L'Opéra de Lille laissez-vous conter
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Villes et Pays d’art et d’histoire Lille, Lomme, Hellemmes conter laissez-vous L’Opéra de Lille L’Opéra de Lille Renaissances et transformations 1700-2010 LVC Opéra repro-02-02.indd 1 13/09/10 9:53:42
Le centenaire de l’inauguration du Grand Boulevard reliant Lille à Roubaix et Tourcoing a permis de redécouvrir les évolutions urbanistiques et architecturales lilloises à l’aube du xxe siècle. La pénétration de l’artère au cœur de la ville signe l’avènement d’une vision d’avant-garde par le remodelage d’un pan entier du Vieux-Lille. Cette modernité prend la forme d’un large boulevard généreusement planté d’arbres inspiré des pensées hygiénistes de la fin du xixe siècle et d’un tramway électrique permettant de desservir rapidement les trois villes. Mais cet axe d’envergure qui structure la naissance de la Métropole appelait également un écrin monumental que la Chambre de Commerce et le Nouveau Théâtre (actuellement l’Opéra) vont incarner à Lille. De styles très différents, ces deux monuments emblématiques situés à un carrefour stratégique de la ville suscitent toujours la curiosité. Faisant une haie d’honneur au Grand Boulevard qui rejoint le cœur de la ville par le boulevard Carnot, ils font également face à la Veille Bourse (1652) et au rang du Beauregard (fin du xviie siècle). Les siècles s’entrechoquent, se défient ou se répondent sous le regard des visiteurs. La place du Théâtre elle-même semble une énigme avec son pan coupé aligné sur le parvis de l’Opéra qui lui donne la forme inhabituelle d’un trapèze. Eclairé d’un jour nouveau par des recherches scientifiques récentes, nous avons choisi de consacrer cette nouvelle brochure à l’Opéra, mais aussi à l’histoire des principaux lieux de spectacles qui l’ont précédé car depuis toujours, le public lillois entretient une relation passionnelle avec ces monuments emblématiques, témoins des joies et des heures sombres de la ville. Cette brochure, laissez-vous conter l’Opéra, n’est pas exhaustive. Une bibliographie à la fin de l’ouvrage vous permettra de poursuivre vos recherches sur le sujet. Si la présente brochure est modeste, son ambition est grande : donner à tous l’envie de (re)découvrir l’Opéra, carrefour des arts, lieu prestigieux chargé d’émotions et qui porte bien au-delà des frontières la renommée de la ville. La programmation artistique de l’Opéra s’accompagne de nombreux rendez-vous qui favorisent l’accès de tous à ce lieu d’exception, ne manquez pas ces invitations tout au long de l’année ainsi que les Journées Européennes du Patrimoine au mois de septembre. Ad Alta per Artes (Au sommet par les Arts) Devise inscrite au-dessus du groupe sculpté dominant la scène de l’Opéra de Lille Edgar Boutry, sculpteur Photographie de couverture Anaïs Gadeau, Ville de Lille LVC Opéra repro-02-02.indd 3 13/09/10 9:53:46
Bien avant le grand vaisseau au palais Rihour. Elle fut bâtie encore, à qui on confie le soin de Louis-Marie Cordonnier sur l’initiative du Magistrat (le de représenter « la comédie et qui donne toute sa majesté à conseil municipal de l’Ancien l’opéra suivant le dessein qui l’actuelle place du Théâtre, bien Régime) à la suite de l’incendie en sera fait » : François-Charles avant même son prédécesseur, qui, dans la nuit du 17 novembre Courtois et Jacques Hauburdin. le Grand Théâtre construit par 1700, avait détruit une salle de Le contrat stipule que « les Michel Lequeux peu avant la fortune aménagée à l’intérieur comédiens et gens d’opéra ne Révolution au même endroit même du palais Rihour. pourront représenter ailleurs - mais dans une orientation que sur ledit théâtre, qu’on y différente - la vie musicale et On a conservé les noms des renverra aussy les danseurs sur théâtrale lilloise se déroulait deux « bourgeois de cette ville cordes, marionnettes, bestiaux, pour l’essentiel dans la salle de Lille », deux entrepreneurs de monstres et autres choses dite de la Comédie, élevée face spectacles comme on ne dit pas extraordinaires qui se feront Le Spectacle à Lille : l’opéra avant l’opéra LVC Opéra repro-02-02.indd 4 13/09/10 9:53:49
voir à l’avenir à condition que d’arrangement perpétuel pour homme de lettres. lesdits Courtois et Hauburdin ne la jouissance du terrain qu’ils De l’avis des chroniqueurs pourront exiger des comédiens occuperont ». comme des visiteurs de passage, et gens d’opéra plus de neuf La Comédie est inaugurée en la Comédie ne déclencha jamais florins par représentation ». Nos 1702. Pendant près de quatre- des délires d’enthousiasme : deux compères, qui avaient le vingts ans, les spectacles s’y on la trouvait « médiocrement sens des affaires, s’arrangèrent succèdent : opéras - genre alors belle » et malgré des travaux pour obtenir le monopole nouveau, importé en France de rénovation, elle fut toujours sur les ventes de « biscuits, depuis moins de cinquante ans considérée trop petite « surtout oranges, fruits, limonades, caffé, - ou fragments d’opéras, concerts pour une ville aussi nombreuse » chocolat et autres liqueurs que vocaux et instrumentaux, comme le signale l’auteur lesdits Hauburdin et Courtois spectacles de foires, pièces de (inconnu) d’un Guide des payeront à cette ville par forme théâtre, tragédies et comédies. étrangers à Lille paru en 1777. Une légende rapporte que lors du siège de 1708, un boulet éclata à proximité sans interrompre le Nuit du 17 novembre 1700 : le feu, Une petite entreprise qui donne le spectacle quatre fois la semaine spectacle. Voltaire, notamment, y à l’issue de Médée (Charpentier) Au milieu du XVIIIe siècle, le Spectacle de Lille vient en personne, le 25 avril 1741 est une entreprise conséquente qui emploie une pour la première représentation On venait de représenter l’opéra centaine de personnes : 18 actrices et acteurs de de sa pièce Mahomet (il est alors de Marc-Antoine Charpentier tragédie, comédie française et italienne ; flanqué de sa nièce, la redoutable - le grand rival de Lully à Paris - 11 pour l’opéra-bouffon, 16 danseuses et Madame Denis qui habitait Lille le rideau était tombé sur la salle danseurs ; 14 musiciens d’orchestre ; un peintre, avec son mari commissaire des du palais Rihour. « Les causes un tapissier, un décorateur, un perruquier, un guerres : devenue veuve l’année de ce feu furent les comédiens menuisier, un charpentier, un « ferblantier* », suivante, celle-ci rejoindra Paris, qui jouèrent une pièce avec feux sans oublier les souffleurs, machinistes, mènera quelque temps joyeuse d’artifice » rapporte un texte de ouvreuses, habilleuses et garçons de théâtre. vie avant de se convertir en l’époque. Jusqu’à la généralisation Par comparaison, les effectifs de l’Académie gardienne farouche et redoutée de de l’électricité, le feu est le grand royale de musique à Paris (l’opéra) sont, à la la personne et des œuvres de son fléau des villes et des théâtres : même époque, trois fois supérieurs. Entre les illustre oncle). Si la salle n’existe en 1772, l’incendie du théâtre années 1760 et la Révolution, il y a spectacle plus - le quartier a été totalement d’Amsterdam fait 18 morts, en quatre fois la semaine, les mardis, jeudis, reconfiguré dans les années vingt 1781, l’Opéra de Paris brûle une vendredis, dimanches. après la quasi-destruction du nouvelle fois. À Lille, le palais palais Rihour en 1916 - la rue de Rihour brûle en 1756 puis en * Ferblantier (n. m.) : celui qui 1916, réduisant en cendres un fabrique, vend des ustensiles en la Vieille Comédie et une plaque posée sur la façade d’un restaurant fleuron de l’architecture médiévale fer-blanc de ladite rue rappellent l’histoire lilloise construite pour le duc de La Comédie, Manuscrit de François-Casimir Pourchez. Sur cette scène, installée face au Palais Rihour, du lieu et le passage du grand Bourgogne Philippe le Bon. Il n’en on donne aussi bien la tragédie et la comédie que l’opéra. Collection et repro BM Lille reste qu’une salle des gardes et la chapelle. LVC Opéra repro-02-02.indd 5 13/09/10 9:53:49
François Watteau, La Braderie, huile sur toile Le théâtre de Lille, façade principale Collection et repro Musée de l’Hospice Comtesse / P 895 Gravure de Durig Collection et repro BM Lille / portefeuille 127, 8b Le théâtre de Michel Lequeux Dans la seconde moitié cours jusqu’alors - la plupart du salle : pour la financer, ils du XVIIIe siècle, les villes temps dans des anciens jeux de proposent de mettre en place du royaume sont en pleine paume plus ou moins aménagés une société en tontine*. Le lieu transformation, en province - mais semi-circulaire ou ovale est déjà choisi : on investira la comme à Paris, le climat sur le principe des théâtres que Petite Place derrière la Vieille de paix est propice à un les voyageurs découvrent alors en Bourse élevée en 1652 (la rue nouvel urbanisme : les villes Italie : non seulement l’acoustique Faidherbe qui mène aujourd’hui s’aèrent, s’agrandissent, y gagnait mais le principe des à la gare n’existe pas, elle ne sera s’embellissent, les théâtres, loges permettait une séparation percée qu’en 1869). En quelques salles de spectacles et d’opéra des publics en même temps qu’une mois, les fonds sont récoltés, la participent de cette douceur certaine intimité... tontine officiellement constituée de vivre qui accompagne ces À l’automne 1783, une délégation en octobre 1784 en cent actions transformations. À partir composée de quatre de 1 500 livres chacune. Parmi des années 1770, Bordeaux, « commissaires du Concert les soixante-cinq premiers Rouen, Besançon, Montpellier, lillois » - ces concerts privés qui souscripteurs : les représentants puis dans la région, Cambrai se tenaient régulièrement depuis de la grande noblesse et de la en 1773, Dunkerque en 1777, des années - présente à l’intendant noblesse de robe, des membres Valenciennes en 1781 s’offrent Esmangart ( grand commis de de l’administration royale, une de nouvelles salles de spectacle, l’État, patron de l’administration bonne partie étant par ailleurs conçues non plus sur l’ancien royale en Flandre) - un projet de des fidèles abonnés du Concert modèle rectangulaire qui avait construction pour une nouvelle de Lille. LVC Opéra repro-02-02.indd 6 13/09/10 9:53:50
Projet de percement de la rue de la Gare, J. Leterme, 1864 Le théâtre de Lille, façade postérieure donnant sur la Petite Place Lithographie sur papier Collection ADN Lille France / Repro. Jean-Luc Thieffry Collection et repro Musée de l’Hospice Comtesse / D 12577 Fonds Carlos Bocquet L’intendant avait promis son entrepreneurs de la Comédie, considérable – le jeune architecte, appui, c’est lui qui trouve furieux de pressentir une partie âgé de 33 ans laissait une jeune l’architecte, Michel Lequeux, de leur activité s’échapper veuve enceinte et trois enfants jeune étoile montante dans le - accorde le terrain. Le chantier en bas âge - mais le chantier milieu des hommes de l’art au débute en juin 1785. Le bâtiment continue sous la direction de ses nord de Paris : le théâtre est la est implanté dans l’alignement de associés, Paul-Pierre Comer et troisième commande que lui passe la Bourse : 25 m de large, 47 m Joseph-Marie