L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
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L’ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l’impossible héritage Mémoire de Julie Faivre Sous la direction d’Aurelien Lemonier École Camondo - 2021
Je tiens à remercier, Aurélien Lemonier, pour son accompagnement et ses precieux conseils tout au long de la rédaction de ce mémoire. Zakia, Jean Baptiste et Thomas pour leur soutien, leur attention et leurs multiple relectures. Lamia Mansouri , Halim Faidi et Nourredine Brahimi pour leur disponibilité et leur aide précieuse.
« Alger est-elle francaise ou arabe, ou du moins mauresque ? Cela dépend ....»1 1 BERQUE, Jacques, « Mémoires des deux rives », Paris, Seuil, 1989
6 8 avant-propos 10 introduction la période coloniale face à 15 l’architecture tradtionnelle algérienne 16 l’architecture traditionnelle, source d’inspiration pour l’architecture coloniale à la recherche d’une ecriture architectural la fascination pour l’Afrique du Nord 26 la recherche d’un processus d’urbanisation plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville d’Alger plan d’aménagement régional 32 la doctrine moderne le premier mouvement moderne l’habitat pour le plus grand nombre la question du bidonville 46 une tentative de rattrapage la bataille du logement le tremblement de terre d’Orléansville le plan Constantine (1958-1961) 67 une possible réappropriation ? 68 au lendemain de l’independance à la recherche d’une architecture adaptée vers une architecture algérienne Sommaire 82 étude de cas : la Casbah 92 l’héritage architectural 98 conclusion 102 bibliographie
8 Originaire d’Algérie, je connais mal ce pays chargé d’histoire. Ma connaissance s’arrêtait aux enseignements du lycée et aux souvenirs de jeunesse de ma grand- mère. J’ai pourtant eu l’occasion de vivre à Alger durant mon année de baccalauréat. C’est à ce moment que je fus témoin de la beauté de cette ville, et des différents paysages qu’elle offre. C’est pendant cette dernière année de lycée que mon goût pour l’architecture d’intérieur s’est révélé. Peut-être une inspiration inconsciente ? J’ai eu la chance de vivre dans une maison de type neo mauresque, la villa Nedjma sur le balcon Saint Raphael qui domine la baie immense. Un changement d’environnement total qui a certainement avec du recul, inspiré mon goût pour ce domaine. Lorsque la question du sujet de mémoire s’est posée, je savais que c’était l’occasion pour moi d’en comprendre plus sur ce pays. L’histoire coloniale est encore très présente même si ce n est plus la préoccupation principale des nouvelles générations. Elle ne m’a jamais été enseignée car déjà connue de tous mes camarades. C’est donc, quelques années plus tard, avec un regard de futur architecte d’intérieur que je me suis penchée modestement sur le sujet. Il était temps de comprendre Avant-propos un peu mieux ce qui avait amené des architectes comme Fernand Pouillon ou Oscar Niemeyer à réaliser leurs projets dans un pays qui mélange notamment architecture haussmannienne et architecture traditionnelle algérienne et beaucoup d’autres styles.
10 Cent trente-deux ans de présence française ont profondément marqué l’Algérie, y compris au plan architectural. Dès 1830, la conquête entraine une large destruction de la ville traditionnelle d’Alger et conduit à une reconfiguration de l’espace urbain, façonnée par les soldats du génie militaire, qui ont la tache d’organiser et de construire le territoire afin d’y accueillir les troupes ainsi que les populations européennes. Les première manifestations de l’architecture française se font sur les édifices de prestige de l’époque ottomane, comme dans le palais Dar Aziza. On adapte l’architecture locale aux codes esthétiques européens. C’est à partir de 1860 que commence à se cristalliser de façon durable, le schéma architectural de la ville française en Algérie. La ville sort des limites historiques, afin de développer et d’étendre de nouveaux quartiers européens pour placer Alger au rang de grande capitale. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les projets de l’architecte Frédéric Chassériau, qui incarne la première phase civile, après celle des plans militaires. Le courant néo-classique prôné par les Beaux-Arts de Paris, s’érige en modèle dominant dans les principaux édifices de la ville, comme en témoigne l’ensemble du boulevard de l’Impératrice Eugénie (actuel Boulevard Ernesto Che Guevara) sur le front de mer, conçu Introduction sur le modèle de la rue de Rivoli, à Paris. La période entre 1860 et 1930, est la plus féconde de toute la période coloniale en styles et courants architecturaux. Cette période pose les fondements sur lesquels le
12 L’architecture algérienne : l’impossible héritage mouvement moderne se développe par la suite et qui par différents plan d’urbanisme crée le paysage algérien de cette phase coloniale. Lors de l’indépendance, l’Algérie est donc confrontée à la réception d’écritures architecturales coloniale dont elle se retrouve dépositaire. Il s’agit alors pour les premières générations d’architectes algériens, dans un contexte politique sensible, de se positionner face aux différents traitements urbanistiques qu’a connus leur pays afin de développer une architecture algérienne propre. L’objet de ce mémoire est ainsi d’essayer d’apporter un regard croisé sur les enjeux communs ou distincts de l’élaboration de l’architecture en Algérie durant ces deux périodes et de comprendre comment ces architectures ont pu se développer dans un mouvement de continuité ou de discontinuité. Nous savons pour autant que les deux situations étaient naturellement très différentes : conquête d’un territoire dans le cadre de l’extension de l’empire français dans le premier cas, affirmation et construction d’une nation dans le second. Pour cela, nous nous intéresserons premièrement à la période coloniale qui s’ancre dans un contexte architectural traditionnel algérien, en évoquant les quatre points suivant: l’architecture traditionnelle comme source d’inspiration pour une architecture coloniale, la recherche d’un processus d’urbanisation, la doctrine moderne et finalement une tentative de rattrapage. Dans un second temps, nous essayerons de comprendre si et comment, au lendemain de l’indépendance, une réappropriation de l’architecture laissée par la colonisation s’est avérée possible en apportant un éclairage sur trois aspects distincts : l’architecture au lendemain de l’indépendance, la Casbah et de manière plus générale enfin l’héritage architectural. Boulevard Ernesto Che Guevara, Frédéric Chassériau © photographe inconnu, s.d.
