La pandémie, un portail : les transformations politiques qui défient la nouvelle normalité - MASAYA LLAVANERAS BLANCO MARÍA GRACIELA CUERVO ...

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La pandémie, un portail :
                les transformations
                politiques qui défient la
                nouvelle normalité
                MASAYA LLAVANERAS BLANCO
                MARÍA GRACIELA CUERVO
                Février, 2021

                Document de discussion
                de DAWN #32

Document de discussion de DAWN / 2021       1
s i o n
                                                         c us
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©2021 DAWN sous licence Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation

   A
commerciale – Pas de modification. 4.0 International (CC BY-NC-ND 4.0)

DR
Cette publication s’inscrit dans le cadre d’un effort international de recherche d’auteures
féministes du Sud global.

Les documents de discussion de DAWN sont destinés à susciter des débats et des
discussions de grande envergure sur des analyses en cours de différents thèmes sur
lesquels DAWN travaille. Les publications sont mises à disposition avant leur finalisation,
dans le cadre de notre mission d’informer, de travailler en réseau et de mobiliser.

Les commentaires et suggestions sont les bienvenus et peuvent être envoyés à :
info@dawnnet.org.

Cette publication peut être utilisée librement, sans modification et avec des références
claires aux auteures et à DAWN.

Masaya Llavaneras Blanco et María Graciela Cuervo. 2021. La pandémie comme portail :
les transformations politiques qui défient la nouvelle normalité. DAWN. Suva (Fiji).

Document de discussion de DAWN / 2021                                                      2
TABLE DES MATIÈRES

                                                     s i o n
1. Résumé 										4

                                                c us
2. Introduction										5

                                          r dis
                                        fo
3. Intersectionnalités et approche de DAWN fondée sur les 		          9

         F T
interconnexions

      RA
4. Hypothèses										12

D
5. Quels changements de politiques ?
        a) La macroéconomie
        b) Les politiques du travail et les droits des travailleurs
                                                                      15

        c) Les migrations et les mobilités humaines
        d) Les soins et la protection sociale
6. Conclusions										38
7. Références bibliographiques							40

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La pandémie, portail : les transformations
politiques qui défient la nouvelle normalité
­—
 Masaya Llavaneras Blanco et María Graciela Cuervo
 Février 2021
 ­ —
   Document de discussion de DAWN

1. Résumé

                                                                      n
        La pandémie causée par le virus de la COVID-19 a produit une crise sanitaire

                                                                s i o
mondiale qui a accentué les inégalités profondes et accéléré les transformations

                                                              s
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politiques. Ces transformations se manifestent, entre autres, dans différents domaines

                                                        is c
politiques qui vont probablement façonner le monde de l’après-pandémie. À la

                                    d
                                  r
suite d’Arundhati Roy qui soutient que la pandémie est un portail vers un avenir de

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changement, le projet de Transformations politiques de DAWN cherche à identifier

                             T
     F
certaines caractéristiques des mondes futurs. Quatre grandes tendances politiques

   A
étroitement liées se dégagent et constituent nos hypothèses de travail : (a) des politiques

DR
qui stagnent et dépendent de la trajectoire empruntée ; (b) des politiques qui permettent
la captation de l’espace politique par les entreprises ; c) des politiques de nature à
renforcer le contrôle biopolitique et à accroître la tendance autoritaire actuelle ; et/
ou (d) des politiques transformatrices et progressistes, dans lesquelles la crise sert
effectivement de portail avec le potentiel d’accroître la justice sociale et la démocratie
féministes. À partir d’une approche féministe fondée sur les intersectionnalité et les
interconnexions, ce document de discussion examine les tendances des transformations
politiques dans les domaines de la macroéconomie, de la politique du travail et des
droits des travailleurs, des migrations et des mobilités humaines, ainsi que des soins et
de la protection sociale. Il propose un cadre analytique suffisamment large pour prendre
en compte des contextes locaux, nationaux et régionaux, tout en fournissant des bases
communes pour une approche comparative mondiale. Il se veut un outil de recherche
féministe permettant d’éclairer nos actions pour façonner le monde postpandémique.

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2. Introduction
        Quelques mois après que la COVID-19 est devenue un phénomène mondial,
Arundhati Roy a qualifié la pandémie alors émergente de portail. Historiquement, les
pandémies ont « forcé les humains à rompre avec le passé et à imaginer leur monde à
nouveau », a-t-elle soutenu (Roy, 2020). La crise sanitaire massive qui a bouleversé le
monde et mis à l’arrêt les centres capitalistes, ne serait-ce que brièvement, a entraîné
des répercussions importantes qui continuent de se faire sentir et qui vont probablement
façonner l’avenir.

                                                                   o n
Le confinement a fortement réduit la mobilité humaine, au niveau local comme

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transnational ; nous avons vu un nombre sans précédent de fermetures de frontières

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pour tenter de réduire la propagation du virus (Gamlen 2020). La pandémie a ralenti

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le commerce, limité la distribution et l’accès à des équipements de protection, à des

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équipements médicaux, ainsi qu’à la nourriture et à d’autres biens. Depuis plus d’un
an maintenant que le premier cas de COVID-19 a été signalé en Chine, la pandémie a

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exacerbé et creusé les inégalités mondiales. Elle a produit jusqu’ici, à l’échelle mondiale,

   A
DR
plus de 96 millions de nouveaux pauvres, une hausse significative du chômage et des
contractions critiques du PIB (OIT, 2020 ; ONU-femmes, 2020). Des millions d’emplois
ont été perdus, tandis que d’autres sont devenus plus précaires, informalisés et
dangereux, avec une surreprésentation des femmes dans le personnel de santé de
première ligne et dans le secteur informel partout dans le monde (ONU-femmes, 2020).

