LANGUE STANDARD ET LANGUE DES MEDIAS : QUELLE LANGUE

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LANGUE STANDARD ET LANGUE DES MEDIAS : QUELLE LANGUE
                                         ENSEIGNER ? 1

Longtemps synonyme de langue standard, la langue des médias se caractérise actuellement
par l’emploi d’un registre de plus en plus familier et l’émergence d’une nouvelle phonologie.
Cette évolution occasionne parfois chez l’étudiant étranger une confusion au niveau de la
discrimination des sons et des registres linguistiques.

.Le jeunisme des médias

Depuis une douzaine d’années, le langage des médias a pris un « coup de jeune ». Des termes
qui jusqu’alors étaient réservés à la jeunesse (jeunes des banlieues ou autres), ont acquis droit
de cité dans la presse écrite ou parlée : les politiciens comme les jeunes « écopent » de
quelques mois (ou années) de prison, les chômeurs connaissent la « galère », la « malbouffe »
est vilipendée, etc. Il s’agit plus d’une coloration « jeune » que de « langue des jeunes ». Dans
cette variante de français utilisée dans un milieu donné, celui des banlieues, selon Henriette
Walter 2, à côté de mots d’origine arabe comme chouffer (regarder), ou tsigane comme michto
(bien), on trouve surtout le verlan : asmeuk (comme ça), lergas (galère), avoir la jeura (la
rage), leurdi (dealer), nessbi (business), auch (chaud), ou le verlan du verlan : rebeu (beur :
arabe). Quelques aphérèses (troncation du début d’un mot pour en obscurcir la signification)
comme leur (contrôleur), zien (tunisien) etc. Quelques métonymies comme un Jacky (un
Chinois, par référence à l’acteur Jacky Chan) ou une nuit grave (une cigarette qui nuit
gravement à la santé). Les médias, à part quelques exceptions, ne reprennent pas le langage
des cités. Ils se limitent à l’emploi de registres familiers tant au niveau du lexique (copain,
gamins, lascars, galère, écoper, liquider, se faire la malle, etc.) que des articulateurs (du coup,
histoire de, comme quoi, etc.). Certains mots ou certaines expressions sont passés ainsi du
registre familier au registre standard, tel ce du coup de conséquence qu’on retrouve dans des
articles universitaires.

1
  Cette communication présentée au colloque du LESCLaP Didactique des langues et sociolinguistique : Quelle
langue enseigner ? (Amiens, avril 2003) a été quelque peu réactualisée.
2
  Entretien avec Henriette WALTER, in Tchatche de banlieue, Editions mille et une nuits, 1998, p. 123

                                                                                                      1
Risques de confusion

Mis à part le style journalistique actuel 3 et des néologismes comme dangerosité, les risques
de confusion peuvent provenir :
. De la difficulté de discrimination au niveau lexical (comme l’utilisation dans un contexte
inapproprié du terme bouffe puisque malbouffe est attesté par les médias) : flics, potes,
copains, etc. C’est aussi le cas de nombreuses expressions comme galère, écoper, rage,
gueuler, liquider 4, dérailler (verbe introducteur), zen, etc. ; termes qui participent du français
standard comme du français familier (écoper un bateau et écoper de deux ans de prison), mais
que les médias emploient majoritairement dans un registre familier.
. De l’emploi fréquent d’abréviations : profs, manifs, pub, etc. et de termes anglais : blues,
cool, job, etc. qui en français standard restent cantonnés à un registre familier. L’emploi
irréfléchi de termes calqués sur l’anglais, ou une traduction approximative, peut parfois
provoquer des faux-sens particulièrement dans la presse audio-visuelle comme la confusion
entre soutenir et supporter, crime et délit ou hebdomadaire et tabloïde. C’est ainsi que George
Bush est « en charge » et non aux commandes.
. De constructions syntaxiques particulières aux médias : Pourquoi la gauche va gagner (ou
perdre), là où l’on attend en français standard : Pourquoi la gauche va-t-elle gagner ? ou
Voilà pourquoi la gauche va gagner. Cette construction se retrouve avec d’autres
conjonctions comme combien ou comment : Comment cette tentative a échoué.
. De l’apparition de graphies incorrectes, comme cet immense panneau portant le titre
« RECENCEMENT » sur le plateau de FR3 (22 février 2005, 19h).
. De l’utilisation de plus en plus fréquente de l’orthographe des dialogues en direct sur
Internet, comme par exemple, utilisation de la valeur phonique des lettres et des chiffres :
A1DC4 (à un de ces quatre) 5. Phénomène qui se trouvait il y a plus d’un siècle sous la plume