16 L’architecture traditionelle, soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale À LA RECHERCHE D’UNE ÉCRITURE ARCHITECTURAL Jusqu’au début des années 1900, le modèle architectural colonial en Algérie puise principalement ses inspirations dans le modèle parisien, on voit se developper une haussmannisation du paysage urbain. On retrouve dans les édifices construits en Algérie un style qui renvoie aux style européens et aux références éclectiques enseignées à l’École des Beaux-Arts. Malik Chebahi explique dans sa thèse traitant sur l’enseignement de l’architecture des Beaux-Arts à Alger, que jusqu’au tournant du XXeme siècle, « l’environnement professionnel des architectes est étroitement lié aux milieux entrepreneuriats et politiques » et que s’est « instaurée une forte dichotomie dans l’accès à la commande ». D’un coté se trouvent les architectes de gouvernement, formés à l’école de Beaux-Arts de Paris, à qui étaient réservés les projets publics et l’autre le « second plan, diplômés à Alger ou autodidactes, aux parcours plus éclectiques »², à qui étaient confiés les projets privés et L’architecture traditionnelle, communaux et qui étaient les auteurs de la plus grande partie des immeubles résidentiels de la ville. source d’inspiration pour l’architecture coloniale 2 CHEBAHI, Malik, « L’enseignement de l’architecture à l’École des Beaux- arts d’Alger et le modèle métropolitain : réceptions et appropriation », thèse de doctorat, Université Paris-Est Marne-La-Vallée, 2013
18 L’architecture algérienne : l’impossible héritage L’architecture traditionelle, soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale Au tournant du siècle, l’Algérie française cherche à se forger une identité architecturale, à partir des constructions existantes dans le contexte local, afin de symboliser la quête d’une identité politique, culturelle et l’acquisition de nouvelles libertés. L’architecture néo-mauresque apparaît, de nombreux bâtiments publics voient le jour comme la grande Poste, ainsi que le Musée d’Art Moderne et contemporain d’Alger (l’ex Galerie de France). Cette architecture aux tendances « orientalistes », donne une image de la France protectrice des traditions du pays, permet de marquer une rupture avec la tradition coloniale, en réconciliant l’Orient et l’Occident. Elle pose ses fondements sur architecture une architecture européenne habillée d’une architecture mauresque en y ajoutant des arcs, des coupoles, des portes massives sculptées, de la faïence et de la mosaïque. À partir des années 1930, cette architecture disparaît progressivement au profit d’une vision moderniste mettant en avant le caractère méditerranéen de l’Algérie. Le mouvement moderne apparaît sur la scène algérienne avec des architectes tels que Marcel Lathuillière ou Paul Guion qui y réalise le musée national des beaux-arts, qui seront appelés les « algerianistes ». Ce mouvement « algérianiste » est influencée par Le Corbusier. Rue Didouche Mourad © Iñaki do Campo Gan, 2012
20 L’architecture algérienne : l’impossible héritage L’architecture traditionelle, soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale LA FASCINATION POUR L’AFRIQUE DU NORD Le Corbusier en Algérie est presque devenu un mythe, aujourd’hui comme le dirait Jean Jacques Deluz dans « La chronique Urbaine »³. La fascination de Le Corbusier pour l’Orient s’explique par deux expériences personnelles. La première en 1911, est son premier voyage d’Orient, qui le conduit jusqu’à Constantinople, à l’âge de vingt ans pour parfaire sa formation, puis un second voyage, dans les années 30, qui le mène jusqu’à Alger et dans le Mzab. C’est à ce moment qu’il découvre l’Algérie et tombe instinctivement sous le charme de la casbah : « La casbah d’Alger, elle a fait le site : elle a donné le nom d’Alger la blanche à cette apparition étincelante qui accueille à l’aube les bateaux arrivant au port. Inscrite dans le site, elle est irréfutable. Elle est en consonance avec la nature.»⁴. Il est convaincu, de l’importance de la préservation de ce site, du moins de sa partie haute : « L’adorable Casbah que l’on peut aménager, mais que jamais, non jamais, on ne doit détruire. »⁵. 3 DELUZ, Jean-Jacques, « chronique urbaine », publié dans l’hebdomadaire « Les débats », semaine du 20 au 26 juin 2007. 4 Le Corbusier, « Le folklore est l’expression fleurie des tractions », Voici la France de ce mois, n°16, juin 1941, p.1 5 Le Corbusier, « La ville radieuse », L’Architecture d’Aujourd’hui, 1935, p.229