La pandémie a également augmenté la quantité et l’intensité des heures de travail de
soins effectuées au niveau des ménages. Le travail de soins non rémunéré a augmenté
jusqu’à 49% chez les femmes dans un contexte où, en moyenne, elles consacrent
déjà au moins trois fois plus de temps à ce type de travail (ONU-femmes 2020).
Avec la fermeture des écoles ou leur basculement vers l’enseignement à distance, la
responsabilité de l’éducation scolaire des enfants incombe désormais aux ménages,
au sein desquels les femmes et les adolescentes doivent de plus en plus fournir un

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travail de soins supplémentaire. Cela arrive souvent dans des contextes marqués par
une précarité du logement, une progression des expulsions et un accès limité à l’eau
et à l’assainissement, qui mettent en lumière les crises du logement et de l’eau déjà
existantes, à un moment où ces produits se sont avérés plus essentiels que jamais à la
survie.

Les gouvernements et les institutions de la gouvernance mondiale ont été contraints
de changer leur mode de fonctionnement ; ils ont donc modifié les politiques dans tous
les domaines et à différents niveaux. Les systèmes de protection sociale et de sécurité
sociale se sont étendus en termes de couverture et de nature, en tentant d’accroître à la

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fois la portée et la capacité de ces politiques à soutenir la population. La réglementation

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en matière de travail a évolué à une vitesse record et s’est adaptée à l’intensification

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de la numérisation du travail et au renforcement de la déréglementation. De nouveaux

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                                                       is c
programmes financiers d’urgence ont été déployés et les paiements au titre de la dette

                                    d
extérieure suspendus, bien que temporairement, pour les pays fortement endettés.

                               f or
Même si les créanciers ont insisté sur le caractère temporaire de ces politiques, les

                             T
conditions de la suspension du remboursement de la dette ont été renégociées, compte

   A F
tenu de l’évidence de plus en plus forte que la crise à laquelle nous assistons n’est pas

DR
temporaire, mais plutôt structurelle. Cela signifie que cette crise est multidimensionnelle
(elle touche de nombreux aspects des domaines de la vie et des politiques), qu’elle existe
depuis longtemps et qu’elle s’est aggravée dans la conjoncture actuelle. Parallèlement,
les politiques axées sur le contrôle biopolitique, la déréglementation et la surveillance du
travail accrus, qui étaient mises en œuvre avec une certaine lenteur avant la pandémie,
sont aujourd’hui menées de manière plus radicale. C’est le cas des mécanismes
de surveillance numérique, de la fermeture des frontières et de la sécurisation des
migrations ; cela se manifeste également par des politiques d’apparence anodine telles
que le passeport sanitaire Covid (Passe- COVID) mis en place en Afrique de l’Ouest
(SGNU, 2020).

Les transformations politiques durant cette période courte, mais intense, sont
essentielles à la nouvelle normalité qui apparaîtra, une fois la poussière retombée. DAWN

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demeure fermement convaincue de la nature controversée de cette nouvelle normalité
qui émerge. La pandémie a agi comme un catalyseur de phénomènes et de processus
déjà présents, tels que l’inégalité croissante dans les pays du Sud comme dans ceux du
Nord. Dans les pays du monde entier, les politiques anti-genre, natalistes et xénophobes
ont pris une place centrale et la crise des soins a été intensifiée et étalée au grand jour.
Pour comprendre cette réalité et prendre les mesures qui s’imposent, DAWN cherche
à examiner de près les changements de politiques survenus lors de la pandémie, qui
ont produit (ou sont susceptibles de produire) des changements significatifs1. Plus que
d’examiner les réponses à la pandémie elle-même, il s’agit pour nous d’analyser les
changements de politiques survenus durant la période d’exceptionnalité produite par la

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pandémie, en faisant la lumière sur la façon dont ils se projettent dans l’avenir dans les

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quatre domaines politiques suivants :

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       a) macroeconomics

                                         d
       b) labour policies and workers’ rights

                                    f or
       c) migration and human mobilities

                                  T
       d) care and social protection

   A F
DR
Ces domaines politiques serviront de points de départ thématiques sur lesquels
axer les recherches et les analyses qui identifient et mettent en évidence les
interconnexions entre différents processus politiques. Faire la lumière sur ces liens
est une démarche essentielle pour éviter de cloisonner des discussions qui sont
complexes et interdépendantes par nature ; c’est aussi la clé pour s’éloigner de la
fragmentation politique à une époque où l’organisation collective est plus importante
que jamais. Par exemple, nous nous intéressons à l’analyse des liens entre les politiques
macroéconomiques telles que les programmes d’aide d’urgence fournis par le Fonds

1- Parallèlement à l’analyse des transformations politiques, DAWN s’intéresse également à des questions spécifiquement
liées à la santé dans le contexte actuel. Le projet ‘Pandemic Portals : Feminist People’s Vaccine Project’ vise principale-
ment à mobiliser une réponse féministe à la Campagne pour un vaccin universel, en apportant une perspective de genre
à l’accès aux médicaments, aux vaccins, aux thérapies et aux EPI dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

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monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) en réaction à la pandémie,
de manière à s’interroger sur la durabilité des politiques de protection sociale d’urgence
mises en œuvre, souvent grâce à ces fonds. Les transferts monétaires (TM) temporaires
en situations d’urgence dépendent-ils d’un nouvel endettement ? Sont-ils durables ?
Nous soulignons la nécessité d’adopter une perspective intersectionnelle pour pouvoir
observer les inégalités de pouvoir qui, souvent, déterminent et sont reproduites par les
réponses politiques et affectent différemment les groupes sur la base de leur sexe, leur
classe, leur race, leur caste, leurs aptitudes, leur statut de citoyenneté et leur situation
territoriale (entre autres). Cela supposerait, par exemple, de chercher à déterminer si les
transferts monétaires dans les situations d’urgence sont assortis de conditionnalités

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et, dans l’affirmative, quelles communautés et quelles formes de comportements sont

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favorisées par rapport à d’autres ? Le statut juridique ou la situation géographique, par

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exemple, limitent-ils l’accès à la protection sociale ? Les politiques qui émergent dans le

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contexte de la pandémie de COVID-19 reproduisent-elles les systèmes d’oppression ou

                                    d
cherchent-elles à les modifier ?

