LA SÉCURITÉ DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX - Projet de rapport révisé Raynell Andreychuk (Canada) Rapporteure - NATO Parliamentary Assembly
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COMMISSION POLITIQUE (PC) Sous-commission sur les partenariats de l'OTAN (PCNP) LA SÉCURITÉ DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX Projet de rapport révisé Raynell Andreychuk (Canada) Rapporteure 178 PCNP 18 F | Original : Anglais | 21 septembre 2018 Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission politique, il ne représente que le point de vue de la rapporteure.
TABLE DES MATIĖRES I. INTRODUCTION – LES BALKANS OCCIDENTAUX ET LA SÉCURITÉ EURO-ATLANTIQUE ................................................................................................... 1 II. DYNAMIQUE RÉGIONALE – L’HÉRITAGE DU DÉFI PASSÉ ET LES DÉFIS ACTUELS DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX ......................................................................... 1 A. ÉCONOMIE : ÉTAT DES LIEUX ........................................................................... 1 B. NATIONALISME ET DIFFÉRENDS BILATÉRAUX ................................................. 2 C. VERS PLUS DE COOPÉRATION RÉGIONALE ..................................................... 4 D. GOUVERNANCE ET ÉTAT DE DROIT ................................................................. 5 III. L'IMPACT D'UN ENVIRONNEMENT SÉCURITAIRE EN MUTATION SUR LES BALKANS OCCIDENTAUX .......................................................................................... 7 A. LA CHINE ET L'INITIATIVE « LA CEINTURE ET LA ROUTE » ............................... 7 B. RUSSIE : INFLUENCE HISTORIQUE, PRÉSENCE CONFLICTUELLE.................... 8 C. LES BALKANS OCCIDENTAUX ET LA CRISE DES RÉFUGIÉS ............................. 9 D. L'ISLAMISME, LA RADICALISATION ET LES COMBATTANTS ÉTRANGERS ...... 12 IV. LES BALKANS OCCIDENTAUX ET L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE .................. 13 A. RȎLE DE L'OTAN DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX : CONSOLIDATION DE LA PAIX ET ÉLARGISSEMENT .......................................................................... 13 B. L’UE : UN PARCOURS VERS L'ADHÉSION SEMÉ D’EMBÛCHES ....................... 14 V. CONCLUSION : L'OTAN ET LES BALKANS OCCIDENTAUX - LA VOIE À SUIVRE ....... 16 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................... 18
178 PCNP 18 F I. INTRODUCTION – LES BALKANS OCCIDENTAUX ET LA SÉCURITÉ EURO-ATLANTIQUE 1. Peu de régions au monde peuvent revendiquer une diversité culturelle, religieuse et démographique plus riche que les Balkans occidentaux. L'une des citations les plus célèbres de Josip Broz Tito, à l’époque président de la Yougoslavie, le dit très clairement : « Je suis le chef d'un pays qui a deux alphabets, trois langues, quatre religions, cinq nationalités, six républiques, entouré de sept voisins, un pays où vivent huit minorités ethniques » (Hunter, 2017). Alors que l’OTAN centrait son action sur l'Afghanistan, la lutte contre les groupes extrémistes et les défis émanant du Sud, et la Russie s’affirmant de plus en plus, la région des Balkans occidentaux est quelque peu tombée dans l’oubli. 2. Ce manque d'attention à l'égard des Balkans peut également s’expliquer par la relativement longue période de stabilité que la région a connue. Après les guerres en Yougoslavie dans les années 1990 et au début des années 2000, l'OTAN et l'UE ont renforcé leur présence dans la région, fournissant des moyens de maintien de la paix et de consolidation à ces pays ravagés par la guerre. Cette implication accrue et l'adhésion à l'une ou l'autre organisation par certains des États nouvellement indépendants ont favorisé l’idée largement répandue que la réforme démocratique dans la région était devenue irréversible. Toutefois, c’était faire preuve d’un peu trop d’optimisme, en témoigne l’évolution de la situation au cours de ces dernières années. 3. Ce court projet de rapport brosse un tableau général de la sécurité dans les Balkans occidentaux. Il aborde l’héritage de l’époque yougoslave et la violence de son terme, les nouveaux défis en matière de sécurité dans la région, ainsi que l’intégration euro-atlantique de cette dernière. Enfin, le projet de rapport propose que l’OTAN et l’Union européenne s’impliquent davantage et encouragent les pays de la région à poursuivre leurs réformes en fixant des objectifs concrets et réalisables, ce qui bénéficiera à la fois aux Balkans occidentaux et à la zone euro-atlantique. II. DYNAMIQUE RÉGIONALE – L’HÉRITAGE DU PASSÉ ET LES DÉFIS ACTUELS DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX A. ÉCONOMIE : ÉTAT DES LIEUX Conseil de coopération régionale, baromètre des Balkans 2017 1
178 PCNP 18 F 4. Malgré les améliorations prévues, de nombreux pays des Balkans occidentaux continuent de connaître des difficultés en 2018. Fin 2017, la Banque mondiale prévoyait une croissance économique supérieure à 3 % en 2018 et 2019, en raison d’une consommation en hausse, de faibles taux d'inflation et de l'amélioration de la situation économique mondiale. Néanmoins, même si ce taux de croissance pouvait être atteint, il faudrait 60 ans aux Balkans occidentaux pour atteindre un niveau de revenus équivalent à la moyenne de l'UE. En outre, plusieurs pays n'ont toujours pas surmonté la crise financière de 2008. La Serbie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro n'ont pas encore retrouvé un niveau de PIB équivalent à celui qui prévalait avant le démembrement de la Yougoslavie. Il n'est donc pas surprenant que la situation économique suscite un mécontentement important parmi les populations des Balkans occidentaux. 