Les apports et les limites de la clinique et des essais cliniques dans l'évaluation des antibiotiques
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essai clinique l efficacité l antibiotique l statistique l effet pollyanna l paradoxe de simpson l collaboration cochrane connaissance essais cliniques Par Pierre-Louis Toutain et Alain Bousquet-Mélou UMR181 de Physiopathologie et Toxicologie Expérimentales INRA, ENV de Toulouse 23, Chemin des Capelles - 31 076 Toulouse Cedex 3 pl.toutain@envt.fr Les apports et les limites de la clinique et des essais cliniques dans l’évaluation des antibiotiques Si la valeur de l’essai clinique RÉSUMÉ pour évaluer un antibiotique ne fait aucun doute, la validité des Cet article explique l’apport des essais cliniques dans l’évaluation des antibiotiques. La valeur et la validité des essais cliniques sont essais cliniques n’est pas discutées ainsi que leur place par rapport aux approches précliniques forcément au rendez-vous, (approche PK/PD). Les limites de l’essai de non-infériorité sont présentées ainsi que les effets Pollyanna et le paradoxe de Simpson. Le notamment lorsque la seule recours à l’information indépendante dans le cadre de la médecine sur exigence règlementaire les faits prouvés est discuté avec un encouragement pour le consiste à demander à un développement en médecine vétérinaire du projet Cochrane. nouvel antibiotique d’apporter la preuve qu’il ne fait pas moins tibiotiques qui seraient les moins critiquables d’un point de vue de l’émergence et de la diffusion de bien qu’un antibiotique la résistance. Le facteur de risque le plus impor- historique dont personne ne tant de l’émergence de résistance est l’exposition sait si sa posologie est encore des bactéries à des concentrations inappropriées d’antibiotiques c’est-à-dire la sélection d’un sché- d’actualité. ma posologique inapproprié. Il importe donc de déterminer les schémas posologiques non seule- ment en prenant en compte des critères d’effica- L ’apport de la clinique et des essais clini- cité (ce qui est l’objectif du thérapeute) mais aussi ques à l’évaluation des antibiotiques pour les risques d’émergence et de diffusion de la résis- en démontrer l’efficacité n’est plus à dé- tance (ce qui est un objectif de santé publique). A montrer. La ligne directrice européenne relative cet égard, il importe de bien comprendre que ce à la démonstration de l’efficacité des antibioti- n’est pas la résistance des pathogènes vétérinaires ques précise que les essais cliniques qui sont qui pose problème mais plutôt celle des différen- entrepris sont de deux types : tes bactéries appartenant aux flores commensales u les essais de détermination de dose et de (digestive, accessoirement cutanée) avec d’une confirmation de dose ; ce sont les études qui part des pathogènes zoonotiques (Campylobacter, permettent de démontrer l’efficacité de l’anti- Salmonella, E. coli…) et d’autre part des germes biotique en relation avec les revendications de non pathogènes pour l’homme (au moins chez les la firme et de déterminer les posologies opti- non immunodéprimés) mais qui peuvent être des males. Selon la ligne directrice, ces essais peu- vecteurs de transfert de matériel de résistance chez vent être menés dans des conditions contrôlées l’homme. En effet, l’essentiel des transferts de ré- (en laboratoire, station expérimentale, avec sistance depuis l’animal vers l’homme se fait par des infections expérimentales etc.) voie alimentaire. Cela explique que les seuls résul- v les essais de terrain menés pour confir- tats cliniques, mêmes satisfaisants pour le théra- mer les précédents dans les conditions réelles peute, ne permettent pas de conclure qu’un sché- de l’usage des antibiotiques. Ce sont de ces es- ma posologique est approprié en terme de santé sais dont nous discuterons dans cet article car publique. Pour cet aspect de l’évaluation des anti- ils correspondent à ce que les praticiens sont biotiques, c’est-à-dire la détermination initiale de en droit d’attendre sur le terrain lorsqu’ils la dose et du risque d’émergence de résistance, les prescriront une spécialité d’antibiotique. essais cliniques ne sont pas des outils sensibles et Le thérapeute vétérinaire doit optimiser non on leur préfère les approches dites Pharmacociné- seulement l’efficacité des traitements mais aussi tique/Pharmacodynamique (PK/PD) (14) car privilégier les modalités pratiques d’usage des an- leur valeur prédictive est meilleure (13). 57 bulletin des gtv - n°42 décembre 2007