                               f or
                             T
Nous cherchons à aborder ces thèmes à travers les recherches menées au niveau

     F
national dans les Caraïbes, en Amérique latine, en Afrique, en Asie et dans le Pacifique.

DR A
Nous encourageons les analyses qui révèlent les interconnexions entre les domaines
politiques, les processus politiques et les institutions. En même temps, ces analyses
doivent prendre connaissance de la façon dont le sexe, la classe, la race et le statut
de migration ou de citoyenneté (entre autres) influent sur les positionnalités et les
conditions de vie des individus et des collectivités qui les affectent et qui en sont
affectés. En outre, les politiques de lutte contre les pandémies (et nous nous attendons
à ce que d’autres apparaissent dans un avenir proche) mettent fortement l’accent
sur la gouvernance des populations et des organismes (Corrêa, 2020 ; Horton, 2020),
régulant ainsi les mobilités locales et transnationales, les modes de vie et l’accès aux
services sociaux. Ce virage biopolitique a des implications profondes des points de vue
du sexe, de la race et de la classe, concernant la question de savoir quels organismes et
collectivités sont réglementés, quels sont ceux dont la survie est mise au premier plan,
ceux dont la présence et les comportements sont jugés acceptables, et ceux qui ont vu
une (plus grande) précarisation de leurs moyens de subsistance durant la pandémie, et
ce que nous pouvons attendre de l’après-pandémie.

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Ce document de discussion fournit un cadre analytique qui explore certaines des
principales questions soulevées dans les quatre domaines politiques, les liens entre elles,
ainsi que certains des aspects intersectionnels qui se sont dégagés. Loin de se vouloir
exhaustif, il cherche à permettre une analyse et un plaidoyer collectifs axés sur les
points communs et les particularités des pays et des domaines politiques, aux niveaux
régional et mondial, dans le contexte de la pandémie et de l’après-pandémie. L’accent est
mis sur des domaines politiques spécifiques, tout en illustrant la manière dont ils sont
imbriqués. En outre, des thèmes généraux qui peuvent émerger de diverses manières
sont identifiés et la prévalence du changement climatique, du contrôle biopolitique et

                                                                       n
de la numérisation de la vie dans tous ses domaines sont examinés. Dans les pages

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qui suivent, nous présenterons l’approche méthodologique féministe de DAWN, en

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plaçant les intersectionnalités et les interconnexions au centre de nos politiques et

                                                              u
                                                         is c
de nos analyses. Nous présenterons ensuite les quatre hypothèses de travail qui

                                    d
nous permettront de penser d’une manière comparative à partir d’une perspective

                               f or
globale particulièrement attentive aux réalités locales, nationales et régionales. Nous

                             T
explorerons, après cela, chacun des quatre domaines politiques, en identifiant les

   A F
principaux thèmes et interconnexions, et nous expliquerons clairement les questions

DR
de recherche générative. Enfin, la conclusion cherchera à mettre en évidence les
interconnexions entre les différentes hypothèses, en soulignant la nature expansive du
cadre et sa fonction dans notre analyse des transformations politiques dans le contexte
de la pandémie de COVID-19.

3. Intersectionnalités et approche de DAWN
fondée sur les interconnexions
Les transformations politiques qui surviennent durant la pandémie sont façonnées par
les relations de pouvoir existantes, basées notamment sur des politiques genrées et
racialisées, sur la classe, le statut migratoire et la localisation (entre autres intersections).
De même, les changements dans des domaines politiques spécifiques sont liés à
d’autres discussions portant sur les politiques.

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En nous servant des intersectionnalités, nous entendons faire la lumière sur les relations
et positions de pouvoir complexes de différents individus et groupes au sein des
sociétés. Le choix d’une approche intersectionnelle laisse entendre que ce qui nous
intéresse, c’est de révéler comment le sexe, la classe, la race, l’appartenance ethnique,
le statut de citoyenneté/migratoire et les différentes capacités (entre autres positions
sociales) peuvent affecter les relations de pouvoir et les résultats sur les plans social
et politique. Ainsi, une approche intersectionnelle nous oblige à rendre compte des
contextes complexes dans lesquels les politiques sont examinées et mises en œuvre.
Par exemple, une recherche sur les implications macroéconomiques des pertes subies
par le secteur du tourisme dans un pays donné peut nécessiter que l’analyse rende

                                                                      n
compte de la composition par sexe de la main-d’œuvre concernée, ainsi que des

                                                                  i o
dynamiques régionales et raciales qui peuvent être affectées. On peut, par exemple,

                                                              s s
se demander si certains groupes sont mieux soutenus que d’autres ou certaines

                                                             u
                                                        is c
formes de travail plus touchées que d’autres. En outre, une optique territoriale peut

                                    d
permettre d’identifier des régions et des populations les plus touchées. Dans le cas

                               f or
d’une analyse portant sur les soins et la protection sociale, l’identification des personnes

                             T
dont les besoins en soins sont satisfaits, des formes de soins fournis et des principaux

   A F
prestataires de soins (en tenant compte de la classe, de l’âge, de la situation territoriale,

DR
du statut de citoyenneté, du sexe, etc.) présente un intérêt particulier. Cela ne veut
pas dire que le sexe, la race, la classe, le statut migratoire, etc. auront le même effet
dans chaque cas, ni qu’ils auront tous la même pertinence en même temps. Ce qui est
important, cependant, c’est que les interactions entre ces catégories et leur impact sur
les relations de pouvoir soient sérieusement prises en compte.

Nous utilisons le terme d’interconnexion pour souligner la nature multidimensionnelle
des crises actuelles et de leurs implications politiques. Ainsi, tout en abordant les
changements de politiques à travers des domaines politiques spécifiques, DAWN
s’efforce de faire en sorte de cerner à la fois leur complexité et leurs interconnexions.
Pour les économistes féministes, par exemple, un principe clair est que l’organisation
sociale des soins est elle-même une question macroéconomique, puisque le travail de
soins non rémunéré soutient le système économique et reproduit la force de travail.

