Télévision : "Frantz" de François Ozon ou la couleur du pardon - Reforme.net

La page est créée Lionel Berger
 
CONTINUER À LIRE
Publié le 4 mars 2021(Mise à jour le 4/03)
Par Sophie Esposito

Télévision : “Frantz” de François
Ozon ou la couleur du pardon
Drame sentimental et historique, Frantz est un élégant plaidoyer pacifiste qui
interroge de manière sensible le deuil, le secret, le mensonge, l’amour et le
pardon.

Frantz (2016) est un récit construit autour de l’absence : celle du personnage
éponyme. Nous sommes en Allemagne, au lendemain de la Première Guerre
mondiale, dans une famille bouleversée par le décès de ce jeune soldat mort sur
le front en France. Son père, sa mère et sa fiancée Anna (la lumineuse Paula
Beer) n’arrivent pas à surmonter ce deuil, jusqu’à l’apparition déstabilisante
d’Adrien (Pierre Niney), un jeune soldat français tout juste démobilisé.

Il se présente à eux comme un proche ami de Frantz. Grâce à ses récits
envoûtants, qui ravivent la mémoire du défunt, cet étranger transforme
progressivement le sentiment de défiance en fantasme de réincarnation.
Séduisant, de plus en plus présent entre le printemps et l’automne 1919, Adrien
insuffle de la joie dans le foyer familial des Hoffmeister tout en attisant la haine
« anti-Français » des villageois. Pour la sincère Anna, il représente tour à tour
l’amour perdu, retrouvé, rejeté, fantasmé et coupable… Surtout lorsqu’il lui avoue
avoir menti.

Avec un dispositif formel austère et maîtrisé (précision des cadrages, bande-son
discrète et juste, noir et blanc somptueux et surgissement de la couleur quand le
goût de vivre refait surface), François Ozon revisite le propos d’un film d’Ernst
Lubitsch tourné en 1932 : L’Homme que j’ai tué (Broken Lullaby), lui-même
inspiré d’une pièce de théâtre de Maurice Rostand – en y ajoutant une bonne dose
d’ambiguïté qui nourrit la réflexion sur le traumatisme de guerre. Pour dire la
désolation et la nécessaire réconciliation des peuples ennemis, il adopte d’abord
le point de vue des Allemands (et tourne en langue allemande) et déploie ensuite
un subtil jeu de miroirs entre l’Allemagne et la France, faisant se croiser les
perceptions d’hommes et de femmes de différentes classes sociales et
générations. Il choisit aussi de faire d’Anna la véritable héroïne de cette histoire.

La narration est pleine de glissements et de faux-semblants, tout en suggestion et
en désynchronisation des sentiments des personnages. Le cinéaste souligne
l’importance et le pouvoir libérateur du récit dans le travail de reconstruction de
chacun. La réécriture des événements (passés, présents et futurs) permet de se
réapproprier ses désirs, d’atténuer la douleur, d’alléger le poids des remords, de
faire son deuil. De continuer à vivre. Frantz est un film au casting remarquable
qui mêle la quête de rédemption et l’appel de l’amour de façon audacieuse,
lyrique et humaniste.

Frantz de François Ozon (1 h 53), diffusé mercredi 10 mars à 20 h 55 sur Arte et
sur arte.tv
Publié le 25 février 2021(Mise à jour le 1/03)
Par Sophie Esposito

Télévision : “Le Temps de
l’innocence”, splendeur suspecte
et prison de convenances
Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese sera diffusé sur Arte le 28 février
2021.

Une rencontre amoureuse réprouvée, des amants séparés par leurs familles : le
sujet du Temps de l’innocence est classique. Mais sa peinture des mœurs et
coutumes de l’aristocratie new-yorkaise des années 1870 est impertinente. Le
roman d’Edith Warton, à la tonalité féministe, avait reçu le prix Pullitzer en 1921.
En 1993, Martin Scorsese l’adapte au cinéma, entre deux célébrissimes films de
gangsters (Les Affranchis, Casino).

