L'engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche - INRA ...

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L'engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche - INRA ...
L’engraissement spontané                INRA Prod. Anim.,
                                         2018, 31 (2), 117-130

    du foie chez les palmipèdes :
    état des lieux et perspectives de recherche
Christelle KNUDSEN1, Cécile BONNEFONT1, Laurence FORTUN-LAMOTHE1, Karine RICAUD2, Xavier FERNANDEZ1
1
  GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, ENVT, 31326, Castanet Tolosan, France
2
  INRA, Univ Pau & Pays Adour, E2S UPPA, UMR 1419, Nutrition, Métabolisme, Aquaculture, 64310, Saint Pée sur Nivelle,
France
Courriel : christelle.knudsen@inra.fr

„„ Aujourd’hui, la production de foie gras repose sur le gavage des animaux. Dans un contexte d’intensification
du questionnement sociétal relatif aux impacts du gavage sur le bien-être animal, questionnement relayé par
les associations de protection animale ainsi que par le Conseil de l’Europe, l’INRA a entrepris depuis 2009 des
recherches sur des méthodes alternatives à cette pratique pour la production de foie engraissé.1

Introduction                                                 L’embucage, acte d’introduction                 animal est interdite, sauf pour rai-
                                                           de l’embuc de gavage dans le jabot                son de santé. Outre cette mesure, le
                                                           (canards) ou pseudo-jabot (oies), et              Comité Permanent de la Convention
  Chez les oiseaux, dont les palmi-                        le caractère forcé de l’ingestion sont            Européenne pour la protection des
pèdes, le foie constitue un organe                         aujourd’hui remis en question par les             animaux dans les élevages a recom-
de synthèse et de stockage lipidique                       associations de protection animale,               mandé que des études portant sur
transitoire, utilisé en phase pré-migra-                   mais aussi par le conseil de l’Europe.            des méthodes alternatives à la prise
toire notamment (Odum, 1960 ; Pond,                        Depuis 1999 le conseil de l’Europe                forcée d’aliment chez les palmipèdes
1978). Cette aptitude est exploitée                        recommande ainsi que la produc-                   soient mises en place dans les pays
chez les palmipèdes dans le cadre de la                    tion de foie gras ne soit exercée dans            européens producteurs de foie gras, à
production de foie gras lors du gavage.                    aucun pays européen n’étant pas déjà              savoir la France, la Hongrie, la Bulgarie,
Selon la définition de Labie et Tournut                    producteur à cette date (Article 24 du            l’Espagne et la Belgique (Articles 24
(1970), le foie gras des palmipèdes                        texte relatif aux canards de Barbarie et          et 25). Ces recommandations, ainsi que
gavés est l’expression d’une stéatose                      les hybrides de canards de Barbarie et            les controverses autour de la filière foie
hépatique, autrement dit un engrais-                       de canards domestiques et Article 25              gras, ont entraîné le déploiement de
sement du foie, d’origine nutrition-                       du texte relatif aux oies domestiques             produits alternatifs au foie gras à base
nelle, hypertrophique et réversible.                       et à leurs croisements du 22 juin 1999).          de matières premières végétales ou
Ce mets est considéré depuis 2006                          Cette recommandation n’a à ce jour                animales. Les produits issus de matières
comme faisant partie du patrimoine                         été retranscrite spécifiquement pour              premières animales peuvent se distin-
culturel et gastronomique protégé                          les palmipèdes que dans la législa-               guer en deux catégories : les prépara-
en France (Article L.654-27-1 du code                      tion Italienne en 2001 et l’était déjà            tions à base de foies non engraissés
rural) et est générateur de 2 milliards                    dans la législation polonaise depuis              supplémentées en graisse animale
d’euros de chiffre d’affaires, 30 000                      1997, mais les législations de plusieurs          ou végétale et les foies engraissés
emplois directs et 100 000 indirects en                    pays Européens tels que l’Allemagne,              spontanément, sans alimentation for-
France en 2014 (estimations du Comité                      le Danemark, la Suède, le Royaume                 cée. Quelques éleveurs en France, en
Interprofessionnel des Palmipèdes à                        Uni et les Pays Bas stipulent d’ores et           Espagne et aux États Unis notamment
Foie Gras – CIFOG).                                        déjà que l’alimentation forcée d’un               ont ainsi témoigné de la possibilité

1
    Cet article est adapté de la synthèse présentée aux Journées de la Recherche Avicole 2017 (Knudsen et al., 2017b).

https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.2.2318                                                  INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
L'engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche - INRA ...
118 / Christelle knudsen et al.