Les apports et les limites de la clinique et des essais cliniques dans l’évaluation des antibiotiques Généralités sur la méthodologie pour lequel on n’a pas de preuves formelles de l’ef- des essais cliniques de terrain ficacité ou dont on n’est pas sûr que les posologies soient encore optimales (voir pour une présenta- Selon la ligne directrice, les essais terrains doi- tion générale des tests de non infériorité et sur la vent être multicentriques et se faire sur les popula- façon de choisir l’amplitude de la non infériorité, tions cibles. Ils doivent être réalisés sur des ani- la ligne directrice européenne (1)). Il faut bien re- maux atteints d’infections naturelles et avec des connaître qu’il y a 20 ou 30 ans le niveau des exi- effectifs numériques adéquats. Si un autre produit gences réglementaires mais aussi celui des connais- existe déjà pour cette indication, l’essai doit être sances en méthodologie d’essais cliniques, n’étaient comparatif pour des raisons de bien-être animal. pas ceux d’aujourd’hui ; et démontrer que l’on Pour ces essais de terrain, les critères d’inclusion n’est pas moins bon qu’un antibiotique qui lui- dans l’essai sont cliniques et bactériologiques et ils même n’a pas apporté les preuves de son efficacité doivent être strictement prédéfinis. Lorsque cela selon les standards actuels ou encore qui a été est techniquement possible, on doit isoler le pa- «usé» par la mise en place des phénomènes de ré- thogène cible sur une fraction représentative des sistance n’est pas une véritable « validation par animaux testés et la sensibilité du pathogène isolé l’AMM ». D’autres biais peuvent affecter spécifi- doit être évaluée in vitro aussi bien pour le produit quement un essai de non-infériorité même lors- testé que pour celui servant de référence. La ré- qu’il est réalisé contre un antibiotique de référence ponse au traitement doit être jugée non seulement qui aurait réellement démontré son efficacité. sur des critères cliniques mais aussi sur des critères C’est notamment le cas lorsque l’essai est mené bactériologiques lorsque cela est possible. Il est dans des conditions où aucun des deux antibioti- considéré que le choix du critère clinique de juge- ques n’a à mettre en jeu son potentiel thérapeuti- ment pour démontrer l’efficacité est critique et que pour garantir de bons résultats globaux. C’est que le suivi du post traitement doit être suffisam- le cas par exemple d’un essai curatif qui serait ment long pour documenter les risques de rechu- mené sur des animaux peu atteints ou encore tes. Nous allons reprendre pour les illustrer et les d’une métaphylaxie (ou prophylaxie en milieu in- discuter certains de ces aspects pour montrer les fecté) qui serait entreprise dans des conditions apports mais aussi les limites des essais cliniques d’élevage où la prévalence des infections est faible. actuellement réalisés. Dans de telles situations, accepter a priori d’être inférieure de 5 ou 10% à un bon traitement de référence consistera tout simplement à garantir de Nature des essais cliniques ne pas gêner la guérison naturelle et de ne pas être soumis aux autorités inférieur à un placebo ! Un autre biais de l’essai de non-infériorité consiste à retenir un critère de ju- réglementaires gement qui serait insensible aux différences bien réelles entre les deux traitements voire un critère Essais de « non-infériorité » de jugement non sensible c’est-à-dire n’ayant pas En matière d’efficacité des antibiotiques, les de raison de bouger en présence d’un traitement. évaluateurs disposent le plus souvent d’essais clini- Par exemple, pour une antibiothérapie de type ques dits de « non-infériorité ». Ce sont des essais métaphylactique, les firmes utilisent souvent des pour lesquels la firme apporte la preuve que son critères de jugement de type zootechnique comme nouveau produit n’est pas inférieur à un produit le gain moyen quotidien de poids (GMQ) ; dans de référence et cela, avec un risque statistique un essai récent de métaphylaxie comparant la tu- contrôlé (5%). En effet, au nom du bien-être ani- lathromycine (Draxxin®, Pfizer) à la tilmicosine mal on traite presque toujours le groupe