La privatisation en Europe de l'Est : problèmes, méthodes et réalités - Epsilon (Insee)
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Monsieur Norbert Holcblat La privatisation en Europe de l'Est : problèmes, méthodes et réalités In: Economie et statistique, N°279-280, 1994. Ouvertures à l'Est et au Sud. pp. 101-120. Citer ce document / Cite this document : Holcblat Norbert. La privatisation en Europe de l'Est : problèmes, méthodes et réalités. In: Economie et statistique, N°279-280, 1994. Ouvertures à l'Est et au Sud. pp. 101-120. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1994_num_279_1_5919
Resumen La privatizaciôn en Europa oriental : problemas, métodos y realidades La transformaciôn del regimen de propiedad de las empresas es uno de los elementos fondamentales de la transiciôn de Europa oriental hacia la economia de mercado. La privatizaciôn pasa por el desarrollo de un nuevo sector privado y la cesiôn de las empresas pûblicas. La privatizaciôn de la economfa es mâs avanzada en Polonia, Hungrfa y en la Repûblica checa. Progresa en los demâs pafses de Europa central y oriental y, con ciertas particularidades, en Rusia. El desarrollo y las formas de los procesos de privatizaciôn dependen estrechamente del contexto social y politico. La insuficiencia del ahorro interior tuvo como consecuencia el otorgarles un papel fundamental a las inversiones extranjeras en la privatizaciôn de las grandes empresas pûblicas o impulsé la puesta en aplicaciôn de unos programas de "privatizaciôn masiva". Las incertidumbres sobre las consecuencias de las privatizaciones sobre el tejido industrial resultan especialmente grandes en aquellos pai'ses que aplicaron la privatizaciôn masiva y sobre todo en Rusia, donde sus modalidades privilegian a los asalariados y directivos ya en puesto. Résumé La privatisation en Europe de l'Est : problèmes, méthodes et réalités La transformation du régime de propriété des entreprises est un des éléments fondamentaux de la transition de l'Europe de l'Est vers l'économie capitaliste de marché. La privatisation passe par le développement d'un nouveau secteur privé et la cession des entreprises publiques. La privatisation de l'économie est la plus avancée en Pologne, Hongrie et en République tchèque. Elle progresse dans les autres pays d'Europe centrale et orientale et, avec des aspects spécifiques, en Russie. Le déroulement et les formes des processus de privatisation sont largement dépendants du contexte social et politique. L'insuffisance de l'épargne intérieure a abouti, soit à donner un rôle essentiel aux investissements étrangers dans la privatisation des grandes entreprises publiques, soit à la mise en œuvre de programmes de « privatisation de masse ». Les incertitudes quant aux effets des privatisations sur le tissu industriel sont particulièrement fortes dans les pays qui ont recouru à la privatisation de masse, et surtout en Russie, où les modalités retenues privilégient les salariés et les dirigeants en place. Abstract Privatization in Eastern Europe: Problems, Methods and Realities The changeover from the system of State-owned companies is one of the principal elements of Eastern Europe's transition to a free-market economy. Privatization is being accomplished with the development of a new private sector and the selling off of public enterprises. Economic privatization is most advanced in Poland, Hungary and the Czech Republic. Progress is also being made in the other Central and East European countries as well as in Russia, albeit in a different manner. The choice of the type and way in which privatization is implemented depends to a great extent on the social and political context. The lack of domestic savings has conferred a primary role on foreign investment in the privatization of leading public enterprises or has led to the implementation of "mass privatization" programmes. Uncertainty over how privatization will affect the industrial fabric is particularly high in the countries that have chosen mass privatization, especially in Russia where the methods favour existing employees and managers. Zusammenfassung Die Privatisierung in Osteuropa: Problème, Verfahren und Realitâten Die Umwandlung des Systems des Unternehmens- eigentums ist eines der grundlegenden Elemente beim Ùbergang der osteuropâischen Lànder zur Markt- wirtschaft. Die Privatisierung setzt die Entwicklung eines neuen Privatsektors und die Abtretung der ôffentlichen Untemehmen voraus. politischen Kontext ab. Das unzureichende Sparvolumen in diesen Lândern fùhrte dazu, daB den
auslandischen Investitionen bei der Privatisierung der groBen ôffentlichen Untemehmen eine wesentliche Rolle zukommt, oder hatte die Einleitung von Programmen zur "Massen- privatisierung" zur Folge. Die Privatisierung der Wirtschaft ist in Polen, Ungam und in der Tschechischen Republik am fortgeschrittensten. Voran kommt sie auch in den anderen mittel- und osteuropâischen Làndern sowie, unter bestimmten Aspekten, in RuBland. Der Ablauf und die verschiedenen Prozesse der Privatisierung hàngen weitgehend vom sozialen und Die Unsicherheiten hinsichtlich der Auswirkungen der Privatisierungen auf das Industriegeflecht sind in den Lândern besonders stark, die sich fur die Massenprivati- sierung entschieden haben, vor allem in RuBland, wo deren Durchfùhrungsmodalitâten die Arbeitnehmer und die amtierenden Leiter bevorzugen.
