La position internationale du Kosovo après l'avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice
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Politiques méditerranéennes | Les Balkans La position internationale du Kosovo après l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice Bilan Ian Bancroft dès lors des répercussions majeures sur les initia- Co-fondateur de TransConflict 1 tives de résolution des conflits dans d’autres ré- Membre de la mission de l‘OSCE en Bosnie et gions dans les années à venir. Herzégovine Bien que le Kosovo soit également devenu membre du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) depuis sa déclaration uni- Med.2011 Le Kosovo – progrès partiels, paralysie et latérale d’indépendance le 18 février 2008, cinq reconnaissance États membres de l’UE –l’Espagne, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie – refusent de Plus de trois ans depuis sa déclaration d’indépen- le reconnaître. Chacun d’entre eux craint que le dance de la Serbie dans le sillage de la rupture précédent du Kosovo ne nuise à leur politique inté- des pourparlers sur son statut final, le Kosovo rieure : aux Basques et aux Catalans en Espagne; continue à lutter pour être accepté plus largement à Chypre et à la République turque de Chypre 229 au sein du système international, malgré le soutien Nord, non reconnue ; ainsi qu’à la Roumanie et la de nombreuses grandes puissances de ce monde. Slovaquie avec leurs minorités hongroises respec- Bien que reconnu par 75 membres des Nations tives. Bien que ces divisions n’aient pas empêché unies (à l’heure de la rédaction du présent article), le déploiement de l’EULEX (la mission « État l’UE reste partagée sur la question, laissant les de droit » de l’UE au Kosovo), totalement neutre – perspectives d’adhésion à l’UE du Kosovo dans la plus importante mission civile européenne ja- l’incertitude. Compte tenu des doutes persistants mais lancée dans le cadre de la politique de sécu- sur sa viabilité économique et sa capacité à s’atta- rité et de défense commune (PSDC) –, elles quer au crime organisé et à la corruption, et alors continuent à entraver les perspectives d’adhésion que les accusations de crimes de guerre déferlent à l’UE du Kosovo. Alors que d’autres pays des Bal- à l’encontre de l’Armée de libération du Kosovo kans occidentaux ont obtenu une libéralisation du (ALK), le Kosovo continue à se débattre pour ob- régime des visas, le Kosovo n’a toujours pas de tenir la reconnaissance d’autres États. La question feuille de route en matière de visas qui stipulerait du Kosovo demeure une source considérable de les conditions à réunir pour figurer sur la liste débats et de conjectures, non seulement en raison blanche des visas. Bien que le Parlement euro- de sa pertinence vis-à-vis d’autres affaires où le péen (PE) ait plaidé à plusieurs reprises pour une statut d’État est contesté mais également compte approche commune à l’égard du Kosovo, il semble tenu de ses implications pour le déploiement de improbable que l’impasse actuelle prenne fin de missions des Nations unies dans des situations de sitôt, laissant à l’UE la tâche difficile de persuader crise aux relents sécessionnistes. L’approche utili- le Kosovo qu’elle dispose d’une perspective sée pour résoudre le problème du Kosovo aura d’adhésion. 1 Ian Bancroft est le co-fondateur de TransConflict, une organisation mettant sur pied des projets de règlement des conflits et entreprenant des études à travers les Balkans occidentaux. Bien que membre de la mission de l’OSCE en Bosnie et Herzégovine, Ian s’exprime à titre personnel et les opinions exprimées ne reflètent pas celles de l’OSCE.
