La salle à manger Jean-Pierre Labiau - Continuité - Érudit
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Document generated on 07/15/2022 5:02 a.m. Continuité Dossier La salle à manger Jean-Pierre Labiau Number 52, Winter 1992 Gastronomie et patrimoine URI: https://id.erudit.org/iderudit/17722ac See table of contents Publisher(s) Éditions Continuité ISSN 0714-9476 (print) 1923-2543 (digital) Explore this journal Cite this article Labiau, J.-P. (1992). La salle à manger. Continuité, (52), 16–18. Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1992 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
: L DOSSIER Au C h â t e a u de Ramezay (début du X V I I I ' siècle), la salle à manger possède encore la polyvalence qui caractérise les salles du Moyen Age. Photo: Gilles Rivest, Musée du Château de Ramezay. par J e a n - P i e r r e L a b i a u D epuis quelques années, le sujet des intérieurs d'époque suscite une cu- riosité croissante chez les chercheurs. Bien sûr Marius Barbeau, Gérard Morisset ainsi que les historiens d'art et les ethnologues qui leur ont succédé se sont intéressés de façon ponctuelle aux objets et au mobi- lier. Néanmoins, les études effectuées depuis une soixantaine d'années n'ont pas jusqu'ici mené à l'élaboration d'une synthèse sur les arts décoratifs au Québec. De plus, selon l'état actuel des connais- sances, il nous est impossible d'avoir une image très précise de ce que pouvaient LA SALLE être les intérieurs anciens québécois. Si les objets, les inventaires après décès, les commentaires de voyageurs nous permet- tent d'en connaître le contenu, ils ne nous informent que de façon très frag- À MANGER mentaire sur l'aménagement des pièces. En fait, seules les photographies ancien- Apparue seulement à la fin du XVIIIe siècle, la salle à nes traduisent avec une certaine fidélité manger est, avec le salon, la pièce qui traduit le plus l'organisation du décor. Notons qu'à cet égard l'étude des salles à manger ne pré- fidèlement le goût d'une époque. sente pas plus de difficulté que celle des salons ou des chambres à coucher. A U X S O U R C E S D U MOYEN Â G E Au Moyen Age, dans l'architecture Cette remarque est confirmée par Comme le signale le Petit Robert, le occidentale, la salle ou la grand (e) salle une recherche plus tardive de Mario Praz. mot «salle à manger» apparaît seulement du château était une pièce polyvalente où Ce dernier illustre la précarité du mobi- en 1636. En 1690, le dictionnaire Furetière se déroulaient la plupart des activités. On lier à l'aide de quelques images d'intérieurs nous donne peu d'information sur cette y mangeait sur des planches déposées sur médiévaux. Les tables, formées de longs pièce, qu'il inclut dans la définition sui- des tréteaux de bois (d'où l'expression panneaux étroits, sont généralement re- vante: «SALE, subst. fem. La première «dresser la table»). La nuit venue, on couvertes de grandes nappes retombant partie d'un appartement dans un logis. démontait les tables et la grand salle de- près du sol. La richesse des nappes con- Les appartements royaux consistent en venait chambre à coucher ou dortoir. traste avec la vétusté du mobilier. Sans sale des Gardes, antichambre, chambre, Dans La mécanisation au pouvoir, S iegfried faire précisément allusion à la salle à c a b i n e t , 6k galerie. Les sales sont Giedion nous présente une table royale manger, Praz écrit par la suite: «Pendant ordinairement au bas étage au rez de vers 1450, où il souligne que «le confort longtemps, et surtout au XIXe siècle, la vie chaussée. Il y a aussi des sales hautes, des rudimentaire apparaît dans l'absence de famille en Occident s'est déroulée sales à donner le bal, à faire nopces, des d'assiettes et la forme primitive des cou- autour d'une table. L'une des raisons de ce sales à manger, des sales d'audience, &c. » regroupement doit avoir été surtout éco- teaux 16 CONTINUITÉ NUMÉRO 52 HIVER I W
nomique. Lorsque la source de lumière une petite table d'appoint munie de ti- rappellent effectivement le mobilier de la était une unique lampe à pétrole, il fallait roirs ainsi que huit chaises à fond canné. fin du XVI e siècle. À ce sujet, on peut se réunir autour d'elle [,..]2.» Ces meubles peuvent être de chêne, citer quelques lignes d'un ouvrage d'érable ou de bouleau. Le style composite d'Edouard Bajot présentant le mobilierde NÉE A V E C LA B O U R G E O I S I E est d'inspiration flamande ou élisabé- salle à manger de la Renaissance: «A Si l'on tient compte du fait que thaine plutôt que grecque. cette époque, l'appétit est gros, l'amour- l'homme d'Occident se trouve à l'abri des Les intérieurs bourgeois que nous a propre est grand. De là la longue table aux famines depuis une période relativement livrés le XIXe siècle, au Québec comme traverses solides, sur laquelle les services courte et qu'avant cela l'une de ses préoc- partout en Occident, témoignent beau- s'entasseront, et les dressoirs aux étagères cupations fondamentales était de se coup plus d'une vision romantique de heureusement disposées pour y déposer nourrir, il va de soi que la salle à manger l'histoire que de la capacité de réaliser une les vaisselles plates et les orfèvreries, et n'est alors qu'accessoire. En réalité, l'ap- reconstitution historique fidèle. Très tôt, aussi les faïences aux vives couleurs. Près parition de cette pièce relève beaucoup dès les années 1840, l'historicisme domine. de la table, on poussera des bancs de bois: plus d'un phénomène culturel que d'une Faut-il voir dans les emprunts aux styles à l'un des bouts, la cheyère ou chaire du nécessité. historiques la volonté qu'ont certains de maître dressera son haut dossier'*.» C'est à la montée de la bourgeoisie manifester leur intérêt pour le passé en Plus qu'un reflet fidèle des époques qu'il faut attribuer la présence croissante général ou une période particulière? Ou, antérieures, la propension à puiser aux de la salle à manger dans l'habitation. La plus vraisemblablement, s'agit- il pour eux formes du passé nous transmet du XIXe fin du XVIII e siècle marque donc le mo- d'affirmer leur richesse, leur statut social, siècle, par l'intermédiaire du mobilier et ment de cette transition. Là encore, ou de légitimer leur position par rapport des décors intérieurs, un portrait de ses l'absence de documentation ne nous per- aux autres en chargeant leur demeure goûts et de ses ambitions. met pas de dépeindre avec précision la d'attributs? Si les salons du siècle dernier salle à manger québécoise de cette épo- sont généralement considérés comme un que. Le mobilier qui subsiste du début du prétexte à l'ostentation, il semble que les XIXe siècle tend à démontrer l'influence salles à manger — même si elles demeu- du néo-classicisme américain que l'on rent, à cet égard, en deçà — aillent dans qualifie généralement de «géorgien», lise la même direction. caractérise par des formes droites et sobres où apparaissent certains motifs décoratifs L'EFFET R E N A I S S A N C E qui font référence à l'Antiquité. Au Québec, au milieu du XIXe En ce qui concerne les intérieurs siècle, le mobilier de la salle à manger se ruraux, Alexis de Tocqueville, dans une compose le plus souvent d'une table, de note écrite le 28 août 1831, nous les décrit chaises et d'un buffet, communément ainsi: «Nous avons trouvé des terres bien appelé sideboard. La cohérence stylistique cultivées, des maisons qui respirent ne semble pas être une condition sine qua l'aisance. Nous sommes entrés dans plu- non. Le buffet constitue sans conteste la sieurs. La grande salle est garnie de lits pièce sur laquelle l'ornementation est la excellents, les murs sont peints en blanc. plus élaborée. Ce meuble se présente Les meubles sont très propres. Un petit comme une pièce de choix à exhiber. miroir, une croix ou quelques gravures Massif et imposant, il est orné de sculptu- représentant des sujets de l'Ecriture Sainte res représentant des animaux ou des complètent l'ensemble.» plantes. O n en retrouve sur les panneaux Dans The Architecture of Country des portes, éventuellement sur le dossier Houses, publié pour la première fois en — lorsque le buffet en est pourvu — et, 1850 et réédité à plusieurs reprises, quoique plus rarement, sur les poignées des tiroirs. Gibiers à plume, lièvres, cas- Au milieu du X I X ' siècle, les buffets de salle à Andrew Jackson Downing mentionne manger sont le plus souvent dans le style néo- que: «The dining-room should be rich tors, poissons et anguilles, voire des scènes Renaissance. Planche n" 441 du Garde-Meuble and warm and its coloring, and more of de chasse, sont les motifs de prédilection; Ancien et Mtxieme/Collection de Meubles (Paris, contrast and stronger colors may be ils constituent en quelque sorte une dé- XIX' siècle), provenant du fonds du meuhlier introduced here then in the drawing- coration «aperitive» pour l'heureux invité quéhécois Honoré Roy dit Belleau. Collection du à la table de l'hôte. Service canadien des parcs, région du Quéhec. room. The furniture should be substantial, without being clumsy, but simpler in Le plus souvent, les buffets sont decoration than the drawing-room 3 .» dans le style néo-Renaissance. Par leur Cette recommandation concerne la dé- forme très architecturée et leur décor coration d'une maison de campagne et composé d'animaux et de végétaux, ils l'ameublement que propose Downing apparaît somme toute assez modeste. L'ensemble qu'il décrit comprend une table à rallonges pour douze convives, NUMÉRO 52 HIVER 1992 CONTINUITÉ 17
LA SALLE A MANGER DE LA MAISON HOSMER Cette salle à manger (1901) est décorée dans le goût néo-gothique. Les plafonds à caissons aux poutres imposan- tes, les murs lambrissés dont la partie supérieure est recouverte de papier peint à motifs végétaux, la cheminée trapue et le lustre de métal suspendu au-dessus de la table ajoutent à la surcharge de ce décor composite. Le mobilier, dont la table et les chaises à l'ornementation très élabo- rée, nous renvoie à une image mythique de l'époque médiévale. Tout ici atteste avec vigueur la volonté d'ostentation du maître des lieux. Photo: Bibliothèque Blackader-Lauterman, Université McGill. LA SALLE A MANGER DE LA MAISON DAVIS Par son décor et ses lignes plus classiques, la salle à manger de la maison James Thomas Davis (1910) contraste fortement avec la précédente. La sur- charge et les effets de masse ont fait place aux lignes sobres, comme on peut l'obser- ver dans le mobilier néo-classique auquel les ornements ajoutent élégance et dis- tinction. Bien en vue, les meubles occupent une place importante et la pièce devient une sorte d'écrin servant à mettre chaque objet en évidence. S'il apparaît avec moins de lourdeur que dans la salle à manger de la maison Hosmer, le goût d'os- tentation n'en est pourtant pas absent. Photo: Archives Notman, Musée McCord. 18 CONTINUITÉ NUMÉRO 52 HIVER 1992
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