Le délégué L'École, les violences, la Citoyenneté - DE L'ÉDUCATION NATIONALE - dden-fed.org
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Revue de la Fédération des Délégués Départementaux de l’Éducation Nationale le délégué n° 267 – juin 2021 DE L’ÉDUCATION NATIONALE L’École, les vi o l e n ce s, e n ne té. la Citoy
Sommaire n° 267 • Juin 2021 1 Édito DE L'ÉDUCATION NATIONALE N° commission paritaire : 0725 G 86913 124 rue La Fayette – 75010 Paris 2 Dossier : La violence à l’École Tél : 01 47 70 09 59 federation@dden-fed.org http://www.dden-fed.org Fédération des Délégués Départementaux de l’Éducation Nationale 9 Se construire citoyen ou Construire le citoyen ? Association 1901 Reconnue d’utilité publique. Association éducative complémentaire de l’enseignement public. Association nationale de jeunesse 17 Climat – Violences – Citoyenneté dans les Écoles primaires et d’éducation populaire. en 2021 Association ambassadrice de la Réserve citoyenne de l’Éducation nationale. Directeur de la publication : Eddy Khaldi 20 Unions départementales Responsable de la revue : Marie-Jo Aymard Comité de rédaction : Bernard Bissol • Michel Dupont • Philippe Foltier • Georges Fotinos • Philippe Gallier • 25 Lu et écouté pour Vous Catherine Haensler • Eddy Khaldi • Michel Lafont • Thierry Mesny • Élodie Pinel • Mireille Sabattier • Edith Semerdjian • Jean-Pierre Valentin Comité de lecture : 27 Pour Votre Documentation Marie-Jo Aymard • Martine Deldem • Chantal Detrez • Philippe Gallier • Eddy Khaldi • Mylène Rossignol • Edith Semerdjian • Brigitte Vaugne • Christian Vignaud Maquette, conception, réalisation et impression : Notre site Internet FDDEN : http://www.dden-fed.org/ Imprimerie Compédit Beauregard S.A. Z.I. Beauregard – 61600 LA FERTÉ-MACÉ Crédits photos : Fédération des DDEN. © Africa Studio Couverture : Extrait de l’ABC de la Laïcité – Éditions Demopolis, illustration de ALF (Alain Faillat). 4 NUMÉROS . PAR AN • Le numéro : 5 € Abonnement seul : 20 € : rien de plus simple … cliquer sur l’icône , remplir Les DDEN qui s’abonnent le formulaire de contact en précisant votre question … et par l’intermédiaire de leur Union envoyer !!! Départementale bénéficient d’un tarif préférentiel : 10 euros pour 4 numéros. : pour obtenir un droit d’accès Intranet … cliquer sur l’icône , remplir le formulaire de contact en précisant vos fonctions au sein de votre délégation (DDEN, secrétaire, président, trésorier ou autre…) … et envoyer !!! Et … à bientôt sur notre site !!!
Eddy Khaldi Président de la Fédération des DDEN édito du Président Éduquer à la citoyenneté pour éradiquer les violences L Le mot violence est lourd de sens car il renvoie à un ressenti personnel. La violence à l’École est une des formes les plus visibles, les plus ciblées. Ne doit-on pas parler des violences, plutôt que de la violence au sein de l’École ? Celles-ci recouvrent des réalités hétérogènes très diverses, insidieuses allant de l’incivilité, aux violences verbales, psychologiques ou à l’agression physique. Le mélange entre délinquance et incivilité ajoute à la confusion. Il est difficile de trouver une définition commune et on ne peut donc additionner des éléments et des faits de nature fort différente. En effet, il existe peu de statistiques et l’absence d’indicateurs concernant les violences à l’École primaire. Notons une remarquable enquête réalisée en 2007-2008 par notre Fédération : « Pour un mieux vivre de l’enfant à l’école : constats et prévention de la violence, dépistage des maltraitances ». La démarche de la Fédération, par cette enquête, a été de dresser un état des lieux, d’établir un recensement, aussi objec- tif que possible, sans tomber dans un dénigrement systématique. Participez Aujourd’hui, l’École maternelle, elle-même, n’est pas à l’abri de cette problématique. On peut se demander si la violence est le fait d’enfants de plus en plus jeunes mais aussi de plus en plus violents ? à l’enquête de Cependant, il faut replacer ces événements à leur juste proportion car l’ensemble des écoles n’est pas la Fédération menacé par ce fléau. Mais aussi, la surmédiatisation conduit, parfois, à additionner des faits divers pour « Climat, les ériger en un implacable fait de société. Cette fabrique de la peur peut inquiéter les parents avec des violences, titres racoleurs : « La violence constitue aujourd’hui la première préoccupation des parents d’élèves », « La citoyenneté violence au cœur de la rentrée scolaire ». L’École devient un bouc émissaire facile où certains sont dans les écoles prompts à illustrer les marronniers les plus ressassés. L’enseignement public a décidément bon dos. Ouvert à tous, il lutte en première ligne contre les maux de notre temps, qu’il affronte sans aucun filtre primaires », ni intermédiaire. S’y reflètent ainsi, immanquablement toutes