La décision de la Cour internationale de dépendance a ou non conduit à la création d’un Justice (CIJ) – une occasion manquée ? État » – à savoir la déclaration coupée de ses effets juridiques –, ou de se prononcer sur « la valeur des La Serbie étant viscéralement opposée à l’indépen- actes de reconnaissance », l’avis de la Cour éclaire dance du Kosovo, son plan d’action principal a tour- très peu l’Assemblée générale des Nations unies né autour de sa demande en octobre 2008 à l’As- (« l’organe demandeur »), ainsi que le précisait le semblée générale des Nations unies de référer la juge Bennouna dans son opinion dissidente. L’arrêt question à la CIJ pour qu’elle détermine si « la décla- de la CIJ n’est par conséquent pas parvenu à appor- ration unilatérale d’indépendance des institutions ter la clarté souhaitée par de nombreux pays qu’une provisoires d’administration autonome du Kosovo reconnaissance de l’indépendance du Kosovo met- [est] conforme à la législation internationale ». La CIJ tent mal à l’aise, en particulier eu égard aux ques- a publié son avis consultatif, très attendu, le 22 juillet tions relatives au droit à l’autodétermination ou la 2010, dans lequel elle déclarait, par dix votes contre succession. Bilan quatre, que « le droit international général ne com- Le pouvoir de persuasion de l’avis de la CIJ a égale- porte aucune interdiction applicable aux déclara- ment été limité par certaines subtilités juridiques tions d’indépendance » et donc que les événements auxquelles la Cour a recouru, notamment en affir- du 17 février 2008 « n’[ont] pas violé le droit interna- mant que la déclaration a été adoptée dans le cadre tional général ». Dès lors, la CIJ a essentiellement d’une session spéciale de l’Assemblée du Kosovo décrété que la déclaration du Kosovo n’était ni lé- par les personnes ayant agi « de concert en leur Med.2011 gale ni illégale mais tout simplement que la législa- qualité de représentants du peuple du Kosovo » et tion internationale ne traite pas de ces questions. non pas par les institutions provisoires de l’autogou- vernement du Kosovo. Ainsi, il a été estimé que les auteurs de la déclaration n’ont pas dépassé le cadre L’arrêt de la CIJ n’est pas constitutionnel d’administration autonome mis sur parvenu à apporter la clarté pied dans le cadre des réglementations de la Mis- sion d’administration intérimaire des Nations unies souhaitée par de nombreux pays 230 au Kosovo (MINUK). Le juge Bennouna, pour sa qu’une reconnaissance de part, note qu’« il ne faisait aucun doute, pour le Se- l’indépendance du Kosovo crétaire général et son représentant spécial au Ko- mettent mal à l’aise, en sovo, que la déclaration émanait bien de l’Assem- blée des institutions provisoires d’administration particulier eu égard aux autonome du Kosovo récemment élue » et que « tous questions relatives au droit à les habitants du Kosovo […] doivent respecter le ré- l’autodétermination ou la gime d’autonomie institué par les Nations unies ». succession La stature internationale du Kosovo Bien que non contraignant, on pensait que, grâce à – un rétablissement ou un rappel de sa l’arrêt de la CIJ, l’État naissant allait être reconnu de réputation ? toutes parts et qu’une partie des incertitudes entou- rant le statut du Kosovo allait disparaître. Le fait que L’avis de la CIJ n’ayant pas suscité le flot de recon- cela n’a pas été le cas peut s’expliquer en partie par naissance escompté, l’attention s’est une nouvelle la réussite de la campagne diplomatique de la Ser- fois tournée sur les efforts diplomatiques du Kosovo bie et surtout par l’interprétation étroite donnée par pour justifier son indépendance. Avant sa déclara- la CIJ à la question soulevée. Comme cette dernière tion unilatérale et depuis celle-ci, le Kosovo s’est l’a souligné, l’Assemblée générale « n’est pas priée efforcé de persuader les sceptiques qu’il constitue de dire si le Kosovo a ou non accédé à la qualité un État économiquement viable, capable de prospé- d’État, ni de se prononcer sur la validité ou les effets rer sans l’assistance de donateurs internationaux et juridiques de la reconnaissance du Kosovo comme l’envoi de fonds par sa vaste diaspora. Le Kosovo État indépendant par certains États ». En refusant reste l’une des régions les plus pauvres d’Europe, d’examiner le point de savoir « si la déclaration d’in- avec un chômage de près de 40 %, des revenus an-
