L'ÉDUCATION BI-/PLURILINGUE À MADAGASCAR - TABLE RONDE
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TABLE RONDE L'ÉDUCATION Institut Français de Madagascar BI-/PLURILINGUE 1 7 mars 201 5 À MADAGASCAR ENJEUX ET PERSPECTIVES COMPTE RENDU
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Table des matières « De l'éducation bilingue aux questions que peuvent se poser les décideurs malgaches », Professeur Rada Tirvassen.................................................................................................................................................................5 « Les langues existantes à l'égard de l'éducation à Madagascar », Docteur Vaovolo Dimby..............................9 « Langues malagasy et française : terrain de manifestations de conflits socio-culturels. Comment sommes- nous arrivés là ? », Professeur Hanitra Sylvia Andriamamapianina...................................................................17 « Quelles réalités pour une éducation de qualité ? », Marie Ange Andriamanantenasoa.................................23 « Bi-/plurilinguisme à Madagascar », Tsilavo Joely Rafanomezantsoa..............................................................27 « Modifier le rapport au savoir en faveur d’un enseignement/apprentissage plus pragmatique des langues », Joël Randrianantenaina........................................................................................................................................30 « Spécificités de l'enseignement des DNL : vers une alternance des langues », Hery-Zo Ravoloarimanana..34 « Spécificités de l'enseignement des DNL : vers une alternance des langues », Jeannine Martine Razafindrakela.......................................................................................................................................................37 « Quelle langue d'enseignement pour les DNL », Docteur Mélanie Rakotoson-Rakotobe Razarinivo.............40 « Commençons par un bilinguisme égalitaire », Armandine Pruvot & Bruno Philibert Rajaonarison .............45 « Présentation de l'initiative ELAN Afrique », Amidou Maiga & Noémie Nirina.................................................51 « L'intégration de l'éducation bi-/plurilingue dans le système éducatif malgache », Eveline Tételin..............56 « Éducation bi-/plurilingue à Madagascar : Enjeux et perspectives », Nivonirina Yvette Louisa Andriamora Rabetoandro..........................................................................................................................................................59 « La langue “internationale” d’enseignement : facteur de développement d'une nation », Micheline Befeno...63 « Le rôle du malgache dans l'acquisition du français », Sahondraharimanana Ramoeliarisoa........................65 « L'école, une communauté bi-/plurilingue, parlons-en », Docteur Chantal Rakotofiringa..............................70 « Éducation bi-/plurilingue à Madagascar : Enjeux et perspectives », Ginette Razanapera.............................75 « Intégration de l'éducation plurilingue dans le système éducatif malgache », Voahirana Nirina Razafindrabe..........................................................................................................................................................78 —3—
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PLÉNIÈRE 1 « De l'éducation bilingue aux questions que peuvent se poser les décideurs malgaches » Professeur Rada Tirvassen Professeur et Directeur du Département des Langues Européennes Modernes Université de Pretoria Trois remarques 1° une légère modification du titre 2° deux remarques sur le sens du titre Première remarque Les décideurs renvoient ici non seulement aux décideurs politiques mais aussi aux linguistes/didacticiens Après on peut toujours poser la question du poids relatif des deux catégories d’acteurs … mais je reste persuadé que les linguistes/didacticiens ont leur rôle à jouer. Reste à savoir comment le faire Deuxième remarque le titre contient un terme entre guillemets Le terme de multilinguisme est entre guillemets parce que : a) la « description » d’une situation linguistique dépend d’une posture idéologique : quelles langues inclure ? d’où bi-/multilinguisme : l’anglais ? Pourquoi ? Quelles fonctions attribuer aux langues ? Quelles valeurs symboliques associe-t-on aux différentes langues ? b) il est polysémique : il y au moins deux conceptions du multilinguisme : l’une issue des théories des linguistes et, l’autre, fondée sur une observation sans les a priori théoriques qui ont dominé les linguistiques du 20ème siècle. Question 1 (« universelle ») : quelles sont les fonctions des langues dans une instruction publique ? « elles » assurent l’intégration symbolique de l’enfant lors du passage de celui-ci du milieu familial à l’environnement scolaire ; elles sont à la base du développement des deux aptitudes inséparables de la scolarisation que sont la lecture et l’écriture ; « elles » (ce sont les langues d’enseignement) servent de support à la construction de connaissances à l’école et constituent l’outil dont se sert l’apprenant pour exprimer les compétences développées lors des activités d’évaluation ; « elles » constituent la base des compétences assurant l’intégration socio-professionnelle surtout dans les sociétés multilingues où les langues ont des statuts hiérarchisés ; —5—