les carences et dérives, tous les problè- mise en ligne mes de notre société : délinquance, chômage, violences… Pour autant, il n’est pas question d’occulter sur notre site ni de réduire les problèmes bien réels qui agitent l’École. Pas question non plus de mettre à l’index les Internet fin mai personnels qui se consacrent à cette tâche pour l’améliorer. jusqu’au 6 juillet 2021. Problème de société où l’insécurité devient un problème public autour duquel existent des enjeux et des rapports de force politique là où il faudrait trouver des consensus pour des solutions communes afin que l’élève soit éduqué, en toute quiétude, dans un environnement non menaçant. Tout enfant a le droit de vivre à l’abri de la violence physique et psychologique. En vertu de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’enfant, les États sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées pour pro- téger les enfants contre la violence. Dans le contexte particulier de la crise sanitaire que nous vivons, est-ce que ce fléau des violences s’est amplifié ? Ce sera l’objet de notre prochaine enquête : « Climat, violences et citoyenneté dans les Écoles en 2021 ». La réponse préventive à ces problèmes de violence se situe au sein même de l’École, lieu de socialisa- tion pour y développer une culture de la citoyenneté. C’est le sens de notre concours « Se construire Citoyen ». Ainsi, pour accompagner l’institution scolaire, les DDEN doivent y prendre leur place au regard de nos engagements pour les principes qui fondent le lien consubstantiel entre l’École et la République. Devant la montée des incivilités, il y a nécessité d’enseigner l’éducation civique et morale. La civilité est le savoir-vivre en commun car l’un ne peut exister sans l’autre. Le civisme est le respect des règles de l’École et des lois de la République par la prise de conscience de ses droits et ses devoirs par la citoyenne ou le citoyen en devenir. 22 avril 2021. le délégué | N° 267 | Juin 2021 1
Dossier La violence à l’ÉCOLE Edith Semerdjian Conseillère fédérale Les violences à l’École Les violences à l’ÉCOLE sont l’un des phé- limite le champ. Ce point peut être sujet nomènes les plus préoccupants de notre à discussion, car de nombreuses situa- société et cette question revient réguliè- tions perçues, comme des formes de rement au premier plan des débats violence par la personne qui en est sociaux. Elle n’est pas nouvelle, aussi limi- victime, ne sont pas nécessairement ter, encadrer, prévenir les violences sont conçues comme des actes violents par depuis toujours des missions centrales de leur auteur. Les Délégués l’École et de l’Éducation. L’école, le péris- Pour l’anthropologue Françoise Héritier, colaire, les réseaux socio-éducatifs et les Départementaux de parents se doivent d’y réfléchir pour que la violence se définit comme : l’Éducation Nationale les enfants puissent travailler dans un « Toute contrainte de nature physique s’appuyant sur leur décret du climat serein et constructif, qui favorisera ou psychique susceptible d’entraîner la les apprentissages. terreur, le déplacement, le malheur, la 10 janvier 1986, lequel souffrance ou la mort d’un être animé ; mentionne que « la fonction tout acte d’intrusion qui a pour effet Définition de la violence des délégués s’étend à tout ce volontaire ou involontaire la dépos- qui touche la vie scolaire », Il n’existe pas de définition consensuelle session d’autrui, le dommage ou la de la violence. Aussi l’OMS propose la destruction d’objets inanimés ». se posent la question définition suivante : de la violence à l’École, Cette définition, à l’instar de celle de « L’utilisation intentionnelle de la force l’OMS, englobe des formes de violence bien trop souvent médiatisée physique ou du pouvoir, sous forme de non physique. et relayée par les médias menace ou effective, contre soi-même, et les réseaux sociaux. une autre personne, un groupe ou une Les différentes formes communauté, qui a pour effet ou qui a une forte probabilité de produire une de violence blessure, la mort, un dommage psy- Adoptant une position résolument envi- chologique, un trouble du développe- ronnementaliste sur l’origine de la vio- ment ou une carence ». lence, la psychologie sociale postule que La notion d’intentionnalité est impor- l’agression constitue une réaction com- tante dans cette définition, car elle en portementale qui ne peut s’apprécier 2 le délégué | N° 267 | Juin 2021
