Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara : Troisièmes Conversations régionales
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Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara : Troisièmes Conversations régionales SEPTEMBRE 2018 Introduction Malgré la multiplication des réponses sécuritaires dans l’espace sahélo- saharien, celles-ci, même si elles sont nécessaires, ont démontré leurs limites, en partie car elles traitent les symptômes plutôt que les nombreuses causes endogènes, transnationales ou exogènes qui génèrent et nourrissent la violence. Les phénomènes de violence et d’extrémisme violent sont complexes, diffèrent d’une région à une autre et appellent des réponses spécifiques à chaque contexte. C’est dans la transformation des conditions propices à la violence par un véritable investissement dans la construction de Ce séminaire a été co-organisé à Alger, en Algérie, les 24 et 25 juin la paix et du vivre-ensemble en paix que repose la clé. C’est en tout cas la 2018 par IPI, le Bureau des Nations conviction qui se conforte depuis le lancement de l’initiative des Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Conversations régionales pour la prévention de l’extrémisme violent. Sahel (UNOWAS), le Département Cependant, ces pratiques et facteurs de résistance et de résilience et les fédéral des affaires étrangères expériences réussies qui proposent des alternatives concrètes et crédibles à la (DFAE) de la Suisse et le Centre africain d’études et de recherche sur violence restent trop peu étudiés et valorisés sur le continent et au-delà. Et en le terrorisme (CAERT) de l’Union même temps, globalement, l’extrémisme violent continue de gagner du africaine, avec le soutien du terrain, au sens propre et figuré : cela doit nous interpeler en termes d’effi- gouvernement algérien. Ces Conver- cacité des réponses apportées. sations d’Alger ont fait suite à celles C’est précisément pour créer un espace d’échange et d’appropriation de organisées à Dakar en juin 2016 et à N’Djamena en juin 2017 et l’approche de prévention de la violence dans l’espace sahélo-saharien que s’inscrivent également dans la l’Institut international pour la paix (IPI), le Bureau des Nations Unies pour continuité du séminaire précurseur à l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), le Département fédéral des Tunis en novembre 2015. affaires étrangères (DFAE) de la Suisse1 et le Centre africain d’études et de Les préparations substantives de la recherche sur le terrorisme (CAERT) de l’Union africaine ont organisé, avec rencontre d’Alger furent assumées le soutien du gouvernement algérien, la troisième édition des Conversations par un comité mis sur pied avec des régionales pour la prévention de l’extrémisme violent. représentants de chaque partenaire. Ouverte officiellement par le Ministre des affaires étrangères de l’Algérie, La rédaction de ce rapport de synthèse fut réalisée par Aïssata cette rencontre a réuni plus de 70 experts et praticiens venus de l’Afrique du Athie d’IPI, au nom des partenaires Nord, de l’Ouest et centrale : des représentants des gouvernements et des et avec leur soutien. Ce rapport forces de défense et de sécurité, des autorités politiques, religieuses et reflète l’interprétation des discus- traditionnelles, des membres de la société civile, des chercheurs et des sions par la rapporteuse et ne représentants des médias et d’institutions culturelles, ainsi que des représen- représente pas nécessairement les tants des organisations régionales et internationales et des partenaires. opinions de tous les participants. IPI est reconnaissant envers ses généreux donateurs et partenaires, dont le soutien et la collaboration 1 Lequel s’est doté en avril 2016 d’un Plan d’action de politique étrangère pour la prévention de l’extrémisme rendent possibles les publications violent, fondement de son engagement notamment dans cette initiative des Conversations régionales. Voir www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/publications/SchweizerischeAussenpolitik/Aussenpolitischer- comme celle-ci. En particulier, IPI Aktionsplan-PVE160404_FR.pdf . remercie la Confédération Suisse.
