L'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d'Alger : entre euphorie ou doute, la paix en signe de traces ! - Naffet Keita
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d Securit an y e Se Pe ac ries FES Naffet Keita L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger : entre euphorie ou doute, la paix en signe de traces !
Naffet Keita L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger : entre euphorie ou doute, la paix en signe de traces !
A propos de l’auteur Dr Naffet Keita est philosophe et anthropologue de formation, Maître de Conférences. Il a été Lauréat du Prix MOST International des Meilleures Thèses de l’UNESCO et du CODESRIA. Dr Keita dispense des séminaires sur anthropologie et la médiation des conflits en Afrique; migration et conflits; anthropologie des mondes urbains (parenté et logiques identitaires, logiques ethniques et étatiques, ethnicité et nationalisme au Sahel, pouvoirs et contre-pouvoirs, anthropologie de la corruption); Gestion des crises et des situations d’urgence/Typologie des conflits et menaces endogènes et exogènes en Afrique de l’Ouest, etc. Dr Keita est auteur de plusieurs publications (travaux académiques, scientifiques, livres, chapitres d’ouvrages ou articles publiés). Il est régulièrement sollicité, au Mali et ailleurs, sur des thématiques liées aux menaces sécuritaires en Afrique de l’Ouest, aux systèmes de conflits et enjeux sécuritaires en Afrique, les extrémismes, religions et laïcité, les enjeux de la réconciliation post-crise, etc. Depuis février 2016, Dr Keita est co-directeur du Laboratoire Mixte International (LMI) : Reconfigu- rations maliennes : Cohésions, Territoires et Développement (MaCoTer), Membre du Laboratoire de Biologie Moléculaire Appliquée (LBMA sise à la FAST) et un des membres fondateurs du Master, Société, Culture et Développement (SOCDEV). Mentions légales Friedrich-Ebert-Stiftung Mali Badalabougou Est, Rue 27 Porte 49 BP. 428 Bamako Tél. : +223 20 22 44 24 E-mail: info@fes-mali.org www.fes-mali.org www.fes.de/de/referat-afrika/standorte/mali/ © Friedrich-Ebert-Stiftung 2018 Conception graphique : Green Eyez Design SARL, www.greeneyezdesign.com ISBN : 978-99952-874-2-9 L’utilisation commerciale des médias publiés par la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) est interdite sans autorisation écrite de la FES. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas forcément celles de la Friedrich-Ebert-Stiftung (ou celle de l’organisation de l’auteur).
Table des matières Sigles et abréviations 4 Avant-Propros 5 Résumé exécutif 5 Introduction 6 i. Contexte et objet de l’étude 6 ii. Objectifs 7 iii. Questions de recherche 7 iv. Méthodologie 8 I. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE 9 1.1. L’exigence de l’outil « analyse d’économie politique » (AEP) 9 1.2. Comment l’AEP peut-elle apporter de la valeur au présent travail ? 10 II. LE PROCESSUS DE PAIX AU MALI : UN CHEMIN DE CROIX 10 2.1. La conflictualité malienne : les révoltes et rébellions, une remise en cause de la nature de l’Etat 10 2.2. Les causes structurelles de l’échec des accords de paix précédents 13 III. GESTION DE LA DIVERSITE VERSUS SURABONDANCE POLITIQUE 14 3.1. La mise en œuvre de l’Accord et les implications politiques 14 3.2. Les ambiguïtés de l’appropriation institutionnelle et citoyenne 17 3.3. Segmentation, fragmentation, recomposition et ou reconfiguration : « les mouvements armés suspendus aux largesses de l’Etat » 18 3.4. La typologie des acteurs du processus de paix au Mali 21 3.5. L’inversion des priorités : entre panne de leadership et ou opportunisme ! 22 IV. L’ACCORD ET LA SOCIETE CIVILE : ENTRE REJET ET OU ADHESION ? 25 4.1. Les oppositions à l’Accord comme stratégie d’existence ? 25 4.2. Le faible ancrage de l’Accord au plan local et communautaire 27 V. LES DEFIS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD 28 VI. RECOMMANDATIONS 29 6.1. Potentiel de changement sur la gouvernance 29 6.2. Actions concrètes à mener 30 Références 32
Sigles et abréviations ADC Alliance pour la Démocratie et le Changement AEP Analyse Économie Politique AQMI Al-Qaïda au Maghreb Islamique AMM Association des Municipalités du Mali APL Associations de Pouvoirs Locaux ARLA Armée Révolutionnaire pour la Libération de l’Azawad CAD Comité d’Aide au Développement CEDEAO Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest CEN Conférence d’Entente Nationale CI Commission Intégration CJA Congrès pour la Justice de l’Azawad CMA Coordination des mouvements de l’Azawad CME Coordination des Mouvements de l’Entente CM-FPR2 Coordination des Mouvements et Front Patriotique de Résistance CNCA Comité National de Coordination de la mise en œuvre de l’Accord CNRSS Conseil National pour la Réforme du Secteur de la Sécurité CNSC Conseil National de la Société Civile CRSS Commissariat à la Réforme du Secteur de la Sécurité COPAM Coordination des Organisations Patriotiques du Mali COPPO Collectif des Partis Politiques de l’Opposition COREN Collectif des Ressortissants du Nord du Mali CPA Coalition du Peuple pour l’Azawad CSA Comité de Suivi de la mise en œuvre de l’Accord CSM Convergence pour Sauver le Mali CTS Comité Technique de Sécurité CVJR Commission Vérité, Justice et Réconciliation DDR Désarmement, Démobilisation, Réinsertion EGD États Généraux de la Décentralisation FAMA Forces Armées du Mali FES Friedrich-Ebert-Stiftung FDS Forces de Défense et de Sécurité 4