LE PROCESSUS D’ÉLARGISSEMENT, LA POLITIQUE DE L’UE À L’ÉGARD DES BALKANS OCCIDENTAUX Le processus de stabilisation et d’association (PSA). Serbie, échange de l’Europe centrale, le Traité instituant la Commu- Bosnie et Herzégovine, Albanie, Kosovo d’après la résolu- nauté de l’énergie, l’Accord sur la création d’un espace aérien tion 1244 de l’ONU. Le 2l juin 2003, le sommet de Thessalonique commun européen, l’Observatoire des transports de l’Europe entre les chefs d’État et de gouvernement de l’UE et des Balkans du Sud-Est, l’Initiative de réforme éducative pour l’Europe occidentaux confirme la perspective européenne des Balkans recon- du Sud-Est (ERISEE), l’Initiative régionale sur la migration, nue lors du Conseil européen de Santa Maria da Feira (19 et 20 juin l’asile et les réfugiés (MARRI), le Réseau-santé de l’Eu- 2000) et complète les dispositions prises par le sommet UE-Balkans rope du Sud-Est (SEEHN), l’Initiative de coopération pour occidentaux du 24 novembre 2000 à Zagreb. À Thessalonique, le l’Europe du Sud-Est (SECI) ou la Stratégie européenne pour la processus de stabilisation et d’association devient donc une région du Danube. La majeure partie de ces initiatives prennent par politique de l’UE à l’égard des Balkans occidentaux destinée à faci- ailleurs en compte la Moldavie et l’Ukraine. liter un alignement progressif de ces pays sur l’UE en vue de leur adhésion définitive. Cette perspective incite ces pays à réellement Le dialogue politique et économique entre l’UE et les pays en entreprendre des réformes politiques, économiques et sociales. En phase de préadhésion dont les résultats font partie des négociations Bilan contrepartie, grâce au PSA, les États participants sont en mesure de d’adhésion, ainsi que la participation à des programmes, des bénéficier d’aides financières, d’une assistance technique ainsi que agences et des comités de l’UE sont autant d’autres éléments du d’un libre accès au marché unique européen. Les éléments du PSA PSA. destinés à les aider à concrétiser leurs objectifs englobent la stra- Le Processus D’élargissement. Turquie, Croatie, Ancienne Répu- tégie de préadhésion : blique yougoslave de Macédoine, Monténégro, Islande. Tout au long du développement de la stratégie de préadhésion, les candidats • L’accord de stabilisation et d’association (ASA). Le PSA entre potentiels disposés à respecter les critères de Copenhague (État dé- Med.2011 l’UE et un pays déterminé est officialisé par le biais de l’ASA, visant mocratique de droit, économie de marché libre et capacité à intégrer une stabilisation et une transition accélérée du pays vers une écono- l’acquis communautaire) peuvent soumettre leur demande d’adhé- mie de marché, un renforcement de la coopération régionale et l’ad- sion au Conseil européen. Après un avis préalable favorable de la hésion à l’UE en elle-même. Une fois signé, l’ASA doit être ratifié par Commission, l’octroi au pays en question du statut de candidat offi- les institutions européennes, par chaque État membre ainsi que par le ciel par le Conseil européen, à l’unanimité des voix, marque le début pays concerné. Lorsque l’ASA est en cours de ratification, les rela- des négociations d’adhésion, lesquelles se concluent – après une tions commerciales avec le pays visé par l’accord sont régies par un phase d’examen analytique, puis de suivi et de contrôle –, par la ASA intérimaire sur le commerce. clôture définitive des 35 chapitres (un par domaine politique) repris 231 • Partenariat pour l’adhésion (PA). Approuvé à la majorité qualifiée dans le PNAA. La conclusion des négociations conduit à la signature du par le Conseil européen, sur proposition de la Commission, il déve- Traité d’adhésion. Une fois ratifié par le pays candidat et tous les loppe l’ASA en établissant le cadre de coopération économique, fi- États membres de l’UE, ce dernier entre en vigueur, le pays candidat nancière et technique fournissant l’aide dont le pays a besoin pour devenant alors un État membre de l’Union. Dans l’intervalle qui sépare mettre en œuvre des réformes figurant dans l’ASA. Ainsi, le PA stipule la signature de la ratification finale du Traité, le pays est qualifié d’État