Question 2 : Est-ce que ces fonctions correspondent à l’ensemble des décisions majeures prises dans les systèmes éducatifs des îles du sud-ouest de l’océan Indien ? Non : les langues ont aussi des fonctions politiques : en général de type identitaire Question supplémentaire : dans quelle mesure est-ce que les fonctions techniques et les choix politiques se recouvrent ; Quelles fonctions les décisions politiques touchent-elles? Reprenons les fonctions assurer l’intégration symbolique de l’enfant ; développement de la lecture et de l’écriture; les langues de construction des connaissances & l’outil dont se sert l’apprenant pour exprimer les compétences développées ; assurer l’intégration socio-professionnelle surtout dans les sociétés multilingues ; Question 3 : Quelles sont les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une politique linguistique de l’école ? 1° : la stabilité ? 2° : la « clarté » ? 3° : les ressources humaines, techniques et (même si c’est tautologique) linguistiques ? Appliquons ces critères sur le contexte malgache Les décisions de politique linguistique à Madagascar ont concerné la malgachisation (1978), le retour au français (1995), et le trilinguisme malgache/français/anglais (2007) : La loi 78-040 du 17 juillet 1978 vise à faire du « malgache commun » une langue d’enseignement Les dirigeants installés en 1996 : bilinguisme précoce malgache/français, le malgache n’intervenant que dans les deux premières années du primaire et le français à partir de la 3 ème année pour les disciplines non linguistiques comme les mathématiques, les SVT et la géographie par exemple. La décision de 2008 2008 Une année plus tard, réforme du système éducatif de juillet 2008 : un bilinguisme tardif, le français n’intervenant qu’à partir de la 6ème année avec en plus, l’enseignement de l’anglais obligatoire en 6 ème et 7ème années, mais recommandée dès la 4ème année. Quelle politique linguistique peut/doit se donner le système éducatif malgache (SEM) s’il veut remplir adéquatement les fonctions que la communauté malgache lui a attribuées ? Le système éducatif malgache : les cycles primaire, secondaire et universitaire. Pré-primaire : si le pré-primaire n’est pas développé, quelles implications linguistiques ? Première question : quelles fonctions assument les langues dans un système éducatif ou pour contextualiser la question, quelles fonctions les langues assument-elles dans l’instruction publique malgache ? —6—
Tentatives de réponses aux questions 1° la stabilité : ne pas mesurer en sur le plan quantitatif mais au niveau plus qualitatif : quelles sont les fonctions qui sont touchées par ces décisions : ◦ la construction de connaissances ; ◦ l’accès à l’écrit et le développement d’aptitudes de lecture/écriture La clarté La loi 78-040 du 17 juillet 1978 préconise de faire du « malgache commun » une langue d’enseignement. Les ressources : M. Rambelo : 10 à 15% de Malgaches locuteurs francophones Qu’en est-il de la maîtrise de l’anglais ? Les questions que doivent se poser les linguistes didacticiens 1° quelle est votre définition de la langue et du bi-/multilinguisme ? Y-en-a-t-il une seule? 2° quelle est votre définition de la variation sociolinguistique ? Y-en-a-t-il une seule? 3° faites-vous une distinction entre le langage et les langues ? 4° sur un plan plus socio-politique : faites-vous une distinction entre des périodes segmentées? Avant les propositions, les principes absence du pré-primaire le rôle essentiel du langage de la socialisation prendre en compte la gestion quotidienne du bilinguisme à l’oral travailler le passage de l’oral à l’écrit créer les conditions de l’accès à l’écrit (les livres de lecture) établir des priorités : le bilinguisme malgache/français doit constituer une priorité Dernier principe si possible éviter le changement de langues de construction de connaissances (l’exemple des Seychelles) le trilinguisme malgache/français/anglais doit être laissée à l’élite au moins pour quelques décennies, le temps de développer les ressources humaines et techniques dans cette langue Proposition Proposition 1 ◦ bilinguisme malgache/français avec une répartition nette entre les fonctions des langues à l’écrit ◦ accueil des enfants en malgache mais cours intensifs, à l’oral, en malgache et en français ◦ deux langues de constructions de connaissances, le français et le malgache pour des séries de disciplines ◦ Avantages ◦ Inconvénients Proposition 2 ◦ Tous les enseignements en malgache pendant les trois ou quatre premières années du primaire et passage à partir de la troisième ou de la quatrième année au français pour certaines disciplines ◦ Avantages ◦ Inconvénients —7—
Proposition 3 ◦ Assurer l’ensemble des enseignements en malgache au primaire mais enseigner le français comme langue étrangère ◦ Passage au français comme langue de construction de connaissances pour certaines disciplines ou pour toutes les disciplines ◦ Avantages et inconvénients Conclusion Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients… Seuls les Malgaches peuvent prendre la décision finale Mais des précautions à prendre —8—
« Les langues existantes à l'égard de l'éducation à Madagascar » Docteur Vaovolo Dimby Sociolexicologue Maître de conférences Département de Langue et Lettres Malagasy (FLSH - ENS - CURAM / Université de Toliara) Finalité, but et objectifs de l’intervention a) Apporter des sujets de réflexion sur l’amélioration de la relation entre le Système Éducatif et la Politique Linguistique Éducative. b) Exhorter l’assistance à honorer la langue malgache en lui acceptant une place prépondérante au niveau du système éducatif de concert avec la langue française ; c) Soumettre à l’auditoire des motions finales, suggestions et propositions de solutions à certains problèmes afférents aux questions citées. d) « Mettre à plat » le malgache avec toutes ses variétés linguistiques. e) Élucider les faits de « corpus » et de « status », de partage fonctionnel entre les langues existantes ; f) Suggérer la « réconciliation (socio)linguistique » entre les langues existantes afin de mieux concevoir et installer la glottopolitique, en général, et la Politique Linguistique Éducative, en particulier. Problématique, objectif et hypothèses L’espace linguistique du territoire malgache (notamment à travers son système éducatif) se montre favorable au bi-/plurilinguisme. Positiver les situations et les relations unissant les langues existantes; Les « langues opportunes » (dont les langues locales) deviennent plus importantes au détriment des « langues intruses » eu égard à la glottopolitique, en général, et à la Politique Linguistique Éducative, en particulier. Résultats attendus Éléments d’inventaire des attributs de la langue malgache avec ses variétés ; Éléments d’inventaire des ressources de « corpus » et de « status » dans les deux langues en présence (le malgache et le français). Éléments d’inventaire des langues existantes autres que le malgache et le français, vus à travers leur fonctionnalité. Méthodologie (simplifiée) Approche éclectique associant : l’approche structurale, l’approche fonctionnelle, l’approche sociolinguistique (notamment contrastive). —9—