22 L’architecture algérienne : l’impossible héritage L’architecture traditionelle, soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale Alors qu’un décret est pris pour la démolition du quartier de la Marine en 1930 , pour le centenaire de la conquête, et que plusieurs urbanistes essaient de rationaliser la ville, celui-ci s’introduit dans le débat, et va proposer un réaménagement différent. Pour l’architecte, l’Algérie est un point d’appui colonial qui donne une légitimité à un courant moderne, une expression française de la modernité méditerranéenne. Il entreprend alors des esquisses et propose alors un réaménagement radical de ville, qui deviendront par la suite « le Plan Obus pour Alger », dans lequel on retrouve un paradoxe constant. Bien qu’admiratif de ce lieu qui témoigne à ses yeux plus que le passé, il envisage de nombreuses démolitions dans un souci d’hygiène et de modernité afin de rendre la ville plus habitable et visitable. Il imagine alors le long du littoral allant de Bologhine à El Harrache, un immeuble de plus de dix kilomètres et dont la toiture servirait d’autoroute. Le front de mer constitue un élément clef pour Le Corbuiser. Il prévoit de tourner les habitations en direction de la Méditerranée à l’instar des rues étroites qui constituent la Casbah. Ses projets sont néanmoins refusés, mais certains de ses principes sont retenus, notamment celui proposé pour le quartier de la Marine que les architectes modernes sont nombreux à défendre. En découvrant la vallée Mzab et ses vieilles villes remarquables, région qui se situe à 550 km au sud d’Alger, Le Corbusier réalise que « l’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied : c’est en marchant, en se déplaçant, que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture. C’est un principe contraire à l’architecture baroque qui est conçue sur le papier autour d’un point fixe théorique. Plan Obus © Le Corbusier, 1930
24 L’architecture algérienne : l’impossible héritage L’architecture traditionelle, soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale Je préfère l’enseignement de l’architecture arabe… ». Il rajoute également : « Tout est encore debout dans La Casbah d’Alger engorgée ; tous les éléments d’une architecture infiniment sensible aux besoins et aux goûts de l’homme. La ville européenne peut tirer un enseignement décisif, non qu’il s’agisse d’ânonner un glossaire d’ornements arabes, mais bien de discerner l’essence même d’une architecture et d’un urbanisme. D’autres problèmes sont alors posés, se référant à des coutumes différentes et devant satisfaire à d’autres besoins. Une base fondamentale est commune : le soleil d’Alger… »⁶ C’est un farouche défenseur de la sensibilité méditerranéenne, il voit l’Algérie comme un point d’application commode pour instruire le thème des leçons à tirer des cultures classiques et d’Orient. Bien qu’aucun de ses projets ne voient le jour, son regard inspire la prochaine génération d’architecte. Ce qui apparaît comme acquis positif est le regard qu’il porte sur les architectures dites traditionnelles dans la composition des habitations classiques et des monuments qui est en opposition avec la plupart des architectes modernes qui ne s’intéressent qu’aux techniques du futur. Croquis © Le Corbuiser, 1930 6 DELUZ, Jean-Jacques, « chronique urbaine », publié dans l’hebdomadaire « Les débats », semaine du 20 au 26 juin 2007
26 La recherche d'un processus d'urbanisation La France, au lendemain de la seconde guerre mondiale, connaît une intense période de reconstruction, activité qui profite également à l’Algérie, encore française à l’époque. Bien que celle-ci n’ait pas souffert de destructions, elle est marquée par une période de renouvellement et de modernisation du cadre de vie, sa particularité se prêtant à des recherches et à l’innovation. La crise du logement bat son plein en Algérie à la fin de la guerre. Alger devenue capitale économique de première importance sur la Méditerranée, s’étend. La planification urbaine s’impose. Les campagnes connaissent une crise agricole et alimentaire, ce qui encourage l’exode rural vers la capitale, mais les populations musulmanes ne trouvent plus de places dans la grande ville. Elles sont alors contraintes de s’installer en périphérie. Dans l’agglomération algéroise, la population ne cesse d’augmenter depuis le XIXe siècle et les logements précaires de se developper : s’y ajoute la complexité du site et de sa topographie. Le découpage topographique entre plaine côtière urbanisée et le reste du territoire (hauts plateaux puis désert) accentue la distinction entre villes et campagnes. À partir de 1930 jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, des plans d’urbanisme, notamment le plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville d’Alger(PAEE) dirigé d’abord par René Danger puis La recherche d’un processus par Henri Prost et ensuite les plans d’aménagement régional(PAR) d’Henri Prost et Maurice Rotival, se d’urbanisation succèdent pour accompagner la croissance de la ville et répondre aux défis d’une croissance démographique et économique importante.