­ ’induire une stéatose hépatique spon-
d                                            ­ ermettant un faible captage des lipides
                                             p                                              une forte mobilisation d’énergie, comme
tanée chez les palmipèdes, mais aucune       par cet organe. La lipogenèse de novo se       la reproduction ou la migration. Chez les
donnée bibliographique chiffrée n’est        fait à partir de glucides alimentaires qui     oiseaux le stockage des lipides s’effec-
disponible sur ces élevages.                 sont dégradés en glucose dans la partie        tue ainsi principalement au niveau des
                                             supérieure du tube digestif, puis absor-       adipocytes et des myocytes, mais peut
   La présente synthèse a pour objectif      bés à travers la paroi de l’intestin grêle     également se faire de façon transitoire
de définir l’état d’avancement des tra-      et transporté jusqu’au foie. Le glucose y      au niveau des hépatocytes.
vaux menés sur l’engraissement hépa-         est alors métabolisé en acides gras puis
tique des palmipèdes sans alimentation       en triglycérides. Le foie constitue le site    „„1.2. Comportement
forcée et d’en présenter les perspec-        principal, et quasi exclusif, de la synthèse   alimentaire et métabolisme
tives de recherche. Nous nous focalise-      endogène de lipides chez les oiseaux,          hépatique chez les oiseaux
rons ainsi sur les différentes recherches    alors que chez les mammifères, elle s’ef-      migrateurs
académiques menées sur ce sujet              fectue principalement au niveau des tis-
et les perspectives de recherches en         sus périphériques, adipeux notamment              Afin de répondre aux besoins énergé-
ayant découlé. Nous parlerons de foies       (O’Hea et Leveille, 1969 ; Evans, 1972 ;       tiques importants lors de leur voyage,
« engraissés » pour se référer au produit    Leveille et al., 1975). Ainsi, bien que        les oiseaux migrateurs développent
de systèmes sans gavage et non de « foie     les sites de synthèse varient, chez les        un engraissement important durant
gras » puisque, par l’absence de l’acte de   oiseaux, comme chez les mammifères,            la phase pré-migratoire. Cet engrais­
gavage, le produit ne répond pas à sa        les précurseurs glucidiques alimentaires       sement est généralement dépendant
définition réglementaire actuelle (Article   sont assemblés principalement en trig-         de la distance à parcourir, des arrêts
L.654-27-1 du code rural).                   lycérides, mais aussi en phospholipides        potentiels sur le trajet et du gabarit de
                                             et en cholestérol. Les lipides alimen-         l’oiseau (King et Farner, 1965). Ainsi, chez
                                             taires et endogènes peuvent ensuite            certains oiseaux, comme la fauvette des
1. Bases biologiques                         être exportés vers les tissus adipeux et       jardins (Sylvia borin) ou le colibri à gorge
de la stéatose hépatique                     les muscles ou stockés. L’exportation des      rubis (Archilochus colubris), le poids vif
chez les oiseaux                             lipides via la circulation sanguine se fait    peut être plus que doublé en l’espace de
                                             sous forme de lipoprotéines en s’asso-         quelques jours ou semaines, avec des
                                             ciant à l’apolipoprotéine B pour les trig-     réserves essentiellement sous forme de
   La stéatose hépatique d’origine           lycérides, formant les VLDL (« Very Low        lipides (Odum et Connell, 1956 ; Odum,
nutritionnelle se définit comme l’ac-        Density Lipoproteins ») et l’apoprotéine       1960 ; Pond, 1978 ; Bairlein et Gwinner,
cumulation de lipides sous forme de          A-I pour les phospholipides et le cho-         1994). Cet engraissement semble prin-
triglycérides dans les cellules du foie,     lestérol, formant les HDL (« High Density      cipalement induit par une hyperpha-
les hépatocytes. Dans cette partie nous      Lipoproteins ») (Hermier et al., 1988 ;        gie, i.e. une consommation alimentaire
allons définir les voies métaboliques et     Hermier, 1997). Plusieurs facteurs méta-       accrue, mais aussi par une améliora-
les comportements alimentaires spéci-        boliques, la choline notamment, parti-         tion de l’efficacité digestive (Bairlein et
fiques aux oiseaux, migrateurs ou non,       cipent à l’exportation des triglycérides.      Gwinner, 1994), même si cette améliora-
induisant ce phénomène.                      Afin de permettre le captage des acides        tion est variable selon les espèces (King
                                             gras par les tissus périphériques, les         et Farner, 1965). Il a ainsi été observé
„„1.1. Voies métaboliques                    VLDL circulantes sont ensuite hydroly-         qu’en captivité plusieurs espèces
de synthèse, de transport                    sées via la lipoprotéine lipase à proximité    d’échassiers migrateurs, ayant accès à
et de stockage des lipides                   des sites utilisateurs (principalement les     une alimentation à volonté, pouvaient
chez les oiseaux                             muscles, les tissus adipeux et le foie). Les   avoir une ingestion jusqu’à 8 fois supé-
                                             acides gras libérés traversent les cellules    rieure à celle nécessaire pour couvrir
   Les lipides peuvent avoir deux ori-       endothéliales et sont métabolisés en           leur métabolisme basal, et dépassant
gines : alimentaire ou endogène. Les         triglycérides, qui constituent la forme        les niveaux nécessaires à la reproduc-
lipides alimentaires sont dégradés dans      principale de stockage des lipides.            tion ou au maintien en conditions de
l’intestin grêle. Chez les mammifères les                                                   froids extrêmes par exemple (Kvist et
lipides alimentaires sont transportés           Dans des conditions métaboliques            Lindstrom, 2003). Une modification du
sous forme de chylomicrons dans le sys-      dites « basales » (hors croissance, repro-     régime et des préférences alimentaires
tème lymphatique avant de rejoindre le       duction…) il existe un équilibre entre la      des oiseaux migrateurs, avec une inges-
système veineux, court-circuitant ainsi      lipogenèse et l’exportation des lipides.       tion d’aliments riches en glucides et en
le foie (McWilliams et al., 2004), alors     Mais lorsque l’activité de lipogenèse          lipides comme les fruits par exemple, a
que chez les oiseaux, les lipides simples    dépasse la capacité d’exportation des          également pu être observée en phase
sont absorbés à travers la paroi des         lipides, à savoir la capacité de synthèse et   de migration (Guglielmo, 2018). Durant
entérocytes et réassemblés avant d’être      de sécrétion des lipoprotéines, un phé-        cette période les niveaux d’ingestion
transportés par la veine porte jusqu’au      nomène de stéatose hépatique, c’est-à-         importants permettent aux oiseaux de
foie (Bensadoun et Rothfeld, 1972). Ces      dire d’engraissement du foie, se produit.      couvrir leurs besoins protéiques mal-
lipides passent donc par le foie avant       Ce phénomène peut être observé dans            gré des teneurs en protéines dans les
de rejoindre la circulation g  ­ énérale,    des situations particulières nécessitant       aliments faibles.

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
L’engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche / 119