2 COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE Les Conversations régionales ont été initiées en Résumé des 2016 en lien avec le lancement du Plan d’action du Secrétaire général des Nations Unies pour la recommandations prévention de l’extrémisme violent qui appelle à la nécessité « d’adopter une approche plus globale, Les diverses analyses et recommandations issues qui comprenne non seulement les mesures des deux jours de travaux ont rappelé la complexité essentielles de lutte contre le terrorisme axées sur la des phénomènes de violence et de l’extrémisme sécurité mais aussi des mesures de prévention violent et souligné la nécessité d’inscrire les initia- systématiques qui s’attaquent directement aux tives de prévention dans une approche holistique et causes de l’extrémisme violent »2. pragmatique axée sur la recherche de résultats concrets. Les participants ont exprimé leur engage- A travers sa dimension régionale et sa participa- ment à jouer un rôle actif dans la mise en œuvre des tion diversifiée, cette initiative propose un espace recommandations pertinentes ci-dessous : informel d’échanges sur la prévention de l’extrémisme violent, et construit et renforce des • Investir dans la prévention de la violence, y passerelles entre acteurs d’horizons professionnels compris l’extrémisme violent, en travaillant à divers et des initiatives positives régionales qui transformer les causes qui la suscitent ; les parti- constituent des alternatives concrètes à cipants et les organisateurs des Conversations l’extrémisme violent. Le dialogue est au cœur de la s’engagent à poursuivre ce plaidoyer. démarche de cette initiative. • Favoriser tous les espaces de dialogue à travers Sur la base de la richesse des vécus et des lesquels la cohésion sociale et le lien entre la pratiques de participants venus de divers horizons société et l’État se renforcent et consolident le africains, les discussions d’Alger portèrent dans un vivre-ensemble en paix, en particulier dans les premier temps sur l’analyse des causes de zones marginalisées, qu’elles soient urbaines ou l’extrémisme violent et des facteurs qui y rurales. contribuent. Puis elles traitèrent des facteurs de • Favoriser également le dialogue comme outil de résilience et des facteurs de paix positive, et enfin prévention pour comprendre l’extrémisme des actions concrètes et multiples de prévention de violent, pour apporter des réponses collectives la violence engagées par différents acteurs de la aux causes qui le provoquent et là, où possible, région afin de « renverser la table » et sortir de la pour tendre la main vers les acteurs de cette spirale de violence. violence. La nécessité de formuler des recommandations • Favoriser la participation des femmes, des jeunes, concrètes par et pour les praticiens de la région a des communautés locales et des familles dans le guidé ces Conversations autour de thématiques développement et la mise en œuvre des initiatives identifiées comme essentielles lors des précédentes de prévention de la violence, y compris à travers Conversations : les relations État-citoyen et leur participation à la prise de décision politique. gouvernants-gouvernés ; la participation politique ; • Reconnaître le rôle central des pouvoirs publics le dialogue inclusif comme outil de transformation et des acteurs politiques dans la prévention de de la violence ; les dynamiques socio-économiques l’extrémisme violent et les encourager à engager et politiques transfrontalières ; la contribution des le dialogue et l’action avec tous les acteurs de la médias aux efforts de prévention ; celle des forces société pour adresser les causes de l’extrémisme de défense et de sécurité ; et le potentiel de la violent et à privilégier davantage l’approche culture, de l’éducation et de la citoyenneté en tant préventive dans leurs stratégies de lutte contre le qu’outils de prévention. terrorisme et l’extrémisme violent. 2 Assemblée générale des Nations Unies, Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent — Rapport du Secrétaire général, Doc. ONU A/70/674, 24 décembre 2015.
Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara 3 • Engager le dialogue entre les forces de défense et réponse basée sur une approche holistique et de sécurité et les communautés, ainsi qu’entre les globale, allant au-delà de l’action militaire. Ce forces de défense et de sécurité et les responsables d’autant plus que parfois celle-ci est accompagnée politiques, pour favoriser la confiance et une de comportements abusifs de la part des forces de meilleure compréhension de leurs rôles respec- sécurité et de défense envers les populations, tifs, pour (si besoin) corriger les comportements augmentant le fossé entre les États et leurs abusifs et pour donner un cadre républicain administrés. La réponse militaire sert trop souvent stimulant le rôle de prévention de ces forces. de « paravent » au manque de volonté des respon- • Face à cette nouvelle menace, reconnaître la sables politiques de s’engager autant, si ce n’est nécessité de développer une nouvelle doctrine plus, dans les actions préventives, seules à même de pour les forces de défense et de sécurité, résoudre les antagonismes sur le long terme. construite sur les impératifs du service républi- Cette approche multidimensionnelle est cain, des droits de l’homme, du droit interna- nécessaire au vu de la variété des causes et facteurs tional humanitaire et de la sécurité humaine, et qui sont à l’origine du phénomène. La religion, renforcer les capacités dans ces domaines. souvent affichée comme facteur premier, s’avère • Œuvrer aux côtés des professionnels des médias dans la réalité être un élément parmi d’autres ; les à une sensibilisation et un renforcement des injustices politiques, sociales et économiques, capacités sur le rôle central qu’ils peuvent l’impunité, le désir de vengeance, la quête de assumer en matière de prévention de protection, la pauvreté, le chômage (notamment l’extrémisme violent, par une information