Pour un cinéaste habitué aux acteurs nerveux et aux communautés viriles, le
choix du mélodrame et du trio Daniel Day-Lewis, Michelle Pfeiffer et Wynona
Ryder a surpris. Or ses thèmes de prédilection sont bien là : New York et la
déconstruction d’un milieu par la violence. Pas celle des rues mais la violence de
salon, intérieure et feutrée. La brutalité des conventions qui écrasent les
individus. Le poids des non-dits et sa ronde inéluctable de désirs et de
frustrations. La voix-off est très présente mais c’est surtout le décor (visuel et
sonore) qui prend le pouvoir. À la reconstitution historique flamboyante des
intérieurs rouges et dorés, s’ajoute la surimpression de détails et de gros plans de
nourriture, de tableaux, d’argenterie… On étouffe dans cette communauté
corsetée, orgueilleuse et hypocrite. Scorsese filme avec brio le crépitement des
feux et le vernis qui craquelle.
Le Temps de l’innocence, de Martin Scorsese, diffusé dimanche 28 février à
20 h 55 sur Arte (2 h 15).

Publié le 12 février 2021(Mise à jour le 12/02)
Par Swanny

Si Roméo et Juliette étaient des
Millennials
Un 14 février confiné ?

Envie d’une soirée cinéma ? Le 14 février sera diffusé Roméo + Juliette réalisé
par Baz Luhrmann en 1996, une transposition de l’histoire de Roméo et Juliette
dans le monde de nos jours. Un film kitsch, fortement ancré dans un esthétique
des années 90 qui relate l’histoire intemporelle de l’amour inconditionnel.

Diffusé à 20h55 sur Arte
Publié le 8 février 2021(Mise à jour le 8/02)
Par Vincent Miéville

Film The Dig : quand une
découverte archéologique catalyse
nos questions existentielles
À partir du récit d’une découverte archéologique, le réalisateur Simon Stone
interroge le désir de laisser derrière soi une trace qui demeure au-delà de son
existence. À découvrir en ce moment sur Netflix.

Nous sommes en 1939. Edith Pretty est une riche veuve qui vit dans une grande
propriété au Royaume-Uni. Intriguée par plusieurs tumulus sur son terrain, elle
décide d’engager Basil Brown, un archéologue amateur, pour y entreprendre des
fouilles. Il va mettre au jour un très ancien navire funéraire saxon enseveli sous
terre. La découverte est majeure et attire les convoitises, celle du petit musée
local d’Ipswich mais surtout celle du British Museum qui entend bien s’approprier
la découverte…

La découverte archéologique, parabole
des temps modernes
Adapté du roman éponyme de John Preston, et s’inspirant de l’histoire vraie de la
découverte du trésor de Sutton Hoo, dans le Suffolk, The Dig, de Simon Stone, est
un beau film d’époque, à l’ambiance très british, un drame historique qui assume
avec élégance son classicisme, avec une mise en scène vivante et une très belle
photographie. Les scènes de fouille archéologique sont particulièrement réussies,
parvenant à évoquer le miracle et l’excitation de la découverte d’un trésor du
passé, mais aussi la fragilité de ces traces préservées… qui renvoient à nos
propres fragilités. Le récit interroge notre rapport au temps, et les traces que
nous laissons derrière nous : que restera-t-il de notre passage sur terre ?

Le film a donc une certaine dimension métaphysique, associant aux enjeux de
l’histoire et de la découverte archéologique, les enjeux personnels et intimes de
ses différents personnages, de leurs histoires, de leurs sentiments, de leur
identité profonde… La vie et la mort sont toutes deux très présentes dans le récit,
par la découverte d’un site funéraire, l’imminence de la guerre, les interrogations
d’une jeune veuve qui se sait malade, son fils qui s’attache comme à un père de
substitution à un archéologue amateur n’ayant jamais eu d’enfant… Le tout est
accentué par l’ombre menaçante de la guerre qui approche, de façon inéluctable
(avec les avions de la base aérienne voisine, les informations à la radio, la
perspective d’une mobilisation imminente…). Face à un avenir incertain, combien
il est important de comprendre son histoire et son passé, y compris au niveau
personnel.

