Jack Kerouac, pìcaro de l'âme - Yves Le Pellec - Érudit
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Document generated on 12/05/2021 4:55 a.m. Études littéraires Jack Kerouac, pìcaro de l’âme Yves Le Pellec Roman picaresque et littératures nationales Article abstract Volume 26, Number 3, hiver 1994 To speak of picaresque in the contemporary American novel requires a redefinition of terms. In a mobile society that glorifies freedom and the URI: https://id.erudit.org/iderudit/501054ar individual, and has a social hierarchy nowhere as rigid as that of feudalistic DOI: https://doi.org/10.7202/501054ar Castile, the pícaro is less a victim than marginal. Following Henry Miller, Jack Kerouac revitalizes the picaresque mode by focusing on the U.S. of a disinherited generation and by raising to heroic stature the nearly-sanctified See table of contents figure of the social delinquent. He transforms the picaresque journey into a spiritual quest but, at times, his writing attains a degree of freedom so solipsistic that he is ultimately led to adopt, unconsciously no doubt, a Publisher(s) conventional picaresque posture that has lost its subversive character. Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (print) 1708-9069 (digital) Explore this journal Cite this article Le Pellec, Y. (1994). Jack Kerouac, pìcaro de l’âme. Études littéraires, 26(3), 45–57. https://doi.org/10.7202/501054ar Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1994 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
JACK KEROUAC PÎCARO DE L'ÂME Yves Le Pellec • Le regain de fortune qu'a connu le terme tions nouvelles dans la tradition née du sacro- « picaresque » dans la critique, surtout anglo- saint corpus espagnol, avec ses greffons fran- saxonne, de la deuxième moitié de ce siècle a çais et britanniques. donné lieu à une réflexion extraordinairement Or, comme les langues et les formes artisti- féconde sur les origines et les caractéristiques ques, comme les organismes vivants de toutes premières de ce mode littéraire. La rigueur sortes, le texte picaresque a connu une évolu- avec laquelle les spécialistes ont redessiné les tion dont il serait vain de regretter nostalgi- contours du genre en son Âge d'Or espagnol l quement les avatars. Dès les apocryphes, pla- en a conduit certains à se demander si l'on est giats, traductions, ou versions édulcorées aux- encore en droit d'utiliser le prestigieux voca- quels il donna lieu à partir du XVIIe siècle, il ble à propos du roman européen des XVIIIe et s'est vu dévié, dénaturé, du fait d'être adapté XIXe siècles et, a fortiori, du roman américain au goût du jour et aux particularités des cultu- du XXe. Cependant, aussi précieuses et salutai- res où il se disséminait. Il s'est, en un mot, res qu'aient été ces mises au point génériques, complexifié, et ainsi enrichi. Écrire aujourd'hui elles risquent, appliquées à la lettre, d'aboutir un roman picaresque dans l'obédience abso- à une exclusion aussi stérile que l'attitude qui lue des codes originels relèverait de la naïveté consisterait à refuser de considérer Beckett et révélerait une cécité têtue face aux implica- comme un tragédien moderne sous prétexte tions sémantiques de l'évolution du roman : que sa pièce maîtresse met en scène des clo- ce ne serait qu'un exercice de style, un fade chards et non des grands de ce monde. Si la pastiche dont l'esprit picaresque, novateur et vigilance des puristes a permis de corriger des subversif par nature, serait fondamentalement dérives trop erratiques, elle s'est en général absent. Si aucun des romans américains issus montrée rebelle à l'intégration des produc- de la deuxième après-guerre que l'on a dit 1 Parmi les études marquantes, voir celles d'Alexander A. Parker, Claudio Guillén, et la précieuse « Introduction à la pensée picaresque » de Maurice Molho dans son édition des Romans picaresques espagnols. Études Littéraires Volume 26 N° 3 Hiver 1993-1994
ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 26 N° 3 HIVER 1993-1994 « picaresques » — The Catcher in the Rye, The ment sinon dans les faits, rejeté les structures Ginger Man, On the Road, The Adventures of archaïques du Vieux Monde en promettant à Augie March, The Apprenticeship of Duddy ses miséreux une tabula rasa des catégorisa- Kravitz — ne l'est stricto sensu, ils n'en pré- tions antérieures, une resocialisation radicale sentent pas moins un faisceau, plus ou moins dans l'égalité des chances née de l'indépendance. concentré mais repérable, de traits formels, Le chant poétique séminal qu'est Leaves of tonaux ou thématiques qui permettent d'établir Grass de Walt Whitman balaye glorieusement cette filiation lointaine. Quatre siècles sépa- toute trace des anciennes discriminations et rent Lâzaro de Sal Paradise, le genre a franchi barrières de classe pour fonder en droit et en les frontières, les sociétés occidentales ont gloire un homo americanus unique, quels évolué de la féodalité à la démocratie, l'image que soient ses origines, son sexe, sa fortune, du gueux s'est diversifiée et intellectualisée. son