chez les jeunes), la mauvaise gouvernance, la objective, en relayant des discours de paix et non corruption, la marginalisation et le sentiment de haine, et en faisant valoir les expériences d’exclusion, la crise d’identité, le changement réussies de prévention. violent de régime et la résurgence d’anciens conflits mal résolus sont autant de facteurs à cerner pour • Placer la culture, la citoyenneté et l’éducation mieux comprendre et répondre aux causes de ce (formelle mais également au sein des familles) au phénomène. cœur des dispositifs de prévention de l’extrémisme violent. L’érosion des institutions publiques a aussi été soulevée, et les conséquences que cela peut avoir • Face au caractère transnational du phénomène sur les capacités de ces sociétés à faire face à la d’extrémisme violent, qui appelle également une violence. La corruption, la mauvaise gouvernance réponse régionale, éviter d’avoir de multiples et le manque de transparence remettent en cause la stratégies et programmes régionaux institution- légitimité de l’État et de ses institutions. Par nels, non seulement en améliorant la coordina- exemple, les difficultés d’accéder au système de tion mais aussi en développant de véritables justice et la remise en cause de son impartialité font approches intégrées. que les citoyens perdent confiance dans cette • A l’instar des Conversations, poursuivre au plan institution. Le secteur de l’éducation, véritable régional les efforts visant à partager et à appuyer naufragé dans la plupart des pays concernés, les diverses expériences réussies, afin de illustre également parfaitement en quoi le déficit renforcer l’approche préventive dans le traite- d’État peut créer des ravages profonds au sein des ment de l’extrémisme violent. sociétés. La floraison des écoles coraniques incontrôlées fut abondamment évoquée. A la place La nécessité d’une réponse d’aller vers ces institutions qui s’occupent des multidimensionnelle et sources du problème, les ressources publiques sont souvent concentrées vers le domaine de la sécurité inclusive fondée sur le pour répondre à la menace à court terme. dialogue La famille peine à constituer un rempart à l’endoctrinement et au recrutement des jeunes. Il a Les réponses militaires et sécuritaires au Sahel- été mentionné une « abdication de la responsabilité Sahara, bien que parfois nécessaires, ont démontré des parents » dans certains cas et un manque de leurs limites ; l’extrémisme violent nécessite une surveillance et de suivi, alors même que la famille
4 COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE devrait fonctionner comme un mécanisme d’alerte contre les populations, cela peut pousser ces précoce. La famille est le premier lieu de trans- dernières dans les bras des groupes extrémistes mission et d’acquisition de valeurs sociétales. Que violents. Par ailleurs, l’équilibre des pouvoirs dans faire lorsque les parents n’encouragent plus leurs ces zones « oubliées » se trouvent de plus en plus enfants à aller à l’école, car celle-ci offre un service souvent bouleversés par l’émergence de milices inadéquat (classes d’une centaine d’enfants, pas de d’auto-défense, souvent constituées sur une base matériel, pas ou peu d’enseignants) ? Que faire communautaire, qui tentent de remplir le vide lorsque les parents n’ont pas de réponse face aux sécuritaire. Dans ce contexte, la notion de la questions de leurs enfants sur leur avenir et leur « dignité humaine » est souvent revenue dans les place dans leur société ? Que faire lorsque ce sont conversations. Lorsque la dignité humaine est les parents eux-mêmes qui parfois encouragent atteinte par l’État, cela renforce l’attrait des groupes leurs enfants à « partir au large » (pour s’engager extrémistes violents qui se présentent comme dans la violence, pour chercher un ailleurs alternatives à l’État pouvant protéger la population meilleur, etc.) ? des exactions des communautés rivales et de l’État Le contexte actuel est par ailleurs marqué par et faire justice à peu de frais. l’érosion des coutumes et pratiques traditionnelles Les périodes de transitions politiques et de qui ont longtemps constitué un rempart aux changement de régime soudain constituent aussi discours de haine et violence. Cette érosion a dans des moments propices pour l’émergence de ces certains cas entraîné une perte d’emprise de ces groupes qui s’emparent du vide politique et institu- communautés sur la régulation sociale et parfois tionnel pour se poser en alternative et solidifier le même politique. De surcroît, les mouvements de discours « eux » contre « nous ». Cela a notamment transhumance et autres déplacements exacerbés été le cas en Libye, où les groupes extrémistes par les changements climatiques au Sahel-Sahara violents, souvent déjà sous-jacents, ont saisi le ont favorisé l’émergence de tensions entre moment de la chute du régime de Mouammar communautés. C’est notamment le cas dans la Kadhafi pour proliférer et créer des alliances région du centre du Mali et au Niger, où les affron- au-delà des frontières. L’attrait de ces groupes tements entre éleveurs nomades et agriculteurs extrémistes violents est en effet renforcé lorsque sédentaires se multiplient. Ces tensions intercom- ceux-ci se « substituent » à l’État en fournissant des munautaires font en outre l’objet d’instrumentali- services sociaux, de la sécurité, de la justice ou des sation par les milices, les groupes armés et les États revenus. eux-mêmes à des fins de contrôle, au point que Face à de tels défis, dont on note bien la diversité, certains disent « ce ne sont pas les terroristes qui les participants ont ainsi appelé au besoin urgent nous terrorisent, c’est notre État et les milices ». d’une réponse multidimensionnelle et inclusive de Cela est ressorti comme l’un des risques majeurs de tous les secteurs de la société. En partant du constat conflagration. Les participants ont appelé à que les structures et actions étatiques sont renforcer les communautés locales afin de les aider