La Journée internationale des femmes à la télévision : une parole schizoïde

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Semen
                          Revue de sémio-linguistique des textes et discours
                          26 | 2008
                          Médiaculture et médiacritique

La Journée internationale des femmes à la
télévision : une parole schizoïde
Marlène Coulomb-Gully

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/semen/8370
DOI : 10.4000/semen.8370
ISBN : 978-2-84867-340-0
ISSN : 1957-780X

Éditeur
Presses universitaires de Franche-Comté

Édition imprimée
Date de publication : 30 novembre 2008
ISSN : 0761-2990

Référence électronique
Marlène Coulomb-Gully, « La Journée internationale des femmes à la télévision : une parole
schizoïde », Semen [En ligne], 26 | 2008, mis en ligne le 17 mars 2009, consulté le 26 février 2020.
URL : http://journals.openedition.org/semen/8370 ; DOI : 10.4000/semen.8370

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© Presses universitaires de Franche-Comté
La Journée internationale des femmes à la télévision : une parole schizoïde   1

    La Journée internationale des
    femmes à la télévision : une parole
    schizoïde
    Marlène Coulomb-Gully

                                              « La télévision n’est jamais que l’inconscient à ciel
                                                              ouvert de la société. » Serge Daney              1

    Introduction
1   Outre les événements, exceptionnels ou plus ordinaires, qui font le quotidien des
    médias, leur attention est régulièrement sollicitée par des faits récurrents, voire
    rituels : la rentrée des classes et le poids des cartables, le 11 novembre et ses
    commémorations, les manifestations du 1er mai, le 14 juillet, etc. 2. Ces événements à
    forte dimension symbolique qui associent étroitement histoire, culture et politique et
    qui ponctuent le calendrier social sont de natures très différentes et l’ampleur de la
    médiatisation qu’ils suscitent est tributaire de nombreux paramètres.
2   Le 8 mars, décrété Journée internationale des femmes par l’ONU en 1977, est
    officiellement institué comme tel en France par François Mitterrand en 1982 3. Depuis
    lors, cette journée est l’occasion pour le gouvernement d’annoncer des mesures en
    faveur des femmes et donne plus généralement lieu à des manifestations de la part de
    mouvements de femmes, mais aussi des syndicats et d’associations diverses. De même
    que la plupart des événements évoqués ci-dessus, sa médiatisation a connu des fortunes
    variables selon les années sans que ces fluctuations renvoient forcément à des
    mobilisations d’intensités diverses sur le terrain (Coulomb-Gully, 2006).
3   Pour subtile que soit la dialectique entre médias et société, la place que ceux-là
    accordent à un événement n’en traduit pas moins une forme de consensus social. Macé
    (2003 : 133) ne dit rien d’autre lorsqu’à propos de la télévision, il affirme : « Ce qui
    commande la programmation de la télévision, c’est ce qui apparaît aux
    programmateurs comme étant commun, légitime et recevable pour la plupart à un
    moment donné ».

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4   Quelle place le média TV accorde-t-il à la JIDF? Comment se définit la politique
    éditoriale des diverses chaînes constitutives du Paysage Audiovisuel Français à cet
    égard ? Combien d’émissions les chaînes lui consacrent-elles ? De quel type d’émissions
    s’agit-il ? À quelle heure sont-elles diffusées ? Quel est le public visé ? Quelles
    représentations des femmes y sont données à voir ?
5   Plus de vingt après son instauration, après la difficile imposition de la parité en
    politique, en pleine période de reflux des féminismes et de montée des intégrismes
    religieux, tous hostiles à l’émancipation des femmes, cette question de la médiatisation
    de la JIDF , entre revendication et commémoration est d’autant plus intéressante à
    poser que l’événement est emblématique de la place et du statut des femmes dans la
    société et permet de mettre en lumière la construction idéologico-culturelle du miroir
    médiatique4.
    1. Le 20 heures ou « La voix de la France5 »
6   Pourquoi débuter cette analyse de la médiatisation de la JIDF par l’étude des
    informations télévisées et en particulier du journal du soir ? Parce qu’en dépit de la
    disparition régulièrement annoncée de ce programme et de la multiplication des
    supports d’information, le 20 heures reste pour beaucoup de citoyens la première et
    parfois la seule source d’information. Correspondant à un moment de disponibilité
    maximale du public (prime time), il constitue par ailleurs pour toutes les chaînes le pic
    d’audience de la journée : grand programme fédérateur, il est l’objet de tous les soins
    de la part des responsables de chaînes dont il constitue un élément déterminant dans
    l’image de marque (Coulomb-Gully, 1995). Toutes ces raisons désignent le 20 heures
    comme un lieu d’observation privilégié pour notre problématique, tant pour la place
    que le « journal télévisé » - désormais abrégé en « JT » - consacre à la JIDF que pour
    l’angle choisi pour l’aborder6.
    1.1. La ligne rédactionnelle
7   La JIDF est d’abord annoncée dans les titres du 20 heures, de même que d’autres
    questions majeures de l’actualité du jour (affaire Dutroux, affaire Juppé, conflit des
    chercheurs, etc.), ce choix lui conférant une visibilité particulière 7. Tandis que l’image
    montre des ouvrières au travail (on apprendra ultérieurement qu’il s’agit de l’usine
    Ferrari en Italie), s’affiche en incrustation « Journée de la femme : l’inégale de
    l’homme » pendant que le présentateur, David Pujadas, commente :
         La 28e Journée internationale des femmes : opération séduction tous azimuts avec
         notamment la charte de l’égalité présentée à Matignon. Nous irons aussi en Arabie
         Saoudite.
8   Le titre écrit (un décasyllabe presque parfait, la forte césure à l’hémistiche rendant plus
    fort encore le clivage entre hommes et femmes ) repose sur un double-jeu : tout
    d’abord, la substitution d’ « inégale » à « égale » impose, contre les incantations
    égalitaires, le constat de l’inégalité de fait entre « femme » et « homme », la pause qui
    suit chacun de ces termes les mettant par ailleurs fortement en valeur. D’autre part, la
    substantivation de l’adjectif dans la formulation « l’inégale » renforce encore le
    caractère définitif de l’inégalité : en effet, si l’adjectif ne désigne qu’une qualité
    attachée au nom - qualité par définition éphémère, extrinsèque et susceptible de
    modification -, le substantif en revanche suppose des caractéristiques constantes qui
    l’identifient en propre. Le singulier - la femme, l’inégale, l’homme - et la montée en
    généralité qu’il suppose, accentuent encore cette dimension. Ainsi, la substantivation
    par « l’inégale », en même temps qu’elle dément et dénonce par le jeu de la préfixation