métier et la couleur de sa peau. Au plan Mais l'esprit picaresque, sinon la lettre, subsis- spirituel, unitarisme puis transcendantalisme te : pour en prendre la juste mesure, c'est en se dégagent de l'élitisme luthéro-calviniste qui termes d'équivalence, & analogie qu'il faut fondait le salut de l'âme sur la prédestination raisonner, non de conformité ou de fidélité au et l'élection, pour déceler en chaque être une canon castillan. parcelle de Yoversoul divin, source lumineuse à laquelle tous sont équitablement reliés. Et * * * Henry David Thoreau — dont l'anarchisme individualiste n'est pas très éloigné au fond de Par sa mobilité et l'extrême diversité de ses l'affirmation par lepicaro de son droit à survi- composantes, la société des États-Unis semble vre contre un pouvoir féodal prêt à l'écraser à prime abord peu propice à la problématique comme un microbe — va même jusqu'à prê- picaresque qui, pour déployer son exercice cher la désobéissance civile contre la toute- ironique, requiert comme butoir une hiérar- puissance des États lorsque ceux-ci imposent chie sociale fortement stratifiée, des cloison- à l'individu des diktats contraires à sa nature et nements de classe étanches, un ordre féodal attentatoires à sa liberté intrinsèque. immuable basé sur l'immémoriale assurance Pourtant, malgré cette visée égalitaire, cet que la caste et le sang font l'identité de l'être. optimisme messianique qui se textualise dès Peut-on être, pour reprendre un titre de le milieu du XIXe siècle, la grande littérature Pierre-Yves Petillon, « pîcaro en démocratie 2 » ? américaine ne fait quasiment aucune place au En se décolonisant, les Amériques ont, idéale- thème de l'intégration réussie. Certes, le dura- 2 Voir l'excellent numéro 20 de Caliban consacré aux it/ picaresque en Angleterre et aux États-Unis. Pour une approche globale du phénomène outre-Atlantique, on y lira avec rofit, à côté de l'article de Pierre-Yves Petillon, celui de Marc Chénetier. 46
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME ble filon des aventures d'ascension/rora rags velle vigueur sous des formes aussi différentes to riches et le succès considérable en leur en apparence que les récits de yuppies cocaï- temps des success stories d'Horatio Alger — nomanes, le néo-réalisme d'un Carver et de ses dans lesquelles Harry Sieber voit à juste titre la émules, ou les errances apocalyptiques des forme la plus aboutie de l'antipicarisme (p. 65) hordes sauvages de Cormac M c Carthy. En cela, — témoignent du goût du grand public pour la fiction américaine est particulièrement re- ces récits édifiants de promotion sociale où le présentative du roman moderne, dont le sché- jeune héros démuni échappe à un possible ma diégétique le plus courant est le parcours destin de rogue en retroussant ses manches initiatique du Bildungsroman, et le thème de pour épouser l'idéologie qui fera de lui un prédilection l'inadaptation d'un sujet au cadre capitaliste. Mais, pour ne prendre que trois axiologique qui l'enferme. Mais l'imaginaire exemples de héros tutélaires américains — le américain a pour particularité d'avoir accordé Natty Bumpoo de Cooper, le Huck Finn de ses lettres de noblesse à Y outsider, quitte à le Twain et le Chariot de Chaplin —, on s'aperçoit « récupérer », au lieu de le lui dénier le droit à qu'à des moments charnières de l'élaboration l'identité nationale (contrairement au destin mythopoétique nationale — la naissance du échu aux rebelles européens tels Céline et romance par transplantation du roman histo- Genêt, qui, après avoir basé leur difficile sta- rique anglais dans la grande prairie et son tut sur le « vomissement » du drapeau natio- contexte autochtone, l'émergence d'une ins- nal, se sont égarés dans des causes aussi suici- piration et d'une langue locales sur les berges daires que l'antisémitisme ou la tentation du d'un Mississippi dorénavant mythique, l'âge terrorisme). d'or du cinéma muet —, c'est tout naturelle- Né des archétypes du bon sauvage et du ment du côté des sans grade, des déclassés ou vaurien au grand cœur (le good bad boy cher des asociaux que s'est orientée la figurativisa- à Leslie Fiedler), le picaro américain contem- tion de la particularité nationale. Éternels er- porain, quel que soit le barreau qu'il occupe rants, irréductibles solitaires, sympathiques sur l'échelle de la délinquance et la persona coquins, vagabonds facétieux, telles seront qu'il emprunte — artiste, gangster, drogué, désormais les images fictionnelles sur lesquel- prostitué, motard, ou néo-cowboy du Monta- les se polarisera la projection d'un peuple, na —, illustre peu ou prou le précepte émerso- puis du reste du monde qui se montrera remar- nien : « Whoso would be a man must be a quablement réceptif au charme de ces figures nonconformist » (Emerson, p. 65). Mais toute marginales. Cette tendance, confirmée au société s'oppose aux images que les artistes XXe siècle par le western, le roman et le film donnent d'elle, en même temps qu'elle s'en « noirs » des années 30 et 40, le folklore hobo, nourrit. C'est de cette dialectique, particuliè- le culte du misfit, a traversé l'ère formaliste du rement dynamique dans un Nouveau Monde à métafictionisme pour resurgir avec une nou- la carte des valeurs sans cesse redessinée, que 47
ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 26 N° 3 HIVER 1993-1994 la nouvelle fiction américaine nourrit son pro- devenir à quarante ans clochard à Clichy. Te- digieux appétit. naillé par la faim comme le héros de Knut Hamsun qu'il admire, vivant d'expédients et * * * de mendicité auprès de ses compatriotes mieux nantis, volant ses amis, cherchant pitance dans Le conformisme de la société étatsunienne les poubelles et plaisir chez les prostituées, ne moderne, de plus en plus oppressant à mesure respectant ni Dieu ni maître, le « je Henry qu'elle s'industrialisait et développait, au tra- Miller » des Tropiques a embrassé le picarisme vers de ses médias triomphants, l'image standar- pour s'enrichir de son cynisme, son insolence disée d'un citoyen modèle, a conduit deux native, son impitoyable lucidité. Courtiser l'infamie, générations littéraires, la lost et la beat, à cher- adopter cet « anti-honneur », qui condamnait cher le salut dans l'exil. Entre ces deux géné- Lâzaro et Guzmân à une existence abjecte rations se dresse, agent d'une transition qu'il mais dégage le yankee de son lignage confor- n'a jamais cherché à établir, la figure colossale table, revendiquer une irrespectabilité totale, de Henry Miller. Plus qu'aucun de ses récents tous ces gestes symboliques permettent à l'anti- prédécesseurs, européanophiles mais améri- héros millérien de dépasser préjugés et con- canocentriques même aux plus beaux jours du traintes, mais aussi les polarités essentielles Montparnasse des années 20, Miller a su ouvrir comme l'antithèse Bien-Mal, pour naître à une sa sensibilité de gosse de Brooklyn aux in- irresponsabilité libératrice, un amoralisme fluences étrangères des paillards, aventuriers, souverain : poètes maudits européens 3 , de Rabelais à Rim- baud, de Van Gogh à Cendrars, jusqu'à devenir Once I thought that to be human was the highest aim a man could hâve, but I see now that it was meant to destroy le premier écrivain américain véritablement me. Today I am proud to say that I am inhuman, that I international, voire « cosmologique ». Ses li- belong not to men and governments, that I hâve nothing to vres les plus sulfureux, d'abord publiés à Paris do with creeds and principles. I hâve nothing to do wilh the par l'Olympia Press, ont été interdits jusque creaking machinery of humanity. I belong to the earth ! (Tropic of Cancer, p. 229.) dans les années 60 aux États-Unis. Mais, surtout, Miller a donné l'exemple d'une L'exemple de Miller montre qu'au contraire renaissance de l'être par autobannissement. de son ancêtre espagnol, obligé de feindre de Pour sortir du « cauchemar climatisé », il quit- respecter un ordre social dont il a vite perçu te tour à tour sa femme et sa fille, son emploi les vices, le n ou veau picaro s'abstrait progres- de chef du personnel à la Western Union, la sivement des normes et séductions de sa cultu- June mythique avec laquelle il connut une re d'origine jusqu'à faire sécession ÇLonesome passion régénératrice et dévastatrice, pour Traveler de Kerouac). Alors que pour Miller 3 Voir ses Books in my Life. 48
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME les valeurs établies sont encore matière à in- « sous-cultures », d'avoir renié les discours établis vective et objet de mépris roboratif, elles sus- pour adopter la langue et les valeurs analpha- citent chez les écrivains de la Beat Génération bètes des bas-fonds. Même le pater familias plus d'inintérêt que d'indignation. Jack Ke- anarchiste Kenneth Rexroth, qui salua les nou- rouac, malgré son dégoût des moeurs policiè- veaux rebelles comme ses héritiers spirituels à res fustigées en passant dans On the Road et leur arrivée à San Francisco, émet, alors que ni Visions of Cody, n'a écrit qu'un seul texte « Howl » ni On the Road n'ont encore été ouvertement politique, « The Vanishing Ame- publiés, de sérieuses réserves sur la validité de rican Hobo », essai dont le titre indique claire- leur choix : ment qu'il ressortit plus à la nostalgie qu'à la I believe that most of an entire génération will go to ruin revendication 4 . Même le « Howl » de Gins- — the ruin of Céline, Artaud, Rimbaud, voluntarily, even berg, manifeste beat s'il en est, s'apparente enthusiastically. What will happen afterwards I don't know, but for the next ten years or so we are going to hâve to cope autant à la lamentation hébraïque et à la célé- with the youth we, my génération, put through the atom bration de la déviance salvatrice qu'à la dénon- smasher. Social disengagement, artistic integrity, voluntary ciation de l'État-Moloch. La nouvelle bohème poverty — thèse are powerful virtues and may pull them through, but they are not the virtues we tried to inculcate ne s'oppose pas à l'humanisme de la société — rather they are the exact opposite (Rexroth, p. 338). libérale, elle s'en détourne. Les