FIAA Front Islamique Arabe de l’Azawad FOSC Forum des Organisations de la Société Civile FPA Front Populaire de l’Azawad HCC Haut Conseil des Collectivités HCUA Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad MAA Mouvement Arabe de l’Azawad MARN Mission d’Appui à la Réconciliation Nationale MINUSMA Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali MISAHEL Mission de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel MNLA Mouvement National de Libération de l’Azawad MOC Mécanisme Opérationnel de Coordination MP 22 Mouvement Populaire du 22 mars 2012 MPA Mouvement Populaire de l’Azawad MPSA Mouvement Populaire pour le Salut de l’Azawad MPLA Mouvement Populaire pour la Libération de l’Azawad MUJAO Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest MSA Mouvement pour le Salut de l’Azawad OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économique ONG Organisation Non Gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies ORTM Office de Radio Télédiffusion du Mali OSC Organisation de la Société Civile Plateforme Plateforme des mouvements signataires du 14 juin PRED Plan pour la Relance Durable au Mali PTF Partenaire Technique et Financier RPM Rassemblement Pour le Mali SHS Sciences Humaines et Sociales UE Union Européenne US RDA Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain 5
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger Avant-propos culté d’accès aux services sociaux de base. Donc une faiblesse de l’Etat ! Mais l’étude a permis également de créer une corrélation entre les rebellions et crises au Mali avec l’état de consti- Le présent rapport est le produit d’un proces-sus tution et de croissance du pays. L’étude ren- interne de réflexion de la Friedrich-Ebert-Stiftung seigne aussi sur les relations sociales au sein des (FES) sur une valorisation de sa contribution à sociétés qui ont constitué le point de départ la paix et à la sécurité en Afrique et dans le de la crise devenue multidimensionnelle. Elle monde. Après plusieurs séries d’activités sous n’a pas passé sous silence la crise profonde différents formats, la FES a décidé d’introduire de certaines valeurs comme le patriotisme, le dans son approche la méthode « analyse d’éco- nationalisme et la citoyenneté. nomie politique, AEP » des différents défis qui ont jusque-là fait l’objet de ses différentes L’étude est construite autour des causes struc- études et publications. turelles de la crise caractérisées par un certain nombre de déficits de gouvernance dans plu- A cet égard, la création du Centre de Compétence sieurs domaines, des implications politiques de Paix et Sécurité basé à Dakar est l’instrument l’Accord, des ambiguïtés de son appropriation de mise en œuvre de la nouvelle vision de la institutionnelle et citoyenne, toute chose que FES. Une analyse des thématiques traitées par la segmentation, la fragmentation, la recom- le passé a orienté le centre dans un « décloison- position et ou reconfiguration des mouvements nement » thématique suivant les réalités natio- armés ne peuvent que le complexifier car nales voire régionales. Le Mali est répertoriée contribuant à la multiplication des acteurs et de dans la sous-classe « pourquoi les accords de leurs attentes. La problématique du leadership paix échouent ? » dans la conduite du processus de paix, la parti- cipation de la société civile et le faible ancrage Dans ce cadre, l’Accord pour la paix et la récon- de l’Accord dans le tissu social local ou com- ciliation au Mali issu du processus d’Alger signé munautaire sont des facteurs dont le déficit de entre mai et juin 2015 est l’objet de cette étude maîtrise expliquerait le titre même de l’étude : sous l’angle AEP. La sensibilité du sujet combinée « L’Accord pour la paix et la réconciliation au au manque de disponibilité à temps des acteurs Mali issu du processus d’Alger : entre euphorie impliqués dans le processus de la paix au Mali ont ou doute, la paix en signe de traces ! » été des difficultés majeures dans la réalisation du présent document. Toutefois, les informations Cette étude pouvant être considérée comme la recueillies par l’expert ont été validées au cours cartographie de l’Accord pour la paix et la récon- d’un atelier qui a réuni des personnalités qui sont ciliation au Mali issu du processus d’Alger à un toutes en relation avec le processus de paix du moment donné, c’est-à-dire, deux (2) ans après Mali, et leurs contributions ont permis de com- sa signature, donc elle ne saurait comporter pléter certaines données de l’étude. une analyse exhaustive des défis auxquels il est confronté dans sa mise en œuvre. Cependant, Les causes du conflit malien sont profondé- elle met davantage le curseur sur le manque de ment enracinées dans le tissu social fragilisé par dividendes pour les populations. la mauvaise gouvernance avec son corollaire d’injustice sociale et d’exclusion voire de diffi- Philipp M. Goldberg, Représentant Résident 6
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger Résumé exécutif Dans un environnement socio-politique fragile, La crise actuelle au Mali renferme les germes l’analyse de l’économie politique (AEP) de d’une refondation de la gouvernance globale l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali du pays, porteuse de stabilité, de cohésion signé à Bamako entre le Gouvernement et les sociale, d’équilibre entre les communautés et mouvements armés a permis de nous éclairer entre les territoires. De par sa profondeur et que l’appui des partenaires gouvernementaux le traumatisme qu’elle a causé chez les popu- sur le renforcement de l’État et la consolidation lations maliennes, elle a créé une opportunité de la paix passe, fortement, par l’identification historique d’une totale remise en question de de points d’entrée pour la promotion d’un l’approche institutionnelle, politique et sociale règlement politique inclusif et stable. Or, cela des visions du pays. exige d’inclure des mesures qui promeuvent de réformes politiques, institutionnelles et éco- Elle nous rappelle ainsi que la conception d’un nomiques en vue de renforcer les fonctions projet de refondation de la gouvernance globale de base de l’État en termes d’amélioration de du Mali doit être un processus qui s’articule prestation des services publics et de renforce- sur les défis auxquels fait face le pays, du local ment de la légitimité de l’État par sa capacité de au national, inspiré des propositions et des répondre aux attentes de la société. Enfin, elle expériences des différents acteurs, et adossé à a permis d’identifier de nouvelles approches de des politiques hardies de développement - dont travail en dehors de l’Etat pour construire des le financement va être, principiellement, assuré coalitions de changement progressif à travers la par l’effort national - et de sécurité humaine société civile, le secteur privé et les médias. adaptées. 7
