mortem de per- continuaient à vouloir travailler en collaboration avec les sonnes autistes (Autism Tissue Program). Cure Autism Now psychiatres et ceux qui voulaient rompre avec les approches (CAN), créé en 1995 par les parents d’un enfant autiste, a mis en psychanalytiques de l’autisme, les jugeant trop culpabilisantes place en 1997 le programme AGRE (Autism Genetic Resource vis-à-vis des parents et inadéquates pour les enfants. Cette Exchange). Actuellement, le mouvement activiste autour de dernière génération d’associations, est résolument orientée vers l’autisme est caractérisé, aux États-Unis, par l’influence de deux les méthodes éducatives et comportementales et l’inclusion grandes organisations, ASA et Autism Speaks. Cette dernière scolaire. Elle cherche à se constituer en communauté active association a été créée en 2005 par Bob et Suzanne Wright, très pour rééquilibrer les rapports de force entre les familles et les influents politiquement, grands-parents d’un petit-fils diagnos- psychiatres (Coq-Chodorge, 2016). C’est le cas de l’association tiqué autiste en 2004. Autism Speaks a très rapidement pris de ‘Lea Pour Samy’, créée en 2001, qui a changé de nom en 2010 l’importance et a fusionné en 2006 avec la NAAR et en 2007 pour devenir ‘Vaincre l’autisme’. Cette association entreprend avec CAN. Autism Speaks a acquis un pouvoir de lobbying régulièrement des actions et des campagnes médiatiques grâce à son conseil d’administration prestigieux, et constitue pour discréditer les psychanalystes8 et, plus largement, les une source importante de financement de la recherche. Le prin- psychiatres, jugeant que seule l’inclusion scolaire et l’approche cipal lobbyiste d’Autism Speaks, Craig Snyder, a persuadé les ABA (Applied Behavioral Analysis, Lovaas, 1987) peuvent autorités de consacrer des fonds substantiels à la recherche sur permettre aux enfants autistes de progresser. l’autisme (Wayne, 2007). Le Combating Autism Act de 2006 a La pression des associations, au début des années 1990, a alloué près d’un milliard de dollars pour cinq ans (le double des donné lieu à une mobilisation des pouvoirs publics. En 1995, dépenses des programmes précédents) incluant une augmen- la Circulaire Veil définissait un plan d’action pour cinq ans tation importante pour la recherche biomédicale sur l’autisme. afin d’améliorer la prise en charge de l’autisme, et, en 1996, la En outre, le Département Américain de la Défense a financé son loi Chossy reconnaissait l’autisme comme source de handicap. propre programme de recherche sur l’autisme (Caruso, 2010). Le Forte demande des associations de parents, cette reconnaissance Combating Autism Reauthorization Act a été voté en 2011 (900 constitue un moyen de s’éloigner de la psychiatrie, de bénéficier millions de dollars) et l’Autism CARES Act de 2014 a autorisé d’aides financières et d’une scolarité pour leur enfant, grâce à la 1,3 milliards de dollars pour la recherche sur l’autisme pour les loi du 11 février 2005, qui a instauré un droit à la scolarisation années 2015-2019 (Marcos, 2014). pour tous les enfants et les adolescents présentant un handicap. Cependant, si la recherche bénéficie de cette mobilisation, le Mais, l’inscription d’un enfant à l’école ne signifie pas qu’il vécu des parents d’enfants autistes ne s’en trouve pas toujours puisse automatiquement bénéficier d’interventions adaptées si amélioré, compte tenu des difficultés à trouver des services, les moyens matériels ne sont pas disponibles et si les personnels du coût des interventions proposées pour les plus jeunes et du ne sont pas spécifiquement formés. manque d’établissements adaptés pour les adultes dépendants (Brewer, 2018 ; Chamak et Bonniau, 2018 ; Lynne, 2005, 2007). Démocratie sanitaire ou lobbying ? La mobilisation des associations et l’émergence d’un Les mouvements sociaux contribuent, de plus en plus, à la pro- duction de l’action publique (Hassenteufel, 2008) et les groupes lobbying associatif en France d’intérêts jouent un rôle croissant au niveau national et in- C’est le manque d’établissements et de financement qui est à ternational. Étant producteurs de normes, il semble impor- l’origine de la mobilisation des associations en France. La pre- tant d’analyser leur fonctionnement et leurs activités (Gross- mière association spécifique de l’autisme, L’ASITP (Association 7 au Service des personnes Inadaptées ayant des Troubles de la L’ARAPI a changé d’intitulé en 1995 pour devenir l’Association pour la Recherche sur l’Autisme et les Préventions des Inadaptations, le terme de psychose étant Personnalité), qui changea de nom en 1990 pour devenir Sésame décrié par les familles. Autisme, inaugura en 1963 l’hôpital Santos Dumont à Paris, 8 http://www.vaincrelautisme.org/content/guides Revue Médecine et Philosophie