nécessaires mais insuffisantes, l’engagement de à résoudre les conflits intercommunautaires de l’ensemble de la société — hommes politiques, manière pacifique à travers le dialogue et en leaders d’opinion, forces de défense et de sécurité, impliquant les chefs traditionnels. éducateurs, femmes, jeunes, familles, chefs La persistance, voire le creusement, de l’écart religieux et traditionnels, communautés, médias, entre riches et pauvres peut aussi engendrer un société civile, acteurs de la culture et chercheurs — rejet de l’État et de ses institutions. Ceci est parti- comme acteurs clés de la prévention de culièrement vrai dans les zones transfrontalières l’extrémisme violent s’avère indispensable. Mais il éloignées des centres administratifs, où les services fut dit aussi que tout cela doit être présidé par une étatiques peinent à maintenir une présence et où les volonté politique ferme et affichée qui mise sur la populations parviennent difficilement à avoir accès richesse de cette diversité et montre le chemin de aux services de base, surtout aux services de l’inclusion. sécurité. En effet, lorsque l’État faillit à assurer la Les Conversations d’Alger ont aussi été le révéla- sécurité de ces populations ou que ses forces teur du besoin profond de dialoguer, à tous les armées commettent elles-mêmes des exactions niveaux, pour comprendre les causes de
Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara 5 l’extrémisme violent et pour œuvrer au change- disponible à la société civile au motif de la lutte ment : au sein des familles, au sein des écoles, au contre le terrorisme. sein des institutions, entre les politiques et les Le dialogue et la coopération entre le gouverne- militaires, entre les communautés et ceux qui les ment et les citoyens doivent par ailleurs être administrent ou les sécurisent, et peut-être même renforcés. Les espaces de dialogue entre les deux avec les extrémistes violents. Mais le dialogue est sont encore trop rares et ne résistent pas toujours difficile, et il n’est pas mécanique. Il est donc aux crises. Une collaboration transparente, fondamental de créer les espaces structurés pour le inclusive et participative entre les gouvernants et dialogue où les expériences et les questions peuvent les gouvernés est pourtant nécessaire et bénéfique à être partagées, et où l’envie d’aller vers l’autre peut tous. Ces derniers pourraient ainsi être consultés grandir. lors de l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques de prévention. Par exemple, la Le rôle de la société civile Commission nationale tunisienne de lutte contre le locale dans la prévention terrorisme veille à intégrer dans ses activités toutes les composantes de la société civile, perçues comme Les Conversations ont prêté une attention parti- étant en première ligne pour faire face à, mais aussi culière au rôle de la société civile locale et à sa pour prévenir, l’extrémisme violent. Il s’agit donc relation avec l’État. La société civile est aussi pour les institutions publiques et les respon- polymorphe, elle comprend non seulement des sables politiques de prendre la pleine mesure de la « organisations de la société civile », mais aussi les richesse que représente l’interaction avec la société communautés elles-mêmes, leurs leaders, les civile (au sens large) et de la valoriser dans le cadre villages et autres formes de regroupements de des politiques publiques. populations locales, les femmes ou les jeunes qui Les participants ont également rappelé l’impor- s’organisent de diverses manières, de simples tance de l’inclusion politique des femmes et des individus qui agissent et des structures socio- jeunes, notamment au niveau local. Cela peut se professionnelles. faire en adoptant des mesures destinées à réduire La société civile joue un rôle central dans la l’âge minimum de candidature à certains postes prévention de l’extrémisme violent car ce politiques, à instaurer un quota minimum de phénomène se manifeste en réponse à des facteurs jeunes et de femmes, à renforcer leurs capacités ou locaux plutôt qu’à des dynamiques globales, même à éliminer les barrières financières à leur participa- si ces dernières entrent souvent dans le discours des tion, notamment en zone rurale (frais liés aux groupes. Les stratégies de développement et projets campagnes, déplacements, etc.). Des officiels de prévention doivent ainsi être adaptés au algériens ont partagé l’expérience d’un partenariat contexte local et aux besoins exprimés à ce niveau avec ONU Femmes pour offrir une formation aux et éviter d’imposer des agendas extérieurs. Comme candidates au parlement. En Tunisie, le plan exemples de ce risque furent cités les priorités d’action national de mise en œuvre de la Résolution budgétaires nationales trop influencées par des 1325 du Conseil de sécurité donna lieu à un bailleurs internationaux et leurs propres agendas, dialogue entre le gouvernement et la société civile ou encore la Conférence d’entente nationale de avec comme résultat l’adoption d’une loi cadre mars 2017 au Mali dont la recommandation de pour la protection des femmes et l’appui à la parti- négocier avec les extrémistes religieux du Nord et cipation des femmes dans les domaines militaires, du Centre fit long feu en partie sous pression politiques et économiques. En Algérie et au Maroc, extérieure. Il s’agit plutôt d’appuyer les initiatives des « mourchidates » (femmes musulmanes qui viennent des communautés elles-mêmes, qui prédicatrices et assistantes religieuses) travaillent connaissent mieux que quiconque leurs besoins. aux côtés de leurs homologues hommes à Au niveau financier, cela se traduit aussi par l’appui transmettre les messages de tolérance de l’Islam, aux programmes qui fonctionnent et le fait d’éviter non seulement dans les mosquées, mais aussi dans d’inonder la société civile de fonds qu’elle n’a pas la les familles, les maisons de jeunes, les hôpitaux ou capacité d’absorber. Les gouvernants doivent de les écoles. surcroît veiller à ne pas restreindre l’espace De manière générale, les États doivent accepter et