28 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La recherche d'un processus d'urbanisation PLAN D’AMÉNAGEMENT, D’EMBELLISSEMENT ET D’EXTENSION DE LA VILLE D’ALGER Le PAEE propose des solutions aux dysfonctionnements de la ville tout en permettant de comprendre comment doit se réaliser l’extension de son agglomération ainsi que de définir l’esprit des projets architecturaux et urbains qui doivent être réalisés dans la continuité et l’harmonie des réalisations existantes. Reposant sur une philosophie de construction dans laquelle on retrouve les valeurs d’hygiène, de modernisation technique, de préoccupation esthétique et de rapport à l’histoire et à la culture, c’est plus un projet théorique qu’un plan d’aménagement. Il représente tout de même un moment fondateur dans l’élaboration de la ville contemporaine. Mais lors de l’enquête d’utilité publique concernant le plan, on juge ses actions insuffisantes car il n’englobe que la commune d’Alger et non son agglomération. L’association des Amis d’Alger, fondée en 1929, fait observer que « le plan d’Alger commune est fonction du plan d’Alger région »⁷, afin de réaliser un plan cohérent pour la ville, il ne faut donc pas se limiter à la commune d’Alger, mais traiter un plus large territoire, et s’étendre sur la région de la capital. Croquis © Le Corbuiser, 1930 7 « Autour du plan d’aménagement de la ville d’Alger. Le rapport et le dire des Amis de la ville d’Alger », Le journal général. Travaux publics et bâtiment, 29 mai 1930, p.1
30 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La recherche d'un processus d'urbanisation Le processus est renforcé à la fin de la seconde guerre mondiale par l’achèvement du plan d’urbanisme de 1948. Ce plan consiste à confirmer le déplacement des habitations vers les hauteurs d’Alger, afin d’accentuer le dynamisme de la ville dans le centre de la commune PLANS D’AMÉNAGEMENT RÉGIONAL d’Alger. Couvrant toute la région algéroise, comptant dix- huit communes, ce nouveau découpage régional permet de différencier la ville d’Alger de l’agglomération algéroise. Le taux d’habitations est très élevé dans Alger, qui C’est sous la direction de Prost et de Rotival, qu’à partir de ne tend à n’être plus que le centre-ville de la nouvelle 1937, la Région Algéroise d’urbanisme est constituée, qui agglomération, les limites de ce plan se ressent. Le plan est à l’origine de l’amorce du processus de développement d’aménagement régional a pour objectif alors, de s’étendre urbain. Il s’agit alors d’ordonner les communes de la sur les communes périphériques, tout en mettant en place région, afin de répartir de manière équilibrée la population. des réseaux de circulation afin de relier la ville de sa région. Les PAR, avec un changement d’échelle d’intervention, vont ouvrir l’ère des grands travaux. Mais le problème du logement est toujours présent, marqué par la prolifération de l’habitat précaire de type Dans sa thèse, Zohra Hakimi⁸ explique que l’urbanisme bidonville, à majorité musulmane. La colonisation a laissé de cette période intègre de plus en plus les paramètres un espace urbain fragmenté et non maîtrisé. de la vie sociale. On met en place les bases essentielles de l’urbanisme moderne algérois, notamment à partir des années 1940 dans le cadre d’un programme de développement, dit « plan d’action communal » qui prévoit la construction d’habitations à loyer modéré et des cités de recensement comme solution à l’habitat précaire ainsi qu’à plus grande échelle, un programme de constructions de plusieurs cités d’habitations pour l’agglomération algéroise. Les nouvelles démarches adoptées aussi bien dans le PAEE que dans le PAR reposent sur l’idée de « globalité et de cohérence entre l’échelle de la ville et de son territoire et celle de l’architecture qui deviennent, de manière indissociable, des terrains d’intervention de l’architecte »⁹. 8 HAKIMI, Zohra, « Du plan communal au plan régional de la ville d’Alger (1931-1948) », Labyrinthe, 13 | 2002, 131-136. 9 COHEN, Jean-Louis, « Le Corbusier, Perret et les figures d’un Alger moderne », dans Alger : paysage urbain..., 2003, p. 160-185
32 La doctrine moderne LE PREMIER MOUVEMENT MODERNE Les questions de l’esthétisme commencent à être posées. Ce qui n’est pas sans incidence sur les approches de l’architecture, de l’impact du paysage et l’image de la ville et en particulier sur son identité méditerranéenne. Questions que l’on retrouvera dans le mouvement moderne en Algérie. Le premier mouvement moderne qui voit le jour, est la société des architectes modernes (SAM) groupe qui vit le jour en Algérie en 1932. La SAM exige de tous ses adhérents de « construire selon les principes de l’esthétique moderne, à l’exclusion de tout pastiche et de toute reproduction des styles anciens, chaque fois qu’ils n’en seront pas empêchés par une nécessité absolue»¹⁰. Le terme pastiche renvoie très probablement au style néo-mauresque évoqué précédemment et qui domine l’architecture coloniale française au début du XXeme siècle. On retrouve au sein de nouveau mouvement un groupe de jeunes architectes parmi lesquels Albert Seiller, Xavier Salvador, Leon Claro, Marcel Lathuillère, qui offrent à la ville la première génération de bâtiments et espaces modernes comme le jardin d’essai. La création de ce La doctrine Moderne groupe, pose les premiers jalons de l’architecture moderne 10 DE THUBERT, Emmanuel, « architecture moderne », chantiers, n°3, mars 1933, p.291-293
34 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne dans la ville, et se construit donc sur une forte critique du style néo-mauresque et surtout sur l’alternative séduisante que représentent les idées nouvelles de Le Corbusier. L’influence de Le Corbusier dans les milieux de formation des architectes à l’École des Beaux-Arts est manifeste. Il encourage, par son ouverture d’esprit et son positionnement aux avants-garde de l’urbanisme et de l’architecture, l’éclosion d’une mouvance, qui engendre la formation du premier noyau de l’école corbuséene d’Alger et la seconde vague des architectes modernes de la ville qui verra le jour suite au neuvième congrès d’architecture moderne. Jardin d'Essais, Alger © Lansol, 1987