termes anglais de disaffiliation et de disengagement, récur- La dissension affichée par les Beats, jugée rents à l'époque sous la plume des analystes de par des critiques de gauche dangereusement la « contre-culture » naissante, expriment clai- apolitique et irresponsable, se nourrit pour- rement la teneur de sa dissidence. Il ne fau- tant d'une revalorisation de la personne, préa- drait pas sous-estimer la force subversive d'une lable inévitable à la constitution de tout corps telle indifférence. À relire trois décennies plus social : c'est un retour à la conception whit- tard les critiques que leur adressèrent leurs manienne de l'individu comme unité nucléai- contemporains marxistes, réactionnaires, ou re opposée à l'abstraction du concept de na- tout simplement bien-pensants, on est surpris tion. Pour eux, ni le militantisme prolétarien de l'indignation que les Beats ont suscitée 5 . quasi religieux des intellectuels des années Plus que leur naïveté ou le mauvais goût de 30, ni le consumérisme par lequel les États- leurs vociférations dadaïstes, ce que leur re- Unis de l'époque Eisenhower prétendaient prochent leurs pairs lettrés, c'est d'avoir trahi apporter le bonheur à tous dans une société l'Ivy League pour chercher le sens dans des sans classes, ne sont susceptibles de conduire 4 II est intéressant de constater que les Angry Young Men britanniques, vivant dans une société moins prospère que celle des Beats, mettent en scène dans leurs œuvres parapicaresques (Lucky Jim, Room at the Top, Billy Liar) des héros imposteurs, rebelles ou mythomanes moins dégagés des contraintes socio-économiques que ne le sont leurs homologues américains. 5 Voir, pour un résumé des principaux arguments de la critique, Yves Le Pellec, «Jack Kerouac and the American Critics: a Selected Bibliography ». 49
ÉTUDES LITTÉRAIRES 26 N° 3 HIVER 1993-1994 à l'épanouissement de l'être et à cette « révo- Canucks » dans laquelle il grandit et dont il lution de la conscience » sans laquelle tout restitue la densité chaleureuse avec tendresse progrès intérieur est inconcevable. En un pa- et acuité dans Doctor Sax, Kerouac s'est tou- radoxe, parfaitement antinomique du désir jours senti bien plus à l'aise et inspiré dans le d'insertion qui anime le picaro classique, Ke- milieu issu de la misère des années 30, celui rouac s'écrie : « Everything belongs to me be- des Okies steinbeckiens et des vagabonds du cause I am poor » (Visions of Cody, p. 33). rail, que dans le milieu universitaire (il ne fait C'est vers la compagnie des laissés pour comp- qu'un passage fugace à Columbia) et dans les te, des démunis dépassés par la locomotive cercles artistiques new-yorkais dont l'« intel- fracassante du progrès, qu'il oriente son re- lectualisme ennuyeux » le fatigue (plus tard il gard et sa plume. L'Amérique de Kerouac est souffrira le martyre quand il lui faudra jouer foncièrement antimoderniste ; les croquis (sket- son rôle d'écrivain beat officiel face aux camé- ches) qu'il en dessine dans On the Road et ras des journalistes et aux questions des criti- surtout dans Visions of Cody s'attardent sur ques). Sal, alter ego de Kerouac, se désolidari- les provinciaux, les sans-grade : Franco-Amé- se du milieu où il aurait pu faire carrière, ricaines de Lowell perdues dans les rues de la contrairement au picaro d'antan qui n'aurait Big Apple, vieux cow-boys des diners du Colo- jamais boudé la chance d'appartenir à une rado, épaves dormant à l'aube dans la lumière confrérie aussi lucrative : crue des gares Greyhound, paumés des flop- Ail my New York friends were in the négative, nightmare bouses dont le seul souci est de trouver un position of putting down society and giving their tired repas de fortune et un quart d'alcool pour bookish or political or psychoanalytical reasons, but Dean just raced in society, eager for bread and love ; he didn't attendre le jour. Le public du cinéma de Dé- care one way or the other (ibid., p. 13). troit où Sal et son ami s'abritent pour passer la nuit en 1949 est un concentré de cette « autre Les figures emblématiques de l'Amérique Amérique » : de Kerouac apparaissent comme des négatifs des modèles dont son père et ses maîtres au- For thirty-five cents each we went into the beat-up old movie and sat down in the balcony till morning, when we raient aimé qu'il s'inspirât. Sa curiosité d'écri- were shooed downstairs. The people who were in that all- vain et son romantisme de la destitution le night movie were the end. Beat Negroes who'd corne up portent vers les communautés les plus défavo- from Alabama to work in car factories on a rumour ; old white bums ; young long-haired hipsters who'd reached risées. Ainsi il idéalise le sort des Noirs, dont the end of the road and were drinking wine ; whores, on a pu dire que la ségrégation subie depuis ordinary couples, and housewives with nothing to do, nowhere to go, nobody to believe in COR, p. 229-230). l'époque esclavagiste leur a assigné un statut infrapicaresque comparable à celui du paysan Sans doute à cause de ses origines prolétai- dans la France du XVIIIe siècle 6 . Outre le fait res, par nostalgie de la communauté des « maudits que les Afro-Américains inventèrent le jazz, 6 Voir la table ronde sur le Paysan parvenu de publiée dans les Actes du colloque sur la picaresque européenne (Études sociocritiques, 1976, p. 164). 50