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     négative, les constantes affirmations d’une égalité toute théorique entre hommes et
     femmes, fait en quelque sorte de l’inégalité la caractéristique même des rapports de
     sexe dans notre société.
9    L’ampleur et la teneur du dossier consacré à la JIDF témoignent du même engagement.
     D’une durée totale de 5 mn 45, représentant plus de 13 % de la durée totale du JT, c’est
     le thème le plus largement développé. La diversité des formats et des angles d’approche
     doit aussi être soulignée puisque le dossier est abordé à travers une brève imagée,
     plusieurs reportages, des interviews, des micro-trottoirs, traitant à la fois des inégalités
     entre hommes et femmes sur le plan professionnel, sur le plan de la représentation
     politique, non seulement en France mais aussi en Europe, ou encore en terre
     musulmane, en Arabie saoudite en l’occurrence. Le nombre de journalistes mobilisés
     sur cette question, tel qu’on peut le déduire des incrustations figurant à l’écran, est lui
     aussi important : pas moins de cinq, outre le présentateur David Pujadas.
     1.2. Le discours journalistique
10   Mais c’est, de façon plus spécifique, le discours des journalistes qui manifeste cet
     engagement du côté de la cause des femmes. L’hypothèse de l’instrumentalisation de la
     JIDF par les pouvoirs politiques déjà énoncée par le présentateur en titre (« Opération
     séduction tous azimuts avec notamment la charte de l’égalité présentée à Matignon »,
     l’inversion du stéréotype social qui fait de la séduction l’arme traditionnelle des
     femmes, renforçant encore la dénonciation), est en effet reprise dans le commentaire
     des images par le journaliste qui précise :
          28e journée internationale des femmes, qui ont été au centre de toutes les
          sollicitations, d’autant que les régionales approchent.
11   La suspicion de clientélisme attachée aux initiatives politiques est ici clairement
     dénoncée, qui n’épargne pas les mesures gouvernementales, comme en témoigne
     l’enchaînement qui suit :
          Parmi les très nombreuses initiatives, celle de Jean-Pierre Raffarin qui rencontrait
          ici des chefs d’entreprise au féminin, à Paris.
12   Le choix pour le Premier ministre d’apparaître en compagnie de femmes chefs
     d’entreprise - notons que l’absence de terme féminin pour désigner la fonction est
     révélatrice de la marginalité sociale de cette responsabilité pour les femmes - est
     conforme aux options d’un gouvernement proche des préoccupations du MEDEF 8. La
     caméra filme alors un Premier ministre papillonnant au centre d’un aréopage de
     femmes, soulignant le contraste entre leur nombre et la présence du seul personnage
     masculin de l’assemblée. La brève se clôture sur l’information selon laquelle le ministre
     « a fait savoir à cette occasion qu’il avait récemment nommé une mère de trois enfants
     comme chef de cabinet » ; la dimension personnelle et anecdotique de l’information
     aux regards des enjeux de la parité ne peut ici manquer de frapper.
          La parité dans les entreprises, c’est un chantier qui avance, mais qui avance
          doucement,
13   poursuit le présentateur ; la seconde partie de la phrase, introduite par la conjonction
     « mais » et renforcée par l’adverbe « doucement » venant nuancer de façon forte ce que
     le début pouvait avoir de positif, voire d’enthousiaste. Même tonalité dans le
     commentaire de la reporter :
          Sur le plan social, la cause des femmes ne peut qu’avancer : elles représentent
          aujourd’hui 80 % des personnes gagnant moins que le SMIC.