36 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne L’HABITAT POUR LE PLUS GRAND NOMBRE En Europe avaient lieu, depuis 1928, différents congrès internationaux d’architecture moderne(CIAM). Orchestrés notamment par Le Corbusier, ces événements étaient une rencontre des plus grands architectes et urbanistes internationaux. L’intention est de poser les bases théoriques, qui sont mal acceptées dans l’Entre-deux guerres, du mouvement architectural et urbaniste moderne et fonctionnaliste. Pendant une vingtaine d’années, le mouvement moderne a codifié l’espace de la maison moderne. Leurs idées amènent à croire qu’à partir d’un simple usage, on aurait pu engendrer l’espace et la forme d’une architecture. Ceci renvoie à l’idée que l’habitat est avant tout une fonction qui doit être rationalisée : il ne doit pas être considéré comme une fin en soi et doit être débarrassé de l’inutile en termes de fonction. Le neuvième congrès se déroule à Aix en Provence en 1953 et a pour thème « l’habitat pour le plus grand nombre ». Pour autant, l’enjeu est clairement annoncé comme en témoigne la grille CIAM d’urbanisme mise au point par l’ASCORAL (association des constructeurs pour un renouvellement architectural)¹¹ : « il est souhaitable que le CIAM 9 permette de créer une grille de la fonction habiter… définitive et bien pensée », concluant que « la liberté des 11 BONILLO, Jean-Lucien, « La modernité en héritage », Rives nord- méditerranéennes, 24 | 2006, 89-99.
38 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne groupes reste donc totale, à l’intérieur de ce cadre matériel, pour choisir les titres de bandes horizontales et verticales qui leur sembleront les meilleurs ». La grille du CIAM permet de faciliter les comparaisons et les discussions durant les congrès. C’est une mise en application de la Charte d’Athènes écrite par Le Corbusier et publiée une première fois anonymement en 1943, puis en 1954, cette fois signée. Ce congrès apparaît selon Jean-Lucien Bonillo¹², comme le congrès de l’échec de la génération héroïque du Mouvement Moderne, qui est incapable d’imposer le projet d’une Charte de l’habitat, face à la jeune génération, qui elle, est attentive à entreprendre depuis l’intérieur du mouvement la critique du fonctionnalisme. En effet, au lendemain de la guerre, l’habitat est en crise et, les populations à la recherche d’une vie meilleure, se dirige vers les grandes villes. Il faut trouver des solutions pour garantir des logements décents pour le plus grand nombre. On note un profond renouvellement de positions, on ne parle plus de conception architecturale, mais d’architecture à habiter. Parmi les différentes propositions, celle du groupe d’Alger aborde une conception architecturale différente. Ils proposent de nouvelles modalités de conception qui se fondent sur leurs regards portés à la réalité environnante. Ils prennent plus en compte l’individu, les liens sociaux ainsi que les actions qui les supportent. Ils cherchent à trouver des solutions pour l’évolution de l’habitat en Afrique du Nord. CIAM 9 conférence, Aix en Provence © Monica Pidegon, 1953 12 Ibid.
40 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne Le Corbusier est tout de même assuré du soutien de la nouvelle génération, car celle-ci forme la fameuse école corbuséene d’Alger, dont les protagonistes sont entre autres Roland Simounet, Louis Miquel, Pierre André Emery, et aussi Jean Maisonseul et Gerald Hanning qui sont nommés directeurs de l’Agence du Plan en 1953. Mais la radicalité du « plan Obus pour Alger » interdit toute tentative de rapprochement avec les formes urbaines existantes. D’après Jean Lucien Bonillo¹³, Le Corbuiser, en posant la valeur d’exemplarité de la Casbah et sa supposée supériorité par rapport à l’héritage des villes historiques d’Occident, visait plutôt deux objectifs. Le premier était de crédibiliser « l’exotisme » de ses propres créations, et le second était de formuler un message humaniste d’ouverture. Objets domestiques, dessin dont la première version est insérée dans la grille du CIAM-Alger © Roland Simounet 13 BONILLO, Jean-Lucien, « Les architectes modernes et les enseignements de la Casbah », La pensée du Midi, n°18, 2006, p.31-38
42 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne LA QUESTION DU BIDONVILLE Le point de vue des architectes du CIAM-Alger est plus novateur, bien qu’il se réfère à Le Corbusier. L’enjeu sera d’articuler sur l’analyse une série de propositions architecturales pour le relogement des habitants, que ce soit avec des solutions types, mais également des contextes précis comme le bidonville Mahieddine. Pour ce dernier exemple, le CIAM-Alger réalise plusieurs transgressions radicales, afin d’être cohérent avec leurs visions pour l’essentiel anthropologique d’habiter et une conception pragmatique. Ils privilégient un développement méthodique à celui d’une grille imposée et réalisée par Le Corbusier, dans l’intention de faciliter les comparaisons et les discussions durant les différents congrès. Une philosophie de conception qui rejoint la posture du « dire- vivre » d’Albert Camus¹⁴, dans laquelle l’expérience rejoint toutes prise de conception intellectuelle. Si le projet présenté lors du CIAM 9 par le CIAM-Alger, est une démarche de groupe, émerge en particulier la 14 Albert Camus est un écrivain, dramaturge, journaliste et philosophe français, né en Algérie en 1913. Il est notamment connu pour ses idées humanistes fondées sur la prise de conscience de l’absurdité de la condition humaine. En 1942, il publie son premier roman, l’Étranger qui décrit le cheminement absurde du personnage principal Meursault, de l’enterrement de sa mère jusqu’à sa condamnation à mort pour meurtre, dans le contexte colonial de l’Algérie française. À travers ses œuvres et ses discours, il a toujours souligné l’attachement pour sa terre natale et à parfois été critiqué pour ne pas avoir soutenu l’indépendance de l’Algérie, à la suite de ce qu’il avait lui-même indiqué dans une phrase célèbre : « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice ».