   Peu de données sont disponibles quant       La modulation de la quantité et de la        à certains stades de vie. Les animaux
à la répartition de la masse graisseuse, qui   qualité nutritionnelle des aliments dis-     ­domestiques ont fait l’objet d’un pro-
semble variable selon les espèces (Pond,       ponibles semble également accélérer           cessus de domestication et de sélec-
1978 ; Guglielmo, 2018). La majeure par-       l’engraissement chez certaines espèces        tion et sont élevés dans des conditions
tie de l’engraissement semble cependant        comme la fauvette des jardins (Sylvia         maitrisées par l’homme pour répondre
se faire au niveau sous-cutané, une pro-       borin, Totzke et al., 2000 ; Cornelius        à ses objectifs (production, sport, récréa-
portion minoritaire étant stockée dans le      et al., 2013). Les facteurs environne-        tion…). En conséquence, leur compor-
foie et les muscles. Le poids de foie aug-     mentaux induisant le comportement             tement peut être assez éloigné de celui
mente durant la migration, mais cette          d’hyperphagie pré-migratoire semblent         des animaux sauvages. C’est pourquoi,
prise de poids n’est pas toujours associée     cependant être très différents entre le       dans cette synthèse nous parlerons de
à un engraissement. Chez une espèce            printemps et l’automne. En effet, les         comportement « normal » des animaux,
de passereaux (Dumetella carolinensis)         conditions environnementales varient          au sens de « attendu pour cette espèce
par exemple le poids de foie augmente          énormément entre le printemps et              en l’absence de contraintes fortes »,
d’environ 25 % avant la migration d’au-        l’automne, et les réponses physio-            plutôt que de comportement naturel. Il
tomne alors que son taux de lipides reste      logiques de migration des animaux             s’agit par exemple, pour les palmipèdes,
constant (Corder et al., 2016). À l’inverse    également (Agatsuma et Ramenofsky,            de comportements tels que celui de se
chez la bernache du Canada (Branta             2006, Cornelius et al., 2013). Les oiseaux    déplacer librement, de battre des ailes,
canadensis minima), un engraissement           seraient ainsi plus sensibles à la pho-       d’avoir des interactions sociales, etc. Afin
périphérique associé à un engraisse-           topériode au printemps qu’en automne          de répondre aux attentes sociétales rela-
ment hépatique a été observé durant            (Bairlein et Gwinner, 1994).                  tives au gavage, les systèmes alternatifs
la migration de printemps (Raveling,                                                         développés pour la production d’un foie
1979). De même, chez le bruant à gorge           Des facteurs hormonaux pourraient           engraissé ne doivent pas avoir recours
blanche (Zonotrichia albicollis), une aug-     également être des inducteurs du com-         à l’alimentation forcée et doivent per-
mentation du taux de lipides hépatiques        portement migratoire, mais peu de             mettre aux animaux d’exprimer un com-
de 6 à 11 % a pu être observée durant la       données concordantes sur ces leviers          portement « normal ». Partant de ces
phase pré-migratoire (Odum, 1960), tout        d’action sont disponibles (Ramenofsky        deux prérequis et des connaissances
comme chez l’étourneau roselin (Sturnus        et Wingfield, 2007). La migration de         de la physiologie et du comportement
roseus) où le taux de lipides hépatiques       printemps serait régulée par les hor-        des palmipèdes, deux axes de travail
est plus que doublé en phase pré-migra-        mones androgènes chez les femelles           peuvent être exploités pour induire une
toire printanière (Pilo et George, 1983). La   comme les mâles, en lien avec la mise         stéatose spontanée : le niveau d’inges-
migration semble ainsi être associée à un      en place de la reproduction à cette           tion et le métabolisme lipidique.
engraissement h   ­ épatique variable selon    période, alors que la migration autom-
les espèces.                                   nale serait en partie régulée par les        „„2.1. Choix du modèle
                                               hormones thyroïdiennes. L’implication        animal et des inducteurs
   Plusieurs facteurs environnemen-            de ces régulations hormonales dans le        potentiels de l’hyperphagie
taux sont responsables du comporte-            comportement hyperphagique et la
ment d’hyperphagie pré-migratoire,             mise en place d’un engraissement reste         Trois paramètres induisant un com-
la photopériode étant le facteur pré-          cependant peu documentée. L’effet de         portement hyperphagique et un
pondérant chez les oiseaux migra-              la prolactine a par exemple été étudié       engraissement chez les palmipèdes
teurs sauvages (King et Farner, 1965 ;         chez la caille des blés (Coturnix cotur-     sauvages en période pré-migratoire
Bairlein et Gwinner, 1994 ; Cornelius          nix, Boswell et al., 1995) et l’oie des      ont été retenus pour être appliqués au
et al., 2013). Selon les espèces et la sai-    neiges (Anser caerulescens caerulescens,     niveau expérimental dans les premières
son, les conditions climatiques locales        Campbell et al., 1981), mais son impli-      études effectuées par l’INRA : la modu-
telles que la température, l’hygrométrie,      cation dans l’engraissement pré-migra-       lation de l’éclairement, de la tempéra-
le champ géomagnétique, la vitesse et          toire n’a pas pu être mise en évidence,      ture et de la disponibilité alimentaire.
la direction du vent, la disponibilité         alors qu’elle a pu l’être chez le bruant
alimentaire et les interactions sociales       à couronne blanche (Zonotrichia leuco-          L’espèce domestique avec les meil-
modulent également ce comportement             phyrs gambelii, Meier et Farner, 1964).      leures prédispositions à la stéatose
(Cornelius et al., 2013). La température                                                    spontanée semble être l’oie grise lan-
influence ainsi indirectement la date de                                                    daise (Anser anser) qui est restée, d’un
départ de la migration d’automne via
                                               2. La démarche                               point de vue génétique, proche de son
ses effets sur la disponibilité hydrique et    de conception innovante                      ancêtre, l’oie cendrée sauvage migra-
alimentaire. De plus, pour une tempéra-        utilisée                                     trice (Heikkinen et al., 2015), et qui pré-
ture inférieure à la neutralité thermique,                                                  sente une forte capacité d’ingestion
l’engraissement est fortement corrélé                                                       et une bonne aptitude à la stéatose
à la température ambiante, affectant             Un engraissement périphérique              (tableau 1). C’est pourquoi, les premiers
ainsi directement la prise alimentaire,        accompagné d’un engraissement                travaux de l’INRA ont été conduits sur
comme c’est le cas chez la majorité des        hépatique a ainsi été observé naturel-       ce modèle animal. L’oie ne représentant
homéothermes (King and Farner 1965).           lement chez certains oiseaux sauvages        actuellement qu’une faible proportion

                                                                                             INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
120 / Christelle knudsen et al.