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger Introduction communautés qui se présentent de plus en plus comme des parties au conflit, et de comprendre le contexte structurel des vio- lences passées, ainsi que d’agir en faveur de la i. Contexte et objet de l’étude restauration de la confiance entre les parties, de la réconciliation nationale, du dialogue Le Gouvernement du Mali a signé entre mai et inter-maliens et du retour des déplacés et des juin 2015, l’Accord pour la paix et la réconci- réfugiés. Tout cela, dans la perspective d’une liation au Mali issu du processus d’Alger avec nouvelle approche de sécurité collective. les mouvements armés rebelles sous l’égide de la communauté internationale. Le document La résorption de la grave crise multidimension- comporte un préambule, sept (7) Titres, 68 nelle dans laquelle le Mali est plongé, depuis Articles et quatre (4) Annexes renvoyant aux l’année 2012, passe par la revisite de l’organi- thématiques qui ont présidé à tout le proces- sation et l’interaction institutionnelle du pays, sus de négociation (Réformes politiques et ins- des acteurs, etc. titutionnelles, Défense et sécurité, Développe- ment, Réconciliation et Justice transitionnelle). Le diagnostic du mal qui ronge les compo- Ce processus a duré près de huit (8) mois. santes de la société malienne et particulière- Certes, l’engagement des signataires est en ment celles des régions dites du Nord et du droite ligne d’un traitement durable et définitif Centre est plus qu’une exigence. Ainsi, la re- de la récurrence des révoltes et rébellions dans visite du passé, l’introspection collective per- les régions dites du Nord du pays ; toutefois, mettront de comprendre toutes les dimensions les excroissances de ce conflit ont contaminé du mal qui corrodent le Mali à partir d’une ap- les régions dites du Centre et une bonne partie proche d’analyse d’économie politique de l’Ac- du Sahel Occidental en consacrant un nouveau cord signé - mettre en partage les faits dans paradigme, à savoir que les conflits violents se toute leur propension, l’introspection et croiser déroulent davantage à l’intérieur des pays et collectivement les regards sur une vision com- opposent l’État à des groupes organisés qui se mune de sortie de crise. parent d’allure des « communautés ». Il est important de rappeler que le Mali, dans Une bonne compréhension de l’Accord pour la les limites de ses frontières actuelles, renvoie paix et la réconciliation au Mali et les contextes à un brassage de divers peuples (composantes de son processus de négociation, sa signature ethniques), sur des siècles, avec des coutumes, et sa mise en œuvre permettront de se rendre des modes de vie et des expériences de gestion compte des enjeux au triple plan temporel, du pouvoir divers. spatial et politique. Pour parvenir à la hauteur des attentes placées dans ledit Accord, il y a La présente étude doit permettre une meilleure lieu d’engager une analyse de son économie connaissance des raisons des échecs des politique (AEP), elle-même, sous toutes ses accords de paix signés et d’analyser finement formes à partir d’une posture d’aplomb. Celle-ci l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali permettra, en effet, de répertorier toutes les issu du processus d’Alger à travers la méthode attentes des belligérants, à savoir : les groupes d’AEP, tout en formulant des recommandations armés signataires et les populations voire les d’actions pertinentes pour la prise en charge 8
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger renouvelée de sa mise en œuvre et servir de quelles sont les dynamiques qui pourraient po- cadre pour une nouvelle approche collective de tentiellement empêcher la mise en œuvre de sécurité. l’Accord ? L’enjeu, en termes d’atteinte des résultats, est A ce niveau, nous nous sommes intéressés à la d’appréhender les nouvelles configurations de lutte pour les ressources, la démographie, les pouvoir et les relations qui en résultent. Elles tensions ethniques, les conflits violents provo- peuvent, en effet, influencer la mise en œuvre qués (transfrontaliers), la criminalité organisée, des activités et impacter sérieusement les résul- le terrorisme, la prolifération des armes légères tats attendus, de même que le sursis d’organi- et de petit calibre, l’héritage colonial, l’im- ser le référendum en vue de la relecture de la portance des acteurs non-gouvernementaux Constitution de 1992 sur fond de contestation comme parties au conflit, l’échec de l’État (ab- d’une frange importante de la classe politique sence et faiblesse), la privatisation de la sécu- et des organisations de la société civile (OSC), rité, la faiblesse des institutions démocratiques réunies sous la bannière « Antè A bana » et du rôle des forces sécuritaires, le manque de (« nous refusons, c’est fini »), en sus des der- participation de la société civile et politique, le nières confrontations militaires entre les mou- manque de transparence et de responsabilité vements armés signataires dudit accord et les des élites envers le citoyen, la corruption des reports successifs d’organiser des