Deledicque qui, au l’administration royale (après le de long, s’ouvrant au sud avec printemps 1787, peuvent remettre Parlement de Flandre à Douai et six colonnes en façade et une les clefs du nouveau théâtre aux le nouvel hôtel de l’intendance à balustrade dissimulant le toit. Sur commanditaires. Lille, rue Royale, l’évêché actuel). les côtés, sont prévues vingt-trois L’idée est de construire dans boutiques au-dessus desquelles le goût antique avec fronton, seront aménagés des entresols péristyle et colonnades comme et un café « qui seront loués au Victor Louis, un temps pressenti profit des actionnaires ». par les Lillois, l’a conçu pour Moins d’un an plus tard, le 15 Bordeaux, comme Heurtier vient avril 1786, le chantier est troublé de réaliser le théâtre des Italiens par la mort tragique de Michel (salle Favart) à Paris. À l’été Lequeux assassiné par un ouvrier 1784, le Magistrat, initialement dans les jardins de l’hôtel de * Tontine (n. f.) : hostile - sur la pression des l’intendance à Lille. L’émotion est association d’épargnants. LVC Opéra repro-02-02.indd 7 13/09/10 9:53:53
Le lundi 16 avril 1787, la nouvelle salle de spectacle, comme on commence à l’appeler, est officiellement inaugurée dans une grande agitation et une belle pagaille, malgré les plans savants de circulation et de police mis au point depuis des semaines par les services du Magistrat. On peut raisonnablement penser qu’à l’excitation de la nouveauté et du programme proposé - qui Michel Lequeux (1753 - 1786) École française du XVIII e siècle. sera diversement apprécié tant L’architecte tient à la main le plan de l’hôtel ce soir là que les soirs suivants d’Avelin à Lille (actuel rectorat, rue Saint-Jacques) qu’il réalise en 1777, à l’âge de 24 ans, dans l’esprit - venait s’ajouter la curiosité - et néoclassique, peut-être un peu de suspicion Les malheurs de la directrice Collection et repro Palais des Beaux-Arts Lille - sur la personnalité de la directrice, Marie-Marguerite Lettre de l’intendant Esmangart au Magistrat de Lille (19 avril 1786) Desnarelles nommée par le « Il est des événements si affreux qu’on a peine à se les persuader. Celuy Magistrat à la tête de cette qui couta la vie à ce pauvre Lequeux est de ce nombre et je vous avoue nouvelle institution. On ne sait qu’il me cause la plus sensible douleur. Ce malheureux est la victime malheureusement pas grand de son zèle pour moy, pour la ville, pour un ouvrage qui naturellement chose d’elle, si ce n’est que sa devoit luy être étranger. Vous aviez de l’amitié et de l’estime pour luy et mère, Marie-Antoinette, avait il méritoit ces sentiments de la part de tous les honêtes gens. Je sais qu’il été comédienne, se produisant laisse une veuve et une famille nombreuse. Je ferai pour elles tout ce à Lille dans les années 1780, qui sera en mon pouvoir et je viendrois à leur secours personnellement Marie-Marguerite jouant comme vous pourrez me l’indiquer. Ne ménagez pas ma bourse, elle est quant à elle ses premiers tout ouverte pour ce que vous croirez utile, convenable et juste. Vous rôles à Dunkerque avant de me ferez plaisir d’engager aussi Messieurs du Magistrat à jeter un coup séjourner à Gand. Ce soir de d’oeil d’intérêt sur le sort de cette famille si malheureuse. Nous devons première et les soirs suivants, les nous réunir tous pour verser dans son sein la seule consolation qui soit représentations furent marquées en notre pouvoir. J’approuverai tout ce que l’hôtel de ville croira devoir d’incidents à répétition : la faire dans une circonstance si affligeante et si particulière. L’exemple troupe était jugée insuffisante, le dans ce cas ne tire à aucune conséquence et on peut sans danger suivre répertoire peu attractif, le public les mouvements de son cœur ». ne cessait de mener la cabale, un siffleur, au moins, se retrouva en prison... Dans les semaines LVC Opéra repro-02-02.indd 8 13/09/10 9:53:54
Entre l’automne 1785 et le printemps 1787, trois nouveaux théâtres dont deux existent encore, sont inaugurés dans la région : Arras en novembre 1785, Douai en décembre de la même année, Lille en avril 1787. Théâtre de Douai, état actuel Photographie Damien Langlet qui suivirent, toutes sortes de Si le budget initial de la salle de ne sont ni assez propres ni rumeurs couraient sur le théâtre spectacle lilloise semble n’avoir assez commodes ». Jusqu’à de mal fini – on évoquait des été que de peu dépassé (168 423 terribles odeurs qui, dit-on, murs remplis d’humidité raison livres pour une enveloppe exhalent des urinoirs : pour laquelle les commerces ne initiale de 150 000 livres), un artisan lillois se proposera trouveraient pas locataires - on des experts vont rapidement d’y remédier moyennant parlait des choix hasardeux de constater de mauvaises finitions 12 florins par urinoir... sans la directrice, de son caractère et surtout un ensemble « mal grand résultat. difficile... Moins de six mois combiné ». Un an après L’intendant est à nouveau plus tard, Marie-Marguerite l’inauguration, il faut envisager sollicité, les commissaires du jetait l’éponge faisant part au de nouveaux travaux, autour concert proposent d’augmenter Magistrat de son intention de de 48 000 puis 60 000 livres. le prix des places au parterre se décharger « de l’état trop « La salle ne répond point à qui passeraient de 15 à 18 pénible de ses fonctions ». l’attente du public parce qu’elle sols : Versailles donne son Le théâtre de Gand cherchait n’est pas assez décorée, parce accord. Mais on arrive alors au une directrice : sa candidature que le théâtre n’a ni l’étendue, printemps 1789, les événements fut retenue, elle devait y rester ni l’élévation convenable, s’enchaînent, d’autres problèmes cinq ans. enfin parce que les loges plus urgents surgissent. LVC Opéra repro-02-02.indd 9 13/09/10 9:53:57