Tableau 1. Aptitudes à la stéatose spontanée des différents palmipèdes domes-                                           la durée du jour en bâtiment obscur
tiques communément utilisés dans la filière foie gras (d’après Guy et al., 1997 ;                                       (de 10 à 7 h/j). Les premiers résultats,
Baéza et al., 2005 ; Baéza et al., 2013).
                                                                                                                        obtenus en période hivernale ont per-
                                                                                                                        mis d’apporter une preuve de concept
                                                                        Interactions                                    en montrant la possibilité d’induire un
                     Capacité            Comportement     Aptitudes
                                                                         possibles
                    d’ingestion            migratoire  physiologiques                                                   comportement hyperphagique transi-
                                                                      avec la maturité
                       en 24h             des ancêtres  à la stéatose                                                   toire chez le jars après une période de
                                                                          sexuelle
                                                                                                                        restriction alimentaire (Guy et al., 2013 ;
 Oie grise                                      ***                                                                     Fernandez et al., 2016). La consomma-
                          ****                                              ***                       **
 des Landes                               (Oie cendrée)                                                                 tion alimentaire était ainsi supérieure
                                                                                                                        à 400 g/j pendant les trois premières
 Canard                                                                                                                 semaines d’alimentation au maïs,
                            **                     0                       ****                        ?
 de Barbarie                                                                                                            puis diminuait graduellement pour
                                                                                                                        atteindre des niveaux d’ingestion infé-
 Canard                                                                                                                 rieurs à 300 g/j (figure 2). Ces niveaux
                           ***                     *                        ***                        ?
 mulard
                                                                                                                        étaient donc supérieurs à ceux obser-
                                                                                                                        vés dans les rares études disponibles
 Canard                                         ***
                            **                                               *                         ?                chez l’oie adulte nourrie à volonté avec
 commun                                       (Colvert)
                                                                                                                        de l’aliment complet (340 et 380 g/j,
* : aptitude faible ; ** : aptitude modérée ; *** : aptitude forte ; **** : aptitude très forte ; ? : non déterminée.   Sauveur et al., 1988 ; Arroyo et al.,
                                                                                                                        2012a) témoignant d’une hyperphagie
de la production française de foie gras                     3. Les leviers d’actions                                    transitoire. Ces travaux ont également
(< 2 %), par rapport à celle issue du                       utilisés et les résultats                                   permis de tester les hypothèses avan-
canard, mulard principalement, l’INRA a                     obtenus                                                     cées quant aux facteurs induisant cette
également réalisé une expérimentation                                                                                   hyperphagie chez l’oie et d’initier leur
avec ce dernier modèle. Afin d’éviter la                                                                                optimisation.
multiplication des facteurs expérimen-                      „„3.1. Induction
taux et dans une démarche de réduc-                         et modulation                                                 b. L’éclairement
tion des effectifs animaux, chez l’oie                      de l’hyperphagie                                              La lumière est un inducteur impor-
comme le canard les premiers essais                                                                                     tant du comportement d’hyperphagie
ont été menés exclusivement avec des                          Des méthodes d’induction de l’hy-                         pré-migratoire chez les oiseaux sau-
animaux d’un seul sexe. Les mâles ont                       perphagie impliquant la destruction du                      vages. Les travaux de Bonnefont et al
été choisis afin de s’affranchir des effets                 centre de satiété (noyau ventromédian                       (2015) ont permis d’évaluer son effet
de la ponte chez les femelles.                              de hypothalamus) ont été testées dans                       chez l’oie grise landaise en comparant
                                                            les années 1970 (Auffray et Blum, 1970).                    en période hivernale trois programmes
„„2.2. Choix du modèle                                      Ce type de méthodes nous semble                             lumineux : maintien de 10 h d’éclaire-
alimentaire                                                 cependant peu applicable pour des                           ment (lot A) ; une diminution de l’éclai-
                                                            raisons éthiques et économiques. Nous                       rement de 10 à 7h/j par pas de 30 min
   Lors de la phase pré-migratoire,                         avons donc fait le choix dans cette syn-                    tous les 2 jours à partir de la mise à
au-delà de l’hyperphagie, des modi-                         thèse de ne présenter que les systèmes                      disposition du maïs à volonté (lot B),
fications métaboliques, notamment                           développés répondant aux exigences                          tel que cela a été utilisé par Guy et al
dans le foie, favorisent également la                       définies précédemment.                                      (2013) et Fernandez et al (2016) ; et un
lipogenèse et l’engraissement périphé-                                                                                  programme analogue au lot B réalisé
rique et hépatique (Guglielmo, 2018).                          a. Une stratégie d’élevage                               de façon plus précoce, qui permettait
Dans ce cadre, l’aliment a un rôle pri-                           basée sur le comportement                             d’atteindre 7h d’éclairement le jour de
mordial. Il doit être appétent pour                               migratoire                                            la mise à disposition du maïs (lot C).
favoriser l’hyperphagie, avoir une forte                       Les protocoles des premiers tra-                         La consommation au cours de la pre-
valeur énergétique sous forme de pré-                       vaux amorcés par l’INRA en 2009 sur                         mière semaine d’accès au maïs était
curseurs glucidiques de la lipogenèse                       la stéatose spontanée ont été basés                         plus élevée dans le lot C que dans les
(amidon), avoir une bonne digestibilité                     sur le comportement migratoire des                          deux autres lots (436 vs 343 et 330 g/j),
et être pauvre en composés favorisant                       oiseaux sauvages et sur les pratiques                       même si sur l’ensemble de la période la
l’exportation des lipides dans les tissus                   et observations réalisées chez les ani-                     consommation de maïs était identique
périphériques (choline notamment).                          maux reproducteurs. Le protocole                            dans les 3 lots. L’hypothèse que le cycle
Le maïs répond à l’ensemble de ces cri-                     expérimental (figure 1) a ainsi consisté                    lumineux déclenche l’hyperphagie n’est
tères, ce qui en fait la matière première                   à appliquer une restriction alimentaire                     donc pas vérifiée, mais les résultats
privilégiée pendant le gavage (Baéza                        à la fin de la période de croissance sui-                   obtenus mettent en évidence l’intérêt
et al., 2013), et l’aliment retenu pour les                 vie d’une distribution à volonté de maïs                    d’une stimulation lumineuse précoce
premières études sur l’induction d’une                      pendant plusieurs semaines, de façon                        pour optimiser ce comportement. Des
stéatose hépatique spontanée.                               concomitante avec une réduction de                          études restent cependant à effectuer

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
L’engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche / 121

Figure 1. Schéma expérimental appliqué dans les travaux de Guy et al. (2013) et                            d’alimentation au maïs était réduite
de Fernandez et al. (2016) visant à induire une stéatose spontanée chez le jars                            (254 vs 316 g/j/oie, Fernandez et al,
(Anser anser).
                                                                                                           résultats non publiés). Comme observé
                                                                                                           chez l’oie sauvage, l’induction d’un
                                                                                                           comportement hyperphagique chez
                                                                                                           l’oie domestique au printemps requer-
                                                                                                           rait donc d’utiliser d’autres facteurs
                                                                                                           stimulants.