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME dont les accents rythment On the Road et création. Il est significatif que la misogynie dont les jam sessions inspirent les meilleures générale de On the Road ne s'atténue que lors pages du livre, Kerouac, prisonnier de clichés de l'évocation du couple pastoral qui unit douteux malgré son enthousiasme indubita- pour un temps Sal à une jeune Mexicaine dans ble, croit percevoir chez eux une aptitude à la les champs de Californie, prélude au récit joie de vivre, un sens de l'extase que les Blancs insoutenable que fera plus tard Kerouac de sa aliénés à la cause matérialiste ont définitive- liaison douloureuse avec la prostituée aztèque ment perdu. On se souvient du passage — qui morphinomane, Tristessa. En outre, c'est dans a valu à son auteur d'être taxé de « Jim Crowis- un bordel de Gregoria qu'a lieu l'orgie débri- me à l'envers », mais qu'Eldridge Cleaver trou- dée, acmé sexuelle et en même temps épipha- va « remarquable » (Cleaver, p. 74) — où Sal nie du voyage de On the Road, au son toni- arpente le quartier noir de Denver en regret- truant du mambo, dans lequel Sal reconnaît le tant la couleur de sa peau : beat fondateur né sur les rives du Congo et At lilac evening, I walked with every muscle aching among dont la pulsation accompagnera, pense-t-il, le the lights of 27th and Welton in the Denver coloured retour du Christ. Puis il s'endort avec ses section, wishing I were a Negro, feeling that the best the comparses dans la jungle étouffante criblée de white world had offered was not enough ecstasy for me, not enough life, joy, kicks, darkness, music, not enough cris d'insectes, sous le ciel pesant du tropique night. [...] I wished I were a Denver Mexican, or even a du cancer — troublante coïncidence intertex- poor overworked Jap, anything but what I was so drearily, a "white man" disillusioned (OR, p. 169). tuelle —, et se fond dans la nuit des origines : I realized the jungle takes you over and you become it. Ici se résume peut-être, de la façon la plus Lying on top of the car with my face to the black sky was parlante, le picarisme ethnologique de Kerouac. like lying in a closed trunk on a summer night. For the first Il consiste à valoriser systématiquement les time in my life the weather was not something that touched me, that caressed me, froze or sweated me, but became me. exclus des ghettos au nom de l'authenticité, The atmosphère and I became the same ÇOR, p. 277). de la ferveur qu'ils ont su préserver, alors que les nantis ont sacrifié au confort et au confor- Au cours de l'épisode mexicain, point cul- misme la perception du pouls originel qui minant du récit (la cinquième partie n'étant irrigue la vraie vie. Ce primitivisme, que d'aucuns qu'un épilogue), Sal comprend que « the earth ont jugé simpliste ou même navrant, se nourrit is an Indian thing » (ibid., p. 264). Le chavire- de la lecture d'Oswald Spengler, auquel Ke- ment né du sexe et du chanvre, mais surtout rouac emprunte l'une de ses images favorites, cette fusion avec la terre-mère et le regard celle des « peuples fellahs » de la terre (Spengler, visionnaire des anges bruns des hauts-plateaux, II, p. 145-171), tribus pré-picaresques où perdurent le font sombrer dans une fièvre symbolique. le sens du sacré et l'intuition du mystère de la C'est à Mexico, capitale du sordide et du sacré 51
ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 26 N° 3 HIVER 1993-1994 qui inspirera à Kerouac les discordances de rows de Denver, et dut très jeune subvenir à Mexico City Blues, que Dean abandonne Sal, ses propres besoins entre les taudis, les salles atteint de dysenterie, comme si sa présence de billard et les centres de redressement du n'était plus nécessaire, une fois l'initiation Colorado : « In the West he'd spent a third of achevée. his time in the poolhall, a third in jail, and a third in the public library » COR, p. 10). Dévo- * * * reur de miles, polygame insatiable, maratho- nien du verbe, escroc dans l'âme (« con-man », Dean Moriarty, alias Cody Pomeray, de son dit souvent Sal), ami fidèle mais inconstant, vrai nom Neal Cassady, auteur de The First Dean semble prêt à tous les mensonges, toutes Third mais surtout inspirateur de Kerouac qui les trahisons, pour assurer son plaisir. Mais devint son hagiographe et de Ginsberg qui en dans l'athanor de Kerouac, comme Genêt dans fit le « héros secret » de « Howl », est le plus celui de Sartre, il est transmué en saint (« a pur picaro dans le panthéon kérouackien, new kind of American saint »). C'est pour pourtant riche en personnages qui n'auraient suivre ce brûlot d'énergie pure, quitte a se pas déparé une Cour des Miracles médiévale. consumer dans son sillage, que Sal se lance sur À la différence du poète bouffon et visionnaire