3
  Grâce auquel « le ministre de l’éducation revoit sa copie à la baisse » ou « le pape du petit pois convoque le
gratin dans la capitale du Nord », cf. Michel Antoine BURNIER et Patrick RAMBAUD : Le journalisme sans
peine, Plon 1997.
4
  Dans le courrier des lecteurs (France Soir TV magazine du 9 au 6 février 2003), à propos de l’emploi du verbe
liquider pour tuer, un téléspectateur trouve « Etonnant qu’une grande journaliste emploie un vocabulaire de
voyou ».
5
  Cf . DEJOND, Aurélie : La cyberl@ngue française. La renaissance du livre, Tournai, 2002

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d’Alphonse Allais6, mais son usage en était limité. Il envahit actuellement les médias : un
magazine de France 5 s’intitule « C dans l’air ».
. Et enfin au niveau de la prononciation, une tendance à la fermeture des voyelles finales (était
est souvent prononcé comme été) et le fait de placer l’accent d’intensité, non plus sur une
dernière mais sur une première syllabe.

Vers une nouvelle phonologie ?

Un autre aspect intéressant à analyser réside dans ce qui peut apparaître comme une
transformation du système phonologique français. En français standard, il y a opposition nette
entre voyelles fermées et voyelles ouvertes : dé ~ dès, jeûne ~ jeune, sol ~ saule. Cette
opposition ne se maintient en finale de mot ouverte (c’est-à-dire terminée par une voyelle)
qu’avec e fermé et e ouvert : pré / prêt, épée / épais, marée / marais. Les deux autres
oppositions sont neutralisées au profit de la voyelle fermée : jeu, peu, pot, sot, en finale de
mot ouverte alors qu’elles se maintiennent en syllabe ouverte non finale : jeûne / jeune, nôtre /
notre, etc. Depuis 2002, il y a une tendance dans les médias à systématiser cette neutralisation.
Les voyelles finales de paix, anglais, français sont réalisées fermées ainsi que les finales de
l’imparfait et du conditionnel : était est prononcé comme été. Un autre changement concerne
l’accent d’intensité. “ En français, c’est toujours la dernière syllabe accentuée du groupe qui
est la plus forte et qui porte l’accent principal ” 7. Or depuis 2002, cet accent d’intensité est
parfois placé par les présentateurs de journaux télévisés sur une première syllabe, lorsqu’ils
veulent souligner un événement ou exprimer leur indignation. Sous cet accent, la voyelle
s’allonge et, dans le cas de syllabe ouverte, se réalise fermée : la première syllabe de politique
est alors prononcée comme pot.

Discret à ses débuts, le phénomène a pris de l’ampleur avec la crise irakienne et la guerre en
Irak, comme l’attestent ces extraits glanés au gré de chaînes de télévision (TF1, France 2,
France 3, et surtout Canal +, LCI, Euronews) de février à avril 2003 (les sons vocaliques en
gras marquent l’accent d’intensité et la réalisation fermée de la voyelle alors que la
prononciation standard demande des voyelles ouvertes) :

6
  Cf. Œuvres posthumes (1877-1905), Robert Laffont 1990, 588-590 (1900) : C’est que moi, je ne me contente
pas de transformer « Hérault » en « Ero » j’écris froidement « RO ». Non moins froidement j’écris « NRJ » pour
« Energie » et « RIT » pour « Hériter ». Je me garde bien de mettre : « Hélène a eu des bébés. » Combien plus
court, grâce à mon procédé : « LN A U D BB ». p. 590
7
  Bertil MALMBER, La phonétique (1954), PUF, 1987, p. 91

