L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage

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L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
L’ARCHITECTURE ALGÉRIENNE :
l’impossible héritage
Julie Faivre
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
L’ARCHITECTURE ALGÉRIENNE :
    l’impossible héritage

            Mémoire de Julie Faivre
     Sous la direction d’Aurelien Lemonier
            École Camondo - 2021
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
Je tiens à remercier,
Aurélien Lemonier, pour son accompagnement et ses
precieux conseils tout au long de la rédaction de ce mémoire.
Zakia, Jean Baptiste et Thomas pour leur soutien, leur
attention et leurs multiple relectures.
Lamia Mansouri , Halim Faidi et Nourredine Brahimi pour
leur disponibilité et leur aide précieuse.
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
« Alger est-elle francaise ou arabe, ou
du moins mauresque ? Cela dépend ....»1

1 BERQUE, Jacques, « Mémoires des deux rives », Paris, Seuil,
1989
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
6

                 8 avant-propos
                10 introduction

                  la période coloniale face à
               15 l’architecture tradtionnelle
                  algérienne

                16 l’architecture traditionnelle, source
                   d’inspiration pour l’architecture coloniale
                     à la recherche d’une ecriture architectural
                     la fascination pour l’Afrique du Nord
               26 la recherche d’un processus d’urbanisation
                     plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de
                     la ville d’Alger
                     plan d’aménagement régional
               32 la doctrine moderne
                     le premier mouvement moderne
                     l’habitat pour le plus grand nombre
                     la question du bidonville
               46 une tentative de rattrapage
                     la bataille du logement
                     le tremblement de terre d’Orléansville
                     le plan Constantine (1958-1961)

               67 une possible réappropriation ?
               68 au lendemain de l’independance
                     à la recherche d’une architecture adaptée
                     vers une architecture algérienne

    Sommaire   82 étude de cas : la Casbah
               92 l’héritage architectural
                98 conclusion
               102 bibliographie
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
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                             Originaire d’Algérie, je connais mal ce pays chargé
                   d’histoire. Ma connaissance s’arrêtait aux enseignements
                   du lycée et aux souvenirs de jeunesse de ma grand-
                   mère. J’ai pourtant eu l’occasion de vivre à Alger durant
                   mon année de baccalauréat. C’est à ce moment que je
                   fus témoin de la beauté de cette ville, et des différents
                   paysages qu’elle offre.
                   C’est pendant cette dernière année de lycée que mon goût
                   pour l’architecture d’intérieur s’est révélé. Peut-être une
                   inspiration inconsciente ? J’ai eu la chance de vivre dans
                   une maison de type neo mauresque, la villa Nedjma sur
                   le balcon Saint Raphael qui domine la baie immense. Un
                   changement d’environnement total qui a certainement
                   avec du recul, inspiré mon goût pour ce domaine.

                            Lorsque la question du sujet de mémoire s’est
                   posée, je savais que c’était l’occasion pour moi d’en
                   comprendre plus sur ce pays. L’histoire coloniale est encore
                   très présente même si ce n est plus la préoccupation
                   principale des nouvelles générations. Elle ne m’a jamais
                   été enseignée car déjà connue de tous mes camarades.
                   C’est donc, quelques années plus tard, avec un regard
                   de futur architecte d’intérieur que je me suis penchée
                   modestement sur le sujet. Il était temps de comprendre
    Avant-propos   un peu mieux ce qui avait amené des architectes comme
                   Fernand Pouillon ou Oscar Niemeyer à réaliser leurs
                   projets dans un pays qui mélange notamment architecture
                   haussmannienne et architecture traditionnelle algérienne
                   et beaucoup d’autres styles.
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
10

                    Cent trente-deux ans de présence française ont
                    profondément marqué l’Algérie, y compris au plan
                    architectural.
                    Dès 1830, la conquête entraine une large destruction de la
                    ville traditionnelle d’Alger et conduit à une reconfiguration
                    de l’espace urbain, façonnée par les soldats du génie
                    militaire, qui ont la tache d’organiser et de construire
                    le territoire afin d’y accueillir les troupes ainsi que les
                    populations européennes.
                    Les première manifestations de l’architecture française
                    se font sur les édifices de prestige de l’époque ottomane,
                    comme dans le palais Dar Aziza. On adapte l’architecture
                    locale aux codes esthétiques européens.

                    C’est à partir de 1860 que commence à se cristalliser de
                    façon durable, le schéma architectural de la ville française
                    en Algérie. La ville sort des limites historiques, afin de
                    développer et d’étendre de nouveaux quartiers européens
                    pour placer Alger au rang de grande capitale. C’est dans ce
                    cadre que s’inscrivent les projets de l’architecte Frédéric
                    Chassériau, qui incarne la première phase civile, après
                    celle des plans militaires. Le courant néo-classique prôné
                    par les Beaux-Arts de Paris, s’érige en modèle dominant
                    dans les principaux édifices de la ville, comme en témoigne
                    l’ensemble du boulevard de l’Impératrice Eugénie (actuel
                    Boulevard Ernesto Che Guevara) sur le front de mer, conçu
     Introduction   sur le modèle de la rue de Rivoli, à Paris.

                    La période entre 1860 et 1930, est la plus féconde de toute
                    la période coloniale en styles et courants architecturaux.
                    Cette période pose les fondements sur lesquels le
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
12                         L’architecture algérienne : l’impossible héritage

mouvement moderne se développe par la suite et qui par
différents plan d’urbanisme crée le paysage algérien de
cette phase coloniale.
Lors de l’indépendance, l’Algérie est donc confrontée à
la réception d’écritures architecturales coloniale dont elle
se retrouve dépositaire. Il s’agit alors pour les premières
générations d’architectes algériens, dans un contexte
politique sensible, de se positionner face aux différents
traitements urbanistiques qu’a connus leur pays afin de
développer une architecture algérienne propre.

      L’objet de ce mémoire est ainsi d’essayer
      d’apporter un regard croisé sur les enjeux
      communs ou distincts de l’élaboration de
      l’architecture en Algérie durant ces deux
      périodes et de comprendre comment ces
      architectures ont pu se développer dans un
      mouvement de continuité ou de discontinuité.

Nous savons pour autant que les deux situations étaient
naturellement très différentes : conquête d’un territoire
dans le cadre de l’extension de l’empire français dans le
premier cas, affirmation et construction d’une nation dans
le second.

