La big Society contre le big Government : réformer l'etat après thatcher
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Politiques publiques La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher Fréderic Gloriant Doctorant en histoire à l’Université Paris III – Sorbonne Nouvelle Lors de la campagne électorale de 2010, David Cameron a placé au cœur de sa stratégie un discours nouveau, centré sur l’idée de la Big Society : il s’agissait de s’appuyer sur les ressources de la société civile, et en particulier du tiers secteur, pour accompagner un vaste programme de réformes des services publics et de l’État providence britannique. Mise en œuvre dans un contexte redoutable de crise économique et d’austérité budgétaire, l’idée n’en reste pas moins source de nombreuses innovations, intéressantes à observer d’un point de vue français. L e Royaume-Uni a souvent été présenté comme un « laboratoire » de l’in- novation politique. En 1979, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher marqua le début de ce qu’on a appelé la « révolution conservatrice » ; près de vingt ans plus tard, Tony Blair tentait avec la « troisième voie » une synthèse entre économie de marché et solidarité. En 2010, c’est un gouvernement de coalition Tory-Lib Dem, dirigé par David Cameron, qui portait un discours nou- veau sur le thème de la Big Society (ou « grande société »). Pour faire face à une crise qui a frappé de plein fouet le Royaume-Uni dès 2008, Cameron a orienté son effort dans deux directions : non seulement il a mis en route un programme de coupes drastiques dans les dépenses de l’État, mais il a aussi cher- ché, à travers son idée phare de Big Society, à mobiliser les ressources de la société civile (ONG, mutuelles, coopératives, entreprises sociales, associations à but non lucratif ) pour remédier aux maux que l’on désigne en Angleterre par l’expression de broken society (« société brisée ») – persistance des inégalités sociales et de la pauvreté infantile, taux élevés de toxicomanie et d’alcoolisme parmi les jeunes ou de grossesses précoces parmi les adolescentes, culture de l’assistanat, etc. Grâce aux ressources du tiers secteur (à distinguer de l’État et du marché), il s’agissait de transformer la bro- ken society en Big Society. Il s’agissait de trouver un nouveau type 106 • Sociétal n°79 1-Societal 79_interieur.indd 106 16/01/13 16:37
La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher de remède aux maux de la société britannique qui ne passe pas par la hausse des dépenses de Grâce aux ressources l’État, considérée comme impossible étant donné du tiers secteur, le contexte de crise économique et la nécessité de il s’agissait de trouver un nouveau l’austérité. type de remède aux maux de la société Grâce aux ressources du tiers secteur, il s’agissait de britannique qui trouver un nouveau type de remède aux maux de la ne passe pas par la hausse des dépenses société britannique qui ne passe pas par la hausse de l’État des dépenses de l’État Assiste-t-on aujourd’hui au Royaume-Uni à une troisième grande phase de réformes débouchant sur l’invention d’un nouveau para- digme économique et politique ? La Big Society amorce-t-elle une innovation de la même ampleur que celles représentées précédemment par Thatcher et Blair ? Une idée qui vient de loin Derrière le discours de la Big Society porté par Cameron, il n’est guère surprenant de trouver une critique sans concession de la politique du New Labour. Malgré un accroissement considérable des dépenses de l’État pendant les années Blair et Brown (dans la santé et l’éducation notamment) 1, la baisse de la pauvreté escomptée n’a pas eu lieu. Pire, la productivité du secteur public aurait même baissé depuis 1997. Les conservateurs ont incriminé la vision technocratique et strictement étatiste de l’action publique qui a inspiré le New Labour. Les procédures se sont complexifiées et déshumanisées. On aurait même assisté au développement d’une nouvelle forme d’autoritarisme, sous la forme du management par les objectifs chiffrés (les targets) imposés par l’autorité centrale. Enfin, le modèle néo-travailliste est critiqué pour avoir abouti à un déficit structurel des finances publiques. Ce qui est plus original toutefois chez les penseurs de la Big Society, c’est qu’ils prennent aussi leurs distances par rapport à l’héritage thatchérien. Prenant le contre- pied d’une phrase célèbre de la Dame de fer, Cameron affirmait ainsi en 2005 : 1. On passe de 400 milliards de livres en 1996-1997 à un peu plus de 600 milliards de livres en 2009-2010. Source : ONS/Guardian, 15 juin 2010. 1 er trimestre 2013 • 107 1-Societal 79_interieur.indd 107 16/01/13 16:37