Deux personnages liés par une amitié
bouleversante
Autour de l’histoire principale, il y a peut-être un peu trop de récits secondaires,
qui s’avèrent plus ou moins intéressants… mais on est vraiment touché par les
deux beaux personnages centraux et l’amitié qui les lie. Deux personnages qui
sont magnifiquement incarnés à l’écran par une Carey Mulligan bouleversante,
fragile et forte à la fois, et un Ralph Fiennes émouvant, dans un personnage au
coeur bien plus tendre qu’il n’y paraît au premier abord. Tous deux sont très
justes et d’une profonde humanité.
Publié le 1 janvier 2021(Mise à jour le 8/01)
Par Sophie Esposito

Mon top 15 des films de 2020
Voici une sélection de quinze films passionnants, humanistes,
incontournables.

En 2020, la crise sanitaire a frappé durement l’industrie
cinématographique. Entre les sorties repoussées, les tournages
interrompus ou annulés, les festivals sacrifiés, les films prévus pour la
salle finalement vendus aux plateformes et les cinémas fermés jusqu’à
nouvel ordre… On a d’autant plus envie de se souvenir et de signaler ses
jolies découvertes. Voici les miennes.

1- Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang. Lyrique et virtuose, le premier
volet d’une fresque familiale, qui ambitionne de filmer le temps qui passe et la
transformation d’une ville chinoise, révèle un prodigieux jeune cinéaste à suivre.

2- Drunk de Thomas Vinterberg. Euphorisante et métaphysique, cette farce
mélancolique et bouleversante explore les ressorts et les effets de l’ivresse sur
quatre amis danois, dont l’un est joué par Mad Mikkelsen à son meilleur.

3- Adolescentes de Sébastien Lifshitz. Sensible et gracieuse, intime et collective,
une chronique documentaire captivante sur les années décisives de l’adolescence.

4- Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal. Drôle et rocambolesque, cette
comédie romantique et philosophique interroge l’amour, la liberté et la joie grâce
à la réjouissante performance de Laure Calamy.

5- La Communion de Jan Komasa. Passionnant et fascinant, ce film polonais nous
livre une réflexion autour de la foi et révèle un jeune acteur charismatique qui
habite son rôle.

6- Soul de Pete Docter et Kemp Powers. Émouvante et surprenante, la dernière
pépite d’animation des Studios Pixar est une magnifique ode à la vie.

7- Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret. Subtil et
profond, ce chassé-croisé amoureux interroge les dynamiques du désir, avec une
belle brochette d’acteurs.

8 – Josep d’Aurel. Magnifique et poignant, ce film d’animation évoque la force
politique du dessin, outil de souvenir et de résistance, au travers du destin de
Josep Bartoli, caricaturiste catalan et antifranquiste.

9- Dark Waters de Todd Haynes. Haletant et puissant, ce thriller justicier s’inspire
de faits réels pour dresser un réquisitoire contre le puissant groupe chimique
DuPont à l’origine d’un scandale de santé publique mondial.

10- Benni de Nora Fingscheidt. Beau et déchirant, ce film allemand fait le portrait
d’une fillette « hors système » au travers d’une expérience sensorielle et
émotionnelle radicale qui révèle une jeune actrice épatante.

11- 1917 de Sam Mendes. Épique et viscéral, ce film de guerre décrit l’enfer des
tranchées vécu de l’intérieur à travers une course contre la montre saisissante.

12- Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé. Audacieux et
épuré, ce film d’animation et d’émancipation prend la forme d’un western
décoiffant pour nous raconter l’enfance d’une légende féminine de l’Ouest
américain en 1863.
13- Été 85 de François Ozon. Pudique et intime, implacable et enivrant, le récit
d’un premier amour adolescent tragique raconté à travers une mémoire
fragmentée.

14- La dernière vie de Simon de Léo Karmann. Mystérieux et envoûtant, ce
premier film ne cesse de nous surprendre en expérimentant le merveilleux à la
Spielberg, délicieusement romanesque et fantastique.

15- À cœur battant de Keren Ben Rafaël. Visionnaire et drôle, ce film s’interroge
sur la notion de présence. Grâce à son dispositif de mise en scène innovant, il
explore les limites d’un amour moderne multiculturel à distance.

Publié le 31 décembre 2020(Mise à jour le 31/12)
Par Sophie Esposito

2021 au cinéma, une année riche
de promesses et d’incertitudes
Au cinéma, les suites de franchises se bousculent au portillon de 2021.

