La gestion des innovations territoriales à l'aune des impératifs de performance publique - OpenEdition Journals
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Finance Contrôle Stratégie NS-7 | 2020 La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performance publique La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performance publique Management of Territorial Innovations under Public Performance Peremptories Irène Georgescu et Bachir Mazouz Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/fcs/3861 DOI : 10.4000/fcs.3861 ISSN : 2261-5512 Éditeur Association FCS Référence électronique Irène Georgescu et Bachir Mazouz, « La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performance publique », Finance Contrôle Stratégie [En ligne], NS-7 | 2020, mis en ligne le 09 janvier 2020, consulté le 13 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/fcs/3861 ; DOI : 10.4000/fcs. 3861 Ce document a été généré automatiquement le 13 janvier 2020. Tous droits réservés
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 1 La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performance publique Management of Territorial Innovations under Public Performance Peremptories Irène Georgescu et Bachir Mazouz Introduction 1 Les récentes dispositions annoncées par le gouvernement français visant notamment à contenir partiellement le dérapage du déficit budgétaire pour l’année 2017, démontrent les tensions financières auxquelles sont soumises les collectivités et les territoires français. « Le gouvernement a en effet confirmé (…) l'annulation de 300 millions d'euros de crédits 2017 de l'Etat en direction des collectivités, une information dévoilée par « Libération ». Bercy a ciblé avant tout les crédits d'investissement des élus locaux en leur ôtant 216 millions d'euros sur le fonds de soutien à l'investissement local, une poche d'un milliard que le précédent gouvernement avait mis en place pour compenser la baisse des dotations. […] Les quartiers urbains sont aussi touchés par 46,5 millions retirés à la politique de la ville et 35 millions sur d'autres lignes liées à l'aménagement du territoire »1. Par conséquent, injonctions contradictoires, restrictions budgétaires, pressions sur le développement du territoire pour faire face à la désertification de certaines territoires sont autant de facteurs potentiellement tensionnels auxquelles les gouvernances territoriales doivent apporter des réponses innovantes pour demeurer compétitives et attractives. 2 En effet, dans un contexte de crise socio-économique structurelle, l’innovation qui vise le bien commun, l’intérêt général et les services publics, doit être considérée comme une condition impérative globale (Durance et Mousli, 2010). Elle constitue la solution non seulement d’un retour de la croissance, de préservation du modèle social, de bien-être des citoyens et d’amélioration du niveau de vie2, mais aussi de la compétitivité et ainsi de la survie des entreprises3 et des administrations d’un territoire (Albertini, 2007). Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 2 3 Souvent appréhendé de manière réductrice, sous la focale technologique ou technique, le champ de l’innovation est large et protéiforme. Il peut être organisationnel (Quevit et Van Doren, 1993 ; Ben Letaifa et Rabeau, 2012), managérial (Birkinshaw et al. 2008), territorial ou socio-économique et politique (Loncle, 2005 ; Encaoua et al. 2004) ou encore concurrentiel (Porter, 1993) ou sous plusieurs de ces angles en même temps (les travaux du CRISES au Québec). « L'innovation et le dynamisme économique et social se produisent dans le cadre de systèmes territoriaux d'innovation où des entreprises privées, des institutions publiques et des centres de recherche scientifique de haut niveau se combinent de façon interactive. Ce type de collaboration génère du savoir et permet la valorisation locale du savoir ainsi créé (Klein, 2008, p. 52) ». 4 A titre d’exemple, la création de l’espace « Paris Saclay » démontre la volonté des pouvoirs publics, et ce notamment sur la base du classement de Shanghai, de réorganiser le territoire sur la base de compétences technologiques et d’expertises académiques afin de faire émerger un cluster technologique de référence internationale (Allemand, 2016). Cette innovation territoriale permet de réunir de multiples organisations de cultures différentes (des universités, des écoles d’ingénieurs, des écoles supérieures de commerce) et contribue à faire émerger une institution hybride où les entrepreneurs, encouragés par un écosystème riche, sont conduits à travailler de manière plus collective, « d’initier et de soutenir de nouveaux modes de gouvernance de l’innovation plus soucieux de mobiliser les forces entrepreneuriales au sens large, au sein des territoires » (Kustosz, 2017, p. 136). 