Politiques publiques « There is such a thing as society ; it’s just not the same thing as the state 2. » Cet infléchissement du dis- Le programme conservateur cours conservateur avait bien sûr un but électoral : soulignait désormais répondre au défi représenté par le recentrage blai- l’importance des riste de la gauche travailliste et répudier la mau- services publics vaise réputation du parti conservateur, perçu depuis Thatcher comme le nasty party (le « méchant parti »). Le programme conservateur soulignait désormais l’importance des services publics. Mais les intellectuels qui ont inspiré la Big Society, au premier rang desquels Phillip Blond 3, ne s’en sont pas tenus là. Ils ont articulé une critique approfondie du paradigme « néolibéral » lui-même. Mettant en évidence la dérive paradoxale du thatchérisme vers une forme d’autoritarisme centralisateur, ils ont critiqué la déré- gulation financière et ont repris à leur compte l’idée d’une moralisation nécessaire des marchés. Ce qui était visé en réalité n’était rien d’autre que le paradigme économique préten- dument scientifique qui avait présidé à la conception des politiques publiques depuis plus de trente ans au Royaume-Uni, le modèle qui consistait à réduire l’humain à l’Homo economicus, intéressé uniquement par la maximisation de son bien-être et réagissant donc de manière mécanique et parfaitement prévisible aux incitations et sanctions d’ordre économique. De cette conception réductrice découlaient certaines méthodes de management, non seulement au sein des entreprises mais aussi dans les services publics et l’État providence, qui prenaient pour acquis cette conception de l’être humain et finissaient malheureusement par être autoréalisatrices, rendant les individus tels qu’elle prévoyait qu’ils soient ! Tirant leur inspiration de traditions intellectuelles diverses (pensée communauta- rienne américaine, libéralisme whig, conservatisme social critique de la modernité capitaliste), les penseurs de la Big Society ont appelé à un retour à l’idée éminemment britannique du self-government, qui aurait été trahie tant par le New Labour que par les thatchériens. Il fallait selon eux dépasser la dichotomie stérile entre le Big Government et le Big Business, qui a mis de côté la société elle-même, et en venir à un modèle à trois pôles, faisant toute sa place à la société civile et au tiers secteur. La 2. « La société existe bel et bien, ce n’est juste pas la même chose que l’État. ». 3. Son livre publié en 2010 s’intitule Red Tory : How the Left and Right Have Broken Britain and How We Can Fix It. 108 • Sociétal n°79 1-Societal 79_interieur.indd 108 16/01/13 16:37
La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher réhabilitation des institutions intermédiaires (famille, administrations locales, tiers secteur et société civile dans son ensemble) devait permettre Les penseurs de la Big Society ont une meilleure diffusion des pouvoirs, davantage appelé à un retour de pluralisme, une plus grande participation des à l’idée éminemment citoyens et usagers à la vie collective : elle devait au britannique du self- government, faisant final redonner du sens à ce qui n’en avait plus. toute sa place à la société civile et au L’ambition des intellectuels francs-tireurs qui ont tiers secteur. théorisé la Big Society était, on le voit, de faire évo- luer le cadre même du débat politique britannique. Un programme d’action transversal Force est de constater qu’en tant que discours électoral, la Big Society n’a obtenu qu’un succès mitigé pendant la campagne de 2010. Délibérément difficile à situer dans le clivage droite-gauche tel qu’il était configuré classiquement au Royaume- Uni, l’idée de Big Society a suscité au sein de l’opinion confusion et indifférence. L’obstination avec laquelle le Premier ministre Cameron s’est tenu à la Big Society depuis son élection n’a pas permis de lever tous les doutes sur une idée qui s’est révé- lée difficile « à vendre ». Pourtant, les réformes mises en œuvre depuis 2010 par la coalition Tory-Lib Dem attestent de l’ampleur du projet. La démarche adoptée a consisté à appliquer à l’en- semble des dimensions de l’activité gouvernementale trois grands principes trans- versaux : • le principe de décentralisation et de subsidiarité : le pouvoir doit s’exercer à l’échelon approprié le plus proche du citoyen ou de l’usager du service public ; le gouvernement central doit être limité dans son ambition et modeste dans l’exercice de son autorité ; • le principe de participation : la prise de décision doit impliquer bien davantage le citoyen ; l’usager d’un service public disposera d’un choix accru et d’un ser- vice de meilleur qualité s’il peut exercer un contrôle sur la manière dont est rendu ce service public ; • le principe d’ouverture et de partenariat : afin de promouvoir le rôle des acteurs du tiers secteur, il faut leur faciliter l’accès aux marchés publics et leur permettre 1 er trimestre 2013 • 109 1-Societal 79_interieur.indd 109 16/01/13 16:37