la route. Carlo Marx (Ginsberg), de Old Bull Lee (Bur- Le picaro classique se subordonnait à des roughs) enlisé avec sa seringue et ses armes maîtres douteux par pure nécessité économi- dans le marais interlope de La Nouvelle-Or- que : les leçons apprises à leur contact lui léans, voire même de l'introuvable Hassel, permettaient de les surpasser en rouerie et voleur et fourgueur qui représente dans le d'élaborer sa vision pragmatique du monde. livre le hipster de Times Square — ce « nègre Les maîtres que se choisit Kerouac, tels Bur- blanc » lumpen que Mailer a élevé au rang roughs, Neal, le poète Zen Gary Snyder (le d'existentialiste sartrien (Mailer, p. 265-305) Japhy Ryder de The Dharma Bums) sont des —, Dean est à la fois radicalement asocial et éclaireurs sur la voie de l'éveil. Richard W. B. archétypique de l'Ouest américain. Ce petit Lewis, dans The Picaresque Saint — titre dur des Rocheuses, né sur la route et de la révélateur bien que le livre n'explicite pas route alors que sa famille traversait en guim- assez la collocation des deux termes —, a barde Sait Lake City vers le rêve californien, signalé en son temps la métamorphose la plus semblait destiné à devenir ce prodigieux vo- symptomatique du picaro dans sa représenta- leur de voitures, ce fou du volant en qui Ke- tion moderne : le néo-picaro est mû par une rouac verra l'Ahab de l'asphalte. Dean connut aspiration spirituelle totalement étrangère à l'enfance problématique et peu reluisante du celles de son ancêtre, trop occupé à soulager picaro : tôt orphelin de mère, il fut élevé par ses crampes d'estomac ou à se constituer un son père, clochard alcoolique, dans les skid pécule pour se soucier de métaphysique, au 52
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME point que le repentir tardif de Guzmân ou de repères où s'ancre la raison commune, un Moll Flanders apparaît pour le moins accessoi- tropisme vers le gouffre du non-sens, de la re, sinon insincère. Certes, on trouve dans On perte de soi, qui est le contraire même de the Road quelques rares scènes d'ordre maté- l'expérience du vide inscrite dans le boudd- riel, comme cet épisode hilarant où Sal, rou- hisme ou du vitalisme mélioriste qui permet- blard Lâzaro, se fait engager dans une milice tait à l'ancien picaro de se maintenir à flot. privée chargée de contrôler des baraquements Dans la troisième partie du livre qui est aussi la occupés par des travailleurs migrants, mais plus crue (raw), la plus nerveuse, Dean atteint s'enivre avec eux au lieu de réprimer leurs un point de disjonction extrême et prend aux libations, avant de hisser à l'envers le drapeau yeux de Sal l'aspect sidérant d'un imbécile américain et de voler avec un compère les frénétique et lumineux (« Holy Goof »). Jeans victuailles qu'il était censé protéger. et tee-shirt souillés sur des muscles tendus à Mais l'essentiel est ailleurs : non dans l'accès casser, pouce infecté entouré d'un pansement à une quelconque promotion sociale, ni dans crasseux, traînant sa valise défoncée derrière la satire de l'ordre qui la régit, ni même dans la lui, se frottant le ventre et se léchant les lèvres recherche d'une identité viable — objectifs comme un débile comblé, incapable de répon- du picarisme traditionnel —, mais dans la quê- dre aux reproches des femmes, Dean a volon- te d'une fulgurance intérieure plus proche de tairement perdu l'usage de la parole et le l'illumination que du gain. Le voyage — au contact avec une doxa devenue dérisoire : double sens de trajet et de découverte — est Wliere once Dean would hâve talked his way out, he now ici pilgrim's progress plutôt que rake's pro- fell silent himself, but standing in front of everybody, gress. La pérégrination, motif structurel de ragged and broken and idiotie, right under the lightbulbs, his bony mad face covered with sweat and throbbing veins, l'itinéraire du gueux, devient vecteur d'une saying, "Yes, yes, yes," as though tremendous révélations quête spirituelle, d'une tension vers un trans- were pouring into him ail the time now, and I am convinced port par nature indescriptible et qui ne peut they were, and the others suspected as much and were frightened. He was BEAT — the root, the soûl of Béatifie mieux s'évoquer que par l'emploi de mots au COR, p. 183-184). réfèrent incertain, comme ce « it » que Dean et Sal s'acharnent à traquer dans les improvisa- Un peu plus tard, dans la scène du cinéma tions des jazzmen entendus au hasard de la déjà évoquée, Sal s'imagine balayé à l'aube, et route. Ce point d'incandescence constamment destiné à disparaître à jamais, dans le torrent recherché, à travers l'alcool, la drogue, la de mégots et de détritus laissés sur le sol par vitesse, l'épuisement du corps et le délire les noctambules du désespoir. Cette trans- verbal, est essentiellement fugitif, sinon illu- substantation ordurière, qui lui rappelle une soire. Il exige toujours de nouveaux départs, nuit d'ivresse où il s'endormit dans un bar lové engendre une frustration et une surexcitation autour de la cuvette des W.-C. pour se réveiller croissantes, et entraîne un effacement des transformé en tas d'immondices — on notera 53
ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 26 N° 3 HIVER 1993-1994 la parenté excrémentielle avec le Buscon de insu, en sens contraire. De la même façon, Sal, Quevedo —, ne le révulse nullement. Elle déboussolé au sens le plus profond du terme, apparaît comme une métaphore de la désinté- ne parvient jamais à décider s'il veut s'engager gration de l'ego dans l'anonyme magma, la dans l'aventure exogène, le risque de Tailleurs, coulée incessante de sang et de pus, de ruis- ou se conforter au connu, notamment en se seaux et d'égouts, dont Miller célèbre après ressourçant régulièrement chez sa tante (en Milton le flux7, ou comme l'acceptation de la réalité, Mémère, nourricière castratrice auprès « tendre indifférence du monde » ressentie par de laquelle Kerouac reviendra toujours cher- l'Étranger de Camus à la veille de son exécu- cher consolation et désolation). Paradoxale- tion. Le voyage, justifié au départ par l'espoir ment, le substrat fantasmatique de ce livre- naïf de découvrir la « perle » cachée dans l'écrin culte, perçu comme un encouragement au de la terre américaine et par l'échappée vers voyage par bientôt trois générations, révèle les monts et merveilles d'un Ouest régéné- sans doute plus un désir de régression, une rant, ressemble de plus en plus à l'absurde nostalgie de l'indifférenciation intra-utérine, répétition de l'entreprise obstinée de Sisyphe. qu'une soif réelle de se donner à l'étrangeté Dans la dernière partie de On the Road, Dean, du monde. hagard et quasi muet, arrive à New York après * * * avoir traversé d'une traite l'énorme continent (« [the] unbelievable huge bulge »), pour re- partir immédiatement vers San Francisco sans On the Road partage avec le roman picares- savoir vraiment pourquoi il a entrepris ce que classique des traits formels évidents. Outre périple contradictoire. C'est comme si les deux renonciation autobiographique, le récit se côtes, si fortement distinctes au début du caractérise par une structure épisodique, ac- livre, avaient perdu leur signification respecti- cumulative, chaque partie correspondant à un ve. On a l'impression que les conducteurs nouveau voyage. Cet isomorphisme entre le épiques — celui de la voiture, celui du texte — textuel et le diégétique contribue fortement à ont perdu le nord, que l'élan premier vers les créer l'effet d'authenticité, de fraîcheur, auquel lieux du sens, ou le sens des lieux, s'abolit le livre doit en grande partie son succès, d'autant dans une confusion complète des points cardi- plus que l'on a dit et redit qu'il fut écrit d'un naux. L'itinéraire de On the Road s'achève en seul jet sur un rouleau de télétype (en fait il une désorientation généralisée, déjà percepti- semble qu'il ait été plusieurs fois remanié). De ble dans la scène clé du « Spectre de la Susque- plus, le « je » narrant reste très discret, don- hanna », chemineau symbolique qui veut re- nant ainsi relief à l'occurrence des faits rela- joindre le Canada mais repart toujours, à son tés, aux étapes, présentées en quelque sorte à 7 Voir le passage sur « I love everything that flows », Tropic of Cancer (p. 232).
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME l'état brut, de l'initiation du protagoniste. als of Spontaneous Prose ». Ce patchwork de L'évolution de ce dernier de l'innocence à vignettes, bribes de récit, notations diverses, l'expérience, de la naïveté enthousiaste de la dans lequel l'auteur intègre même la retrans- première partie au désenchantement relatif cription in extenso de l'enregistrement sur de la dernière, n'est l'objet d'aucune relecture bande magnétique d'une conversation passa- manifeste et ne donne que rarement lieu à un blement incohérente entre Neal et lui, appa- commentaire rétrospectif. Quant à la fin, elle raît comme un geste absolu d'irrévérence, un reste ouverte, comme il se doit dans ce type de pied de nez définitif aux conventions narrati- récit, car ni Sal ni Dean ne sont parvenus à une ves qui structurent l'horizon d'attente du lec- stabilité susceptible de provoquer dans l'esprit teur. Certaines phrases courent même sur une du lecteur l'illusion d'un aboutissement. En page entière, zigzaguant en tous sens, cher- bref, le livre se veut plus présentatif qu'analy- chant à tout décrire en un désir d'exhaustivité tique : seuls importent l'intensité de l'instant, quasiment suicidaire, fusant sans cesse vers le rendu pur et simple de l'expérience vécue. l'espoir d'un sommet, comme les intermina- Cependant, pour prendre en compte l'idée bles et fascinants solos de John Coltrane dans inévitablement imprécise d'« écriture picares- ses multiples versions de « My Favorite Things ». que » — un peu comme Marc Chénetier parle, Mais la liberté débridée de cette prose pouvait dans Au-delà du soupçon, de « picaresque difficilement séduire la majorité des lecteurs, verbal » à propos du travail effectué sur la plutôt attirés par des textes plus sages, à la langue par Nabokov et Brautigan (p. 39, 