La douleur vertébrale aiguë: un signe de fracture?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
cabinet La douleur vertébrale aiguë: un signe de fracture? Franco Tanzia, Piero Pancaldib, Sergio Tornatorec a Centro Osteoporosi Lugano, Clinica Luganese Moncucco b Centro Osteoporosi Locarno, Muralto c Osteoclub Ticino femmes de 50 ans et plus provenant de 29 pays, permet de pronostiquer qu’en Europe, 1,4 million de personnes Quintessence sur une population totale de 155 millions d’individus de P Chez les patients qui développent une ostéoporose, seule une fracture 50 à 79 ans subiront chaque année une fracture ver vertébrale sur trois est diagnostiquée. tébrale [3–4]. En Suisse, 50% des femmes et 20% des hommes subiront une fracture de fragilité [5]. P La douleur qu’elle occasionne est généralement modérée à aiguë et peut devenir chronique, comme elle peut disparaître spontanément au La prévalence des fractures vertébrales diagnostiquées bout de quelques semaines. par radiologie varie de 10 à 25% après l’âge de 50 ans (fig. 1 x) [4]; une autre étude montre qu’entre 50 et P En Europe, 1,4 million de personnes sont victimes chaque année d’une 85 ans, le taux de fractures vertébrales chez la femme fracture vertébrale. passe de 5 à 50% [6]. De plus, une fracture vertébrale P Chez les patients qui consultent pour des douleurs rachidiennes aiguës, multiplie par cinq le risque de fracture ultérieure et il est important que le médecin de famille puisse diagnostiquer l’ostéo triple le risque de fracture fémorale [6–8]. En Suisse, une porose dès la première fracture et éviter ainsi des complications majeures. patiente est hospitalisée toutes les 22 minutes pour une facture ostéoporotique [9]. P Un arbre décisionnel simple peut aider le médecin dans cette tâche. Présentation clinique des fractures vertébrales Introduction Les fractures de fragilité vertébrales sont généralement Avec l’âge, nos os perdent leurs propriétés structurales. causées par des traumatismes mineurs ou des efforts La masse osseuse diminue, augmentant la fragilité de légers, parfois même de simples mouvements, même il l’os et créant un risque accru de fracture, notamment n’est pas rare non plus qu’elles se produisent spontané suite à des traumatismes mineurs: c’est l’ostéoporose, ment chez des patients encore relativement jeunes, maladie caractéristique de la vieillesse, qui touche une dans ce cas elles sont associées à un risque important femme sur trois et un homme sur sept. de nouvelle fracture vertébrale ou non vertébrale. Assez La colonne vertébrale subit, avec le poids corporel, une souvent, les fractures vertébrales sont diagnostiquées force de compression qui s’exerce des disques interver par hasard sur des radiographies effectuées pour d’autres tébraux aux plateaux vertébraux et du tissu osseux tra motifs. Dans tous les cas, on considère qu’une grande béculaire à l’enveloppe corticale. La majeure partie de partie (jusqu’à 2/3) de ces fractures passent inaperçues cette force est supportée par l’os trabéculaire [1]. ou, du moins, sont diagnostiquées tardivement. Cette Le vieillissement s’accompagne d’une réduction de la situation est bien sûr favorisée par une symptomatologie densité minérale osseuse et d’une détérioration de l’ar souvent atypique ou incomplète. chitecture trabéculaire, qui influencent la quantité et la La douleur n’est pas un phénomène constant; parfois qualité de la masse osseuse. Pour prévenir le risque de aiguë et lancinante, elle peut être modérée ou absente. fracture, en particulier de fracture vertébrale, il est essen La douleur peut être accentuée par un accès de toux, un tiel d’agir sur ces deux facteurs [1–2]. La diminution du mouvement respiratoire ou d’autres mouvements même nombre et de l’épaisseur des travées osseuses, ainsi que minimes, la mise en position assise ou débout, une per des connexions qui les relient, entraîne une perte de cussion des apophyses épineuses ou une compression masse trabéculaire qui peut atteindre 50%. Ceci diminue axiale du rachis, mais elle peut aussi