Politiques publiques de fournir certains services publics encore aujourd’hui monopolisés par l’État. Il faut également promouvoir des logiques souples de partenariat entre tiers secteur et secteur privé, ou tiers secteur et secteur public. Un rapide tour d’horizon permettra de rendre compte du vaste champ couvert par les différentes déclinaisons de la Big Society. Réforme des services publics Deux secteurs clés du service public britannique ont fait l’objet d’une réforme radicale de leur mode de gouvernance : le service national de santé (le NHS), créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et emblématique du Welfare State à la britannique, et l’éducation. Dans les deux cas, l’objectif affiché était de passer d’un modèle où l’État est lui- même le principal, voire l’unique fournisseur du service public, à un système où l’État délègue la tâche de fournir le service à toute une série d’acteurs de statuts divers (privé, public ou du tiers secteur). L’État se limite à la tâche de sélection et de régulation des prestataires de service public sélectionnés. Afin d’encourager l’inno- vation et d’accroître la qualité et la diversité des services fournis, l’État se charge aussi de garantir un accès juste au marché public, ouvert à tout fournisseur de service public, qu’il émane du secteur public, du privé ou du tiers secteur. Pour le NHS, la réforme votée en mars 2012, après quatorze mois de débats houleux, a pour but de L’État se limite à la donner davantage de responsabilités directes aux tâche de sélection médecins traitants eux-mêmes pour gérer et dépen- et de régulation des prestataires de ser les fonds qui leur sont alloués. 60 % du budget service public du NHS doit ainsi passer en gestion directe. Le corollaire est bien sûr de diminuer la bureaucratie intermédiaire : plusieurs milliers de postes de ges- tionnaires ont d’ores et déjà été supprimés. Il s’agit enfin d’introduire davantage de concurrence au sein de certains services du NHS et d’y accroître la place du secteur privé. Dans le domaine de l’éducation, le gouvernement Cameron a introduit les free scho- ols : l’idée a consisté à ouvrir aux groupes de parents d’élèves, aux entreprises, aux universités, aux associations caritatives, aux associations religieuses le droit de 110 • Sociétal n°79 1-Societal 79_interieur.indd 110 16/01/13 16:37
La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher candidater auprès du ministère de l’Éducation pour établir une « école secondaire » (qui correspond en France aux collèges et lycées). En cas d’acceptation Dans les secteurs du dossier de candidature, l’école bénéficie du de la santé et de financement par l’État, tout en restant en dehors du l’éducation, la Big contrôle de l’autorité locale en matière d’éducation. Society s’est traduite par une réforme Elle est dotée d’une autonomie considérable pour radicale du mode de définir son mode de fonctionnement interne – gouvernance programmes, pédagogie, recrutement du personnel enseignant et salaires, organisation des rythmes scolaires. Outre les free schools, les conservateurs ont aussi encouragé la généralisation du modèle des académies, introduites par le gouvernement précédent : il s’agit là encore d’éliminer la bureaucratie superflue tout en donnant une autonomie maximale au chef d’établissement, en lui permettant d’adapter le fonctionnement de l’école aux circonstances locales. Dans les deux secteurs de la santé et de l’éducation, la Big Society s’est donc traduite par une réforme radicale du mode de gouvernance. La Bridge Academy et l’entreprise UBS UBS a ouvert une académie (école secondaire indépendante) en 2007 à Hackney, l’une des communes les plus défavorisées du Grand Londres dans laquelle les résultats scolaires étaient très bas (avec un taux de réussite de seulement 31 % pour l’équivalent britannique du baccalauréat). L’objectif était d’encourager le développement d’une culture de réussite à Hackney, grâce au soutien d’UBS qui a pris des formes diverses : investissement de départ d’un million de livres ; action bénévole au sein de l’école des employés d’UBS (ensei- gnement, tutorat, coaching) ; gestion de l’établissement et levée de fonds pour soutenir l’école (pour un montant de 436 000,00 livres entre 2003 et 2011). 1 er trimestre 2013 • 111 1-Societal 79_interieur.indd 111 16/01/13 16:37