5 Dans cet exemple, l’innovation se fonde sur l’existence d’un territoire et de ses caractéristiques pour soutenir les innovations techniques et technologiques grâce à la mobilisation de nouvelles pratiques et processus de management. Ainsi, l’innovation territoriale, l’innovation technologique et l’innovation managériale s’entrecroisent afin de valoriser un espace dans un contexte budgétaire de plus en plus difficile. 6 Si les définitions de l’innovation technologique, techniques ou encore managériales tendent à se stabiliser (Le Roy et al., 2013), la définition de l’innovation territoriale et ses contours demeurent flous ainsi que le processus complexe (Moualert et Sekia, 2003). Loin d’être une action ponctuelle visant à mettre en commun des ressources, l’innovation territoriale consiste à s’inscrire dans le temps ce qui rend la connaissance et la maitrise de ses dispositifs clés utiles à sa gestion (Mazouz, 2009). Cependant, la performance de ces leviers est aujourd’hui mise à l’épreuve par les collectivités confrontées à des impératifs d’une gestion efficiente de leurs ressources traditionnelles. De manière plus globale, la gestion de l’innovation territoriale devient à la fois un levier de la performance publique mais également une source de tensions éthique de gouvernance publique (Keramidas, 2012) qu’il s’agit d’évaluer et de piloter dans un contexte (ou sous contraintes) démocratiques (Gaudin, 2007). 7 Ainsi, les logiques managériales et les pratiques de gestion inspirées du New Public Management conduisent désormais les organisations publiques à intégrer des valeurs, des structures d’offres de service, des cadres officiels et des outils de gestion (Hudon et Mazouz, 2014) à des fins d’efficacité et d’efficience des politiques, programmes et projets publiques (Hood, 1991). Les exigences de réédition de comptes, dictées par l’imputabilité (Accountability) des dirigeants publics (Power, 1997), contribuent également à faire évoluer les organisations publiques dans des directions parfois peu envisageables ou envisagées il y a encore quelques années (Facal et Mazouz, 2013). Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 3 8 Afin de mieux comprendre les enjeux actuels des innovations territoriales, désormais impulsées dans un contexte de ressources budgétaires contraintes, nous tenterons d’esquisser, dans une première partie, les contours de l’innovation territoriale, concept complexe et protéiforme. Dans une seconde partie nous aborderons des éléments du management des innovations territoriales. Puis, dans une troisième partie, nous poursuivrons en abordant la complexité de l’évaluation des innovations territoriales. Enfin, nous poserons quelques pistes de réflexions et présenterons les contributions de ce numéro spécial. 1. Les contours de l’innovation territoriale 9 Les Territorial Innovation Models (ci-après « TIM ») ont donné lieu à une littérature florissante dans les champs des milieux innovateurs ou des districts industriels. Ils visent à étudier les interactions et les dynamiques locales et institutionnelles dans le développement du territoire (Crevoisier, 2014). 10 La définition de l’innovation territoriale a été peu aisée et cherche encore ses marques (Moualert et Sekia, 2003 ; Crevoisier, 2010). Toutefois, un consensus semble émerger à la fois sur la nécessité de dépasser l’approche technologique de l’innovation mais également sur la question de la notion de territoire en intégrant l’accroissement de la mobilité des personnes, des connaissances, des informations des capitaux et des biens (Crevoisier, 2010). Dès lors, l’innovation territoriale est approchée de manière multifactorielle et contribue, à un niveau local, au progrès réalisé à une plus grande échelle (Moualert et Sekia, 2003). 11 Parmi les facteurs qui paraissent indissociables de l’innovation territoriale, Crevoisier (2010) en distingue notamment quatre : 12 Premièrement, l’innovation territoriale résulte d’un enchainement clos de processus qui caractérisent son émergence. Ainsi, son développement se caractérise par un processus et des interactions entre les acteurs, les institutions et les dynamiques du territoire. L’autonomie qui la caractérise, au sens de Lemoigne (2002) ou Morin (2005), va se distinguer par des causalités circulaires, spécifiques à un processus qui constitue un enchaînement d’éléments entre facteurs propres au milieu et facteurs externes. 