Plan de l'intervention I - Confrontation des variétés de la langue malgache II - Confrontation du corpus et du status du malgache et du français III - Qu’en est-il des autres langues existant à Madagascar vis-à-vis de l’éducation malagasy ? Les langues existantes L’ensemble des langues et idiomes fonctionnels coexistant dans le territoire malagasy à travers toutes les situations de communication réelles ou potentielles ; L’ensemble unissant la langue locale (le malagasy avec ses variétés) et les langues étrangères fonctionnant en synergie ou en conflit dans différents domaines d’activités ; Et cela, en contexte éducatif ou extra-éducatif, compte tenu de l’unicité de l’environnement linguistique général. (Cf. SAUSSURE : « Dans un système tout se tient ».) Tout en considérant le système éducatif avec ses trois (3) secteurs : formel, non formel et informel. I - Confrontation des variétés de la langue malgache 1.1 Sur l’identité de la langue malgache 1.2 Ce qu’est le « malgache officiel » 1.3 Ce qu’est le « malgache dialectal » Il est question de dialectes ou plutôt d' isolectes selon le choix terminologique du linguiste HUDSON cité par O.C. DAHL et plus tard par R. B. RABENILAINA. NB : 18 dialectes (en plus OU en moins) : quantification et classification mal maîtrisée (Nécessité de tout un travail à faire !) 1.4 Tableau synoptique comparatif des indicatifs des idiomes malgaches CRITERES DE Malgache officiel Malgache national Isolectes malgaches SPECIFICATION Idiome à « fond endogène Nombreux ; unique chacun dans complexe » : malgache Idiome unique et à base unique son terroir, sauf cas d’hybridisme officiel + tous isolectes + tous 1. Nombre et formation ème (merina du 18 siècle), en milieu urbain (au nombre de sociolectes (unitaire mais « unaire, unifié » 18 selon l’inventaire colonial, à diversifié ; richesse de la revoir et à revisiter) langue malgache) Terroir malgache d’utilisation 2. Territorialité Territoire national malgache Territoire national malgache (pour chaque isolecte) + milieu limité du comorien (cas du kibosy) Intérieure (communautaire) et 3. Niveau de Intérieure ; officielle extérieure ; identitaire (plan Intérieure ; communautaire représentativité comparatif international) 4. Norme Existant : écrite (et orale) Sans norme écrite (ni orale) Sans norme écrite ni orale — 10 —
5. Code d’installation et Essentiellement à l’écrit (et Essentiellement à l’oral (et Uniquement à l’oral d’application occasionnellement à l’oral) occasionnellement à l’écrit) 6. Typologie des Les officiels ; des alphabètes Tous locuteurs natifs Tous locuteurs natifs isolectaux utilisateurs (dont surtout les intellectuels) malagasy 7. Existence de coercition linguistique (aux + - - utilisateurs, dans les (positif) (négatif) (négatif) contextes d’utilisation) Sans coloration dans son terroir 8. Considération A coloration « xénique » (peut constituer dans un autre culturelle (en relation Sans coloration culturellement (pour certains terroir un critère d’identification avec l’« acceptabilité groupes sociaux régionaux,) du locuteur (natif)) ; parfois à affective » portée discriminative - Moins naturel Se vit, se pratique - Naturel 9. Besoin d’apprentissage - Nécessitant un naturellement - S’acquiert spontanément apprentissage S’identifie chacun par son corpus particulier, le différenciant d’un S’apparente au groupe autre (en phonologie et en dialectal oriental (sous-groupe Englobe les deux groupes 10. Classification de lexicologie : il y a des sons et central au même titre que le dialectaux (occidental et corpus phonèmes ainsi que certaines merina, le vakinankaratra, le oriental) ressources lexicales [comme tsimihety, etc.) l’article] spécifiant chaque isolecte). II - Confrontation du corpus et statut du malgache et du français 2.1 Synergie de corpus des deux langues Critères Malagasy Français Généalogie (fam. de Austronésienne Indo-européenne langues) - 4 (m.o.) ou 6 voyelles (pas de voyelles nasales). - 16 voyelles (dont 4 nasales) ; - 12 diphtongues, 31 consonnes ; 2 glides (/j, w/) ; - sans diphtongue ; 17 consonnes; 3 glides (/j, w, y/) ; Phonologie accent à l’ultième (oxyton), - à la pénultième - accent principal toujours à la dernière syllabe ; (paroxyton), antépénultième (proparoxyton) ; syllabe syllabe ouverte CVC. fermée CVCV. Morphologie - Dérivation (avec circonfixation) - Dérivation (pas de circonfixation) ; — 11 —