Dossier que par rapport au contexte dans lequel consensus sur ce qu’est une agression et Livret réalisé par les élèves de l’école élémen- elle a lieu et en référence à la norme quels types de comportements ce terme taire publique Suzette Agulhon (Florac 48) sociale qui régit la situation. recouvre. qui a obtenu un Prix national au Concours « Se construire Citoyen » de la Fédération, Des recherches en éthologie ont en effet En visant les élèves ou les enseignants, en 2019. diffusé l’opinion selon laquelle l’agres- l’échelle de la violence, qui va de l’inso- sion constituerait un instinct toujours lence à la bagarre, de l’insulte au vanda- présent chez l’homme, mais les travaux lisme, de la provocation au racket, de la contemporains en psychologie sociale bousculade à l’incendie volontaire, de la s’orientent de plus en plus vers une ori- blessure au meurtre…, peut atteindre gine sociale de la violence. Est qualifié des limites extrêmes. L’actualité récente d’agression, un acte qui porte préjudice à nous l’a démontré par des actes extrê- autrui. mement graves et choquants, avec les L’agression est par définition un acte meurtres de Samuel Paty et de la jeune social, il n’y a pas d’agression sans Alisha jetée dans la Seine, et même s’ils victime. Elle prend son origine et ne se sont pas produits à l’intérieur de s’actualise dans la relation avec l’École, ces événements ont fortement autrui. Cette conception permet de impacté le monde scolaire. faire la distinction entre « agression » Les mots « agression » et « violence » et « agressivité ». Elle conduit aussi à sont entachés de stéréotypes et de considérer l’agression comme un valeurs, et s’avèrent être la plupart du comportement réactif dépendant du temps le résultat de jugements cir- contexte. Enfin, cette approche constanciels de la part des victimes, implique que l’agression est un com- d’un comportement particulier. Un portement appris, donc modifiable. comportement qui porte préjudice est La tendance à expliquer par des causes toujours considéré comme agressif internes, personnelles, les comporte- par la victime, rarement par l’auteur ments d’autrui conduit à inférer que l’in- (qui a tendance à justifier son com- dividu qui commet un acte d’agression portement par les paroles ou les actes est nécessairement agressif. La violence de la victime), alors que le témoin, et l’agression seraient donc dues au com- pour autant qu’il soit neutre, juge ce portement de quelques individus pré- comportement en fonction des règles sentant des caractéristiques patholo- sociales qui régissent la situation. giques. Cette conception privilégie Le psychologue Albert Bandura a mené l’explication interne en niant le contexte un ensemble de recherches afin d’identi- d’apparition de l’acte agressif. Or, il s’agit fier la manière dont l’individu acquiert là d’une vision très particulière du fonc- un comportement. Par ailleurs, les rela- tionnement social, puisque de nom- tions de l’individu à autrui s’apprennent breuses études ont au contraire montré à travers le succès ou l’échec des com- que les comportements d’agression et portements mis en œuvre. de violence peuvent être le fait de tout un chacun lorsque certaines conditions Le jeune enfant suit habituellement sont remplies. un modèle qui lui sert ainsi de guide et l’autorise en quelque sorte à s’enga- La psychologie sociale a en effet mis en ger dans tel ou tel comportement. En évidence que la plupart de nos tant que comportement interaction- conduites trouvent une explication nel, l’usage de l’agression est donc « externe », c’est-à-dire qu’elles consti- essentiellement le reflet d’une sociali- tuent des réactions à la situation ou à sation, qui participe à la constitution l’environnement (influence et présence de la personnalité comme style de des autres ou conditions environnemen- réaction dans certaines situations. tales matérielles telles que densité, lieu, etc.). De la même manière, l’agression n’a L’apprentissage de la vie en société ne pas lieu dans un vide social. Il y a des régit pas seulement le fait de s’engager normes qui règlent les modalités de ou non dans un acte d’agression, mais notre relation à autrui. C’est la société et prescrit aussi quels sont les types le groupe qui déterminent l’opportunité d’agression appropriés dans chaque ou la non-opportunité d’un comporte- situation. En effet, l’agression regroupe ment, c’est-à-dire dans quelles condi- un ensemble de comportements fort dif- tions un acte est licite ou au contraire férents les uns des autres. Elle peut être enfreint la norme, et dans ce cas est verbale ou physique, être orientée direc- considéré comme une agression. Cela tement contre la victime (agression explique qu’il n’existe que rarement un directe) ou l’atteindre de manière dégui- le délégué | N° 267 | Juin 2021 3