5. Le chômage reste la principale préoccupation économique dans l'ensemble des Balkans occidentaux. Selon la Banque mondiale, c'est l'un des principaux facteurs qui entravent le développement de la région ; la situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes générations, le taux de chômage des jeunes dépassant les 50 % en 1 ex-République yougoslave de Macédoine , en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Tandis que les jeunes les plus instruits parviennent plus facilement à trouver un emploi, l’absence de compétitivité dans les salaires les incite à migrer, entraînant une fuite des cerveaux qui fait peser un fardeau supplémentaire sur une population déjà vieillissante et en déclin. Ce phénomène s’avère particulièrement néfaste pour les pays moins peuplés de la région. Un taux de chômage élevé et une migration massive rendent les ménages des Balkans occidentaux fortement tributaires d’envois de fonds. La Banque mondiale estime que les envois de fonds dans les Balkans occidentaux représentent environ 10 % du PIB, jusqu’à atteindre 17 % au Kosovo. Si les envois de fonds sont jugés utiles à court terme, ils nuisent à la compétitivité nationale et augmentent le risque de corruption gouvernementale. (Taux de chômage des jeunes dans les Balkans occidentaux, 2016) B. NATIONALISME ET DIFFÉRENDS BILATÉRAUX 6. Les guerres en Yougoslavie restent gravées dans la mémoire de nombreuses personnes des nouveaux pays des Balkans occidentaux. Les erreurs du passé n'ont été que partiellement corrigées et la réconciliation entre les peuples des Balkans occidentaux se poursuit encore de nos jours. Dans une région où les conflits historiques, l'ethnicité et la religion sont encore bien enracinés, l’exacerbation des nationalismes peut trop facilement être utilisé par les populistes. Dans ce climat politique, les tensions sous-jacentes peuvent refaire surface et être exploitées à tout moment. En janvier 2018, l'assassinat d'Oliver Ivanovic, un politicien serbe du Kosovo controversé, qui a soutenu l'intégration des Serbes vivant dans le nord du Kosovo, rappelle les tensions et les risques persistants causés par le nationalisme et les différends frontaliers dans la région (Gallucci, 2018). Fait encore plus révélateur de l’ampleur du problème, après le meurtre d'Ivanovic, les 1 La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel. 2
178 PCNP 18 F gouvernements de Belgrade et de Pristina ont reconnu la nécessité de coopérer à l'enquête mais, des mois plus tard, n’y étaient toujours pas parvenus. 7. Instaurer la confiance entre les pays des Balkans occidentaux est un processus laborieux. Un climat de méfiance générale entre ces pays a créé un environnement dans lequel les pays ont tendance à éviter toute coopération. C'est un obstacle évident à l'intégration euro-atlantique, car une coopération faciliterait et accélérerait les réformes nécessaires. En fait, chaque pays des Balkans occidentaux a encore au moins un litige territorial avec l'un de ses voisins. C'est un problème grave et la stratégie d'élargissement de l'UE de février 2018, axée sur un net changement de politique, insiste sur le fait qu'aucun pays ne pourra adhérer si des différends bilatéraux subsistent. 8. Si la plupart de ces conflits territoriaux semblent gérables à court ou à moyen terme, deux problèmes majeurs ont empêché une coopération plus étroite entre les pays de la région : - La Serbie considère toujours le Kosovo comme faisant partie intégrante de son territoire ; les deux parties n'ont fait aucun progrès sur la question depuis l'accord de Bruxelles de 2013, conclu sous l’égide de l'UE, qui a connu de sérieux problèmes de mise en œuvre (Phillips, 2017). - Le litige avec la Grèce sur la dénomination du pays bloque la candidature de l'ex-République yougoslave de Macédoine à l'UE et à l'OTAN depuis de nombreuses années. Cependant, à la mi-juin 2018, à l'issue d'un nouveau cycle de négociations, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et le premier ministre de l'ex-République yougoslave de Macédoine, Zoran Zaev, ont annoncé un accord historique sur la question du nom. Toutefois, compte tenu des protestations nationalistes dans les deux pays, il reste à voir si la population acceptera l'accord (Casule, 2018). Au moment de la rédaction du présent document, le premier obstacle à surmonter est celui du référendum prévu le 30 septembre dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, pour demander à la population : « Êtes-vous en faveur d’une adhésion à l'UE et à l'OTAN en acceptant l'accord entre la République de Macédoine et la République de Grèce ? ». Des sondages récents au niveau national suggèrent qu'il n'y a pas de consensus sur la question du nom. En Grèce, un récent sondage publié par le journal Proto Thema a montré que « 70 % des Grecs s'opposent au compromis sur la question du nom ». 9. Les différends territoriaux dans les Balkans occidentaux reposent sur des divisions ethniques ou religieuses. En fait, ceci est à la fois la cause et le résultat de la scission de la Yougoslavie, qui a donné naissance à des États aux limites territoriales correspondant aux frontières ethniques. Des observateurs ont suggéré que l'un des accords possibles entre la Serbie et le Kosovo serait d’envisager la concession de la province du nord du Kosovo, peuplée par des Serbes de souche, en échange d’une reconnaissance de leur indépendance. Tandis que certains locaux cherchaient à résoudre ainsi le problème, cette solution n'a, jusqu'à récemment, reçu d’accueil favorable ni de la part de l’OTAN ni de celle de l'UE, qui semblent toutefois aujourd’hui plus ouverts à cette idée. La haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a déclaré qu'elle souhaitait un accord sur la reconnaissance du Kosovo par la Serbie d'ici la fin de son mandat, et le conseiller de la sécurité nationale des États-Unis, John Bolton, a déclaré qu'il ne s'opposait plus à cette idée (The Economist, 2018). Toutefois, aller dans ce sens ouvrirait la voie à moultes revendications territoriales dont la plus préoccupante serait celle de la Republika Srpska (l’entité à majorité serbe de la Bosnie-Herzégovine), qui pourrait compromettre la stabilité précaire de la région (The Economist, 2018). 3