Pour cela, nous nous intéresserons premièrement
à la période coloniale qui s’ancre dans un contexte
architectural traditionnel algérien, en évoquant les quatre
points suivant: l’architecture traditionnelle comme source
d’inspiration pour une architecture coloniale, la recherche
d’un processus d’urbanisation, la doctrine moderne et
finalement une tentative de rattrapage.
Dans un second temps, nous essayerons de comprendre
si et comment, au lendemain de l’indépendance, une
réappropriation de l’architecture laissée par la colonisation
s’est avérée possible en apportant un éclairage sur
trois aspects distincts : l’architecture au lendemain de
l’indépendance, la Casbah et de manière plus générale
enfin l’héritage architectural.                                                Boulevard Ernesto Che Guevara, Frédéric Chassériau ©
                                                                                                          photographe inconnu, s.d.
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
I
LA PÉRIODE COLONIALE
FACE À L’ARCHITECTURE
TRADTIONNELLE ALGÉRIENNE
L'ARCHITECTURE ALGÉRIENNE : l'impossible héritage - l'impossible héritage
16                                    L’architecture traditionelle,
                                      soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale

                                      À LA RECHERCHE D’UNE ÉCRITURE ARCHITECTURAL

                                      Jusqu’au début des années 1900, le modèle architectural
                                      colonial en Algérie puise principalement ses inspirations
                                      dans le modèle parisien, on voit se developper une
                                      haussmannisation du paysage urbain. On retrouve dans
                                      les édifices construits en Algérie un style qui renvoie aux
                                      style européens et aux références éclectiques enseignées
                                      à l’École des Beaux-Arts.

                                      Malik Chebahi explique dans sa thèse traitant sur
                                      l’enseignement de l’architecture des Beaux-Arts à Alger,
                                      que jusqu’au tournant du XXeme siècle,

                                             « l’environnement professionnel des architectes
                                             est étroitement lié aux milieux entrepreneuriats
                                             et politiques » et que s’est « instaurée une forte
                                             dichotomie dans l’accès à la commande ».

                                      D’un coté se trouvent les architectes de gouvernement,
                                      formés à l’école de Beaux-Arts de Paris, à qui étaient
                                      réservés les projets publics et l’autre le « second plan,
                                      diplômés à Alger ou autodidactes, aux parcours plus
                                      éclectiques »², à qui étaient confiés les projets privés et
     L’architecture traditionnelle,   communaux et qui étaient les auteurs de la plus grande
                                      partie des immeubles résidentiels de la ville.
     source d’inspiration pour
     l’architecture coloniale

                                      2 CHEBAHI, Malik, « L’enseignement de l’architecture à l’École des Beaux-
                                      arts d’Alger et le modèle métropolitain : réceptions et appropriation », thèse
                                      de doctorat, Université Paris-Est Marne-La-Vallée, 2013
18                         L’architecture algérienne : l’impossible héritage   L’architecture traditionelle,
                                                                               soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale

Au tournant du siècle, l’Algérie française cherche à se forger
une identité architecturale, à partir des constructions
existantes dans le contexte local, afin de symboliser la
quête d’une identité politique, culturelle et l’acquisition
de nouvelles libertés. L’architecture néo-mauresque
apparaît, de nombreux bâtiments publics voient le jour
comme la grande Poste, ainsi que le Musée d’Art Moderne
et contemporain d’Alger (l’ex Galerie de France). Cette
architecture aux tendances « orientalistes », donne une
image de la France protectrice des traditions du pays,
permet de marquer une rupture avec la tradition coloniale,
en réconciliant l’Orient et l’Occident. Elle pose ses
fondements sur architecture une architecture européenne
habillée d’une architecture mauresque en y ajoutant des
arcs, des coupoles, des portes massives sculptées, de la
faïence et de la mosaïque.

À partir des années 1930, cette architecture disparaît
progressivement au profit d’une vision moderniste
mettant en avant le caractère méditerranéen de l’Algérie.
Le mouvement moderne apparaît sur la scène algérienne
avec des architectes tels que Marcel Lathuillière ou Paul
Guion qui y réalise le musée national des beaux-arts,
qui seront appelés les « algerianistes ». Ce mouvement
« algérianiste » est influencée par Le Corbusier.

                                                                                                              Rue Didouche Mourad © Iñaki do Campo Gan, 2012
20   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   L’architecture traditionelle,
                                                         soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale

                                                         LA FASCINATION POUR L’AFRIQUE DU NORD

                                                         Le Corbusier en Algérie est presque devenu un mythe,
                                                         aujourd’hui comme le dirait Jean Jacques Deluz dans « La
                                                         chronique Urbaine »³. La fascination de Le Corbusier pour
                                                         l’Orient s’explique par deux expériences personnelles.
                                                         La première en 1911, est son premier voyage d’Orient,
                                                         qui le conduit jusqu’à Constantinople, à l’âge de vingt
                                                         ans pour parfaire sa formation, puis un second voyage,
                                                         dans les années 30, qui le mène jusqu’à Alger et dans le
                                                         Mzab. C’est à ce moment qu’il découvre l’Algérie et tombe
                                                         instinctivement sous le charme de la casbah :

                                                                 « La casbah d’Alger, elle a fait le site : elle
                                                                 a donné le nom d’Alger la blanche à cette
                                                                 apparition étincelante qui accueille à l’aube les
                                                                 bateaux arrivant au port. Inscrite dans le site, elle
                                                                 est irréfutable. Elle est en consonance avec la
                                                                 nature.»⁴.

                                                         Il est convaincu, de l’importance de la préservation de ce
                                                         site, du moins de sa partie haute : « L’adorable Casbah que
                                                         l’on peut aménager, mais que jamais, non jamais, on ne doit
                                                         détruire. »⁵.

                                                         3 DELUZ, Jean-Jacques, « chronique urbaine », publié dans l’hebdomadaire
                                                         « Les débats », semaine du 20 au 26 juin 2007.
                                                         4 Le Corbusier, « Le folklore est l’expression fleurie des tractions », Voici la
                                                         France de ce mois, n°16, juin 1941, p.1
                                                         5 Le Corbusier, « La ville radieuse », L’Architecture d’Aujourd’hui, 1935,
                                                         p.229
22                               L’architecture algérienne : l’impossible héritage   L’architecture traditionelle,
                                                                                     soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale

                                                                                     Alors qu’un décret est pris pour la démolition du quartier
                                                                                     de la Marine en 1930 , pour le centenaire de la conquête,
                                                                                     et que plusieurs urbanistes essaient de rationaliser la
                                                                                     ville, celui-ci s’introduit dans le débat, et va proposer
                                                                                     un réaménagement différent. Pour l’architecte, l’Algérie
                                                                                     est un point d’appui colonial qui donne une légitimité
                                                                                     à un courant moderne, une expression française de la
                                                                                     modernité méditerranéenne.