6 COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE favoriser le rôle indispensable de la société civile, médias sur la bonne gouvernance d’Internet et à tout en assumant sa propre responsabilité dans la travers le décryptage des « fake news » qui peuvent mise en place de la bonne gouvernance, devenir facteur de recrutement des jeunes. Enfin, notamment des services sociaux, éducatifs, de santé l’action de sensibilisation des médias peut passer et de justice. L’objectif est ainsi de valoriser les par le fait de dédier un espace pour promouvoir et populations vulnérables et de favoriser leur donner de la visibilité aux initiatives positives à la épanouissement ; mieux ancrées au sein de l’État et prévention qui existent déjà et donner la voix à de la nation, elles seront d’autant moins tentées par leurs animateurs et animatrices. les expédients proposés par les groupes extrémistes La contribution des médias aux efforts de violents. prévention est particulièrement importante au niveau local. Les radios communautaires qui Les médias comme outil de revêtent un aspect inclusif — étant auprès des prévention communautés locales, communiquant dans les langues locales et se focalisant sur les dynamiques A l’heure de l’information en continu et des locales — ont notamment été soulignées. Celles-ci réseaux sociaux, les médias (radios commu- peuvent effectivement contribuer à la prévention et nautaires, presse écrite, médias en ligne, réseaux au dialogue, comme le montrent, par exemple, la sociaux, audiovisuel) sont incontournables dans retransmission de cafés politiques (en Tunisie), les leur capacité d’atteindre les acteurs de tous les échanges entre acteurs politiques et activistes de la niveaux, depuis les décideurs politiques jusqu’aux société civile diffusés comme podcasts, ou la communautés locales. L’utilisation croissante des diffusion de messages religieux positifs afin de bâtir médias et réseaux sociaux par les groupes un discours alternatif à l’argumentaire des groupes extrémistes violents pour diffuser leur propagande extrémistes (au Sahel et au Nigéria). Des initiatives révèle la nécessité pour les médias de jouer un rôle œuvrent aussi à désenclaver les zones rurales plus actif dans la prévention de la violence, en auparavant privées d’accès à l’information. assurant l’objectivité de l’information qu’ils véhi- Il est important de tenir compte non seulement culent. Bien que le principe de couverture des médias traditionnels mais aussi du pouvoir médiatique impartial reste primordial, les partici- que les influenceurs peuvent avoir sur les réseaux pants ont souligné la nécessité d’empêcher les sociaux (notamment sur les jeunes). Le « dark groupes extrémistes violents d’utiliser les médias web » est un espace de recrutement important pour comme outil de propagande, et au contraire les groupes extrémistes, et la non-gouvernance de d’assurer des espaces pour la diffusion de messages ces espaces leur permet de propager leur doctrine en faveur de la paix. La question de la liberté librement. La contribution des médias aux efforts d’expression a aussi été soulevée avec une de prévention nécessite de ce fait une formation des reconnaissance que cette liberté ne peut être journalistes au phénomène d’extrémisme violent absolue lorsqu’il s’agit d’appels à la haine et à la afin d’en comprendre les tenants et aboutissants et violence. de développer une expertise. Ici, le choix de la Les médias peuvent ainsi jouer un rôle de préven- terminologie prend une place importante, afin tion à travers l’information, l’éducation et la d’éviter tout amalgame qui pourrait infléchir sensibilisation à la prévention. Sur ce rôle d’infor- l’action dans un sens négatif. Il a de surcroît été mation, les médias se doivent d’informer et de mentionné la nécessité d’une formation sur les disséminer les réalités vécues par les communautés différents types d’extrémisme, non seulement affectées. Ces témoignages peuvent avoir un effet religieux mais aussi ethnique, nationaliste et thérapeutique pour les victimes qui voient ainsi misogyne, qui représentent tous un défi à la leur souffrance être reconnue. Ainsi, des initiatives cohésion sociale et peuvent être sources ont été créées en Tunisie, au Mali et ailleurs pour potentielles de violence. diffuser des vidéos web mettant en scène des jeunes Constatant les limites qui peuvent exister à la s’exprimant sur les problèmes locaux, la violence et contribution des médias aux efforts de prévention les défis auxquels ils sont confrontés. Les partici- dans le Sahel-Sahara, il a été recommandé la pants ont aussi évoqué le rôle « d’éducation » des création dans le cadre de cette initiative d’un
Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara 7 comité de pilotage chargé de formuler une stratégie d’opérations antiterroristes sont nombreux et pour la production et la diffusion de contenus en rarement suivis de mise en responsabilité. De plus, faveur de la prévention de l’extrémisme violent les FDS ne sont pas nécessairement outillées pour dans les médias et pour la sensibilisation et la affronter les groupes extrémistes violents, et elles formation des professionnels des médias à cet opèrent souvent sans que les fonctions politiques égard. Il a également été recommandé la création ou civiles ne soient mises en place pour relayer d’un guide de bonnes pratiques journalistiques et l’action militaire, ce qui impose à celle-ci de d’une plateforme de journalistes du Sahel-Sahara perdurer ou d’assumer des rôles qui dépassent leur pour la paix. Cette plateforme régionale pourrait mandat. servir à disséminer des expériences positives, servir Il est nécessaire de sensibiliser et renforcer les de portail de contenus en faveur de la paix, capacités des FDS face à un phénomène relative- effectuer un travail de sensibilisation des médias, ment nouveau qui diffère des guerres convention- mener des actions de plaidoyer en direction des nelles