difficile du théâtre ». Au-dessus de la scène, un aigle gigantesque, ailes déployées, tenant la foudre dans ses serres. Au retour des Bourbons en 1815, il sera enlevé, sans doute rappelait-il trop les aigles de l’empire napoléonien. La salle pouvait accueillir un peu plus de 1 400 spectateurs. Le nombre de sièges sera porté à plus de 2 000 après d’importants travaux de restauration et d’agrandissement, menés en 1841 et 1842. Ce chantier Théâtre de Michel Lequeux après son agrandissement par Charles-César Benvignat en 1842. est confié à l’illustre architecte lillois Collection et repro Musée de l’Hospice Comtesse / I27 Charles-César Benvignat (1805-1877). Il modifie l’emplacement des loges Si on possède beaucoup de côté, un corridor, l’accès au parterre et agrandit la salle de spectacle. La Sous la protection d’Apollon gravures, quelques peintures et se faisait par deux portes latérales. façade principale est rehaussée d’un des photographies du théâtre vu Ici, on restait debout, c’était, disait- fronton et élargie par l’ajout de deux de l’extérieur, on n’en a aucune on, le rendez-vous des amateurs colonnes. À l’arrière, l’édifice est de l’intérieur. L’une des très rares « légers d’argent », des filous et des agrémenté d’une rotonde, hémicycle descriptions est publiée dans farceurs. Une cloison à mi-hauteur le d’un rayon de 10 mètres. la Feuille des Flandres du 20 séparait du parquet. La grande salle avril 1787 quelques jours après était divisée en trois rangs de loges et l’inauguration : galeries. Au plafond, « une voussure « Le nouveau théâtre est un chargée d’ornements ». Sur fond bleu, bâtiment isolé de toutes parts ; la « Apollon au milieu des muses. Il face méridionale est ornée de six détache Mercure pour annoncer à la colonnes ioniques formant porche. ville de Lille personnifiée qu’il prend Tout à l’entour sont des arcades où le nouveau théâtre sous sa protection. l’on a pratiqué des petites boutiques La ville d’un côté est accompagnée qui sont au nombre de quarante qui des génies du Commerce qui commencent déjà à être occupées répandent la corne d’abondance et par différents marchands en tout d’un autre côté est un groupe de genre. » génies des Arts qu’elle protège ; enfin, On arrivait aux guichets par on voit un autre groupe de génies qui l’escalier du péristyle. À droite et à tiennent des couronnes, des branches gauche dans l’entrée, deux larges de lauriers pour les distribuer aux escaliers à rampe de fer menaient au enfants de Thalès et Melpomène parterre et au parquet. De chaque qui se distinguent dans la carrière Théâtre de Michel Lequeux après son agrandissement par Ch 10 Bibliothèque municipale de Lille / Fonds Lefebvre LVC Opéra repro-02-02.indd 10 13/09/10 9:53:58
Le grand répertoire, deux chefs, un chœur de vingt- particulièrement à la mode. Les les scandales quatre chanteurs, une quarantaine grands noms qui triomphent à Paris Jusqu’à l’incendie de 1903, de chanteurs pour l’opéra-comique viennent à Lille tester leur capacité le théâtre de Lequeux, que le XIXe (premier ténor, baryton martin, à éblouir les foules : siècle appelle rapidement le Grand ténor comique, chanteuse légère, à l’applaudimètre, Sarah Bernardt Théâtre, accueille l’essentiel de la première duègne, utilités), une bat tous les records avec La vie lyrique, musicale et théâtrale trentaine d’acteurs pour la Dame aux camélias (en 1881, de Lille. Avec des effectifs et tragédie, le drame, la comédie, le 1882, 1892), Tosca de Victorien des réussites variables selon vaudeville, un machiniste en chef, Sardou (1888) et surtout les époques : une centaine de un souffleur, une costumière, un L’Aiglon d’Edmond Rostand (dix personnes sous l’Empire coiffeur, un chef des comparses (?). représentations en septembre 1900 et la Restauration pour une Ne manque que le fantôme. Dans pour lesquelles on s’arrache les moyenne de 140 représentations la seconde moitié du siècle, la scène places). par an qui peut se monter à 250 est occupée en alternance par les Un arrêté municipal de 1867 en 1815-1816. Au milieu du siècle, troupes lyriques, sédentaires ou - saison qualifiée d’exceptionnelle - l’effectif se monte à 150 personnes : invitées, et les représentations institue une « commission des cinquante musiciens d’orchestre, théâtrales, drames et vaudevilles débuts », curieuse instance, chargée, autour du directeur, de veiller au recrutement des artistes. À la Cannes brisées, chapeaux défoncés veille de l’inauguration du nouveau théâtre en 1923, cette commission En février 1883, L’Écho du Nord rapporte « un tumulte épouvantable » qui comptera parmi ses membres outre a marqué la représentation d’un sombre drame de 1791 intitulé Les Victimes le directeur, un adjoint au maire, cloîtrées ou les Mystères des couvents dévoilés : pendant les trois actes, ce un conseiller municipal, deux ne sont que sifflets, injures, interpellations, professeurs du conservatoire, un cris, vociférations et applaudissements. Non journaliste, « un abonné au théâtre contents de s’affronter dans la salle, partisans qui sera désigné par les abonnés »... et adversaires vont en venir aux mains dans le Pour la saison 1902-1903, foyer, les couloirs, les escaliers, cannes brisées, le directeur Bourdette, qui chapeaux défoncés. La police devra intervenir vient d’obtenir son troisième pour expulser une quinzaine de « perturbateurs ». renouvellement, propose dix « Les trois actes ont été joués sans que personne créations : trois opérettes, trois n’en ait entendu un traître mot » soulignera un opéras-comiques, trois opéras journaliste. Rapportant, deux jours plus tard, parmi lesquels La Fiancée de la mer que le préfet interdit la pièce, L’Écho du Nord (d’un nommé Jean Blockx, illustre estime que « l’état du pays est déjà trop troublé inconnu aujourd’hui). et les affaires ne vont pas assez bien pour qu’il Date de la première représentation : soit prudent de laisser un entrepreneur de théâtre le 2 avril 1903. spéculer sur les antagonismes de partis et faire sa bourse aux dépens de la tranquillité publique ». ement par Charles-César Benvignat en 1842. 11 LVC Opéra repro-02-02.indd 11 13/09/10 9:53:59