n’impliquer aucun de trois quarts la charge de rupture normalement sup de ces éléments. De même, l’atténuation de la douleur Franco Tanzi portée par les vertèbres par rapport à la charge initiale au repos ou en décubitus est variable. Les fractures des [2]. Ce phénomène bien connu de fragilité osseuse pré vertèbres dorsales inférieures ou de la jonction dorso dispose aux fractures de basse énergie. lombaire se manifestent souvent par des douleurs loca Les auteurs ne lisées plus bas, au niveau de la charnière lombosacrée: déclarent aucun soutien financier ni en conséquence, les douleurs peuvent être mal inter d’autre conflit Epidémiologie prétées et les fractures de la colonne dorsale inférieure d’intérêt en échapper à un examen radiologique qui serait limité à relation avec cet Selon l’étude EPOS [3], l’extrapolation de données, ob la colonne lombaire. Les fractures vertébrales peuvent en article. tenues à partir d’un échantillon de 14 011 hommes et outre être accompagnées d’une irradiation de la douleur Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373 369
cabinet (syndrome spondylogène), mais rarement – au contraire des fractures traumatiques – de troubles ou déficits neurologiques. Une instabilité vertébrale est parfois dif ficile à confirmer, par exemple après un effondrement du mur postérieur: dans ces cas, une évaluation neuro orthopédique pluridisciplinaire peut être nécessaire. La durée de la douleur varie également: de quelques se maines à plusieurs mois, ce dernier cas étant souvent suivi d’une progression de la déformation vertébrale ou de l’apparition de nouvelles fractures vertébrales «en cascade», bien visibles sur des radiographies sériées. Par contre, une véritable chronification des troubles s’ins talle quand se développent des troubles statiques dégé nératifs secondaires. Des signes typiques, bien que clairement tardifs, sont le tassement du tronc, qui se traduit par une perte de taille (d’env. 1 cm en moyenne par fracture), une cyphose dor sale, le «phénomène du sapin» ou la réduction à 1–2 cm de l’espace séparant l’arc costal de la crête iliaque avec Figure 1 un déséquilibre du tronc et d’éventuels troubles secon Prévalence des fractures vertébrales radiologiques en Europe. En Suisse, une patiente est hospitalisée toutes les 22 minutes pour une fracture ostéoporotique [9]. daires de l’équilibre et de la marche. Le phénomène du sapin est dû aux plis cutanés qui se forment à la suite de la perte de taille (fig. 2 x). Outre des troubles affectant la sphère neuroorthopé dique, le patient peut développer des difficultés respira toires (dues à la perte d’environ 10% de la capacité vitale pour chaque fracture de vertèbre dorsale), des troubles digestifs, des constipations, une dyspepsie avec reflux et une éventuelle œsophagite par suite d’une in suffisance du cardia. Les examens destinés à identifier une éventuelle fracture vertébrale présentent donc un intérêt certain pour les patients, que ce soit pour traiter immédiatement la dou leur ou pour prévenir les graves conséquences encourues en cas de diagnostic différé ou tardif. Evolution naturelle La persistance de douleurs dorsales est liée au nombre et à la gravité des fractures, et il est fréquent dans la pratique clinique que les patients présentant des tasse ments vertébraux multiples se plaignent d’une rachialgie chronique. Une fracture vertébrale ostéoporotique est souvent la manifestation d’une déficience mécanique de l’os. En ce sens, elle signale un risque accru de nouvelles fractures, Figure 2 Le phénomène du sapin est dû aux plis cutanés qui se forment vertébrales ou non. Les fractures vertébrales auront à la suite de la perte de taille. par la suite une incidence sensible sur la qualité et l’es pérance de vie, avec une détérioration progressive en fonction du nombre de fractures [10–11]. Tableau 1. Incidence de nouvelles fractures vertébrales La probabilité de subir une nouvelle fracture dépend de dans l’année qui suit une fracture vertébrale. la prévalence des fractures (tab. 1 p) et de leur gravité Fractures vertébrales Nombre (%) de patientes (fig. 3 x) [12]. prévalentes présentant une nouvelle fracture vertébrale la 1re année Difficultés d’identification des fractures 0 (n = 69) 1 (3,6%) 1 (n = 61) 3 (11,5%) Seule une femme sur deux ressent des douleurs après 02 (n = 251) 32 (24,0%) une fracture vertébrale diagnostiquée par radiographie; Total (n = 381) 36 (19,2%) ces douleurs ne sont correctement interprétées comme dues à une fracture que dans deux tiers des cas. Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373 370