                                                                                                              d. Modulation de la disponibilité
                                                                                                                 alimentaire
                                                                                                              La modulation de la disponibilité
                                                                                                           alimentaire est aussi un inducteur
                                                                                                           potentiel du comportement hyper-
                                                                                                           phagique chez les oiseaux migrateurs.
                                                                                                           Dans le cadre de la conduite d’élevage
                                                                                                           conventionnelle les animaux sont
                                                                                                           soumis à une restriction alimentaire
                                                                                                           horaire avant gavage afin de favoriser
Figure 2. Consommation de maïs inerté offert à volonté chez le jars (Anser anser) à                        une hyperphagie lors de l’accès à l’ali-
compter de 19 semaines d’âge après une phase de restriction alimentaire (d’après                           ment et ainsi développer le volume de
Guy et al., 2013 en rose ; Fernandez et al., 2016 en rouge).                                               leur pseudo-jabot, et donc leurs capa-
                                                                                                           cités d’ingestion (Arroyo et al., 2012b).
                       700
                                                                                                           L’application d’une restriction alimen-
                       600
                                                                                                           taire en amont de l’alimentation au
                                                                                                           maïs serait dès lors un inducteur de l’hy-
                       500                                                                                 perphagie. Les premières études chez le
 Ingestion (g/j/oie)

                                                                                                           canard ont également montré qu’une
                       400                                                                                 modulation de la disponibilité alimen-
                                                                                                           taire (restriction horaire de l’accès à la
                       300                                                                                 mangeoire) durant l’alimentation au
                                                                                                           maïs post restriction alimentaire induit
                       200                                                                                 une augmentation transitoire de l’in-
                                                                                                           gestion (Knudsen et al., 2017a) comme
                       100
                                                                                                           cela a également pu être démontré
                        0                                                                                  avec une alimentation restreinte aux
                             1   8   15 22 29 36 43 50 57 64 71 78 85 92 99 106 113                        granulés (Guy et al., 1997).
                                                 Jours d’alimentation au maïs
                                                                                                           „„3.2. Induction
                                                                                                           de la stéatose hépatique
afin de déterminer plus finement l’effet                     c­ limatiques non contrôlées (bâtiment
de la stimulation lumineuse sur le com-                       non climatisé). Il serait donc intéressant      Dans le cadre des travaux de Guy et al.
portement d’hyperphagie.                                      d’évaluer l’effet de la température dans     (2013) et de Fernandez et al. (2016), un
                                                              le cadre d’essais en ambiance contrôlée      engraissement périphérique et hépa-
  c. La température                                           afin de définir et d’optimiser plus fine-    tique a été observé (figure 3) puisque,
  Comme chez la quasi-totalité des                            ment l’impact de la température sur          après 12 semaines d’alimentation au
homéothermes, des températures                                le comportement d’hyperphagie des            maïs, le poids de foie était de 500 g en
inférieures à la neutralité thermique                         palmipèdes.                                  moyenne et le gras abdominal repré-
favorisent la prise alimentaire et l’en-                                                                   sentait environ 570 g (7,2 % du poids
graissement chez les oiseaux migra-                            Enfin, un essai avec un protocole           vif ). Toutefois, la variabilité du poids
teurs (King et Farner, 1965). Ceci a pu                      identique à celui de Fernandez et al.         de foie était élevée (CV de 45 %, allant
être suggéré chez l’oie grise landaise                       (2016) a pu être mené au printemps, et        d’environ 170 à 1 100 g). Au-delà de
dans le cadre des travaux de Guy et al.                      les niveaux d’hyperphagie étaient net-        12 semaines d’alimentation au maïs, le
(2013) et de Fernandez et al. (2016).                        tement inférieurs à ceux obtenus en           poids de foie stagne et aucun engrais-
Ainsi, plus les températures sont basses,                    période hivernale. L’hyperphagie était        sement hépatique supplémentaire
plus la consommation alimentaire est                         ainsi de plus courte durée (consom-           n’est observé alors que l’engraisse-
élevée. Les essais menés jusqu’à pré-                        mation supérieure à 400 g/j pendant           ment périphérique semble se stabili-
sent ont cependant été effectués en                          2 semaines au lieu de 3) et la consom-        ser plus rapidement, après 6 semaines
périodes hivernales, avec des conditions                     mation globale sur les 12 semaines            d’alimentation au maïs. Les travaux de

                                                                                                            INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
122 / Christelle knudsen et al.

Figure 3. Évolution du poids de foie en fonction de l’âge lors d’une alimentation                  L’aptitude à la stéatose hépatique sans
à volonté au maïs chez le jars (Anser anser) (d’après Guy et al., 2013 en rose ;                   alimentation forcée dépend donc en
Fernandez et al., 2016 en rouge).
                                                                                                   premier lieu de la capacité d’hyperphagie
                     600                                                                           des oies durant les premières semaines
                                                                                                   d’alimentation au maïs. Il serait intéres-
                                                                                                   sant de vérifier ces corrélations dans des
                     500
                                                                                                   conditions d’élevage collectif.

                     400                                                                             b. Modulation du métabolisme
 Poids de foie (g)