- Redoublement - Composition productive - Existence de système phono-morphologique - Pas de redoublement (sauf cas de réduplication de spécifique tel sandhi (inconnu en français) valeur enfantine) - Aucune expression morphologique du genre et du - Composition productive nombre (sauf dans certains cas légers). - Disposant de l’expression morphologique du genre et - Expression morphologique du temps habituel (cas du nombre maximal d’opposition à 4 termes : présent, passé, - Conjugaison à une dizaine de temps futur, habituel). - Très favorable à l’abréviation. - Expression morphologique de l’aspect. - Très peu disposé à l’abréviation (abrègement, siglaison, acronymie). - Type syntaxique VOS. - 3 voix (active, passive, relative). - 2 modes d’expression morphosyntaxique (indicatif, - Type syntaxique SVO (Cl. HAGEGE). impératif). - Seulement 2 voix (active, passive). - Formes emphatiques très diversifiées (dont des - 2 catégories de modes : personnels (indicatif, systèmes d’emphase spécifique par inversion du conditionnel, subjonctif, impératif) ; impersonnels Syntaxe sujet). (infinitif, participe) - Une trentaine de réversions diathétiques verbales (5 - Forme emphatique moins diversifiée. degrés de diathèses eu égard au nombre et à la - Ignorant cette diversification diathétique. nature des actants ou arguments de la phrase) + - Type morphosyntaxique : flexionnel. diathèses non verbales. - Type morphosyntaxique : semi-isolant, semi- agglutinant. - À étymologie austronésienne (externe) comme ANC *bili (prix, coût) > vily ; notre hypothèse d’étymologie interne : la paléolexie comme *tio > tioke « vent», - A étymologie externe latine ou grecque tafiotse « pluie de travers sous le vent », etc. - Stock lexical de sources multiples tirées de la quasi- - Stock lexical de sources diverses : austronésienne, totalité des familles de langues du monde (dont le nigéro-congolaise (bantou ou swahili), chamito- malgache : cf. tendrac < trandraka « sorte de porc-épic », Lexico- sémitique (arabe), indo-européenne (indo-iranienne : le rougail / la rougaille < rogay « plat consommé cru sémantique sanskrit ; romane : français ; germanique : anglais, essentiellement composé de tomates et d’oignons hollandais). hachés.) - Système de cryptage lexical : verlan et simili- - Système de cryptage lexical : verlan et autres épenthèse. - Phraséologie : comme clair et net, bel et bien - Phraséologie : une certaine similarité comme soa aman-tsara « bel et bien » — 12 —
2.2 Synergie de statut des deux langues Langues → Malagasy Français Critères Langue maternelle et nationale (sans Langue non maternelle (i.e. langue étrangère, apprentissage préalable, appropriation 1. Fonctionnalité nécessitant un apprentissage préalable avec un automatique et naturelle) naturelle et de facilitateur externe [Langue de communication ambiante, proximité [Langue de communication spécifique moins courante, courante : individuelle, familiale, reconnue de privilège] communautaire] 2. Portée communicative de territoire restreint : vernaculaire - de territoire élargi : véhiculaire territoriale 3. Statut officiel (1ère) langue officielle (2nde) langue officielle 4. Portée fonctionnelle Langue à valeur ajoutée : de promotion sociale Langue sans valeur ajoutée sociale (poste administratif supérieur, fonction publique, etc.) (communautaire) 5. Portée naturelle, Avec écart psychologique par de rang social Sans écart différenciation/discrimination promotionnelle (individuel, familial) 6. Portée Langue d’enseignement littéraire et social Langue d’enseignement scientifique fonctionnelle (histoire, etc.) (calcul/maths, géographie, SVT) + éducative (primaire malagasy [Valeur moins dominante] français [Valeur dominante] et secondaire) 2.3 Situation des deux langues dans le système éducatif 231. Les deux langues dans le secteur formel (marquant la convivialité du malgache vis-à-vis de certaines langues allogènes, notamment du français) 2331. le niveau pré-scolaire 2332. le niveau primaire 2333. le niveau secondaire 2334. le niveau technique et professionnel 2335. le niveau supérieur 232. Les deux langues dans les autres secteurs 2331. Le secteur non formel Place prépondérante du malagasy dans ce secteur (alphabétisation, confessions religieuses, groupements sociaux, politiques et coopératifs, … 2322. Le secteur informel (i.e. autres cadres de croissance de l’enfant et de l’adolescent ) : — 13 —
Place prépondérante du malagasy dans les familles, groupes de pairs, contexte de la rue, églises, quartiers et communes (excepté certains milieux « désocialisés ») III - Qu'en est-il des autres langues existant à Madagascar vis-à-vis de l'éducation malagasy ? 3.1 Quelques notes sur l’anglais : - Première langue première (et langue première) : le malagasy ; - Deuxième langue (et langue seconde) : le français ; - Troisième langue : l’anglais. * Orthographe officielle suivant décret du 23 mars 1823 (influence des missionnaires anglais, notamment David JONES) ; * Premiers mots d’emprunts : des ‘’malglais’’’ (ex : Baiboly, sekoly, tsaoka) ; (cf. Schéma de René Etiemble) ; * Constitution de 2007 avec 3 langues officielles dont l’anglais ; * Anglais : 2ème langue vivante du système éducatif ; * Dissémination et diffusion de l’anglais dans les prospectus et emballage des marchandises. 3.2 Langues opportunes VS langues intruses a) Les langues opportunes : Outre le malagasy et le français, Il y a les langues scolaires et universitaires. Particulièrement, nous citons les langues scolaires (ou potentiellement scolarisables) qui figurent dans les programmes scolaires du secondaire. Ce sont en outre l’allemand, l’espagnol, le russe, auxquels s’ajoutent le japonais, le mandarin et l’italien. Malheureusement, ces langues ne sont enseignées que dans les écoles urbaines bien soutenues au détriment de celles qui s’implantent à la campagne, pareillement aux villes de province ou ville secondaires. Elles apparaissent timidement et en partie dans les mémoires et thèses universitaires Tout dernièrement, apparaissent également des langues telles le turc. dans les médias (presse écrite, TV, radios, etc.) dans les littératures courantes, etc. dans les marchandises licitement commercialisées. Noter ici les langues de l’océan indien comme le comorien, le mauricien et le créole réunionnais. b) Les langues intruses (langues inattendues, voire indésirables, inopportunément introduites dans le territoire au niveau des domaines, contextes ou objets illégaux pour des fins multiples). dans les marchandises prohibées vendues dans les marchés clandestins ou de vente illicite : dans leur prospectus ou emballage, on y lit des textes écrits en langue inconnue. dans tout autre domaine ou contexte de ce genre. 3.3 DOMAINES ET FONCTIONS PARTAGES AVEC LE MALGACHE ET LE FRANCAIS 1. Fonction scolaire et universitaire 2. Fonction officielle et administrative 3. Fonction d’affaires (ou commerciale) 4. Fonction diplomatique (apanage du français) 5. Fonction politique 6. Fonction médiatique 7. Fonction touristique 8. Fonction littéraire, culturelle et cultuelle 9. Fonction scientifique — 14 —