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14   La restriction apportée par la locution « ne…que » et la disproportion entre la hauteur
     du pourcentage « 80 % » et la faiblesse de la réalité qu’il recouvre « moins que le SMIC »
     soulignent le scandale de la situation. Même dénonciation lorsque Pujadas énonce
          La France dans le peloton de queue en Europe pour la promotion des femmes en
          matière économique ou politique,
15   le reporter venant souligner que « l’Italie est le pays le moins macho pour la feuille de
     paie » - en même temps qu’il réfute une vérité communément admise sur le supposé
     sexisme des pays méditerranéens, il traite implicitement la France de pays « macho »,
     la familiarité du terme venant accentuer la force du propos.
          En France, seulement 12 % des députés sont des femmes ; seules l’Italie et la Grèce
          font pire:
16   Le caractère exceptionnel de la situation des femmes en France au regard de la
     représentation politique est ici souligné par la répétition « seule », « seulement »,
     l’image du Parlement français que balaie la caméra révélant des bancs uniquement
     occupés par des hommes, à l’exception de Roselyne Bachelot.
17   Un pas supplémentaire dans la dénonciation qu’effectue le JT quant à la condition faite
     aux femmes est franchi avec l’évocation de leur situation en Arabie saoudite :
          Dans la région du Golfe, l’émancipation n’avance qu’à tout petits pas,
18   commente le présentateur, la locution restrictive « ne…que » et la formulation « à tout
     petits pas », où la brièveté des mots employés semble mimer la lenteur de l’avancée,
     confirment la prise de position des journalistes. Le reportage débute sur une scène
     contrastée où à une image de souks où se vendent des poupées type Barbie fortement
     dévêtues effectuant la danse du ventre (fantasme masculin ?) succède l’image de
     Saoudiennes voilées de noir des pieds à la tête, tandis que le commentaire souligne leur
     statut d’éternelles mineures ne pouvant ni conduire ni se déplacer sans autorisation du
     père ou de l’époux. Ce reportage sur la condition des femmes en pays musulman vient
     boucler la séquence consacrée à la JIDF à laquelle fait suite une série de sujets sur
     l’actualité internationale, le premier d’entre eux portant sur la Constitution provisoire
     en Irak, où des femmes manifestent et contestent l’identité islamique qui porterait
     atteinte à leur statut.
19   Cette transition fortement signifiante avec la page internationale du JT nous ramène au
     sujet qui précédait immédiatement la séquence consacrée à la JIDF. Celle-ci fait en effet
     suite à un sujet consacré à une affaire de voile dans un collège du Haut-Rhin : une élève
     ayant refusé de retirer son voile se trouve, après les tentatives de conciliation et le
     conseil de discipline réglementaires, exclue de l’établissement. Cet encadrement, pour
     ne pas dire ce « cadrage », du thème de la JIDF par deux sujets qui posent la question de
     l’identité de la femme au regard de l’islam est tout à fait révélateur et de l’actualité et
     d’une des orientations majeures de la JIDF en cette période.
     1.3. Les autres voix
20   Si les journalistes parlent d’une seule et même voix, il en va de même du discours des
     divers intervenants sollicités durant cette séquence : les personnes interviewées au
     cours des divers reportages confirment le point de vue général développé. Ainsi de la
     jeune femme restauratrice de tableaux anciens, de la jeune femme chef cuisinier, de la
     jeune professeure, dont les témoignages constituent l’épine dorsale du premier
     reportage ; mais aussi des hommes interviewés au cours de cette séquence : le
     sommelier qui travaille au restaurant et affirme qu’il préfère travailler avec une

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     « femme-chef », et l’époux de la jeune professeure, qui assure les tâches ménagères
     tandis qu’elle enseigne ; ou encore l’expert qui déplore le « mur de verre » (sic) que
     connaissent les femmes qui veulent s’élever dans la hiérarchie professionnelle. Enfin,
     les deux micro-trottoirs - deux jeunes femmes interrogées dans les rues de Paris à
     propos des inégalités dans le travail - confirment, l’une qu’ « il faut que les
     mentalités changent » et l’autre « À travail égal, salaire égal ».
21   Unanimiste, axiologique et politiquement correct, le discours que donne à entendre le
     texte du JT a gommé toute voix dissidente. Contrairement à bien des thèmes abordés au
     20 heures, la JIDF en effet n’y fait pas l’objet de points de vue contradictoires. Il y a
     consensus sur le discours qu’il convient de tenir sur les femmes, de même qu’il y a
     consensus sur le fait que notre société ne peut tolérer propos et attitudes racistes,
     antisémites, homophobes, etc. Ce côté très lisse du texte informationnel ici observé
     achève de constituer le discours du 20 heures comme une doxa au sens fort du terme, un
     discours officiel.
22   Au-delà des processus de marchandisation qui l’affectent, le discours d’information
     apparaît bien ici porteur d’un message civique concernant le statut de la femme dans la
     société française. Message simple, univoque par l’absence de voix divergentes, il
     incarne ce faisant « la voix de la France » dont l’objectif, conformément à sa vocation
     historique, est de forger un certain type de consensus national.
23   Mais ce travail de pédagogie sociale ici engagé par le JT n’est pas suivi par le reste de la
     programmation des chaînes ; une fois cette caution accordée, la plupart d’entre elles en
     effet renvoient les femmes à leur invisibilité ordinaire.
     2. Une double programmation
24   L’observation de l’ensemble des émissions en lien avec la JIDF fait apparaître un clivage
     très net entre les chaînes dont la mobilisation, modeste dans l’ensemble, est très
     contrastée dans le détail. En effet, elle est inexistante à faible sur TF1, France 2,
     France 3, Canal + et M6 - que l’on considère comme formant un premier groupe -, forte
     et diversifiée sur France 5 et Arte - deuxième groupe -, où elle s’étend largement au-
     delà du seul 8 mars. Sont programmées 9 émissions en tout pour les chaînes du premier
     groupe et pour l’ensemble des quinze jours pris en compte, soit moins d’une heure de
     programmation pour TF1, près de 4 h pour France 2, près de 6 h pour France 3, 4 h pour
     M6 et près de 3 h et demie pour Canal +. Quant au genre des émissions diffusées, il s’agit
     uniquement d’émissions de divertissement (jeux, magazines de divertissement) et de
     fictions, à l’exclusion de tout autre (hormis les séquences d’information diffusées au
     cours des JT). S’agissant de l’heure de diffusion, on constate en outre que cette
     programmation « light » se situe pour TF1 et M6 - deux chaînes privées - uniquement
     hors prime time ou access prime time et ne s’adresse donc qu’à des publics spécifiques et
     restreints (contrairement aux émissions de prime time dont le public est composé de
     tous les téléspectateurs théoriquement disponibles).
25   Le choix de programmation est inverse pour France 5 et Arte qui proposent, dès le 5
     mars et jusqu’au 12, un ensemble d’émissions très conséquent. Outre ses trois émissions
     quotidiennes consacrées aux femmes (Les maternelles, Femmes and Co et Si vous étiez…
     consacrée durant une semaine à la danseuse Marie-Claude Pietragalla), pour un total de
     14 h, France 5 diffuse sept émissions en lien avec la JIDF (7 h et demie de programme),
     soit près de 22 h d’émission pour la période considérée, un ensemble d’autant plus
     important que la chaîne ne diffuse que jusqu’à 19 h, cédant ensuite « son » canal à Arte.
     La chaîne franco-allemande n’est pas en reste sur ce plan puisqu’elle propose 8