13 Deuxièmement, le développement ne s’enclenche que par une articulation entre les opportunités ouvertes et formulées par le milieu et la volonté délibérée d’entrepreneurs (Crevoisier, 2010, p. 975). Dès lors l’aspect contextuel est particulièrement fort. Il constitue le point d’ancrage de l’approche par le territoire et fournit des opportunités aux acteurs locaux d’agir collectivement et de manière innovatrice. Ainsi, l’innovation ne résulte pas uniquement d’un assemblage de compétences ou de ressources mais d’un ensemble d’interactions où les acteurs sont la clé de voute de la dynamique locale (Crevoisier, 2014). 14 Troisièmement, les acteurs innovants ont tendance à créer un territoire qui influence, par l’intermédiaire des institutions présentes, les choix des acteurs. Ce faisant, ils nourrissent l’innovation de ressources de nature proprement territoriale (François et al., 2013) qu’elle contribue aussi à développer. 15 Quatrièmement, les dynamiques multi-locales et multi-scalaires ont un rôle qui permet de prendre en compte l’importance des articulations micro/méso/ macro dans la création et le maintien de l’innovation territoriale. Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 4 16 Dès lors, l’innovation territoriale peut émerger du terrain et résulter de l’alchimie entre ressources territoriales et attentes des citoyens. A titre d’exemple, afin de répondre aux attentes des acteurs du développement régional, l’innovation territoriale doit tenir compte des contraintes de développement durable (Commenne, 2006). Par conséquent, les stratégies qui en découlent doivent permettre d’inscrire la compétitivité du territoire, par exemple, dans une dynamique couplant les valeurs des citoyens et celles du secteur public (Bartoli et al., 2011). 17 Au quatre facteurs territoriaux identifiés par Crevoisier (2010), un rapport sur la modernisation de l’action publique intitulé « innovation au pouvoir » (Oural, 2015) souligne huit autres dimensions pour promouvoir l’innovation territoriale : (1) la connaissance des ressources, enjeux et besoins spécifiques du territoire ; (2) une mise en mouvement collective et une forte association des citoyens dans le cadre d’une démocratie participative repensée ; (3) la capacité à mener des expérimentations de manière agile ; (4) Une gestion des ressources humaines et des modes de management renouvelés ; (5) l’accompagnement des porteurs de projets et le développement d’une ingénierie territoriale ; (6) le financement des démarches d’innovation territoriale et le développement de nouveaux modèles économiques ; (7) la capacité à évaluer les impacts de l’innovation territoriale de manière collective avec les acteurs et les bénéficiaires ; (8) la mise en réseau des acteurs, le partage d’expérience et la diffusion de pratiques innovantes créatrices de synergies. 18 Conçue et déployée selon des perspectives visant le développement du bien commun, de l’intérêt général et des services publics, l’innovation territoriale se matérialise donc par les changements de pratiques résultant d’interactions entre territoire et acteurs locaux et de collaborations intersectorielles locales plus ou moins institutionnalisées. Plusieurs études mettent en lumière ces modes de gouvernances et de management qui tiennent compte des spécificités organisationnelles et sectorielles territoriales publiques (Desbiens, 2017 ; Bichon, 2017 ; Hernandez et Kane, 2017). 2. Quels modes de management des innovations territoriales ? 19 Associer organisations privées et publiques dans la gestion des innovations territoriales n’est pas si récent. Par exemple, de nombreux partenariats publics- privés émergent pour faire collaborer les organismes du secteur non marchand et marchand (Skander et Préfontaine, 2017 ; Mazouz, 2009). Dans une volonté d’optimiser les moyens, de permettre un transfert de connaissances entre secteur privé et secteur public (Gaudron, 2009 et 2017), introduire la rémunération à la productivité et le « management by numbers », des premières réformes conduisent les organisations publiques vers de l’hybridité (Billis, 2010). Certains partenariats publics-privés territoriaux permettent d’engendrer et d’appuyer une dynamique d’innovation plus complexe et multiforme à la fois quant à la nature des innovations produites, la diversité des acteurs concernés, des métiers mobilisés et de leurs objectifs (Galoujj et al., 2015, Touati et Brabant 2015, Touati et Denis, 2013). Dès lors, les frontières (ou clivage ?) entre secteur privé et public s’amenuisent au profit de l’intérêt général (Gaudron, 2009). Ce phénomène se retrouve également dans divers domaines de l’action territoriale. À titre d’illustration, dans les secteurs culturels, sur la base d’une étude longitudinale et comparative entre Birmingham et Marseille, Andres et Chapain (2013) Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 5 étudient la manière dont les acteurs privés sont intégrés dans les politiques locales de développement. Leurs résultats suggèrent l’existence de structures de gouvernances collaboratives intégrant les collectivités locales, les acteurs clé du secteur et de ses institutions. 