contrôle (Micotil®, Elanco) ou au florfenicol® (Schering- avec un autre antibiotique ce qui interdit de « me- Plough), il a été rapporté que les GMQ pouvaient surer » l’apport intrinsèque du nouvel antibioti- être non significativement différents (voire identi- que. Ce type d’essai permet simplement de le si- ques) entre les traitements alors que ces traite- tuer par rapport à ce qui existe déjà sur le marché. ments se différenciaient très nettement sur la base En pratique, la firme doit apporter la preuve sta- de critères médicaux (11). Même pour des critères tistique que son nouvel antibiotique n’est pas si- de jugement médicaux, on peut avoir des diffé- gnificativement inférieur à un traitement de réfé- rences de « sensibilité » entre les critères qui per- rence. Ce type d’essai est différent des essais dits mettront ou non de distinguer deux traitements. de « supériorité » qui ont pour but de démontrer Par exemple, dans un essai de métaphylaxie por- qu’un nouveau produit est significativement su- tant sur plus de 11 000 veaux et comparant le périeur à un placebo ou à un autre antibiotique ceftiofur (une formulation à longue action non servant de référence. Les essais de non-infériorité commercialisée en France) avec la tilmicosine, il a sont sujets à des biais qui leur sont spécifiques par été conclu à des non différences sur des critères de rapport aux essais de supériorité; le plus invalidant morbidité alors que les différences en terme de consiste à réaliser un essai comparatif entre le nou- mortalité ont été rapportées comme étant très vel antibiotique et un antibiotique plus ancien hautement significatives. On voit donc qu’en 58 bulletin des gtv - n°43 mars 2008
connaissance essais cliniques fonction du critère de jugement retenu, on peut tion des données d’un essai clinique soit selon conclure à l’équivalence (ou à la non infériorité) l’approche dite « per-protocole » soit selon celle de deux traitements ou au contraire à leur diffé- dite « en intention de traiter ». La première consis- rence. Pour éviter ce genre de difficulté il est impé- te à ne retenir pour l’analyse finale des résultats ratif de prédéfinir dans le protocole un critère de que les animaux ayant strictement suivi le proto- jugement principal qui soit pertinent vis-à-vis des cole (par exemple on éliminera des animaux qui objectifs à atteindre. n’ont pas reçus la bonne dose ou qui auront été perdus pour des raisons non prévues au protocole Signification statistique et etc.). En revanche dans l’analyse « en intention de importance pratique d’une traiter » tous les animaux engagés dans le proto- cole seront analysés. Dans l’essai de « non-infério- différence rité », l’analyse « per-protocole » est considérée L’interprétation d’un essai clinique n’est pas comme étant la plus sensible et la moins biaisée. toujours intuitive et les forces de vente et de mar- Cependant, elle ne reflète pas les conditions de keting peuvent facilement en jouer pour égarer le terrain et l’analyse « en intention de traiter » est prescripteur; c’est ainsi que l’on ne doit pas plus représentative des pratiques d’élevage. En re- confondre signification statistique et importance vanche, dans un essai de « non-infériorité » l’ap- pratique d’une différence. Une différence très proche « en intention de traiter » peut facilement hautement significative veut simplement dire que « gommer » les différences (réelles) entre deux trai- l’on est très sûr de la différence même si elle est tements et pour rendre non inférieur un traite- d’une ampleur sans signification thérapeutique. ment peu performant par rapport à un bon traite- De même, on doit réaliser qu’exactement les mê- ment de référence il suffit de faire quelques erreurs mes données d’un essai peuvent parfaitement de dose, de suivi, de perdre quelque feuilles d’ob- conduire à conclure que le traitement A est très servation etc. et cela pour les deux traitements significativement supérieur au traitement B mais pour noyer la différence qui existe. En pratique, de façon tout aussi licite (si cela a été prévu au on peut recommander de procéder au deux types protocole), que ce même traitement B n’est pas d’analyse pour avoir à la fois une conclusion non significativement inférieur au traitement A ! Dans biaisée (avec l’analyse per-protocole) et représen- l’essai