Des sondages des cent jours au quinquennat présidentiel - Blogs
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Des sondages des cent jours au quinquennat présidentiel Luc BENTZ (26 août 2017)1 Cent jours après le début de mandat, les sondages continuent à la baisse. Les couacs sont loin de tout expliquer. Gouverner, c’est choisir, disait Mendès-France ; c’est surtout sortir des rêves de lendemains harmonieux qui sont ceux des campagnes électorales. Il faut rappeler ici, hors les sondages volatiles, que le capital politique présidentiel de départ se calcule essentiel- lement au premier tour de l’élection. Le défi du pouvoir, dans la durée du quinquennat, c’est sa capacité à recréer, par son approche, son action et ses résultats, de la créance en politique. C’est sans doute aller à rebours des « jeux de com » auxquels pousse l’implication croissante président de la République. Au-delà du cas « Macron », c’est le modèle du quinquennat prési- dentiel qu’il faut interroger en revenant sur le temps long de la Ve République et même l’histoire constitutionnelle. D’après Wikimedia Commons/Copyleft (licence CC-BY) 1 Version accessible sur le blog Étudiant sur le tard : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/des_sondages_au_quinquennat_1/. 1 | 31
SOMMAIRE I. Baisse de popularité pour le président Macron : mais encore ? ................................................................ 2 II. Poids institutionnel et capital politique réel : l’équation Macron .............................................................. 9 III. Répartition des rôles au sein de l’Exécutif : ce que révèlent les changements d’annonces de juillet ... 18 IV. Le quinquennat en question ................................................................................................................. 25 V. Que conclure ? ...................................................................................................................................... 30 I. Baisse de popularité pour le président Macron : mais encore ? « La roche tarpéienne (d’où l’on précipitait dans le vide les condamnés à mort) est proche du Capitole (où se trouvait le temple du Jupiter romain ». C’est aujourd’hui le Jupiter élyséen qui se voit (symbolique- ment, heureusement pour lui) précipité depuis la roche tarpéienne des sondages. A) Sondages : une hollandisation accélérée d’Emmanuel Macron ? Ainsi le Journal du Dimanche du 27 août affichait-il une nouvelle baisse de popularité d’Emmanuel Macron2 et le commentait en ces termes : Selon notre baromètre Ifop-JDD, le chef de l’Etat perd 14 points en un mois : seuls 40% des Français se déclarent satisfaits de son action, et 57% se déclarent mécontents (dont 20% "très mécontents"). Cette chute très abrupte prolonge celle du mois dernier (—10 points en juillet) pour aboutir à un effondrement de 24 points sans précédent : Jacques Chirac avait cédé 20 points entre mai et août 19953. Un graphique, publié dans l’article de rappeler que, entre le mois de mai de l’élection et le mois d’août suivant, soulignait que si la cote de popularité d’Emmanuel Macron se situait initialement (mai) légèrement au-dessus de celle de François Hollande (62% vs 61%), le président actuel n’en recueillait plus fin août que 40% contre 54% à son prédécesseur, Emmanuel Macron recueillant, comme on l’a vu, une majorité d’opinions défavorables. Vendredi 11 août 2017, un sondage précédent (Ifop/Le Figaro) annonçait une baisse redoutable de la confiance exprimée par les Français 4 : «Il n'y a plus de trêve estivale et il n'y a pas d'état de grâce.» À la lecture des résultats de son enquête, Jérôme Fourquet, le directeur du pôle opinion de l'IfOP, tire un bilan plutôt alarmant des cent jours d'Emmanuel Macron, qui ne semble plus bénéficier de «la magie de sa campagne». Si l'on compare sa cote de confiance à celle de ses prédécesseurs, les sujets de préoccupation sont perceptibles. Un tiers seulement des Français (36 %) se disent satisfaits de son action quand, à la même époque en 2012, 46 % l'étaient à l'égard de celle de François Hollande5. Les perspectives sont également moins bonnes quand c'est l'évolution de la situation qui est mesurée. 23 % des personnes interrogées estiment que le pays évolue aujourd'hui plutôt dans le bon sens. Elles étaient 45 % en août 2007, trois mois après l'élection de Nicolas Sarkozy. 2 Hervé Gattegno : « Exclusif. La popularité de Macron s’effondre encore : — 14 points » (baromètre Ifop/JDD), le Journal du dimanche, 27 août 2017. Voir en ligne [URL consultée le 27/8/2017] : http://www.lejdd.fr/politique/exclusif-la-popularite-de-macron-seffondre-encore-14-points-3419795. 3 Effet sans doute du hiatus entre une campagne présidentielle conduite sur le thème de la lutte contre la « fracture sociale » et la politique mise en œuvre ensuite par le gouvernement Juppé. 4 « Cent jour après, Emmanuel Macron confronté au scepticisme des Français », Jean-Baptiste Garat in le Figaro, 11/8/2017 : http://www.lefigaro.fr/politique/2017/08/11/01002-20170811ARTFIG00190-cent-jours-apres-macron- confronte-au-scepticisme-des-francais.php [URL consultée le 12/8/17]/ 5 C’est nous qui soulignons. 2 | 31