178 PCNP 18 F C. VERS PLUS DE COOPÉRATION RÉGIONALE 10. Trop longtemps, les pays des Balkans occidentaux ont appréhendé leurs relations avec leurs voisins comme un jeu à somme nulle, ce qui les a empêchés d'aborder les problèmes sous-jacents, tels que la situation économique désastreuse qui continue de freiner tous progrès. À l'heure actuelle, tous les pays des Balkans occidentaux ont un PIB inférieur à celui de n’importe quel autre pays au moment de son entrée dans l'UE (Peel & Buckley, 2018). 11. Il est donc nécessaire d'encourager les pays à entreprendre et poursuivre des objectifs primordiaux pour tous et passer outre cet esprit de clocher. Un temps précieux a été perdu, mais il y a encore de l’espoir. Par exemple, le sommet UE-Balkans occidentaux de mai 2018 a mis l'accent sur la connectivité dans des domaines allant de la création d'infrastructures, notamment des autoroutes et des liaisons ferroviaires, à l'extension de l'Union européenne de l'énergie aux Balkans occidentaux par la réalisation d'un marché régional de l'électricité et la création d'un espace réglementaire unique en vertu du traité instituant la communauté de l'énergie. Ces engagements font suite au sommet UE-Balkans occidentaux de juillet 2017, qui a établi une feuille de route visant à améliorer l'intégration régionale. Lors du sommet, les pays des Balkans occidentaux ont signé un traité instituant une communauté des transports, dans le but de construire de nouvelles infrastructures et d'améliorer celles existantes. L'UE financera en partie ce projet dans l’optique d'attirer de nouveaux investisseurs à moyen terme. Les pays des Balkans occidentaux ont également convenu de créer un espace économique régional pour faciliter la circulation des biens, des services, des capitaux et de la main-d'œuvre hautement qualifiée. Le projet ne sera toutefois pas mené par l'UE, sa mise en œuvre dépendra donc de la bonne volonté des parties. La création de l’espace économique régional représente une avancée importante. Ce n'est pas une alternative à l'adhésion à l'UE, mais cela peut aider à faire avancer les réformes nécessaires dans le domaine économique, facilitant ainsi l'adhésion à l'UE. (Pays européens en développement ayant bénéficié d’une adhésion à l’UE : les pays des Balkans occidentaux seraient plus pauvres que les candidats précédents) 4
178 PCNP 18 F 12. Il est particulièrement regrettable que la déclaration portant sur la création de la commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre et autres violations graves des droits humains commis en ex-Yougoslavie (RECOM) n’ait pas été signée au sommet de Londres en juillet 2018. Les problèmes que posent les récits contradictoires sur les guerres des années 1990 et les tensions politiques fréquentes qu’ils promeuvent pourraient être examinés par une mission d'enquête commune, ce qui constituerait un pas important vers une réconciliation régionale. Il est donc souhaitable que RECOM, une initiative issue de la coopération régionale avec la société civile, soit créée à l’avenir. D. GOUVERNANCE ET ÉTAT DE DROIT 13. Depuis la dissolution de la Yougoslavie, la dynamique entre les États nouvellement formés dans la région a été marquée par des tensions régionales et intranationales. Les différences de langue, de religion et d'appartenance ethnique ont été exploitées par des dirigeants populistes et nationaux, qui les ont souvent alimentées, à fins politiques et personnelles. L'amplification et la distorsion des thèmes populistes et nationalistes, tels que les querelles avec les pays limitrophes et les minorités ethniques, ont relégué les réformes économiques au second plan dans le débat public. Les élites politiques dans les Balkans occidentaux ont été davantage attachées à préserver le statu quo qui les maintenait au pouvoir plutôt qu’à préconiser des réformes (Less, 2016 ; Mujanovic, 2017). 14. En conséquence, les pays des Balkans occidentaux sont toujours aux prises avec des insuffisances structurelles datant de l'ère socialiste. Des progrès ont été réalisés par l’adoption de politiques favorables à l’investissement direct étranger (IDE), avec l’ex-République yougoslave de Macédoine atteignant le 11e rang selon le classement Doing Business de la Banque mondiale, et le Monténégro, la Serbie et le Kosovo figurant tous aux 50 premières places. Cependant, le secteur industriel reste peu compétitif et a un besoin urgent de modernisation, le système bancaire est faible et la mauvaise intégration économique régionale est encore affaiblie par des infrastructures sous-développées. La corruption, y compris au plus haut niveau institutionnel, reste largement répandue, au point que les analystes ont observé des symptômes de captation de l'État (Fouéré et Blockmans, 2017). Dans l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International, les pays des Balkans occidentaux restent à la traîne derrière leurs voisins européens, avec un classement en matière de transparence allant du 64e rang (Monténégro) au 107e rang (ex- République yougoslave de Macédoine). 15. Dans les pays candidats à l'adhésion à l'OTAN et/ou à l'UE, l'adoption de mesures anticorruption encouragées et valorisées par l'UE, telles que la mise en place d'organes de prévention de la corruption, de stratégies nationales de lutte contre la corruption et de l'Initiative régionale de lutte contre la corruption (RAI), n'ont bien souvent pas été mises en œuvre ou n’ont eu que très peu d'effets. Cependant, promouvoir l'État de droit à l’échelle régionale a donné lieu à des réformes approximatives et ne permet pas d'améliorer de manière ciblée les diverses problématiques auxquelles sont confrontés les pays des Balkans occidentaux. En outre, dans chaque pays, les améliorations apportées par les services de police et le système judiciaire dans l’application de la loi n’éliminent toujours pas la petite corruption, ce qui a pour conséquence un manque de confiance dans le système judiciaire (Marovic, 2017). Selon le dernier baromètre des Balkans, 64 % de la population des Balkans occidentaux ne fait confiance ni à ses tribunaux ni au système judiciaire, 71 % les considèrent comme non indépendants et 75 % estiment que le système judiciaire est touché par la corruption (RCC, 2018). 16. En 2016, selon la communication de l'UE relative à l'élargissement, les pays des Balkans occidentaux ont peu, voire pas progressé sur la question de la corruption depuis leur candidature, l’un d’entre eux ayant même reculé. La Commission a indiqué que l’obstacle majeur à la réforme réside dans l'absence d’une volonté politique suffisante pour appliquer la législation dans la pratique, tandis que les organes anticorruption existants sont systématiquement et intentionnellement entravés par des ressources humaines et financières limitées. Le rapport 2017 de Freedom House sur les États en transit souligne que la société civile dans les Balkans occidentaux vit sous la menace 5