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     émissions portant sur la JIDF, pour un total de près de 12 h (hors rediffusions) ce qui, là
     aussi, est d’autant plus important proportionnellement que la chaîne n’émet qu’à partir
     de 19 h.
26   À l’exception d’un magazine (8 femmes pour le 8 mars, présenté par Lio), toutes les
     émissions diffusées sur France 5 sont des documentaires, privilégiant l’information.
     Avec un léger avantage pour le documentaire, Arte de son côté mêle information et
     fiction.
27    Les choix de programmation sont donc, on le voit, diamétralement opposés selon que
     l’on se situe sur des chaînes leader ou généralistes, auxquelles il faut ici ajouter Canal +,
     publiques et plus encore privées, ou que l’on est sur des chaînes publiques à audience
     restreinte : en effet, Arte et France 5 ne représentent à elles deux que 10,4 % d’audience
     moyenne, contre près de 80 % pour les autres chaînes9. Chaînes à financement presque
     exclusivement public et par conséquent moins soumises aux annonceurs, chaînes à
     missions spécifiques (culturelle pour l’une, de diffusion du savoir pour l’autre),
     fonctionnant sur le principe d’ « affinités électives » avec leur public, France 5 et Arte
     sont les seules à inscrire dans leur ligne éditoriale la promotion de la JIDF et la réflexion
     sur le statut des femmes. Le refus des autres chaînes, dont la programmation est fondée
     sur le principe du « less objectionable programm »10, de prendre ce qui apparaît comme un
     risque en diffusant des émissions portant sur ce thème fait apparaître la réflexion sur le
     statut des femmes non pas comme une question intéressant la société dans son
     ensemble, mais comme un problème spécifique ne concernant que des publics
     spécialisés.
     3. Identité de chaînes, identité de femmes
28   La galerie de portraits qui s’élabore au fil des émissions confirme les lignes éditoriales
     très différentes des diverses chaînes constitutives du Paysage Audiovisuel Français.
     Sans viser l’exhaustivité qui consisterait à répertorier tous les personnages féminins
     que les émissions repérées nous donnent à voir, nous nous proposons de comparer les
     femmes sollicitées à cette occasion par TF1 d’une part, Arte et France 5 d’autre part 11.
     3.1. Les femmes de TF1 : de la JIDF à la Fête des grands-mères
29    Chaîne privée « populaire » - selon les propres termes de son PDG - et généraliste, TF1,
     première chaîne française pour l’audience - 31,8 % en 2004 - propose une seule émission
     revendiquée comme étant en lien avec la JIDF : une émission de jeu intitulée Attention à
     la marche, les bandes-annonce promettant une « Spéciale femmes ». L’émission, d’une
     durée de 50 mn environ, est diffusée quotidiennement au moment du déjeuner et
     animée par le présentateur Jean-Luc Reichmann. Le principe d’Attention à la marche
     consiste, pour quatre personnes invitées, stars ou anonymes selon les cas, à répondre
     aux questions les plus diverses, chaque bonne réponse valant au gagnant de monter
     une marche - d’où le titre de l’émission - et d’engranger des gains.
30   L’émission du 7 mars a pour invitées des personnalités connues du grand public, des
     femmes, en l’occurrence l’ex-star du porno Brigitte Lahaye, parallèlement animatrice
     d’une émission de radio sur RTL, l’actrice Catherine Lachens qui, dans sa stratégie de
     présentation personnelle ne met pas en avant ses qualités de réflexion et d’intelligence,
     Nathalie Pernaut, ex-miss France et épouse de Jean-Pierre Pernaut, journaliste sur TF1,
     et Séréna, gagnante de Nice People émission de télé réalité également diffusée sur TF1.
     Outre la dimension auto-promotionnelle qui a à l’évidence guidé TF1 dans le choix de
     ses invitées, celles-ci confortent une image très traditionnelle de la femme, toute dans
     l’exaltation des qualités physiques et du paraître.