Document de discussion de DAWN / 2021                                                       10
De même, les questions de mobilité humaine peuvent entraîner des conséquences
importantes pour le travail, lorsque l’on considère, par exemple, les changements de
politique concernant les travailleurs migrants de l’intérieur ou transnationaux, et/ou les
politiques de protection sociale.

L’analyse des transformations qui se produisent actuellement doit expliquer comment
elles peuvent affecter les systèmes de soins existants, les moyens de subsistance et
les inégalités. Elle doit également rendre compte de la mobilisation et des luttes de
la société civile y afférant, ainsi que de l’effet de ces changements de politiques sur
les droits politiques. En mettant l’accent sur les soins et les moyens de subsistance,

                                                                      n
nous nous efforçons de déterminer les effets possibles d’une politique particulière

                                                                  i o
sur la répartition du travail de soins non rémunéré. S’agissant des ajustements

                                                              s s
macroéconomiques, cela peut se traduire par l’hypothèse selon laquelle le travail de

                                                             u
                                                        is c
soins non rémunéré des femmes et des filles sert à amortir les politiques d’austérité,

                                    d
comme on l’a constaté tout au long des différents programmes d’ajustement structurel

                               f or
qui ont eu pour conséquence la suppression du financement des services sociaux et

                             T
l’externalisation de leur travail vers les ménages. Cette catégorie permettrait également

   A F
de déterminer l’effet des changements dans les régimes migratoires sur les soins et les

DR
moyens de subsistance dans les pays d’origine et les pays de résidence, en expliquant à
la fois les effets sur les transferts de fonds, mais aussi sur les types de soins fournis et
les conditions de leur prestation.

En mettant l’accent sur les inégalités, nous soulignons la nécessité de rendre compte
des effets des changements de politiques sur les inégalités sociales, économiques et
de pouvoir. En rapport étroit avec l’intersectionnalité, il convient, pour rendre compte des
inégalités, que l’on pose par exemple la question de savoir si les politiques s’appuient sur
les ordres féministes sexués existants, dans lesquels le travail féminisé est dévalorisé
et non pris en compte au plan économique. Les sujets racialisés ont-ils autant d’accès
aux politiques de protection sociale que leurs pairs non racialisés ? Les controverses
que suscite l’accès potentiel aux vaccins des Palestiniens en Israël et des migrants
vénézuéliens en Colombie et au Chili sont des cas récents où la discrimination fondée

Document de discussion de DAWN / 2021                                                        11
sur la citoyenneté et le statut migratoire est intégrée à la politique sociale dans le
contexte de la COVID-19 (BBC, 2021 ; Amnesty International, 2021). C’est dans ces
contextes qu’une politique de santé anodine (la fourniture de vaccins) a accentué les
formes existantes d’oppression et d’exclusion.

En prêtant attention à la lutte pour la mobilisation sociale et aux droits politiques, nous
cherchons à rendre compte de la manière dont les mobilisations sociales, l’organisation
de la société civile et la résistance ont été affectées, limitées ou ont peut-être émergé
dans le contexte de processus politiques spécifiques. Il est également possible que les
changements de politiques en cours soient le résultat de l’organisation de la société

                                                                      n
civile. Cet aspect de l’analyse est particulièrement important, étant donné que l’on

                                                                  i o
craint que la surveillance accrue soit présentée comme une mesure justifiée. Dès

                                                              s s
lors, l’analyse de toute transformation politique dans ce contexte exige de passer à la

                                                             u
                                                        is c
loupe ses implications du point de vue de son lien potentiel avec les droits politiques,

                                    d
la persécution et d’autres formes de contrôle biopolitique. De même, dans le cadre de

                               f or
la pandémie comme période d’exception, de nombreux changements au niveau des

                             T
politiques sont effectués par des moyens antidémocratiques, avec peu de consultation

   A F
via des procédures accélérées. Bien que conscientes de l’urgence de la situation, nous

DR
sommes convaincues que les changements de politiques et les pertes potentielles,
au cours de cette période, peuvent avoir un effet important sur les temps à venir ;
nous considérons donc qu’il est essentiel de rendre compte de cet aspect quand nous
explorons les transformations politiques en cours. L’identification de ces tendances et
des tendances connexes sera essentielle pour encourager et renforcer la résistance à
l’oppression et à l’inégalité et cultiver des avenirs féministes transformateurs.

4. Hypothèses
        Nous proposons quatre grandes hypothèses de travail concernant les tendances
politiques qui se dessinent dans le monde marqué par la pandémie. Nous nous
attendons à voir des transformations politiques qui (a) sont stagnantes et dépendantes

Document de discussion de DAWN / 2021                                                         12
de la trajectoire empruntée ; (b) renforcent la captation de l’espace politique par les
entreprises, avec le contrôle du secteur privé sur les processus politiques ; (c) renforcent
le contrôle biopolitique et élargissent les tendances autoritaires en cours ; et/ou (d) sont
transformatrices et progressistes, là où la crise agit en réalité comme un portail pour les
politiques féministes et étend la démocratie et la justice sociale.

