L'alcoolisme Une forme déguisée de suicide - Lomer Pilote et Guy Quesnel - Érudit
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Document généré le 12 juil. 2022 13:05 Frontières Recherche L’alcoolisme Une forme déguisée de suicide Lomer Pilote et Guy Quesnel Volume 12, numéro 1, automne 1999 Résumé de l'article Suicides, générations et culture Ce court article porte sur l’association entre le suicide et d’autres phénomènes psychosociaux, comme l’alcoolisme et la dépression. Des chercheurs ont URI : https://id.erudit.org/iderudit/1074511ar constaté et étudié ce phénomène, plus particulièrement chez les professionnels DOI : https://doi.org/10.7202/1074511ar pratiquant dans des conditions particulièrement stressantes, tels les avocats et les médecins. Ces conditions stressantes favorisent la combinaison de deux comorbidités interreliées au suicide : la dépression et l’abus de consommations Aller au sommaire du numéro alcooliques. Nous proposons notre propre hypothèse pour expliquer ces combinaisons à risque surmultiplié. L’alcool ne ferait pas qu’ajouter son propre effet dépressif sur le système nerveux central aux effets dépressifs Éditeur(s) cliniques d’autres agents dépresseurs; il augmenterait et multiplierait par amplification l’effet dépressif du premier agent, d’où l’augmentation Université du Québec à Montréal correspondante du risque de suicide. ISSN 1180-3479 (imprimé) 1916-0976 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pilote, L. & Quesnel, G. (1999). L’alcoolisme : une forme déguisée de suicide. Frontières, 12(1), 69–72. https://doi.org/10.7202/1074511ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2000 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
R E C H E R C H E Résumé L’alcoolisme Ce court article porte sur l’association entre le suicide et d’autres phénomènes Une forme déguisée de suicide psychosociaux, comme l’alcoolisme et la dépression. Des chercheurs ont constaté et étudié ce phénomène, plus particuliè- rement chez les professionnels prati- quant dans des conditions particulière- ment stressantes, tels les avocats et les médecins. Ces conditions stressantes favorisent la combinaison de deux comorbidités interreliées au suicide: la dépression et l’abus de consommations Benoît Laverdière, La table en a marre des activités incongrues de ce personnage, illustration. alcooliques. Nous proposons notre propre hypothèse pour expliquer ces combinaisons à risque surmultiplié. L’alcool ne ferait pas qu’ajouter son propre effet dépressif sur le système ner- veux central aux effets dépressifs cli- niques d’autres agents dépresseurs; il augmenterait et multiplierait par ampli- fication l’effet dépressif du premier agent, d’où l’augmentation correspon- dante du risque de suicide. Mots clés: suicide – alcoolisme – dépres- sion – stress Abstract This short paper concerns the association of suicidal with other psychosocial phe- nomenas such as alcoholism and depres- sion. Some investigators have observed and studied this phenomenon specially among practitioners of liberal profes- sions such as lawyers and medical doc- tors. Those professions are particuliarly stressing and thus favour the combina- tion of two other interrelated comorbidi- risque élevé que sont le stress et la Lomer Pilote, ties: depression and abuse of alcohol. We médecin et avocat. dépression y sont bien documentés. Il ne suggest our own hypothesis to explain s’agit pas d’une recherche portant sur those multiplied risks. Alcohol would not Guy Quesnel, avocat, gestionnaire du Programme d’aide aux membres des sujets choisis qui auraient accepté only add its own effect of depression on du Barreau du Québec (PAMBA). préalablement la divulgation des don- the central nervous system, it would mul- tiply by potentialization the depressive nées recueillies. Les observations effect of the first agent. And as a result, L’affirmation lapidaire exprimée par recueillies auprès d’un groupe d’avocats the abuse of alcohol does cause a corres- le titre de cet article a cours dans les ont été faites à l’occasion de consulta- ponding increase of suicidals. milieux qui s’occupent du phénomène tions, dans le plus strict anonymat. de l’alcoolisme. Mais qu’en est-il réelle- Dans une étude commandée par le Key