Après l’éreintement de François Hollande (en abominable franglais d’arrière cuisine : Hollande’s bashing), l’éreintement continu d’Emmanuel Macron ? En tout état de cause, ce sondage là n’est pas le premier (ni sans doute le dernier). Il s’inscrit dans une série d’enquêtes d’opinion. C’est par un précédent sondage Ifop, réalisé celui-ci pour le Journal du dimanche et rendu public fin juillet, qu’a commencé le bourdonnement (en franglais : faire le buzz). Copie d’écran. Quelques jours plus tard, la même information se retrouvait confortée par plusieurs sondages simi- laires. Le 4 août 2017, le site du Journal du dimanche annonçait ainsi : Popularité : Macron baisse dans tous les sondages. INFOGRAPHIE - Les sondages se suivent et tous le confirment : la popularité d'Emmanuel Macron est en nette baisse cet été. La tendance est même plus accentuée que lors du quinquennat Hollande. Source : http://www.lejdd.fr/politique/popularite-macron-dans-tous-les-sondages-3403931. Pour preuve, le site affichait cette infographie : Ce qui frappe, c’est l’aspect visuel : quasiment toutes les courbes sont toutes descendantes. En re- vanche, il y a des variations selon les sondages. Dans les médias et chez ceux qui les utilisent (journalistes, sondologues, politiques), on ne revient jamais sur ce qui peut expliciter les différences d’intensité dans la variation ou les différences de niveau. Or cela représente jusqu’à une vingtaine de points tout de même ! 3 | 31
Le sondage est comme la note chiffrée sur une copie de philosophie : il présente une apparence de ratio- nalité mathématisée, alors même que sa réalité est plus subjective, voire construite. On n’interroge donc ni la pertinence et la cohérence de l’agrégat, ni la pertinence et la cohérence de chaque sondage particu- lier6. On cède donc ainsi aisément à ce que le professeur Alain Garrigou nomme l’Ivresse des sondages7. Interroger les sondages, c’est — comme il le faudrait pour toute donnée quantitative ou plutôt quan- tifiée s’interroger sur leurs modalités de collecte, le volume et la qualité de leurs échantillons, les traite- ments — et en particulier « rectifications » — apportés aux données brutes. Mais comment le faire dans un sujet radio ou télé de trente secondes ou d’une minute ? On passe donc des résultats d’une enquête dite « d’opinion » à ce que l’Opinion avec un grand O est censée penser. Au passage, on glisse sur le fait qu’on impose aux sondés de se prononcer sur des questions qu’ils ne se posaient pas forcément, que, d’un sondé à l’autre, le poids personnel de la question est très variable et, enfin, que les refus de réponse ne sont pas pris en considération. Dans l’agrégation de sondages reprise ci-dessus, les questions posées ne sont pas de même nature selon les instituts. Dans le cas du baromètre Ifop/JDD, le sondage est censé répondre à la question suivante : Êtes-vous satisfait ou mécontent d’Emmanuel Macron comme Président de la République ? Si l’on considère le baromètre TNS-Sofres/Le Figaro Magazine, la question est différente : Faites-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout confiance à Emmanuel Macron pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ? Dans le premier cas (Ifop), c’est un sentiment au doigt mouillé qui peut découler aussi bien de la manière dont le président de la République mène les affaires de l’État que de sa communication, de son allure, voire d’échos people. Dans le second cas (TNS-Sofres), c’est sa capacité à résoudre les problèmes « qui se posent en France » que l’on questionne. Autrement dit, c’est l’action publique, dont le président de la République est le premier responsable, qui est mise en avant. Le second questionnement n’est pas nécessairement plus fondé que le premier et réciproquement. On pourrait imaginer qu’un électeur de Nicolas Sarkzoy, après son célèbre « Casse-toi, pauv’ con ! » aurait pu s’estimer relativement mécontent auprès de l’Ifop (l’image présidentielle) mais relativement satisfait auprès de TNS-Sofres par affinité sur le discours politique. Mais, en faisant cette remarque, nous mettons surtout l’accent sur le fait que les agrégations de sondage, hors même les problèmes qu’ils posent « en soi », constituent parfois des mélanges de torchons et de serviettes. Quand tous les sondages sont baissiers ou haussiers, ce constat semble suffire. S’il y avait des contradictions (tenant à la fois à chaque question- nement et à ses conditions matérielles de passation qui diffèrent d’un institut à l’autre), on n’en pourrait pas tirer d’analyse. Au demeurant, dans le cadre d’un même sondage, on peut répondre oui ou non pour des raisons extrêmement diverses. Pour faire court, cela peut aller d’une réflexion personnelle approfondie sur le sujet avant même le sondage jusqu’à un réponse par inadvertance sans omettre les fausses réponses volon- taires. Peu importe : tout résultat « pèse » de la même manière. La véracité d’un sondage (c’est-à-dire sa capacité à rendre compte du réel) est donc toute relative. 6 Il existe bien une Commission (officielle) des sondages et des mentions obligatoires, mais on glisse dessus comme un économiste néo-classique glisse rapidement sur les limites épistémologiques des éléments qui fondent ses jolies courbes mathématiques. 7 Alain Garrigou, Ivresse des sondages (l’), La Découverte, coll. « sur le vif », Paris, 2006. Alain Garrigou tient un blog, consacré notamment à ces questions sur le site du Monde diplomatique : « Régime d’opinion », https://blog.mondediplo.net/-Regime-d-opinion-. Il a fondé l’Observatoire des sondages : http://www.observatoire- des-sondages.org/ [URL consultées le 14/8/17]. 4 | 31