Revue Médecine et Philosophie man et Saurugger, 2012). Le lobbying, « activité qui consiste à de leurs stratégies. Les critiques en provenance de parents qui procéder à des interventions destinées à influencer directement ne sont pas en accord avec leurs positions ont du mal à être mé- ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou diatisées compte tenu du poids acquis par un discours dominant d’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et (Demailly, 2019). Les familles qui ont du mal à trouver des étab- plus généralement, de toute intervention ou décision des pou- lissements pour leurs enfants autistes se demandent pourquoi, voirs publics » (Farnel, 1994), qui était l’apanage des groupes au lieu d’en créer, des représentants d’associations réclament d’intérêt économique, est utilisé aujourd’hui par de multiples leur suppression (Chamak et Bonniau, 2018). Pour les adultes, la acteurs, y compris les associations et les mouvements sociaux. promotion par les pouvoirs publics de l’ambulatoire aux dépens La construction d’un problème public suppose une mobilisation des établissements d’hébergement à un impact négatif sur la vie collective pour l’ériger en préoccupation légitime. C’est le tra- des parents à qui ne sont proposés que des hébergements de vail effectué par les associations de parents d’enfants autistes. dépannage (Demailly, 2019). En 1995, Autisme France a su, par le biais de la dénonciation, En France, quelques associations de parents, opposées à la mobiliser les pouvoirs publics pour changer les représentations généralisation des méthodes comportementales intensives, ont de l’autisme et orienter les politiques. La notion « d’épidémie décidé en septembre 2014 d’unir leurs forces dans un Rassemble- d’autisme »9 leur a permis de redéfinir l’autisme comme un ment pour une Approche des Autismes Humanistes et Plurielle problème de santé publique. L’ancienne présidente d’Autisme (RAAHP)12 mais elles subissent des attaques visant à les dis- France, mère d’un enfant autiste et avocat au Barreau de Paris, a créditer. L’inégalité entre les groupes de parents empêche une obtenu en 2002 qu’Autisme Europe saisisse le Comité Européen participation équilibrée aux processus décisionnels. Entre les po- des droits sociaux d’une réclamation collective contre la France. sitions adoptées par des « experts associatifs » qui pèsent sur les Début 2004, le Conseil de l’Europe condamnait la France au décisions politiques et les situations que vivent au quotidien de motif de la violation de ses obligations à l’égard des personnes nombreux parents, un fossé se creuse. Ceux qui recherchent autistes. Malgré ses cinq plans autisme, la France a été con- des structures spécialisées adaptées peinent à en trouver et damnée encore quatre fois (2007, 2008, 2012, 2014). sont souvent obligés de s’occuper seuls de leur enfant ou de La forte pression exercée par quelques figures dominantes du l’envoyer en Belgique. Certaines associations régionales sont monde associatif, qui sont dotés de capitaux socioculturels et parfois plus soucieuses d’aider concrètement les familles. Des intellectuels spécifiques, vise à modifier les pratiques profession- projets d’établissements sont alors envisagés mais les procédures nelles10 et à imposer les méthodes comportementales intensives. d’appel à projet des agences régionales de santé sont de plus L’ancienne présidente d’Autisme France et son compagnon ont en plus contraignantes et le recours aux agences de gestion est créé en 2005 une agence de gestion qui impose les méthodes com- fortement recommandé. Les outils du management public en- portementales dans les structures qu’elle gère. L’ancien prési- vahissent le secteur du médico-social et ont un impact sur la dent du collectif autisme qui a obtenu que 2012 soit l’année de standardisation des pratiques (Demailly, 2019). la grande cause nationale de l’autisme, a reçu des financements Contrairement à l’image idyllique d’une démocratie sanitaire publics pour que son agence de communication mène cette cam- engendrée par l’action des associations (Akrich et Rabeharisoa, pagne orientée vers la critique de la psychiatrie et la promo- 2012), le cas de l’autisme met en évidence un lobbying associatif tion des méthodes comportementales. L’instrumentalisation qui ne tient pas compte de l’ensemble des problèmes rencon- de l’opinion