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L’opposition a rendu hommage à la fermeté du président de la République.
Jacques Chirac sera-t-il lauréat du prix Nobel de la paix ?
Les problèmes doivent être réglés par la politique.
L’ONU ne doit pas céder aux provocations.
La Pologne s’est rangée du côté des Américains.
Le chancelier allemand a profité de son voyage pour plaider la cause de la paix.
On ne connaît pas encore la date de la prochaine réunion.
Il faut mettre en place un programme humanitaire d’urgence.
L’assaut devrait être donné.
La logistique est prête.
Le Koweit s’inquiète de possibles représailles irakiennes.
Une colonne de blindés est arrivée près de Mossoul.
Les forces de la coalition ont bombardé le nord de L’Irak.
Soit un total de quinze morts.
L’offensive terrestre a débuté ce matin.
La progression des forces américaines a été stoppée.
L’Irak est peuplé de soixante pour cent de chiites.
Quatre hélicoptères sont positionnés.
Des protestations ont actuellement lieu dans les grandes capitales.

Cette transformation phonétique (accent d’intensité, allongement de la voyelle et réalisation
fermée) ne se produit qu’à l’intérieur de syllabe initiale ouverte. Dans le cas de syllabe initiale
fermée (terminée par une consonne, comme dans force, mortalité) ou de syllabes
intermédiaires (prisonnier), l’opposition voyelle ouverte / voyelle fermée est respectée (les o
de force, mortalité, prisonnier sont réalisés ouverts). Le e muet sous accent d’intensité peut
se réaliser eu fermé (un regain de tension, la recrudescence des combats, la première fois) ou
plus rarement o fermé (il a annoncé que Bagdad rejetait …). Depuis 2003, le phénomène
s’amplifie et tend à devenir la nouvelle norme phonologique du français médiatique :
neutralisation sous ce nouvel accent d’intensité de l’opposition d’aperture au profit d’une
voyelle fermée longue.

Implications didactiques

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Toute langue évolue. La conjonction malgré que, longtemps considérée comme fautive, a fait
son apparition dans les dictionnaires, le subjonctif n’est plus obligatoire après des verbes
comme penser ou croire à la forme interrogative ou négative. De même, l’ancienne opposition
entre e fermé et e ouvert pour distinguer la première personne du verbe avoir au présent de
l’indicatif (ai) de la première personne au présent du subjonctif (aie) est tombée en désuétude.
Les changements linguistiques des médias reflètent en partie les nouvelles tendances de la
société française : jeunisme, décontraction face à la langue, etc. Mais cette évolution a
comme conséquence une perte de référence pour l’étudiant étranger : la langue des médias
n’est plus la langue standard et donc plus un modèle. En effet, d’un côté, elle s’oppose à la
langue standard enseignée par les manuels de français langue étrangère, langue qui maintient
des oppositions vocaliques et qui distingue des registres de langue, de l’autre, elle n’est
absolument pas représentative de la phonologie de la grande majorité des locuteurs français,
car il s’agit d’écrit oralisé. Or beaucoup d’apprenants voient toujours dans la langue des
médias un exemple de langue standard, exemple à imiter. Ce qui peut provoquer l’emploi, lors
d’épreuves écrites d’examens, d’articulateurs normalement réservés à l’oral, mais que les
apprenants ont lus ou entendus dans la presse écrite ou parlée. La difficulté de discrimination
existe tant au niveau lexical (comme l’utilisation dans un contexte inapproprié du terme
bouffe) que phonique (reproduire la prononciation des présentateurs de journaux télévisés).

L’étude en salle de classe de documents authentiques provenant de la presse écrite ou orale
devrait permettre, par un travail de sensibilisation à la différence entre langue standard et
langue des médias, d’enrayer ce risque de confusion. Ce travail devrait intervenir dans les
classes préparant à des épreuves écrites comme par exemple celles du DELF 2 ou du DALF.

                                                                           Jean-Michel Robert
                                                                                    LESCLaP
                                                                         Université d’Amiens

                                                                                           5
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