INTERNATIONAL La privatisation en Europe de l'Est : problèmes, méthodes et réalités Holcblat * Norbert La transformation du régime de propriété des entreprises est un des éléments fondamentaux de la transition de l'Europe de l'Est vers l'économie de marché. La privatisation passe par le développement d'un nouveau secteur privé et la cession des entreprises publiques. La privatisation de l'économie est la plus avancée en Pologne, Hongrie et en République tchèque. Elle progresse dans les autres pays d'Europe centrale et orientale et, avec des aspects spécifiques, en Russie. Le déroulement et les formes des processus de privatisation sont largement dépendants du contexte social et politique. L'insuffisance de l'épargne intérieure a abouti, soit à donner un rôle essentiel aux investissements étrangers dans la privatisation des grandes entreprises publiques, soit à la mise en œuvre de programmes de « privatisation de masse ». Les incertitudes quant aux effets des privatisations sur le tissu industriel sont particulièrement fortes dans les pays qui ont recouru à la privatisation de masse, et surtout en Russie, où les modalités retenues privilégient, dans un premier temps, les salariés et les dirigeants en place. * Norbert Holcblat La période écoulée depuis le début des an plus révolutionnaire - ou plutôt contre-révo fait partie du bureau nées quatre-vingt a été marquée par une lutionnaire- du gouvernement russe ». Car la Europe de la direc accélération des processus de privatisation privatisation de masse est la différence entre tionde la Prévision. dans les diverses régions du monde. Pour la réforme économique et la révolution... Son éclairant qu'il soit sur les transformations des objectif n'est pas seulement de créer une éco modes de régulation économique et sur le re nomie nouvelle et plus compétitive. C'est de trait de l'État de la sphère productive, le const créer de nouvelles classes, de nouvelles att atglobal peut cependant conduire à gommer itudes et de nouvelles relations entre le gou la spécificité des privatisations dans les écono vernement et les gouvernés » (Wolf, 1992). mies« de type soviétique ». La privatisation à l'Est a une dimension sys- témïque : crest un élément déterminant du L'enjeu des privatisations à l'Est est plus gé processus de transition vers des économies néral et plus décisif que partout ailleurs. capitalistes de marché. Ce contexte particul Les noms et dates entre L'objectif de la privatisation en Russie a pu ier a eu pour conséquence dans beaucoup de parenthèses renvoient à la bibliographie en fin être résumé par les phrases suivantes : « Pri pays de la zone des modalités spécifiques de d'article. vatiser l'économie russe est la politique la transfert des actifs publics. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10 101
Privatiser pour changer (Andreff, 1993) (1). Avec la crise du modèle et le système les réformes décentralisatrices de la dernière période, les pouvoirs des directions d'entre prise se sont d'ailleurs considérablement ren Le poids du secteur privé était réduit dans forcés. La situation est devenue encore plus les économies d'Europe de l'Est. La ges complexe dans les économies réformées (You tion des entreprises publiques (et des entrepri goslavie, Hongrie, Pologne) où un certain nomb ses qui avaient le statut théorique de re de pouvoirs sur les actifs avaient été coopératives) était étroitement contrôlée par juridiquement transférés aux dirigeants des en les autorités centrales et enserrée dans une pla treprises et à l'ensemble du personnel. nification imperative, élaborée par ces mêmes autorités. La combinaison de ces deux él Les unités territoriales décentralisées elles auss éments conduisait à une étatisation de l'écono ipouvaient réclamer des droits, en particulier mie caractéristique du « modèle » mis en place dans les États fédéraux à partir du moment où en URSS à partir du début des années trente. l'autorité centrale s'affaiblissait. Rappelons enfin que, surtout dans les États issus de La part de la propriété privée est demeurée jus l'URSS, selon l'idéologie de référence du sys qu'en 1989 quasi nulle dans les pays restés les tème antérieur, autorités centrale et locales plus attachés au modèle soviétique. Les réfor n'étaient, en principe, que les gérants de la pro mesdécentralisatrices intervenues en Pologne priété sociale, ce qui peut fonder l'idée que les et surtout en Hongrie avaient, pour l'essentiel, travailleurs des entreprises voire l'ensemble éludé les problèmes de privatisation des entre des citoyens ont un droit sur l'appareil product prises existantes, sauf dans la toute dernière pé if. L'étatisation n'induit donc pas la simplicité riode. Le secteur privé jouait cependant un rôle (au moins de principe) de la privatisation plus important dans ces deux pays et sa part y comme transfert de la propriété d'un détenteur atteignait 15 % de la valeur ajoutée. En Polo unique qui détiendrait l'ensemble des droits à gne, l'importance du secteur privé résultait des détenteurs nombreux. avant tout de l'agriculture largement décollec- ti visée après 1956. En Hongrie, le secteur privé était plus largement diffusé dans l'ensemble Une privatisation quantitativement des activités. et qualitativement différente Par ailleurs, dans tous les pays de l'Est s'était L'étatisation de l'essentiel de l'économie a développée une économie « parallèle » dont pour conséquence que la privatisation en le poids était couramment évalué entre 10 % Europe de l'Est diffère des transferts d'entre et 15 % du produit total (Vanous, 1989). Ce prisesau secteur privé en Europe occident pendant, seule une partie de cette « seconde ale (et même dans le Tiers Monde) à la fois économie » peut être considérée comme corre quantitativement et qualitativement (Bôs, spondant à ce que serait un secteur privé légal 1993). La différence quantitative est évidente : dans les conditions d'une économie de marché. les privatisations en Europe de l'Ouest concer En effet, pour le reste il s'agit soit de « l'exploi nent une proportion, parfois significative mais tationdu secteur public dans des buts privés » somme toute restreinte du PIB. (Duchêne, 1989), et les profits réalisés dépen daient largement de cette situation, soit d'acti Mais la différence qualitative est aussi essent