Politiques publiques Décentralisation La Big Society a aussi débouché sur un nouveau train de mesures de décentralisation. Le Localism Act, entré en vigueur à la fin 2011, a pour objectif général ce qu’on appelle en anglais le community empowerment, qui est au cœur de la philosophie de la Big Society : il s’agit de permettre à une commu- nity, c’est-à-dire aux habitants d’un quartier ou Le community d’une petite ville, de prendre le contrôle de certains empowerment est au coeur de la services locaux pour les administrer, ou encore de philosophie de la Big participer activement à la prise des décisions de Society portée locale (ce qu’on appelle communément en France la démocratie participative) : élection au suffrage universel direct du maire dans les grandes villes, droit de veto sur les décisions des autori- tés locales en matière d’impôt, référendum d’initiative locale, participation directe aux décisions urbanistiques, droit de préemption en matière d’achat de locaux sont autant de mesures destinées à faciliter la prise d’initiative locale. Outre cette volonté de décentralisation émanant du gouvernement central, on observe aussi que les collectivités territoriales, poussées par la baisse importante de leurs ressources émanant du gouvernement central (à hauteur de 28 % pour la période 2010-2015), cherchent à s’appliquer les recettes de la Big Society à elles- mêmes. Pour maintenir leur niveau de prestations, elles ont donc dû adopter cer- taines méthodes innovantes proposées par les promoteurs de la Big Society. La Big Society déclinée au niveau municipal par le Labour ? Le conseil municipal labour d’Islington, ville du Grand Londres et terre d’iné- galités sociales très fortes, a mis en place une « commission sur l’équité » (fair- ness commission) qui a organisé des discussions publiques sur les méthodes à privilégier pour promouvoir l’égalité en temps de crise. Cette méthode partici- pative a débouché sur une série de décisions bien acceptées par les habitants : suppression d’un centre municipal de conseil en matière environnemental, jugé superflu ; maintien de la gratuité des repas au sein des écoles ; réduction du différentiel de salaire entre fonctionnaires travaillant pour la municipalité ; mise en place d’un programme de promotion de l’entraide entre voisins. 112 • Sociétal n°79 1-Societal 79_interieur.indd 112 16/01/13 16:37
La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher Soutien au tiers secteur La politique de Big Society a enfin cherché à promouvoir l’action du tiers secteur par des méthodes innovantes de financement et divers montages institutionnels devant permettre à terme aux acteurs de la société civile les plus performants et les plus inventifs de se développer. Le gouvernement a notamment créé en avril 2012 une banque, Big Society Capital, dotée de 600 millions de livres, spécialisée dans le financement des acteurs émanant de la société civile. Il a également lancé en 2010 un projet pilote de Social Impact Bond 4 autour de la prison de Peterborough qui illustre parfaitement la logique de partenariat au cœur de la Big Society : des associations à but non lucratif, spécialisées dans l’assistance aux délinquants condamnés à des peines de prison courtes (douze mois maximum), ont reçu le soutien financier d’une série d’investisseurs privés. L’objectif fixé à ces associations par l’État est de faire diminuer de 7,5 % ou plus le taux de récidive des 3 000 prisonniers concernés par le programme. Le gouvernement Dans le cas où l’objectif serait rempli, l’État s’est a créé une banque, engagé à reverser aux investisseurs une part – pou- Big Society Capital, vant aller jusqu’à 13 % – des économies de long dotée de 600 millions terme réalisées du fait de la diminution du taux de de livres, spécialisée dans le financement récidive. État, secteur privé et associations coo- des acteurs émanant pèrent donc dans ce projet qui vise à fournir un de la société civile bien public (la réinsertion des anciens prisonniers) le plus efficacement possible. Premier bilan Même s’il est encore trop tôt pour faire un bilan complet de ces réformes au long cours à peine engagées, on peut déjà discerner certaines forces et certaines faiblesses dans la démarche de Cameron. Au plan idéologique, le caractère malléable de l’idée fondamentale est frappant. La stratégie économique du gouvernement Cameron avait pour finalité première de réduire la taille de l’État afin d’opérer un retour à l’équilibre budgétaire le plus 4. Littéralement, « obligation à impact social ». 1 er trimestre 2013 • 113 1-Societal 79_interieur.indd 113 16/01/13 16:37