10. Fonction artistique et de loisirs 11. Fonction juridique et judiciaire 12. Fonction informatique NB : L’extra-éducatif influe sur l’éducatif (formel, non-formel et informel). Tout est en relation. Conclusion : motions finales 1. Bien nourrir la langue maternelle et nationale afin de la bien faire maîtriser par nos enfants et nos jeunes après avoir bien bâti ses ressources notamment lexicales. Ce qui veut dire qu’il convient d’élaborer préalablement et dans les meilleures conditions les lexiques terminologiques par des moyens endogènes (par l’autosuffisance linguistique) ou exogènes (par le xénolexique) ; 2. Encourager le multilinguisme avec comme éléments centraux le français et l’anglais, outre le malagasy. La jeunesse malgache ne doit pas être à la traîne à cet égard ; 3. La pratique multilingue doit servir de tremplin dans la promotion de la langue nationale malagasy en confectionnant des lexiques bilingues (malagasy/langue allogène), petite grammaire bilingue, petit dialogue bilingue, autres documents d’information et de formation bilingue ; 4. Promouvoir les langues d’école. Les langues française et anglaise se devraient de se promouvoir en premier dans toutes nos écoles, pas seulement en milieu urbain mais jusqu’à la campagne ; 5. Les langues étrangères, en particulier le français et l’anglais devraient apporter leur soutien à la langue maternelle malgache ; 6. A Madagascar, on est à l’heure de la réconciliation nationale. Il n’est pas inutile de parler ici également de « réconciliation linguistique » (ou « réconciliation des langues »): réconciliation entre le malgache et le français, entre le français et l’anglais (ainsi qu’autres « langues opportunes ») dans le territoire malgache ; 7. Toutes les écoles d’expression étrangère (française, anglaise, turque, etc.) doivent accorder une place non négligeable à la langue malagasy dans tout le territoire de Madagascar ; 8. Nous abondons dans le sens de la Convention nationale de l’Éducation qui a adopté le malgache comme langue d’enseignement. Et la seconde place devrait être accordée à la langue française. Toutefois, nous suggérons de procéder à ce nouveau souffle suivant une approche scalaire. Les concepteurs et les décideurs concernés devraient tirer profit de ce conseil de BOILEAU selon lequel « se hâter lentement et sans perdre courage … » et cela, afin d’éviter de commettre la même erreur stratégique et tactique due à la précipitation « à tombeau ouvert » de la malgachisation selon le Livre Rouge de la Révolution Socialiste Malagasy. 9. Bien considérer la relation entre le Système éducatif et la Politique Linguistique Éducative. 10. (A l’endroit du Gouvernement), insérer la glottopolitique générale dans la Politique Générale du Gouvernement afin de mieux sécuriser une Politique Linguistique Générale et une Politique Linguistique Éducative. Il y va de la bonne santé du Système éducatif ! — 15 —
PLÉNIÈRE 1 Échanges Le nombre de dialectes présents à Madagascar est-il simultanément le français et le malgache. Dans les réellement au nombre de 18 ? N’a-t-on pas tendance faits, les enfants sont en construction de à confondre le nombre de dialectes et le nombre de connaissances : il faut simplement les juger sur leur tribus ? capacité à construire des connaissances. V.D. Aujourd’hui, on parle de « groupes » linguistiques L'enfant construit sa compétence linguistique en et non plus de « dialectes » : il ne faut pas confondre fonction de ce qu'il a à sa disposition : l'apprentissage groupes ethniques et variétés dialectales malagasy. Il d'une langue est limité par le matériel. faut penser à l'unité et éviter la division. Il y a un fonds linguistique français majeur à Madagascar. Il faut l’assumer et ne pas aller à contre- Quel est le pourcentage d’intercompréhension entre courant de l’Histoire. Il ne faut pas faire payer au ces différents « dialectes » ? peuple la perception des choses des intellectuels. V.D. Il n’y a pas de données statistiques. On sait que la Cela, je le refuse. majorité de la population est analphabète et ne maîtrise pas le malgache officiel. Mais, de manière Pourquoi distingue-t-on l’apprentissage oral de générale, tous les Malgaches peuvent se comprendre, l’apprentissage écrit ? malgré quelques petites difficultés. Il faut sortir les V.D. Les exigences sont différentes. A l’oral, il y a plus hommes des catégories et ne pas se servir des de souplesse alors que l’écrit est inscrit dans un langues pour diviser. La langue commune s'enrichit système régi par des règles. Mais l’oral permet des dialectes régionaux : le malgache est une langue d’entrer dans l’écrit, il y a un continuum dans ce cas. unique mais diversifiée. Les enseignants doivent en prendre conscience. A titre d’exemple, la langue anglaise a permis de passer du Pourquoi réserver la langue anglaise à l’élite ? malgache oral au malgache écrit : la fixation de la Pourquoi le français devrait-il être une priorité ? langue malgache à l'écrit s'est faite par des Quels sont les critères pour déterminer l’introduction missionnaires anglais, à des fins politico-religieuses. d’une langue dans le primaire ? Quand on a peu de moyens, que peut-on faire ? Pourquoi parler de multilinguisme plutôt que de R.D. La question est de savoir si l’on souhaite viser le plurilinguisme ? plus grand nombre de personnes. L’école a peu de R.T. Il s’agit là seulement de