178 PCNP 18 F permanente, et que les élections sont constamment entachées par des irrégularités visibles. Si la stratégie d'élargissement de l'UE de 2018 ne fournit pas d'évaluation de l'état actuel de la lutte contre la corruption, son langage clair et franc ne laisse aucun doute sur le fait que la prospérité et une certaine qualité de vie dans la région peuvent être atteintes uniquement par la prise de mesures efficaces contre la corruption pour que celle-ci soit « éradiquée sans compromis aucun ». (Maîtrise de la corruption dans les Balkans occidentaux) 17. Comme il a été dit aux participants du 96e séminaire Rose-Roth de l'AP-OTAN, qui s'est tenu du 7 au 9 novembre 2017 à Ljubljana (Slovénie), les problèmes de mauvaise gouvernance et de corruption ont été entretenus par une certaine tolérance de ces pratiques par les pays occidentaux. Alors que l’UE tente d’atténuer la « fatigue de l’élargissement », elle a récompensé des individus ou des partis pro-européens malgré les défaillances probables de l’État de droit. Cette pratique est également exacerbée par les craintes d'instabilité régionale depuis les années 1990, menant à ce que les experts appellent un « repli sur la stabilocratie ». En effet, selon eux, « la recherche de stabilité dans la périphérie de l’Europe a incité les dirigeants de l’UE à fermer les yeux sur les intimidations envers l’opposition et un autoritarisme rampant. La région aurait tout intérêt à faire preuve de beaucoup plus de transparence et de responsabilité. Trop souvent, ce sont le népotisme et la corruption qui guident la répartition des richesses, car les élites politiques sont animées par la peur de perdre l'accès aux fonds publics, tandis que les électeurs sont motivés par de potentielles récompenses. La voie doit donc être ouverte à de nouveaux acteurs politiques. 18. La situation actuelle en matière de liberté de la presse est également alarmante dans tous les pays de la région. L'indice de clientélisme des médias de 2017 indique que la liberté des médias dans les pays des Balkans occidentaux a progressivement reculé au cours de la période 2016/2017. Le rapport fait état de problèmes comme « une influence politique et financière opaque », à savoir « la stagnation des réformes des médias, des transferts douteux de propriété … et l’infiltration de la criminalité organisée dans la propriété des médias ». En outre, le problème « d’agressions contre des journalistes et des rédacteurs en chef, mais aussi contre des organes de presse indépendants » a été observé dans tous les pays des Balkans occidentaux. La législation en vigueur visant à protéger la liberté des médias étant largement ignorée, la partialité des médias est un problème grave en raison du népotisme, de la politisation, de la corruption et du manque de volonté politique pour promouvoir le pluralisme. Les radiodiffuseurs du service public présentent des défaillances structurelles, rendant peu fiables les informations communiquées : un mode de financement inopérant et opaque rend leur politique éditoriale très sensible aux pressions externes. En outre, les 6
178 PCNP 18 F pays ne sont pas disposés à partager des informations précises sur la propriété des organes d’information, ni sur le niveau de financement public des médias privés, faisant ainsi planer le doute sur leur impartialité (Lilyanova, 2017b). Une étude publiée par le Liber Center for New Media en novembre 2017 montre qu'un certain type de « discours extrême », s’appuyant presque toujours sur des nouvelles complètement fausses ou à sensation, était relayé dans 9 436 des 36 960 articles publiés dans les médias serbes (Mejdini et al., 2017). 19. Le Balkan Investigative Reporting Network (BIRN), qui surveille les menaces et les attaques contre la liberté d'expression dans toute l'Europe du Sud-Est, rapporte que les journalistes indépendants sont souvent victimes d'intimidations physiques et verbales. Le classement mondial de la liberté de la presse effectué par Reporters sans frontières montre que la liberté des médias n'a cessé de régresser dans la région au cours de la dernière décennie. (Indice de la liberté de la presse 2002 – 2016 : tendances – Source : Reporters sans frontières) III. L'IMPACT D'UN ENVIRONNEMENT SÉCURITAIRE EN MUTATION SUR LES BALKANS OCCIDENTAUX 20. La situation complexe dans les Balkans occidentaux est encore aggravée par des facteurs et des acteurs extérieurs. A. LA CHINE ET L'INITIATIVE « LA CEINTURE ET LA ROUTE » 21. Bien que la Chine soit un acteur relativement nouveau dans les Balkans occidentaux, son influence économique et financière dans la région a considérablement augmenté ces dernières années. Depuis 2012, le format chinois 16 + 1 porte sur la collaboration de la Chine avec 16 pays européens, à savoir 11 États membres de l’UE et 5 pays des Balkans occidentaux. Bien que le format soit établi à 16 + 1, en réalité, la plupart des accords conclus sont bilatéraux plutôt que multilatéraux. Sur les 9,4 milliards de dollars d'investissements que le 16 + 1 a rapportés en Europe, environ 4,9 milliards de dollars sont concentrés sur les cinq pays des Balkans que sont l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l’ex-République yougoslave de Macédoine, le Monténégro et la Serbie. Et ce, bien que les cinq États non membres de l'UE ont un PIB d'environ un seizième de celui des 11 États membres de l'UE (Hillman, 2018). Les investissements chinois dans la région ont commencé à combler un vide dans les Balkans, délaissés les occidentaux qui n’étaient pas intéressés, sur le plan financier à investir dans l’amélioration des infrastructures dans ces pays. 22. Les projets de la Chine dans les Balkans occidentaux représentent un des volets de ses intérêts et activités mondiaux croissants, connus sous le nom d'Initiative « La ceinture et la route ». Il s’agit là d’un projet ambitieux proposé par le président chinois Xi Jinping, visant à créer de nouvelles routes maritimes et terrestres semblables à l'ancienne route de la soie, pour relier l'est et l'ouest. Elle a beaucoup investi en Europe du Sud-Est, où les projets sont axés sur les infrastructures 7