Dans un monde de productions cinématographiques largement dominé par la
culture des séries TV, il est intéressant d’énumérer la liste vertigineuse de suites
qui s’accumulent dans l’agenda si incertain des sorties de l’an prochain. Dans le
désordre, on recense Les Croods 2, Les Minions 2 : il était une fois Gru, Pierre
Lapin : panique en ville, Baby Boss 2, Tous en scène 2, Black Panther 2, Space
Jam 2, Top Gun 2, Jurassic World 3, Spider Man Homecoming 3, Les animaux
Fantastiques 3, Sherlock Holmes 3, The King’s Man : Première mission, SOS
Fantôme : L’héritage, Matrix 4, Hôtel Transylvanie 4, Les Tuches 4, Indiana Jones
5, Mission Impossible 7 et Fast & Furious 9. Sans compter The Suicide Squad,
Wonder Woman 1984, Blanche-Neige, Cinderella, Cruella, etc. Tant de grosses
franchises à succès et de super-héros et héroïnes confinés en attente de retrouver
un public de jeunes adultes retranchés derrière leurs écrans domestiques.

Sortir ou ne pas sortir ?
Malgré la persistance de la crise sanitaire qui menace de laisser les salles de
cinéma fermées jusqu’en février, on espère encore découvrir tous les films de la
dernière sélection cannoise… Et pourtant, nul ne peut prédire leur date de sortie
ni leur support de diffusion – grand écran ou plateforme de streaming, comme ce
fut le cas pour Pinocchio, Mulan ou Soul en 2020.

On attend avec beaucoup d’impatience l’ambitieux The French Dispatch de Wes
Anderson et son casting franco-américain de folie pour raconter les vies de
Français au XXᵉ siècle vus par un journaliste américain. On est curieux de voir
Aya et la sorcière, de Goro Myazaki, le fils du maître de l’animation japonaise, ou
bien Asa Ga Kuru de Naomi Kawase sur l’adoption d’un enfant par un couple
infertile jusqu’au retour impromptu de la mère biologique qui réclame une
contrepartie financière. On espère rire de bon cœur avec Les deux Alfred de (et
avec) Denis Podalydès dans le rôle d’un chômeur qui doit cacher l’existence de
ses enfants pour travailler dans une start-up. On attend beaucoup de L’origine du
Monde de Laurent Lafite qui passe à la réalisation avec une comédie grinçante
sur l’histoire d’un quadra qui découvre un jour que son cœur ne bat plus. On se
demande ce que va donner Lovers Rock de Steve McQueen sur la communauté
noire londonienne des années 70 ou bien Passion Simple de Danielle Arbid,
adaptée du formidable roman d’Annie Ernaux.
Au premier trimestre 2021… peut-être
Parmi les films labellisés Cannes 2020, on devrait, peut-être, pouvoir découvrir
Des Hommes de Lucas Belvaux, un film qui explore les répercussions
traumatiques longue durée des événements d’Algérie dans la vie de plusieurs
hommes, avec G. Depardieu, J. P. Darroussin et C. Frot. Et puis rire devant Le
Discours de Laurent Tirard, adapté du roman de Fabcaro.

Dans les autres grosses sorties du premier trimestre, on espère voir Aline, le
biopic de Céline Dion par (et avec) Valérie Lemercier ou bien Mourir peut
attendre, le dernier James Bond tellement de fois repoussé. On attend aussi avec
impatience Alerte Rouge en Afrique Noire, le troisième volet d’OSS 117, toujours
avec Jean Dujardin mais réalisé cette fois par Nicolas Bedos au lieu de Michel
Hazanavicius.

Les plus grosses attentes
Plus tard dans l’année, probablement sur Netflix, on découvrira peut-être Le
Pouvoir du Chien, de Jane Campion, la réalisatrice de La leçon de piano. On rêve
aussi de voir Comment je suis devenu super-héros ?, réalisé par Douglas Attal, le
premier vrai film de super-héros à la française ; ou le fameux Benedetta, de Paul
Verhoeven, sur une nonne italienne catholique (jouée par Virginie Effira) jugée
pour homosexualité au XVIIᵉ siècle. Et puis Annette, un film musical de Léos
Carax ; Kaamelott, d’Alexandre Astier ; Black Widow, le dernier Marvel ; Dune, la
version tant attendue de Denis Villeneuve ; The Last Duel, de Ridley Scott ; ou
encore West Side Story, la comédie musicale prévue pour Noël dernier par Steven
Spielberg, qui prépare actuellement le prochain opus d’Indiana Jones.