élections élites et de l’administration, l’impunité, l’exclu- locales, surtout là, où les autorités intérimaires sion de la majorité de la population des « divi- ont été instituées. dendes de la paix », la représentation politique des agences gouvernementales et de leurs ca- pacités de remplir leur mandat en relation avec ii. Objectifs l’Accord, le niveau de confiance, entre groupes sociaux et entre l’État et les populations, le ni- La présente étude, a pour objectif principal, de veau de corruption et du crime transnational or- comprendre le potentiel réel de changement ganisé, les mouvements de réfugiés et des dé- dans la mise en œuvre de l’Accord pour la placés internes voire la migration « chronique », paix et la réconciliation par le biais d’une AEP. le niveau de développement économique dé- In fine, l’étude doit permettre de connaître les séquilibré entre les groupes ou la dépendance causes enfouies de l’échec des accords de paix, politique/économique due à des obligations/ac- mieux comprendre les intérêts respectifs des cords avec des partenaires étrangers. acteurs et leur influence sur la mise en œuvre effective de l’Accord ainsi que d’identifier les Quelles sont les institutions pertinentes qui agents de changements. influencent les relations de pouvoir ? Par-là, il s’agissait de voir comment les lois iii. Questions de recherche et les règles formelles, les normes sociales et culturelles formelles et informelles (tels que Les questions essentielles qui nous ont permis le sexe, la classe sociale, l’âge, la religion, de collecter les données sont les suivantes : l’ethnicité) et les inégalités - locale, régionale quels sont les problèmes contextuels et struc- et nationale - influent sur les engagements des turels qui pourraient influencer la situation et uns et des autres. 9
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger En termes d’acteurs et de leur description, il noncées ou seront réalistes et réalisables. Toute s’est agi de répondre aux questions qui suivent chose qui permettrait de déterminer les leviers : qui sont les acteurs pertinents ? Comment potentiels pour faire évoluer le système vers les relations mutuelles, ainsi que les relations l’adoption d’une démarche plus soucieuse du de pouvoir se décrivent-elles ? Quel est leur bien public. cadre d’action, quelles sont leurs capacités et leurs ressources ? Quelles actions, et quel genre C’est dire clairement que si l’AEP a souvent été d’acteurs influencent directement la situation ? perçue comme visant avant tout à identifier Quelles sont leurs motivations (de nature les obstacles et les contraintes, elle est, cepen- financière, personnelle, politique, culturelle, etc.) dant, de plus en plus utilisée pour identifier les qui pourrait influencer ces actions? opportunités de tirer parti des changements de politique et soutenir la réforme. En com- S’agissant d’analyse interactionnelle entre le prenant mieux les contraintes politiques aux- contexte et les acteurs, les questionnements quelles le Gouvernement malien est confronté, suivants ont permis de démêler les faits des les partenaires pourront travailler plus efficace- phénomènes en déterminant les niveaux : ment avec lui pour identifier les réformes de « second rang » dans des secteurs clés comme • d’interactions entre le contexte et les la santé, l’éducation et les infrastructures de acteurs, leur renforcement, leur change- base. De cette manière, l’analyse peut aider à ment en termes d’influence sur la société ; favoriser l’appropriation par le pays et contri- buer à améliorer l’établissement des priorités et • d’opportunités ou obstacles provoqués le séquençage des efforts de réforme. au cours de cette interaction ; Une AEP de ce genre a, évidemment, des limites • des défis apportés par les changements liées à : sur le contexte ainsi que les acteurs ; i. l’étendue et la complexité de la probléma- • de détermination de coalitions et plate- tique ; formes potentielles dans l’optique de l’analyse des acteurs. ii. la difficulté d’accès à des données fiables ou analyses approfondies sur différents Si l’AEP vise à répondre à la question de la aspects clés, tels que : les sources informelles mesure du cadre de mise en œuvre de l’Accord du pouvoir, l’accès aux rentes économiques susceptible de réformer la gouvernance et les systèmes de distribution de celle-ci publique du Mali, cela sous-tend qu’elle envi- dans un contexte plus qu’évolutif ; sage, soit une « refondation » du système, soit un ajustement « marginal » ou « cosmétique » iii. les imbrications entre pouvoir politique du même système. Compte tenu des intérêts et économique ; des différents acteurs, des rapports de pouvoir, des incitations et des résistances au change- iv. la difficulté de traduire l’analyse en pro- ment, les engagements souscrits par les pou- positions concrètes d’actions pour les voirs publics et les mouvements signataires, partenaires devant accompagner le gou- seront ambitieux en termes de réformes an- vernement malien. 10
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger iv. Méthodologie La démarche méthodologique a reposé essen- tiellement sur une recherche documentaire, ar- chivistique et des enquêtes denses auprès de quelques acteurs clés du processus de mise en œuvre de l’Accord. Elle a été renforcée par la présentation des résultats à mi-parcours lors des ateliers organisés dans les régions de Mop- ti, de Kayes et dans le district de Bamako. La recherche documentaire a consisté à collec- ter des données qualitatives auprès des diffé- rents ministères et autres structures de l’État et de la société civile, les documents d’archives de gouvernementalité (Foucault, 1994: 237) stra- tégique. Le processus de collecte d’information a été facilité par l’implication des acteurs historiques (les signataires des accords ; d’anciens Comman- dants d’arrondissements, de cercles, de gouver- neurs de régions ; des chefferies et légitimités locales ; des cadets sociaux, etc.). L’approche participative a guidé l’ensemble de la démarche depuis le choix des groupes cibles jusqu’au ni- veau du recueil des données. 11