terminologie. Aucun moyens et, en choisissant l’enseignement en malgache terme n’est en vérité approprié puisqu’il est question et en français, elle transmettra des connaissances à d’utiliser non pas une ou des langues mais des un grand nombre d’élèves. Il ne faut pas réserver cela ressources langagières qui permettront de à un petit nombre, et il faut veiller à la démocratisation communiquer. dans l'introduction des langues vivantes étrangères Dans la formation des enseignants, il faut considérer (LVE). le langage des enfants comme toutes les ressources Le français est la langue la plus disponible par rapport dont ils disposent pour communiquer. A l'école, on aux autres langues, et la plus diffusée dans la vie de accueille les enfants en malgache. Et ensuite, il faut l'enfant, de l'adolescent. proposer des cours intensifs en malgache et en Dans la formation des enseignants, il faut considérer français, mais avec une répartition nette des deux le langage des enfants dans toutes les ressources langues à l'écrit. Les enseignants doivent avoir à leur langagières dont disposent les enfants pour disposition des outils techniques et didactiques pour communiquer. réaliser cela. Dans la réalité des choses, les enseignants utilisent — 16 —
TABLE 1 LANGUE, CULTURE ET BI-/PLURILINGUISME À MADAGASCAR : HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX « Langues malagasy et française : terrain de manifestations de conflits socio-culturels. Comment sommes-nous arrivés là ? » Professeur Hanitra Sylvia Andriamamapianina Université de Toliara Centre Universitaire Régional Androy La question de la langue est une problématique actuelle de la vie nationale malagasy. Elle touche aussi bien la production littéraire que l’enseignement et l’administration. Elle est étroitement liée à l’histoire, avec les rôles joués par l’évangélisation et la colonisation. Il est intéressant de connaître l’évolution des faits afin de comprendre comment on est arrivé à la situation actuelle de conflits de langue (langues malagasy –nationale/maternelles- /langue française). En effet, puisque nous voulons réfléchir sur l’impact de l’éducation bi/plurilingue qui devrait être la création d’une cohésion sociale, ce qui est un idéal, réfléchissons sur ce qui s’est passé en amont, c’est-à-dire sur ce qui a empêché ou freiné l’intérêt pour cette éducation bi/plurilingue à Madagascar. Le malagasy se décline en plusieurs langues maternelles dont le nombre égale celui des ethnies, celles-ci ayant chacune sa langue maternelle, du moins en principe. D’aucuns affirment que la langue malagasy, prétendument unique, n’existe pas, et qu’il faut parler de langues malagasy. A ce propos, R. Bruno Rabenilaina dans son ouvrage Ny teny sy ny fiteny malagasy1 (La langue et les parlers malagasy) fournit l’explication suivante, traduite en français : « Même si la langue malagasy est unique, elle a différentes formes d’expression et différentes prononciations. Ces formes et prononciations différentes, qui ne nous empêchent pas de nous comprendre, sont appelées parlers. Les colonisateurs les ont appelées dialectes […] Il est vrai qu’il n’y a pas de langue malagasy standard, si on définit comme langue standard le parler et l’écriture partagés par les usagers, faisant que la différence entre les expressions soit minime et que les règles d’orthographe soient les mêmes pour tous, même si chaque région possède son parler et le conserve ».2 L’histoire de la naissance de la langue malagasy officielle soulève deux problématiques. La première, et la plus connue ou la plus considérée, est la question de la langue d’enseignement. Le malagasy officiel, issu en majorité du parler merina, est mal compris ou mal accepté par les peuples des autres régions, du fait des circonstances de son 1 R. B. Rabenilaina, Nytenysynyfiteny malagasy, Antananarivo : Société Malgache d’Édition, 2001, p.23. 2 Traduction de : « Na teny tokana aza io teny malagasy io, dia miseho amin’ny endrika samy hafa, tononina amin’ny fomba samihafa. Ireo endrika sy fanononana samy hafa ireo, izay tsy misakana antsika tsy hifankahazo, ireo no omena ny anarana hoe fiteny. Dialectes no niantsoan’ny mpanjana-tany azy […] Mbola tsy misy tokoa ny teny malagasy filamatra, raha lazaina fa ny teny filamatra dia fomba fiteny sy fanoratra iombonan’ny tompo-teny, ka mahakely dia mahakely ny fahasamihafana misy eo amin’ny fitenenana ary maha iombonana tanteraka ny fitsipi-panoratana, na dia samy manana sy mitana ny fiteniny aza ny isam-paritra ». — 17 —
évolution en langue nationale. En effet, le parler merina était synonyme de domination de l’ethnie du centre de l’île. Bien que le malagasy officiel ait intégré des vocables des autres parlers côtiers, en profitant des mouvements de la population marchande et commerçante dans l’île, ainsi que des implantations militaires, cela n’était pas suffisant pour souligner un caractère multiethnique de la langue nationale. Ainsi, pour vraiment vivre l’unité par l’harmonisation linguistique, il faut, comme le prône toujours le linguiste R. Bruno Rabenilaina, dispenser les enseignements de base en langue maternelle (parler local), et non en langue nationale. Il faut toutefois considérer la forte migration dans les sociétés malagasy, le brassage ethnique dans chaque ville et village malagasy. Seul un village bien isolé, bien éloigné des mouvements de la population, pourrait ne pas connaître ce brassage. La deuxième problématique, ignorée, et surtout par les historiens et chercheurs en littérature, c’est celle de la langue d’écriture. La littérature appelée littérature malagasy est bien plus de la littérature tananarivienne. Cela s’explique, dirions-nous, par la naissance de l’écriture malagasy dans l’ancienne société merina (c’est l’ancien parler merina – puisque les parlers évoluent – qui est devenu langue de prière -langue d’évangélisation- et langue d’écriture). L’histoire