vitéségalement exercées « au noir » dans les ielle : elle tient au contexte et aussi à la nature pays capitalistes développés. des entités à privatiser. Les privatisations à l'Ouest de l'Europe (et aussi en Amérique la L'essentiel de la propriété était donc concentré tine) se déroulent dans un contexte qui est déjà entre les mains de l'État. Cela ne signifie pour celui de l'économie de marché : les droits de tantpas que la répartition et l'exercice concret propriété sont clairement définis, les agents dé des droits attachés à la propriété étaient unifor tiennent des avoirs suffisants pour acquérir les mes.Même dans le modèle soviétique classi actifs privatisés, l'évaluation de ces actifs peut que, si le « centre » était supposé définir l'orientation de l'ensemble de l'économie et, dans ce cadre, les conditions d'activité de tou 1. Ces pouvoirs des dirigeants d'entreprise sont généralement tes les unités économiques, les ministères sec envisagés sous l'angle des dysfonctionnements de la planification centralisée ; mais ils peuvent être également toriels et les directions d'entreprise disposaient appréhendés comme un problème de rapport entre « principal » de fait de certains pouvoirs sur les actifs d'État (détenteur de la propriété juridique) et « agent » (Cahuc, 1993). 102 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10
être faite sans trop de difficulté, des marchés f de la situation économique, le rôle des entrepri inanciers existent, etc. Ces éléments sont, pour ses industrielles d'État en matière sociale se une large part, inexistants dans les économies soit maintenu en Russie dans la période récente, en transition où les privatisations sont le signal voire se soit élargi, tant pour ce qui est de du changement de système. F appro visionnement des salariés que des ser vices médicaux, ce qui a au moins permis La nature des « entités » à privatiser est, elle en d'amortir les conséquences sociales des réfor core, bien différente. Dans les économies de mes(Lefèvre, 1993). marché, l'entreprise est couramment définie comme une institution produisant des biens ou des services en vue de leur vente. Sauf situation Un seuil critique de monopole, elle est contrainte par son env ironnement et par ailleurs est enserrée dans un Le mot « privatisation » est utilisé à propos réseau de règles (légales et contractuelles) en de l'Europe de l'Est dans au moins trois sens principe exécutables une fois définies. En ou différents. Du plus restreint au plus large on tre, l'entreprise ne se reconnaît généralement considère : d'autres fonctions sociales que celles qui dé coulent de son objet premier. L'« entreprise » - le transfert au secteur privé d'avoirs antérieu de l'Est s'opposait quasiment trait pour trait à rementpublics ; ces différents points. Tout d'abord, la valida tiondes biens produits se faisait en amont en - le développement des activités privées dans fonction des objectifs du Plan (Roland, 1989) : l'économie, ce qui recouvre le premier aspect le problème essentiel des entreprises était de mais aussi le développement de nouvelles en trouver les ressources en matières premières, treprises privées ; matériel et main-d'œuvre nécessaires pour y satisfaire. Comme l'écrit l'économiste hon - les deux premiers points impliquent grois Janos Kornai (1984) : « L'entreprise so l'idée du contrôle de la propriété par des cialiste traditionnelle est fondamentalement agents privés. Le terme « privatisation » contrainte par les ressources ». Kornai précise est parfois employé dans un sens beau aussi que « les contraintes budgétaires de l'en coup plus large : « le désengagement de treprise socialiste traditionnelle sont lâches » : l'État qui renonce à son influence directe si elle remplissait les objectifs du Plan, l'entre sur l'allocation des ressources en capi prisepouvait souvent discuter ses impôts, ses tal» (Commission des Nations-Unies conditions de crédit, ses modalités et ses condi pour l'Europe, 1991). Dans cette accept tions d'approvisionnement, etc. Son environ ion,la privatisation englobe aussi bien le nement était largement négociable, d'autant changement du statut juridique de l'entre que la taille moyenne des entreprises industriel prise(corporatization : transformation en les des économies de type soviétique excédait société commerciale) que la commerciali largement celle de leurs homologues occidental zation (définie comme la subordination es. Par ailleurs, la contrainte de ressources in de la gestion à un objectif de rentabilité), citait l'entreprise à remonter en amont du la cession par contrat de la gestion à des processus productif : pour limiter les risques de personnes privées et, enfin, la vente des ac ruptures d'approvisionnement, elle fabriquait tifs et le développement de nouvelles entre elle-même toute une série de biens ne ressortant prises. pas de son métier principal. Enfin, l'entreprise des économies de type soviétique exerçait, par Pour certains auteurs le transfert de propriété 2. Ces éléments, et no bien des aspects, une fonction sociale allant des actifs publics ne s'impose pas, au moins tamment le dernier, ont parfois amené à quasi bien au-delà de son rôle productif : comme comme priorité immédiate : « La privatisation ment nier le caractère l'entreprise du capitalisme paternaliste du peut simplement consister à dissocier la pro d'objets économiques XIXe siècle, elle assurait pour une part le l priété proprement dite de la plupart des droits des unités existant à l'Est et à les définir ogement, la protection sociale, voire le ravi de propriété » (van Brabant, 1991). Cette posi comme des « morceaux tail ement de ses salariés (2). tion est fondée sur deux points : le plus grand d'État » (Bomsel, 1993). scepticisme quant à la possibilité et aux effets Une telle vision paraît quelque peu extrême : Toutes ces caractéristiques constituent des obs d'un transfert rapide des grandes entreprises pour notre part, nous di tacles à la privatisation, notamment dans les étatiques à des agents privés et l'idée que l'on rions plutôt que le sys États issus de l'ex-URSS où elles ont perduré le peut élaborer des critères et des modalités de tème antérieur lègue des « usines » et non plus longtemps et de la façon la plus systémati gestion efficaces pour des actifs restés transi- des entreprises. que. Il semble même que, face à la détérioration toirement publics. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10 103