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger I. CADRE THÉORIQUE ET particulier, les incitations, les relations, la distri- MÉTHODOLOGIQUE bution et la contestation du pouvoir entre dif- férents groupes et individus. Une telle analyse Malgré la longue tradition du recours aux peut soutenir des stratégies de développement méthodes des Sciences Humaines et Sociales plus politiquement réalisables et donc plus (SHS) par nombre d’organismes de dévelop- efficaces en établissant des attentes réalistes pement opérant à travers le monde, ils s’escri- quant à ce qui peut être réalisé, à l’échelle de ment récemment à recourir à celle de l’AEP en temps et aux risques encourus » (Mcloughlin, vue d’éclairer les stratégies et les programmes 2004 : 1). d’aide. Certes, il n’existe pas de cadre concep- tuel unifié pour l’approche, mais la définition De cette manière, l’AEP aide à comprendre les avancée par l’OCDE-CAD permet d’en cerner incitations, les institutions et les idées qui façon- et/ou de saisir certains des éléments principaux: nent l’action politique et les résultats produits. Comme nous le verrons, cela peut être extrê- « L’analyse de l’économie politique concerne mement utile lorsque l’on pense à la faisabilité l’interaction des processus politiques et éco- de la réforme des politiques et au changement nomiques dans une société: la richesse entre institutionnel, à la contribution réaliste que les différents groupes et individus, et les processus partenaires et d’autres donateurs peuvent ap- qui créent, soutiennent et transforment ces re- porter, ainsi qu’aux risques encourus. lations au fil du temps » (OECD DAC, 2003). Cette définition attire particulièrement l’atten- 1.1. L’exigence de l’outil « analyse tion sur la politique, entendue en termes de d’économie politique » (AEP) contestation et de négociation entre groupes d’intérêts ayant des revendications concur- Au regard de la présence massive de parte- rentes sur les droits et les ressources. Cepen- naires et d’interventions multi situées sur le ter- dant, il est également concerné par les proces- rain malien post-crise, l’AEP de l’Accord pour sus économiques qui génèrent de la richesse, la paix et la réconciliation au Mali serait par- et qui influencent la façon dont les choix des ticulièrement utile aux praticiens du dévelop- politiques publiques sont faits. En réalité, ces pement puisqu’elle va leur aider à comprendre processus sont étroitement liés et font partie ce qui motive le comportement politique des d’un ensemble unifié de dynamiques qui in- acteurs, comment elle façonne des politiques fluencent les résultats du développement. et programmes particuliers et les implications pour les stratégies de développement esquis- Pour une commodité d’analyse et d’opération- sées, jusqu’alors. nalisation de l’outil théorique et méthodolo- gique, nous optons pour la définition suivante, L’AEP est programmatique, plus précisément, qui nous semble plus explicite : elle est préoccupée par la compréhension des intérêts et des motivations auxquelles sont « L’analyse de l’économie politique (AEP) vise à confrontés différents groupes de la société (et situer les interventions de développement dans en particulier les élites politiques en plus des une compréhension des processus politiques et mouvements signataires) ; elle s’intéresse à la économiques dominants dans la société - en manière dont sont gérés les résultats politiques 12
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger par les signataires et qui peuvent encourager des territoires et des communautés autour ou entraver le retour à une certaine forme de d’une vision partagée ? Quelles sont les marges normalité post-crise. de manœuvre pour enclencher un change- ment qualitatif et qui en sont les acteurs du Aussi, elle s’intéresse au rôle des institutions renouveau ? formelles (le Gouvernement et les membres du groupe de suivi de la mise en œuvre) dans le Ces interrogations, qui se profilaient dans respect de certains principes partagés par les tous les regards, contrastaient avec les doutes acteurs engagés - par exemple, la primauté que nombre de maliens nourrissaient de la du droit, les élections et les normes sociales, sincérité des mouvements armés signataires politiques et culturelles informelles qui jouent de l’Accord, du fait de la « collusion avérée » dans la formation de l’interaction humaine et (Malikilé, n°52, 2017) de certains d’entre eux de la concurrence politique et économique. avec les mouvements terroristes indésirables à la table de négociation à Alger, de même que Enfin, elle entrevoie l’impact des valeurs et des les scissions et fissions dans les mouvements idées, y compris les idéologies politiques, la re- signataires qui prennent les contours de relents ligion et les croyances culturelles, sur le com- « ethnicistes » et ou « communautaires » ? portement politique et les politiques publiques. L’analyse de ces débats fait apparaître des risques réels pesant sur la faisabilité et 1.2. Comment l’AEP peut-elle l’effectivité d’une véritable mise en œuvre de apporter de la valeur au présent l’Accord. Ce d’autant plus que ledit accord travail ? est considéré par nombre de membres de la société civile et de la classe politique comme La signature de l’Accord pour la paix et la « un machin signé au forceps » en référence réconciliation a nourri nombre d’ambitions de à la déclaration de l’Ambassadeur de France ruptures et de réformes profondes, tant il y a eu au Mali de