L’incendie du Théâtre vu du café Jean L’incendie du Théâtre : la rotonde L’incendie du Théâtre vu de la rue de la Gare (actuelle rue Faidherbe) Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 2-2, 40, 4 vue de la Petite Place. Collection ADN Lille France / Repro. Jean-Luc Thieffry Carte postale. Fonds Carlos Bocquet Cliché E. Cayez, photographe à Lille Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 2-2, 43, 6 Une nécessaire Théâtre. La restauration de reconstruction l’ancien monument est rapidement Au lendemain de l’incendie écartée. On convient qu’il faudra du théâtre de Michel Lequeux raser ce qu’il reste des ruines, (1753-1786), la nécessité de sa mais que s’il paraît évident Dans la nuit du 5 au 6 avril reconstruction rallie les opinions. qu’on reconstruira un nouvel 1903, peu de temps après la fin « Un fait certain, c’est qu’une édifice, on ne peut rester, même de la représentation qui avait fait ville comme Lille ne peut se provisoirement sans théâtre. Pour salle comble, le feu se déclare à L’incendie de 1903 passer d’un Grand théâtre » écrit autant, la construction d’une l’orchestre. C’est un court-circuit Le Progrès du Nord du 8 avril. nouvelle salle de spectacle n’est de « l’électricité incendiaire » « Les lances d’incendie envoyaient pas une tâche aisée. Les questions comme le souligneront les encore des torrents d’eau sur les de son emplacement, puis de son journalistes. Malgré l’alerte ruines fumantes que le conseil aspect et du coût des travaux rapidement donnée et les moyens d’administration du conseil divisent l’opinion. engagés - une compagnie du 43e municipal se réunissait » note le régiment appelée en renfort - Où reconstruire ? même jour L’Écho du Nord. les dégâts sont considérables, Le choix de l’emplacement du Parallèlement à l’enquête mais il n’y aura aucune victime. nouveau théâtre est crucial. diligentée auprès des L’émotion est grande : les jours Celui-ci doit donner la nécessaire architectes-experts afin de suivants, les journaux donnent la visibilité au monument et en déterminer les causes de parole aux Lillois qui montrent faciliter l’accès. En outre, le site l’incendie, commence la réflexion leur attachement à leur théâtre, retenu déterminera le coût et le sur la réédification du Grand aux saisons musicales et lyriques. 12 LVC Opéra repro-02-02.indd 12 13/09/10 9:54:02
herbe) Les ruines du Grand Théâtre Les ruines du Grand Théâtre vues de la rue des Manneliers Avril 1903, Cayez, photographe à Lille Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 2-2, 43, 5 Collection et repro Musée de l’Hospice Comtesse / HCI 678 délai des travaux en fonction de la nature des sols et de la présence ou non de fondations nécessitant des travaux de démolition en amont. Plusieurs propositions sont étudiées et, tour à tour, écartées : square Jussieu ; place Sébastopol ; place Richebé ; rue de l’Hôpital-Militaire, après le prolongement de la rue Puebla ou Jean-Sans-Peur ; les terrains résultants de la démolition des remparts, près de la rue de Roubaix ou à la lisière de la commune de La Madeleine… Quant à l’emplacement du théâtre disparu, celui-ci présente les meilleurs atouts au regard de l’accessibilité et de la visibilité. Néanmoins, il possède l’inconvénient de son exiguïté qui n’autorise pas de larges La place du Théâtre après le déblaiement des ruines. Vue prise du café Jean dégagements pour isoler l’édifice. Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 2-2, 40, 6 13 LVC Opéra repro-02-02.indd 13 13/09/10 9:54:09
Construction du Théâtre provisoire, Le Théâtre Sébastopol, Le Théâtre Sébastopol, façade latérale place Sébastopol façade principale Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 11, 90 Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 2-2, 47, 1 Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 11, 94 Une solution provisoire bien inférieure aux ambitions Aux problèmes de l’emplacement municipales ! s’ajoutent ceux des finances. Le 20 mai 1903, date de clôture À l’approche des élections de l’enquête, la plupart des municipales de 1904, les équipes architectes se sont prononcés du maire socialiste Gustave en faveur de l’abandon du Le théâtre Sébastopol Delory optent pour la prudence. projet. Parmi les réponses En attendant le moment opportun négatives, figurent malgré tout pour construire un grand théâtre, cinq propositions. Le projet de n’est-il pas envisageable d’utiliser l’architecte lillois Léonce Hainez les primes d’assurance couvrant (1866-1916) et de l’entrepreneur le sinistre pour financer l’érection armentiérois César Debosque est d’un théâtre provisoire sur la retenu. place Sébastopol ? La consultation lancée auprès Le provisoire devenu durable : des architectes lillois laisse la le Théâtre Sébastopol plupart d’entre eux perplexes. En dépit du pessimisme ambiant, Comment, en effet, espérer ériger l’architecte Léonce Hainez en quatre mois et avec un budget parvient à la réalisation de cette de 300 000 francs une salle salle de spectacles qui, en plus de spectacles solide, sécurisée, d’accueillir des représentations fonctionnelle et esthétique de théâtrales, devait remplir le rôle 2 000 places ? Cette somme est de cirque. 14 LVC Opéra repro-02-02.indd 14 13/09/10 9:54:15