publique et les pressions exercées sur les pou- trés par les familles et qui cherche à imposer une approche voirs publics par l’intermédiaire de condamnations européennes unique (Chamak et Bonniau, 2016). Les choix d’une « élite aboutissent à des décisions politiques qui marginalisent les pro- associative »13 influencent les nouveaux parents et orientent fessionnels adoptant une approche pluraliste. les décisions politiques, parfois au détriment du plus grand En simplifiant le problème et en le réduisant à l’application nombre dans une logique de groupe de pression. Les marchés d’une méthode supposée traitée l’autisme, les associations de l’autisme, les intérêts de certains chercheurs (généticiens, interlocuteurs des pouvoirs publiques participent à négliger chercheurs en sciences cognitives, neuroscientifiques) et psy- l’hétérogénéité des cas d’autisme et la sévérité des symptômes chologues comportementalistes participent à fortifier ces orien- présentés par certains d’entre eux11 . Si certains parents té- tations. Le marché de la formation est tout particulièrement moignent de résultats spectaculaires (Perrin, 2012), d’autres lucratif. s’interrogent sur des pratiques qui s’avèrent non pertinentes L’exemple du lobbying intensif des associations de parents ac- pour leur enfant (Leduc, 2012). La focalisation sur les méth- tivistes en France rejoint celui du Brésil où une loi fédérale a odes comportementales ne favorise pas le développement de reconnu l’autisme comme un handicap à la fin de l’année 2012. nouvelles approches plus compréhensives et mieux adaptées Clarice Rios et Barbara Costa Andrada (2015) l’analyse comme au fonctionnement unique et particulier de chaque personne di- une manœuvre politique, orchestrée par des associations de agnostiquée « autiste » (Chamak, 2016). Certains représentants parents, pour s’éloigner du réseau de services en santé men- d’associations cherchent à acquérir toujours plus de crédibilité tal compte tenu des antagonismes avec les professionnels de auprès des pouvoirs publics en se référant à des publications ce secteur pour lesquels la psychanalyse exerce une influence scientifiques qu’ils sélectionnent en fonction de leurs intérêts et théorique majeure. Contrairement aux associations de la première génération qui 9 Le nombre de diagnostics d’autisme, désormais qualifié de trouble du spectre travaillaient en collaboration avec des psychiatres et réclamaient autistique (TSA), n’a cessé de croître au cours des dernières décennies. Plusieurs des institutions pour accueillir leurs enfants, les nouvelles asso- facteurs permettent d’expliquer, au moins en partie, la croissance du nombre de ciations proposent l’inclusion scolaire, ce qui va dans le sens de diagnostics : un élargissement des critères et une reconnaissance plus précoce des signes de la part des parents, des enseignants, et des médecins. 10 12 Les approches psychanalytiques sont tout particulièrement visées. http://blogs.mediapart.fr/blog/patrick-sadoun/251014/le-rassemblement- 11 pour-une-approche-des-autismes-humaniste-et-plurielle-raahp Certaines personnes autistes présentent : épilepsies, automutilations, troubles 13 alimentaires, troubles obsessionnels compulsifs ou autres troubles neurologiques La formulation « élite associative » est utilisée pour qualifier des parents de classes ou psychiatriques. Certains parlent d’autres pas, même à l’âge adulte. Beaucoup moyennes ou supérieures, compétents pour mobiliser les ressources juridiques, sont très anxieux et parfois dépressifs. utiliser les médias et les réseaux, et intervenir auprès des députés. 4 Brigitte Chamak Revue Médecine et Philosophie
Revue Médecine et Philosophie la politique générale visant à diminuer le nombre d’institutions Callon M. et Rabeharisoa V. (2008). The Growing Engagement dans une perspective d’économie. Même si le besoin de trouver of Emergent Concerned Groups in Political and Economic Life. une structure adaptée se fait sentir, les pouvoirs publics tendent Lessons from the French Association of Neuromuscular Disease à privilégier la formation des « proches aidants », ce qui signifie Patients. Science, Technology, et Human Values. Vol. 33, n°2, que les parents sont encouragés à devenir des professionnels 230-261. de l’autisme de leur enfant. Parce que les propositions des as- Caruso D. (2010). Autism in the US: social movement and legal sociations coïncident avec les orientations politiques, elles ont change. American Journal of Law and Medicine. Vol. 36, n° 4, d’autant plus de chance d’être suivies mais lorsque des parents 483-539. aux