Enfin, qui sait, peut-être aura-t-on la chance de voir Armageddon Time, le dernier
James Gray, un film autobiographique sur son éducation dans le Queens des
années 80. Ou encore Killers of the Flower Moon, le très attendu dernier film du
grand Martin Scorsese.

Dans cet océan de peut-être, une chose est sûre : en 2021, chers cinéphiles, il va
falloir s’armer de patience !
Publié le 31 décembre 2020(Mise à jour le 4/01)
Par Sophie Esposito

Calamity: pour déconstruire les
stéréotypes
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary raconte l’histoire d’une légende
féminine de l’Ouest américain. Rémy Chayé invente la jeunesse de cette fameuse
pionnière en pantalon dans une aventure aux mille nuances et aux couleurs
éclatantes.

Avec vos enfants (à partir de 8 ou 9 ans), courez voir Calamity, une enfance de
Martha Jane Cannary de Rémi Chayé ! C’est un western plein de délicatesse et de
force, de sobriété et d’intelligence qui se déroule à hauteur d’enfant au moment
de la mythique conquête de l’Ouest. Si l’expression « garçon manqué » a souvent
été employée pour caractériser des agissements considérés comme peu féminins,
le film nous raconte, bien au contraire, l’histoire d’une « fille réussie », qui
parvient à briser le machisme et l’obscurantisme de son époque.

Rémy Chayé nous offre un modèle d’aventurière passionnant, complexe et
intrépide, comme l’était déjà Sacha dans Tout en haut du Monde, la précédente
pépite du cinéaste. La jeune Calamity est mue par des ressorts émotionnels qui
sonnent juste. C’est un portrait d’adolescente attachant et inspirant, dans la
lignée des héroïnes Miyazakiennes. Rebelle certes. Mais aussi fière, malicieuse,
opiniâtre, caractérielle, tête brûlée, désarmante et fragile, complexe finalement…
Et surtout naturellement féministe, parce que curieuse et déterminée. On y
découvre une fille qui pose les bonnes questions et qui dépasse les codes
masculins/féminins de son époque. Non pas pour provoquer mais parce qu’elle
veut juste agir, explorer et comprendre son environnement, aider sa famille, faire
avancer les choses, gagner l’affection d’autrui et trouver sa place dans une
communauté. Son odyssée est une formidable leçon de déconstruction des
stéréotypes de genres.

Pour raconter ce voyage initiatique audacieux qui se déroule en 1863 aux États-
Unis d’Amérique, l’animation traditionnelle (en 2D) se déploie avec un style
graphique épuré. On retrouve la patte de Rémi Chayé avec ses aplats de couleurs
tendres, généreuses et éclatantes qui nous transportent. C’est somptueux,
sensuel, poétique, à l’écoute – comme l’est Martha Jane – des sensations du monde
extérieur, sauvage. De la pluie qui ruisselle, de l’orage qui gronde, de la
splendeur des paysages de l’Ouest américain, de leur lumière et de leur
musicalité.

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary est un film d’émancipation
féminine, splendide et nécessaire, couronné par le prix du jury au Festival du Film
d’Animation d’Annecy. Bravo et bonne route !

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé , durée 1h22,
sortie le 15 décembre.
Publié le 10 décembre 2020(Mise à jour le 10/12)
Par Sophie Esposito

Cinéma : des DVD qui pétillent
En manque d’idées pour les cadeaux de Noël ? Carlotta Films propose un coffret
Ariane, version restaurée du superbe film de Billy Wilder. On pourra aussi penser
à l’hilarant Play d’Anthony Marciano.