Il pourrait y avoir des gradations et des nuances dans la manière dont ces hypothèses se
reflètent dans les politiques qui ont émergé, en ces temps de COVID-19. Il est également
possible que des pays qui avancent des agendas progressistes d’un côté, agissent de
manière régressive de l’autre. Ainsi, nous devons faire montre de prudence avec ces

                                                                      n
typologies et reconnaitre leurs limites, tout en soulignant leur utilité pour produire des

                                                                  i o
analyses comparatives à l’avenir. Dans le même ordre d’idées, ces hypothèses sont

                                                              s s
censées être un point de départ qui peut être adapté au fur et à mesure de l’avancement

                                                             u
                                                        is c
de la recherche :

                               f or d
      a. Fonctionner vaille que vaille, autrement dit maintenir le statu quo. La capacité

                             T
      de planification stratégique et d’identification de nouvelles options de politiques

   A Fet de programmes peut être faible, au point qu’un gouvernement ne puisse réagir

DR
      de manière innovante ou créative. Au lieu de cela, il peut continuer à appliquer les
      mêmes politiques d’antan, tout en ayant conscience qu’il faut faire plus, ce qui
      le met mal à l’aise. La prédominance des gains politiques à court terme pourrait
      produire les mêmes effets, en raison du moment du cycle électoral, ou parce
      que la confluence politique est trop fragile et risquée pour un gouvernement qui
      s’accroche peut-être au pouvoir de façon précaire.

      b. Adopter une approche qui donne aux entreprises privées plus d’influence sur la
      politique publique. La critique permanente de DAWN concernant la captation de
      l’État par les entreprises au travers des partenariats public-privé (PPP) fournit de
      nombreux éclairages sur ce sujet. Les PPP sont généralement justifiés et fortement
      encouragés par les institutions de Bretton Woods (IBW), la Banque mondiale,
      le FMI, les banques régionales de développement, etc. - comme permettant

Document de discussion de DAWN / 2021                                                        13
d’exploiter le financement, la technologie et les compétences en marketing du
      secteur privé à des fins publiques, en particulier lorsque les gouvernements font
      face à des contraintes budgétaires et au manque de savoir-faire. La réalité est, bien
      entendu, quelque peu différente, comme le montrent nos recherches, surtout si
      l’on se place du point de vue de l’égalité des sexes et des droits fondamentaux des
      femmes. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, de l’effondrement presque
      total de l’économie qui en découle et des fortes demandes de dépenses sociales et
      de soins de santé, la tentation est grande pour les gouvernements de conclure des
      pactes faustiens avec le secteur privé à but lucratif, et beaucoup succombent au
      chant des sirènes des Institutions de Bretton Woods à cet égard.

                                                                   i o n
      c. La pandémie a été l’occasion de promouvoir les pratiques biopolitiques

                                                                 s
                                                               s
      autoritaires par l’État. Dans ce cas de figure, les changements de politique visent

                                                         is c u
      le renforcement du contrôle sur le corps des personnes, les populations, les

                                    d
      territoires et les droits politiques. Les moyens utilisés à cet effet peuvent être

                               f or
      la criminalisation des mobilités humaines, la précarisation accrue du travail, les

                             T
      expulsions, ainsi que l’accès à la nourriture et à d’autres formes d’aide humanitaire.

   A FDans ce contexte, les moyens de subsistance dépendent de la loyauté politique et

DR
      des relations clientélistes avec l’État et les partis politiques au pouvoir.

      d. S’orienter vers des politiques progressistes et féministes, ne serait-ce que
      partiellement. Il est heureux de constater qu’au moins certains gouvernements
      avancent dans cette direction, et nous comptons déterminer et analyser leur façon
      d’aller de l’avant et de gérer les complexités du financement et de la politique,
      ainsi que les conditions et les contextes spécifiques qui les rendent possibles. En
      pareils cas, les portails de Roy créent effectivement un environnement favorable
      aux transformations féministes en vue de sociétés plus égalitaires, inclusives et
      démocratiques.

Document de discussion de DAWN / 2021                                                       14
5. Quels changements de politiques ?
La pandémie a produit des effets multidimensionnels qui touchent toutes les sphères
de la vie, les systèmes de gouvernance, et les niveaux de gouvernement du local au
transnational. L’arrêt forcé de l’appareil économique a généré un moment d’exception
sur les plans politique, social et économique. La pandémie a accéléré les processus
politiques et stratégiques en cours, souvent au détriment des pratiques démocratiques et
des droits humains, tout en créant des conditions favorables à l’innovation. Elle a touché
plusieurs domaines de la vie, modifiant le monde du travail, et soulignant le caractère
central des soins pour notre survie et l’inadéquation de l’austérité macroéconomique qui

                                                                   o n
était devenue la doctrine politique dominante au cours des quatre dernières décennies.

                                                             s s i
                                                          c u
Compte tenu de la nature multidimensionnelle de la série de crises qui se déroule

                                                       is
actuellement, nous avons sélectionné quatre domaines de politique générale à

      a) La macroéconomie

                               f or d
soumettre à un examen critique à la loupe des féministes du Sud global, à savoir :

   A F                       T
      b) Les politiques du travail et les droits des travailleurs

DR
      c) La migration et les mobilités humaines
      d) Les soins et la protection sociale
Ces domaines politiques ont été sélectionnés dans le but de produire des analyses
féministes qui tiennent compte de la manière dont la gouvernance mondiale et l’État se
transforment et se projettent dans l’avenir (post)pandémique.

a) La macroéconomie
La politique fiscale, le commerce, la politique monétaire et l’économie politique de la
dette sont autant de préoccupations féministes qui affectent les rapports de force
aux niveaux mondial, national, local et dans l’intimité du foyer. Jamais le monde n’a
connu de crise économique de l’ampleur de celle déclenchée par la COVID-19 depuis
des générations. La dette extérieure mondiale a atteint près de 100 % du PIB mondial,
qui a fait face à une contraction de 4,7 % (FMI, 2020a). Le choc économique imposé

Document de discussion de DAWN / 2021                                                     15
par la pandémie a confronté les sociétés et les gouvernements aux conséquences
de décennies de politiques d’austérité et d’accaparement par les entreprises qui ont
réduit à la portion congrue les capacités de réaction des systèmes de gouvernance
mondiale et celles des gouvernements (Rodríguez Enríquez, 2020a). Après des
décennies de précarisation systémique de leurs conditions de travail, la pandémie a
exposé les travailleurs du secteur des soins et de la santé en première ligne (Bertossa,
2020). Compte tenu de la gravité du choc économique que nous avons subi à l’échelle
mondiale et de la nécessité urgente de réinitialiser le système, la pandémie peut
effectivement agir comme un portail qui s’ouvre sur des économies politiques nouvelles
et transformatrices, ou plutôt sur l’accroissement des inégalités mondiales déjà fortes.