les domaines prioritaires nécessitant des réformes et donne des adhérent. lignes directrices pour l’aide financière, de même que les principes et conditions qui entourent le partenariat. À cet égard, le PA englobe les Sources programmes nationaux pour l’adoption de l’acquis (PNAA). Pour financer ces réformes, il y a l’Instrument d’aide de préadhé- Commission européenne, DG Élargissement, www.ec.europa.eu/enlar sion (IAP), lequel devient, le 1er janvier 2007, un seul et unique mé- gement canisme financier remplaçant les différents instruments antérieurs (le Union européenne, http://europa.eu/legislation_summaries/enlarge programme CARDS, l’instrument de préadhésion pour la Turquie et ment/index_fr.htm les programmes PHARE, ISPA et SAPARD). Pour 2007-2013, l’IAP Union européenne, http://europa.eu/legislation_summaries/enlarge est doté de 11,5 milliards d’euros destinés à financer les cinq volets : ment/western_balkans/index_fr.htm aide à la transition et développement institutionnel, coopération trans- Délégations de l’UE en Croatie www.delhrv.ec.europa.eu/?lang= frontalière, développement régional, développement des ressources en&content=62, ARYM www.delmkd.ec.europa.eu/en/bilateral-rela humaines et développement rural. tions/history-of-relations.htm, Monténégro www.delmne.ec.europa.eu/ • Coopération régionale. S’agissant d’un élément fondamental du code/navigate.php?Id=56, Turquie www.avrupa.info.tr/AB_ve_Turkiye, PSA, plusieurs initiatives de coopération régionale bénéficient d’un Ab_Ve_Turkiye.html, Serbie www.europa.rs/en/srbijaIEu/politicki_eko appui de l’UE à travers l’IAP (430 millions d’euros entre 2007 et nomski_odnosi/proces_stabilizacije_pridruzivanja.html, Albanie http:// 2010). D’une part, le processus de coopération en Europe du eeas.europa.eu/delegations/albania/eu_albania/political_relations/in Sud-Est, dont le Conseil de coopération régionale est l’organe dex_en.htm, Bosnie et Herzégovine www.delbih.ec.europa.eu/?akcija= opérationnel depuis 2008, couvre les initiatives de coopération régio- clanak&CID=16&jezik=2&LID=31. nale ; d’autre part, une série d’accords et d’initiatives sectorielles fa- vorisent une intégration régionale progressive entre les pays en phase de préadhésion et avec l’UE. Parmi ceux-ci, citons l’Accord de libre- (TSVP)
LE PROCESSUS D’ÉLARGISSEMENT, LA POLITIQUE DE L’UE À L’ÉGARD DES BALKANS OCCIDENTAUX (suite) Entrée en Signature Rapport Le Conseil vigueur de La CE de l’ASA favorable de accorde le l’ASA recommande Début des intérimaire la CE à la statut de Entrée en intérimaire d’engager les négocia- Fin des Signature sur le Demande candidature candidat vigueur de sur le négociations tions négocia- PAYS de l’ASA¹ commerce d’adhésion à l’adhésion officiel l’ASA commerce d’adhésion d’adhésion tions Croatie 29/10/2001 29/10/2001 21/02/2003 20/04/2004 18/06/2004 01/02/2005 01/01/2002 06/11/2004 03/10/2005² Prévu pour juin 2011 Ancienne 09/04/2001 09/04/2001 22/03/2004 09/11/2005 16/12/2005 01/04/2004 01/06/2001 14/10/2009 Non République engagées³ - yougoslave de Macédoine Monténégro 15/10/20074 15/10/2007 15/12/2008 09/11/2010 17/12/2010 01/05/2010 01/01/2008 - - - Turquie 12/09/1963 23/11/1970 14/04/1987 13/10/1999 11/12/1999 01/12/1964 01/01/19735 06/10/2004 17/12/2004 - Bilan Serbie 29/04/20084,6,7 29/04/2008 22/12/2009 - - En cours de 01/02/2010 - - - ratification Albanie 12/06/2006 12/06/2006 28/04/2009 - - 01/04/2009 01/12/2006 - - - Bosnie et 16/06/2008 16/06/2008 - - - En cours de 01/07/2008 - - - Herzégovine ratification ¹ ASA : accord de stabilisation et d’association. ² Dans un premier temps, les négociations d’adhésion avec la Croatie devaient être entamées le 17 mars 2005, mais le processus est resté en suspens jusqu’à ce que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougos- Med.2011 lavie (TPIY) rende un avis favorable, le 3 octobre 2005. ³ Avec le veto de la Grèce dans l’attente d’une issue satisfaisante au différend sur la dénomination officielle de l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, les négociations d’adhésion sont en suspens. 