Politiques publiques rapidement possible. Austérité et Big Society for- Le manque à maient donc un tout, permettant à Cameron gagner pour le d’affirmer à la fois son attachement aux services secteur associatif publics, ce qui correspondait à un souhait large- entraîné par les ment majoritaire dans l’opinion publique, et sa coupes budgétaires résultant de la volonté de faire une place plus grande à d’autres politique d’austérité acteurs que le secteur public pour fournir ces a été estimé à mêmes services. Il est toutefois permis de douter environ 3,3 milliards de livres pour la que Big Society et coupes budgétaires drastiques période 2011-2016 aillent réellement de pair. Existe-t-il aujourd’hui au Royaume-Uni un tiers secteur assez puissant pour être capable de prendre le relais de l’État ? Le tiers secteur est-il assez robuste pour ne pas être menacé par le programme d’austé- rité du gouvernement ? Le manque à gagner pour le secteur associatif entraîné par les coupes budgétaires résultant de la politique d’austérité a été estimé à environ 3,3 milliards de livres pour la période 2011-2016 5. Or, c’est dans les régions les plus pauvres et les plus touchées par la crise que le tiers secteur est aussi le plus dépendant des subventions publiques. Aussi le biais inégalitaire des réformes engagées revient- il souvent dans le discours des opposants au gouvernement Cameron. Une autre difficulté est liée à l’ambivalence de la valorisation du tiers secteur. Si l’objectif de la Big Society est la recherche avant tout des gains immédiats, mesu- rables en termes de coût, tout le discours des théoriciens de la Big Society sur la valorisation du local, du petit, du divers, de la qualité du service public fourni, de son individualisation, tombe à l’eau : on aura en effet tendance à privilégier la solution la moins coûteuse à court terme, fournie par exemple par des entreprises privées d’une taille importante, permettant des économies d’échelle, ce qui est rarement le cas des associations qui constituent la trame du tiers secteur. La Big Society devient alors une autre manière de poursuivre l’effet d’externalisation vers le privé de services autrefois pris en charge par l’État. Il n’en demeure pas moins que le constat de base des penseurs de la Big Society sur les dysfonctionnements tant de l’État que du marché dans le Royaume-Uni de 2010 reste valable. Précisons aussi que l’idée fondamentale, s’appuyer sur la société civile pour fournir de meilleurs services publics, approfondir la décentralisation et déve- lopper l’engagement et la participation des citoyens et usagers, tout cela a inspiré les gouvernements britanniques bien avant que Cameron parle de Big Society. 5. J. Clark, D. Kane, P. Bass et K. Wilding, The UK Civil Society Almanac 2012, Londres, NCVO, 2 012. 114 • Sociétal n°79 1-Societal 79_interieur.indd 114 16/01/13 16:37
La Big Society contre le Big Government : réformer l’Etat après Thatcher Quand bien même le terme Big Society ne durerait pas, on peut s’attendre à ce que l’idée demeure et connaisse d’autres avatars. La place plus La Big Society peut-elle être une source d’inspi- importante prise ration dans le contexte français ? La transposi- par l’usager pour réguler ces services tion directe est bien sûr impossible en vertu des ou les innovations différences de culture politique : les institutions en termes de intermédiaires et la société civile en France ne financement social devraient pourraient sans doute pas être aussi facilement être observées mises en scène dans notre débat politique comme avec attention un troisième pôle, susceptible de représenter la dans un contexte solution aux difficultés que connaissent l’État pour de contrainte budgétaire forte se financer et le marché pour se réguler. Toutefois, les nouvelles méthodes de décentralisation expéri- mentées au Royaume-Uni, les nouvelles possibili- tés ouvertes par la réforme des services publics pour une gestion plus décentralisée ne débouchant pas nécessairement sur une « marchandisation », la place plus impor- tante prise par l’usager pour réguler ces services, ou encore les innovations en termes de financement social, tout cela devrait être observé avec attention dans un contexte de contrainte budgétaire forte qui impose de repenser les rapports entre État, société et secteur privé. 1 er trimestre 2013 • 115 1-Societal 79_interieur.indd 115 16/01/13 16:37
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