66) — démesure mieux contrôlée, comme On the c'est vers Visions of Cody, l'autre version de Road et The Dharma Bums. Kerouac s'est On the Road, qu'il faut se tourner. Ce livre ainsi retrouvé seul sur sa périlleuse ligne de qui, pour des raisons commerciales et esthéti- crête et, fatigué par les devoirs imposés par un ques évidentes, ne fut publié dans sa version succès tardif et ambigu, amoindri par l'alcoo- intégrale qu'en 1972, illustre un renouvelle- lisme, a fait en quelque sorte marche arrière. ment des modes narratifs comparable à la Ses dernières oeuvres témoignent d'une régression rupture esthétique qu'a dû opérer en ses dé- à la fois personnelle et stylistique. D'une part buts le roman picaresque par rapport à la il est remonté vers ses origines, cherchant à tradition chevaleresque ou pastorale. Si l'on retrouver dans son arbre généalogique une accepte, ne serait-ce que comme hypothèse dignité nobiliaire qui viendrait le dédouaner momentanée, l'équation picaresque = moder- de son extraction roturière (Satori in Paris), nité, c'est Visions of Cody qui présente les tel unpicaro de la deuxième génération sauvé aspects les plus audacieux du picarisme tex- in extremis par le coup de théâtre final révélant tuel kérouackien et illustre avec le plus de qu'il est fils de comte ou de bourgeois. On bonheur les principes qu'il a formulés dans s'est beaucoup interrogé, au cours de la Rencontre ses courts traités théoriques comme « Essenti- internationale Jack Kerouac qui s'est tenue à 55
ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 26 N° 3 HIVER 1993-1994 Québec en 1987, sur le désarroi probablement cocu bienheureux, le narrateur retrace, sur un sous-jacent à ce fantasme d'ennoblissement, ton désabusé qui n'a plus rien à voir avec le attribuable, selon la majorité des participants lyrisme de son premier roman (The Town and québécois et franco-canadiens, à un déracinement the City, consacré à ces mêmes années d'appren- culturel jamais cicatrisé 8 . Enfin, dans son dernier tissage), le passage de l'espoir à la désillusion. livre, truculent mais résigné (Vanity ofDuluoz), Concluant que « tout est vanité », Kerouac fait Kerouac adopte la posture du narrateur picaresque écho au pessimisme fondamental du pîcaro, traditionnel. S'adressant à sa dernière femme alors même qu'il a renoncé à en réactiver la (« wifey »), comme Lâzaro plaidant auprès de fougue. son locutaire hidalgo son droit de demeurer 8 Voir les actes de ce colloque, édités par Pierre Anctil et al. : Un homme grand. Jack Kerouac at the Crossroads ofMany Cultures. 56
JACK KEROUAC, PÎCARO DE L'ÂME Références ANCTIL, Pierre et al. éd., Un homme grand. Jack Kerouac at the Crossroads ofMany Cultures, actes de la Rencontre internationale Jack Kerouac (Québec, 1987), Carleton, Carleton University Press, 1990. CHÉNETIER, Marc, Au-delà du soupçon, Paris, Seuil, 1989- — — —, « Picaresque et picarisme. Aspects de la fiction américaine des années 1970 », dans Caliban, Toulouse, Publications de l'Université de Toulouse-le-Mirail, n° 20 (Aspects du picaresque en Angleterre et aux États-Unis, Maurice Lévy dir.), 1983, p. 83-100. CLEAVER, Eldridge, Soûl on Ice, Dell, New York, 1968. EMERSON, Ralph Waldo, « Self-Reliance », dans Critical Essays, New York, Everyman's Library. Études sociocritiques, Montpellier, Université Paul Valéry, 1976 (actes du colloque sur la Picaresque européenne). GINSBERG, Allen, Howl and Other Poems, San Francisco, City Lights Pocket, 1956. GUILLÉN, Claudio, Literature as System: Essays Toward the Theory ofLiterary History, Princeton, Princeton University Press, 1971. KEROUAC, Jack, OR = On the Road, Harmondsworth, Penguin Books, 1972. , Visions of Cody, New York, McGraw-Hill, 1972. LE PELLEC, Yves, « Jack Kerouac and the American Critics: a Selected Bibliography », dans Caliban, Toulouse, Publications de l'Université de Toulouse-le-Mirail, n° 10 (1973). LEWIS, Richard W. B., The Picaresque Saint, New York, Baldwin, 1956. MAILER, Norman, Advertisements for Myself, Londres, Panther, 1968 [1959]. MILLER, Henry, The Books in my Life, New York, New Directions, 1951. , Tropic of Cancer, New York, Grove Press, 1961. MOLHO, Maurice, « Introduction à la pensée picaresque », dans Romans picaresques espagnols, Maurice Molho éd., Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1968, p. XI-CXLII. PARKER, Alexander A., Literature and the Delinquent. The Picaresque Novel in Spain and Europe, 1599-1753, Edimbourg, Edinburgh University Press, 1967. PÉTILLON, Pierre-Yves, « Pîcaro en démocratie », dans Caliban, Toulouse, Publications de l'Université de Toulouse-le- Mirail, n° 20 (Aspects du picaresque en Angleterre et aux États-Unis, Maurice Lévy dir.), 1983- REXROTH, Kenneth, « Disengagement: the Art of the Beat Génération », dans Gène Feldman et Max Gartenberg éd., The Beat Génération and the Angry Young Men, New York, Citadel Press, 1958. SIEBER, Harry, The Picaresque, Londres, Methuen, 1977. SPENGLER, Oswald, le Déclin de l'Occident, Paris, Gallimard, 1948, 2 vol. 57
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