L’usage des sondages ne diminue pourtant pas, tant s’en faut. Chacun les critique mais, dans le champ politique, chacun sait aussi les mobiliser quand ils sont défavorables à ses concurrents ou adver- saires et, a fortiori, quand ils sont favorables à sa cause. Cela vaut pour les professionnels de la politique (au sens non péjoratif du terme : c’est objectivement le cas des élus vivant de leurs indemnités, les nou- veaux députés par exemple, quelle qu’ait été leur activité antérieure), mais aussi pour les militants : le militant, étymologiquement miles d’où nous vient militaire, doit être un bon soldat. Quant aux médias, ils sont eux même grands clients de sondeurs : le sondage est devenu — on l’a vu — une matière d’actualité. Baisse de popularité, baisse de confiance : tous les résultats concernant Emmanuel Macron n’ont pas eu l’amleur du sondage Ifop/JDD. La baisse des avis favorables dans le sondage TNS-Sofrès n’est que de trois points (« confiance » : 57% en juin 2017, 54% en juillet) et la hausse de ceux qui n’ont pas « con- fiance » n’est que d’un point (de 38% à 39%). C’est le signe « photographique » — même si la photo est floue et son cadrage contestable — d’une dégradation de la position symbolique d’Emmanuel Macron comme « homme de la Nation » selon la formule du général de Gaulle8. Plus sans doute que la première annonce (la baisse spectaculaire de 10% dans le sondage Ifop/JDD), c’est la concordance des sondages (voir l’article précité du Journal du dimanche, le 4 août dernier) qui apparaît frappante. Mais les baisses ou les hausses de popularité « chez les Français », en tout cas dans la présentation « synthétique » qui en fait généralement l’objet, concernent des Français atomisés : l’homo sondagicus est aussi irréel que l’homo œconomicus de la théorie libérale qui lui a servi de modèle. Ces Français virtuels sont désincarnés, considérés en dehors de toutes leurs relations et positions sociales. On notera cependant que, dans les analyses par quotas, des distinctions moins grossières s’opèrent selon l’âge, le genre ou la catégorie socio-professionnelle même si cela reste relativement imprécis. Le miracle sondagier a pris quelques coups ces dernières années, et plus récemment en 2016 avec l’élection de Donald J. Trump ou le Brexit. Les dernières élections françaises, lors du moment fatidique du 20 heures, ont pourtant permis, même avec des marges, d’anticiper le résultat final. Encore ne s’agit-il pas sur une « opinion » de « popularité » mais sur le choix de personnes chargées d’incarner au sens propre (de donner chair) à une fonction élective abstraite. De ces mêmes sondages, nous même avons pourtant fait usage9 : la continuité d’une enquête dans le temps nous a permis d’illustrer cette malédiction du quinquennat10 qui semble frapper, on le voit encore aujourd’hui, les présidents de la République élus depuis 2002. Encore le sondage, reprenant en principe la même méthodologie, a moins d’intérêt dans les valeurs « en soi » — discutables comme on l’a vu — que dans ce que montrait leur utilisation comparées à trois présidents élus sous le régime du quinquennat depuis 200211. Sur une très courte période (juin-juillet), des comparaisons ont été effectuées entre la « popularité » d’Emmanuel Macron et les présidents précédents élus sous le régime du quinquennat (Jacques Chirac en 8 «Le Président, qui, suivant notre Constitution, est l'homme de la nation, mis en place par elle […]est évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État » (Charles de Gaulle, conférence de presse du 31 janvier 1964).Voir la Digithèque de l’université de Perpignan [URL consultée le 8/8/17] : http://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle31011964.htm. 9 TNS-Sofres : cotes de popularité des présidents de la République et Premiers ministres depuis 1978 (actuel Baromètre TNS-Sofres/Figaro Magazine) : http://www.tns-sofres.com/cotes-de-popularites. 10 « La malédiction du quinquennat ou la descente sondagière des présidents », blog Étudiant sur le tard, 28 mars 2016 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/la-malediction-du-quinquennat/. 11 Antérieurement à 2002, le président était élu pour sept ans. Appliquée pour la première fois en 2002, la révision constitutionnelle de 2000 (passage au quinquennat présidentiel) s’est accompagnée d’une inversion de calendrier : les élections législatives ont été décalées postérieurement à l’élection présidentielle. La révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 a été approuvée par référendum (c’est le seul cas de révision dans le cadre de l’article 89 où le vote des assemblées parlementaires a été suivi d’un référendum et non d’un vote final au Congrès statuant à la majorité des trois cinquièmes). Le quinquennat présidentiel renouvelable une seule fois a, quant à lui, été adopté lors de la révision constitutionnelle de 2008. L’inversion du calendrier a été opérée par la loi organique du 15 mai 2001 contenant cette simple phrase modifiant l’article LO 121 du Code électoral : « Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection. » 5 | 31
2002, Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012). On a fait apparaître que seul Jacques Chirac avait connu une décrue plus importante (la rançon de la « fracture sociale », sans doute). Observer et surtout commenter l’évolution d’un sondage (ou d’un agrégat sondagier) sur un ou deux mois est sans doute « osé ». Pour qui a l’œil continûment rivé sur les sondages (d’où qu’il regarde : pouvoir, partis, médias), c’est peut-être une alerte. C’est surtout une dérive propice à privilégier, à quelque empla- cement qu’on se situe dans les champs politique et médiatique, les « coups de com », bref, à privilégier l’écume du jour le jour sur le travail de fond. Aucune comparaison ne tient si elle n’est pas au moins étayée dans la durée. Le cours des évènements peut conduire à une poursuite de la baisse, une accélération de celle-ci ou, au contraire, à des évolutions en dents de scie voire une remontée. Si Emmanuel Macron, au-delà de l’immédiat médiatique, regarde vers 2022, rien n’empêche que, le moment venu, il soit en position de conquérir