                                                                                     Il entreprend alors des esquisses et propose alors un
                                                                                     réaménagement radical de ville, qui deviendront par la
                                                                                     suite « le Plan Obus pour Alger », dans lequel on retrouve
                                                                                     un paradoxe constant. Bien qu’admiratif de ce lieu qui
                                                                                     témoigne à ses yeux plus que le passé, il envisage de
                                                                                     nombreuses démolitions dans un souci d’hygiène et de
                                                                                     modernité afin de rendre la ville plus habitable et visitable.
                                                                                     Il imagine alors le long du littoral allant de Bologhine à El
                                                                                     Harrache, un immeuble de plus de dix kilomètres et dont
                                                                                     la toiture servirait d’autoroute. Le front de mer constitue
                                                                                     un élément clef pour Le Corbuiser. Il prévoit de tourner les
                                                                                     habitations en direction de la Méditerranée à l’instar des
                                                                                     rues étroites qui constituent la Casbah. Ses projets sont
                                                                                     néanmoins refusés, mais certains de ses principes sont
                                                                                     retenus, notamment celui proposé pour le quartier de la
                                                                                     Marine que les architectes modernes sont nombreux à
                                                                                     défendre.

                                                                                     En découvrant la vallée Mzab et ses vieilles villes
                                                                                     remarquables, région qui se situe à 550 km au sud d’Alger,
                                                                                     Le Corbusier réalise que

                                                                                             « l’architecture arabe nous donne un
                                                                                             enseignement précieux. Elle s’apprécie à la
                                                                                             marche, avec le pied : c’est en marchant, en
                                                                                             se déplaçant, que l’on voit se développer les
                                                                                             ordonnances de l’architecture. C’est un principe
                                                                                             contraire à l’architecture baroque qui est conçue
                                                                                             sur le papier autour d’un point fixe théorique.
Plan Obus © Le Corbusier, 1930
24                              L’architecture algérienne : l’impossible héritage   L’architecture traditionelle,
                                                                                    soucre d'inspiration pour l'architecture coloniale

       Je préfère l’enseignement de l’architecture
       arabe… ». Il rajoute également : « Tout est encore
       debout dans La Casbah d’Alger engorgée ;
       tous les éléments d’une architecture infiniment
       sensible aux besoins et aux goûts de l’homme.
       La ville européenne peut tirer un enseignement
       décisif, non qu’il s’agisse d’ânonner un glossaire
       d’ornements arabes, mais bien de discerner
       l’essence même d’une architecture et d’un
       urbanisme. D’autres problèmes sont alors
       posés, se référant à des coutumes différentes et
       devant satisfaire à d’autres besoins. Une base
       fondamentale est commune : le soleil d’Alger… »⁶

C’est un farouche défenseur de la sensibilité
méditerranéenne, il voit l’Algérie comme un point
d’application commode pour instruire le thème des leçons
à tirer des cultures classiques et d’Orient. Bien qu’aucun
de ses projets ne voient le jour, son regard inspire la
prochaine génération d’architecte. Ce qui apparaît comme
acquis positif est le regard qu’il porte sur les architectures
dites traditionnelles dans la composition des habitations
classiques et des monuments qui est en opposition avec
la plupart des architectes modernes qui ne s’intéressent
qu’aux techniques du futur.

                                                                                                                                         Croquis © Le Corbuiser, 1930

6 DELUZ, Jean-Jacques, « chronique urbaine », publié dans l’hebdomadaire
« Les débats », semaine du 20 au 26 juin 2007
26                                 La recherche d'un processus d'urbanisation

                                   La France, au lendemain de la seconde guerre mondiale,
                                   connaît une intense période de reconstruction, activité qui
                                   profite également à l’Algérie, encore française à l’époque.
                                   Bien que celle-ci n’ait pas souffert de destructions, elle
                                   est marquée par une période de renouvellement et de
                                   modernisation du cadre de vie, sa particularité se prêtant
                                   à des recherches et à l’innovation.

                                   La crise du logement bat son plein en Algérie à la fin de la
                                   guerre. Alger devenue capitale économique de première
                                   importance sur la Méditerranée, s’étend. La planification
                                   urbaine s’impose. Les campagnes connaissent une
                                   crise agricole et alimentaire, ce qui encourage l’exode
                                   rural vers la capitale, mais les populations musulmanes
                                   ne trouvent plus de places dans la grande ville. Elles
                                   sont alors contraintes de s’installer en périphérie.
                                   Dans l’agglomération algéroise, la population ne cesse
                                   d’augmenter depuis le XIXe siècle et les logements
                                   précaires de se developper : s’y ajoute la complexité du
                                   site et de sa topographie. Le découpage topographique
                                   entre plaine côtière urbanisée et le reste du territoire
                                   (hauts plateaux puis désert) accentue la distinction entre
                                   villes et campagnes.

                                   À partir de 1930 jusqu’à la fin de la seconde guerre
                                   mondiale, des plans d’urbanisme, notamment le plan
                                   d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la
                                   ville d’Alger(PAEE) dirigé d’abord par René Danger puis
     La recherche d’un processus   par Henri Prost et ensuite les plans d’aménagement
                                   régional(PAR) d’Henri Prost et Maurice Rotival, se
     d’urbanisation                succèdent pour accompagner la croissance de la ville et
                                   répondre aux défis d’une croissance démographique et
                                   économique importante.
28                             L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La recherche d'un processus d'urbanisation

                                                                                   PLAN D’AMÉNAGEMENT, D’EMBELLISSEMENT ET
                                                                                   D’EXTENSION DE LA VILLE D’ALGER