Encadré 1 PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE : QUELS LIENS ? Le postulat d'un lien entre efficience économique, public et performances économiques et sociales. En économie de marché et propriété privée appelle fait, le maintien d'un secteur public ne paraît dans deux séries de remarques : les premières concer son principe contradictoire ni avec le développement nentla solidité des fondements théoriques des liens de l'économie ni avec son efficacité. Il en résulte entre les trois éléments, les secondes les canaux de que l'argument d'efficacité ne peut être utilisé de transmission entre propriété privée et efficacité éco manière indiscriminée pour justifier les privatisations nomique. à l'Est. On oublie souvent que les relations entre les él Il convient aussi de ne pas schématiser les effets éments de la trilogie « efficience-marché-propriété » des privatisations. Leurs retombées apparaissent sont inégalement fondées sur le plan de la théorie clairement sur le plan de la flexibilisation de l'offre et économique. Le lien entre économie de marché et de la possibilité de l'ouverture du capital aux inves efficience est théoriquement le plus solidement étab tissements étrangers (avec les effets positifs qui en li. On constate cependant un certain nombre de sont espérés). Pour ce qui est de l'introduction de la limites ou de failles du marché : la théorie néo-clas concurrence, il convient de distinguer entre « pe sique peut rendre compte de certaines d'entre elles tite » et « grande » privatisation (Williamson, (les externalités négatives), mais son apport est 1993) : la privatisation des petites unités économi moins évident pour d'autres phénomènes et notam ques joue généralement en faveur du renforcement ment le fait que le marché, en principe intégrateur de la concurrence ; par contre, le changement des pour les individus et les nations, peut s'avérer en formes de propriété des grandes entreprises n'induit pratique nettement sélectif (1). pas mécaniquement un renforcement de la concur rence : il peut y avoir substitution de monopoles Par contre, le lien entre marché et propriété privée privés aux monopoles publics. En effet, la privatisa est théoriquement discutable : comme le souligne tion d'une entreprise est simultanément transfert D.M. Nuti « // est tentant de présumer qu'il ne peut d'une propriété et d'une présence sur le marché exister de marché sans propriété privée... Cette hy dans le contexte des pays de l'Est, le nouveau dé : pothèse, bien que non infirmée par l'expérience, tenteur de la propriété va avoir tendance à souhaiter demeure toutefois non démontrée sur le plan théori conserver la part de marché qui résulte de la situa que» (Nuti, 1991). Les modèles dissociant marché tion concurrentielle antérieure (faiblesse des et propriété privée ont pu être critiqués à partir de importations, forte concentration de l'industrie). En l'expérience passée (Kornai, 1990a), de critères Hongrie, on a vu ainsi des privatisations échouer du d'efficacité (Balcerowicz, 1990a et 1990b) ou d'une fait de l'accélération des pertes de parts de marché distinction entre conception instrumentale du mar par l'entreprise dans les mois précédant la privatisa ché et « véritable marché » (Klaus, 1990). tion et des investisseurs qui, auparavant en tant que Reprendre ici en détail les débats sur le « socia fournisseurs exigeaient la libéralisation des importa lisme de marché » et même sur « l'économie tions,se prononcer désormais pour leur limitation mixte » serait cependant hors sujet même si le rôle (Tôrôk, 1992). respectif de l'État et du marché, du secteur public et des entreprises privées reste largement indéterminé De même, certains raisonnements paraissent pé à l'issue du processus de transition. cher par abstraction quand ils relient trop étroitement privatisation et possibilité des faillites : Néanmoins, les problèmes de la gestion et de la les pressions et les contingences de toutes natures propriété ouvrières acquièrent une actualité nouvelle qui empêchent un gouvernement de mettre en dans la mesure où certaines des méthodes de pr faillite et de fermer une entreprise publique ne di ivatisation utilisées en Europe de l'Est (et plus sparaîtront pas si celle-ci est privatisée, du moins particulièrement en Russie) sont fondées sur la dis pour les entreprises de très grande taille. La mise tribution de parties du capital des entreprises aux en oeuvre d'une loi sur les faillites est un processus salariés. Enfin, l'existence de formes de propriétés partiellement disjoint de la privatisation. publiques dans le cadre d'« économies de marché » doit être prise en compte car la présence d'un sec teur public important restera sans doute une des caractéristiques des économies en transition pen structure 1. Pour les individus, l'explication peut être recherchée dans la dant encore une assez longue période. D'autant que venu des des dotations initiales et dans son incidence sur le re le fonctionnement du capitalisme en Europe occi conformément au(Lantner agents et Fauchard, 1992). Reste à savoir si, principe de l'individualisme méthodologique, dentale depuis la Seconde Guerre Mondiale montre ces dotations initiales résultent simplement d'actions individuel de nombreux cas où l'entreprise publique non seu les présentes ou passées (Guernen, 1991). Quanta la vérifica lement opère dans le cadre d'une économie de tionmalaisée de l'hypothèse de convergence entre les marché mais lui est largement fonctionnelle. Les économies nationales, sa cause peut se trouver : dans le déca analyses empiriques tendent à montrer que le sec lage entre les conditions de réalisation de l'équilibre et l'état réel teur privé ne peut faire l'objet d'une présomption de l'économie mondiale (notamment en raison des asymétries générale de plus grande efficacité, notamment dans entre les participants) ; dans la relation entre la croissance pré les secteurs où la pression de la concurrence est sente et les efforts passés (théorie de la croissance endogène (Yarrow, 1986). À un niveau plus global, il -capitalisme Boyer, 1993) ; ou bien dans le lien entre le développement du limtée comme système mondial et la hiérarchisation de paraît difficile parmi les pays de l'OCDE d'établir l'espace entre zones centrales et périphériques (Wallerstein, une corrélation négative entre ampleur du secteur 1987). 104 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10