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31   Les invitées arrivent sur le plateau sur la musique de Femmes, je vous aime, de Julien
     Clerc - le pluriel de l’apostrophe et la fonction complément du pronom personnel
     « vous » faisant des femmes l’objet d’un hommage bien éloigné des revendications des
     féministes -, tandis que l’écran est barré d’un large « Femmes, Femmes, Femmes » en
     incrustation.
32   Les questions ne supposent pas un domaine de connaissance spécifique, mais renvoient
     à une sorte de savoir commun, de bon sens supposé partagé entre tous (« Quelle est la
     proportion des grands-mères qui lèguent leurs recettes de cuisine à leurs enfants ? » -
     « Quel est le nombre de vaisseaux sanguins dans un cordon ombilical ? » - une voix off
     expliquant ce qu’est un cordon ombilical, etc.). Le suspense lié aux questions posées est
     entrecoupé de dialogues avec les invitées : l’animateur leur demande ainsi quels sont
     leurs principaux défauts et qualités, ce qu’elles font le dimanche (« Rester au lit,
     bouffer, regarder la télé », affirme Séréna) etc., interrogations fondées sur le
     voyeurisme du public toujours avide d’informations sur la vie privée des stars.
     Catherine Lachens, évoquant à ce propos les rapports entre hommes et femmes, parle
     de « cette imbécillité qu’on appelle l’égalité », aussitôt applaudie par la foule des invités
     présents.
33   Le caractère conventionnel, voire réactionnaire, de l’émission au regard du statut des
     femmes apparaît dès le début. D’abord en raison de l’hommage rendu à cet éternel
     féminin, perceptible dans l’emphase des propos de l’animateur, de surcroît seul homme
     présent sur le plateau (« Nous accueillons aujourd’hui quatre femmes
     extraordinaires… »), dans le choix des invitées, de la musique d’accompagnement
     (Femmes, je vous aime…), mais surtout dans le glissement qui s’effectue peu à peu dans
     l’objectif même de l’émission tel qu’il est défini par Jean-Luc Reichmann : « Demain,
     Journée internationale des femmes, aujourd’hui, Fête des grands-mères », annonce-t-il
     d’emblée, ambiguïté d’une célébration que la suite de l’émission va se charger de
     clarifier. Aux antipodes de la JIDF, dont les origines et l’histoire sont marquées par une
     très forte dimension contestataire et revendicatrice, la vocation première de la Fête des
     grands-mères, instituée assez récemment sur le modèle de la Fête des mères, est
     d’ordre commercial12. On ne s’étonnera donc pas de voir TF1, dont on sait les relations
     étroites avec les annonceurs, gommer au fil de l’émission toute référence à la JIDF,
     l’animateur affirmant, au bout d’une vingtaine de minutes, que les invitées « sont ici à
     l’occasion de la Fête des grands-mères ». Exit l’encombrante et sulfureuse JIDF.
     Honneur et gloire aux rassurantes mères-grands.
34   La JIDF est à l’évidence instrumentalisée ici par TF1 qui s’inscrit ainsi à moindres frais
     dans l’actualité du moment, confirmant la légitimité de cette journée en même temps
     qu’elle l’évacue au profit d’une célébration moins compromettante pour la paix des
     foyers et l’investissement des annonceurs. La ménagère de moins de 50 ans, cible
     privilégiée de la chaîne commerciale, n’est jamais qu’une grand-mère en devenir.
     3.2. Les femmes de France 5 et Arte : militantes et combattantes
35   France 5, chaîne du savoir (6,7 % de part d’audience en 2004) a, à l’occasion du 8 mars,
     distribué un dossier de presse intitulé « France 5 aime les femmes 13 » (sic). Soulignant
     que son public féminin a augmenté de 26,5 % en un an, elle rappelle la programmation
     d’émissions régulières s’adressant aux femmes, comme Les maternelles ou Femmes and Co.
     Mais en-dehors même de cette programmation quotidienne, qui suffit à en faire « la
     chaîne des femmes », France 5 a, comme aucune autre chaîne du PAF, hormis Arte,
     centré sa programmation sur la JIDF. Avec, tout d’abord, plusieurs documentaires en