                                                                     n
En examinant les Transformations politiques au cours de la période de la pandémie,

                                                                 i o
DAWN cherche à identifier certaines des politiques macroéconomiques avec lesquelles

                                                             s s
les pays du Sud font face à la crise, ainsi que celles qu’ils mettent en place pour les

                                                            u
                                                       is c
années à venir.

                               f or d
Les conditions dans lesquelles les pays se préparent à affronter la tempête sont

                             T
extrêmement inégales. Les institutions de Bretton Woods (IBW) s’accordent sur

   A F
l’importance cruciale des dépenses publiques, dans le contexte de la pandémie et de

DR
ses répercussions. Toutefois, ce qui est moins clair, c’est la manière dont ces dépenses
doivent être financées. Au mois d’octobre 2020, les gouvernements avaient déployé
d’importants plans d’urgence financiers à hauteur de 11,7 trillions USD, soit 12% du
produit intérieur brut (PIB) mondial (FMI, 2020a).

Cette réponse importante a été vécue de manière inégale : les pays riches disposant
d’une marge fiscale substantielle ont affecté 20,3% de leur PIB aux subventions salariales
et au soutien en liquidités aux entreprises ; quant aux marchés émergents, dont la marge
de manœuvre politique était beaucoup plus réduite, ils n’ont alloué que 6% de leur PIB
aux programmes de maintien dans l’emploi et aux subventions salariales, entre autres
mesures. En revanche, mais sans surprise, les pays à faible revenu ont seulement réussi
à affecter 1,8% de leur PIB, en utilisant des sources budgétaires, dont 0,3% au secteur de
la santé (FMI, 2020a:26). L’espace fiscal tout en contrastes est marqué par les niveaux

Document de discussion de DAWN / 2021                                                      16
insoutenables de la dette extérieure auxquels de nombreux pays se sont retrouvés
confrontés, dès le début de la crise. Non seulement les niveaux de la dette sont élevés,
mais une part importante de cette dette dépend des obligations à court terme. En Asie
du Sud, par exemple, depuis 2010, les obligations et les créanciers privés ont augmenté
leur part de la dette par rapport aux autres créanciers. Même avant la pandémie,
le Sri Lanka, le Pakistan, les Maldives et le Bhoutan présentaient déjà des ratios
structurellement élevés de la dette publique rapportée au PIB, avec une forte prévalence
des obligations à court terme ; d’après les projections, cette situation devrait s’aggraver
au cours de la pandémie (BM, 2020a ; CNUCED, 2020a). Les mécanismes financiers mis
à la disposition des pays en développement par les IBW servent de solutions de fortune

                                                                                      n
dans un contexte qui requiert un nouveau plan Marshall et où l’inégalité mondiale est

                                                                                  i o
patente dans les outils financiers à la disposition des gouvernements. Alors que les

                                                                              s s
pays très endettés comptaient principalement sur leur budget existant, les pays riches

                                                                             u
                                                                        is c
faisaient appel à des mécanismes alternatifs, pour injecter des liquidités dans leurs

                                         d
économies. La Réserve fédérale des États-Unis mettait en place des accords de crédits

                                    f or
croisés d’un montant compris entre trente et soixante milliards USD au profit de neuf

                                  T
économies riches et à revenu intermédiaire, renouvelables jusqu’en mars 20212 (Reserve,

   A F
2020). En revanche, les pays du Sud n’ont guère d’autre choix : compter sur des prêts

DR
non concessionnels (y compris des obligations à court terme dans le cas des pays à
revenu intermédiaire) qui aggravent leurs vulnérabilités liées à la dette3 (BM, 2020a),
ou s’en remettre aux options politiques du FMI et de la BM. La Conférence des Nations
unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ainsi que d’autres ont laissé
entendre, à maintes reprises, que les pays en développement devraient pouvoir financer
leur relèvement par le biais de droits de tirage spéciaux (DTS) élargis (CNUCED, 2020b ;
Gallagher, Ocampo et Volz, 2020 ; Ellmers, 2020a ; Tippet, 2020).

2- Ces accords de crédits croisés temporaires ont injecté soixante milliards de dollars par pays dans les banques
centrales d’Australie, de Suède, de Corée du Sud, du Brésil, de Singapour et du Mexique, et trente milliards de dollars au
Danemark, en Norvège et en Nouvelle-Zélande.
3- La BM et le FMI ont demandé au G20 de prolonger cet allègement jusqu’à fin 2021 ; cette demande sera examinée lors
des prochaines réunions du printemps.

Document de discussion de DAWN / 2021                                                                                  17
Toutefois, le FMI n’a pas retenu les DTS élargis comme une stratégie financière viable.
Le Fonds s’est plutôt appuyé sur les facilités de crédit rapide et les instruments de
financement rapide, les subventions au titre de l’allègement de la dette et les lignes de
liquidité à court terme pour traiter les déficits de la balance des paiements des pays
qui satisfont à des exigences spécifiques (c’est-à-dire dont « les fondamentaux et les
cadres macroéconomiques sont très solides ») (FMI, 2020b). La BM et le FMI ont tous
deux plaidé en faveur d’un allègement de la dette bilatérale jusqu’en fin juin 2021, par le
biais de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) qui a été approuvée par
le G20. Bien qu’elle ait réussi à convaincre le G20 de participer à l’initiative, la BM n’a
pas adhéré à la suspension temporaire et continue de s’attendre à être payée en temps

                                                                                      n
voulu. En fait, les pays qui ont des arriérés avec la BM ne sont pas admissibles à l’ISSN.