178 PCNP 18 F de transport. La Chine est particulièrement engagée en Serbie ; Beijing et Belgrade ont également pris des mesures pour améliorer leurs relations en instaurant l’exemption de visa depuis 2017. Ces mesures s’alignent sur plusieurs dossiers de politique étrangère, notamment la non-reconnaissance du Kosovo, en raison des régions séparatistes du Tibet et du Xinjiang. L'essor des activités chinoises dans les Balkans occidentaux souligne la nécessité pour l'UE de rester engagée dans les Balkans occidentaux, également parce que la durabilité de certains projets d'infrastructure et leur conformité aux lois de l'UE sont remis en question. 23. La Chine a également investi en Albanie, en Bosnie-Herzégovine et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine. Les pays de la région qui en bénéficient, considèrent les investissements chinois, souvent sous forme de prêts, comme une bonne solution, voire même parfois comme une alternative préférable aux prêts de l'UE, qui sont assortis de conditions liées aux réformes. Cela se conjugue également au fait que de nombreux pays occidentaux se montrent réticents à investir dans la région. B. RUSSIE : INFLUENCE HISTORIQUE, PRÉSENCE CONCURENTIELLE 24. Contrairement à la Chine, la Russie a des liens historiques forts avec les Balkans occidentaux. L'engagement de Moscou dans la région est également dû aux fortes similitudes culturelles, linguistiques et religieuses entre les Russes et les Slaves orthodoxes. Le lien avec la Serbie est notamment assez fort sur le plan politique, car la Russie s'oppose fermement à l'indépendance du Kosovo et a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui aurait reconnu le massacre de Srebrenica comme génocide. Alors que l'engagement de la Russie dans les Balkans occidentaux a reculé au début des années 2000, Moscou a réaffirmé sa présence au cours de la dernière décennie, sous la présidence de Vladimir Poutine. Par des mesures incitatives, comme des prêts, des projets énergétiques, des échanges et autres investissements, la Russie a renforcé son engagement dans la région, essayant ainsi de retarder l'intégration des Balkans occidentaux dans l'UE. En outre, Moscou saisit chaque occasion, y compris par voie de corruption et de pots-de-vin, parfois même via l'Église orthodoxe russe, pour promouvoir ses intérêts et renforcer le sentiment antioccidental, notamment parmi les Serbes, et saper l'influence occidentale dans toute la région. Les actions de la Russie dans la région sont facilitées par des élites autoritaires bien établies, qui sont frustrées par la lenteur du processus d'adhésion à l'UE et qui entravent les processus de réforme. En même temps, la situation économique en Russie et la faiblesse du rouble limitent la capacité de Moscou à rivaliser avec l'UE au niveau régional. 25. La position dominante de la Russie en tant que principal exportateur de gaz vers la Serbie, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Bosnie-Herzégovine lui permet d’utiliser l’un de ses principaux leviers géopolitiques dans toute la région : la politique énergétique. La Russie exploite activement la dépendance des pays de la région envers la fourniture d'énergie. La Russie essaie non seulement de maintenir sa position dominante en matière d’énergie, mais aussi de l'étendre. Cependant, on ignore si elle pourra y parvenir, car certains des projets annoncés, tels que l’oléoduc Druzhba-Adria ou le gazoduc South Stream, sont retardés ou suspendus. Sur tout autre dossier à caractère économique, allant de l'aide extérieure aux investissements directs étrangers, la présence de l'UE surpasse largement celle de la Russie. 26. En conséquence, la Russie est loin d'être apte à façonner de manière significative l'avenir de la région. Pour les Balkans occidentaux, la stratégie envisagée est plus subtile, liée, comme évoqué plus haut, à la « puissance douce » historico-culturelle russe. En ce sens, la Russie tente de se positionner comme un acteur incontournable dans le secteur de l'information : la tristement célèbre agence de presse Sputnik a ouvert ses portes à Belgrade en 2014 et délivre son discours antioccidental habituel. Sputnik contribue à diviser l'opinion publique en présentant des versions déformées et biaisées des contributions de l'UE et de l'OTAN à la région (Byrne, 2017). En outre, la Russie apporte son soutien aux organisations de la société civile et aux partis politiques en phase avec son programme politique. Ces politiques peuvent se résumer au mieux à un « opportunisme grossier » comme dans les Balkans où « l’objectif de la Russie est de saper et de bouleverser les institutions et les règles existantes, établies par l’Occident » (Bechev, 2017). 8