words: suicide – alcoholism – depres- ment, et que cherche-t-on à atteindre Comité permanent de lutte à la toxico- sion – stress par cette déclaration? Dans ce court tra- manie, Michel Tousignant et Tyna vail, nous nous proposons de développer Payette ont constaté que «les per- l’idée d’un lien majeur entre le suicide et sonnes qui ont un diagnostic relié aux la dépression. Notre hypothèse d’expli- substances psychoactives sont beau- cation est celle de l’effet multiplicateur coup plus à risque de se suicider que la que l’alcool exerce sur la dépression. La population générale en bonne santé profession d’avocat est citée en exemple mentale 1». pour illustrer nos propos, tout simple- Chez les AA, on dit, mi-figue mi-rai- ment parce que les deux facteurs à sin, que «l’alcoolique, c’est une personne 69 F R O N T I È R E S / AUTOMNE 1999
qui veut se suicider, mais qui n’est pas terme, ni à plus ou moins long terme. Le Dans cette recherche, les auteurs pressée». Aucune urgence pour sujet se ment à lui-même, en feignant de estiment que le taux annuel de suicide atteindre le but recherché inconsciem- ne pas prendre conscience que son com- chez les alcooliques du Québec est de ment, mais l’abus continue, même si le portement déviant le rapproche d’une cinq à six fois plus élevé que dans la comportement autodestructeur est perçu mort de plus en plus probable. population adulte 7 en général. Par plus ou moins consciemment. L’intuition Notre but n’est pas de démontrer ailleurs, en faisant le calcul des risques à précitée chez les AA ne découle évidem- scientifiquement, par probabilité statis- vie de mortalité par suicide, ils ont cal- ment pas d’une démonstration scienti- tique, que la consommation excessive culé que «les personnes qui souffrent fique avec preuve expérimentale à l’ap- d’alcool chez certains professionnels d’un trouble relié à l’alcool ont donc [...] pui. (plus spécifiquement les avocats) les 75 fois plus de chances de s’enlever la L’expérience vécue au quotidien par prédispose au suicide. Notre hypothèse vie que les personnes sans troubles psy- des milliers d’alcooliques reconnus qui est plus modeste et se résume à ceci: à chiatriques 8 ». Également, Murphy et essaient de s’en sortir montre que les cas partir de certaines études, il est possible Wetzel (1990) évaluent les «chances» de suicides patents sont fréquents. de postuler que le taux élevé de suicides entre 60 et 1209. Personne ne met en doute le fait que l’al- chez les avocats est explicable et d’au- coolisme soit une maladie très grave tant plus prévisible quand l’alcoolisme ALCOOLISME ET DÉPRESSION dont l’issue, à plus ou moins long terme, vient se surajouter – pour l’amplifier – à Mais, dans cette étude, ce que souli- est soit la mort, la folie ou la prison. La un facteur psychosocial identifié comme gnent les auteurs, c’est surtout l’associa- mort ne vient pas toujours par suicide, syndrome général de dépression. Nous tion très fréquente d’une comorbidité mais elle peut survenir par des compli- suggérerons d’abord que, de façon géné- psychiatrique présente chez les alcoo- cations organiques, comme la cirrhose rale, l’alcoolisme est un facteur de risque liques qui se suicident. Pour les fins de du foie2 ou, indirectement, par toutes qui augmente à lui seul les probabilités ce travail, nous retiendrons uniquement, sortes d’accidents mortels dont l’élé- de suicide dans la population générale. comme comorbidité associée, les ment déclencheur est l’abus d’alcool. Nous établirons ensuite qu’un autre fac- troubles dépressifs. Ceux-ci sont pré- Dans le même ordre d’idées, Lester sou- teur de risque, très fréquemment associé sents dans une forte proportion des cas. ligne que «This review of the litterature à l’alcoolisme, est la dépression. Dans l’étude québécoise de Lesage et al., has clearly indicated that substance Soulignons que l’alcool peut aggraver la dépression majeure est l’un des trois abuse is associated with increased like- une dépression. Bien plus, toutes les troubles psychiatriques associés dans lihood of suicide3». professions génératrices d’angoisse peu- «64 % des cas de suicides10». Ils rappor- L’un des auteurs de cet article est ges- vent en favoriser la surconsommation. tent une autopsie psychologique de tionnaire