                                                                                   Le PAEE propose des solutions aux dysfonctionnements
                                                                                   de la ville tout en permettant de comprendre comment
                                                                                   doit se réaliser l’extension de son agglomération ainsi que
                                                                                   de définir l’esprit des projets architecturaux et urbains qui
                                                                                   doivent être réalisés dans la continuité et l’harmonie des
                                                                                   réalisations existantes.
                                                                                   Reposant sur une philosophie de construction
                                                                                   dans laquelle on retrouve les valeurs d’hygiène, de
                                                                                   modernisation technique, de préoccupation esthétique et
                                                                                   de rapport à l’histoire et à la culture, c’est plus un projet
                                                                                   théorique qu’un plan d’aménagement. Il représente tout de
                                                                                   même un moment fondateur dans l’élaboration de la ville
                                                                                   contemporaine.
                                                                                   Mais lors de l’enquête d’utilité publique concernant le plan,
                                                                                   on juge ses actions insuffisantes car il n’englobe que la
                                                                                   commune d’Alger et non son agglomération. L’association
                                                                                   des Amis d’Alger, fondée en 1929, fait observer que

                                                                                          « le plan d’Alger commune est fonction du plan
                                                                                          d’Alger région »⁷,

                                                                                   afin de réaliser un plan cohérent pour la ville, il ne faut
                                                                                   donc pas se limiter à la commune d’Alger, mais traiter un
                                                                                   plus large territoire, et s’étendre sur la région de la capital.

Croquis © Le Corbuiser, 1930

                                                                                   7 « Autour du plan d’aménagement de la ville d’Alger. Le rapport et le
                                                                                   dire des Amis de la ville d’Alger », Le journal général. Travaux publics et
                                                                                   bâtiment, 29 mai 1930, p.1
30                              L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La recherche d'un processus d'urbanisation

                                                                                    Le processus est renforcé à la fin de la seconde guerre
                                                                                    mondiale par l’achèvement du plan d’urbanisme de
                                                                                    1948. Ce plan consiste à confirmer le déplacement des
                                                                                    habitations vers les hauteurs d’Alger, afin d’accentuer
                                                                                    le dynamisme de la ville dans le centre de la commune
                       PLANS D’AMÉNAGEMENT RÉGIONAL                                 d’Alger. Couvrant toute la région algéroise, comptant dix-
                                                                                    huit communes, ce nouveau découpage régional permet
                                                                                    de différencier la ville d’Alger de l’agglomération algéroise.

                                                                                    Le taux d’habitations est très élevé dans Alger, qui
C’est sous la direction de Prost et de Rotival, qu’à partir de
                                                                                    ne tend à n’être plus que le centre-ville de la nouvelle
1937, la Région Algéroise d’urbanisme est constituée, qui
                                                                                    agglomération, les limites de ce plan se ressent. Le plan
est à l’origine de l’amorce du processus de développement
                                                                                    d’aménagement régional a pour objectif alors, de s’étendre
urbain. Il s’agit alors d’ordonner les communes de la
                                                                                    sur les communes périphériques, tout en mettant en place
région, afin de répartir de manière équilibrée la population.
                                                                                    des réseaux de circulation afin de relier la ville de sa région.
Les PAR, avec un changement d’échelle d’intervention,
vont ouvrir l’ère des grands travaux.
                                                                                    Mais le problème du logement est toujours présent,
                                                                                    marqué par la prolifération de l’habitat précaire de type
Dans sa thèse, Zohra Hakimi⁸ explique que l’urbanisme                               bidonville, à majorité musulmane. La colonisation a laissé
de cette période intègre de plus en plus les paramètres                             un espace urbain fragmenté et non maîtrisé.
de la vie sociale. On met en place les bases essentielles
de l’urbanisme moderne algérois, notamment à partir
des années 1940 dans le cadre d’un programme de
développement, dit « plan d’action communal » qui prévoit
la construction d’habitations à loyer modéré et des cités
de recensement comme solution à l’habitat précaire ainsi
qu’à plus grande échelle, un programme de constructions
de plusieurs cités d’habitations pour l’agglomération
algéroise. Les nouvelles démarches adoptées aussi bien
dans le PAEE que dans le PAR reposent sur l’idée de

        « globalité et de cohérence entre l’échelle de la
       ville et de son territoire et celle de l’architecture
       qui deviennent, de manière indissociable, des
       terrains d’intervention de l’architecte »⁹.

8 HAKIMI, Zohra, « Du plan communal au plan régional de la ville d’Alger
(1931-1948) », Labyrinthe, 13 | 2002, 131-136.
9 COHEN, Jean-Louis, « Le Corbusier, Perret et les figures d’un Alger
moderne », dans Alger : paysage urbain..., 2003, p. 160-185
32                         La doctrine moderne

                           LE PREMIER MOUVEMENT MODERNE

                           Les questions de l’esthétisme commencent à être posées.
                           Ce qui n’est pas sans incidence sur les approches de
                           l’architecture, de l’impact du paysage et l’image de la
                           ville et en particulier sur son identité méditerranéenne.
                           Questions que l’on retrouvera dans le mouvement
                           moderne en Algérie.

                           Le premier mouvement moderne qui voit le jour, est la
                           société des architectes modernes (SAM) groupe qui
                           vit le jour en Algérie en 1932. La SAM exige de tous ses
                           adhérents de

                                  « construire selon les principes de l’esthétique
                                  moderne, à l’exclusion de tout pastiche et de
                                  toute reproduction des styles anciens, chaque
                                  fois qu’ils n’en seront pas empêchés par une
                                  nécessité absolue»¹⁰.

                           Le terme pastiche renvoie très probablement au style
                           néo-mauresque évoqué précédemment et qui domine
                           l’architecture coloniale française au début du XXeme
                           siècle. On retrouve au sein de nouveau mouvement un
                           groupe de jeunes architectes parmi lesquels Albert Seiller,
                           Xavier Salvador, Leon Claro, Marcel Lathuillère, qui offrent
                           à la ville la première génération de bâtiments et espaces
                           modernes comme le jardin d’essai. La création de ce
     La doctrine Moderne   groupe, pose les premiers jalons de l’architecture moderne

                           10 DE THUBERT, Emmanuel, « architecture moderne », chantiers, n°3, mars
                           1933, p.291-293
34                         L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

dans la ville, et se construit donc sur une forte critique du
style néo-mauresque et surtout sur l’alternative séduisante
que représentent les idées nouvelles de Le Corbusier.
L’influence de Le Corbusier dans les milieux de
formation des architectes à l’École des Beaux-Arts est
manifeste. Il encourage, par son ouverture d’esprit et son
positionnement aux avants-garde de l’urbanisme et de
l’architecture, l’éclosion d’une mouvance, qui engendre la
formation du premier noyau de l’école corbuséene d’Alger
et la seconde vague des architectes modernes de la ville
qui verra le jour suite au neuvième congrès d’architecture
moderne.