178 PCNP 18 F (Russie/UE : total des échanges / IDE) 27. Si l'engagement actuel de la Russie dans la région peut certainement être considéré comme une ingérence dans l'intégration euro-atlantique, il est indirectement admis que l'influence du Kremlin dans la région ne peut aller au-delà du stade de « manœuvres de sabotage ». L’exemple le plus récent de ces tactiques a été noté après les allégations du premier ministre macédonien Zoran Zaev, selon lesquelles les tentatives de perturbation du référendum de septembre dans l'ex-République yougoslave de Macédoine remontaient à la Russie. En conséquence, la Grèce a expulsé, en juillet, deux diplomates russes qui avaient tenté de miner le récent accord sur le nom avec l'ex-République yougoslave de Macédoine. De plus, contrairement à l’OTAN et à l’UE, la Russie n'a pas de militaires sur le terrain, les relations économiques sont à la baisse et il n'est pas prévu d'élargir l'Union économique eurasiatique ou l'Organisation du Traité de sécurité collective aux Balkans occidentaux, ce qui offre peu de pistes d’action à la Russie dans la région (Bechev, 2017). C. LES BALKANS OCCIDENTAUX, UNE RÉGION DE TRANSIT Alice Greider, « Externalisation de la gestion des migrations : le rôle des Balkans occidentaux dans la crise européenne des réfugiés », Migration Policy Institute, 17 août 2017 9
178 PCNP 18 F 28. La position géostratégique des Balkans occidentaux entre l’Ouest, l’Est de l’Europe et la mer Méditerranée, en a fait une région de transit depuis la fin de la guerre froide. Dans un contexte de libéralisation et de privatisation, de guerres successives et de transition politique s’éloignant du communisme, les Balkans sont devenus une zone de commerce illicite de marchandises depuis l’Asie et l’Afrique vers l’Europe occidentale et, plus récemment, un couloir pour le flux de réfugiés. 29. La crise liée à l'afflux de réfugiés en Europe a commencé en 2015 et a touché, bien qu’indirectement, les Balkans occidentaux. Les pays ont d’abord choisi de faciliter la circulation des demandeurs d'asile ; puis, les pressions exercées par les États voisins membres de l'UE ont entraîné un effet domino de fermeture des frontières (Greider, 2017). 30. Frontex, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, estime à plus de 760 000 le nombre de passages illégaux de frontières sur la route des Balkans occidentaux en 2015, une augmentation spectaculaire par rapport aux 40 000 de l'année précédente. Les Balkans occidentaux, eux-mêmes pays d'origine des migrations vers l'UE, étaient à la fois démunis et pris au dépourvu face à une crise de cette ampleur. C’est pourquoi ils ont simplement tenté d'accélérer le passage des personnes vers les pays de destination (Greider, 2017). Frontex, Le franchissement illégal des frontières sur la route des Balkans occidentaux en chiffres, 2017 31. Dans ce contexte de crise, les pays de l'UE se sont mis à limiter le passage des réfugiés. À leur tour, la Serbie et la Croatie ont commencé à imposer des quotas de personnes autorisées à traverser chaque jour, tandis que la frontière entre l'ex-République yougoslave de Macédoine et la Grèce devenait le théâtre d'incidents violents, avec l’usage signalé de gaz lacrymogène pour contrôler le flux des migrants. L'accord de l'UE avec la Turquie de mars 2016, pour lutter contre la migration illégale, a fermé efficacement la route migratoire vers l'UE en provenance de la Grèce. À son tour, l'ex-République yougoslave de Macédoine a fermé sa frontière avec la Grèce, piégeant ainsi tous les migrants restés dans les Balkans occidentaux. En fait, les pays des Balkans occidentaux ont été encouragés par l'exemple des pays de l'UE, tels que la Bulgarie et la Hongrie, à adopter une ligne dure, réprimant rudement toute tentative de la part des réfugiés de poursuivre vers le nord. 32. Même si les accords UE-Turquie ont certainement contribué à relâcher la pression sur la région en ce qui concerne l'afflux de migrants, cela ne peut être qu'une solution provisoire. En juin 2018, plus de 5 500 réfugiés et migrants d'Asie et d'Afrique du Nord seraient entrés en Bosnie. L'Albanie constate également une augmentation du nombre de migrants entrant sur son territoire. Entre janvier et mai de cette année, les autorités ont appréhendé 2 311 migrants contre 162 au cours de la même période en 2017 et plus du double par rapport aux quelque 1 000 migrants répertoriés sur l'ensemble de l'année 2017. L’itinéraire qui traverse l'Albanie est considéré comme un nouvel itinéraire utilisé par les passeurs clandestins pour faire entrer des personnes dans l'UE. La Bosnie-Herzégovine a signalé un afflux anormalement élevé de migrants se dirigeant vers l'UE, 10
178 PCNP 18 F en provenance de l'Algérie, de l'Afghanistan, du Pakistan et de la Turquie, signe que la crise est loin d’être terminée. Cependant, les récents rapports de Frontex suggèrent que l’utilisation accrue de l’itinéraire dit « de la Méditerranée occidentale » fera dévier la circulation des populations depuis l’itinéraire oriental, passant par l’Europe orientale et les Balkans, vers le sud de l’Europe, notamment l’Espagne et le Portugal. (Les trois voies de la route des Balkans en Europe du Sud-Est) 33. Par ailleurs, indépendamment de la crise des réfugiés, mais résolument renforcés par celle-ci, la criminalité organisée et le commerce illicite constituent un problème persistant dans les Balkans occidentaux depuis l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. La région se trouve sur la voie occidentale de la « route des Balkans », principalement utilisée pour faire transiter des drogues de l’Afghanistan (premier producteur mondial d’héroïne) vers l’Europe occidentale. Alors que les pays d’Europe du Sud-Est sont avant tout des pays de transit, certaines preuves d’installations de stockage laissent à penser que l’héroïne est coupée et reconditionnée en Albanie, au Kosovo et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine. En outre, la production de cannabis a également augmenté en Albanie, pénétrant sans peine les marchés de l'Europe occidentale grâce aux réseaux transnationaux de criminalité organisée qui opèrent dans les Balkans. 34. Les Balkans occidentaux ne sont pas seulement un itinéraire de trafic de stupéfiants, mais aussi une importante région de transit et, depuis les guerres des années 1990, une source d’entrée illégale d'armes dans l'UE. À ce titre, le développement de la criminalité organisée et des trafics en tous genres dans les Balkans occidentaux inquiète non seulement la sécurité régionale, mais aussi, de façon plus générale, la sécurité européenne. Tout comme les trafiquants d’armes et de substances illicites, les trafiquants d’êtres humains profitent également des réseaux de criminalité organisée et de l’héritage des guerres yougoslaves des années 1990. Pendant celles-ci, la montée en flèche de l’émigration, le défaut d’application des lois et l’instabilité politique ont créé les conditions permettant aux trafiquants d’êtres humains d’opérer. La crise des réfugiés en Europe a recréé des conditions similaires, suscitant les craintes d'une augmentation de la traite des êtres humains tandis que des criminels continuent à tirer parti du désespoir des réfugiés se déplaçant vers l’Europe occidentale. 11