l’époque, Gilles Huberson : « Ceux une mobilisation exceptionnelle autour du Mali, qui ne signeront pas l’accord deviendront des de par la présence de plus d’une vingtaine de obstacles à la paix » (www.niarela.net, consulté Chefs-État, de délégations gouvernementales le 26/12/17), bien que celui-ci soit bâti autour et d’organisations internationales. Même si d’un processus graduel. l’Accord a été signé par les mouvements armés de manière décalée, aujourd’hui, la question se pose du comment matérialiser concrètement sur le terrain, au détour d’affrontements meurtriers entre ceux-ci et l’activisme des mou- vements terroristes sur nombre de fronts ? En quoi le Gouvernement malien s’illustre-t-il en termes de volonté et de capacité réelles pour rompre avec les pratiques qui, par le passé, ont ankylosé la gouvernance des personnes, des communautés, des deniers publics et adopter une démarche de développement harmonieux 13
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger II. LE PROCESSUS DE PAIX AU particuliers. L’analyse de ces différentes révoltes MALI : UN CHEMIN DE CROIX et rébellions demeurent donc pertinente pour la recherche de solutions durables. En effet, en se limitant aux seules révoltes et rébellions dans le Mali indépendant, il apparait 2.1. La conflictualité malienne : les que la récurrence de ces phénomènes est en révoltes et rébellions, une remise en corrélation étroite avec l’état de constitution cause de la nature de l’Etat et de croissance de l’Etat contemporain du Mali. Cette corrélation informe également des L’ampleur de la crise multidimensionnelle dont trajectoires complexes de l’édification de l’Etat a résulté le conflit armé au Mali rend nécessaire au Mali et des différents instruments juridiques de mobiliser les ressorts historiques, politiques, recourus pour le règlement de ces révoltes et économiques, sociaux, culturels et structurels. rébellions : Dans cette perspective, il s’agira, d’abord, de procéder à une analyse documentaire et empi- • 1963-1964 : la révolte éclata dans un rique de l’existant, de constituer un corpus de contexte de construction de l’Etat moderne savoirs et de produire une analyse des causali- socialiste mono partisan qui a revu à la tés de la crise, tout en démêlant les connexités hausse les taux d’imposition fiscale (le de l’Accord pour la paix et la réconciliation au monopole fiscal était en construction). Les Mali issu du processus d’Alger. fondements du nouvel Etat-nation étaient en passe d’être appropriées par la hié- La recherche des causes de blocage du pro-ces- rarchie militaire en phase avec l’idéologie sus de mise en œuvre de l’Accord pour la paix de l’US RDA, expliquent le choix du tout et la réconciliation passe forcément par son in- militaire comme mode de règlement de la telligibilité, à savoir la mise en nue des causes révolte ; sous-jacentes ou officiellement omises, des conflits ayant affecté les régions dites du nord • 1990 : rébellion parallèle à l’Etat malien en du Mali de 1960 à nos jours et ont débordé sur pleine mutation du fait des revendications les régions dites du Centre et bien au-delà. Une politiques intérieures portant sur l’instaura- entreprise, qui, participe fondamentalement à tion d’espaces de liberté, de la démocratie les déchausser de leur charge communautaire et du multipartisme. Cette rébellion parta- et du « tropisme du Nord » pour les faire pas- geait en partie les objectifs ayant trait à la ser par des moments de désarticulation de la gouvernance publique, la reconnaissance à conduite de la gouvernance au quotidien du part entière de nombreux jeunes maliens pays ; de plus, bien que localisés, ces conflits (majoritairement d’origine Touareg) ayant ont traversé le corps social malien pour en être fui le pays, en l’absence de tout soutien des ressentis comme de véritables problèmes d’État. pouvoirs publics, à cause des sécheresses cycliques et de leur l’intégration dans les Une rétrospective sur la longue période, des différents corps de l’Etat. Très tôt, des ins- différentes révoltes et rébellions qui ont marqué truments politiques furent dégagés en vue les régions dites du Nord du Mali, montre de la juguler. Ce sont : qu’elles sont advenues dans des contextes 14
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger - l’Accord de Tamanrasset est négocié par des solutions dessinées sans une base sous l’égide de l’Algérie et signé le 06 d’accords explicites. Ainsi, l’Etat a-t-il décidé janvier 1991. Toutefois, il n’a jamais été d’ériger de nouvelles communes dans les appliqué du fait du coup d’État inter- Cercles de Ménaka (Alata) et de Tinessako venu le 26 mars 1991 ; et, (Intadjédit). - le Pacte National négocié sous l’égide • 2006 : l’Alliance pour la Démocratie et de l’Algérie et de la facilitation de per- le Changement (ADC) entre en rébellion. sonnalités fortes (Edgar Pisani et Baba L’Alliance estime que l’Etat a favorisé la Miské) après plusieurs rencontres, puis gestion des affaires publiques par les tribus signé le 11 avril 1992 à Bamako. La si- intermédiaires, aux dépens de certaines no- gnature du Pacte National a été précédée tabilités de Kidal et d’autres grandes tribus par la tenue de la Conférence nationale Touareg et Arabes (l’omniprésence des Kel (du 29 juillet au 12 août 1991) et par Affala/Ifoghas dans les postes électifs na- des rencontres techniques (Ségou et tionaux et locaux ne serait pas justifiée, car Mopti). Cet accord advient à la veille de manquant de transparence et ne respec- la tenue du second tour de la première tant ni les règles d’équité entre candidats, élection présidentielle, démocratique et ni la liberté de choix des élus). multipartite de la troisième République. - La signature de l’Accord d’Alger, sup- • 1994-2000 : une série de révoltes et de posée apporter des corrections