                                                                                                     Jardin d'Essais, Alger © Lansol, 1987
36   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

                                                         L’HABITAT POUR LE PLUS GRAND NOMBRE

                                                         En Europe avaient lieu, depuis 1928, différents congrès
                                                         internationaux d’architecture moderne(CIAM). Orchestrés
                                                         notamment par Le Corbusier, ces événements étaient
                                                         une rencontre des plus grands architectes et urbanistes
                                                         internationaux.
                                                         L’intention est de poser les bases théoriques, qui sont
                                                         mal acceptées dans l’Entre-deux guerres, du mouvement
                                                         architectural et urbaniste moderne et fonctionnaliste.
                                                         Pendant une vingtaine d’années, le mouvement moderne
                                                         a codifié l’espace de la maison moderne. Leurs idées
                                                         amènent à croire qu’à partir d’un simple usage, on aurait
                                                         pu engendrer l’espace et la forme d’une architecture. Ceci
                                                         renvoie à l’idée que l’habitat est avant tout une fonction qui
                                                         doit être rationalisée : il ne doit pas être considéré comme
                                                         une fin en soi et doit être débarrassé de l’inutile en termes
                                                         de fonction.

                                                         Le neuvième congrès se déroule à Aix en Provence
                                                         en 1953 et a pour thème « l’habitat pour le plus grand
                                                         nombre ». Pour autant, l’enjeu est clairement annoncé
                                                         comme en témoigne la grille CIAM d’urbanisme mise au
                                                         point par l’ASCORAL (association des constructeurs pour
                                                         un renouvellement architectural)¹¹ :

                                                                « il est souhaitable que le CIAM 9 permette de
                                                                créer une grille de la fonction habiter… définitive
                                                                et bien pensée », concluant que « la liberté des

                                                         11 BONILLO, Jean-Lucien, « La modernité en héritage », Rives nord-
                                                         méditerranéennes, 24 | 2006, 89-99.
38                                L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

                                                                                                 groupes reste donc totale, à l’intérieur de ce
                                                                                                 cadre matériel, pour choisir les titres de bandes
                                                                                                 horizontales et verticales qui leur sembleront les
                                                                                                 meilleurs ».

                                                                                      La grille du CIAM permet de faciliter les comparaisons
                                                                                      et les discussions durant les congrès. C’est une mise en
                                                                                      application de la Charte d’Athènes écrite par Le Corbusier
                                                                                      et publiée une première fois anonymement en 1943, puis
                                                                                      en 1954, cette fois signée.

                                                                                      Ce congrès apparaît selon Jean-Lucien Bonillo¹², comme
                                                                                      le congrès de l’échec de la génération héroïque du
                                                                                      Mouvement Moderne, qui est incapable d’imposer le
                                                                                      projet d’une Charte de l’habitat, face à la jeune génération,
                                                                                      qui elle, est attentive à entreprendre depuis l’intérieur
                                                                                      du mouvement la critique du fonctionnalisme. En effet,
                                                                                      au lendemain de la guerre, l’habitat est en crise et, les
                                                                                      populations à la recherche d’une vie meilleure, se dirige
                                                                                      vers les grandes villes. Il faut trouver des solutions pour
                                                                                      garantir des logements décents pour le plus grand nombre.
                                                                                      On note un profond renouvellement de positions, on ne
                                                                                      parle plus de conception architecturale, mais d’architecture
                                                                                      à habiter.

                                                                                      Parmi les différentes propositions, celle du groupe d’Alger
                                                                                      aborde une conception architecturale différente. Ils
                                                                                      proposent de nouvelles modalités de conception qui se
                                                                                      fondent sur leurs regards portés à la réalité environnante.
                                                                                      Ils prennent plus en compte l’individu, les liens sociaux
                                                                                      ainsi que les actions qui les supportent. Ils cherchent
                                                                                      à trouver des solutions pour l’évolution de l’habitat en
                                                                                      Afrique du Nord.

CIAM 9 conférence, Aix en Provence © Monica Pidegon, 1953

                                                                                      12 Ibid.
40                              L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

Le Corbusier est tout de même assuré du soutien de la
nouvelle génération, car celle-ci forme la fameuse école
corbuséene d’Alger, dont les protagonistes sont entre
autres Roland Simounet, Louis Miquel, Pierre André
Emery, et aussi Jean Maisonseul et Gerald Hanning qui
sont nommés directeurs de l’Agence du Plan en 1953.
Mais la radicalité du « plan Obus pour Alger » interdit toute
tentative de rapprochement avec les formes urbaines
existantes. D’après Jean Lucien Bonillo¹³, Le Corbuiser, en
posant la valeur d’exemplarité de la Casbah et sa supposée
supériorité par rapport à l’héritage des villes historiques
d’Occident, visait plutôt deux objectifs. Le premier était
de crédibiliser « l’exotisme » de ses propres créations,
et le second était de formuler un message humaniste
d’ouverture.

                                                                                       Objets domestiques, dessin dont la première version est insérée dans la grille du
                                                                                                                                      CIAM-Alger © Roland Simounet

13 BONILLO, Jean-Lucien, « Les architectes modernes et les enseignements
de la Casbah », La pensée du Midi, n°18, 2006, p.31-38
42   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

                                                         LA QUESTION DU BIDONVILLE

                                                         Le point de vue des architectes du CIAM-Alger est plus
                                                         novateur, bien qu’il se réfère à Le Corbusier. L’enjeu
                                                         sera d’articuler sur l’analyse une série de propositions
                                                         architecturales pour le relogement des habitants, que
                                                         ce soit avec des solutions types, mais également des
                                                         contextes précis comme le bidonville Mahieddine.
                                                         Pour ce dernier exemple, le CIAM-Alger réalise plusieurs
                                                         transgressions radicales, afin d’être cohérent avec leurs
                                                         visions pour l’essentiel anthropologique d’habiter et une
                                                         conception pragmatique. Ils privilégient un développement
                                                         méthodique à celui d’une grille imposée et réalisée par Le
                                                         Corbusier, dans l’intention de faciliter les comparaisons
                                                         et les discussions durant les différents congrès. Une
                                                         philosophie de conception qui rejoint la posture du « dire-
                                                         vivre » d’Albert Camus¹⁴, dans laquelle l’expérience rejoint
                                                         toutes prise de conception intellectuelle.