Toujours un plaisir ces comédies romantiques qui bousculent les conventions,
avec humour, pour mieux faire triompher l’amour. Honneur aux femmes avec le
somptueux coffret Ariane de Billy Wilder. La réédition d’un film subtil et
émouvant sorti en 1957 sous le joli titre original Love in the Afternoon (« l’amour
l’après-midi »). En cachette de son père adoré et détective privé (M. Chevalier),
une ravissante et ingénue Parisienne (A. Hepburn), étudiante au conservatoire,
joue les croqueuses d’hommes pour séduire un millionnaire américain coureur de
jupons (G. Cooper) ! Féministe, délicieux et envoûtant.

Sorti début 2020, Play d’Anthony Marciano fait le portrait de sa génération, celle
des années 1990, à travers les vieilles bandes d’un caméscope. Une chronique
familiale doublée d’une introspection amicale et amoureuse, pour reprendre en
main son destin. On rit aux larmes !

Ariane, Billy Wilder, Carlotta Films, 20 € et Play, Anthony Marciano, 13 €.
Publié le 10 décembre 2020(Mise à jour le 10/12)
Par Sophie Esposito

Cinéma : offrez l’anti-Netflix
La Cinetek propose un magnifique catalogue composé des films préférés de
réalisateurs célèbres, vivants et disparus. Rien à jeter !

Prenez des réalisatrices et des réalisateurs du monde entier, comme Agnès Varda,
Céline Sciamma, Noémie Lvovsky, Arnaud Desplechin, Raymond Depardon,
François Ozon, ou bien Martin Scorsese, Nanni Moretti, Bong Joon-ho. Demandez-
leur la liste précise de leurs 50 films de chevet. Ça fait rêver, n’est-ce pas ?
Ajoutez-y les films préférés de grands cinéastes disparus, comme Truffaut ou
Kurosawa. Toutes ces recommandations se retrouveraient dans un catalogue de
films à regarder chez soi. Vous en rêvez ? Réjouissez-vous, il existe. C’est celui de
la Cinetek, la cinémathèque des réalisateurs. Un rêve de cinéphiles, en somme !
Garanti sans algorithme, un concentré de passion, 100 % humain et subjectif.
L’anti-Netflix. À offrir sans modération.

Pass ou abonnement, retrouvez les formules cadeaux à partir de 2,99 € le film
jusqu’à 50 € l’abonnement sur le site de la Cinetek.
Publié le 22 novembre 2020(Mise à jour le 24/11)
Par Nathanaël Travier

Opinion: le film “Hold-up” et sa
théorie du complot sont-ils l’écho
de nos angoisses ?
La sortie du film Hold-up a suscité nombre d’analyses. Mais dans le fond,
comment répondre aux angoisses vers lesquelles pointe le complotisme ?

Depuis quelques jours, Twitter connaît un de ces émois qui font frémir à intervalle
régulier la vie de cet organisme bilieux: la cause de la crise est cette fois la sortie
du tapageur ​Hold-up qui, comme à chaque fait d’armes du complotisme, devait
déchaîner une kyrielle de réactions outrées, tandis que vérificateurs et autres
check news ​se mettaient en branle pour démontrer l’aberration du propos, la
fantaisie des analyses, la grossièreté des syllogismes confinant à la manipulation.
S’il faut saluer ce travail de vérification, souvent probe et fouillé, il nous semble
que ces réponses manquent, finalement, le sujet.

Comme le montrait Marcel Gauchet en 2017 dans son article intitulé ​”La guerre
des vérités”​ , l’exactitude des faits n’est pas le plan sur lequel se jouent ces
discours et il serait doucement méprisant de croire que tous les spectateurs de ce
documentaire soient suffisamment imbéciles pour adhérer à l’ensemble des
affirmations qui y sont proférées. Mais si ​Hold up, comme les autres discours
complotistes, ont un tel succès, c’est bien qu’ils atteignent quelque chose que son
public tient pour une vérité.

Réinjecter du sens dans une réalité
angoissante
Au plus fort d’une épidémie qui, touchant à la peur essentielle, celle de la mort,
libère l’irrationnel, il faut donc tenter de mesurer ce qui dans de tels discours
signale une angoisse, une inquiétude partagée. Passée la colère, voire la
consternation, devant l’absurdité des allégations, surmontant la condescendance
naturelle qui veut que l’on se croit toujours plus malin que les autres, on
comprendra aisément ce que ce film peut apporter à une frange inquiète de la
population: à l’inexplicable d’une crise qui frappe sans ordre ni raison, qui peut
emporter tout un chacun sans justification, le complot peut en effet parvenir à
restaurer un sens dont la défaite terrifie.