d’un programme d’aide aux Finalement, nous montrerons comment Henriksson et al. (1993), où il est dit que avocats du Québec (PAMBA). Ce pro- la pratique de la profession d’avocat «93 % (N = 214) reçoivent un diagnostic gramme est destiné aux avocats qui ont peut être considéré comme un facteur de de l’axe I du DSM-III qui inclut en des problèmes de toxicomanie ou autres risque qui peut conduire à la dépression majorité les troubles dépressifs et les troubles psychologiques débilitants. On et prédisposer à l’alcoolisme et au suici- troubles reliés à l’alcoolisme 11 ». Ils y reçoit environ 150 demandes d’aide de par la combinaison de ces deux élé- citent une étude finlandaise confir- par année, et on y relève au moins deux ments. Et, plus généralement, nous sou- mant que la plus importante comorbidi- cas de suicide annuellement, même si lignerons comment l’association de l’al- té associée au suicide alcoolique est un cela n’est pas prouvé statistiquement. coolisme et de la dépression prédispose syndrome dépressif12. Ces études leur Comme le suggère le titre de cet à la tendance suicidaire, pour ne pas permettent de conclure que «la comor- article, nous partirons de l’intuition dire que le suicide en est presque le but bidité est très élevée chez les alcooliques selon laquelle l’alcoolisme est une forme finalement recherché, du moins au qui se suicident. Entre la moitié et les déguisée de suicide. Le terme «suicide» niveau de l’inconscient. trois quarts ont un trouble dépressif13». n’est évidemment pas employé ici avec la rigueur scientifique d’un Durkheim. ALCOOLISME ET SUICIDE STATISTIQUES Ce dernier a défini ainsi: «On appelle Dans leur travail précité, Tousignant CHEZ LES PROFESSIONNELS suicide tout cas de mort qui résulte et Payette ont démontré que l’abus d’al- D’une part, le taux d’abus de sub- directement ou indirectement d’un acte cool et le suicide sont interreliés. Des stance, spécialement de l’alcool, est positif ou négatif, accompli par la victi- statistiques significatives sont citées en beaucoup plus élevé chez les profession- me elle-même, et qu’elle savait devoir abondance sur ce thème. Les auteurs nels que dans la population adulte en produire ce résultat. La tentative, c’est reprennent les statistiques de Lesage et général. En 1993, le Ministère fédéral de l’acte ainsi défini, mais arrêté avant que al. (1994) montrant que dans un groupe la Santé rendait public un rapport d’en- la mort en soit résultée4». Pour les fins de 75 cas de suicides, un quart des indi- quête portant sur les abus d’alcool chez scientifiques poursuivies par le socio- vidus présente une dépendance à l’al- les professionnels, notamment les avo- logue, une définition aussi restrictive cool5. Ils affirment en résumé que: cats et les médecins14. Même si les était nécessaire. Dans ce court article il Pour les fins de cet exercice, chiffres ne permettent pas de conclure ne s’agit pas du suicide patent par déci- nous allons arrondir légèrement que les services rendus auraient été sion ponctuelle de provoquer sa propre à la baisse, c’est-à-dire au niveau compromis d’autant, ils ont permis à un mort, mais d’une maladie considérée de 25 %, ce qui est la moyenne journal de publier le gros titre suivant: généralement comme un «suicide dégui- obtenue de l’ensemble des études «33 % des avocats et 15 % des médecins sé». On veut ainsi parler d’un processus d’autopsies psychologiques, la ont un problème d’alcool15». d’autodestruction progressif dont le proportion des personnes qui Une importante étude16 a spécifique- résultat final, à plus ou moins long s’enlèvent la vie et qui souffrent ment ciblé les avocats pour déterminer terme, peut aboutir à la mort; celle-ci en même temps d’un trouble les incidences associées et interreliées de n’est pas visée consciemment, ni à court relié à l’alcool au Québec6. l’alcoolisme et des troubles dépressifs F R O N T I È R E S / AUTOMNE 1999 70