                                                                                  i o
Cet aspect revêt une importance particulière pour l’Afrique, où la BM est le créancier qui

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détient le plus gros encours de la dette4 (Brautigam, 2020). Le gouvernement chinois

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                                                                        is c
a publiquement appelé la BM à se joindre à l’initiative, tandis que la BM a également

                                         d
insisté pour que la Banque de développement de Chine (CDB) rejoigne l’ISSN ; il

                                    f or
existe cependant une ambiguïté quant à la qualification de la CDB en tant que banque

                                  T
commerciale ou prêteur bilatéral (Huang et Brautigam, 2020). En tout état de cause,

   A F
l’inclusion de la CDB dans l’ISSN n’aurait que peu de conséquences pour l’Afrique.

DR
Il est clair que les mécanismes financiers actuels sont insuffisants pour faire face à la
crise. Cela vaut tout particulièrement pour les pays du Sud et, notamment, les petits
États insulaires, les pays très endettés et les petites économies en général, qui sont
gravement touchés. La rareté des mécanismes de financement à la disposition des
pays du Sud est aggravée par le déclin des investissements directs étrangers (IDE) et
des transferts de fonds. D’une part, le déclin des IDE, qui avait déjà commencé avant
la pandémie, a eu un impact plus fort sur les pays riches, où il s’est situé à 75% contre
16% dans les pays en développement (CNUCED, 2020a). D’autre part, malgré les

4- En tenant compte de l’importante dette de l’Angola envers la Chine, qui concentre, avec le Pakistan, 34% des prêts de
la Chine à soixante-douze pays à faible revenu.

Document de discussion de DAWN / 2021                                                                                  18
projections antérieures d’une baisse plus forte, les envois de fonds n’auront diminué
que de 7,2%, en 2020, et devraient diminuer de 7,5%, en 2021 (BM, 2020b ; 2020c).
Bien qu’étant moins forte que prévu, cette baisse entraîne des conséquences plus
graves sur les pays les moins avancés et les petites économies où les envois de fonds
représentent entre 14% et 39% du PIB (CNUCED, 2020a). Une pléthore d’alternatives
est proposée, en plus de celles promues par les IFI, dont notamment l’imposition. Aux
niveaux mondial et national, l’imposition est un outil générateur de revenus qui offre,
aux gouvernements, une plus grande marge de manœuvre pour innover. Cependant,
la plupart des discussions à ce sujet ont tendance à être négligées à cause de la
mainmise croissante des entreprises sur la gouvernance mondiale, les processus

                                                                      n
politiques et les gouvernements nationaux (Ellmers, 2020a ; 2020b). Les secteurs

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mondiaux qui connaissent une croissance exponentielle en temps de crise doivent être

                                                              s s
examinés et réglementés. Les géants du numérique ont augmenté leur valeur de 17%

                                                             u
                                                        is c
à 91% au cours de cette période, créant ainsi d’énormes profits à l’échelle mondiale ;

                                    d
et pourtant, ils sont rarement taxés au niveau mondial ou dans des pays autres que

                               f or
les États-Unis (Fredriksson, 2020). Comme nous le savons, l’innovation fiscale ne se

                             T
limite pas au secteur numérique et aux bénéfices des entreprises offshore, mais elle

   A F
concerne également le patrimoine et les transactions financières (entre autres) ainsi

DR
que l’élimination de la fraude fiscale (Tippet, 2020). Dans cette optique, la société civile
fait pression, depuis des années, pour d’autres réformes transformatrices, et la crise
actuelle apparaît comme un appel urgent à des décisions audacieuses. Le contexte
exige des stratégies de financement du développement étroitement alignées sur les
transitions vertes qui s’attaquent à la perte de biodiversité et au changement climatique,
et qui reconnaissent les structures mondiales qui ont alimenté la dépendance aux
combustibles fossiles dans les pays du Sud. Les transformations macroéconomiques
ne peuvent se permettre d’ignorer l’urgence climatique actuelle, urgence qui n’est
nulle part plus évidente que dans les petits États insulaires en développement, où
l’acidification des océans et l’élévation du niveau des mers constituent une menace
existentielle quotidienne (De Schutter, 2020 ; Fresnillo, 2020 ; Paolo Yu, 2020). Quels
sont les institutions mondiales et les mécanismes de gouvernance qui font avancer
les choses ou plutôt les limitent ? Quels sont les gouvernements qui reprennent ces

Document de discussion de DAWN / 2021                                                          19
alternatives et développent les leurs ? Quel est le rôle des institutions nationales, du
secteur public, y compris des banques publiques, dans ces politiques ? Un examen plus
approfondi des conditions de financement des politiques nationales d’urgence actuelles
exige également que les structures de gouvernance mondiale soient prises en compte,
en reconnaissant les inégalités de pouvoir existantes qui réduisent l’espace politique
laissé aux gouvernements du Sud. Quels sont les institutions et les processus mondiaux
qui favorisent effectivement des approches transformatrices ? Quels sont ceux qui
reproduisent les inégalités de pouvoir dans les arènes mondiales, régionales et locales ?
L’identification des secteurs économiques protégés et des mécanismes politiques mis
en œuvre pour les soutenir (subventions, allégements fiscaux, renflouements, etc.) aura

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nécessairement un impact sur le changement climatique et sur la distribution et l’accès

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à l’énergie et aux ressources naturelles. Les réponses à cette question et aux questions
connexes commenceront à décrire l’histoire du monde à venir.