Vue intérieure, foyer Le Théâtre Sébastopol, façade latérale droite Collection et repro BM Lille / Collection et repro BM Lille / Fonds Lefebvre, 11, 93 Fonds Lefebvre, 11, 95 Commencé le 21 juillet 1903, on y est bien assis et de toutes les cet édifice en ciment armé est places on voit admirablement la Le style éclectique du Théâtre inauguré cent deux jours plus scène qui s’ouvre sur une grande Sébastopol revisite certains tard. Les concepteurs ont respecté baie de 12,50 m de large ». éléments de l’Antiquité et de la leurs engagements : Quant à l’acoustique, elle est Renaissance qu’il associe à la paroi le théâtre a coûté 349 826 francs jugée égale « pour ne pas dire en briques, laissée visible. et sa construction n’a pas dépassé supérieure à l’ancien théâtre ». Le décor est sobre mais efficace. le délai imparti. Toutes qualités louées aujourd’hui Les deux atlantes qui portent sur Le 30 novembre 1903, « l’élite de encore par les musiciens et les leurs épaules le couronnement de la société lilloise » (Le Progrès chefs qui s’y produisent. l’édifice en constituent le principal du Nord) se rend en foule pour Les capacités de l’entrepreneur accent. l’inauguration du « théâtre combinées à l’imagination de En définitive, solide, esthétique et provisoire » Sébastopol où l’on l’architecte ont permis à cette parée pour lutter contre le feu, cette donne Rossini (l’ouverture de construction de voir le jour. salle temporaire devient un théâtre Guillaume Tell), Massenet, Le ciment armé retenu pour la à part entière. En dépit des projets Meyerbeer, Saint-Saëns, Edmond structure garnie de briques entre de reconversion, voire d’abandon, Rostand (des scènes de Cyrano). également dans la composition sa fonctionnalité a triomphé sur Si les journalistes notent que du mortier qui habille certaines sa nature provisoire et perdure « l’édifice n’a pas la prétention élévations intérieures et leur encore... d’être un monument aux confère un aspect digne d’un sempiternelles colonnes et balcons parement en pierre. chargés d’or et de sculptures (…) Le Théâtre Sébastopol vu depuis la rue Inkermann Photographie Service Ville d’Art et d’Histoire de la ville de Lille la salle est gaie, bien éclairée, 15 LVC Opéra repro-02-02.indd 15 13/09/10 9:54:19
Entrée de la rue du Bois Saint-Étienne Le rang de maisons démolies pour la La place du Théâtre en 1910 et maisons de la rue des Suaires avant construction du Nouveau Théâtre (à droite) Collection et repro BM Lille / Fonds Émile Dubuisson leur destruction pour la construction et de la Chambre de Commerce (à gauche). du Nouveau Théâtre Collection et repro BM Lille / Fonds Émile Dubuisson Collection et repro BM Lille Fonds Émile Dubuisson Les « Grands Travaux d’Édilité » et la question du Grand Théâtre Le percement du boulevard Carnot et l’érection de la Chambre de Commerce entrent dans les Le Nouveau Théâtre « Grands Travaux d’Édilité » entrepris par Charles Delesalle en 1906. Le 27 novembre de la même année, le maire soumet au vote du conseil municipal l’érection du Grand Théâtre à l’entrée du « Boulevard des Trois Villes ». L’édifice prendrait place sur les parcelles en face de la Nouvelle Bourse dont la salle de spectacles serait le « digne pendant ». Trois ans et demi après l’incendie du théâtre de Michel Lequeux, les Lillois accueillent avec Plan parcellaire du quartier du Théâtre avec la pénétration projetée du Grand Boulevard. enthousiasme la construction, tant Bulletin de la Commission historique du département du Nord, t. 27, 1908, p. 291 attendue, du « Nouveau Théâtre ». Repro Diana Palazova-Lebleu 16 LVC Opéra repro-02-02.indd 16 13/09/10 9:54:22
Maisons à l’angle de la place du Théâtre et de la rue des Sept-Sauts Les travaux de démolition préparant la pénétration du Grand Boulevard et avant leur démolition pour l’érection du Nouveau Théâtre. l’érection des futurs Opéra (à droite) et Chambre de Commerce (à gauche). Vue prise depuis la rue des Manneliers. Collection et repro BM Lille / Fonds Émile Dubuisson Collection et repro BM Lille / Fonds Émile Dubuisson Discours de Charles Delesalle, érigés sur les terrains expropriés. jamais être envisagée dans l’esprit maire de Lille, le 27 novembre […] Il ne suffit pas de faire de notre même de ses auteurs, que comme un 1906 Ville un grand centre industriel, Théâtre d’attente, et il fut bien spécifié, « L’utilité du projet que nous vous il faut aussi, dans l’intérêt de nos lorsque sa construction fut décidée, à la présentons ne nous paraît pas commerçants, en faire un grand centre suite de l’incendie de 1903, qu’elle ne contestable. En même temps que nous d’attraction. Il ne suffit pas d’attirer à constituerait qu’un provisoire dont la préparons au nouveau boulevard Lille des étrangers pour leurs affaires, ville s’efforcerait de sortir au plus tôt. une entrée digne de lui, nous il faut les y amener aussi pour leurs […] réalisons, du même coup, une œuvre distractions et leurs plaisirs, et chercher Le Nouveau Théâtre, pour retrouver d’assainissement depuis longtemps à les retenir dans nos murs. sa prospérité d’autrefois, doit être situé réclamée, en faisant