20 Au Québec, Klein et al. (2014) décrivent avec précision la manière dont un type d’organisation de santé, les cliniques médicales populaires (CMP), ont réussi à s’imposer et devenir une référence au fil des années. Les CMP sont issues de de la volonté des usagers, des professionnels et des communautés locales. Sur ces fondements, le mode de production des services, leurs contenus ainsi que l’accès à de nouvelles clientèles ont été définis par un mode de gouvernance partagée ou distribuée. En se basant sur la réussite de ce modèle innovant en matière de structure d’offres de services de santé, l’Etat Québécois s’est engagé dans la création de centres locaux de services communautaires (Bélanger, Lévesque et Plamondon, 1986, cité par Klein et al. 2014). 21 Ainsi, les innovations territoriales permettent la création d’espaces de mise en réseau des acteurs multiples publics et privés (Mazouz, 2009). Ces réseaux fixent des règles permettant de créer la confiance entre les acteurs et cherchent à éliminer les disparités trop importantes en termes de pouvoir et/ou de ressources. Ils amènent à raisonner en termes de performance collective et pas seulement de performance publique (Divay, 2012a). 3. Quelles évaluations ? 22 En France, il n’est plus à démontrer que la mise en œuvre de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a refondu en profondeur les logiques de l’action publique. 23 Les impératifs de transparence et de performance publiques mobilisent de nombreux dispositifs de contrôle, de mesure et d’évaluation novateurs : (1) des outils orientant les comportements vers une gestion par résultats ; (2) une mesure multidimensionnelle de la performance intégrant des instruments de réflexion stratégiques tels que les tableaux de bord (Balanced Scorecard) et (3) une approche comparative de la performance basée sur des systèmes d’évaluation inter et intra-organisationnels (Modell, 2009). Ainsi, l’évaluation de la performance ne s’effectue plus uniquement de manière quantitative et financière mais intègre de multiples facettes telles que l’évaluation participative des politiques et programmes publics ou encore la gestion des risques (Al Sharif et Bourquia, 2011). 24 Aussi, si la multiplication des outils de pilotage des innovations permet a priori un pilotage plus efficient, la question de l’évaluation des innovations territoriales peut également être analysée par le prisme de l’imputabilité (Accountability) et néo- institutionnalisme. En effet, si les études dans les organisations publiques ont démontré que les outils de contrôles et de gestion contribuent à renforcer la légitimité des organisations et des décisions qui s’y prennent (Sinclair, 1995 ; Broadbent and Guthrie, 1992, Modell 2005), il est possible de s’interroger sur l’existence de ce phénomène dans le champ des innovations territoriales. Ainsi, le raisonnement en termes de performance collective, définie comme « l’ensemble des accomplissements individuels et des compétences collectives dans la société locale qui conditionnent la qualité de vie (objective et subjective) de ses citoyens. » (Divay, 2012b, p. 3), conduit, d’une part, à s’interroger sur les Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 6 mesures et les modes d’évaluations des compétences ou expertise collectives mobilisées, et d’autre part, à la mesure de la qualité de vie offert par l’innovation territoriale. Des enjeux, tant en termes d’attractivité du territoire qu’en termes de légitimité des actions menées, peuvent émerger et influencer les modalités d’évaluations. 4. Quelles perspectives de recherches ? 25 Au regard tant de la complexité des contours des innovations territoriales, de leurs modes de gouvernance et de management que du rôle des dispositifs d’évaluation, de nombreuses perspectives peuvent être soulevées. La gestion par les territoires des modèles d’innovations 26 Les territoires ont un rôle central à jouer dans une société de la créativité et de l’innovation (Durance et Mousli, 2010). Comme le soulignait récemment un rapport officiel, " Le monde se réinvente, et au cœur de cette transformation, soutenir l’innovation devient un enjeu crucial pour les États. " (Beylat et al., 2013, p. 1). Pourtant, les relations que les territoires entretiennent avec l’innovation se limitent, dans la grande majorité des cas au financement des innovations technologiques. Partant de l’hypothèse forte que seuls la Recherche et le Développement contribuent à insuffler une dynamique de création d’emplois pérennes, de nombreux territoires ambitionnent de développer leur propre "Silicon Valley", mais peu y parviennent (Durance, 2011). Or de multiples initiatives échouent car elles ne tiennent pas fondamentalement compte du besoin de l’usager. Les territoires peuvent privilégier le benchmark ou l’isomorphisme au risque de perdre la singularité de leur territoire et de ne pas exploiter leurs ressources idiosyncratique. Ainsi, une véritable réflexion, inscrite dans le cadre théorique des Ressources (Barney, 2001) peut être conduite. 