pour lesquelles elles sont formées. Les parti- responsables et servir de banque de données de cipants ont ainsi souligné l’importance de contacts et de ressources d’expertise. développer une nouvelle doctrine militaire face à Au vu du caractère transnational et global du l’extrémisme violent afin de répondre aux phénomène de l’extrémisme violent, il a été méthodes de guerre non-conventionnelles de ces reconnu que la contribution des médias aux efforts acteurs armés non-étatiques qui se fondent dans la de prévention nécessite aussi d’impliquer les masse parmi les civils ou opèrent par des actions médias étrangers et la communauté internationale indiscriminées. Il est également nécessaire que des sur l’importance de ces espaces de sensibilisation à formations s’adressent tant au niveau du leadership la paix. stratégique qu’aux éléments de troupes et qu’elles abordent explicitement les dynamiques de La contribution des forces l’extrémisme violent afin d’en comprendre les causes et la nature complexe et évolutive. De telles de défense et de sécurité à formations doivent en outre se focaliser sur une la prévention approche de sécurité humaine centrée sur les personnes, inclure des contenus sur l’éthique Les forces de défense et de sécurité (FDS) sont au professionnelle et la promotion des droits de premier plan lorsqu’il s’agit de combattre l’homme et du droit international humanitaire. l’extrémisme violent, et leur contribution aux Enfin, il a été rappelé que la notion d’armée efforts de prévention est également essentielle dans républicaine est d’autant plus d’actualité lorsque le cadre d’une approche holistique3. Si toutefois dans la réalité ; les violences de tous ordres se leur action n’est pas proportionnelle ou ne respecte mélangent et se nourrissent de lignes de rupture pas les règles du droit international, l’action des politiques, tribales ou territoriales qui se trouvent FDS peut être contreproductive. Dans la région, les aussi dans les corps habillés. abus perçus ou réels des FDS, ainsi que l’impunité L’expérience démontre que le succès ou l’échec qui les couvre, sont évoqués comme facteurs des interventions militaires dépend largement de motivant les jeunes à rejoindre les groupes l’interaction avec et de la participation de la extrémistes violents. Ainsi, dans l’état de Borno, au population civile. Pour bâtir et renforcer la nord du Nigéria, les abus des FDS sont cités comme confiance des citoyens, il est important que les FDS facteur premier pour lequel les individus rejoignent ne soient pas perçues comme étant elles-mêmes les rangs de Boko Haram. Les cas de mauvais traite- une menace ou des auteurs de violence contre la ments, violences, arrestations arbitraires, tortures, population. Cette mise en confiance mutuelle peut extorsions et exécutions sommaires dans le cadre passer par l’organisation de programmes de 3 La question de la contribution des FDS à la prévention a déjà été évoquée dans le cadre des Conversations régionales précédentes et lors d’un séminaire satellite organisé en 2017 à Dakar. Les Conversations d’Alger ont prolongé ce travail et se sont focalisées sur la formulation de recommandations concrètes à l’attention des FDS pour une action de prévention. Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) du Sénégal et Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de Suisse, « Séminaire régional : Forces de défense et de sécurité dans la prévention de l’extrémisme violent en Afrique », Dakar, Sénégal, 9 et 10 octobre 2017, voir www.cheds.gouv.sn/wp-content/uploads/2018/02/BAT_RAPPORT-2017.pdf .
8 COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE sensibilisation et la création d’espaces de dialogue encouragé un travail de documentation, d’analyse avec les communautés, en particulier les groupes de et de diffusion des expériences existant en la jeunes, femmes et leaders religieux et traditionnels. matière. Il s’agit d’inclure les communautés dans l’élabora- Adresser la méfiance entre les FDS et la popula- tion de stratégies de prévention afin de promouvoir tion civile implique d’améliorer les stratégies de l’appropriation locale. Il a aussi été recommandé communication des FDS sur les opérations que les FDS ne recourent pas à une stratégie militaires et les résultats de celles-ci. Il a été d’engagement uniquement aux fins de renseigne- constaté un manque de communication de la part ment : cela ne permet pas de construire la confiance des FDS — par négligence ou souci de confiden- et met parfois même les populations en danger. tialité — ce qui peut renforcer le sentiment de Une autre suggestion a été celle de mettre en place méfiance envers elles (notamment lorsqu’elles sont des officiers civilo-militaires dont l’action princi- accusées d’abus). Avec une communication pale serait dédiée à la fluidité des relations entre effective (dans la mesure du possible), les FDS civils et militaires. pourraient obtenir le soutien de la population mais Les polices de proximité ont également un rôle aussi l’intégrer aux efforts de prévention et dans la important à jouer dans l’instauration d’un lien de gouvernance du secteur de la sécurité. L’utilisation confiance avec les populations locales. En principe, des médias et réseaux sociaux (par ex. Twitter) à leur « proximité » devrait permettre une plus cette fin peut être utile, par exemple pour rendre grande représentativité et donc l’inclusion publiques les poursuites ou sanctions prises à d’éléments émanant des communautés locales. l’encontre de ceux qui commettent des violations et L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali pour mettre fin à la stratégie du « démenti ». de 2015 prévoit, par exemple, l’établissement d’une Les participants ont également identifié un rôle à police territoriale et de comités consultatifs locaux jouer pour les FDS, aux côtés des gouvernements et de sécurité impliquant FDS et populations locales. des organisations de la société civile, dans la réinté- Dans le contexte actuel et du fait