                                                         Si le projet présenté lors du CIAM 9 par le CIAM-Alger,
                                                         est une démarche de groupe, émerge en particulier la

                                                         14 Albert Camus est un écrivain, dramaturge, journaliste et philosophe
                                                         français, né en Algérie en 1913. Il est notamment connu pour ses idées
                                                         humanistes fondées sur la prise de conscience de l’absurdité de la
                                                         condition humaine. En 1942, il publie son premier roman, l’Étranger qui
                                                         décrit le cheminement absurde du personnage principal Meursault, de
                                                         l’enterrement de sa mère jusqu’à sa condamnation à mort pour meurtre,
                                                         dans le contexte colonial de l’Algérie française.
                                                         À travers ses œuvres et ses discours, il a toujours souligné l’attachement
                                                         pour sa terre natale et à parfois été critiqué pour ne pas avoir soutenu
                                                         l’indépendance de l’Algérie, à la suite de ce qu’il avait lui-même indiqué
                                                         dans une phrase célèbre : « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère
                                                         avant la justice ».
44                             L’architecture algérienne : l’impossible héritage   La doctrine moderne

contribution déterminante de Roland Simounet qui est
encore étudiant à l’époque. Avant même que les codes
d’une architecture participationniste soient établis, il
accorde la plus grande importance à l’observation de la
maison, et pense le projet sur l’analyse de l’existant. Avec
les bidonvilles, le type de la maison mauresque aura été
un point de référence culturel important, « une leçon
d’habiter du monde d’Orient ». La lecture de Roland
Simounet, et avant lui, celle d'Albert Camus¹⁵, est plus liée
à l’idée que la perception des choses se fait par la pensée
et par l’approche plastique, liée à l’expérience du corps
dans l’espace.
Le CIAM réalise entre autres deux propositions de
plans masse pour la « reconstruction » du site de la cité
Mahieddine qui sont fondées sur des typologies de barres
de logements collectifs. La première proposition est une
formule radicale qui est agencée en fonction du soleil et la
seconde qui est plus sensible à la topographie en offrant
un vaste espace public central.
Mais la contrainte économique étant trop forte, ils se
limitent aux éléments essentiels du logis « musulmans »:
chambre/cours et patio couvert/pièce d’eau et toilettes.

Cette analyse de l’existant et le regard porté par le CIAM et
notamment Simounet pose la question de savoir comment
est reçue cette architecture par la population algérienne.
Bien qu’elle repose sur une étude très attentive des modes
de vies musulmans, celle-ci semble malgré tout inadaptée.
Et ce d’autant plus qu’en pleine guerre d’Algérie, les autorités
civiles et militaires françaises réorganisent profondément
le territoire algérien. En réponse à une commande politique
extrêmement forte, elles transforment drastiquement
l’environnement bâti de l’Algérie, construisent de nouvelles
infrastructures en un temps record et implantent de
nouveaux centres de population afin de maintenir l’Algérie
sous domination française.
                                                                                                         Proposition de cellule type pour le 9e CIAM, bidonville
                                                                                                                        Mahieddine © Grille CIAM-Alger, 1953

15 CAMUS, Albert, « la maison mauresque », 1933
46                                 Une tentative de rattrapage

                                   «LA BATAILLE DU LOGEMENT»

                                   En 1954, au début de la guerre, la population algérienne
                                   est divisée en deux catégories distinctes. D’une part les
                                   citoyens français de statut civil de droit commun, qui
                                   seront plus tard appelés les « pieds-noirs », regroupant
                                   près d’un million d’européens, qui étaient pour la plupart
                                   installés en Algérie depuis plusieurs générations. D’autre
                                   part la population algérienne, qui regroupe près de neuf
                                   millions de personnes.
                                   Si la population française jouit des mêmes droits que
                                   ceux de ses compatriotes métropolitains, la population
                                   algérienne, elle, se retrouve privée d’une partie de ses
                                   droits civiques.

                                   Alors que le Front de Libération nationale(FLN) mène le
                                   combat pour l’indépendance, la France, pour répondre à
                                   des objectifs militaires, crée des camps de regroupement.
                                   Afin de faire face à la revendication indépendantiste du
                                   peuple algérien, l’armée française détruit des villages et
                                   délimite certaines régions qui seront progressivement
                                   réparties en trois principales zones militaires : « Zone
                                   opérationnelle », « zone de pacification » et « zone
                                   interdite ».
                                   À l’intérieur des zones opérationnelles, les officiers
                                   français avaient pour ordre de recourir à tous les moyens
                                   nécessaires pour restaurer la sécurité nationale. Dans les
                                   zones de pacification contrôlées par l’armée,
     Une tentative de rattrapage   celle-ci employait l’« action psychologique » en direction
48                                   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

                                                                                         des civils, qui étaient enjoints de collaborer avec l’armée.
                                                                                         Et enfin, les zones interdites, devaient être vidées.
                                                                                         L’objectif est de contrôler la population afin de gérer
                                                                                         l’intégralité du territoire à des fins militaires.
                                                                                         L’évacuation de cette dernière zone oblige sa population
                                                                                         à tout abandonner : foyers, villages et cultures. La
                                                                                         conséquence de ces regroupements est une migration
                                                                                         interne des populations algériennes vers les grandes
                                                                                         villes, ce qui contribua à l’accroissement de la population
                                                                                         des bidonvilles dans la région d’Alger.

                                                                                         C’est en 1954 que la « bataille du logement » sera prise
                                                                                         à bras-le-corps notamment par la municipalité d’Alger,
                                                                                         dirigée par son maire, Jacques Chevallier¹⁶, qui va créer la
                                                                                         ville de l’Agence du Plan d’Alger, dirigée par Pierre Dalloz
                                                                                         et Gerard Hanning. Ceux-ci vont travailler à partir du plan
                                                                                         d’urbanisme(PAR) de 1948 et poser le fondement d’un
                                                                                         urbanisme « social et humain ».
                                                                                         Personnalité réformiste, Jacques Chevallier défend l’idée
                                                                                         que les Européens et les Algériens doivent vivre ensemble
                                                                                         dans les mêmes immeubles résidentiels :

                                                                                                 « Pour que les hommes de ce pays se
                                                                                                comprennent, la loi de ces cités exclut tout esprit
                                                                                                de ségrégation »¹⁷.