4 Le Monténégro a déclaré son indépendance vis-à-vis de la fédération qu’il formait avec la Serbie le 3 juin 2006. L’UE avait préalablement engagé des négociations avec la Serbie-Monténégro pour un ASA en octobre 2005, interrompues le 3 mai 2006 en raison d’un manque de coopération de Belgrade dans le cadre des investigations du TPIY. 5 L’ASA signé entre la Communauté économique européenne et la Turquie, connu comme étant l’accord d’Ankara, définit trois phases prolongées en vue de son déploiement complet : la phase préparatoire (1964- 1970), la phase de transition (1973-1995) et la phase de finalisation (à partir de 1996 et jusqu’à l’intégration économique à part entière de la Turquie dans l’UE). Afin de respecter la phase de transition, le 23 no- vembre 1970, la Turquie et l’UE ont adopté un protocole additionnel en vue de l’élimination complète des droits de douane mutuels, entré en vigueur le 1er janvier 1973. Par la suite et pour se conformer à la phase de finalisation, l’Accord d’union douanière a été signé le 22 décembre 1995 et est entré en vigueur le 1er janvier 1996. 6 L’ASA et l’ASA intérimaire sur le commerce avec la Serbie ont été suspendus le 15 septembre 2008 et jusqu’au 7 décembre 2009 compte tenu du veto des Pays-Bas qui exigeaient des preuves plus évidentes de coopération avec le TPIY. 7 Dans le cas du Kosovo et en vertu de la spécificité de sa situation au titre de la résolution 1244 de l’ONU, le mécanisme de suivi du processus de stabilisation et d’association a été mis en branle le 6 novembre 2002. 232 nuels moyens par habitant d’environ 2 000 euros et ritions, de trafic d’organes, de corruption et de collu- quelques 37 % de la population vivant dans la pau- sion auxquels se seraient livrés des groupes liés au vreté. Compte tenu des dizaines de milliers de crime organisé et des milieux politiques au Kosovo », jeunes arrivant sur le marché du travail chaque an- l’une des attaques les plus dommageables n’est née, le Kosovo est confronté à une dynamique so- autre que l’affirmation de Marty selon laquelle « les cio-économique difficile. Bien que regorgeant de organisations internationales en place au Kosovo ressources naturelles, telles que le plomb, le lignite ont privilégié une approche politique pragmatique, et le cuivre, l’exploitation de ces réserves exigera estimant devoir favoriser à tout prix la stabilité à court des investissements massifs dans les nouvelles terme et sacrifiant ainsi d’importants principes de technologies de même que les infrastructures de justice ». Les allégations selon lesquelles les intérêts transport, en particulier pour mettre fin aux coupures liés à la stabilité passent avant ceux de la justice ont de courant quotidiennes qui handicapent la produc- entamé davantage le discours humanitaire servant tion industrielle. souvent d’excuse pour justifier l’indépendance du La stature internationale du Kosovo a encore été fra- Kosovo. gilisée davantage par un rapport du rapporteur spé- cial du Conseil de l’Europe, Dick Marty, intitulé « Le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite Les négociations Serbie-Kosovo – une issue d’organes humains au Kosovo », adopté fin janvier à l’impasse ? par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Eu- rope. Le rapport de M. Marty porte plusieurs alléga- Le souhait de la Serbie d’une décision de la CIJ tions graves à l’encontre d’Hashim Thaçi, l’actuel ayant temporairement déplacé la problématique de Premier ministre du Kosovo et ancien chef de parti l’arène politique à l’arène juridique, la question du politique de l’ALK. Outre les accusations de « dispa- statut du Kosovo, à présent que la CIJ a arrêté sa
décision, relève définitivement à nouveau de la poli- permettant des concessions souvent litigieuses et tique internationale et intérieure. Bien qu’elle ait difficiles, alors que, d’un autre côté, des points d’in- dans un premier temps déposé un projet de résolu- terrogation subsistent quant au nouveau gouverne- tion devant l’Assemblée générale des Nations unies ment de coalition récemment constitué. Les bons stipulant qu’une sécession unilatérale n’est pas une résultats de Vetvendojsije (« Autodétermination ») solution acceptable pour résoudre les différends lors des récentes élections au Kosovo suggèrent un territoriaux et prôné un dialogue afin de dégager glissement vers un nationalisme plus assertif, de na- des solutions mutuellement acceptables pour ture à permettre d’aller de l’avant au niveau de l’uni- « toutes les questions