de la littérature malagasy retrace donc l’évolution de la littérature dans la capitale de l’île, et les autres littératures passent pour des appendices qu’on veut bien rajouter en annexe à une œuvre dite malagasy. On peut citer en exemple l’œuvre publiée par le Révérend Houlder intitulée Ohabolana ou proverbes malgaches qui contient en annexe cent proverbes betsimisaraka. Déjà, les missionnaires, dans les travaux linguistiques qu’ils ont effectués pour « grammaticaliser » la langue malagasy, appelaient les langues maternelles non merina, des langues provinciales. Comme l’écrit l’historienne Françoise Raison-Jourde : « Tout en maintenant explicitement l’affirmation d’une unité de la langue malgache sur toute l’île, [les missionnaires] traitent déjà par le qualificatif de ‘provincialismes’, les langues des côtes dans le rapport dialecte/langue nationale. […] L’expansion, due à l’administration royale, d’une écriture utilisant le vocabulaire merina sur une bonne moitie de l’île, va accentuer le rapport de force, donc le statut dialectal des langages côtiers ».3 La qualification « langue provinciale », ainsi que la mentalité qui l’accompagnait, ne sont pas sans conséquence sur la vie littéraire puisque, comme énoncé plus haut, « littérature malagasy » est devenue presque synonyme de « littérature tananarivienne ». Et dans le domaine de la recherche et des actions de valorisation par la recherche et la publication, on peut reprendre ce que relève le Professeur en linguistique, Roger Bruno Rabenilaina, dans l’ouvrage cité plus haut4. En effet, il y signale qu’un certain nombre d’études ont été faites sur les parlers malagasy depuis la moitié du XIXe siècle et jusqu’en 1991. Si on observe ces études, parues dans des dictionnaires, lexiques, grammaires, ouvrages historiques et anthropologiques, on constate que sur les soixante-trois publications, catégorisées par appartenance ethnique (on dénombre vingt ethnies étudiées), une seule s’intéresse au domaine ntandroy, entre autres, quand six concernent l’antaimoro, trois l’antakarana, cinq le bara, cinq le betsimisaraka, cinq le betsileo, sept le sakalava, sept le tsimihety et douze le merina. La première de ses publications répertoriées remonte à 1842, celle de l’Abbé Dalmond, Vocabulaire malgache-français pour les langues Sakalava et Betsimisaraka5 ; le premier tiers parut sur une durée de cent ans (entre 1841 et 1939), tandis que la majorité, plus du tiers, paraissent dans les années 80 (de 1981 à 1990), donc sur une durée de 10 ans. Mais, une autre conséquence de la catégorisation « langue provinciale », et qui n’est pas moins gênante, est le complexe des écrivains côtiers (y compris ceux de la région sud des Hauts-plateaux, les Betsileo) face aux parlers maternels qu’ils en viennent à rejeter. Nous n’avons trouvé jusqu'à ce jour des œuvres écrites malagasy en langue 3 F. Raison, « L’Échange inégal de la langue. La pénétration des techniques linguistiques dans une civilisation de l’oral (Imerina, début du XIXe siècle) », op.cit., p.659. 4 Idem, pp.39-43. 5 Dalmond, Vocabulaire malgache-français pour les langues Sakalava et Betsimisaraka, Paris : H. Vrayet, 1842. — 18 —
maternelle. Celle-ci devient synonyme de littérature orale. Et les écrivains cherchent un refuge dans la langue française, la francophonie devenant alors un terrain d’expression de la révolte, de la violence, un terrain de défoulement devant une histoire non comprise et non acceptée, non encore digérée à cause de bien des perturbations dans lesquelles les idéologies dominantes ne sont pas étrangères. On peut alors comprendre le choix de Jean-Luc Raharimanana pour le français : « Étonnante facilité de la langue française à parler de tout. De la merde comme du sublime. Je n’ai jamais cessé d’y penser, de m’interroger. J’avais poussé très loin l’expérimentation de la douleur. A peine essayai-je avec la langue malgache que j’abandonnai. La souffrance était intolérable. Je revenais au français, plus torturé et plus enragé encore. Plus j’avançais dans la langue française, plus j’avais un sentiment de dérive irrémédiable vis-à-vis de la langue malgache, comme si je m’éloignais inexorablement d’elle jusqu’à ne plus pouvoir l’utiliser ».6 Et l’occultation de l’histoire pour la génération d’après 1972 aggrave la situation, ne permet pas de panser la blessure, de reconstituer la brisure. On peut citer parmi les écrivains non merina et francophones Lucien-Xavier Michel-Andrianarahinjaka (poète betsileo), Pelandrova Dreo (romancière ntandroy), Hery Mahavanona (poète tanala), Jean-Claude Fota (poète antakarana), Jean-Luc Raharimanana (poète, romancier, dramaturge antakarana), David Jaomanoro (dramaturge, nouvelliste antakarana), Sambo (auteur d’un recueil de beko, genre poétique ntandroy). Néanmoins, les attitudes et opinions des écrivains malagasy d'expression française vis-à-vis de cette langue divergent. La langue française se présente comme la langue de l’autre dont ils s’approprient et manient à leur guise par défi. Parfois comme une langue de prédilection, plus facile et plus simple à utiliser, suite à des études et à un enseignement en langue française, ainsi qu’à un environnement francophone. Souvent comme la voie d'accès sur l'universel, permettant de faire connaître le pays à l'extérieur. A propos du conflit des langues à Madagascar, Jean-Luc Raharimanana témoigne : « L’écrivain africain vit entre plusieurs langues : la langue de la colonisation, souvent la langue littéraire de son pays, la langue dominante et la langue maternelle. Ces langues entretiennent des rapports complexes dus à l’histoire, à la différence culturelle, à l’intime… […] L’alphabet [malagasy] ne s’adapta qu’aux sons du merina, la traduction de la Bible ne prit en compte que les mots lui appartenant, refoulant dans le même mouvement une grande part de la langue malgache. La littérature écrite