cabinet L’examen radiologique – réalisé en vue latérale et antéro premières radiographies mais que les douleurs persistent, postérieure – est essentiel pour diagnostiquer une frac l’examen devra être répété 2–3 semaines plus tard. ture vertébrale. Si aucune fracture n’est identifiée sur les Un diagnostic incomplet peut résulter non seulement d’un tableau clinique atypique, qui complique l’interpré tation correcte des symptômes parfois peu prononcés, mais aussi de la difficulté de lire les détails radiologiques, souvent flous ou inexistants (fig. 4 x). Une suspicion de fracture vertébrale est généralement as sociée à un traumatisme majeur plutôt qu’à une fragilité osseuse. La diminution de la taille n’est pas toujours im putable aux fractures vertébrales: en effet, on estime qu’une faible réduction de la stature (jusqu’à 4 cm) est d’origine physiologique et résulte de la déshydratation des disques intervertébraux liée au vieillissement [13–15]. Chez les femmes de plus de 60 ans ayant une pré valence d’ostéoporose de 20 à 30%, seuls 2 à 13% des diagnostics d’ostéoporose sont posés par le médecin de famille [16–17]. Pour différentes raisons liées à l’indication de l’examen ou à la qualité de l’image, les fractures vertébrales ne sont pas toujours mentionnées dans le rapport radio logique. Dans un collectif de patients hospitalisés de plus de 60 ans, une étude a examiné des radiographies de routine du thorax réalisées à l’admission et analysé les rapports pour y rechercher les mentions d’éventuelles fractures. Résultat: les fractures présentant un indice de gravité Figure 3 Gravité des fractures vertébrales (selon Genant) et risque de nouvelles fractures. Plus élevé étaient mentionnées dans les rapports radiolo la déformation par fracture basale est importante, plus l’incidence de nouvelles fractures giques dans deux tiers des cas, mais seuls 14% des pa est élevée. tients ont bénéficié d’une prise en charge thérapeutique A B Figure 4 A, B Il est souvent impossible de définir clairement les contours vertébraux et donc d’évaluer d’éventuelles déformations vertébrales sur des clichés du thorax ou de scoliose. Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373 371
cabinet à la sortie (tab. 2 p et [16]). La nonmention de fractures Tableau 2. Mention de fractures à l’admission dans un collectif de patientes dans un rapport radiologique ne permet pas de conclure âgées de plus de 60 ans. à l’absence de fracture. Le dossier radiologique doit tou Fractures vertébrales – Radiographie Modérées à sévères Graves jours accompagner le patient à sa sortie de l’hôpital. thoraciques chez 934 femmes ≥60 ans Mention dans le rapport radiologique 52% 69% Mention dans les conclusions du rapport 23% 36% Prise en charge du patient avec suspicion radiologique de fracture vertébrale Mention du diagnostic à la sortie 8% 11% Traitement proposé à la sortie Le clinicien peut s’aider de nombreux algorithmes pour diagnostiquer et traiter les fractures. Ces arbres déci Tout traitement 18% 14% sionnels souvent très complexes couvrent toutes les pa Bisphosphonates, hormonothérapie 6% 5% thologies possibles, comme l’ostéoporose, l’ostéomalacie, substitutive, calcitonine les tumeurs, etc. Le médecin en cabinet voit tous les jours * DXA Densitométrie osseuse ** FRAX –OMS www.stef.a.uk/FRAX/tool_FR.jsp? lcationValue=15 *** Osteoporose Tool SSR www.med-link.ch/ osteoporose/index.html Figure 5 Implications pratiques. Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373 372