                                                                                         C’est dans cet esprit que Fernand Pouillon procédera à de
                                                                                         nombreuses constructions.
                                                                                         Ces idées sont sujettes à la critique, d’une part par les
                                                                                         partisans de l’Algérie française qui ne voulaient pas
                                                                                         entendre parler de construction de logements pour les
                                                                                         Algériens, comme de la part des nationalistes algériens
                                                                                         qui l’accusent de « néocolonialisme ».

Camp de regroupement de Taliouine, vallé de l'Oued Isser,
région d'Alger © photographe inconnu, 1959

                                                                                         16 CHEVALIER, Jean-Jacques, Lettre aux maires des grandes villes, 1958
                                                                                         17 DELUZ, Jean-Jacques, « l’Urbanisme et l’architecture d’Alger », p.59-62
50                        L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

Des milliers de logements sont planifiés et construits
comme Diar El Saada( Cité du bonheur), Diar El Mahcoul(
Cité de la promesse tenue) et Climat de France par
Fernand Pouillon. Celui-ci représente une autre expression
de la modernité, qui en opposition au CIAM, revendique
le rapport à l’histoire. Aujourd’hui, le projet de Climat de
France est sujet a de nombreuses critiques, c’est une cité
surpeuplée, insalubre et sur laquelle un bidonville s’est
construit peu à peu sur les toits.

L’argument de la pression économique et politique a
été utilisé pour imposer une morphologie urbaine peu
conforme à celle existante et à la culture locale.

Issus de l’école corbuséene, certains architectes
modernes algérois réussiront à prendre davantage en
compte la morphologie de la ville, notamment avec l’
Aéro-habitat. Construit en 1955 par Louis Miquel, Bourlier
et Ferrer-Laloe, cette barre d’immeuble est l’œuvre
majeure de ces trois architectes qui font également partie
du CIAM Alger. C’est finalement la seule architecture
qui concrétise une forme d’aboutissement de la vision
abstraite contenue dans les plans d’Alger évoqués
précédemment. C’est un programme de 284 logements,
en centre ville, pour une population européenne. Dans le
tissu algérois, l’Aéro-Habitat est dessiné sur un principe
de distribution, composé de quatre édifices, qui proposent
des articulations à plusieurs niveaux. On y accède par
une coursive faisant office de rue, contribuant ainsi aux
échanges sociaux. C’est l’un des logements qui a le mieux
résisté, aujourd’hui, au temps et aux hommes.

                                                                                                            Climat de France, Fernand Pouillon, Alger © Stephane
                                                                                                                                              Couturier, 2011-2013
52                                    L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

Gauche: L' Aéro-habitat, vue d'ensemble, Alger ©
photographe inconnu, s.d.
Droite: L' Aéro-habitat, facade sud-est des immeubles 1 et
2, Alger © photographe inconnu, s.d.
54   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

                                                         LE TREMBLEMENT DE TERRE D’ORLÉANSVILLE

                                                         En parallèle, en 1954, le Commissariat à la reconstruction et
                                                         à l’habitat rural(CRHR), est créé à la suite du tremblement
                                                         de terre qui frappa Orléansville (aujourd’hui Chlef). D’après
                                                         Samia Henni¹⁸ le tremblement de terre a fait plus de 15 000
                                                         morts et 6 000 blessés, et a détruit 75 000 logements,
                                                         dont selon Louis Gas, commissaire à la reconstruction
                                                         et à l’habitat rural, 25 000 bâtiments « normaux » et 40
                                                         000 constructions « traditionnelles ». C’est à partir de ce
                                                         tremblement de terre qu’est pour la première fois assumée
                                                         la responsabilité

                                                                « de la politique d’amélioration de l’habitat
                                                                traditionnel des populations rurales d’Algérie et
                                                                plus généralement de la construction en zones
                                                                rurales » et s’étend ainsi « au règlement des
                                                                dommages de guerres »¹⁹.

                                                         Afin de continuer à assurer le contrôle français sur la
                                                         population algérienne tout en tentant une sorte de
                                                         « pacification », le CRHR met en œuvre un programme de
                                                         logement typique de l’habitat rural de 1956, appelé le plan
                                                         HTP2 A6C.
                                                         Ce plan proposait des constructions de plein pied
                                                         composées de deux espaces identiques : l’un pour
                                                         les activités extérieures, l’autre était une cour pour
                                                         répondre aux nécessités de la vie quotidienne d’une
                                                         famille algérienne, inspirées des maisons algériennes
                                                         traditionnelles.

                                                         18 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française
                                                         dans le nord de l’Algérie », éditions B42, 2017
                                                         19 GAS, Louis, « conférence de presse du 23 février 1960 »
56                               L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

Mais ces constructions ont des limites. Sans prendre
en compte les différences considérables de climat et de
conditions socio-économiques, ces logements furent
construits de la même façon dans les alentours des
grandes villes que dans les campagnes des départements
coloniaux français d’Alger, d’Oran et de Constantine.
Certaines de ces constructions, comme le précise Samia
Henni²⁰, ne répondent pas à la disposition spatiale
suggérée par le CHRH, et ne permettent donc pas aux
cours d’être protégées des regards des voisins, ce qui
porte d’autant plus atteinte à la vie privée de ces familles
qui ont déjà dû quitter leurs foyers de force.

On propose une architecture qui convient à des normes
spatiales et économiques françaises. Ce sont entre autres
les futurs habitants de ces logements qui les construisent.
La France garde le pouvoir sur toute l’Algérie en la dirigeant
spatialement, économiquement et politiquement.

                                                                                                                   Reconstruction d'Orléansville, Jean Bossu, 1955-1064 ©
                                                                                                                                                photographe inconnu, s.d.

20 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française dans
le nord de l’Algérie », éditions B42, 2017
58   L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

                                                         LE PLAN CONSTANTINE (1958-1961)

                                                         Les événements de mai 1958 qui conduisent au retour au
                                                         pouvoir du Générale De Gaulle sont un tournant majeur de
                                                         la Guerre d’Algérie. C’est lors de sa première visite que ce
                                                         dernier prononce sa fameuse phrase « je vous ai compris ».
                                                         Il déclare par la suite

                                                                 « Je vois que la route que vous avez ouverte
                                                                 en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la
                                                                 fraternité » tout en soulignant que la rénovation
                                                                 « commence par le commencement, c’est-à-
                                                                 dire par nos institutions, et c’est pourquoi me
                                                                 voilà. »²¹.