Ce type d'argument s'exprime peu en Europe faiblement capitalistiques, si l'on excepte le cas de l'Est. Le transfert de l'essentiel de la pro des implantations étrangères, peu nombreuses priété des avoirs publics à des agents privés ap (au regard de la transformation globale à effec paraît généralement comme une composante de tuer) ou géographiquement concentrées. Dans la remise en cause de l'ancien système. La posi certains cas, le développement du nouveau sec tion de principe des dirigeants de ces pays, des teur privé s'accompagne de l'utilisation, voire principales forces politiques et des organisa du détournement, des facilités offertes par le tions économiques internationales qui les con secteur d'État : matériel, contacts, informat seillent est donc que la privatisation doit être la ions, etc. L'emploi dans le secteur public est plus large et la plus rapide possible. conservé le plus longtemps possible afin de continuer à bénéficier des garanties qu'il offre. La justification la plus courante est que la pri Ces pratiques paraissent particulièrement déve vatisation renforce l'efficience en modifiant les loppées en Russie. incitations des agents. D'autres auteurs adopt entune approche plus politique et mettent l'ac La « petite privatisation » (4) concerne des di cent sur la nécessité de créer une situation zaines de milliers d'entités économiques de irréversible et de rompre le lien entre les entre taille réduite, principalement dans le commerce prises et l'État : David Lipton et Jeffrey Sachs et l'artisanat. Dans la plupart des pays de la soulignent ainsi que les bénéfices économiques zone, elle est effectuée selon des programmes de la privatisation ne se révéleront qu'à long différents de ceux consacrés aux grandes entre terme (Lipton et Sachs, 1990). Cependant, cette prises. Les critères de distinction entre « uni divergence sur la temporalité des effets de la tés » relevant de la « petite » ou de la « grande » privatisation est secondaire et ne remet pas en privatisation peuvent différer selon les pays. Il cause le postulat du lien indissoluble entre eff peut s'agir de l'emploi, de la valeur des actifs icience économique, économie de marché et ou du type d'activité : en fonction du critère pri propriété privée posé par la plupart des auteurs vilégié, les chaînes de magasins peuvent ou non 3. On se reportera à (3). relever de la « petite » privatisation. l'encadré 1 pour une discussion de la validité de ce postulat. En fait, l'enjeu des privatisations est surtout Différentes techniques sont utilisées : mise aux d'ordre systémique : si l'objectif de la transi enchères, location-vente, etc. Le transfert de la tionest la mise en place d'une économie capita propriété des locaux commerciaux n'est pas listede marché, il faut que soit «franchi un obligatoire : soit parce que ceux-ci peuvent seuil critique de propriété privée au-delà du tomber sous le coup d'une demande de restitu quel l 'économie bascule dans une dynamique tion,soit parce que les collectivités locales à de rationalité privée » (Bouin et Coquet, 1991). qui la propriété des actifs immobiliers a été transférée ne veulent pas se séparer de biens dont la valeur potentielle est élevée et qui peu vent générer des revenus futurs. La Roumanie Petite et grande privatisation : et la Lituanie prévoient l'obligation de mainten débats et mises en œuvre ir la production ou les activités de service pen dant une période déterminée. Des dispositions spécifiques peuvent limiter la participation des L'élargissement du secteur privé dans les étrangers : ainsi la loi tchécoslovaque prévoit économies en transition peut donc passer que le premier tour des enchères est réservé aux soit par la création de nouvelles entreprises par nationaux. des agents privés soit par la cession des actifs publics, au sein de laquelle il faut dissocier Souvent, ce sont les anciens responsables qui « petite » et « grande » privatisation. reprennent l'unité privatisée. En 1992 en Russ ie, 60 % des ventes dans le cadre de la petite privatisation se sont faites avec comme ache Liberté d'entreprendre teurdes collectifs de salariés. Il ne faudrait ce et « petite privatisation » pendant pas en conclure que ce type d'opération se soldera toujours par un transfert La reconnaissance de la liberté d'entreprendre de la propriété à des groupes de salariés : dans a permis dans tous les pays de la zone la créa tion de nombreuses et nouvelles entreprises pri vées. Ce mouvement concerne avant tout des 4. Ce terme, d'abord apparu dans l'ex-Tchécoslovaquie, est unités d'importance limitée dans des activités maintenant largement utilisé. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10 105
bien des cas, ces collectifs de salariés sont f de la zone : sa solution dépend des choix du inancés par des « sponsors » privés (GKI, 1992 pouvoir politique mais aussi de sa capacité à - comité d'État chargé de la privatisation en exercer un contrôle sur les entreprises (et sur Russie), ce qui permet à ces investisseurs de bé leur direction). Tous les cas de figure sont néficier des conditions plus favorables offertes possibles entre la République tchèque, où les aux salariés. autorités maîtrisent largement toutes les coor données de la privatisation, et la Russie, où les La « petite privatisation » est déjà largement entreprises apparaissent désormais largement menée à bien en Pologne, Hongrie, en Républi soumises au pouvoir des « managers », des sa que tchèque et en Slovaquie. Elle semble égale lariés ou des autorités locales. ment en bonne voie en Roumanie et en Bulgarie et engagée dans les Pays Baltes ainsi qu'en De telles situations renforcent les possibilités Russie où 70 % des petites et moyennes entre de « privatisations spontanées », c'est-à-dire de prises auraient été privatisées fin 1993. Dans ce restructurations des actifs ou de privatisations pays, les données moyennes paraissent cepen décidées par les directions d'entreprises. Les dantdissimuler d'importantes disparités géo « privatisations spontanées » ont parfois été en graphiques. tachées