178 PCNP 18 F 35. La coopération bilatérale des États membres de l’OTAN d’Europe occidentale avec les gouvernements des Balkans donné des résultats significatifs en termes d’opérations menées à bien contre les réseaux de trafiquants. Il est recommandé que cette coopération se poursuive alors que les effets de la crise des réfugiés continuent de secouer la région. Une des principales préoccupations concernant la criminalité organisée dans les Balkans occidentaux réside dans le fait qu’elle est étroitement liée à la corruption à faible et haut niveaux. Cependant, aider les gouvernements régionaux à lutter contre le commerce illicite est une étape cruciale pour contribuer à rompre ces liens. Il est donc fortement recommandé que la récente coopération entre l'OTAN et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime se renforce. À ce jour, 450 agents chargés de la lutte contre les stupéfiants, venus d’Asie centrale, d’Afghanistan et du Pakistan, ont reçu une formation ; ces cours de renforcement des capacités bénéficieraient fortement aux Balkans occidentaux. D. L'ISLAMISME, LA RADICALISATION ET LES COMBATTANTS ÉTRANGERS 36. Une part importante de la population des Balkans occidentaux est musulmane : l'islam est pratiqué par 28 % de la population dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, par plus de 50 % de la population en Albanie et en Bosnie-Herzégovine et par 95 % au Kosovo. Cependant, le fondamentalisme islamique s'est sensiblement répandu pendant et après les guerres de Yougoslavie, en raison de l'afflux d'imams salafistes fondamentalistes venant de l'étranger. Des experts affirment que l'objectif de ces prédicateurs est de détourner l'identité ethnique des Bosniaques (musulmans) et des Albanais, qui pratiquent un islam essentiellement modéré, pour mettre en place un islamisme radical. Les États nouvellement formés n'ayant ni les moyens ni l'expertise nécessaires pour s'attaquer à ce phénomène, il s’est ensuivi plusieurs attaques terroristes, certes avec un nombre limité de victimes, et des enclaves islamistes comme le village bosniaque de Gornja Maoca. 37. L'émergence de Daech a eu un double effet sur les Balkans occidentaux. D'une part, l'afflux de réfugiés exerce une pression sur des économies déjà en difficulté et, de l'autre, la Syrie et l'Iraq sont devenus la destination idéale pour les aspirants djihadistes de la région. 38. Concernant les questions de sécurité interne, la principale publication en ligne de Daech, Rumiyah (traduction littérale de « Rome » comme symbole de la puissance de la civilisation occidentale), a explicitement menacé les Balkans dans un article intitulé « Les Balkans - Sang pour les ennemis et miel pour les amis » en juin 2017 (Trad, 2017). Jusqu'à présent, l'organisation terroriste n'a jamais revendiqué aucune attaque dans la région. Cependant, en novembre 2016, le groupe avait planifié des attaques simultanées en Albanie, au Kosovo et dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, la principale cible étant l'équipe nationale de football israélienne, qui devait jouer à Tirana, et ses supporters. Vingt-cinq personnes furent arrêtées par les forces de police de l’ex-République yougoslave de Macédoine et de l’Albanie, dans une remarquable démonstration de coopération entre les services de sécurité des deux pays. 39. On estime qu'entre 900 et 1 000 combattants (souvent suivis par leur famille) ont quitté les Balkans pour rejoindre l'Iraq et la Syrie ; si certains d'entre eux avaient des antécédents criminels ou avaient combattu lors des guerres de Yougoslavie, la majorité n'avait aucune expérience du combat. Comme Daech a perdu des terres qu'il contrôlait en Iraq et en Syrie, il est vraisemblable que les Balkans occidentaux soient également confrontés au problème du retour des combattants étrangers. Cela pose de graves problèmes, allant des conséquences juridiques des actes commis en Syrie à la réinsertion et au retour de ces combattants à la société civile locale. 40. Le Kosovo a généré plus de combattants étrangers par habitant que tout autre pays occidental depuis que Daech a proclamé son califat en 2014. Environ 400 citoyens kosovars ont rejoint le groupe et d’autres groupes extrémistes islamistes depuis le début des combats en Syrie en 2012. Avec ses aspirations européennes, le Kosovo s'est efforcé de résoudre son problème de radicalisation, inculpant plus de 120 personnes soupçonnées de terrorisme et en arrêtant beaucoup 12
178 PCNP 18 F d'autres, y compris des imams soupçonnés d'avoir recruté des personnes pour combattre à l'étranger. Cependant, de nombreuses peines de prison sont raccourcies et d’aucuns disent que les efforts de réinsertion ne sont pas toujours efficaces, laissant en liberté des individus encore extrémistes. De nombreuses puissances occidentales collaborent désormais avec les autorités kosovares pour aider à ces efforts de réinsertion, craignant que le Kosovo ne serve de base arrière pour de nouvelles attaques dans toute l’UE. Asya Metodieva, « Que faire face au retour des combattants étrangers des Balkans ? », STRATPOL, janvier 2018. 