                                                         Lors de différentes prises de parole, le Général De Gaulle
                                                         tente d’atteindre les populations algériennes en annonçant
                                                         qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants, avec les
                                                         mêmes droits et les mêmes devoirs.
                                                         Il faut donc créer des opportunités, et libérer des
                                                         ressources pour ceux qui en sont privés. Ce qui ne devait
                                                         être que des rénovations, prendra de l’ampleur et passera
                                                         du « vaste projet de rénovation »²², au projet de Constantine
                                                         un an après. En effet, en termes d’économie et de
                                                         politique, la rénovation apparaît comme insuffisante, il faut
                                                         un plan d’action plus radical. Le plan est ambitieux et vise

                                                         21 General de Gaulle, prise de parole au forum d’Alger le 4 juin 1958.
                                                         22 General de Gaulle, allocution prononcée à la radio d’Alger le 3 juillet 1958.
                                                         23 HENNI, Samia, « Architecture de la contre révolution, l’armée française dans le nord de
                                                         l’Algérie », éditions B42, 2017
60                                  L’architecture algérienne : l’impossible héritage   Une tentative de rattrapage

                                                                                        à « transformer la condition des hommes et spécialement celle
                                                                                        des plus déshéritées », tout en laissant au vu de la situation
                                                                                        actuelle en Algérie, comme le relève Samia Henni²³, à la
                                                                                        France l’exploitation économique, nucléaire et militaire du
                                                                                        territoire de la futur Algérie indépendante. Pierre Massé
                                                                                        qui était commissaire général du plan affirme que « le
                                                                                        développement n’est pas seulement la marche vers l’abondance,
                                                                                        c’est plus encore, sans doute, la construction d’une société ».
                                                                                        En effet, ce plan, avait des objectifs de prospérité censés
                                                                                        bénéficier à la nation entière.

                                                                                        La construction tient une place majeure dans ce plan pour
                                                                                        répondre au manque de logements causé par l’exode rural.
                                                                                        De Gaulle prévoit d’héberger un million de personnes avec
                                                                                        la construction de 200 000 logements sur une période de
                                                                                        cinq ans, ce qui ouvre un nouveau marché immobilier
                                                                                        français destiné essentiellement aux populations
                                                                                        algériennes sous domination coloniale.
                                                                                        Mais on voit très rapidement les limites de ce plan pour
                                                                                        la population algérienne. En effet, différents projets vont
                                                                                        voir le jour. Comme le constate Samia Henni, il s’agit d’une
                                                                                        sorte « d’exclusion inclusive ».

                                                                                        Pierre Padovani, fondateur et président de l’union des
                                                                                        coopératives de construction d’Oranie et secrétaire
                                                                                        général de l’office HLM de la municipalité d’Oran, tente
                                                                                        de répondre à ce qu’il appelle « le problème musulman »
                                                                                        en constatant que l’habitat musulman est resté trop
                                                                                        longtemps à la recherche d’une formule.
                                                                                        Il confie la conception du premier ensemble résidentiel
                                                                                        à l’atelier des bâtisseurs (ATBAT), bureau d’étude opéré
                                                                                        jadis par Le Corbusier, qui réalise un immeuble de quatre
                                                                                        étages en 1965, le Nid d’Abeilles. Ces blocs d’habitations

Visite du Général de Gaulle, Alger © photographe inconnu,
1958
62                            L’architecture algérienne : l’impossible héritage              Une tentative de rattrapage

ne sont pas très différents de ceux construits à Casablanca,
quelques années plus tôt, par les architectes français de
l’ATBAT-Afrique.

Lors l’inauguration du Pavillon Marocain à la 14ème
Biennale internationale d’architecture de Venise²⁴,
l’agence Kilo pose un regard rétrospectif sur l’architecture
marocaine. Dans ces logements, inspirés des habitations
traditionnelles de la Casbah, où ont été construits des
patios, aujourd’hui métabolisés, les patios ont par exemple
au fil du temps disparu pour devenir des pièces fermées.
Ce fut également le cas en Algérie, où les habitants de ces
logements ont rapidement critiqué certains éléments et
certaines configurations des espaces, tels que la hauteur
des murs des cours privées, la position et les dimensions
des fenêtres, le manque de place pour les équipements de
cuisines…
Le projet qui succède aux habitats collectifs est celui
des logements économiques et familiaux, où l’ouvrier
                                                                                  Nid d’abeille, ATBAT Afrique, Casablanca © photographe
musulman et l’ouvrier européen pourraient vivre côte à côte.                                                                inconnu, 1952
Padovani et ses collègues avaient dû abandonner l’idée
des projets à destination des populations algériennes,
ceux pour des raisons quantitatives profondément liées
aux intérêts économiques existants.

Devant réunir les conditions pour une politique d’envergure:                                 L’Algérie a ainsi été un terrain d’expérimentation des
aide à la construction, financement de programmes, aide à                                    architectes modernes. L’étude attentive des modes de vies
l’industrialisation ainsi que rediriger les enfants musulmans                                a servie de justifier une architecture qui est cependant
vers la scolarité, le plan Constantine est probablement                                      inadaptée au mode de vie algériens traditionnels. De plus,
arrivé trop tard. Cette réaction tardive au sous-                                            dans le contexte de la guerre, le processus d’urbanisation
développement de la population musulmane ne suffira                                          mis en place, s’accompagne d’une stratégie militaire afin
pas à endiguer la ferveur nationaliste. L’indépendance de                                    de contenir le nationalisme indépendantiste. Cette analyse
l’Algérie, en 1962, ne lui laissera que trois ans de vie.                                    et ces réflexions faites sur l’architecture coloniale invitent
                                                                                             en contrepoint à se demander comment, ensuite sera
                                                                                             pris en compte l’héritage colonial par les générations de
                                                                                             l’Algérie indépendant jusqu’a aujourd’hui ? Ce fait-il dans
                                                                                             le rejet ou dans la réappropriation ?

24 FUNDAMENT(ISM)S, « Dossier de presse », Premier Pavillon du Maroc,
23 avril 2014
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