27 Repenser l’innovation comme réponse à un besoin ou une attente d’un groupe d’acteurs locaux peut conduire à une réflexion stratégique en profondeur, à des innovations plus prolifiques que la création d’une offre visant à créer sa propre demande. Ainsi, la collectivité et les groupes d’acteurs constituent le point d’ancrage du progrès économique et social. Plusieurs questions sont sous-jacentes : Quels sont les critères d’un territoire permettant d’instituer une dynamique d’innovation ? Quels sont les rôles et place des acteurs dans le processus d’innovation ? Comment les dispositions réglementaires, fiscales, sociales et les actifs du territoire contribuent-ils à l’émergence et la gestion pérenne des innovations territoriales ? Les conditions de réussite et freins à la gestion des innovations territoriales 28 La gestion des innovations territoriales doit intégrer des processus stratégiques et d’autres relevant de la spontanéité et de l’improvisation des acteurs impliqués sur le plan territorial. Plusieurs conditions de réussites de cette intégration peuvent être évoquées : la nécessité pour les pouvoirs publics de forger et porter une vision du territoire, l’importance de laisser des espaces d’improvisations, des marges de libertés, de prises d’initiatives, d’hybridations, accepter les processus d’essais et d’erreurs à tous les niveaux d’intervention. L’environnement urbain constitue également un levier de création d’innovations territoriales. Le phénomène de gentrification des quartiers Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 7 suggère la possible reconfiguration de la ville ‘durable’ (Lees, 2003). La mobilisation de l’environnement dans les stratégies de réappropriation du territoire ainsi que son aménagement constitue un atout non négligeable dans la compétitivité de la ville (Béal et al., 2011). Les acteurs sont alors susceptibles d’effectuer un processus de déplacement identitaire qui leur permette de dépasser leurs routines organisationnelles et stratégies défensives, et de contribuer ainsi à l’émergence de nouveaux compromis équilibrés et durables (Xhauflair et Pichault, 2012). Des réflexions, pouvant s’appuyer sur les Economies de la grandeur (Boltanski et Thévenot, 1991) ou encore sur (l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 2006), porteraient sur le processus par lequel un projet d’innovation se déroule et le contexte dans lequel il s’inscrit. Quels sont les catégories d’acteurs en présence ? Comment un bien commun peut-il émerger au travers de compromis et de processus de traduction ? L’innovation territoriale constitue-t-elle un objet frontière au sens de Star et Griesemer (1989). Légitimités et gestion des innovations territoriales 29 La légitimité des organisations publiques a fait l’objet de nombreux travaux (Modell, 2009). Abordée par Dowling et Pfeffer (1975) ou Parsons (1960) comme un comportement approprié de l’organisation dans son environnement, la légitimité est une perception ou présomption généralisée selon laquelle les actions d’une entité sont souhaitables, convenables ou appropriées au sein d’un système socialement construit de normes, valeurs, croyances (Suchman, 1995 ; p. 574). Ainsi, la question l’évaluateur de la pertinence du comportement mérite une attention particulière. Les dépositaires d’enjeux sont multiples. Le citoyen, souvent représenté de manière directe ou indirecte par le biais d’associations d’usagers ou encore d’organismes de tutelles, n’est que peu présent dans ces dispositifs en France. 