de langue malagasy (sic) était née. Ce sera une naissance dans la négation : une première négation des autres variantes d’abord, une seconde négation du merina ensuite. Car bien qu’adopté comme langue littéraire, le merina fut vidé de sa substance dès les premières lignes littéraires. Les premières parutions au milieu du XIXe siècle se firent dans des journaux et revues missionnaires. D’inspiration biblique, conformistes et pudibonds, ils reniaient toutes références à la culture malgache, n’étaient que de pâles copies de la prosodie française. L’œuvre missionnaire a fait en sorte de créer une littérature de soumission et d’acculturation. […] »7 Développant sur les rapports complexes entre les langues du pays, Jean-Luc Raharimanana illustre ses assertions : « Quitter la maison avec les mots et les accents antakarana et les étouffer consciencieusement le long du chemin de l’école pour éviter les rires et les sarcasmes des autres enfants (parfois même des instituteurs), recomposer mes lèvres à la mesure du merina. […] Se rendre compte qu’à l’école, l’enseignement du malagasy se fait dans l’exclusion des autres variantes et se déroule en merina. Accepter le terme malagasy iombonana comme le malagasy commun à tous, « naturellement » compris et parlé sur toute l’île et participer à cette entreprise qui vous efface du paysage linguistique de 6 J.-L. Raharimanana, « La part de la perte », Notre Librairie – Revue des littératures du Sud : Langues, langages, inventions, N°159, juillet-septembre 2005, p.115. 7 Idem,pp.110, 114-115. — 19 —
votre propre pays ».8 Le problème lié à la domination d’une langue a été connu déjà durant la période coloniale. En effet, la langue française voulait supplanter la langue malagasy qui, étant un très bon outil d’évangélisation, était pratiquée dans les écoles des missions anglaises. Ce qui fait que pour apprendre la langue et en comprendre le fonctionnement, les missionnaires anglais s’étaient intéressés aux œuvres orales. Ils prenaient ainsi le contre-pied des actions coloniales. Sur le plan pratique, leurs principales actions qui ont servi les causes malagasy sont : la conservation de la langue malagasy par l’enseignement et la publication ; la formation d’une élite malagasy tels Raombana et Rainandriamampandry ; la collecte d’œuvres de la tradition orale, leur transcription, traduction et publication – malheureusement corrigées ou censurées quand elles ne correspondaient pas à l’esprit et à la pudeur chrétienne. Mais Raombana, sans être contre eux, rejetait leur travail sur la langue malagasy : « Raombana ne croit pas, ne peut croire encore, à la dignité littéraire de la langue malgache récemment écrite, même travaillée, codifiée, restructurée par les missionnaires. […] Le malgache des missionnaires n’est que l’humble instrument de [la] traduction [des Saintes Écritures], un malgache d’école primaire pour catéchisme, cantiques, prières du dimanche9 » Plus tard, les colonisateurs, ayant une idéologie différente, s’opposeront aux actions missionnaires en général, tout en profitant de leurs retombées, et assureront des enseignements en français. Cela leur fera faire d’une pierre deux coups : réduire le malagasy au silence, et battre la concurrence anglaise. Au malagasy évangélique s’est alors opposé le français colonial. Si les missionnaires prônaient l’enseignement du malagasy et en malagasy, c’était pour mieux encourager les fidèles à une véritable expression de leur âme et pour mieux les saisir dans le fond de leur pensée, ce qui faciliterait l’évangélisation. Si les coloniaux assuraient l’expansion de la langue française, c’était pour réussir l’acculturation, condition d’une domination réussie. Il était alors interdit de faire des publications en malagasy. Et jusqu’en 1930, aucun journal en langue gasy ne pourra paraître. Des intellectuels, dont un grand nombre formés avant la conquête, luttaient pour donner une formation intellectuelle digne de ce nom à la relève et passaient outre cette interdiction. Une contre-attaque de l’administration coloniale énonce, le 26 septembre 1947, un décret sur la presse qui a provoqué la suspension de la parution des journaux malagasy, d’expression malagasy ou française. L’Académie malgache était manifestement fondée pour des raisons autres que de promouvoir la littérature et la langue malagasy. Cette Académie, à sa création, en 1902, illustrait la colonisation culturelle et la qualifier de « malgache » relève d’une mystification. Elle était majoritairement constituée par des Français : Fontoynont, Grandidier, Malzac, Dandouau, Decary, Mondain. Parmi les douze qui y siégeaient à son ouverture, deux seulement étaient malagasy, Randriamifidy et Rasanjy Ombalahivelo. Le premier était le professeur de malagasy de Jean Paulhan, et le second, selon des écrits, travaillait étroitement avec l’administration coloniale. Apparemment, c’est l’intérêt qu’ils représentaient pour des Français qui favorisa la sélection des deux premiers « immortels » malagasy, puisque sans être des inconnus, ils ne sont pas pour autant des célébrités. Pour les intellectuels français, l’Académie malgache servait de tremplin pour une reconnaissance scientifique, ayant l’avantage d’appartenir à un pays dont les champs d’étude sont encore vierges ou presque de toute investigation universitaire. C’était l’avantage de Jean Paulhan qui, arrivé à Madagascar en 1908, Professeur licencié ès Lettres, l’a quitté en 1910 pour être professeur de malagasy dans la très estimée École Nationale des Langues Orientales Vivantes (Paris) après avoir obtenu le brevet pratique de langue malgache, mention « très bien ». Il a été élu membre correspondant de l’Académie malgache suite à une communication sur les hainteny présentée le 24 février 1910, 8 Ibid., p.111. 9 S. Ayache, Raombana l’historien, op. cit.,p.82. — 20 —
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