                                                                                                         lipidique
                     300                                                                             L’hyperphagie favorise fortement la
                                                                                                   stéatose hépatique, mais d’autres fac-
                     200
                                                                                                   teurs métaboliques rentrent également
                                                                                                   en compte dans les mécanismes d’en-
                                                                                                   graissement pré-migratoires (Cornelius
                     100                                                                           et al., 2013). En effet, chez l’oie grise
                                                                                                   landaise, après la période d’hyperpha-
                      0                                                                            gie, la consommation à volonté de
                           19   21   23   25     27    29     31       33      35      37          maïs diminue alors que le poids de foie
                                               Âge (semaines)                                      continue d’augmenter (Guy et al., 2013 ;
                                                                                                   Fernandez et al., 2016). L’engraissement
                                                                                                   périphérique semble stable à partir de
Fernandez et al. (2015) ont comparé les                a. Corrélation entre                        6 semaines de maïs (Fernandez et al.,
performances du système de produc-                          hyperphagie et stéatose                2016), dépassant les niveaux observés
tion alternatif et du système de produc-               Chez les oiseaux migrateurs sauvages,       en gavage (7,2 % de PV vs 4,7-5,5 %,
tion conventionnel (avec gavage) chez               l’engraissement est fortement corrélé à        Hermier et al., 1999 ; Davail et al., 2000).
des oies grises landaises mâles. Les jars           l’hyperphagie pré-migratoire. L’étude de       Cela suggère une saturation de ces lieux
du système alternatif ont été abattus à             Fernandez et al. (2016) a permis de vérifier   de stockage, pouvant expliquer l’engrais-
224 j, après 12 semaines d’alimentation             ce phénomène chez l’oie grise landaise et      sement hépatique ultérieur. À l’opposé,
libre au maïs, alors que les autres jars            de déterminer la corrélation entre inges-      dans le cadre d’une stéatose induite par
ont été abattus à 115 j après 17 jours de           tion et stéatose hépatique sur des oies        gavage, une durée de jeûne prolongée,
gavage. Ces travaux montrent que pour               logées individuellement. Dans ce dispo-        ou une diminution de l’ingestion, pro-
des poids vifs de 8,2 kg et de 9,3 kg res-          sitif, la consommation moyenne des oies        voque une diminution du poids de foie
pectivement, le niveau d’engraissement              était significativement inférieure à celle     (Babilé et al., 1998 ; Arroyo et al., 2017).
de la carcasse obtenu est globalement               d’animaux en groupe (– 29 % durant la          Ainsi certaines stéatoses se prolongent
similaire, voir supérieur, à celui obtenu           première semaine). Ceci s’explique par         au-delà de la période d’hyperphagie. Il
après un gavage, alors que les poids                la rupture du mode de vie grégaire des         semble donc y avoir une modulation des
de foie sont très inférieurs (445 ± 24              animaux qui ne bénéficiaient donc plus         mécanismes métaboliques qui se met
vs 1 102 ± 23), suggérant une lipoge-               des effets d’entraînement du groupe en         en place lors de la stéatose spontanée
nèse active, mais une exportation des               matière de comportement alimentaire            chez l’oie qu’il est important d’explorer.
lipides néo-synthétisés accrue. De plus,            et qui étaient potentiellement en situa-       Des travaux sont actuellement en cours
les foies issus d’animaux ayant déve-               tion de stress de par leur isolement social,   à l’INRA pour répondre à ce question­
loppé une stéatose spontanée sont                   bien que les animaux pouvaient se voir et      nement et définir la nature de la stéatose
légèrement moins engraissés (53 vs                  s’entendre. Les poids de foie de ces ani-      mise en place.
56 % de lipides) et ont un rendement                maux étaient également inférieurs à ceux
à la cuisson plus faible (82 vs 88 %).              d’animaux élevés en groupe mais la varia-        c. Effet de l’espèce animale
Leurs concentrations en glycogène                   bilité individuelle du poids de foie était       Comme précisé précédemment, la
(103 vs 70 µmol/g) et en glucose (45 vs             en revanche identique (CV de 62 et 63 %,       variabilité interindividuelle de l’hy-
35 µmol/g) sont supérieures à celles des            respectivement), ce qui a permis d’étudier     perphagie et de la stéatose hépatique
animaux gavés, alors que les profils en             les corrélations entre ingestion et stéatose   est très forte chez l’oie grise landaise.
lipides neutres des foies sont similaires.          dans des conditions représentatives de la      Plusieurs pistes de recherches permet-
                                                    variabilité du caractère à ce stade. Cette     tant d’expliquer ce phénomène, et donc
   Ces résultats permettent donc d’af-              étude a permis de mettre en évidence           potentiellement de le réduire, existent
firmer qu’une stéatose spontanée est                une corrélation forte entre le niveau d’in-    et seront développées dans la partie 5.
possible chez l’oie grise landaise, même            gestion de maïs et le poids de foie après 8,
si les performances obtenues sont infé-             11 et 13 semaines d’alimentation au maïs         Les premiers travaux menés chez le
rieures à celles obtenues après gavage              (r² = 0,6, 0,7 et 0,8 respectivement), avec    canard mulard (Knudsen et al., 2017a)
des animaux, en particulier sur le plan             un effet important de l’ingestion précoce      ont montré que l’application d’une stra-
de l’homogénéité du poids de foie.                  (au cours des trois premières semaines).       tégie d’élevage analogue à celle mise

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
L’engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche / 123

en place chez l’oie (Guy et al., 2013) ne      à foie gras. La principale adaptation         générés par la production de foies
permettait pas d’induire d’hyperphagie         réalisée porte sur l’évaluation du pilier     engraissés, obtenu par gavage ou de
durable. Des essais préliminaires chez         environnemental pour lequel l’analyse         façon spontanée grâce à une ACV. Les
le canard de Barbarie ont indiqué des          des cycles de vie (ACV) a été utilisée plu-   impacts environnementaux de la pro-
résultats similaires (Guy et al, données       tôt que des indicateurs de pratiques au       duction d’un kilogramme de foie sont
non publiées). L’hyperphagie engen-            niveau de l’atelier, répondant en cela        ainsi plus importants pour le système
drée était en effet de très courte durée       aux recommandations de Lairez et al.          où la stéatose est obtenue de façon
(570 g d’ingestion sur la première jour-       (2015).                                       spontanée (tableau 2, figure 4). Ces
née), le canard régulant très rapide-                                                        résultats s’expliquent principalement
ment son ingestion lors de la transition       „„4.1. Performances                           par une durée d’engraissement plus
alimentaire, confirmant les résultats          environnementales                             longue (12 semaines vs 16 jours) et une
obtenus chez le canard en croissance                                                         consommation d’aliment accrue (64,1 vs
préalablement restreint (Guy et al.,             Les travaux de Brachet et al., (2015b)      42,6 kg par oie et 124,5 vs 52,3 kg par
1997). Cette brève hyperphagie lors            ont permis de déterminer les impacts          kg de foie) pour des poids de foie infé-
d’une alimentation au maïs à volonté           environnementaux potentiellement              rieurs (514 vs 815 g, tableau 3). L’aliment
était associée à une augmentation
négligeable du poids de foie (84 g de          Tableau 2. Impacts environnementaux de la production d’un kg de foie chez le
                                               jars (Anser anser) dans les systèmes conventionnel (avec gavage) et alternatif (sans
foie en moyenne au point culminant,            gavage) (d’après Brachet et al., 2015b).
après 2 semaines d’alimentation au
maïs, vs 58 g avant alimentation au
                                                                Impact potentiel                       Conventionnel       Alternatif
maïs). Une très forte variabilité de l’ap-
titude à la stéatose spontanée inter-­
                                               Potentiel de changement climatique (kg CO2-eq.)              53,02            140,55
espèces semble donc être observée et
les effecteurs de l’hyperphagie et de la
                                               Potentiel d’eutrophisation (kg PO43--eq.)                    0,37              0,84
stéatose semblent être très dépendants
de l’espèce, comme c’est aussi le cas          Potentiel d’acidification (kg SO2-eq.)                       0,75              1,74
chez les oiseaux migrateurs sauvages
comme présenté précédemment.                   Potentiel de toxicité terrestre (kg 1,4-DB-éq)               0,15              0,32

4. Évaluation                                  Consommation d’énergie primaire (MJ-eq)                     406,66            905,62
de la durabilité
                                               Consommation de la ressource en eau (m3)                     3,44              8,16
du système innovant
                                               Occupation des surfaces (m2.an)                              66,74            142,68

   Comparativement au système
conventionnel, les performances pon-           Figure 4. Évaluation de la durabilité d’un système de production de foie engraissé
dérales en stimulation de la stéatose          résultant d’une stéatose spontanée chez le jars (Anser anser) (Cadre conceptuel
spontanée sont en moyenne moi-                 adapté de Litt et al., 2014 ; et résultats d’après Brachet et al., 2015b ; Fernandez
                                               et al., 2015).
tié moindres que dans le cadre d’un
gavage (500 vs 1 000 g de poids de
foie) et la variabilité individuelle de ces
performances est deux à trois fois plus
élevée qu’à l’issue d’un gavage (45-60 vs
20 %) pour une durée d’engraissement
cinq fois plus élevée (12 semaines vs 16
jours) (Guy et al., 2013 ; Fernandez et al.,
2016). Ce système d’élevage innovant,
et le produit qui en est issu, est donc
très différent d’un système convention-
nel et il convient de définir ses impacts
en termes de durabilité. Ici, nous avons
fait le choix d’évaluer la durabilité selon
ses trois piliers fondateurs : le pilier
environnemental, le pilier économique
et le pilier social. Pour cela, nous avons
adapté le cadre conceptuel proposé par
Litt et al. (2014) pour évaluer la durabi-
lité des ateliers d’élevage de p­ almipèdes

                                                                                                INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
124 / Christelle knudsen et al.