                                                             us s
                                    d                   is
b) Les politiques du travail et les droits des travailleursc
                               f or
La pandémie a servi d’excuse à l’intensification de la régression déjà en cours des

                             T
normes du travail dans le monde. Ces changements s’opèrent par voie législative et

   A F
administrative, avec la modification des lois et des règlements et l’affaiblissement

DR
des mécanismes de protection existants pour les travailleur formels et informels. Ils
se traduisent également par une recrudescence des pratiques abusives de travail et
une précarisation accrue des conditions de travail. La demande accrue de travail de
soins rémunéré et non rémunéré a amplifié l’exploitation et la précarité du travail des
femmes et des filles. La pandémie a entraîné des pertes d’emploi, d’heures de travail
et de revenus sans précédent chez les travailleurs. Ceux du secteur informel subissent
les pires effets de la crise (BM, 2020a). Au cours du premier mois de la pandémie, les
travailleurs informels ont connu des baisses de revenus de 60%, au niveau mondial, et
de 82%, en Asie et en Amérique latine (OIT, 2020b). Tout cela s’est produit, alors que
certains secteurs de l’économie connaissaient une augmentation spectaculaire de leurs
bénéfices. La pandémie a exacerbé les inégalités intersectionnelles qui existaient déjà
en termes de types de travail, de revenus, de genre, de situation géographique et de pays
d’origine, entre autres ; elle a aussi réduit, de manière spectaculaire, les gains en termes

Document de discussion de DAWN / 2021                                                      20
d’emploi et de revenus réalisés par les femmes, au cours des dix dernières années
(CEPAL/ECLAC, 2021).

Les aspects, différenciés selon le sexe, de la crise du travail sont légion. Les femmes
sont surreprésentées parmi les travailleurs de la santé et de l’action sociale mais, sans
surprise, l’écart salarial avec leurs homologues masculins reste important5 (OMS, 2019).
Le chômage a frappé des secteurs spécifiquement féminisés, tels que les services
et l’accueil, où jusqu’à neuf travailleurs sur dix sont des femmes (Gutierrez, Martín et
Ñopo, 2020). Des millions d’emplois ont été perdus dans ces secteurs et les heures de
travail réduites. Parallèlement, on note des fermetures d’écoles et l’intensification des

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demandes de travail reproductif non rémunéré, sous forme de soins de santé, nettoyage,

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cuisine, qui pour la plupart reposent, de manière disproportionnée, sur le travail des

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femmes et des filles. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que la participation des

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femmes à la main-d’œuvre rémunérée ait connu une baisse plus forte que celle de leurs

                                        d
homologues de sexe masculin. En Amérique latine, par exemple, cette participation a

                                   f or
baissé de 10,4%, contre 7,4% pour les hommes (OIT-LAC, 2020). Dans le même ordre

                                 T
d’idées, 50% des femmes travailleuses ont vu leur temps de travail diminuer contre

   A F
35% des hommes au niveau mondial (ONU Femmes, 2020). En particulier, celles qui

DR
travaillent comme domestiques rémunérées ont été parmi les personnes les plus
exposées aux risques sanitaires et économiques imposés par la pandémie de COVID-19.
Ce secteur étant déjà l’un des plus précaires, les travailleuses domestiques ont été parmi
les premières à perdre leur emploi sans avoir accès à l’assurance chômage et aux autres
protections du travail (ONU Femmes, 2020). EIles ont également été parmi les premières
à mourir du virus, comme ce fut le cas de Cleonice Gonçalves, employée de maison au
Brésil et cinquième décès enregistré dans le pays, en mars 2020 (Slattery et Viga Gaier,
2020). Les travailleuses domestiques sont, en grande partie, des migrants internes
ou internationaux. La condition de migrante aggrave leur exploitabilité et ajoute à leur

5- Selon Amnesty International (2020), les travailleurs de la santé, y compris le personnel de nettoyage, ont subi des
réductions de salaire, des baisses de revenu et ont été licenciés pendant la pandémie de COVID-19, au Sud-Soudan, au
Pakistan, en Inde, en Indonésie, au Guatemala et en Égypte.

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précarité dans le contexte de la pandémie. Elles n’ont souvent pas d’espace à elles, pour
se reposer pendant leurs pauses ; elles se sont éloignées de leur communauté et des
systèmes de protection informels qui pourraient les soutenir pendant la crise. Dans le
cas des migrantes internationales, cela se traduit par un risque accru d’expulsion qui, à
son tour, les rend plus exploitables (Antona, 2020).

D’une part, les pays pourvus de systèmes de sécurité sociale plus solides et d’une
plus grande expérience du dialogue tripartite et social ont été en mesure de réagir
rapidement et de manière inclusive. L’Argentine, par exemple, a créé un programme
d’urgence « d’aide au travail et à la production » (Décret 332/2020, Présidence de la

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République, 2020). Ce programme devait permettre aux employeurs éligibles de recevoir

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une subvention salariale, pendant une certaine période, pour éviter les licenciements

                                                             s s
de travailleurs. Des représentants d’organisations de travailleurs et d’employeurs ont

                                                            u
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participé à l’adoption de cette mesure (OIT, 2020c). Par ailleurs, les pays qui dépendent

                                    d
davantage du secteur des services et qui présentent des niveaux d’informalité plus

                               f or
élevés et des garanties contre le licenciement plus faibles ont connu des pertes

                             T
d’emplois beaucoup plus importantes (OIT, 2020a). De plus, l’existence de systèmes de

   A F
sécurité sociale relativement solides n’a pas empêché la précarisation accrue de certains

DR
secteurs, par exemple pour les travailleurs du secteur de la livraison des entreprises
plateformes. En Argentine, par exemple, les plateformes de commerce électronique ont
été en mesure de réduire leurs responsabilités envers les livreurs tout en augmentant
considérablement leurs marges. Les livreurs ont été jugés « essentiels par la loi », car
ils permettaient la consommation pour les ménages où les gens parvenaient à rester
chez eux pendant les périodes de confinement. Toutefois, malgré ce caractère essentiel,
ils n’ont pas eu un accès adéquat aux équipements de base en matière de biosécurité
et de protection sociale. Dans ce cas d’espèce, comme dans celui des travailleuses
domestiques, la migration aggrave souvent la précarité de ces travailleurs (Valencia
Castro, Partenio et Hidalgo Corder, 2020 ; Parteni, à paraître). L’extrême précarisation de
ce secteur contraste nettement avec les importantes marges bénéficiaires concentrées
dans le commerce électronique et d’autres grandes plateformes.

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