IL EST INDÉNIABLE QUE LES PROBLÈMES RELIÉS risque qu’une personne déprimée ait recours au suicide comme solution fina- À L’ABUS D’ALCOOL SONT TRÈS SOUVENT ASSOCIÉS le. Si nous avons bien interprété les explications de ces auteurs, il faudrait À DES ÉTATS DÉPRESSIFS. conclure que les effets des abus d’alcool et des états dépressifs ne font qu’addi- tionner arithmétiquement leurs effets respectifs à la tendance suicidaire, pour expliquer le niveau élevé de suicide lors- qu’ils sont combinés chez la même per- pouvant aller jusqu’au suicide chez ces Se référant toujours à Murphy et Wetzel, sonne. Nous suggérons une explication professionnels. Ces auteurs ont démon- ils concluent que: additionnelle pour expliquer la multipli- tré que le niveau de détresse psycholo- Finalement, l’étude compare 82 cation des effets de ces facteurs de gique (notamment le stress et la dépres- cas de suicides alcooliques avec risque. Pour nous, ces deux facteurs ne sion) commence à s’élever au-dessus de un sous-échantillon de suicides font pas qu’additionner leurs effets: il la moyenne générale dès le début des non alcooliques ayant un syndro- s’agit plutôt d’un mécanisme de multipli- études de droit17. Chez les avocats de me de dépression majeure. cation et d’amplification30. Washington, l’état dépressif élevé et les Encore ici, le premier groupe problèmes reliés à l’abus d’alcool durant présente plus de facteurs de L’EFFET AMPLIFICATEUR toute la carrière étaient le plus souvent risque. En conclusion, il ne faut En médecine, on connaît bien ce accompagnés d’idées suicidaires18. Ces pas considérer l’effet indépen- phénomène. Si on administre un deuxiè- auteurs décrivent la dépression comme dant de chaque facteur mais plu- me médicament en ajout à un premier, il présentant des symptômes d’humeur tôt leur effet cumulatif25. peut arriver que l’effet du deuxième dysphorique qui produisent des Ces auteurs semblent endosser l’opi- médicament, en plus de s’ajouter à celui manques de motivation et un retrait nion de Murphy pour interpréter ces du premier, en multiplie l’effet. De sorte d’intérêt dans la vie en général 19 . associations de facteurs additionnels de que, si tel est le cas, il faut se méfier et L’alcool est alors d’abord utilisé pour risque comme une énigme devant tenir calculer les doses en étant conscient du réduire le niveau de stress, augmenté par compte de l’intention du suicidé. Chez fait que la somme des deux effets ne sera la pratique du droit. La détresse psycho- ces personnes à risque plus élevé, «le pas une simple addition mais qu’il fau- logique de l’avocat qui pratique est aussi suicide fait partie de leur répertoire dra multiplier l’effet du premier par deux aggravée par des variables autres que comportemental26». ou trois ou quatre, selon les cas. Ainsi le l’abus d’alcool et la dépression, telles Tousignant et Payette ont retenu trois Compendium des produits et spécialités que l’agressivité, l’âge, le statut marital, théories explicatives des cas de suicides pharmaceutiques avertit les médecins de le milieu familial, le support social et les étudiés. Nous ne discuterons que de la tenir compte de cette possibilité lors- changements répétés de milieu de tra- troisième explication qui se lit ainsi: «Le qu’ils combinent certains médicaments. vail. De hauts niveaux d’insatisfaction suicide de l’alcoolique (ou de la person- De même, la compagnie produisant le liée à ces facteurs peuvent déclencher ou ne dépendante à d’autres drogues) est Rivotril spécifie que son effet dépressif31 aggraver l’état dépressif20. Il peut se médiatisée (sic) par l’établissement d’un du système nerveux central peut être créer ainsi un cercle vicieux où la per- état dépressogène27». Pour ces auteurs, potentialisé (c’est-à-dire intensifié par sonne déprimée va voir ses difficultés de c’est la combinaison alcool-dépression multiplication) par d’autres agents relations interpersonnelles se gâter qui est le facteur de risque le plus impor- «comme l’alcool, les narcotiques, les davantage et le vide se faire graduelle- tant. Alors peuvent entrer en ligne de hypnotiques non barbituriques, les ment autour d’elle21, augmentant ainsi compte d’autres facteurs de risques asso- anxiolytiques, les phenothiazines, les l’état dépressif. ciés chez l’alcoolique en dépression. Ces antipsychotiques de la classe du auteurs les considèrent comme un «syn- thioxanthène et de la butyrophénone, DISCUSSION drome de suicidalité28», lequel inclut le les inhibiteurs de la MAO et les antidé- Dans un premier temps, Tousignant sentiment de solitude, l’état de déses- presseurs tricycliques32». Un