précité et mené sur plus de 11 000 veaux, il tative du terrain (avec l’analyse « en intention de a été conclu à la supériorité de la tulathromycine traiter »). sur la tilmicosine. Le même essai aurait pu être entrepris et analysé comme un essai de non-infé- riorité (par l’autre firme par exemple) et il aurait Les informations dont dispose pu être démontré de façon tout aussi licite à la aujourd’hui un prescripteur sur non-infériorité de la tilmicosine sur la tulathro- mycine car les différences observées de mortalité les antibiotiques ont été plutôt modestes dans cet essai (11,90 vs 15,09%) et c’est la taille des lots étudiés (3866 et Le témoignage et la 3870 veaux respectivement) qui a rendu cette dif- désinformation commerciale férence très hautement significative (3). Les témoignages (ou le testimonial, c’est beau- Essais de supériorité coup plus chic) qui consistent à faire parler un éleveur type ou un docte confrère à qui l’on a de- Dans les essais de supériorité la situation est mandé de faire quelques observations cliniques différente et le recours à un critère de jugement envahissent les documents commerciaux de la peu sensible ou à des conditions pathologiques presse vétérinaire. Ce procédé publicitaire qui as- qui ne permettent pas à l’antibiotique de dévelop- socie l’image et le témoignage ne saurait consti- per sa réelle valeur n’entraînera pas de biais mais tuer une preuve d’efficacité d’un médicament et il simplement une perte de puissance de l’essai. Pour faut bien garder à l’esprit que l’observation clini- ces raisons, il est bien utile, pour un nouvel anti- que est à l’essai clinique ce que le son de cloche est biotique, de disposer de quelques essais de supé- au sondage. Seuls les essais cliniques contrôlés riorité, notamment contre un placebo (essai clini- peuvent apporter une information médicale fiable que à trois bras : un placebo, le traitement de et reproductible. C’est ce qui est demandé dans le référence et le nouveau traitement). cadre de l’AMM. Actuellement, la firme doit ap- porter des preuves recevables de l’efficacité de sa « Per-protocole » ou « en spécialité ce qui est souvent repris par les publici- taires sous le slogan «validé par l’AMM ». En fait, intention de traiter » une AMM ne peut pas être réduite à une simple Un autre aspect moins connu des prescripteurs validation de l’efficacité d’un médicament ; elle mais qui entraîne des débats entre évaluateurs et reflète plutôt, à un moment donné, une analyse firmes pharmaceutiques est celui de l’interpréta- de type bénéfice sur risque prenant en compte 59 bulletin des gtv - n°43 mars 2008
Les apports et les limites de la clinique et des essais cliniques dans l’évaluation des antibiotiques d’autres éléments dont les plus prioritaires sont par des résultats discordants. Pratiquement, le relatifs à la sécurité de l’utilisateur, du consomma- prescripteur n’a ni le temps ni les connaissances teur et de l’environnement. méthodologiques pour faire la «synthèse» des données existantes. Aujourd’hui la notion de « Médecine factuelle » et «médecine basée sur les faits prouvés» encore ap- pelée «médecine factuelle» et «Evidence Based « Evidence Based Medecine » Medecine» ou EBM par les anglo-saxons, devient Les essais cliniques même bien faits et sur les- un standard pour porter un jugement global sur quels se fonde l’AMM ne sont pas toujours pu- un traitement, une pratique chirurgicale ou un bliés dans des journaux indépendants et lorsqu’ils médicament. Cette approche reconnaît diffé- le sont, le prescripteur peut se trouver perturbé rents niveaux de preuve pour porter ce jugement global sur un médicament (Tableau 1) et on doit Encadré 1. bien reconnaître avec humilité que le niveau le L’effet Pollyanna plus bas de la preuve est celui de l’opinion des experts y compris en formation collective com- (A : homme, B : porc) me pour la commission d’AMM. Le niveau le plus élevé est celui de la l’analyse systématique A – L’article historique de Marchant et al. (9) rapporte que ou encore analyse structurée. dans le traitement de l’otite moyenne de l’enfant, les critères bactériologiques donnent un pourcentage de succès de 100% Méta-analyse et modèle pour l’antibiotique et de 27% pour le placebo. En revanche, d’analyse de la dans le même essai, les critères cliniques donnent respecti- «Collaboration