41. Le problème de la radicalisation perdurera même après la chute de Daech. Même lorsque Daech ne revendiquait encore aucune attaque terroriste, la région était déjà un lieu de prédilection pour les islamistes, souvent affiliés à des mouvements nationalistes. Compte tenu de la situation instable dans la région, il est important que les pays confrontés à des problèmes similaires, et ayant plus d'expertise, continuent d'aider les Balkans occidentaux. Il y va de leur intérêt commun car certains groupes dans les Balkans occidentaux sont associés à des individus radicalisés en Europe occidentale. IV. LES BALKANS OCCIDENTAUX ET L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE 42. L'OTAN et l'Union européenne ont joué un rôle de premier plan en apportant leur appui au développement post-conflit et à la transition économique ainsi qu’en facilitant l'intégration euro-atlantique des Balkans occidentaux. Alors que ce dernier objectif a été atteint pour certains pays, d'autres restent hors l'une ou l'autre, voire hors des deux organisations. A. RȎLE DE L'OTAN DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX : CONSOLIDATION DE LA PAIX ET ÉLARGISSEMENT 43. La présence de l'OTAN dans les Balkans occidentaux remonte au début des années 1990. Après les interventions en Bosnie-Herzégovine en 1995 et au Kosovo en 1999, l'OTAN est restée dans la région comme une force stabilisatrice, notamment par le biais de l'opération Allied Harmony, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine. L'engagement de l'OTAN dans la région a permis l'adhésion de l'Albanie, de la Croatie, de la Slovénie et, tout récemment (en 2017), du Monténégro. Suite à l'accord sur le nom intervenu entre l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Grèce en juin dernier, l'OTAN a officiellement invité Skopje à engager des pourparlers d'adhésion lors du sommet de juillet 2018, affirmant que le pays ne pourrait devenir membre de l’organisation que lorsque le différend sur son nom serait pleinement résolu. La Serbie et la Bosnie-Herzégovine, tout en étant de précieux partenaires de l'Alliance, n’envisagent pas, pour l’heure, d’adhérer à l'OTAN. 13
178 PCNP 18 F 44. La Serbie, qui mène une politique de neutralité, est un pays partenaire de l'OTAN qui participe activement au programme du Partenariat pour la paix (PPP). Les candidatures à l'adhésion à l'OTAN de la Bosnie-Herzégovine sont entravées par les divergences persistantes entre la Republika Srpska et Sarajevo. L'OTAN a présenté un plan d'action pour l'adhésion (MAP) en faveur de la Bosnie-Herzégovine en 2010, applicable à condition que les groupes politiques du pays transfèrent le contrôle de leurs installations militaires au gouvernement central. Les élites politiques en Republika Srpska s’y opposent farouchement. En octobre 2017, le parlement de la Republika Srpska a adopté une résolution proclamant sa neutralité militaire : un geste symbolique, mais qui représente un signe de protestation formelle contre tout nouveau pas vers une adhésion à l'OTAN. 45. Au moment de la rédaction de ces lignes, la Force pour le Kosovo (KFOR) est la seule mission militaire de l'OTAN présente dans la région : maintenant qu’elle a sécurisé la zone, elle contribue au développement d'un secteur de la sécurité efficace au Kosovo, transférant progressivement ses compétences à la police du Kosovo et à d'autres organes internes. En outre, l'OTAN a un siège à Sarajevo et des bureaux de liaison militaires à Belgrade et à Skopje pour appuyer les réformes en matière de défense, favoriser le dialogue et faciliter la participation aux programmes du PPP. 46. Les activités de l'OTAN dans l'ex-Yougoslavie ont été le catalyseur de la coopération entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne. L'OTAN a mené des opérations de maintien de la paix à partir de 1992, puis l'OTAN et l'UE ont apporté leur appui aux activités de consolidation et de maintien de la paix post-conflit dans la région. En mars 2003, l'UE a officiellement lancé sa première mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pleinement opérationnelle, l'opération EUFOR Concordia, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, prenant la relève de l'opération Allied Harmony de l'OTAN. Un an plus tard, l'UE a lancé l'opération EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine, après que l'OTAN a officiellement mis fin à sa force de stabilisation opérationnelle dans le pays (SFOR). 47. La coopération en cours entre les deux organisations demeure d'une importance cruciale pour la stabilité régionale et celle de la région euro-atlantique. Dans les Balkans occidentaux, l'UE a commencé à développer ses capacités en matière de force de stabilisation d'après-crise, menant des opérations tant civiles que militaires, tandis que l'OTAN restait la garante ultime de la sécurité en cas d'escalade des hostilités. Outre les missions déjà mentionnées, l'UE est toujours présente dans les Balkans occidentaux, menant des missions plus centrées sur le civil, comme EUPOL Proxima, qui a remplacé EUFOR Concordia et qui vise à développer le système policier de l'ex-République yougoslave de Macédoine, et EULEX Kosovo, la mission tant décriée, pour aider à réformer le système judiciaire du pays. En juin 2018, l'UE a annoncé qu'elle mettait fin à l’objectif exécutif de sa mission d'État de droit – qui soutenait les décisions judiciaires en matière de justice constitutionnelle et de justice civile, engageait des poursuites et statuait dans certaines affaires pénales – afin de poursuivre exclusivement l’objectif opérationnel qui vise à suivre, encadrer et conseiller les initiatives en faveur de l’État de droit au Kosovo et du dialogue entre Belgrade et Pristina. B. L’UE : UN PARCOURS VERS L'ADHÉSION SEMÉ D’EMBÛCHES 48. Sur le plan institutionnel, l'UE a créé 16 organes qui oeuvrent à l'intégration transnationale des Balkans occidentaux. Ces initiatives sont étayées par d'innombrables efforts financiers et diplomatiques comme, pour n'en citer que quelques-uns : - L'accord de stabilité et d'association (ASA). Tous les pays des Balkans occidentaux, y compris le Kosovo, ont signé un ASA avec l'UE ; grâce à cet instrument, l'UE fixe des obligations et des devoirs contractuels adaptés à chaque pays, dans le but de stabiliser la zone et de préparer l'adhésion à l'UE (DG NEAR, 2016a). 14
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