avertisse- et Payette ont voulu vérifier si la poir, la pensée obsessionnelle ou rumi- ment semblable est fait à propos d’un consommation de psychotropes pouvait nation d’idées noires, et le retrait social. autre dépresseur du système nerveux être interprétée comme une cause direc- C’est leur émergence chez un alcoolique central, le Valium. On y lit que la te ou indirecte du suicide. Ils citent en dépression qui est le principal facteur potentialisation est à surveiller: «Les Murphy pour démontrer qu’en cas de du risque de passer à l’acte. Pour eux, autres médicaments psychotropes [...] suicide, «la préparation de l’acte était c’est l’abus d’alcool qui est le principal peuvent potentialiser l’effet du diaze- fort avancée avant le début de la derniè- déclencheur, surtout s’il est combiné à la pam. Comme le diazepam exerce un re intoxication qui a accompagné le sui- dépression. Le risque est aussi plus élevé effet dépressif sur le SNC [système ner- cide22». Ils affirment donc que, pour cet chez ces personnes que chez «celles qui veux central], les patients recevant ce auteur, «l’alcool est davantage un cataly- ont un diagnostic psychiatrique sans médicament doivent s’abstenir de seur qu’une cause immédiate23». abus de substance29». consommer de l’alcool ou de prendre Ces auteurs préfèrent considérer les Nous sommes d’accord avec les d’autres dépresseurs du SNC 33 ». comorbidités associées au suicide conclusions de ces auteurs. Il est indé- Comme on peut le constater, l’alcool comme des facteurs de risque: «Les niable que les problèmes reliés à l’abus (qui est aussi un dépresseur du système recherches démontrent que la plupart d’alcool sont très souvent associés à des nerveux central) peut amplifier l’effet des comportements de déviance ne sur- états dépressifs. Ces deux facteurs dépressif de tout autre agent dont l’effet viennent que lors de la présence simul- auraient des effets cumulatifs, par leur est aussi la dépression du système ner- tanée de multiples facteurs de risque24». simple association, pour augmenter le veux central. 71 F R O N T I È R E S / AUTOMNE 1999
Notre hypothèse est donc la suivan- Notes l’effet unique des deux médicaments asso- te: l’addition d’alcool chez une personne 1 M. TOUSIGNANT et T. PAYETTE, Suici- ciés est celui d’une simple addition déjà déprimée par un autre agent (que de et toxicomanie: deux phénomènes inter- mathématique des deux effets, alors que, reliés, Comité permanent de lutte à la dans la potentialisation, l’effet d’un médi- celui-ci soit chimique ou de toute autre cament est multiplié par l’addition de toxicomanie, Gouvernement du Québec, nature) peut amplifier l’effet dépressif du Bibliothèque nationale du Québec, 1997, l’action de l’autre. Comme nous visons un premier agent causal de l’état dépressif. p. 38. effet multiplicatif dans notre hypothèse, En d’autres mots, une personne déjà 2 Seulement en France, au moins 50 000 nous préférons utiliser le terme de déprimée peut voir son état dépressif personnes meurent de cirrhose du foie «amplification» dans le sens de l’anglicis- surmultiplié si elle y ajoute l’action chaque année. me potentialization. 3 D. LESTER, «Alcoholism and Drug 31 Nous sommes bien conscients que l’effet dépressive amplificatrice de l’alcool. Et Abuse», dans Assessment and Prediction dépresseur d’un médicament ou de l’al- cette amplification sera encore aggravée cool ne vise que son action sur le système of Suicide, R. W. MARIS et al. (dir. publ.), selon la progression des quantités d’al- New York, Guilford, 1992, p. 331. neuronal du cerveau et ne se superpose cool prises en excès. Alors, comment 4 E. DURKHEIM, Le suicide, Paris, Presses pas nécessairement de façon exactement mesurer le moment où l’état dépressif Universitaires de France, Quadrige, 1930, conforme aux symptômes cliniques de sera suffisant pour que la personne p. 5. l’état dépressif du patient. Mais la distinc- 5 M. TOUSIGNANT et T. PAYETTE, ibid, p. 3. tion ne nous a pas semblé assez impor- déprimée décide de passer à l’acte irré- 6 Ibid., p. 5. tante pour les fins de nos hypothèses médiable du suicide? générales pour justifier l’allongement dis- 7 Ibid., p. 9. Nous n’avons aucune statistique 8 Ibid., p. 10. proportionné de notre texte. pour démontrer notre hypothèse. Nous 9 Ibid. 32 ASSOCIATION PHARMACEUTIQUE espérons seulement que d’autres cher- 10 Ibid., p. 3. CANADIENNE, Compendium des pro- cheurs puissent en tenir compte. Si elle 11 Ibid. duits et spécialités pharmaceutiques, était fondée, il faudrait considérer les 12 Ibid., p. 4. volume 1, trente-quatrième édition, 1999, 13 Ibid., p. 5. p. 1783. risques accrus de suicide chez les per- 33 Ibid., p. 2133. 