par des pratiques contestables, comme le détournement de biens de l'entreprise ou de ses profits au moyen de sociétés privées créées La grande privatisation par les « managers ». Ceux-ci peuvent aussi et les conflits d'objectifs conclure des transactions avec un investisseur étranger : le maintien de la situation des dir Les difficultés se concentrent surtout sur la igeants est alors la contre-partie d'une prise de « grande privatisation », c'est-à-dire celle des contrôle de l'entreprise à des conditions favora grandes entreprise publiques industrielles et blespour l'investisseur. Les privatisations des banques. Ces difficultés expliquent la pr spontanées ont parfois été favorisées par les édominance maintenue du secteur d'État dans mesures de libéralisation du statut des entrepri l'industrie et le secteur bancaire, même dans les ses dans la dernière phase des régimes anté pays les plus avancés dans la réforme. rieurs. Ce fut notamment le cas en Hongrie et en Pologne. Les modalités du processus de privatisation ont fourni et fournissent matière à d'importantes Bien que les gouvernements tentent de les con controverses entre économistes et hommes po trôler ou de les interdire, leur développement litiques d'Europe de l'Est. Au-delà de l'objectif est cependant difficile à éviter en Russie du fait général - confondu avec la transformation sys- de la non-clarification des droits de propriété témique - d'amélioration de l'efficacité de (entre autorités fédérales, fédérées et locales) et l'appareil productif (cf. encadré 2), les gouver surtout de la crise d'autorité de l'État. En Bul nements peuvent poursuivre des objectifs inte garie, si le programme officiel de privatisation rmédiaires : la rapidité du processus, la piétine, diverses formes de «privatisation ca maximisation du produit de la privatisation, la chée et illégale » (Keremidtchiev, 1993) se sont sélection des nouveaux propriétaires, la préser développées de manière significative tant dans vation de l'emploi et des garanties en matière l'industrie que dans le secteur bancaire. d'investissement (Schwarz et Lopes, 1993). Ces différents objectifs peuvent difficilement Le débat sur ce thème a pour partie une dimen être atteints simultanément : des contraintes pe sionmorale et politique : les adversaires des sant sur les trois derniers auront tendance à ra privatisations spontanées les dénoncent comme lentir le processus. Par ailleurs, le souci des un mode de perpétuation des positions des an opinions publiques que le processus soit le plus ciens privilégiés du régime. Ce à quoi d'aucuns transparent et le plus équitable possible pèse font remarquer qu'il est inévitable qu'une part aussi sur les choix gouvernementaux (cf. enca iede la nouvelle classe dirigeante soit issue de dré3). l'ancienne bureaucratie et que les objections éthiques et politiques à cette reconversion sont quelque peu hors de saison dans une phase de Contrôler les « privatisations transition vers le capitalisme (Bauer, 1991). spontanées » Mais le problème a aussi des aspects plus direc Le problème du contrôle du processus de priva tement économiques dans la mesure où il y a un tisation a une grande acuité dans tous les pays lien évident entre le contrôle des opérations et 106 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10
Encadré 2 DES RESTRUCTURATIONS NECESSAIRES La privatisation demande plus de temps que l'on - Les entreprises de bonne qualité de taille interméd pouvait le penser à l'origine et, dans beaucoup de iaire(zone 3) sont assez facilement privatisables cas, les entreprises ne sont pas privatisables en par des techniques « classiques » : vente, reprise l'état. Dans pratiquement tous les pays de la zone par les salariés (MBO, EBO), location-vente.... mais des actions de restructuration des entreprises ont cela demandera plus de temps et d'effort donc été, à des degrés divers, mises en oeuvre : - Le recours à des dispositifs spécifiques (privatisation - restructuration financière avec notamment l'apur de masse, etc.) permet de privatiser d'autres entre ementdes dettes antérieures ; prises de moins bonne qualité (zone 4). - restructuration juridique, c'est-à-dire la transformat - Les entreprises dont la mauvaise qualité et l'absence ion en sociétés commerciales ; de perspectives sont évidentes sont en principe des - création d'unités économiques viables par démemb tinées à être fermées (zone 5). rement des structures antérieures : ceci recouvre - Diverses entreprises généralement de grande taille la séparation des activités non directement liées à peuvent être considérées comme « stratégiques » l'activité principale de l'entreprise et la démonopolis par les autorités politiques qui, d'une façon ou d'une ation. Les investisseurs sont en général favorables autre, organisent leur restructuration et leur avenir à un recentrage préalable de l'entreprise sur son act (zone 6). ivité principale mais leur point de vue sur la - Reste donc une zone « grise » composée pour part démonopolisation peut être plus réservé ; ie d'entreprises potentiellement viables (zone 7). - réorganisation interne des entreprises. Ces entreprises peuvent être considérées comme nécessitant une action temporaire de l'État avant leur future privatisation. Les modalités de ces actions peuvent différer. Cer taines n'ont qu'un objectif de court terme (stabilisation de l'entreprise pour assurer sa survie), Les frontières des zones n'ont qu'une valeur indicat d'autres s'apparentent à des stratégies de long ive.La superficie relative de la zone grise dans un terme (élaboration de plans de développement). On pays particulier est aussi fonction des spécificités peut aussi distinguer les stratégies « passives » de sa situation : dans certains pays, cette zone (instauration d'une contrainte budgétaire « dure », peut représenter la majeure partie de l'appareil pro exposition des entreprises à la concurrence et au ductif non-agricole (hormis les petites entreprises). risque de faillite) et les stratégies « actives » (pr Par ailleurs, diverses techniques de privatisation ogrammes de modification des structures et (notamment la privatisation de masse) peuvent per d'investissement). mettre d'en réduire la surface. Reste à savoir si elles permettent de la supprimer. La zone « grise » La responsabilité des