Cochrane» vement 89 et 74%. Cela est dû au fait que l’antibiotique peut connaître des échecs thérapeutiques non liés à son activité L’analyse structurée peut donner lieu à une bactériologique et que malgré une éradication bactérienne, méta-analyse. On appelle méta-analyse un ensem- les symptômes peuvent spontanément s’améliorer. ble de techniques, notamment statistiques, per- mettant d’analyser en les combinant des données B – Dans cet essai mené sur des porcs ayant une infection collectées dans les différentes études et de formu- expérimentale du tube digestif, il n’a pas été montré de rela- ler des conclusions globales (qualitatives et/ou tion dose-effet (de 0.5 à 64 mg/kg) sur le critère clinique de la quantitatives) qui soient pertinentes, fiables et re- mortalité alors que la relation dose-effet est évidente sur le productibles. Elle apportera des informations qui critère bactériologique d’excrétion bactérienne. ne peuvent pas être obtenues à partir d’un essai isolé et elle permettra de mettre en évidence des Efficacité interactions possibles entre un traitement et telle A (%) Effet de l'antibiotique ou telle condition d’utilisation du médicament. Une méta-analyse n’est donc pas une simple revue 100 % 100 % Otite moyenne bibliographique et elle ne peut être menée que par 89 % un professionnel de la méthodologie. L’idéal pour 80 % 74 % le prescripteur serait de pouvoir disposer des résul- tats d’analyses structurées ou de méta-analyses sur 60 % Succès les différents antibiotiques ou sur tel ou tel type de 40 % clinique stratégie d’antibiothérapie. Actuellement les ana- 27 % lyses structurées sont très rares en médecine vété- 20 % rinaire (voir par exemple celle ayant porté sur les Effet placebo AINS chez le chien (2) ou encore la « méta-ana- 0% lyse » réalisée sur l’antibioprophylaxie des mala- Guérison bactérienne dies respiratoires bovines(15)). Dans le futur le modèle d’analyse de la «Collaboration Cochrane» Réponse B (%) (voir le site de la collaboration Chocrane (http:// www.cochrane.org/index.htm)) sera l’approche Ceftiofur - voie orale qui s’imposera pour ce qui est de préparer, tenir à 90 % jour et diffuser les revues systématiques des études Mortalité évaluant les thérapeutiques (4). La Collaboration 60 % Excrétion Cochrane se met actuellement en route en méde- bactérienne cine vétérinaire avec un groupe de travail ad hoc. A terme, on peut espérer que la médecine vétéri- 30 % naire française aura un libre accès à la « Cochrane library » qui est gratuite pour les citoyens de cer- tains pays ayant jugé bon de donner des informa- 0% tions de qualité à leurs prescripteurs (la France ne 0 0,5 2 16 64 fait pas partie des pays ayant un accès gratuit en 60 bulletin des gtv - n°43 mars 2008
connaissance essais cliniques ligne mais on peut acheter une méta-analyse en par les seuls résultats cliniques (résultats sympto- ligne). Pour se faire une idée de l’apport de la Co- matiques). En effet, à partir du seul jugement chrane library, il faut visiter le site de l’éditeur clinique, il est apparu que tous les antibiotiques (Wiley) et accéder aux résumés des analyses qui utilisés pour traiter des sinusites chez l’enfant sont gratuits (http://www3.interscience.wiley. donnaient satisfaction. Mais de façon plus pré- com/cgi-bin/mrwhome/106568753/HOME?C cise il était aussi apparu que de bons antibioti- RETRY=1&SRETRY=0). La principale limite à ques (en terme d’éradication du pathogène ciblé) la réalisation de ces méta-analyses est due au fait pouvaient donner des résultats cliniques déce- que la quasi totalité des essais cliniques sont réali- vants au regard de leurs effets antibactériens alors sés par les firmes pharmaceutiques qui ne les pu- qu’à l’inverse, des antibiotiques pouvaient don- blient pas ou qui ne publient que les essais don- ner des résultats apparemment satisfaisants sur le nant des résultats flatteurs pour leurs spécialités plan clinique alors que leur activité antibacté- (biais de publications).Cela explique que l’on doit rienne (éradication ou contrôle du pathogène) rester vigilant, même avec une méta-analyse qui était médiocre (Encadré 1). C’est cette insuffi- ne prend en compte que les résultats publiés (6). sance des critères cliniques vis-à-vis de l’un des objectifs prioritaires d’une antibiothérapie réus- sie, à savoir l’éradication du