44 L’architecture algérienne : l’impossible héritage La doctrine moderne contribution déterminante de Roland Simounet qui est encore étudiant à l’époque. Avant même que les codes d’une architecture participationniste soient établis, il accorde la plus grande importance à l’observation de la maison, et pense le projet sur l’analyse de l’existant. Avec les bidonvilles, le type de la maison mauresque aura été un point de référence culturel important, « une leçon d’habiter du monde d’Orient ». La lecture de Roland Simounet, et avant lui, celle d'Albert Camus¹⁵, est plus liée à l’idée que la perception des choses se fait par la pensée et par l’approche plastique, liée à l’expérience du corps dans l’espace. Le CIAM réalise entre autres deux propositions de plans masse pour la « reconstruction » du site de la cité Mahieddine qui sont fondées sur des typologies de barres de logements collectifs. La première proposition est une formule radicale qui est agencée en fonction du soleil et la seconde qui est plus sensible à la topographie en offrant un vaste espace public central. Mais la contrainte économique étant trop forte, ils se limitent aux éléments essentiels du logis « musulmans »: chambre/cours et patio couvert/pièce d’eau et toilettes. Cette analyse de l’existant et le regard porté par le CIAM et notamment Simounet pose la question de savoir comment est reçue cette architecture par la population algérienne. Bien qu’elle repose sur une étude très attentive des modes de vies musulmans, celle-ci semble malgré tout inadaptée. Et ce d’autant plus qu’en pleine guerre d’Algérie, les autorités civiles et militaires françaises réorganisent profondément le territoire algérien. En réponse à une commande politique extrêmement forte, elles transforment drastiquement l’environnement bâti de l’Algérie, construisent de nouvelles infrastructures en un temps record et implantent de nouveaux centres de population afin de maintenir l’Algérie sous domination française. Proposition de cellule type pour le 9e CIAM, bidonville Mahieddine © Grille CIAM-Alger, 1953 15 CAMUS, Albert, « la maison mauresque », 1933
46 Une tentative de rattrapage «LA BATAILLE DU LOGEMENT» En 1954, au début de la guerre, la population algérienne est divisée en deux catégories distinctes. D’une part les citoyens français de statut civil de droit commun, qui seront plus tard appelés les « pieds-noirs », regroupant près d’un million d’européens, qui étaient pour la plupart installés en Algérie depuis plusieurs générations. D’autre part la population algérienne, qui regroupe près de neuf millions de personnes. Si la population française jouit des mêmes droits que ceux de ses compatriotes métropolitains, la population algérienne, elle, se retrouve privée d’une partie de ses droits civiques. Alors que le Front de Libération nationale(FLN) mène le combat pour l’indépendance, la France, pour répondre à des objectifs militaires, crée des camps de regroupement. Afin de faire face à la revendication indépendantiste du peuple algérien, l’armée française détruit des villages et délimite certaines régions qui seront progressivement réparties en trois principales zones militaires : « Zone opérationnelle », « zone de pacification » et « zone interdite ». À l’intérieur des zones opérationnelles, les officiers français avaient pour ordre de recourir à tous les moyens nécessaires pour restaurer la sécurité nationale. Dans les zones de pacification contrôlées par l’armée, Une tentative de rattrapage celle-ci employait l’« action psychologique » en direction
48 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage des civils, qui étaient enjoints de collaborer avec l’armée. Et enfin, les zones interdites, devaient être vidées. L’objectif est de contrôler la population afin de gérer l’intégralité du territoire à des fins militaires. L’évacuation de cette dernière zone oblige sa population à tout abandonner : foyers, villages et cultures. La conséquence de ces regroupements est une migration interne des populations algériennes vers les grandes villes, ce qui contribua à l’accroissement de la population des bidonvilles dans la région d’Alger. C’est en 1954 que la « bataille du logement » sera prise à bras-le-corps notamment par la municipalité d’Alger, dirigée par son maire, Jacques Chevallier¹⁶, qui va créer la ville de l’Agence du Plan d’Alger, dirigée par Pierre Dalloz et Gerard Hanning. Ceux-ci vont travailler à partir du plan d’urbanisme(PAR) de 1948 et poser le fondement d’un urbanisme « social et humain ». Personnalité réformiste, Jacques Chevallier défend l’idée que les Européens et les Algériens doivent vivre ensemble dans les mêmes immeubles résidentiels : « Pour que les hommes de ce pays se comprennent, la loi de ces cités exclut tout esprit de ségrégation »¹⁷. C’est dans cet esprit que Fernand Pouillon procédera à de nombreuses constructions. Ces idées sont sujettes à la critique, d’une part par les partisans de l’Algérie française qui ne voulaient pas entendre parler de construction de logements pour les Algériens, comme de la part des nationalistes algériens qui l’accusent de « néocolonialisme ». Camp de regroupement de Taliouine, vallé de l'Oued Isser, région d'Alger © photographe inconnu, 1959 16 CHEVALIER, Jean-Jacques, Lettre aux maires des grandes villes, 1958 17 DELUZ, Jean-Jacques, « l’Urbanisme et l’architecture d’Alger », p.59-62