utiles, désertions locales qui éclatèrent, motivées n’a pas pu éradiquer les clivages sociaux selon les acteurs, d’un côté, par le retard en- ni les reconfigurations tribales dans registré dans l’application du Pacte National l’Adagh des Ifoghas (Kidal). Les suites et, de l’autre, par les frustrations expri- de cette rébellion ont probablement mées par certains groupes ethnoculturels alimenté et amplifié celle plus récente des régions dites du Nord du pays qui re- de 2012. prochent au Gouvernement de faire la part belle aux mouvements « arabo-touareg » • 2012 : c’est sur fond d’une nouvelle ré- armés au détriment de la population séden- bellion circonscrite à Tombouctou, Gao et taire ; la scission fusion des mouvements Kidal consécutive au retour, dans le pays, armés suivant des clivages tribaux et la de corps habillés d’origine malienne pour constitution de groupes d’autodéfense eth- certains, qui étaient enrôlés dans l’armée noculturels. Ces mouvements ont la parti- de la Jamahiriya libyenne et que le Mali cularité d’éclater à la veille des élections s’apprêtait à organiser de nouvelles élec- générales et locales et dans des contextes tions générales, aux termes desquelles, les précis de tensions sociopolitiques (affaire mandats du président de la République et de la tontine dite de « Badiallo » et l’avè- des députés devaient être pourvus. Le coup nement du COPPO) à la veille du renou- d’État du 22 mars 2012 affaiblissait davan- vellement du mandat du Président de la tage l’Etat malien et, par la suite, favorisa République, correspondant en réalité à des une incursion victorieuse des troupes du situations de fragilité institutionnelle. Au Mouvement National de Libération de plan politique, ces révoltes ont été gérées l’Azawad (MNLA) et leurs alliés extrémistes 15
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger et islamistes qui parvinrent à contrôler près par la résolution 2085 (2012). Les principaux des 2/3 du territoire national. Si le MNLA éléments du mandat de la MINUSMA portent déclara unilatéralement l’indépendance du sur la stabilisation de la situation dans les Nord du Mali le 06 avril 2012, il en sera principales agglomérations et la contribution chassé par ses alliés qui appliquèrent la au rétablissement de l’autorité de l’État dans « Charia » dans les zones occupées. tout le pays. Tandis que les autorités maliennes de transition étaient instamment engagées à A la différence de toutes les autres rébellions tenir des élections présidentielles et législatives. et révoltes qui n’avaient point d’ancrage Le Conseil de Sécurité confie, en outre, à la idéologique explicite, celle du MNLA s’est avérée Mission la tâche de contribuer à l’application de séparatiste avec une direction politique et une la feuille de route pour la transition, y compris branche armée. Elle intervient dans un contexte le dialogue national et le processus électoral. où nombre de tribus tentent de s’affranchir du joug des hiérarchies communautaires et En outre, la communauté internationale, no- la volonté implicite des groupes organisés à tamment la CEDEAO, dut peser de tout son désétatiser les régions dites du Nord du pays de poids pour contrebalancer les putschistes du par la sanctuarisation d’AQMI et, aujourd’hui capitaine Amadou Haya Sanogo qui avaient celle du groupe Nusrat al-Islam wal-Muslimin renversé le pouvoir du président Amadou Tou- (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) mani Touré (ATT) en mars 2012, et permettre le sous l’égide de Iyad Ag Ghaly et du Front de retour à une vie constitutionnelle normale (Keï- Libération du Macina de Amadou Kouffa, ta, 2015). Celle-ci va aussi avoir de profondes allié au premier. Tout cela dans un contexte répercussions sur les populations maliennes, en de prolifération d’armes, de prises d’otages et termes de délitement des liens sociaux, avec no- d’explosion de trafics de drogues, de migrants tamment des milliers de déplacés et de réfugiés. et de cigarettes qui ont fini de propager la guerre larvée qui se déroulait dans l’espace En résumé, l’analyse succincte des différentes Saharo-sahélien malien. rébellions, ci-dessus, révèle que toutes les ré- voltes et rébellions ont éclaté quand l’Etat mo- Ainsi, le 09 janvier 2013, les coalisés terroristes, derne était soit en construction, soit en muta- en engageant une offensive sur les régions dites tion institutionnelle ou en transition. L’analyse du centre et du sud du pays, furent stoppés par historique de la conflictualité malienne fait les forces armées maliennes appuyées par les également ressortir des errements de l’Etat et forces françaises de l’Opération Serval à Konna. une crise profonde de certaines valeurs républi- Cette intervention a constitué une prémisse à caines telles que le patriotisme, le nationalisme l’application, par la France, de la Résolution et la citoyenneté. En effet, le recensement des 2100 (2013) de l’ONU. Par la suite, le Conseil de causes des différentes révoltes et rébellions, Sécurité des Nations Unies créait une Mission met à nu les faiblesses et fautes commises par Multidimensionnelle Intégrée des Nations l’Etat, comme étant à la base de tous les sou- Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) bresauts. Paradoxalement, aussi, ce sont des avec un effectif total avoisinant 13 000 « citoyens » maliens qui prennent des armes Casques bleus en remplacement de la Mission pour s’attaquer aux institutions publiques na- Internationale de Soutien au Mali (MISMA) tionales et détruire les réalisations socio-écono- sous conduite régionale et africaine, requise miques financées soit par le budget d’État soit 16