30 A contrario, au Québec, nous voyons poindre le citoyen dans les instances de décisions locales. Moyen efficace de pallier aux carences perçues de la démocratie (Divay, 2012), l’engagement civique peut se manifester par la possibilité pour le citoyen de participer aux prises de décisions de sa collectivité et à leur mise en œuvre. Certaines municipalités, notamment en Amérique latine (Cabannes, 2006 ; Gonçalves, 2014) instituent des dispositifs facilitant la participation citoyenne aux décisions. Ces dispositifs constituent une innovation majeure de l'action publique municipale. Leurs conditions de fonctionnement et de réussite restent cependant mal connues (Talpin, 2008 ; Mazeaud et Talpin, 2010). Plusieurs interrogations peuvent émerger : Comment les citoyens contribuent-ils à la prise de décision collective portant sur l’innovation territoriale ? La seule présence de citoyens dans les instances collectives est-elle suffisante pour légitimer la bonne gestion de l’innovation territoriale gestion ? Le citoyen dispose-t-il de l’expertise nécessaire pour évaluer la qualité de la gestion de l’innovation territoriale ? Comment mesurer la valeur publique ajoutée des dispositifs de participation et de concertation dans la dynamique locale ? La territorialisation des innovations : quels décloisonnements et quelles réalités ? 31 Dans le domaine de la santé français, à titre d’exemple, la mise en œuvre des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) peut être appréhendée comme une innovation territoriale majeure. Ils constituent le point de départ d’une refonte de l’organisation des soins dispensés par le secteur public en France. Le dispositif, n’est Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 8 pas en soi, si récent. La constitution de Communauté Hospitalière de Territoire, avait pour objectif de permettre aux établissements publics situés sur un même territoire, la mise en œuvre d’une stratégie commune pour faire face à la concurrence du secteur privé. Cette mesure vise à contraindre les parties prenantes à œuvrer vers une recomposition hospitalière publique (Pascal et al. 2011). Afin de renforcer, la coopération entre les établissements publics et rationaliser les modes de gestion des parcours de soins et de l’accès aux soins, les GHT incitent les organisations publiques à des regroupements pour faciliter les économies d’échelles ainsi que la mutualisation des moyens. La recomposition géographique de l’offre de soins, initiées par les pouvoirs publics, conduit les organisations à repenser leurs modes de coopérations et leurs stratégies au sein d’un territoire. Ainsi, des dynamiques d’apprentissage et de coordinations sont impulsées. Toutefois, si les aspects opérationnels de ces innovations sont séduisants, les questions stratégiques et de gouvernance demeurent. Quels sont les processus de mise en œuvre et de gestion de la gouvernance de l’innovation territoriale ? L’innovation conduit-elle fondamentalement à un décloisonnement entre les institutions ? Quelles sont les nouvelles frontières qui émergent, et ainsi, quels nouveaux territoires, la gestion de l’innovation territoriale conduit-elle à construire ? Quelles sont les évolutions du pouvoir des parties en présence qui collaborent ? 32 Si le numéro spécial de la revue FCS, ne se veut pas exhaustif au regard des nombreuses voies de réflexions posées lors du Symposium international de Montpellier (2015), il a pour objectif de proposer quelques pistes de réponses à partir de quatre travaux de recherches abouties. 33 À partir des résultats d’une étude consacrée par Baldé et Carassus aux Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dans l’article intitulé « Modélisation et analyse des pratiques de gouvernance intercommunale française », ces auteurs mettent en évidence des innovations opérées au niveau des pratiques de gouvernance. Bien que les établissements étudiés œuvrent dans un contexte marqué par des enjeux institutionnels quasiment similaires (forte pression budgétaire et volonté de l’État à décentraliser l’action publique territoriale et locale), l’étude souligne des liens entre la pluralité des modèles de gouvernance locale et leur potentiel d’innovation au niveau des pratiques. Si chacun des ÉPCI étudiés se distingue par un modèle de gouvernance qui lui est propre, il est important de souligner que le modèle de gouvernance qualifié d’ouvert et proactif a tendance à générer des pratiques de gouvernance innovantes. L’intégration des pratiques ou des outils innovants (ou novateurs) constitue en soi des défis considérables à relever par les gestionnaires territoriaux. Certains de ces défis sont spécifiques au management territorial et à sa configuration par rapport au management de l’action publique centrale. Ces contributions nous aident à saisir la complexité qui caractérise le management des innovations territoriales, présentées respectivement au niveau des outils, des pratiques et de l’évaluation. 