disparaître un Il faut enfin donner à nos concitoyens non loin de la Gare, au confluent de quartier qui, tout proche du Lycée, les jouissances artistiques auxquelles toutes les lignes de tramways. Sa place de la Grand’ Place et de la Gare, ont droit les habitants d’une grande la plus indiquée nous a paru être dans contraste péniblement avec les rues ville comme la nôtre. l’îlot formé par la rue des Suaires, la avoisinantes. Enfin, nous contribuons Aussi, avons-nous étudié, pour rue du Bois Saint-Etienne, et la rue des singulièrement à l’embellissement de répondre au vœu unanime de la Sept-Sauts. Quant au monument lui- notre Ville en la dotant, à son centre, population, la possibilité d’édifier même, notre dessein serait d’élever une d’une belle rue nouvelle, aussi large que un nouveau théâtre digne de notre construction monumentale, faisant, à la rue Faidherbe en bordure de laquelle Cité. La salle de spectacle de la place l’entrée du boulevard, un digne pendant s’élèveront le monument grandiose de Sébastopol, qui ne peut revendiquer à la Bourse du Commerce. » la Bourse du Commerce, du nouveau qu’un seul mérite, celui de la rapidité Théâtre et les immeubles de rapport avec laquelle elle fut érigée, ne put 17 LVC Opéra repro-02-02.indd 17 13/09/10 9:54:23
1. 2. 3. Le projet de la Nouvelle Bourse son importance et de la puissance de participation aux architectes résidant la « capitale des Flandres ». L’érection à Lille depuis au moins deux ans. Les mutations engendrées par l’arrivée du siège de la Chambre de Commerce La compétition, qui commencera le du Grand Boulevard ouvrent également à l’angle gauche du futur boulevard 1er juin 1907, se déroulera en deux de nouvelles perspectives pour la Carnot contente les deux parties. Elles tours. Pour garantir l’impartialité « Petite Place ». Désireuses de faire associent leurs efforts financiers et, au du jury, les envois ne doivent porter de Lille un grand centre d’affaires, début de l’année 1906, le président de qu’une devise. Les noms des candidats la municipalité et la direction de la la Chambre de Commerce Edmond primés ne seront identifiés qu’après Chambre de Commerce souhaitent Faucheur charge l’architecte Louis- ouverture des enveloppes contenant l’érection d’un nouveau palais du Marie Cordonnier de la construction leurs informations personnelles, commerce. Les locaux de l’institution du nouveau siège de l’institution, à accompagnées de la devise apposée au consulaire ne suffisent plus pour les quelques mètres de la Vieille Bourse projet. nombreux négociants et courtiers de la de Julien Destrez. Ce monument et les Le coût de l’édifice ne dépassera région que réunissent les transactions maisons du rang du Beauregard qui pas 2 000 000 francs, hors frais de boursières et les activités commerciales. font face à la nouvelle construction ont décoration des plafonds de la salle et Les recherches d’un local spacieux à inspiré Louis-Marie Cordonnier pour du foyer. Le concours proximité de la Grand’ Place et de la le style de ce bâtiment qui ravive les La salle et la scène doivent convenir Gare semblent compromises. De plus, traditions locales. pour les représentations d’opéra, le rythme soutenu de l’industrialisation opérette, drame, comédie et féerie. et de la croissance démographique Programme L’orchestre sera conçu pour un lilloises ne laissent point de terrains Pour choisir l’architecte qui minimum de 60 musiciens. La salle propices à accueillir une construction concrétisera le projet du théâtre, doit contenir 1 600 places. Il faut d’une telle envergure. De son côté, la la Ville de Lille décide d’organiser également prévoir des magasins pour municipalité lilloise désire offrir au un concours. Son programme est les décors, meubles et costumes, des Grand Boulevard une entrée digne de publié le 25 mai 1907. Il restreint la loges pour les artistes, des bureaux 18 LVC Opéra repro-02-02.indd 18 13/09/10 9:54:24
5. L.-M. Cordonnier, études soumises au concours de 1907 4. 1. Façade principale 2. Façade sur le futur boulevard Carnot 3. Façade postérieure pour l’administration, un foyer pour Le malicieux architecte 4. Plans au niveau de la scène et des plafonds de la salle et du foyer le public, sans oublier les espaces Cordonnier 5. Vue en perspective sur le Nouveau Théâtre et la Nouvelle Bourse techniques, sanitaires et des vestiaires. Lorsqu’il se présente au concours Plaques de verre Le concurrent qui remportera le du Nouveau Théâtre, Louis-Marie Collection ADN Lille France / Repro. Jean-Luc Thieffry concours sera chargé de l’exécution. Sa Cordonnier est déjà un architecte l’anonymat obligatoire. C’est le second, sélection est confiée à un jury composé confirmé. Pour autant, son succès est de style néoclassique, qui remporte la de notabilités locales et d’architectes, plus qu’incertain. Relatée par tous compétition. Cette stratégie a permis dont la plupart extérieurs, afin ses biographes, l’intrigue est digne à l’architecte de démontrer la grande d’équilibrer la participation lilloise. d’une pièce de théâtre. En raison des étendue de son talent et de subtiliser Les projets reçus seront présentés au nombreuses réussites de ce créateur, la première place en déjouant les Palais Rameau cinq jours avant les l’admiration qui lui est portée est manœuvres dirigées contre lui. délibérations du jury et y resteront proportionnelle aux jalousies qu’il Aujourd’hui, certains avis condamnent exposés pendant deux semaines. pouvait soulever. En 1907, ses le paysage induit par cette victoire du détracteurs voient d’un mauvais œil la style néoclassique, pourtant presque Résultats possibilité que le Théâtre et la Bourse, exclusivement adopté par tous les Au terme de la compétition qui a réuni les deux fleurons de la construction concurrents au concours de 1907. 