organismes publics La facilité de privatisation d'une entreprise paraît fonction de deux critères : sa taille et sa « quali Le problème est de déterminer les aspects qui peu té». La situation des entreprises au regard de la vent (ou doivent) être assumés avant la privatisation peut ainsi être schématisée de la façon privatisation sous la responsabilité d'organismes suivante : publics. C'est bien évidemment la prise en charge des aspects de long terme qui suscite le plus de di f icultés doctrinales et pratiques. Bonne Le premier argument en faveur d'une restructurat ion pré-privatisation est souvent la nécessité de la démonopolisation de l'économie : l'accroissement d'efficience généré par la privatisation dépend des Qualité structures de marché qui se mettront en place et l'ouverture au commerce extérieur ne résout pas toujours les problèmes de concurrence. Le fait que, dans les pays de l'OCDE, les privatisations soient Mauvaise généralement accompagnées d'une restructuration Petite Taille Grande préalable de l'entreprise est utilisé comme argu ment pour montrer que l'État n'est pas par nature Source : d'après Sir Adam Ridley, Executive Director, Hambros inapte à de telles opérations. Le nombre d'entrepri Bank. ses à privatiser interdit cependant de le faire systématiquement dans les pays de l'Est, mais cela a un coût financier car la restructuration accroît le - Les entreprises les plus facilement privatisables prix de cession. Le dernier argument est celui de la sont les petites (zone 1) (dont le prix plus bas per situation de l'appareil productif des pays de l'Est : il met la cession aux nationaux dans le cadre de la existe un grand nombre d'entreprises que les gou « petite privatisation ») et les grandes de bonne vernements souhaitent privatiser mais pour qualité (zone 2) (qui attirent les investisseurs lesquelles il n'y a aucun candidat à la reprise (cf. la étrangers). zone « grise » évoquée plus haut). ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10 107
Ces arguments se heurtent souvent dans les pays la plus rapide possible des entreprises publiques et, de l'Est à des oppositions sous-tendues par une v s'il n'y a pas d'acheteur au prix initialement demand ision résolument négative de l'action publique dans é,il faut réduire celui-ci jusqu'à céder l'économie, tout au moins tant que l'essentiel de quasi-gratuitement les entreprises (ce qui implique celle-ci n'est pas privatisée. Notons en effet que la en fait de prendre le risque d'une cession à des transition économique à l'Est a abouti dans un pre acheteurs seulement intéressés par les terrains ou mier temps à placer les entreprises publiques dans les bâtiments possédés par l'entreprise et qui met une situation difficile, où les anciens critères de va tront fin à son activité le plus rapidement possible) lorisation des biens produits et de contrôle de la ou bien recourir à la privatisation de masse. combinaison productive ne fonctionnaient plus (avec la disparition de la planification) sans que pr En fait, on peut penser que, sauf succès et général édominent encore les critères du marché. isation des méthodes « tchéco-slovaque » et russe Aujourd'hui, au fur et à mesure de l'avancement des de privatisation par coupons, un secteur public im réformes, la validation des productions par le mar portant est destiné à subsister en Europe de l'Est, ché s'améliore, notamment en raison de l'ouverture au moins à moyen terme (d'autant qu'ont été parfois aux importations. Pour ce qui est de la contrainte définis des secteurs non ouverts à la privatisation, sur la combinaison productive, plusieurs cas sont au moins dans l'immédiat). La pire des situation possibles. Elle peut demeurer relâchée. Elle peut se serait sans doute celle où, au nom d'un refus de durcir pour des raisons diverses découlant non pas principe d'une action de l'État dans la sphère pro du jeu du marché ou des intentions du propriétaire ductive, le secteur public serait laissé livré à (la puissance publique) mais de données non maî lui-même dans une situation d'« agonie de pré trisées : rapports de force sociaux, relations privatisation ». Les États doivent-ils attendre personnelles entre dirigeants d'entreprises différen passivement que la privatisation et la « destruct tes, possibilités inégales d'accès au crédit, rapport ion créatrice » fassent leur œuvre et révèlent les de force de l'entreprise vis-à-vis du pouvoir polit avantages comparatifs des différents pays ? La ique... Il existe cependant des cas de réelle question de la nécessité et des instruments d'une amélioration de l'efficience des entreprises publiques politique industrielle paraît découler des réalités de comme le montre une étude sur 75 grandes entrepri la transition. ses industrielles polonaises (Hume et Pinto, 1993). Cette orientation se heurte parfois à des arguments D'autres arguments spécifiques à la zone sont parfois sur le risque de perpétuation de formes de gestion utilisés dans le même sens : ces arguments renvoient non efficientes. Les risques dénoncés ne sont pas soit à l'incapacité technique des appareils étatiques absents dans certains États mais, lorsqu'elles sont hérités du système antérieur, soit au développement généralisées, de telles positions paraissent souvent de la corruption, problème qui paraît particulièrement participer des illusions « spontanéistes » sur la aigu dans certaines des Républiques de la CEI. Dans transition et la construction de l'économie dite de cette optique, il n'y a pas d'issue hors la privatisation marché (Holcblat, 1993). les ressources que l'État peut espérer en tirer. hongroises : la proportion du capital étranger a En sens contraire, il a été souligné que le con atteint 80 % du total des recettes de privatisa trôle et la centralisation des opérations risquent tion en 1991, 55 % en 1992 et 66 % en 1993 (5). de ralentir exagérément les privatisations. Par Tout en se félicitant de cet apport d'investiss ailleurs, l'équité des opérations de privatisation ements extérieurs, les autorités hongroises se conduites par une instance publique dépend bien sont préoccupées en 1993 de la mise en place de évidemment de l'insensibilité de cette instance à modalités de crédit aptes à faciliter la participa la corruption et aux pressions de toute natures. tion des citoyens