en suspens », la Serbie a ac- fication de l’Albanie et du Kosovo. Par ailleurs, l’en- cepté un compromis portant sur une résolution sou- gouement pour la poursuite de l’élargissement tenue par l’UE qui a ouvert la voie à un dialogue continue de diminuer à travers l’Europe, les pays entre Belgrade et Pristina. Après les retards occa- étant préoccupés par leurs propres problèmes éco- sionnés par les élections anticipées au Kosovo vers nomiques et faisant montre de scepticisme quant à Bilan la fin 2010 et les négociations de coalition ulté- la capacité de l’Union à absorber de nouveaux rieures, la Serbie et le Kosovo se sont finalement membres. La dynamique des négociations elles- assis à la table des négociations en mars 2011. mêmes continuera donc à être dictée dans une Elles étaient dirigées, dans le camp serbe, par Bo- large mesure par des facteurs nationaux et exté- rislav Stefanovic, directeur politique au ministère rieurs, compliquant davantage les initiatives visant à des affaires étrangères, et, pour le Kosovo, par Edi- obtenir des compromis des deux parties. Med.2011 ta Tahiri, la vice-Première ministre. Robert Cooper, conseiller spécial au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) préside les négociations, témoi- S’entendre sur le nord, une condition sine gnant ainsi de la détermination de l’UE à prendre les qua non d’un règlement durable choses en mains afin de trouver une solution du- rable à l’un des problèmes les plus intransigeants Alors que le gouvernement du Kosovo, soutenu des Balkans occidentaux et de démontrer l’attrait par ses bailleurs internationaux, martèle que les 233 d’une éventuelle adhésion à l’UE. questions relatives au statut ne souffrent aucune La phase initiale des négociations consiste à appor- discussion, l’avenir du nord du Kosovo, majoritai- ter des solutions aux problèmes techniques – tels rement serbe, où les institutions de Pristina ont que les approvisionnements en électricité, les télé- peu d’influence, reste contesté. Les concessions communications, les immatriculations de véhicules concernant le nord pourraient ouvrir la voie à un ainsi que l’accès à l’espace aérien – susceptibles compromis plus vaste sur la question du statut du d’améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la Kosovo. Alors que les idées d’une scission ou population, tout en mettant de côté les questions d’un échange de territoires - dans le cadre du- relatives au statut. Toutefois, comme le montrent quel le Kosovo céderait le nord en échange de la plusieurs exemples, et plus particulièrement celui partie à dominance albanaise du sud de la Serbie des timbres douaniers de la République du Kosovo (généralement dénommée localement « la Vallée que la Serbie refuse de reconnaître – les problèmes du Presevo ») – sont souvent considérées comme techniques ont souvent une connotation de statut la solution la plus simple, toute nouvelle modifica- très distincte. En sa qualité de médiateur principal, tion des frontières aux Balkans basée sur des le défi pour l’UE consiste à déterminer comment préceptes ethniques aurait des ramifications pour continuer à aller de l’avant dans le cadre des négo- la Bosnie et Herzégovine ainsi que l’ancienne Ré- ciations avec des signes de progrès et des résultats publique yougoslave de Macédoine (ARYM). Une tangibles, sans que le spectre imminent des pro- autre proposition plaide pour une plus grande au- blèmes liés au statut – en particulier ceux liés au tonomie pour le nord. Les éléments de base de nord du Kosovo et au statut des monastères ortho- cette proposition se retrouvent à la fois dans le doxes au sein du Kosovo – n’empêche toute possi- plan d’Ahtisaari et le plan en six points du secré- bilité de dégager un accord sur plusieurs fronts. taire général Ban Ki-moon qui insiste sur des me- D’autres problèmes se posent. La Serbie va tenir sures pragmatiques en rapport avec le contrôle, des élections générales en 2012 qui vont res- le régime douanier, la justice et les infrastruc- treindre davantage la marge de manœuvre politique tures, en plus d’une autonomie locale dans les