17 projets, le 11 novembre 1907 le jury lilloise du premier quart du XXe siècle, Si le régionalisme septentrional de la annonce une étonnante victoire. Le puissent incomber à un seul et même Chambre de Commerce diffère du maître du régionalisme flamand architecte. Louis-Marie Cordonnier néoclassicisme retenu pour le théâtre, les Louis-Marie Cordonnier remporte le sait que sa participation n’est pas la deux monuments ont établi un dialogue concours avec un projet néoclassique bienvenue pour certains qui, au sein stylistique qui n’était pas incongru devant ses confrères Carl Imandt, même du jury, désirent son élimination. dans le contexte éclectique de l’époque. Delemer, Gustave Dehaudt et Léonce Sa perspicacité le conduit à présenter D’ailleurs, dès cette période, les Lillois Hainez, l’architecte du théâtre deux projets dont un, régionaliste, trahit les ont adoptés parmi les emblèmes de Sébastopol. rapidement sa participation en dépit de leur cité. 19 LVC Opéra repro-02-02.indd 19 13/09/10 9:54:25
Loos - Hôtel de ville Caudry Amsterdam - Bourse de Commerce Dunkerque - Hôtel de ville Hardelot - Villa Collection et repro BM Lille / Basilique Sainte-Maxellende (projet non réalisé) État actuel État actuel portefeuille 121, 57 État actuel Collection ADN Lille France / Photographie Diana Palazova-Lebleu Photographie Diana Palazova-Lebleu Photographie Diana Palazova-Lebleu Repro. Diana Palazova-Lebleu Un architecte prometteur monumentale. Les communes Il apportera à son auteur plusieurs Louis-Marie Cordonnier de Loos, La Madeleine et récompenses, dont la prestigieuse (1854-1940) est l’un des fils Dunkerque lui doivent leurs médaille d’honneur au Salon des Louis-Marie Cordonnier de Jean-Baptiste Cordonnier palais municipaux. Ces derniers Artistes français en 1892. (1820-1902), cofondateur de la s’avéreront déterminants pour En 1906, après s’être vu confier dynamique Société des Architectes la carrière de l’architecte et l’érection de la Chambre du Nord de la France en 1868. inspireront des générations de de Commerce de Lille, c’est Après des études à l’École des ses confrères du Nord. de nouveau aux Pays-Bas Beaux-Arts de Paris qu’il quitte que le concepteur lillois fait en 1880, le jeune architecte La consécration triompher son style au concours originaire d’Haubourdin s’installe internationale international du Palais de la à Lille. C’est aux côtés de son À peine trois ans après ses débuts, Paix à La Haye. Le succès de père qu’il réalise sa première Louis-Marie Cordonnier prend Louis-Marie Cordonnier est œuvre, l’hôtel de ville de Loos part au concours international de retentissant : cet illustre inconnu (1881-1884). Considérant que la Bourse d’Amsterdam en dehors des anciens Pays-Bas l’architecture doit répondre aux (1884-1885) qu’il remporte s’impose devant 215 concurrents exigences du confort moderne devant 172 concurrents. Bien de 16 nationalités différentes. La tout en tenant compte du climat, que réalisé selon les plans du région exulte de la victoire de cet du paysage, des matériaux et de Néerlandais H. P. Berlage, ce enfant du pays qui fait l’honneur l’histoire de la région qui la reçoit, projet lui vaudra la consécration de la France et des traditions il pose les jalons d’une production tant en France du Nord que sur le septentrionales. régionaliste majoritairement plan national et international. 20 LVC Opéra repro-02-02.indd 20 13/09/10 9:54:29
La Haye (Pays-Bas) - Palais de la Paix, état actuel Bailleul - Hôtel de ville, état actuel Ablain-Saint-Nazaire Photographie Diana Palazova-Lebleu Photographie Diana Palazova-Lebleu Mémorial Notre-Dame de Lorette bleu État actuel Photographie Diana Palazova-Lebleu Quelques réalisations… Outre les hôtels de ville cités, Louis-Marie Cordonnier Louis-Marie Cordonnier est l’auteur (1854-1940) de nombreuses réalisations dans les départements du Nord et du Le talent de Louis-Marie Cordonnier Pas-de-Calais. Les églises d’Allouagne, lui a valu l’élection à l’Institut de Walincourt, Carnières, Caudry, France (1911), à la tête de la Société le clocher de l’église Saint-André et le centrale des Architectes sanctuaire Notre-Dame de Pellevoisin (1918-1922), de la Société des à Lille, la station balnéaire d’Hardelot, Sciences, de l’Agriculture et des qu’il conçoit intégralement, ainsi que Arts de Lille (1924), sans oublier de nombreux hôtels particuliers l’Académie des Beaux-Arts qu’il figurent parmi ses œuvres d’avant la préside en 1929. Première Guerre mondiale. Dénoncé par certains pour sa Après le conflit, le créateur lillois folie des grandeurs, Louis-Marie travaille aux côtés de son fils et associé, Cordonnier ne reste pas moins un Louis-Stanislas Cordonnier artiste passionné, un travailleur (1884-1960). Ensemble, ils acharné et pragmatique qui a traduit, reconstruisent les cités d’Armentières, autant qu’il a façonné, l’identité Bailleul, Comines, Merville, Laventie, Louis-Marie Cordonnier dans son cabinet. architecturale de la région. les Grands Bureaux des Mines de Lens, En arrière-plan, dessin en perspective du projet participent au redressement de Béthune du Nouveau Théâtre Plaque de verre (église Saint-Vaast), et réalisent la Collection ADN Lille France / Repro. Jean-Luc Thieffry basilique Sainte-Thérèse de Lisieux. 21 LVC Opéra repro-02-02.indd 21 13/09/10 9:54:35
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