hongrois (6). Par ailleurs, des appréciations critiques ont commencé à être émises sur les retombées de l'investissement La part du capital étranger extérieur dans certains secteurs de l'économie : éviction des produits hongrois des chaînes Les investissement étrangers sont générale commerciales acquises par des investisseurs ment considérés comme indispensables à la pr étrangers, maintien des situations de monopol ivatisation. La nécessité d'un apport de es antérieures, etc. Il n'est pas exclu que des ressources extérieures, surtout si une privatisa problèmes analogues apparaissent à terme dans tion rapide est souhaitée, est tout d'abord liée à d'autres pays de la zone. En République tchè- la faiblesse de l'épargne nationale, estimée en tre 10 et 20 % des actifs à privatiser. Par ailleurs, l'investissement extérieur apparaît 5. La Hongrie a bénéficié de la moitié des investissements également comme une source de technologie et extérieurs réalisés en Europe centrale et orientale jusqu'à la fin de « management ». de l'année 1993. 6. L'avenir exact de ces dispositions est incertain dans la mesure où le gouvernementsocialiste-libéral en place depuis la mi- 1994 Le rôle du capital étranger s'est avéré décisif a décidé de mettre à nouveau l'accent sur la privatisation par dans la privatisation des grandes entreprises vente. 108 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10
Encadré 3 LES DROITS DES ANCIENS PROPRIETAIRES Le changement du contexte politique pose le pro rapidement une couche sociale intéressée au déve blème des droits des propriétaires des biens loppement de l'économie de marché. Outre des étatisés par le régime précédent. Cette question se arguments sur l'incapacité éventuelle des anciens pose en Europe centrale et orientale ainsi que dans propriétaires (ou de leurs héritiers) à gérer au les États baltes où la transformation de la propriété jourd'hui les biens expropriés il y a plusieurs remonte aux années quarante. Elle est moins év décennies (quand il s'agit d'entreprises ou de terres idente dans la CEI mais il n'est pas exclu qu'elle y agricoles), ses adversaires mettent l'accent sur le prenne une certaine acuité tout au moins dans fait que le budget de l'État se verra privé des re l'agriculture. s ources qui aurait pu être tirées de la vente des biens concernées. Par ailleurs, ils soulignent l'incer Les débats sur les restitutions ont plusieurs as titude que le droit à restitution (dès lors qu'il n'est pects. Le droit à réparation conceme-t-il l'ensemble pas strictement limité dans le temps ou bien qu'il y des anciens propriétaires ou bien seulement les a possibilité de contestation) fait peser sur le deven personnes physiques (les Églises pouvant consti irdes unités économiques. Cette menace latente tuerun cas particulier) ? Parmi les personnes serait, selon certains, de nature à décourager les physiques faut-il inclure les expatriés ? Ce droit repreneurs. doit-il être plafonné ? Quelle doivent être les dates à partir desquelles l'expropriation ouvre droit à r L'indemnisation des anciens propriétaires peut se éparation (ce qui pose notamment le problème des réaliser selon plusieurs modalités, elle a pour incon expropriations réalisées par les régimes autoritaires vénient son coût soit pour l'entreprise soit pour le et pro-allemands dans certains des pays de la zone budget de l'État. antérieurement à la « communisation ») ? Com ment doit-il s'exprimer : par la restitution ou bien Quelles qu'en soient les modalités, le droit à répa l'indemnisation ? Nous n'évoquerons que ce dernier ration peut ouvrir la porte à d'innombrables aspect qui a le plus d'incidences économiques. demandes de restitution ou de compensation : dans l'ex-RDA, 1,7 million de demandes ont été dépo Les partisans de la restitution mettent en avant le sées pour des biens immobiliers et près de 16 000 fait qu'il s'agit de la réparation la plus simple du pré pour des entreprises (Commission des Nations- judice subi et que cela permet de recréer Unies pour l'Europe, 1993). que, au premier semestre 1994, la privatisation doublerait naturellement de la mise en place de l'industrie du raffinage a donné lieu à un dé d'un marché financier. bat difficile et le gouvernement tchèque a fin alement décidé de rejeter l'offre de reprise faite Les opposants soulignent d'abord le risque de par des compagnies étrangères et de privilégier maintenir l'essentiel des anciens gestionnaires une solution nationale. sans changement de la structure des incitations et des risques et le fait que la propriété restera impersonnelle et les dirigeants irresponsables. Propriété institutionnelle ou classe d'entrepreneurs Janos Kornai (1990b) ajoute une critique beau coup plus fondamentale : il n'y a pas de capita La propriété institutionnelle correspond sur lisme sans vrais entrepreneurs privés et le tout à la mise en place d'un système de parti développement d'une telle couche sociale ne cipations croisées (Starck, 1990) : les actions peut se faire par décret mais ne peut que résulter émises par les entreprises d'État à l'occasion que d'un processus « organique » (« l'embour de la modification de leur statut sont achetées geoisement est un processus historique long ») par des banques, des compagnies d'assu qu'il est possible d'abréger par des mesures ap rance, voire d'autres entreprises, ou leur sont propriés mais dont on ne peut faire l'économie. remises en contre-partie de créances détenues Il convient donc de privatiser par extension sur les privatisées. Les tenants de ce système du secteur privé existant libéré de toutes les y voient la possibilité de privatiser rapide entraves à son développement et il faut, par mentles grandes entreprises* d'utiliser les ailleurs, renforcer le contrôle du pouvoir compétences des plus dynamiques des ges politique sur les dirigeants du secteur public tionnaires en place et finalement, de mettre pour lutter contre leur tendance à l'irrespon en place un système d'intégration entre entre sabilité et au gaspillage (tant que la logique prises et système financier analogue à celui du marché n'est pas réellement ancrée dans existant dans les pays de l'OCDE. Cela se l'économie). ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 279-280, 1994 - 9/10 109
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