cabinet des patients présentant une rachialgie. Dans cet article, néralement. Un diagnostic mal posé ou tardif a des nous souhaitons attirer l’attention du clinicien sur un conséquences souvent sévères. Dans cet article, nous sousgroupe spécifique, celui des femmes ménopausées avons donc voulu rendre le lecteur attentif aux points atteintes de douleurs vertébrales aiguës, qui ont une suivants: probabilité réelle de fracture ostéoporotique et chez les – Des douleurs thoracolombaires chez des patients quelles un diagnostic précis suivi d’une prise en charge >50–55 ans (en particulier chez les femmes méno thérapeutique adaptée peut prévenir de futures compli pausées) doivent toujours évoquer une fracture ver cations. tébrale (à confirmer ou à exclure par radiographie). L’algorithme simplifié (fig. 5 x) que nous proposons – En cas de douleurs lombaires basses, toujours pen pour les fractures vertébrales confirmées par radiogra ser à examiner aussi la colonne dorsale inférieure. phie comprend une évaluation clinique avec examens de – De nombreuses fractures vertébrales étant peu ou pas laboratoire pour le diagnostic différentiel ainsi qu’une du tout symptomatiques, on prêtera une grande atten densitométrie osseuse pour la prise en charge ultérieure. tion aux signes cliniques révélateurs même tardifs Le diagnostic différentiel vise notamment à distinguer (cyphose dorsale, «signe du sapin», diminution de les fractures ostéoporotiques des fractures patholo l’écart entre arc costal et crête iliaque). giques d’autre origine. Le bilan de base pour exclure – Toujours bien examiner la colonne vertébrale, même ces fractures inclut la détermination de la vitesse de sé lorsqu’elle n’est pas l’objet de l’examen radiologique dimentation (et souvent aussi de la protéine C réactive), (par ex. radiographie du thorax). la formule hématologique, le calcium avec l’albumine et – Demander que les documents radiologiques vous le phosphore, la phosphatase alcaline (evt avec la gGT), soient envoyés avec les rapports de sortie. la créatinine et la 25OHVitamine D3. Toute fracture Toute fracture vertébrale diagnostiquée doit recevoir un vertébrale ostéoporotique doit recevoir un traitement traitement antiostéoporotique adéquat. médicamenteux spécifique. Pour ce faire, souvent la dé Des douleurs dorsales aiguës sont une pathologie très termination des marquers de la résorption osseuse (le fréquente d’étiologie diverse, mais la possibilité d’une CTX dans le plasma, les Pridinolines dans les urines à fracture ostéoporotique doit toujours être envisagée chez jeun du matin) peut aider dans le choix différentiel. une femme ménopausée. Dans ce cas, on procédera à La catégorie du patient peut être définie par la valeur des examens approfondis pour prévenir d’ultérieures du TScore, qui représente l’écarttype (DS pour «dévia fractures. Un traitement antiostéoporotique, destiné à tion standard») par rapport au pic de masse osseuse: augmenter la masse osseuse et la qualité du squelette une valeur inférieure à –2,5 DS est diagnostique de l’os devra être prescrit en complément des mesures de pré téoporose, tandis qu’une valeur supérieure à –2,5 DS vention et de surveillance dont doivent bénéficier toutes est indicative d’une ostéopénie. les femmes ménopausées. Même dans les cas où la radiographie ne révèle pas de fractures, une ostéoporose devra néanmoins être évo quée en présence de facteurs de risque. Correspondance: Si les douleurs persistent et qu’une fracture est exclue, Dr Franco Tanzi la recherche d’autres pathologies s’impose et l’examen Médecine interne et gériatrie FMH radiologique devra être répété après 7 à 20 jours (fig. 5). Clinica Luganese Moncucco CH-6900 Lugano franco[at]studiotanzi.ch Conclusions Les douleurs dorsales subites aiguës sont une pathologie Références recommandées très fréquente d’étiologie diverse. Les fractures verté La liste complète des références numérotées se trouve sous brales sont beaucoup plus fréquentes qu’on le croit gé www.medicalforum.ch. Forum Med Suisse 2012;12(18):369–373 373
Vous pouvez aussi lire