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger par endettement public auprès des partenaires potisme, le clientélisme et la démagogie in- techniques et financiers (PTF). suffisamment combattus par les différents Toutefois, une approche s’est révélée singu- régimes qui se sont succédé; le laxisme lière, celle adoptée par les premiers respon- de l’Administration et les diverses formes sables du Mali démocratique, consistant à faire d’impunité qui y règnent; l’accès inéqui- des anciens chefs rebelles leurs interlocuteurs table des citoyens aux concours organisés directs. Ceci est apparu dommageable à l’action par la fonction publique et dans le recru- publique, dans un contexte de mutations ou tement au niveau des forces de sécurité et de transformations de chefferies locales tra- de défense et la non-prise en compte des versées également par des luttes de position- préoccupations des populations, d’où la nement. Ce contexte a largement influencé difficulté pour certaines de répondre à la les divers intérêts et enjeux locaux, régionaux question : « Comment se dire maliens ? » ; et géostratégiques internationaux, difficiles à cerner (FES, Policy Paper Mali, décembre 2016). • concernant le déficit de gouvernance fina- ncière, elle se matérialise par la généralisa- tion de la corruption et le manque de trans- 2.2. Les causes structurelles de l’échec parence dans l’utilisation des fonds publics; des accords de paix précédents le trafic d’influence; la mauvaise réparti- tion des ressources entre les régions et le Il n’existe pas une lecture univoque des causes manque de transparence dans la gestion des de l’échec des précédents accords de paix signés ressources internes et externes, notamment par le Mali dans les processus de résolution de la part des ONG nationale qu’internatio- des crises. Aussi bien à travers les entretiens nale qui ont brassé des mil-liards de francs réalisés, qu’à travers la littérature existante, auprès des donateurs et sans effets réels sur il apparaît plutôt une conjonction entre les les populations où elles ne sont visibles que facteurs extrinsèques et les facteurs intrinsèques par des enseignes et véhicules 4x4 ; comme explication du faible niveau de mise en œuvre des accords précédents et leur non suivi- • le déficit en gouvernance judiciaire est évaluation. perçu à travers l’injustice et l’impunité; le non-respect de l’Etat de droit et la non-exé- Dans ce contexte, les facteurs liés à la cution des décisions de justice ; gouvernance sont généralement évoqués pour expliquer les déficits concernent les aspects • le déficit en matière de communication d’ordre institutionnel, financier, judiciaire et gouvernementale se traduit par l’absence de communication, comme d’ailleurs rappelé de cadre et l’insuffisance d’échange entre dans les Actes de la Conférence d’Entente gouvernants et gouvernés; l’effet de l’anal- Nationale, organisée à Bamako (2017) : phabétisme qui empêche la majorité des populations à accéder à la langue de com- • le déficit en gouvernance institutionnelle munication officielle et la tendance accrue se caractérise par la perte de l’autorité de de certains médias à la désinformation. l’Etat; la sous-administration du territoire national; les difficultés de mise en œuvre Les déficits de gouvernance évoqués, ici - sans de la décentralisation; le favoritisme, le né- être exhaustifs - donnent à voir le contexte de 17
Naffet Keita | L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger fragilité institutionnelle dans lequel s’enchâsse Les causes structurelles issues de conjonction le processus de mise en œuvre des accords de de facteurs tels décrits n’épuisent pas la ré- paix. Il ressort alors qu’en plus des déficits de flexion sur le sujet, toutefois elles donnent une gouvernance (et bien d’autres), l’échec des idée de l’ampleur de la problématique. Au-de- expériences passées de mise en œuvre des là, l’exigence d’une évaluation pertinente et précédents accords concerne, entre autres, les froide devrait également portée sur les diffé- facteurs suivants : rents instruments ayant eu à gérer ces révoltes et rébellions récurrentes, en vue d’en tirer les • le non-respect des engagements souscrits leçons utiles et d’en dégager des recomman- par les parties signataires des précédents dations pertinentes. accords dans le cadre de la résolution des différentes crises et rébellions armées ; Quelle que soit la forme institutionnelle à retenir, toute renégociation des attributs de souve- • une gestion inadéquate des crises anté- raineté de l’Etat affectera profondément les rieures ; régions dites du Nord et du Centre du pays. Une telle évolution devra faire cesser les avatars • le manque de suivi et d’évaluation des du nationalisme, de même que les conditions Accords précédents ; idoines doivent être restaurées pour permettre à l’armée de réinvestir les régions actuellement • le manque d’organisation et d’implication moins sécurisées et au Gouvernement d’assurer de la société civile dans la mise en œuvre et le leadership en posant les bases d’un dialogue le suivi des Accords ; inclusif (en vue de la gestion des « identités meurtrières », du voisin et l’immigré ou l’image • le déficit d’information et de communica- de l’autre par exclusion). Les prises d’otages et tion des pouvoirs publics sur le processus le réarmement d’AQMI et leur impact sur les de mise en œuvre des Accords ; actions de partenariats régionaux et interna- tionaux continuent d’inquiéter. C’est dans les • les pratiques de désinformation de la popu- interstices de ce nouveau contexte que la gou- lation par certains leaders des mouvements vernance démocratique, politique et socio-éco- armés et d’organes de presse ; nomique doit être réactualisée en phase avec les dispositions pertinentes de l’Accord. • le faible enracinement des réformes poli- tiques et institutionnelles issues de la signa- ture des Accords et de leur mise en œuvre. 18
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