Face à l’angoisse existentielle que suscite la possibilité de la mort, dans
l’impuissance à laquelle la maladie relègue la grande majorité de nos concitoyens
qui, n’étant pas médecins, ne peuvent que se terrer chez eux, l’ordre mondial
invisible, le grand complot d’un ​ils​ mystérieux, tout aussi affreux soit-il, est
toujours plus rassurant que la vanité de l’être et l’infirmité de l’individu. Le
complot restaure bien un sens, affirme quelque chose contre l’absurdité
philosophique essentielle qu’est l’injustice de la maladie et l’anéantissement de la
mort. Il offre une prise, un adversaire contre lequel on peut lutter, en venir aux
mains, tandis que le virus se réfugie dans l’inaccessibilité du minuscule et de
l’invisible.

Le complotisme,                               une          mythologie
sécularisée?
C’est l’histoire de l’homme tout entière, de ses philosophies comme de ses
religions, que de tenter de répondre par les mots à cette absurdité du néant que
laisse apercevoir de telles catastrophes. Il n’est pas étonnant que, dans des
sociétés devenues laïques, même les réponses les plus radicales à ces angoisses
se sécularisent et prennent la forme d’une mythologie confuse convoquant, tous
azimuts, les référentiels symboliques disponibles, du visionnaire sardonique
voulant épurer l’humanité au magnat machiavélique des empires
pharmaceutiques. C’est tout un imaginaire de littérature et de pop culture, où les
méchants des James Bond coudoient les conspirateurs de la science-fiction, qui
offre les images pour matérialiser une angoisse par essence impalpable.

Les observateurs assidus de la comédie humaine, comme les lecteurs attentifs de
Tintin, n’auront d’ailleurs pas manqué de remarquer l’étonnante absence d’un
Philippulus au cours de cette crise: le complotisme n’est finalement que la forme
nouvelle, actualisée, du mysticisme angoissé que connurent les précédentes
épidémies de l’histoire humaine, à l’image du mouvement des Flagellants de la
peste noire de 1347. Désormais laïcs, ces inquiets ne peuvent plus que se tourner
vers d’autres mythologies qui, dépouillées de tout contenu spirituel positif,
confinent désormais à l’absurde ou à l’odieux, dans une bouillie inextricable où
s’agrègent toutes les visions des enfers modernes.

Tenir  compte                            des            inquiétudes
contemporaines
Si une telle épidémie doit faire flamber de telles théories, il n’est pas plus
surprenant que le complotisme préexiste à cette crise, ni qu’il lui survive, tant
notre modernité connaît des mutations sans précédent qui, sans que ne soit plus
disponible aucune doctrine apaisante, laissent une large part des populations
dans l’angoisse, à commencer par celles qui, hors des villes, n’ont pas le
sentiment de participer à ces changements. Alors, aux critiques faciles qui se
contentent de les taxer d’imbéciles, on gagnera à ajouter que le
conspirationnisme est un mal moderne, le cri inadapté mais attendu d’une
population percluse d’inquiétudes. Face à lui, la réponse toute rationnelle du
commentaire factuel ne saurait donc avoir qu’un résultat limité: la pommade sur
un symptôme n’attaque jamais à la racine du mal.

La prolifération des théories complotistes est un véritable problème, nouveau,
auquel il faut apporter une réponse, urgente, au risque de courir vers le chaos.
Mais la stigmatisation de leurs auteurs, la condescendance et les insultes ne sont
pas de nature à l’endiguer, bien au contraire. Dans des sociétés qui, plus que
jamais, semblent s’enfoncer dans l’incommunicabilité, il vaudrait mieux porter sur
ces inquiets un regard empreint de tendresse et tenter de rassurer ceux qui,
manifestement, ont le sentiment d’avoir été laissés au bord du chemin.

Nathanaël Travier est bibliothécaire, cofondateur de la revue l’Esprit
européen
Vous pouvez aussi lire