domaines de l’éducation et de la culture, et des vention ultime de l’OTAN ainsi que de plusieurs institutions spéciales pour Mitrovica (dont l’uni- années de mise sous tutelle des Nations unies. versité et l’hôpital). Néanmoins, ces insistances répétées n’ont pas empêché d’autres mouvements sécessionnistes d’évoquer l’exemple du Kosovo pour motiver ou lé- S’agissant du nord du Kosovo, un gitimer leurs propres revendications spécifiques. partage de la souveraineté Des groupes ethno-nationaux ont cherché à dé- fendre le précédent international que le Kosovo a pourrait constituer la base la plus créé à leurs yeux. En effet, nombreux sont ceux qui saine en vue d’un accord durable ont considéré que l’arrêt de la CIJ constituait une entre le Kosovo et la Serbie victoire dans leurs cas respectifs. Les mouvements sécessionnistes au sein et en dehors des frontières de l’UE continuent de faire valoir que le Kosovo est Bilan Toutefois, considérer le nord comme un ‘condo un modèle pour leurs causes respectives. minium’ – « un territoire politique (État ou zone Le Caucase – une région d’une importance straté- frontalière) au sein ou à propos duquel deux puis- gique croissante pour l’UE – a connu une forte ins- sances souveraines ou plus conviennent officielle- tabilité depuis. La décision de la Russie de recon- ment de partager un dominium à parts égales naître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de (dans le sens de la souveraineté) et d’exercer l’Abkhazie en août 2009 a témoigné de l’incapacité Med.2011 conjointement leurs droits, sans le diviser en “zo de l’Occident à définir ce qui constitue ou non un nes nationales” » – constitue une solution plus in- précédent. Privé de tout poids juridique et diplo novante passant par le partage de la souveraineté matique, l’OTAN n’a rien pu faire pour empêcher sur le territoire contesté. Le cadre juridique et po- l’indépendance de facto de ces deux régions sé- litique spécial du district de Brcko en Bosnie et cessionnistes. Entre-temps, les Arméniens et les Herzégovine est une illustration d’un tel accord au Azerbaïdjanais se sont disputés le territoire contes- niveau régional. Étant une unité administrative au- té du Haut-Karabakh, alors que la province mol- 234 tonome, les pouvoirs de ce district en matière de dave de Transnistrie a demandé la reconnaissance gouvernance découlent des deux entités du pays, de son indépendance à l’échelon international. la Republika Srpska et la Fédération, le district ap- Dans le cadre de l’effondrement violent de l’an- partenant simultanément aux deux et sa population cienne Union soviétique et de ses propres conflits étant composée de citoyens des deux entités. Le ethno-nationaux gelés, le précédent du Kosovo a district de Brcko – comptant une assemblée, une donc immédiatement pris forme. administration, des forces de l’ordre et un pouvoir Le cas du Kosovo pourrait avoir des répercussions judiciaire qui lui sont propres – a été salué comme profondes pour les missions de maintien de la paix étant une innovation institutionnelle qui lutte avec des Nations unies dans le monde. Évoquant les succès pour un territoire stratégiquement impor- pays dont il est nécessaire d’obtenir l’assentiment tant et contesté. S’agissant du nord du Kosovo, un pour tout déploiement des Nations unies, Andreas partage de la souveraineté pourrait constituer la Zimmermann, professeur de droit international à base la plus saine en vue d’un accord durable l’Université de Postdam, a formulé la mise en garde entre le Kosovo et la Serbie. suivante : « Si ces pays, forts de l’expérience du Kosovo, devaient conclure que l’arrivée de forces de maintien de la paix constitue la première étape Le précédent du Kosovo ? de la sécession d’une région en crise en quête d’indépendance, cela engendrerait un dangereux Les partisans de l’indépendance du Kosovo ont précédent ». Les craintes de Zimmermann sont longtemps insisté sur le fait qu’elle constitue un cas telles qu’il a décrit la procédure actuellement en sui generis sans précédent pour les autres diffé- cours devant la CIJ comme de « la plus haute im- rends de même nature. Cette issue inévitable dé- portance pour le fonctionnement du système glo- coule du contexte unique engendré par la chute de bal des Nations unies et sa capacité à préserver et l’ex-Yougoslavie, des atrocités qui ont été perpé- à restaurer la paix ainsi que la sécurité internatio- trées dans le cadre de son morcellement, de l’inter- nales ».