faibles revenus doivent payer un service privé 30 euros de l’heure, le nombre d’heures qu’ils peuvent financer pour un Chamak B. (2008a). L’autisme n’est plus ce qu’il était. In F. accompagnement de leur enfant est très limité (Chamak et Bon- Champion (dir.), Psychothérapie et Société. Paris : Armand niau, 2018). Colin. L’influence d’une « élite associative » peut s’observer à différents Chamak B. (2008b). Autism and Social Movements: French niveaux. Elle contribue à façonner les politiques publiques et Parents’ Associations and International Autistic Individuals’ Or- joue un rôle central dans la mobilisation des médias, les change- ganizations. Sociology of Health and Illness. Vol. 30, n°1, 76-96. ments de représentations de l’autisme, l’orientation des finance- Chamak B. (2016). Accompagnement d’enfants et d’adolescents ments de la recherche, et la promotion de professionnels qui autistes : un SESSAD innovant en Moselle. Revue française des adoptent les orientations qu’elles préconisent (Chamak, 2008b). affaires sociales. Vol. 2, 141-156. Tout en adoptant une vision biomédicale axée sur l’origine géné- tique et neurobiologique de l’autisme, ces associations cherchent Chamak B. et Bonniau B. (2016). Trajectories, long-term out- à extraire l’autisme du domaine de la psychiatrie (même si les comes and family experiences of 76 adults with autism spectrum diagnostics relèvent encore des psychiatres). Des députés re- disorder. Journal of Autism and Developmental Disorder. Vol. laient ces revendications, notamment l’élu du Pas-de-Calais, qui 46, n° 3, 1084-1095. a déposé en 2016 un projet de loi visant à interdire toute pratique Chamak B. et Bonniau B. (2017). Vécu des familles d’enfants psychanalytique dans le traitement de l’autisme. autistes de 1960 à 2005 : une étude rétrospective. Perspectives Une « élite associative » est présente dans différents comités de Psy. Vol. 56, n° 1, 19-28. travail sur l’autisme, aussi bien dans les instituts de recherches Chamak B. et Bonniau B. (2018). Mon fils, c’est que dans les fondations caritatives et les instances comme la ma petite entreprise ! Les parcours des enfants Haute Autorité de Santé. Des associations produisent souvent autistes entre carence de soins et inégalités so- de belles réalisations et aident les familles mais les milieux as- ciales en Seine-Saint-Denis. Anthropologie et Santé. sociatifs sont très hétérogènes et traversés par des enjeux de https://journals.openedition.org/anthropologiesante/3395 compétition pour leur visibilité, leur financement et leur influ- ence politique. Certaines associations peuvent engendrer une Coq-Chodorge C. (2016). Les autistes, otages de petits intérêts et forme de démocratie sanitaire mais, dans le cas de l’autisme, de grosses embrouilles. Médiapart, 22 septembre 2016. un lobbying associatif a clairement été identifié. La simplifi- Crossley N. (2006). Changement culturel et mobilisation des cation d’un problème par un groupe qui en tire des bénéfices patients. Le champ de la contestation psychiatrique au Royaume- (financiers, de réseau ou de prestige) et qui discrédite les autres Uni, 1970-2000. Politix. N° 73, 23-55. groupes qui ne sont pas en accord avec leur orientation, con- stitue une manipulation caractéristique d’un lobbying. Sabine Damamme A. (2009). Enjeux de compétence dans le travail du Saurugger (2003) nous rappelle que : "loin de l’idéal plural- care. Rôle et place des parents dans la prise en charge d’enfants iste, selon lequel la compétition entre tous les intérêts permet diagnostiqués comme autistes. In C. Felix et J. Tardif (dir.), Actes une représentation équilibrée, les intérêts privés les plus forts éducatifs et de soins, entre éthique et gouvernance. Nice : Édi- l’emportent sur ceux qui n’ont pas les ressources financières tions Revel. ou sociales nécessaires pour représenter leurs intérêts dans le Demailly L. (2019). Le champ houleux de l’autisme système communautaire". D’où l’importance, pour les pouvoirs en France au début du XXIème siècle. SociologiesS. publics, de prendre en compte les besoins et les avis de tous https://journals.openedition.org/sociologies/9593. les parents et de ne pas se contenter d’axer une politique sur Des Rivières-Pigeon C. et Courcy I. (2014). Autisme et TSA : les seules revendications exprimées par ceux qui dirigent les quelles réalités pour les parents au Québec ? Les Presses Uni- associations les plus influentes. versitaires du Québec. Dyches T., Christensen R., Harper J., Mandleco B., Roper S. RÉFÉRENCES (2016). 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