un second mandat en fonction de ses adversaires et de leur programme. D’ici là, autant de sondages seront tombés que d’averses pendant la mauvaise saison. Plus aléatoires encore qu’un examen de l’évolution d’une courbe de popularité du premier au deu- xième mois d’exercice présidentiel, les interprétations des résultats des sondages doivent être pesées avec circonspection. B) Les limites de l’analyse par les couacs Les explications immédiates sont les plus tentantes. La baisse de popularité d’Emmanuel Macron dans l’opinion a été imputée aux couacs intervenus depuis les élections législatives. Nous sommes désor- mais bien loin de sa démarche au Louvre au soir du 7 mai 2017 (le discours de la victoire) et de son discours jupitérien devant le Congrès12, la veille de la déclaration de politique générale du Premier mi- nistre, le 3 juillet dernier. Ces couacs sont d’intensité et d’importance variables. Ils ont touché l’Exécutif comme la nouvelle majorité parlementaire. Départs imprévus du gouvernement en raison de révélations de presse (Richard Ferrand, François Bayrou), erreurs (de débutants ?) commises par la nouvelle majorité parlementaire : remous et polémiques autour de la constitution du Bureau de l’Assemblée nationale ; conduite parfois cahotique des débats ; attitude crispée des députés La République en marche… À cela s’est ajouté, avant et après le 14 juillet, le psychodrame entre le pouvoir exécutif et l’institution militaire et les accusations de confusion entre autorité et autoritarisme après le limogeage du général de Villiers, chef d’état-major des armées13 fort désarmé par des coupes budgétaires tout soudain décidées. On saurait faire abstraction, dans cette période, des deux projets de loi qui ont retenu l’attention : celui sur la moralisation de la vie politique et, surtout, le projet de loi habilitant le Gouvernement à modi- fier par ordonnances le Code du travail. Sur ces deux sujets, il y a eu sans doute des couacs parlementaires ou gouvernementaux, mais on peut difficilement faire abstraction de la perception du fond. Or, telle qu’elle est résumée, ramassée dans des formules sommaires, l’« analyse par les couacs » les amalgame, comme elle amalgame et réduit tout à la fois les thématiques et des sondés atomisés. Il faut donc, dans l’analyse, introduire ou ré introduire le « social », c’est-à-dire le fait que les acteurs ne sont justement pas interchangeables, qu’ils ont des propriétés sociales différentes (catégorie socio- professionnelle, secteur d’emploi, âge, situation familiale, zone géographique de vie et d’activité, etc.) mais aussi qu’ils s’inscrivent dans des réseaux (familiaux, personnels, professionnels) de connaissance et d’influence, qu’ils manifestent (ou pas) des sympathies politiques différenciées, liées à leurs propriétés sociales sans doute, mais sans détermination mécanique. Les sondages TNS-Sofres sur l’appréciation de la capacité du chef de l’État à agir ne donnent pas, dans leurs pages publiques, d’éléments sur ces questions. En revanche, les sondages réalisés par l’Ifop 12 Voir sur le blog Étudiant sur le tard(http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/) : « Macron à Versailles ou l’acte de décès de la fiction parlementaire » (27/6/2017) et « Le Premier ministre, Édouard Philippe: un moderne vice- président du Conseil ? » (8/7/2017). 13 Un article est en préparation sur ce point. 6 | 31
pour le Journal du dimanche fournissent des indications, même s’il s’agit encore de regroupements. Dans l’analyse que l’Ifop tirait de son sondage de juillet, on voyait que les « premières victimes » des décisions gouvernementales avaient « sanctionné » le chef de l’État, mais que son attitude jupitérienne face au général de Villiers avait compté. Les sondologues ne se sont donc pas arrêtés aux couacs. Une analyse plus fine montre que la baisse est particulièrement prononcée parmi les salariés du public (—18 points). C’est peu étonnant tant cette catégorie — qui concerne quand même cinq millions de salariés et leurs familles — peut avoir le sentiment d’être une cible, mal aimée d’un nouveau pouvoir qui, en même temps qu’il sacralise les start-up, semble lui réserver un traitement punitif systématique : gel du point d’indice des fonctionnaires, coupes dans les budgets ministériels, retour du jour de carence. On note également un recul de 14 points parmi les 50-64 ans et de 11 points parmi les 65 ans et plus, en invoquant la hausse de la CSG. Si l’on observe les sympathies politiques affichées (elles relèvent du déclaratif), on constate que les réponses à la question « Êtes-vous satisfait ou mécontent d’Emmanuel Macron comme président de la République ? » connaissent des écarts bien plus importants qu’une moyenne qui les étouffe, mais aussi des variations qui peuvent augurer d’évolutions à venir. Ces données sont présentées par transposition d’un axe électoral traditionnel gauche/droite (de La France insoumise au Front national). Nous en avons repris les éléments dans le tableau qui suit par ordre décroissant à partir des opinions les plus favorables au président de la République14. Sondage popularité Ifop, juillet 2017 : résultats par sympathies politiques déclarées Satisfaits et plutôt satisfaits Mécontents et plutôt mécontents 07/17 06/17 Écart 07/17 06/17 Écart LREM 95 96 -01 03 03 00 UDI 70 77 -07 27 21 06 PS 66 78 -12 30 20 10 Modem 64 89 -25 31 10 21 EELV 62 65 -03 33 27 06 LR 52 63 -11 45 34 11 LFI 31 37 -06 67 55 12 FN 27 28 -01 71 70 01 Ensemble 54 64 -10 43 35 08 des sondés* * L’« ensemble » correspond à la totalité des sondés (qu'ils aient exprimé ou non une sympathie politique). Il ne cor- respond donc pas à une moyenne pondérée des expressions liées à une sympathie politique déclarée. LECTURE : En juillet 1997, 95 % des personnnes ayant déclaré une sympathie pour LREM étaient satisfaits ou plutôt satisfaits de l'action d'Emmanuel Macron comme président de la République, contre 96 % en juin 2017, soit une baisse de 1 % en un mois. SOURCE : sontage Ifop/JDD (juillet 2017). Résultats accessibles à l'URL [consultée le 8/8/17] : http://www.Ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3821. Toujours selon ce même sondage, les deux grands blocs d’opinion n’ont pas changé. Les avis (selon les opinions, et non les appartenances, déclarées) restent majoritairement « satisfaits ou plutôt satisfaits » chez les sondés LREM (le noyau dur, qui ne subit qu’un effritement léger) et ceux des partis de gouverne- ment traditionnels auxquels s’ajoutent les sympathisants Europe-Écologie-Les Verts. Il y a un décrochage 14 Par souci de simplification, nous avons également écarté les « sans opinion » dont les variations peuvent exprimer soit un glissement d’une opinion favorable à l’abstention ou d’une abstention à une opinion défavorables (les deux phénomènes pouvant se cumuler). On notera que les sympathies communistes ne sont plus exprimées, soit qu’elles soient statistiquement jugées non significatives, soit que LFI leur ait été substitué dans ce segment. 7 | 31
chez les sympathisants Modem — alors que c’est l’autre composante officielle de la majorité présidentielle et parlementaire — qui peut être conjoncturel et lié à l’éviction du gouvernement de François Bayrou et Sylvie Goulard. On ne voit pas ce qui peut en effet, sociologiquement ou politiquement, les différencier par exemple des sympathisants UDI. À l’opposé des avis « satisfaits ou plutôt satisfaits », le bloc des « majoritairement mécontents ou plutôt mécontents » regroupe les deux formations qui, à tort ou à raison, sont apparues comme « antisys- tème » : la France insoumise et le Front national dont l’opposition apparaît un peu plus marquée. Il se trouve encore près d’un quart des sympathisants FN et près d’un tiers des sympathisants LFI pour expri- mer une appréciation plutôt positive sur Emmanuel Macron. Si pour le FN, l’opposition est constante, dans le cas de La France insoumise, le nombre des plutôt mécontents s’est accru, par changement à peu près à égalité des « sans opinion » et des « satisfaits ou plutôt satisfaits ». Les évolutions des sympathisants déclarés Les Républicains et des sympathisants déclarés PS sont comparables : baisse des avis « satisfaits ou plutôt satisfaits » de 11 et 12 points ; hausse des avis « mé- contents ou plutôt mécontents » de 10 et 9 points. Mais on notera, d’une part, que les niveaux étaient différents (en juillet : 52% d’opinions plutôt « satisfaites » chez les sympathisants déclarés LR contre 66% pour les sympathisants déclarés PS). Mais, tant s’en faut, les raisons peuvent en être très différentes 15. L’élément le plus « significatif » qu’on puisse tirer de ces données (les guillemets à significatif ne sont pas superflus) est que le noyau dur des sympathisants autodéclarés d’Emmanuel Macron, un mois après les élections législatives, lui reste massivement fidèle. Une telle absence de variation ne se constate qu’au Front national, où, s’agissant d’Emmanuel Macron, l’adhésion est la plus faible et l’opposition la plus manifeste. Autrement dit, à ce stade (c’est une courte période, ne l’oublions pas), les inconditionnels « pour » ou « contre » le président de la République restent campés sur leurs positions respectives. Ail- leurs, sans que la majorité ait — déjà — basculé, les positions de soutien s’effritent à proportion de la montée des mécontentements ou, simplement, de la fin d’un climat plus favorable, mais si fragile, qui suit l’élection. On pouvait sans doute tenir ce raisonnement sans sondage(s). Si l’on reprend le graphique du sondage TNS-Sofres (baromètre Figaro Magazine) pour les deux premières années de mandat des présidents « quinquennaux », le premier moment où les expressions « ne font (plutôt) pas confiance » l’emportent sur « font (plutôt) confiance » s’est progressivement accéléré : 15 mois pour Jacques Chirac (élection en mai 2002, bascule en septembre 2003), 8 mois pour Nicolas Sarkozy (élection en mai 2007, bascule en février 2008), 4 mois pour François Hollande (élection en mai 2012, bascule en octobre 201216. Il y a sans doute une dimension « équation personnelle » (y compris la perception de l’écart entre les promesses et les mesures prises), mais cela peut traduire aussi un effet « emballement du système » (la décrédibilisation progressive de la toute puissance institutionnelle des présidents de la République). 15 Pour prendre un exemple particulier, l’électorat LR, plus âgé, est sans doute plus sensible à la hausse annoncée de la CSG. 16 Voir « La malédiction du quinquennat », blog Étudiant sur le tard, mars 2016. Le graphique comparatif est tiré de cette page : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/la-malediction-du-quinquennat/. 8 | 31