Tableau 3. Principales caractéristiques et performances zootechniques dans les                             La qualité du produit a été com-
systèmes de production conventionnel (foie gras issu du gavage) et alternatif (foie                     parée pour des foies issus d’animaux
engraissé spontanément) chez le jars (Anser anser) (d’après Brachet et al., 2015b).
                                                                                                        engraissés spontanément ou gavés
                                                                                                        via des analyses sensorielles et des
                                                                 Conventionnel          Alternatif      tests d’acceptabilité par les consom-
                                                                                                        mateurs. Ceux-ci indiquent que, dans
 IC(1) Démarrage– Élevage                                               4,28               5,73         une même gamme de poids, les foies
                                                                                                        obtenus par engraissement spontané
 ITM(2) Gavage/engraissement                                           17,55               54,37
                                                                                                        sont moins bien notés et moins bien
                                                                                                        appréciés que les foies issus du gavage
 Quantité d’aliment consommée (kg/oie)
                                                                                                        (Fernandez et al., 2015) notamment sur
                                                                                                        des critères d’aspect, d’odeur et de goût
          Démarrage                                                     9,3                 8,9
                                                                                                        (tableau 4). Il semble dès lors pertinent
                                                                                                        d’explorer les mécanismes sous-jacents
          Élevage                                                       19,0               27,2
                                                                                                        à la stéatose spontanée pour un objec-
                                                                                                        tif finalisé d’optimisation du système de
          Gavage/engraissement                                          14,3               28,0
                                                                                                        production.
 Âge d’abattage (jours)                                                 115                 224
                                                                                                           L’acte d’embucage est supprimé avec
 Poids d’abattage (g)                                                  9 280           8 267 ± 963
                                                                                                        le système d’élevage basé sur la stéa-
                                                                                                        tose spontanée et les animaux sont
 Poids de foie (g)                                                      815             514 ± 231       élevés en groupe et au sol durant toute
                                                                                                        la durée d’élevage. Ce sont des points
 Muscle magret/foie                                                     0,33           0,80 ± 0,54      très positifs en termes de réponse aux
                                                                                                        demandes des citoyens consomma-
 Mortalité (%)                                                                                          teurs (figure 4), et qui justifieraient le
                                                                                                        développement du système de pro-
          Démarrage– Élevage                                             5                   7          duction alternatif au gavage. La maitrise
                                                                                                        de l’éclairement impose cependant une
          Gavage/engraissement                                           1                   4          claustration des animaux sur une grande
                                                                                                        partie de la durée d’élevage pouvant
(1)
      : IC : Indice de Consommation (aliment consommé/gain de poids vif ).                              avoir un impact potentiellement néga-
(2)
      : ITM : Indice de Transformation du Maïs (maïs consommé pendant l’engraissement/poids de foie).
                                                                                                        tif sur le bien-être animal. Des études
                                                                                                        comparatives spécifiques seraient donc
et les déjections animales expliquent                   ce qui pourrait dégrader certaines              nécessaires pour définir précisément
90 % des impacts environnementaux.                      performances environnementales.                 l’impact de ces deux systèmes sur dif-
Une optimisation du système est donc                    Dans cette évaluation le système sera           férentes composantes du bien-être
nécessaire afin de diminuer les impacts                 donc considéré comme saisonnalisé.              animal au cours des différentes phases
environnementaux.                                       Les autres paramètres de ce pilier (la          d’élevage. Enfin, les animaux n’étant
                                                        viabilité économique, l’efficacité de la        pas gavés, le système proposé s’affran-
„„4.2. Performances                                     main d’œuvre, l’efficience du proces-           chit des contraintes posturales liées au
économiques                                             sus, la maitrise de la valeur ajoutée)          gavage et est moins exigeant en temps
                                                        sont quant à eux difficiles à évaluer en        de travail et donc en main d’œuvre. Une
   Pour être durable, un atelier d’éle-                 l’absence de marché réel. Toutefois, la         réduction de la pénibilité au travail et
vage de palmipèdes à foie gras doit                     faible quantité de produit obtenu pour          une augmentation du temps de repos
être rentable, flexible et adaptable                    l’instant, et sa saisonnalité, oblige-          peuvent donc être escomptées avec ce
(Litt et al., 2014). On peut supposer                   raient à proposer un prix très au-delà          système.
que la flexibilité du système alterna-                  du prix actuel du foie gras pour couvrir
tif est améliorée dans la mesure où il                  les coûts de production.                           Le système alternatif au gavage,
s’affranchit des investissements, très                                                                  tel qu’il est expérimenté aujourd’hui
importants, liés à la salle de gavage,                  „„4.3. Performances                             pourrait donc permettre d’améliorer
mais dégradée par la saisonnalité de la                 sociales                                        les performances en termes de bien-
production (actuellement une bande                                                                      être animal et de qualité de vie de l’éle-
par an en hiver). La production pour-                     Litt et al (2014) ont défini que, dans le     veur, mais dégraderait l’ensemble des
rait être dessaisonnée mais implique-                   pilier social, pour être durables les sys-      autres performances de la durabilité
rait des investissements importants                     tèmes doivent produire des produits de          (figure 4). À ce stade, une optimisation
pour contrôler la photopériode et la                    qualité, respecter le bien-être animal, et      du système est nécessaire ainsi qu’une
température des bâtiments, augmen-                      préserver les conditions de travail et la       évaluation plus fine et complète de sa
tant ainsi la consommation d’énergie                    qualité de vie de l’éleveur.                    durabilité.

INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
L’engraissement spontané du foie chez les palmipèdes : état des lieux et perspectives de recherche / 125

Tableau 4. Appréciation des foies de jars (Anser anser) selon le système de pro-                            à améliorer le bien-être animal durant
duction, conventionnel (foie gras issu du gavage) ou alternatif (foie engraissé                             la phase de restriction alimentaire
spontanément) et la gamme de poids dans le cadre de tests d’acceptabilité par le
                                                                                                            (Brachet et al., 2015a).
consommateur (d’après Fernandez et al., 2015).

                                                                                                              b. Conduite d’élevage
                                                     Stimulés             Stimulés
                                   Gavés                                                   P-values           Les premiers travaux sur la stéatose
                                                     600-800 g           800-1 000 g
                                                                                                            spontanée chez l’oie domestique ont
 Aspect                         6,38 ± 1,84b        5,00 ± 2,35a        5,28 ± 2,23a            ***         montré un fort impact des conditions
                                                                                                            environnementales sur le comporte-
 Odeur                          6,43 ± 1,84b        5,86 ± 2,07ab       5,59 ± 2,07a            ***         ment d’hyperphagie.

 Goût                           6,90 ± 1,78b        5,90 ± 2,21a        5,23 ± 2,39a             *             Jusqu’à présent, seule la durée d’éclai-
                                                                                                            rement a pu être étudiée en période
 Texture                        6,91 ± 1,73b        5,28 ± 2,38a        5,35 ± 2,33a            ***         hivernale chez l’oie (Bonnefont et al.,
                                                                                                            2015). Plusieurs autres facteurs, comme
 Appréciation globale           6,83 ± 1,55b        5,77 ± 2,16a        5,59 ± 2,07a            ***         la nature du spectre lumineux et son
                                                                                                            intensité pourraient cependant avoir
* : p < 0,05 ; *** : p < 0,001 ; a, b : des lettres différentes entre moyennes d’une même ligne indiquent   un impact significatif sur le compor-
des différences significatives au seuil de 5 %.
                                                                                                            tement d’ingestion, les performances
                                                                                                            pondérales et le bien-être des palmi-
5. Perspectives                                       sur le niveau d’ingestion des animaux.                pèdes, comme c’est le cas chez les pou-
de recherche                                          Plusieurs facteurs favorisant son inges-              lets de chair (Mendes et al., 2013 ; Parvin
                                                      tion peuvent ainsi être travaillés : son              et al., 2014). Concernant la température,
                                                      appétence, et sa capacité d’hydratation               des études en conditions climatiques
   Nous avons fait le choix dans cette syn-           et d’induction d’une satiété.                         contrôlées permettraient d’évaluer
thèse de présenter les perspectives de                                                                      précisément son effet sur l’hyperpha-
recherche possibles pouvant répondre                     Les palmipèdes, comme la majorité                  gie et la stéatose, et ainsi de définir des
au mieux à l’ensemble des critères de                 des oiseaux, sont sensibles à l’aspect                itinéraires techniques optimaux. Enfin,
durabilité énoncés précédemment sur                   visuel (couleur) et tactile (taille et tex-           les premiers travaux chez le canard ont
ses trois piliers fondateurs : le pilier envi-        ture des particules) des aliments (Owen,              montré qu’une modulation de la durée
ronnemental, le pilier économique et le               1978), ainsi qu’à leur flaveur (Arroyo                de mise à disposition de l’aliment per-
pilier social en évitant de léser de façon            et al., 2012b). Ainsi, selon l’appétence              mettait de relancer brièvement l’hyper-
importante un pilier au profit d’un autre.            de ceux-ci la consommation sera plus                  phagie (Guy et al., 1997 ; Knudsen et al.,
Pour répondre à ces critères, le système              ou moins élevée. Bien que le maïs soit                2017a). Cette modulation, si elle est
d’élevage mis en place pour stimuler la               déjà un aliment très appétent, l’hyper-               vérifiée chez l’oie et le canard, permet-
stéatose spontanée doit être optimisé                 phagie pourrait être stimulée en opti-                trait dès lors de maximiser l’ingestion
afin de : i) répondre aux enjeux sociétaux            misant l’appétence et la préhension de                sur une période donnée. La maitrise des
et améliorer l’acceptabilité du produit               l’aliment par les palmipèdes, en modi-                paramètres d’ambiance peut cepen-
auprès du consommateur ; ii) réduire son              fiant sa forme et sa présentation par                 dant avoir un impact sur le bien-être
impact environnemental ; iii) réduire son             cuisson par exemple.                                  animal qu’il conviendrait d’évaluer.
coût de production. Afin de répondre à                                                                      Enfin, bien que les performances pon-
ces enjeux, la conduite d’élevage doit être              La capacité d’ingestion est également              dérales puissent être dégradées, une
optimisée, avec pour objectif d’entraîner             fonction de paramètres physiologiques                 conduite d’élevage en lumière natu-
des comportements d’hyperphagie et                    inhérents à l’animal, à savoir la vitesse             relle pourrait être envisagée afin de se
d’améliorer les performances hépatiques,              de transit et la capacité volumique de                rapprocher au mieux des conditions de
sans dégrader les rendements en viande,               son tractus digestif, le pseudo-jabot                 vie normales de l’animal, en permet-
tout en répondant aux prérequis énoncés               notamment. La taille de celui-ci peut                 tant en particulier l’accès à un parcours
d’absence d’alimentation forcée et d’ex-              être développée durant la phase de                    extérieur. L’impact sur les performances
pression du comportement normal de                    croissance à l’aide d’aliments à haute                pondérales, économiques et environne-
l’animal. Les poids de foie et leur niveau            capacité d’hydratation, et donc à fort                mentales de ce type de système mérite-
de stéatose doivent être homogénéisés                 pouvoir gonflant (Arroyo et al., 2012b ;              rait également d’être évalué.
tout en améliorant leur qualité sensorielle.          Brachet et al., 2015a). L’utilisation d’ali-
                                                      ments de ce type pourrait dès lors être                  Enfin, dans un souci de durabilité,
„„5.1. Induire et maintenir                           envisagée durant la phase de restriction              l’utilisation des deux sexes dans le dis-
une hyperphagie                                       alimentaire permettant ainsi de déve-                 positif de stéatose spontanée serait
                                                      lopper les capacités d’ingestion des                  préférable, et des travaux sur cette
  a. Facteurs alimentaires                            animaux. De plus, la forte occupation                 thématique sont en cours. La maturité
  Comme précisé en partie 2, le choix                 du tractus digestif favorise la sensation             sexuelle n’ayant pas lieu de façon syn-
de l’aliment joue un rôle primordial                  de satiété, et pourrait donc contribuer               chrone chez les mâles et les femelles,

                                                                                                             INRA Productions Animales, 2018, numéro 2
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