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     lien direct avec la thématique du 8 mars, l’histoire des femmes, leur combat pour leur
     émancipation, etc. Citons ainsi : Les héroïnes oubliées de la piste Ho Chi Minh (5 mars,
     15 h 45), documentaire consacré à des portraits et des destins de femmes après la
     guerre, La Révolution au féminin, (7 mars, 16 h 05, 60 mn), portrait de 4 femmes
     révolutionnaires (Olympe de Gouges, Rosa Luxembourg, Louise Michel, Dolorès
     Ibarruri), Simone Veil, une histoire française (9 mars, 15 h 45, 60 mn), Quand les femmes s’en
     mêlent (11 mars, 15 h 45, 55 mn), qui retrace un demi-siècle d’histoire du féminisme à
     travers les portraits de la sociologue Evelyne Sullerot, fondatrice du planning familial,
     d’Éliane Victor, qui anima l’émission Les femmes aussi de 1964 à 1973, et de Ménie
     Grégoire, dont l’émission sur RTL dans les années soixante-dix a pu être considérée
     comme un plaidoyer en faveur de la libération des femmes ; enfin, Japon, baby blues,
     baby dolls (12 mars, 15 h 45, 55 mn), consacré au refus d’enfanter des femmes
     japonaises.
36   Dans toutes ces émissions, il s’agit de femmes en lutte, que ce soit dans un monde en
     guerre ou dans une société conçue pour les seuls hommes. Ces documentaires, de genre
     « authentifiant » et suscitant une lecture réaliste, sont diffusés dans une fourchette
     temporelle qui dépasse largement la seule journée du 8 mars, faisant de la JIDF un des
     temps forts de la programmation du mois pour France 5. En plus de ces émissions
     spéciales, soulignons que la chaîne infléchit pendant cette période sa programmation
     régulière en fonction de cette actualité spécifique. A vous de voir, émission
     hebdomadaire pour malvoyants (tous les samedis à 9 h 15, durée : 30 mn) est ce 6 mars
     consacrée aux femmes aveugles et à leur rapport à la séduction : portraits de femmes
     combattantes d’un autre genre. Si vous étiez, émission quotidienne (17 h 40, 10 mn), se
     consacre du 8 au 12 mars à faire le portrait d’une femme artiste, la danseuse Marie-
     Claude Pietragalla , tandis que C dans l’air (17 h 50, 80 mn) fait de son émission du 8
     mars une « spéciale JIDF » en invitant Valérie Toranian, directrice de rédaction du
     magazine Elle.
37   De même que France 5, Arte (3,7 % de part d’audience en 2004) propose une
     programmation spéciale dans le cadre de la JIDF. Qu’il s’agisse de diffusion en access
     prime time, en prime time ou en deuxième partie de soirée (puisque, partageant le même
     canal que France 5, Arte n’émet qu’à partir de 19 h), la chaîne culturelle franco-
     allemande décline le thème à travers de multiples émissions :
38   Des fictions tout d’abord, avec un téléfilm, Oublie tout ce que je t’ai dit, et surtout deux
     films de Pedro Almodovar (Talons aiguilles, le 7 mars, et Tout sur ma mère, le 8, en prime
     time et rediffusés ultérieurement en 2 e partie de soirée), le questionnement sur
     l’identité sexuelle et sociale des hommes et des femmes étant toujours au centre des
     films du réalisateur espagnol.
39   Mais des documentaires surtout, avec, le 6 mars, une livraison de l’émission Forum des
     Européens (45 mn), avec pour invitée Tina Kieffer, rédactrice en chef du magazine Marie-
     Claire. L’émission est intitulée « Mets ton string et tais-toi », titre évidemment
     provocateur puisque, comme le soulignent les présentateurs, (l’Allemand Mathias et la
     Française Sophie, le couple incarnant la parité de genre comme de nationalité), « Arte
     ne vous a pas habitués aux dossiers coquins ». Les journalistes sur le plateau invitent
     Tina Kieffer à réagir à une série de courts documentaires sur la situation des femmes en
     Italie, en ex-Allemagne de l’Est, en Finlande, à partir d’interviews d’universitaires et de
     féministes mais aussi, selon les cas, de travailleuses, de chômeuses, de mères de famille,
     de femmes politiques. Le dispositif est dialogique et fondé sur la confrontation des

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     points de vue et l’interrogation sur un certain nombre d’idées reçues, la rédactrice en
     chef de Marie-Claire n’étant pas épargnée par les animateurs de l’émission qui
     l’interpellent sur ce qu’ils considèrent comme des contradictions entre le féminisme
     affiché du magazine et sa promotion d’images stéréotypées de la beauté féminine,
     notamment par le biais de la publicité.
40   La programmation se poursuit avec Bad Girls, le 7 mars (22 h 15, 55 mn), autre
     documentaire sur les femmes en Europe, suivi de Voyage au pays des femmes (60 mn),
     composé de quatre portraits de femmes espagnoles.
41   Le 8 mars, après Tout sur ma mère, la soirée continue avec un Grand Format, « Texas-
     Kaboul », (95 mn) qui propose des portraits de femmes indienne, serbe, afghane ou
     américaine militant pour la paix dans le monde et le respect des droits de l’Homme,
     avant d’enchaîner sur un magazine, Lola (55 mn) présenté par Lio, huit femmes étant
     invitées pour célébrer ce 8 mars, seul divertissement de cette programmation.
42   Documentaires encore, le 12 mars, avec une soirée Théma intitulée « Courageuses et
     battantes : les femmes russes » et qui propose trois documentaires sur la question :
     Boulot, métro, dodo (55 mn), Quatre pièces, quatre familles (60 mn), La vie à Jaroslaw (30 mn).
43   La déclinaison du thème de la JIDF se fait donc sur Arte à la fois de façon massive - des
     soirée entières y étant consacrées avec, à côté de quelques fictions, et non des
     moindres, une approche principalement sur le mode authentifiant - et réaliste - par le
     biais de magazines et de documentaires portant sur divers aspects de la vie des femmes
     en Europe et dans le monde. Car c’est là une autre caractéristique de la programmation
     d’Arte que d’articuler sa réflexion sur l’identité et le statut des femmes dans la société
     contemporaine à une dimension internationale et comparée, conforme à la fois à la
     ligne éditoriale de la chaîne, franco-allemande, mais aussi la plus ouverte sur le monde
     par tous ceux à qui elle laisse la parole (informations réellement internationales, films
     et documentaires de réalisateurs du monde entier, etc.), et au principe même de ce 8
     mars, journée internationale des femmes. Enfin, à côté de l’interrogation qui parcourt
     certaines émissions sur ce qui constitue en propre l’identité (sexuelle, sociale…) des
     femmes, ces portraits que la galerie artésienne fait défiler sous nos yeux sont avant
     tout des portraits de femmes en lutte.
44   A la télévision - et la comparaison entre TF1, Arte et France 5 est sans ambiguïté -
     l’identité féminine procède d’une identité de chaîne.
     Conclusion
45   Hormis France 5 et Arte qui poursuivent le travail de pédagogie sociale que l’on peut
     entendre dans la parole officielle du discours d’information, toutes les autres chaînes
     du Paysage Audiovisuel Français - totalisant près de 80 % de l’audience - s’alignent sur
     d’autres logiques. Les exigences des annonceurs les conduisent à minimiser les risques
     et pour ce faire à marginaliser les programmes qui pourraient être « clivants » pour
     l’audience. La JIDF apparaît ainsi comme un « anti-produit audimétrique 14 ». Avec la
     JIDF en effet, pas de suspense, pas de produits dérivés, une thématique peu favorable à
     la consommation (sauf à la travestir en Fête des grands-mères comme l’a fait TF1…). Si
     la JIDF est évoquée sur ces chaînes, c’est d’abord de façon marginale par rapport à
     l’ensemble des programmes, celles-ci se servant de la JIDF, qu’elles instrumentalisent en
     fonction de leur propre ligne éditoriale et des attentes supposées de leur public, mais
     toujours en diffusant des émissions qui abordent le thème sur un mode ludique ou
     fictionnel.