de la nature de la gration et la réhabilitation d’anciens membres de menace, le corps militaire se retrouve souvent à groupes extrémistes violents. L’expérience du remplir les fonctions de la police, qui souvent Nigéria a ici été prise en exemple. L’Opération Safe manque de capacités suffisantes pour accomplir Corridor est un programme mené par 13 agences son rôle. Il s’agit donc également de renforcer les gouvernementales aux côtés de l’armée nigériane, capacités de la police locale. qui vise à la déradicalisation, la réhabilitation et la Restaurer la confiance nécessite par ailleurs pour réintégration d’anciens membres de Boko Haram les FDS d’assurer une présence constante, la crainte jugés comme présentant un « faible risque ». Ceci de représailles par les groupes armés empêchant se fait à travers la prise en charge psychologique souvent les civils de coopérer avec elles. L’absence (par les psychologues et les responsables religieux) des FDS est d’ailleurs un des facteurs qui a facilité et économique (à travers l’offre de formations l’émergence de milices d’auto-défense. Ces milices, professionnelles). Des activités sont également qui ont émergé un peu partout dans la région mises en œuvre pour engager et renouer le dialogue comme des palliatifs au déficit de protection de la avec les familles de ces ex-combattants. Leur part des FDS, représentent désormais aux yeux de réinsertion et réintégration dans les communautés beaucoup une véritable épée de Damoclès. Celles-ci d’accueil représentent toutefois un défi important se sont souvent constituées sur une base car peu de moyens sont consacrés au dialogue avec communautaire, tribale ou ethnique et participent ces communautés sur les notions de pardon et de aujourd’hui au clivage sociétal à l’origine des justice, alors même que celles-ci ont souvent été violences, ou font l’objet de manipulations victimes des exactions de Boko Haram. hasardeuses de toutes parts. Viendra le moment où Un élément important à prendre en compte pour la nouvelle fonction sociale que ses membres se la réintégration porte sur les femmes et compagnes sont donnée, assortie souvent de dividendes de ces ex-combattants, qui ont soit volontairement économiques, touchera à son terme. Comment les rejoint les forces ou y ont été contraintes. Le responsables politiques et les FDS préparent-ils la stigmate social pour ces femmes est considérable et gestion de cet avenir ? Les participants ont peut les dissuader de témoigner de leur expérience.
Investir dans la paix et la prévention de la violence au Sahel-Sahara 9 Une autre question mise en avant porte sur le genre FDS ne peuvent endosser seules ce rôle de préven- et la désignation de « points focaux genre » au sein tion ; cela implique une coopération au sens large, des FDS afin de faciliter une plus grande respons- à savoir l’encadrement des acteurs politiques au abilisation et représentativité des femmes dans le plus haut niveau et le soutien des autres parties domaine de la sécurité, police comme forces prenantes. Les FDS font actuellement face à une armées. pression importante de la part des acteurs Le gouvernement d’Algérie a partagé son expéri- politiques mais aussi du public en général en ence en matière de réintégration d’ex-combattants attente de résultats sécuritaires rapides. Une telle et le recours à l’amnistie vers la fin de sa « décennie pression ou l’absence d’autres formes de réponses noire » dans les années 1990. Le modèle suivi par (politiques, sociales, économiques) peuvent nuire les autorités algériennes et la police nationale fut aux efforts des FDS sur le moyen terme, et les celui de la réconciliation nationale et la mise en participants ont encouragé un dialogue plus actif place de politiques de concorde civile avec l’appui auprès des responsables politiques à cet égard. de la population. Une question plus difficile à aborder fut celle du L’éducation, la culture et la rôle que pourraient jouer de tels combattants citoyenneté comme moyens désengagés en termes de prévention. Les FDS sont de prévenir la violence souvent au premier contact avec ceux qui se rendent ou sont capturés et sont en mesure de Au regard de la nécessité d’une approche globale recevoir des informations de premières mains non pour prévenir l’extrémisme violent, les participants seulement sur les stratégies ou modes opératoires ont identifié le potentiel de l’éducation, de la de l’ennemi, mais aussi sur les parcours de ceux qui culture et de la citoyenneté. Le moment de sont partis combattre et sont revenus. Qu’advient- l’enfance a été reconnu comme propice pour il de telles informations ? Peuvent-elles être promouvoir les valeurs de la tolérance et le respect utilisées pour démystifier et décourager l’attrait de de la diversité, l’inclusion, le dialogue, le pluralisme cette violence auprès d’autres candidats ? Les et l’égalité. Il a ainsi été recommandé aux États de intéressés eux-mêmes sont-ils en mesure de porter la région de mettre en place des cursus d’enseigne- des messages de prévention ? Des témoignages ment prônant ces valeurs dès le plus jeune âge. rares ont été donnés dans ce sens à Alger et Ceux-ci pourraient offrir un discours alternatif à amènent à réfléchir sérieusement à cette dimension celui des groupes extrémistes violents et construire de la prévention encore largement inexplorée. les bases d’une société plus inclusive. La Mauritanie Qu’en est-il par ailleurs du dialogue avec ceux qui a, par exemple, mis en place des cours obligatoires combattent toujours dans les rangs des groupes d’instruction morale, civique et religieuse dès le extrémistes ? Si l’idée même d’un tel « dialogue » cycle secondaire. Cette instruction civique doit n’est pas rejetée (« il s’agit de nos fils »), elle soulève aussi comprendre des aspects relatifs à la citoyen- néanmoins de nombreuses questions. Des amorces neté ; il s’agit d’inculquer un sentiment d’apparte- de tels dialogues existent, souvent dans le cadre nance et d’identité nationale. d’une démarche