À la question « Faites-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout confiance à Emmanuel Macron pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ? », le même baromètre donne encore 54% de « confiance » contre 39% de « pas confiance » (juillet 2017). Pour le même mois de la première année de mandat (les élections étant placées relativement dans la même période), Nicolas Sarkozy bénéficiait encore de 65% (contre 31%) et François Hollande de 55% (contre 39%). Les deux précédents présidents avaient un résultat identique ou quasi identique à leur premier résultat après élection17. Toute la question est donc celle des dynamiques possibles. On ne peut l’évoquer sérieusement qu’en écartant les projections sondagières. Ce qu’il faut prendre en considération le capital politique dont dis- posent effectivement le président de la République et par voie de conséquence son gouvernement et sa majorité, avant même d’aborder la question de leur action. II. Poids institutionnel et capital politique réel : l’équation Macron L’irruption brutale de La France en marche dans le champ politique a fait de l’année 2017 celle d’une rupture violente avec le système bipolaire ancien et les formations politiques qui l’incarnaient (singuliè- rement le Parti socialiste et Les Républicains)18. Si les élections de 2017 ont été marquées par une abstention record, singulièrement lors des élec- tions législatives, celle-ci a frappé plus fortement les organisations « exclusives » que sont La France insoumise et le Front national et l’abstention asymétrique a d’autant plus bénéficié à La République en marche19 que les règles de maintien au second tour en ont souvent exclu les autres candidats de partis de gouvernement, notamment les socialistes20. Emmanuel Macron s’appuie donc sur une majorité parlementaire large. Le seul groupe LREM dispose à lui seul de la majorité absolue au sein de l’Assemblée nationale 21, sans compter le groupe Modem qui appartient à la majorité présidentielle et les Constructifs issus de l’UDI et des marges de LR. Le gouver- 17 Le même sondage donne, pour Emmanuel Macron, 3 points d’avis « confiants » en moins et un point d’avis « non confiants » en plus. Au point de départ (mai-juin), Emmanuel Macron était légèrement au-dessus de François Hollande à la même époque, mais nettement en dessous de Nicolas Sarkozy. 18 Voir « 2017, l’année de la disruption politique ? », blog Étudiant sur le tard, 14 juin 2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/2017-lannee-de-la-disruption-politique/. 19 Par « organisations exclusives », nous entendons par là celles qui manifestaient à la fois l’opposition la plus forte à Emmanuel Macron (le FN parce qu’il était présent au second tour de la présidentielle, LFI avec un mot d’ordre ambigu n’appelant pas à voter pour le candidat « non FN ») et qui ne s’inscrivaient pas dans un processus d’alliance avec d’autres forces politiques, sinon dans un cadre asymétrique ne remettant pas en cause leur volonté hégémonique de représenter « le peuple ». Voir « Les leçons contradictoires de l’abstention », blog Étudiant sur le tard, 19 juin 2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/les-lecons-contradictoires-de-labsention/. 20 Pour éviter la démultiplication des candidatures, et au passage renforcer la légitimité des élus, le Code électorat impose d’avoir obtenu les suffrages de 15% des inscrits (et pas seulement des votants ou des exprimés) pour pouvoir se maintenir au second tour, étant entendu qu’un minimum de deux candidatures sont présentes au second tour, sauf désistement d’un candidat éligible. Avec une forte abstention, l’exercice devient difficile : on aura noté d’ailleurs que les triangulaires ont été rarissimes lors des élections législatives de juin 2017. 21 Au 24 juillet 2017, le groupe LREM à l’Assemblée nationale comptait 310 membres et 4 « apparentés » (sur les 577 députés que compte l’Assemblée nationale) ; le groupe Modem, 43 membre et 4 « apparentés » ; le groupe « les Constructifs », 34 membres et un apparenté. Les groupes d’opposition sont par ordre décroissant le groupe LR (95 membres et 5 « apparentés »), le groupe Nouvelle Gauche (28 membres , notamment PS, et 3 « apparentés »), le groupe la France insoumise (17 membres) et le groupe Gauche démocratique et républicaine (16 membres, notamment PC ou élus de l’outre-mer). S’y ajoutent 17 députés « non inscrits » (dont les députés FN, insuffisamment nombreux pour constituer un groupe parlementaire). Source : site de l’Assemblée nationale [URL consultée le 12/8/17) : http://www2.assemblee-nationale.fr/instances/liste/groupes_politiques/effectif. 9 | 31
nement est « à la main » du chef de l’État, a fortiori parce que son chef nominal, Édouard Philippe, trans- fuge de LR, n’a pas de base politique propre. est dépendant de lui22. Au Sénat, un groupe LREM s’est même spontanément ou opportunément créé puisque le Sénat doit être renouvelé pour moitié en sep- tembre prochain23. Le président de la République dispose donc des moyens de gouverner. Si le Sénat a une majorité officiellement d’opposition, il ne se montre guère vindicatif pour l’instant et, s’agissant des lois ordinaires, ne dispose pas d’un pouvoir de blocage, l’Assemblée nationale pouvant avoir sur décision du gouvernement, le dernier mot en 3e lecture24. Nous avons suffisamment insisté sur les effets démultiplicateurs du scrutin législatif uninominal à deux tours pour ne pas le retenir comme base de calcul. LREM a obtenu 308 sièges à l’Assemblée nationale en ayant obtenu 6,4 millions de voix au premier tour (28% des exprimés mais 13,5% seulement des ins- crits)25. Au second tour, en bénéficiant de désistements (notamment face au FN), LREM a obtenu La Ré- publique en marche a obtenu un nombre légèrement supérieur de voix (7,8 millions), soit 43% des expri- més mais 16,55% des inscrits. Ce succès découle de la logique institutionnelle de la Ve République 26. En effet, dans le régime présidentialiste que connaît la Ve République — phénomène accentué après la révi- sion constitutionnelle de 2000 (quinquennat présidentiel) —, c’est du président de la République que pro- cèdent le gouvernement et, de facto, une majorité parlementaire élue sur son nom. Majeure depuis 1965, l’élection présidentielle est devenue l’élection mère depuis 2002. A) Les seconds tours présidentiels depuis 1965 Revenons d’abord sur les résultats officiels du deuxième tour de l’élection présidentielle depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel en 196227. Il est utile, même si nous nous intéressons essentiellement au quinquennat, d’avoir une vue d’ensemble sur une période longue. 