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46   Cette polyphonie énonciative, cette parole schizoïde, entre revendication d’une
     nécessaire égalité entre hommes et femmes dans le discours d’information et le retour
     à une représentation convenue hors JT est une des caractéristiques du discours
     télévisuel français sur les femmes. Un peu comme si, dans cet inconscient social à ciel
     ouvert qu’est la télévision, selon l’excellent mot de Serge Daney, le surmoi égalitariste
     s’incarnait dans le discours officiel du JT tandis que le moi, paternaliste, machiste et
     séducteur, reprenait le dessus dans le flux de la programmation ordinaire.
          Analyser les contenus de la télévision […], c’est accéder à la manière dont chaque
          société nationale, à un moment donné, se représente elle-même,
47   affirme Eric Macé (2003 : 133). À comparer le succès de programmes comme Loft Story
     ou la retransmission de la Coupe du monde de foot avec la place faite à la Journée
     internationale des femmes, force est de constater que notre société nationale se
     représente mieux sous les traits d’un lofteur ou d’un footballeur que sous ceux d’une
     femme. Rude leçon pour celles qui représentent plus de 50 % de la population et qui, au
     moins sous les traits de « la ménagère de moins de 50 ans », pensaient avoir su retenir
     l’attention du média.

     BIBLIOGRAPHIE
     Bonnafous, S., 2006, « La journée internationale des femmes : entre revendication et
     commémoration », Communication, vol. 24, n° 2.

     Coulomb-Gully, M., 1995, Les informations télévisées, Paris, Presses Universitaires de
     France, « Que Sais-je ? ».
     Coulomb-Gully, M., 2006, « La Journée internationale des femmes à la télévision
     française : 1982-2002 », Communication, vol. 24, n° 2.
     Daney, S., 1992, « Journal de l’an présent », Trafic, n° 3.

     Iyengar, Sh., 1991, Is Anyone Responsible ? How Television Frames Political Issues , The
     University of Chicago Press.
     Jeanneret, Y., Patrin-Leclère, V., 2003, « Loft Story ou la critique prise au piège de
     l’audience », Hermès, n° 37.
     Lochard, G., 2005, L’information télévisée. Mutations professionnelles et enjeux citoyens, Paris, Vuibert,
     « Comprendre les médias ».

     Macé, É., 2003, « Le conformisme provisoire de la programmation », Hermès, n° 37.
     Mac Combs, M., Shaw, D., 1972, « The Agenda Setting Function of Mass Media », Public
     Opinion Quaterly, vol. 36.
     Thébaud, F., 2002, « Journée des femmes, fête des mères : origines et traditions », La
     revue des diplômées, mars.

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NOTES
1.. 1992 : 10. Merci à Gilles Delavaud de m’avoir permis de retrouver cette référence !
2. Ce travail sur la Journée internationale des femmes s’insère dans un programme de
recherche collective menée conjointement pour la France avec Simone Bonnafous,
professeure à l’université de Paris 12. Sur le plan international, il s’appuie sur un réseau
de chercheurs spécialistes des médias et des études de genre et représentant 15 pays
d’Europe — parmi lesquels d’ « ex-pays de l’Est » — , d’Afrique du Nord et d’Amérique
du Nord. Il a donné lieu, entre autres, à la publication d’un numéro de Sciences de la
Société (n° 70, 2007), intitulé : « Le 8 mars à la Une » (sous la direction de S. Bonnafous et
M. Coulomb-Gully). L’expression « Journée internationale des femmes » sera désormais
abrégée en « JIDF ».
3.. Pour une analyse précise des origines de ce 8 mars et des appropriations diverses
dont il a été l’objet avant de s’imposer à l’ONU comme en France, voir, entre autres :
Bonnafous, 2006.
4.. Notre corpus de référence est constitué par l’ensemble des émissions présentées par
les chaînes comme étant en lien avec la JIDF et diffusées entre le 1 er et le 15 mars 2004.
On y a adjoint en outre, comme caractéristiques du discours d’information, les
journaux télévisés de la soirée du 8 mars. Sur le plan méthodologique, nous nous
référons aux notions d’agenda et de cadrage. La notion d’ « agenda » initiée par Mac
Combs et Shaw (1972) constitue un outil intéressant pour tenter d’appréhender ce
travail des médias. Prenant en compte le seul agenda médiatique (à l’exclusion des
agendas public et politique), nous tenterons en un premier temps d’évaluer la visibilité
que la télévision attribue à la JIDF. Dans un sens plus large, la notion d’agenda renvoie
aux attributs et propriétés attachés aux objets mis en lumière, en d’autres termes à la
façon dont les médias choisissent de traiter une question. À côté de la priorité donnée
par les médias à un thème, c’est donc sa définition médiatique qui est ici visée. On
rejoint ainsi la notion de « framing » ou « effet de cadrage » au sens goffmanien du
terme, ou encore d’ « agenda framing » tel que le définit Iyengar (1991) renvoyant à
l’interprétation générale suggérée par le traitement médiatique d’une question. Nous
nous efforcerons donc d’apprécier la programmation liée à la JIDF à la fois sur un plan
quantitatif et qualitatif.
5.. Rappelons que lorsque, en 1972, Georges Pompidou a mis fin à la tentative de
libération de l’information à la télévision, initiée sous le ministère de Jacques Chaban-
Delmas, il s’est justifié en affirmant : « Le journaliste de télévision n’est pas tout à fait
un journaliste comme les autres. Il a des responsabilités supplémentaires. Qu’on le
veuille ou non, la télévision est considérée comme la voix de la France, et par les
Français, et par l’étranger. » (conférence de presse du 21 septembre 1972).
6.. Nous avons choisi de centrer notre étude sur le 20 heures de France 2 pour des
raisons de continuité avec des recherches parallèles — est en cours une étude
diachronique de la représentation par France 2 de la JIDF depuis son instauration en
France en 1982. Tous les JT de la soirée du 8 mars 2004 diffusés sur les chaînes
hertziennes ont cependant été visionnés et n’offrent que peu de différences avec celui
de France 2. Cette « homogénéisation des contenus et des formes », notamment entre
les grands JT de référence que sont en France ceux de TF1 et de France 2, est un constat
partagé par la plupart des observateurs (Lochard, 2005).
7.. Rappelons en effet que sur la trentaine des sujets traités par JT, seule une petite
douzaine d’entre eux fait l’objet d’un titre. Par ailleurs, même si la JIDF est désormais