humanitaire, mais le passage à un Les participants ont noté l’importance d’inclure dialogue politique n’a rien d’automatique. Il existe les traditions et coutumes locales dans les cursus de nombreux canaux informels sur lesquels une d’enseignement afin de préserver et transmettre amorce de dialogue peut reposer ; il existe aussi des l’histoire nationale mais aussi de revaloriser ces degrés divers d’implication et de radicalisation au pratiques comme rempart à la violence ; « Il n’y a sein de groupes armés. Il appartient à l’État d’arti- pas de honte à être fier de son histoire », dira l’un culer une politique à cet égard ; il peut s’appuyer des participants. Au-delà des lieux d’éducation sur des relais pour la mise en œuvre. Et cela passe formelle, les participants ont aussi souligné le aussi par un dialogue avec les communautés besoin de promouvoir les principes du vivre- d’origine ou celles touchées en premier lieu par la ensemble en paix dans tous les espaces de socialisa- violence. tion, à commencer par la famille, mais aussi les Enfin, un consensus a émergé sur le fait que les espaces récréatifs, les espaces associatifs de
10 COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE quartiers, les lieux de spiritualité et les marchés. et futurs leaders tournés vers la tolérance et Les États doivent également investir dans les contribuant au développement de leur politiques de jeunesse et soutenir les initiatives communauté et du pays. privées, telles que les maisons de jeunesse et radios La place de la religion dans les efforts de préven- de proximité, ou encore les infrastructures de tion est aussi significative. Les chefs et érudits sport. Ceux-ci offrent des lieux ou des outils religieux peuvent en particulier offrir des messages d’interaction sociale et de créativité pour les jeunes, alternatifs à ceux des groupes extrémistes violents complémentaire à ceux de la famille ou de l’école. en se basant sur les textes religieux. Il a ainsi été La promotion du volontariat peut également être proposé de créer un collège de chefs et érudits utile — pour exemple, le scoutisme, mouvement de religieux au Sahel-Sahara afin d’offrir un discours jeunesse basé sur l’apprentissage des valeurs de la religieux alternatif au niveau régional, à l’exemple solidarité, de l’entraide et du respect de l’autre. de certaines expériences déjà engagées à cet égard. L’ensemble de ces initiatives vise à favoriser la Enfin, le rôle de la femme au sein de la famille, participation et l’activisme des jeunes et à leur faire considérée comme le « socle de l’édifice familial » a prendre conscience qu’eux aussi peuvent jouer un été abordé lors des discussions ; celles-ci jouent un rôle positif dans leur société. grand rôle dans les années formatrices des enfants, De par sa capacité à influencer l’attitude et le notamment au niveau de l’éducation. Ainsi, si elles comportement des individus, la culture fut aussi sont sensibilisées aux facteurs de risque et ont reconnue comme moyen de lutte contre conscience des facteurs de résilience, les chances l’extrémisme violent ; il s’agit de favoriser l’expres- sont grandes que les enfants le soient aussi. Les sion de la diversité artistique et culturelle au service femmes, et notamment les mères, peuvent aussi de la paix et de propager des valeurs de tolérance, jouer un rôle important dans la réintégration d’ex- de respect et de diversité. Ainsi, lorsqu’une série membres de ces groupes et pour faire face à la télévisée, un documentaire, une musique, un film, rupture affective et sociale. Par exemple, une initia- une pièce de théâtre ou même une prestation de rue tive au Cameroun associe les mères aux efforts de mettent en évidence l’importance de « l’unité dans réintégration d’anciens membres de Boko Haram la diversité », ils délégitiment les logiques d’affron- et à la prévention de nouveaux départs au sein des tement basées sur la différence. L’activité d’une communautés. ONG marocaine qui organise la tournée d’une pièce de théâtre illustrant la réintégration d’anciens Approfondir la coopération membres de groupes extrémistes violents, dont la représentation est suivie d’un débat qui permet un et l’intégration régionale échange entre d’anciens membres de groupes et de Au vu du caractère transnational et global du jeunes spectateurs, a par exemple été salué. phénomène de l’extrémisme violent, les Une recommandation clé fut d’investir dans la Conversations d’Alger ont une nouvelle fois participation politique, culturelle et économique souligné la nécessité et l’urgence d’une réponse des jeunes en les accompagnants dans les micro- régionale coordonnée et surtout mieux intégrée. Si projets et en favorisant l’entreprenariat de la les réponses militaires et sécuritaires se dévelop- jeunesse. Les quartiers populaires et défavorisés, où pent au niveau régional — telles que la Force les jeunes sont dépourvus d’opportunités, conjointe du G5 Sahel ou la Force multinationale constituent une poche importante de recrutement mixte sous l’égide de la Commission du bassin du pour les groupes extrémistes violents. Ainsi, des lac Tchad — les stratégies et actions régionales de centres culturels ont été ouverts par des associa- prévention progressent faiblement et continuent de tions au Maroc et en Tunisie au sein de tels manquer de cohérence. Ainsi, les participants ont quartiers, afin d’offrir des activités éducatives et appelé les organisations régionales et les culturelles telles que la musique, le sport, le théâtre partenaires qui les appuient à mettre en œuvre des et le chant. Il s’agit de donner à ces jeunes un réponses politiques, économiques, développemen- encadrement et une orientation afin de prévenir tales et humanitaires coordonnées. La Plateforme leur déviance vers la violence mais aussi de leur ministérielle de coordination des stratégies Sahel, inculquer les valeurs qui feront d’eux des citoyens par exemple, a été créée à cette fin, mais quatre
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