22 Voir : « Le Premier ministre, Édouard Philippe : un moderne vice-président du Conseil ? », blog Étudiant sur le tard, 8/7/2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/le-premier-ministre-vice-president-du-conseil/. 23 Le renouvellement partiel du Sénat interviendra fin septembre 2017 : les sénateurs sont depuis 2011 élus pour six ans (au lieu de neuf antérieurement) et renouvelés par moitié (le tiers antérieurement) tous les trois ans. Les membres du nouveau groupe LREM ont été pour l’essentiel initialement élus (parfois depuis longtemps) sous des étiquettes « gauche de gouvernement » ou centristes. Son président, François Patriat, a notamment été président (PS) de la région Bourgogne. LREM n’existait pas lors du précédent renouvellement sénatorial ni lors des élections locales intervenues depuis : or c’est des élus locaux que sont issus les grands électeurs sénatoriaux, mais, dans les départements ruraux, les élus « sans étiquette » sont nombreux et, ici ou là, le basculement d’un « baron local » vers LREM entraîne à sa suite celui de ses réseaux. 24 Le Sénat ne dispose d’un pouvoir de blocage que pour les lois organiques le concernant exclusivement. 25 Sources [URL consultée le 9/8/17] : 1) résultats des élections sur le site du ministère de l’Intérieur : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats ; 2) La Documentation française, « Les élections présidentielles sous la Ve République » : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000069-les-elections-presidentielles- sous-la-ve-republique. 26 Voir « Quelle majorité parlementaire pour un président nouvellement élu ? » — et notamment la note jointe téléchargeable au format PDF —, blog Étudiant sur le tard, 29/5/17 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/quelle-majorite-pour-macron/. 27 En 1958, Charles de Gaulle avait été élu par un collège de 81 764 « grands électeurs ». 10 | 31
Second tour des dix élections présidentielles depuis 1965 régime Année Candidat élu (R : réélu) % exprimés % inscrits rang Candidat battu (inscrits) septennat 1965 de GAULLE (R) 55 % 45,3 % 2e F. Mitterrand septennat 1969 POMPIDOU28 58 % 37,5 % 10e Alain Poher septennat 1974 GISCARD D’ESTAING 51 % 43,8 % 3e F. Mitterrand septennat 1981 MITTERRAND29 52 % 43,2 % 6e V. Giscard d’E. septennat 1988 MITTERRAND (R) 54 % 43,8 % 4e J. Chirac septennat 1995 CHIRAC 53 % 39,4 % 8e L. Jospin quinquennat 2002 CHIRAC (R) 82 % 62,0 % 1er J.-M. Le Pen quinquennat 2007 SARKOZY 53 % 42,7 % 7e S. Royal quinquennat 2012 HOLLANDE 52 % 39,1 % 9e N. Sarkozy quinquennat 2017 MACRON 66 % 43,6 % 5e M. Le Pen Résultats arrondis à l’unité pour les exprimés, à une décimale pour les inscrits. Le rang de chaque président relativement au pourcentage par rapport aux inscrits est indiqué par ordre décroissant (1 : meilleure pourcentage). Sources : ministère de l’Inté- rieur ; la Documentation française30. Après les pourcentages, nous indiquons le rang par ordre décroissant (en tenant compte des décimales. LECTURE : En 1965, le général de Gaulle a été élu président au second tour avec 55% des suffrages exprimés représentant 45,3% des inscrits. Sur l’ensemble des présidents de la République élus au suffrage universel direct sous la Ve République, il se place au deuxième rang si l’on tient compte de ses résultats par rapport aux électeurs inscrits. Son opposant battu au 2 e tour était François Mitterrand. Dix présidents de la République ont été élus au suffrage universel direct depuis qu’il a été instauré en 1962 et appliqué en 1965. Six d’entre eux ont été élus pour sept ans, quatre pour cinq ans (depuis 2002). Parmi les six présidents élus pour un septennat, deux mandats ont été interrompus avant terme : celui de Charles de Gaulle en 1969 (démission) et celui de Georges Pompidou en 1974 (décès). Dans un scrutin qui, constitutionnellement, ne peut opposer que deux candidats au second tour, les résultats en exprimés tiennent à l’histoire particulière de chaque scrutin, aux rapports de force politiques et sociaux, à la manière aussi dont la compétition s’est déroulée au premier tour et dont les différents candidats se sont positionnés. Cela a pu influer, bien entendu, sur la participation, et donc le pourcentage de voix obtenues par rapport aux inscrits. Un seul président de la République a obtenu la majorité absolue des inscrits, mais dans un contexte très particulier : l’élection de 2002 qui a opposé Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. Si l’on considère le résultat du premier tour, la qualification de Jacques Chirac s’est jouée à peu en termes d’exprimés au premier tour : 19,9 % contre 16, 9 % à Jean- Marie Le Pen. Le Premier ministre de cohabitation sortant, Lionel Jospin (PS) avait été éliminé avec 16,2% en raison — en dehors des éléments liés à sa personnalité, son action et sa propre campagne — d’une forte dispersion des voix à gauche31 Il y a bien eu un effet « barrage au FN » que l’on constate dans le score du vainqueur au second tour par rapport aux exprimés (les deux meilleurs résultats sont ceux de Jacques Chirac et d’Emmanuel Ma- cron), moins par rapport aux inscrits. Le meilleur résultat est celui de Jacques Chirac en 2002 (62% des inscrits, ce qui est exceptionnel dans l’ensemble), mais cette configuration particulière explique sans nul doute, outre le bon résultat « net » (exprimés) d’Emmanuel Macron en 2017, son niveau global (5 e rang) alors que la participation est régulièrement en baisse. 