Conclusions de fabrique de l’Europe elle-même. À défaut, la po- sition internationale du Kosovo sera figée et les Bal- La position internationale du Kosovo au lendemain kans occidentaux risqueront d’être exposés à une de l’avis consultatif de la CIJ souffre des divisions plus grande instabilité. La capacité du Kosovo à sur- dommageables au sein de l’UE de même que des monter les obstacles entravant son intégration ré- inquiétudes à l’échelle internationale quant au pré- gionale, européenne et internationale dictera donc la cédent que le cas du Kosovo est susceptible de mesure dans laquelle le Kosovo constituera un pré- constituer non seulement pour d’autres mouvement cédent. sécessionnistes mais également pour des missions de maintien de la paix des Nations unies et la réso- lution de conflits de manière plus large. Le Kosovo Références doit lui aussi répondre à plusieurs questions quant à sa viabilité économique et son engagement à dé- Bancroft, Ian, A dark cloud hangs over Kosovo, Bilan fendre l’État de droit. Afin de surmonter ces obs- UN Global Experts 2011, disponible à l’adresse tacles, il devra impliquer la Serbie dans un proces- suivante : www.theglobalexperts.org/comment- sus de dialogue et de négociation qui peut analysis/dark-cloud-hangs-kosovo. déboucher sur un accord durable qui, en fin de Bancroft, Ian et Gallucci, Gerard, Crafting A compte, rendra possible un processus grâce au- Special Status For Northern Kosovo, 2010, quel les deux camps pourront progresser sur la voie disponible à l’adresse suivante : www.rferl.org/ Med.2011 de l’adhésion à l’UE. content/Crafting_A_Special_Status_For_Nor thern_Kosovo/2148191.html. Cour internationale de Justice, Conformité au droit La capacité du Kosovo à international de la déclaration unilatérale d’indé- surmonter les obstacles entravant pendance relative au Kosovo, 2008, disponible à l’adresse suivante : www.icj-cij.org/docket/ son intégration régionale, files/141/15988.pdf. 235 européenne et internationale Cour internationale de Justice, Opinion dissidente dictera donc la mesure dans de M. le juge Bennouna, 2008, disponible à laquelle le Kosovo constituera un l’adresse suivante : www.icj-cij.org/docket/files/ 141/16000.pdf. précédent Marty, Dick (2010), Le traitement inhumain de per- sonnes et le trafic illicite d’organes humains au Cela constitue un incitant clé potentiel pour un com- Kosovo, Commission des questions juridiques promis et des concessions dans la région. Il reste et des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, primordial de résoudre la question du nord du Ko- 2010, disponible à l’adresse suivante : http:// sovo à cet égard. Pour ce faire, il conviendra de re- assembly.coe.int/CommitteeDocs/ courir à des solutions innovantes en matière de sou- 2010/20101218_fjdoc462010provamended. veraineté et d’autonomie qui sont devenue la marque pdf.
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