50 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage Des milliers de logements sont planifiés et construits comme Diar El Saada( Cité du bonheur), Diar El Mahcoul( Cité de la promesse tenue) et Climat de France par Fernand Pouillon. Celui-ci représente une autre expression de la modernité, qui en opposition au CIAM, revendique le rapport à l’histoire. Aujourd’hui, le projet de Climat de France est sujet a de nombreuses critiques, c’est une cité surpeuplée, insalubre et sur laquelle un bidonville s’est construit peu à peu sur les toits. L’argument de la pression économique et politique a été utilisé pour imposer une morphologie urbaine peu conforme à celle existante et à la culture locale. Issus de l’école corbuséene, certains architectes modernes algérois réussiront à prendre davantage en compte la morphologie de la ville, notamment avec l’ Aéro-habitat. Construit en 1955 par Louis Miquel, Bourlier et Ferrer-Laloe, cette barre d’immeuble est l’œuvre majeure de ces trois architectes qui font également partie du CIAM Alger. C’est finalement la seule architecture qui concrétise une forme d’aboutissement de la vision abstraite contenue dans les plans d’Alger évoqués précédemment. C’est un programme de 284 logements, en centre ville, pour une population européenne. Dans le tissu algérois, l’Aéro-Habitat est dessiné sur un principe de distribution, composé de quatre édifices, qui proposent des articulations à plusieurs niveaux. On y accède par une coursive faisant office de rue, contribuant ainsi aux échanges sociaux. C’est l’un des logements qui a le mieux résisté, aujourd’hui, au temps et aux hommes. Climat de France, Fernand Pouillon, Alger © Stephane Couturier, 2011-2013
52 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage Gauche: L' Aéro-habitat, vue d'ensemble, Alger © photographe inconnu, s.d. Droite: L' Aéro-habitat, facade sud-est des immeubles 1 et 2, Alger © photographe inconnu, s.d.
54 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage LE TREMBLEMENT DE TERRE D’ORLÉANSVILLE En parallèle, en 1954, le Commissariat à la reconstruction et à l’habitat rural(CRHR), est créé à la suite du tremblement de terre qui frappa Orléansville (aujourd’hui Chlef). D’après Samia Henni¹⁸ le tremblement de terre a fait plus de 15 000 morts et 6 000 blessés, et a détruit 75 000 logements, dont selon Louis Gas, commissaire à la reconstruction et à l’habitat rural, 25 000 bâtiments « normaux » et 40 000 constructions « traditionnelles ». C’est à partir de ce tremblement de terre qu’est pour la première fois assumée la responsabilité « de la politique d’amélioration de l’habitat traditionnel des populations rurales d’Algérie et plus généralement de la construction en zones rurales » et s’étend ainsi « au règlement des dommages de guerres »¹⁹. Afin de continuer à assurer le contrôle français sur la population algérienne tout en tentant une sorte de « pacification », le CRHR met en œuvre un programme de logement typique de l’habitat rural de 1956, appelé le plan HTP2 A6C. Ce plan proposait des constructions de plein pied composées de deux espaces identiques : l’un pour les activités extérieures, l’autre était une cour pour répondre aux nécessités de la vie quotidienne d’une famille algérienne, inspirées des maisons algériennes traditionnelles. 18 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française dans le nord de l’Algérie », éditions B42, 2017 19 GAS, Louis, « conférence de presse du 23 février 1960 »
56 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage Mais ces constructions ont des limites. Sans prendre en compte les différences considérables de climat et de conditions socio-économiques, ces logements furent construits de la même façon dans les alentours des grandes villes que dans les campagnes des départements coloniaux français d’Alger, d’Oran et de Constantine. Certaines de ces constructions, comme le précise Samia Henni²⁰, ne répondent pas à la disposition spatiale suggérée par le CHRH, et ne permettent donc pas aux cours d’être protégées des regards des voisins, ce qui porte d’autant plus atteinte à la vie privée de ces familles qui ont déjà dû quitter leurs foyers de force. On propose une architecture qui convient à des normes spatiales et économiques françaises. Ce sont entre autres les futurs habitants de ces logements qui les construisent. La France garde le pouvoir sur toute l’Algérie en la dirigeant spatialement, économiquement et politiquement. Reconstruction d'Orléansville, Jean Bossu, 1955-1064 © photographe inconnu, s.d. 20 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française dans le nord de l’Algérie », éditions B42, 2017