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fortement légitimée, notre étude de sa représentation télévisuelle pendant 20 ans
montre que, y compris ces dernières années, la rédaction ne choisit pas toujours de la
mettre en exergue (ainsi, par exemple, en 2002).
8.. En d’autres temps, Président et Chefs de gouvernement rendaient hommage aux
féministes (Mitterrand en 1982), aux Résistantes de la Seconde guerre mondiale
(Mauroy en 1983), aux lycéennes faisant le choix de formations techniques et
scientifiques (Mitterrand en 1986), aux « femmes de l’année » (Fabius en 1990, Rocard
en 1991), à Marie Curie et par son intermédiaire aux « pionnières » (Mitterrand en
1994), aux femmes politiques (Jospin en 1999), etc.
9.. Les 10 % restants correspondant à l’audience des chaînes diffusées par le câble. Les
chiffres concernant l’audience des chaînes pour l’année 2004 sont extraits de l’enquête
Médiamétrie citée dans Le Monde du 10 janvier 2005 (p. 23).
10.. La formule renvoie au principe du plus petit dénominateur commun qui régit les
choix de programmation des chaînes généralistes, dont le public familial constitue le
fonds d’audience. On observe que sur cette question de la JIDF, Canal + fonctionne de la
même façon.
11.. Les hommes présents dans les émissions de plateau ou les documentaires consacrés
à la JIDF le sont comme journalistes, animateurs, médiateurs, mais peu comme acteurs.
Cette exclusion, ou en tout cas cette spécialisation des rôles, est aussi révélatrice : la
question du statut des femmes intéresse les femmes en priorité.
12.. Sur la comparaison entre JIDF et Fête des mères, voir Thébaud, 2002.
13.. La formulation très « marketing » n’est pas sans rappeler les propos de Jean-Pierre
Cottet, un moment Directeur général de la chaîne, qui affirmait : « La télévision est
d’autant plus regardée qu’elle véhicule des valeurs féminines. La télévision est une
femme. Je ne sais pas encore pourquoi mais j’en suis convaincu. » (cité in Macé, 2003 :
125).
14.. Pour paraphraser la formule d’Yves Jeanneret et Valérie Patrin-Leclère (2003 : 143)
qualifiant Loft Story de parfait produit audimétrique.

RÉSUMÉS
Partant de la place centrale de la télévision dans l’espace public contemporain, média qui reflète
autant qu’il travaille réalités et représentations sociales, on interroge ici la programmation des
diverses chaînes du Paysage Audiovisuel Français à l’occasion de la Journée internationale des
femmes, édition 2004. Si le discours d’information proprement dit - la grand messe du 20 heures -
fonctionne comme discours officiel et « voix de la France », stigmatisant les inégalités entre
hommes et femmes et faisant l’éloge de la parité, il produit un effet de leurre caractéristique de
ce que nous avons appelé une parole « schizoïde » . En effet, à l’exception de France 5 et d’Arte,
chaînes publiques à audience restreinte, toutes les autres chaînes - totalisant près de 80 % de
l’audience - renvoient les femmes à l’invisibilité de leur situation ordinaire, l’importance sociale
d’un discours d’information sur la condition des femmes dans les sociétés contemporaines
s’effaçant devant le spectre de ce « produit anti-audimétrique ».

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Television reflects as much as it modifies the social representations and realities and its central
place in the contemporary public space is our departure point to question the programming of
the various French channels for the International Women’s day in 2004. The typical news
discourse seems to work as an official discourse and “voice of France”, stigmatizing inequalities
between men and women and praising parity. However, it produces an illusionary effect which is
characteristic of what we have called a “schizoid” speech. Indeed, with the exception of France 5
and Arte which are public channels with a limited audience, all the other channels (which
amount to almost 80% of audience) send the women to the invisibility of their everyday situation,
as the importance of a news discourse on women’s condition vanishes in contemporary societies
because the threat of shortage of audience.

INDEX
Mots-clés : Journée Internationale, Femmes, Médiatisation, Ligne éditoriale, Programmation.

AUTEUR
MARLÈNE COULOMB-GULLY

Lerass, Université de Toulouse 2

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