14 J. M. BREWSTER, Drug Use among sonnes déjà déprimées qui consomme- Canadian Professionnals, Addiction 34 K. MENNINGEN, Man against Himself, raient en plus de l’alcool. Ne jouent-elles Research Foundation of Ontario, février New York, Harcourt & World, 1938, cité pas à la roulette russe? Les interve- 25, 1993, p. 1-50. par D. LESTER, «Alcoholism and Drug nants/tes auprès de ces personnes à 15 PRESSE CANADIENNE, «33 % des avo- Abuse», dans MARIS et al. (dir. publ.), risque ne devraient-ils pas en tenir cats et 15 % des médecins ont un problè- ibid., p. 321-336. me d’alcool», La Presse, 7 juin 1993, 35 Une étude publiée en décembre 1996 a compte dans leurs thérapies? Un tel p. A-7. été faite par des chercheurs de l’Institut comportement est l’équivalent d’un sui- national sur les abus d’alcool et l’alcoolis- 16 Connie J. A. BECK, B. D. SALES et G. cide à retardement et déguisé pour une Andrew H. BENJAMIN, «Lawyer me (NIAAA). Ces chercheurs financés personne qui n’a plus le goût de vivre et Distress: Alcohol-Related Problems and par le gouvernement américain ont fait pour qui la vie n’a plus aucun sens. Ce Other Psychological Concerns among a une étude portant sur 1726 patients. n’est pas sans fondement que les toxico- Sample of Practicing Lawyers», Journal of Ceux-ci ont été observés pendant une Law and Health, vol. 10, Issue I, 1995-96, période de huit ans. Pour fins de compa- manies, dont l’alcoolisme, sont considé- p. 1-60. raison quant à l’efficacité, ils les ont divi- rées par plusieurs comme un véritable sés en trois grands groupes: un premier 17 Ibid., p. 4. processus d’autodestruction, spéciale- 18 Ibid., p. 5 et 11. groupe fonctionnant selon la méthode en ment chez les personnes déprimées. 19 Ibid., p. 14. 12 étapes des Alcooliques Anonymes, un Lester cite Menningen qui s’était expri- 20 Ibid., p. 54. deuxième groupe fondé sur les comporte- mé sur ce thème 50 ans plus tôt: 21 Ibid. ments psychosociaux, et un troisième «Substance abuse itself is a self-destruc- 22 M. TOUSIGNANT et T. PAYETTE, ibid, groupe témoin pour les patients sans p. 15. Cité par G.E. MURPHY, R.D. motivations ni ressources intérieures pour tion (and suicidal) behavior34». Pour préserver leur sobriété. Le groupe des AA WETZEL, «The Lifetime Risk of Suicide redonner un sens à la vie à des per- in Alcoholism», Archives of General s’est avéré le plus efficace des trois, sur- sonnes déprimées qui ont en plus une Psychiatry, vol. 47, 1990. p. 383-392. tout chez les personnes à fortes convic- dépendance à l’alcool, la solution des 23 Ibid. tions religieuses ou spirituelles. Alcooliques anonymes, combinant l’abs- 24 Ibid., p. 28. Sous le titre «L’arme la plus efficace contre tinence et une approche spirituelle, 25 Ibid., p. 29-30. l’alcoolisme: le programme des AA», 26 Ibid. Le Journal de Montréal, 19 décembre seraient peut-être une formule à consi- 27 Ibid., p. 36. 1996, p. 54. dérer avec plus de sérieux pour prévenir 28 Ibid., p. 37. les suicides alcooliques. Ce mouvement 29 Ibid., p. 38. qui compte au moins deux millions de 30 Nous employons le mot «amplification» membres dans près de 150 pays a déjà pour éviter toute ambiguïté. Tel n’aurait démontré son efficacité35. pas été le cas si nous avions utilisé les termes «synergie» ou bien celui de «potentialisation». Si on se réfère aux définitions des dictionnaires, le mot synergie «est introduit pour désigner l’ac- tion coordonnée de plusieurs organes concourant à un effet unique» alors que «potentialisation» est une traduction du terme anglais (1865) potentialization pour signifier plutôt «l’augmentation de l’action de deux médicaments pris ensemble». Il nous semble que la nuance entre les deux termes serait celle-ci, selon nous. Dans la synergie, l’augmentation de F R O N T I È R E S / AUTOMNE 1999 72
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