pathogène, qui a été Effet placebo et effet Pollyanna l’une des raisons de l’émergence des critères PK/ des antibiotiques Tableau 1. Classement des niveaux de données probantes correspondant à différentes méthodologies d’étude en réponse à des questions scientifiques L’effet placebo peut être très grand pour les précises antibiotiques notamment pour les usages pro- phylactiques et métaphylactiques où il peut dé- Niveau de données Plan d’étude Type d’étude passer très largement les 50%. Pour les patholo- probantes gies respiratoires des veaux (dans les conditions I Analyses systématiques Analyse structurée américaines), la morbidité va de 10 à 80% et la Essais cliniques mortalité de 5 à 20% (5). Une telle variabilité II Expérimentale randomisés peut rendre difficile l’appréciation du service médical rendu par un antibiotique. Qui plus est, III Études de cohorte Observationnelle on sait que les résultats cliniques sont parfois dif- IV Études de provocation Expérimentale ficiles à interpréter car ils sont obérés par le phé- Études cas-témoins nomène de «Pollyanna». Pollyanna est le nom V Observationnelle Études transversales d’une petite fille qui est devenue une figure de la Études descriptives, littérature enfantine américaine car elle était tou- rapports de cas/séries de jours contente (http://en.wikipedia.org/wiki/ VI cas, opinion des autorités Descriptive Pollyanna). Ce terme a été repris en médecine respectées, rapports de humaine il y a plus de 10 ans (9), pour exprimer comités d’experts la difficulté de juger des effets d’un antibiotique D’après (http://dsp-psd.tpsgc.gc.ca/Collection/HP5-9-2005F.pdf). Encadré 2. Tableau 2. Exemple numérique virtuel pour illustrer le paradoxe de Simpson Exemple numérique virtuel pour illustrer le Produits Conclusion des praticiens paradoxe de Simpson Site 1 Effectif A 2000 B 3000 A>B Un essai de métaphylaxie a été conduit Succès (%) 70% 68% dans trois sites différents avec pour Site 2 Effectif 3000 2000 chaque site 5000 veaux. Pour les trois ré- A>B gions on observe que le traitement A est Succès (%) 30% 25% supérieur au traitement B. En revanche, Site 3 Effectif 2500 2500 en considérant les résultats combinés A>B des trois régions (soit 7500 veaux pour le Succès (%) 40% 38% traitement A et 7500 veaux pour le traite- Conclusion du Total Effectif 7500 7500 ment B) on observe que le pourcentage statisticien de succès de B est supérieur à A et cette Succès (%) 44% 46.53% B>A différence est significative ! L’explication est due à une mauvaise répartition aléa- toire des traitements avec un déséquilibre entre les effectifs pour A et B dans chaque site. Le traitement A se trouve pénalisé par le seul effectif traité sur le site 2 qui donne globalement les moins bons résultats. 61 bulletin des gtv - n°43 mars 2008
Les apports et les limites de la clinique et des essais cliniques dans l’évaluation des antibiotiques PD pour juger des effets d’un antibiotique et de même essai multicentrique et pour un même l’exigence réglementaire de documenter la guéri- traitement métaphylactique chez le veau (une son bactériologique (lorsque cela est possible) et dose de ceftiofur retard suivi 8 jours plus tard pas seulement la guérison clinique. d’une dose de tulathromycine) a été de 48% pour un premier site et de 97.4% pour un deuxième site (12). Cette variabilité doit être Essais multicentriques : prise en compte dans la planification de l’essai paradoxe de Simpson pour ne pas générer l’occurrence d’un effet pa- radoxal et contre intuitif pour les praticiens, La variabilité intersite en termes de morbi- nommé « effet Simpson » (encore connu en dité et de mortalité qui est observée dans les épidémiologie sous le nom de biais de confu- essais cliniques peut-être très importante. A ti- sion). Cela survient si la randomisation inter- tre d’exemple, le taux de succès rapporté dans le site des traitements à comparer n’est pas bien contrôlée. L’effet Simpson explique pourquoi Bibliographie l’expertise individuelle et l’intime conviction 1 - Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP) guide- peuvent être contredites par des essais et il ex- line on the choice of the non-inferiority margin. Stat Med. plique également pourquoi l’analyse en sous- 2006;25(10):1628-1638. groupes peut-être dangereuse. L’Encadré 2 et le 2 - ARAGON CL, HOFMEISTER EH, BUDSBERG SC. Systematic re- Tableau 2 donnent les résultats d’un essai vir- view of clinical trials of treatments for osteoarthritis in dogs. J Am Vet Med tuel impliquant trois clientèles et pour lequel Assoc. 