28 Élu après la démission de Charles de Gaulle (échec du référendum de 27 avril 1969), le président Pompidou est décédé en avril 1974, avant le terme de son mandat (théoriquement 1976) des suites d’une longue maladie. 29 C’est la première élection présidentielle qui suit l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans, votée par le Parlement sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing après son élection. 30 Voir la page des résultats électoraux sur le site du ministère de l’Intérieur |URL consultée le 9/8/17] : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats. 31 Jean-Pierre Chevènement (Mouvement des citoyens), Noël Mamère (Les Verts), Robert Hue (PCF) et Christiane Taubira (Radicaux de gauche) obtenaient respectivement 5,3%, 5,2%, 3,4% et 2,3%. Un duel Chirac / Jospin eût été incertain, un duel Jospin/Le Pen aurait été gagné par le socialiste. La ventilation à gauche aurait permis à Lionel Jospin d’opérer un rassemblement au second tour : encore fallait-il être qualifié. En 1995, Lionel Jospin avait obtenu 23,3% des exprimés au premier tour, ce qui l’avait qualifié face à Jacques Chirac. 11 | 31
Cet effet « barrage » a moins joué en 2017 qu’en 2002. En 2002, il y avait (hors FN) unanimisme ; en 2017, il y a eu pour le moins des ambiguïtés32. Après l’élection de 2002, face au Front national ou pas, les présidents de la République ont été élus à moins de la moitié des électeurs inscrits. Dans les duels oppo- sant des candidats issus de ce qu’on nomme ou nommait les « partis de gouvernement » (UMP/LR, PS), les résultats étaient relativement serrés même si la victoire était suffisamment nette 33. Le second tour de la présidentielle a des effets démultiplicateurs. Cela tient d’abord au fait que, quels que soient le nombre des voix obtenus par les différents candidats et leurs écarts, deux candidatures et deux seulement sont retenues pour la phase finale de la compétition34. Le souci du constituant de 1958 était bien d’éviter les procès en légitimité. On peut avoir été battu d’une encolure comme disent les tur- fistes ou d’une courte tête en athlétisme, c’est ainsi. On connaît la formule prêtée jadis au socialiste SFIO Bracke-Desrousseaux pour justifier le désistement républicain : « au premier tour, on choisit ; au second, on élimine ». Par définition, le vote de second tour va au-delà des choix positifs. B) La participation La participation à l’élection présidentielle peut s’analyser de plusieurs manières. Il y a des inscrits mais aussi des non-inscrits (radiations, par exemple, à la suite d’un déménagement sans que l’intéressé se soit réinscrit dans sa nouvelle commune). Dans certains cas, ces non-inscriptions sont un choix et pas seulement un renoncement passif. Il y a des inscrits qui viennent voter et ceux qui ne se déplacent pas. La pression sociale peut jouer, notamment sur les élections jugées importantes : c’est le cas d’élection présidentielle mais aussi des municipales (effet de proximité). Parmi ceux qui votent, il y a ceux qui choi- sissent un candidat et ceux qui votent blanc ou nul, parfois dès le premier tour même s’il y a pléthore de candidatures (parfois à cause d’elle). Pour mesurer la participation sans alourdir l’étude, nous avons repris, de 1965 à 2017, le rapport entre les suffrages exprimés (les votes sur un candidat, déduction faite des nuls et blancs) et le nombre d’électeurs inscrits. Le choix se discute (on aurait pu comparer les votants aux inscrits). Inversement, pourquoi inclure les abstentionnistes « actifs » (ceux qui votent sans choisir un candidat parmi ceux pro- posés) par rapport aux abstentionnistes « passifs » (qui ne se déplacent pas, quelle qu’en soit la raison) ? Les « non-inscrits » constituant une « zone grise », nous avons préféré ne pas y faire référence par com- modité. 32 La France insoumise avait appelé à ne pas voter Marine Le Pen, sans exclure l’abstention ou le vote blanc. Les Républicains avaient été également divisés, certains appelant explicitement à voter Macron au 2e tour, d’autres à ne pas voter Le Pen comme le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti qui a publiquement revendiqué son vote blanc. Sur les débats au sein de LR, voir cette archive du Lab politique Europe 1 : « Présidentielle : sitôt adoptée (sans vote), la position de LR pour le 2nd tour fracture le parti », Étienne Baldit, 24/4/17 [URL consultée le 16/8/18] ! http://lelab.europe1.fr/presidentielle-sitot-adoptee-sans-vote-la-position-de-lr-pour-le-2nd-tour-divise-le-parti- 3310514. 33 Le 10 mai 1981, François Mitterrand a été élu face à Valéry Giscard d’Estaing avec 51,8 % des suffrages contre 48,2 % à son adversaire. Il n’avait obtenu que 43,2 % des suffrages des inscrits dans une élection très clivante alors. On rappellera que de Gaulle en 1965 avait recueilli des inscrits face à François Mitterrand (en 1958, le Général avait été élu par un collège de grands électeurs). En 1969, Georges Pompidou avait recueilli des inscrits face au président du Sénat Alain Poher (mais il y avait le mot d’ordre du PC appelant à l’abstention : « blanc bonnet et bonnet blanc »). En 1974, opposé pour la première 34 Par parallélisme de formes ou par analogie, ce fut le cas aussi en 2017 pour les primaires EELV, LR et Belle Alliance populaire. C’était le principe retenu en 1995, 2007 et 2012 pour les primaires socialistes (en 2007, Ségolène Royal remporta la primaire de son camp au premier tour). 12 | 31
Vous pouvez aussi lire