34 L’étude menée par Dubouloz, Bichon et Desmarais sur les « Barrières à l’adoption d’une innovation managériales au niveau du territoire » révèle en particulier des obstacles relatives à la perception qu’ont les acteurs des « incompatibilités et des risques » de l’innovation managériale pour leur organisation ou leur territoire. Cet article identifie trois types de barrières à l’adoption de l’innovation managériale dans le cas d’une « Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) » : des barrières internes, des barrières liées à l’attribut spécifique de l’innovation managériale et des barrières liées à la territorialisation. Cet ajout à la connaissance existante sur les Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 9 barrières à l’innovation permet de saisir des spécificités relevant des dispositifs de GRH territoriales. 35 Dans son article intitulé « l’innovation territoriale : manager en mode pilotage ou en logistique ? » Divay questionne l’intégration des pratiques innovantes et ses effets sur les rôles, fonctions et responsabilités des acteurs territoriaux. Plus spécifiquement, sa réflexion invite à un « dépassement du paradigme du pilotage de l’action publique…pour mieux comprendre les défis de gestion de l’innovation territoriale » en inscrivant « les fonction du management local dans un paradigme de logistique du collectif ». Ce faisant, la reconfiguration des rôles et responsabilités qu’exige le « paradigme logistique » suppose des capacités de gestion de la mobilisation des acteurs territoriaux et des tensions de rôle qui accompagnent les changements opérés suite à des innovations territoriales. 36 Abordant les innovations territoriales sous l’angle de l’évaluation, l’article intitulé « Et si Evaluer c’était Innover ? Le cas des politiques publiques territorialisées » de Chanut et Rival révèlent de manière très originale le caractère « historiquement… difficultueux » des relations qu’entretiennent territoire et évaluation. En particulier, l’approche proposée questionne « la capacité des dispositifs centraux d’évaluation à intégrer les réalités territoriales ». Leurs analyses élaborées à partir de trois cas, démontrent qu’une évaluation territoriale innovante (ou novatrice) « n’est pas seulement une affaire de méthode mais également une question d’organisation » qui doit s’inscrire dans « l’espace et le temps » et dépasser les difficultés « à penser simultanément la diversité et l’unité du territoire ». 37 En conclusion, si ce numéro spécial de la revue FCS propose des pistes de réponses intéressantes et novatrices, il n’en demeure pas moins que de nombreuses pistes de recherches restent encore à explorer. BIBLIOGRAPHIE Akrich, M., Callon, M. &Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines Paris, les Presses. Al-Sharif, N., & Bourquia, N. (2011, May). Les systèmes de mesure de performance en collectivités territoriales : un éclairage à la lecture du processus d'institutionnalisation. In Comptabilités, économie et société (pp. cd-rom). Albertini, J. B. (2007). Un exemple de réforme administrative « silencieuse» : l'accompagnement des pôles de compétitivité. Revue française d'administration publique, n° 4, p. 673-681. Allemand, S. (2016). Innovation et territoire : l’exemple de Paris-Saclay. Marché et organisations, 1), p. 67-85. Al-Sharif, N., & Bourquia, N. (2011, May). Les systèmes de mesure de performance en collectivités territoriales : un éclairage à la lecture du processus d'institutionnalisation. In Comptabilités, économie et société (pp. cd-rom). Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
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La gestion des innovations territoriales à l’aune des impératifs de performan... 14 perspectives de recherches. Il se conclut par la présentation d’articles issus du 5 ème Symposium « Regards croisés sur les transformations de la gestion et des organisations publiques ». The aim of this article is to present an overview of the current challenges concerning territorial innovations models and their management in a context of budgetary and public performance peremptories. This article delimits the concept of territorial innovation, then presents its management and evaluation methods and proposes researches perspectives. It is concluded with the presentation of articles from the 5th Symposium « Regards croisés sur les transformations de la gestion et des organisations publiques ». INDEX Keywords : territorial Innovations Models, performance, evaluation, management of the innovation. Mots-clés : innovations territoriales, performance, évaluations, management de l’innovation AUTEURS IRÈNE GEORGESCU Institut Montpellier Management, Université Montpellier Irene.georgescu@umontpellier.fr BACHIR MAZOUZ ENAP, Montréal, Québec, Canada bachir.mazouz@enap.ca Finance Contrôle Stratégie, NS-7 | 2020
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