2007;230(4):514-521. les trois praticiens ont observé que le produit A 3 - BOOKER CW, SCHUNICHT OC, GUICHON PT, JIM GK, donnait un pourcentage de succès supérieur au WILDMAN BK, PITTMAN TJ, PERRETT T. An evaluation of the produit B mais essai pour lequel un « statisti- metaphylactic effect of ceftiofur crystalline free Acid in feedlot calves. Vet cien du dimanche » s’est permis de reprendre Ther. 2006;7(3):257-274. toutes les données pour les analyser globale- 4 - BOSSARD N, LANDAIS P, THALABARD J-C. Concepts méthodologi- ment selon une approche dite « naïve » et ce ques généraux. Médecine Thérapeutique. 1998;4(8):617-625. vilain statisticien de conclure à l’inverse des 5 - CLARKE CR, BURROWS GE, AMES TR. Therapy of bovine bacterial praticiens que le produit B était supérieur au pneumonia. Vet Clin North Am Food Anim Pract. 1991;7(3):669-694. produit A ! La possibilité d’être victime du pa- 6 - EASTERBROOK PJ, BERLIN JA, GOPALAN R, MATTHEWS DR. radoxe de Simpson est grande lorsque l’on est Publication bias in clinical research. Lancet, 1991;337(8746):867-872. amené à considérer des données issues de diffé- 7 - JULIOUS SA, MULLEE MA. Confounding and Simpson’s paradox. rentes sources, à procéder à des analyses en Bmj. 1994;309(6967):1480-1481. sous-groupes (technique appelée dans le jargon 8 - LIEVRE M, CUCHERAT M, LEIZOROVICZ A. Pooling, meta-ana- des statisticiens « essorage de données ») ou en- lysis, and the evaluation of drug safety. Curr Control Trials Cardiovasc Med. core en pharmacovigilance où on peut se re- 2002;3(1):6. trouver à analyser globalement des données 9 - MARCHANT CD, CARLIN SA, JOHNSON CE, SHURIN PA. éparses et très « déséquilibrées » (8). Pour de Measuring the comparative efficacy of antibacterial agents for acute otitis me- véritables exemples en médecine voir (7) ou di- dia: the «Pollyanna phenomenon». J Pediatr. 1992;120(1):72-77. rectement l’article en ligne (Confounding and 10 - PERERA R. Statistics and death from meningococcal disease in children. Simpson’s paradox -- Julious and Mullee 309 Bmj. 2006;332(7553):1297-1298. (6967):1480 -- BMJ) ; pour un exemple en an- 11 - ROONEY KA, NUTSCH RG, SKOGERBOE TL, WEIGEL DJ, tibiothérapie voir (10) ou directement l’article GAJEWSKI K, KILGORE WR. Efficacy of tulathromycin compared with en ligne (Statistics and death from meningo- tilmicosin and florfenicol for the control of respiratory disease in cattle at high coccal disease in children -- Perera 332 risk of developing bovine respiratory disease. Vet Ther. 2005;6(2):154-166. (7553):1297 -- BMJ) 12 - STEP DL, ENGELKEN T, ROMANO C, HOLLAND B, KRE- HBIEL C, JOHNSON JC, BRYSON WL, TUCKER CM, ROBB EJ. Evaluation of three antimicrobial regimens used as metaphylaxis in stoc- Conclusion ker calves at high risk of developing bovine respiratory disease. Vet Ther. En conclusion l’essai clinique de terrain est 2007;8(2):136-147. considéré comme une pièce maîtresse dans la 13 - TOUTAIN PL, BOUSQUET-MELOU A. How antibiotic dosage re- confirmation de l’efficacité d’un antibiotique. gimens based on PK-PD concepts may be an important contribution to the Cela dit, sa valeur doit être remise en perspective resistance problem. 24th World Buiatrics Congress, 15-19 October 2006, à l’aune de tous les biais qui peuvent en affecter Nice, France. (Proc.) Navetat, H., Schelcher, F. (Eds.). 2006:421-430. les conclusions. Pour l’antibiothérapie le plus 14 - TOUTAIN PL, DEL CASTILLO JRE, BOUSQUET-MÉLOU A. important de ces biais consiste probablement à The pharmacokinetic-pharmacodynamic approach to a rational dosage regi- se contenter de démontrer statistiquement, men for antibiotics. Research in Veterinary Science. 2002;73(2):105-114. comme pour un générique, que l’on ne fait pas 15 - VAN DONKERSGOED J. Meta-analysis of field trials of antimicrobial moins bien qu’un antibiotique de référence usé mass medication for prophylaxis of bovine respiratory disease in feedlot cattle. jusqu’à la corde par 30 ou 40 ans d’usage et d’an- Can Vet J. 1992;33(12):786-795. tibiorésistance. 62 bulletin des gtv - n°43 mars 2008
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