58 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage LE PLAN CONSTANTINE (1958-1961) Les événements de mai 1958 qui conduisent au retour au pouvoir du Générale De Gaulle sont un tournant majeur de la Guerre d’Algérie. C’est lors de sa première visite que ce dernier prononce sa fameuse phrase « je vous ai compris ». Il déclare par la suite « Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité » tout en soulignant que la rénovation « commence par le commencement, c’est-à- dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. »²¹. Lors de différentes prises de parole, le Général De Gaulle tente d’atteindre les populations algériennes en annonçant qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il faut donc créer des opportunités, et libérer des ressources pour ceux qui en sont privés. Ce qui ne devait être que des rénovations, prendra de l’ampleur et passera du « vaste projet de rénovation »²², au projet de Constantine un an après. En effet, en termes d’économie et de politique, la rénovation apparaît comme insuffisante, il faut un plan d’action plus radical. Le plan est ambitieux et vise 21 General de Gaulle, prise de parole au forum d’Alger le 4 juin 1958. 22 General de Gaulle, allocution prononcée à la radio d’Alger le 3 juillet 1958. 23 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française dans le nord de l’Algérie », éditions B42, 2017
60 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage à « transformer la condition des hommes et spécialement celle des plus déshéritées », tout en laissant au vu de la situation actuelle en Algérie, comme le relève Samia Henni²³, à la France l’exploitation économique, nucléaire et militaire du territoire de la futur Algérie indépendante. Pierre Massé qui était commissaire général du plan affirme que « le développement n’est pas seulement la marche vers l’abondance, c’est plus encore, sans doute, la construction d’une société ». En effet, ce plan, avait des objectifs de prospérité censés bénéficier à la nation entière. La construction tient une place majeure dans ce plan pour répondre au manque de logements causé par l’exode rural. De Gaulle prévoit d’héberger un million de personnes avec la construction de 200 000 logements sur une période de cinq ans, ce qui ouvre un nouveau marché immobilier français destiné essentiellement aux populations algériennes sous domination coloniale. Mais on voit très rapidement les limites de ce plan pour la population algérienne. En effet, différents projets vont voir le jour. Comme le constate Samia Henni, il s’agit d’une sorte « d’exclusion inclusive ». Pierre Padovani, fondateur et président de l’union des coopératives de construction d’Oranie et secrétaire général de l’office HLM de la municipalité d’Oran, tente de répondre à ce qu’il appelle « le problème musulman » en constatant que l’habitat musulman est resté trop longtemps à la recherche d’une formule. Il confie la conception du premier ensemble résidentiel à l’atelier des bâtisseurs (ATBAT), bureau d’étude opéré jadis par Le Corbusier, qui réalise un immeuble de quatre étages en 1965, le Nid d’Abeilles. Ces blocs d’habitations Visite du Général de Gaulle, Alger © photographe inconnu, 1958
62 L’architecture algérienne : l’impossible héritage Une tentative de rattrapage ne sont pas très différents de ceux construits à Casablanca, quelques années plus tôt, par les architectes français de l’ATBAT-Afrique. Lors l’inauguration du Pavillon Marocain à la 14ème Biennale internationale d’architecture de Venise²⁴, l’agence Kilo pose un regard rétrospectif sur l’architecture marocaine. Dans ces logements, inspirés des habitations traditionnelles de la Casbah, où ont été construits des patios, aujourd’hui métabolisés, les patios ont par exemple au fil du temps disparu pour devenir des pièces fermées. Ce fut également le cas en Algérie, où les habitants de ces logements ont rapidement critiqué certains éléments et certaines configurations des espaces, tels que la hauteur des murs des cours privées, la position et les dimensions des fenêtres, le manque de place pour les équipements de cuisines… Le projet qui succède aux habitats collectifs est celui des logements économiques et familiaux, où l’ouvrier Nid d’abeille, ATBAT Afrique, Casablanca © photographe musulman et l’ouvrier européen pourraient vivre côte à côte. inconnu, 1952 Padovani et ses collègues avaient dû abandonner l’idée des projets à destination des populations algériennes, ceux pour des raisons quantitatives profondément liées aux intérêts économiques existants. Devant réunir les conditions pour une politique d’envergure: L’Algérie a ainsi été un terrain d’expérimentation des aide à la construction, financement de programmes, aide à architectes modernes. L’étude attentive des modes de vies l’industrialisation ainsi que rediriger les enfants musulmans a servie de justifier une architecture qui est cependant vers la scolarité, le plan Constantine est probablement inadaptée au mode de vie algériens traditionnels. De plus, arrivé trop tard. Cette réaction tardive au sous- dans le contexte de la guerre, le processus d’urbanisation développement de la population musulmane ne suffira mis en place, s’accompagne d’une stratégie militaire afin pas à endiguer la ferveur nationaliste. L’indépendance de de contenir le nationalisme indépendantiste. Cette analyse l’Algérie, en 1962, ne lui laissera que trois ans de vie. et ces réflexions faites sur l’architecture coloniale invitent en contrepoint à se demander comment, ensuite sera pris en compte l’héritage colonial par les générations de l’Algérie indépendant jusqu’a aujourd’hui ? Ce fait-il dans le rejet ou dans la réappropriation ? 24 FUNDAMENT(ISM)S, « Dossier de presse », Premier Pavillon du Maroc, 23 avril 2014
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