Dossier sée (agression indirecte). Une autre clas- Les recherches ultérieures ont permis de problème a réellement augmenté, ou sification établit une distinction en fonc- préciser les effets du contexte. Leonard plutôt si la perception des personnes tion des motivations de l’agresseur : Berkowitz a notamment montré que l’in- concernées s’est affinée. La réalité du l’agression hostile, destinée à nuire à dividu est sensible à certains indices problème et surtout celle des souf- autrui, et l’agression instrumentale, environnementaux, que l’on peut répar- frances et des désordres qu’il peut provo- moyen utilisé pour arriver à d’autres fins tir en trois catégories : les cibles, c’est-à- quer chez les enfants et les adultes d’un que blesser la victime. dire les personnes fragiles comme des établissement est cependant bien réelle. cibles d’agression plus « appropriées », les situations, et enfin les objets. La violence de l’élève Promouvoir Les enfants peuvent être eux aussi les droits des enfants Les enfants peuvent aussi être acteurs de victimes de violences et par leur vulné- violence, que ce soit dans leur famille, On constate cependant, que si les vio- rabilité, ils sont particulièrement expo- dans les relations avec des pairs ou des lences scolaires font la « Une » des sés à la maltraitance, aux abus et à la éducateurs, ou dans la société. La psy- médias et sont relayées par les réseaux violence sous toutes ses formes. chologie sociale s’efforce, depuis plu- sociaux, il faut bien souligner que près de sieurs décennies, de repérer les condi- L’usage des nouvelles technologies, peut 54 % des directeurs d’École ressentent tions qui favorisent ou inhibent parfois, par des utilisations détournées, un climat excellent/bon et 16 % un l’apparition des comportements d’agres- favoriser, accroître ou induire des situa- climat moyen/médiocre. Seulement un sion. Les analyses en termes de psycho- tions de harcèlement. On parle alors directeur sur deux considère que le logie sociale ont toutes montré que les de cyber-harcèlement, devenu une des climat de l’École s’est dégradé, ce qui circonstances jouent un rôle essentiel. formes de violence la plus communé- semble plutôt rassurant. ment répandue. Les premières recherches expérimen- La société évolue et l’École avec l’appren- tales ont conclu que l’individu ne s’en- tissage des nouvelles technologies doit gage dans un comportement d’agres- La souffrance est au cœur permettre aux enfants d’avoir une meil- sion que s’il se sent victime d’une de la violence : la victime leure compréhension et une meilleure injustice. Cette relation frustration- maîtrise de leur environnement. Par la agression préconisée par les premiers la vit, l’agresseur l’exprime mixité sociale et la Laïcité, ils appren- psychologues sociaux, ne se vérifie que Alors que l’on se focalise beaucoup sur la dront ce que signifie le « Bien commun », lorsque l’individu se trouve dans une violence des jeunes, il faut rappeler que par l’éducation et l’apprentissage de la situation dont il ne connaît pas les la violence physique se rencontre dès la citoyenneté, ils pourront mieux connaî- règles du jeu et qu’il ne comprend pas petite enfance. Mais si les faits de vio- tre « leurs droits et leurs devoirs » et, en ce qui lui arrive, en d’autres termes lence graves, rapportés font l’objet d’arti- devenant des citoyens éclairés, partici- quand la cause de la frustration semble cles, de commentaires et de manifesta- per plus efficacement à la construction arbitraire. tions, il est difficile de dire si l’ampleur du d’un monde apaisé. IMPORTANTE ENQUÊTE « Climat, violences, citoyenneté dans les écoles primaires » Cette importante enquête de la Fédération, afférente au dossier de cette publication, soutenue par l’Accord-cadre CASDEN/MENJS et par la FAS) sera, en priorité, mise en ligne sur notre site Internet dès la parution de la revue du mois de juin et jusqu’au 6 juillet 2021. Le questionnaire, qu’il vous sera demandé de communiquer à toutes les directrices et tous les directeurs d’école de votre dépar- tement, est conçu pour prendre en compte toutes les problématiques rencontrées dans l’exercice de leur fonction. Nous devons aussi solliciter nos partenaires pour nous aider à faire remplir cette enquête auprès des écoles, de façon à obtenir un maximum de réponses pour légitimer les résultats. La réussite de cette action dépendra entièrement de nous tous, plus le nombre de réponses sera important, plus grande en sera la prise en compte par les responsables de notre système éducatif. Les résultats constitueront, aussi, un des éléments pour réfléchir sur notre fonction et pour mieux nous faire connaître des mem- bres de la communauté éducative et ainsi nous faire, encore plus, reconnaître des institutions. Enquête accessible sur le site Internet de la Fédération des DDEN : https://forms.gle/nwagbEgF6bSRRGDn7 Si besoin, demandez votre code Intranet : http://www.dden-fed.org/intranet-dden/enquetes/ 4 le délégué | N° 267 | Juin 2021
Dossier Élodie Pinel Professeure agrégée de français et de philosophie Quand de simples moqueries deviennent des humiliations… Qu’est-ce qu’une blague Ces limites, qui les pose et comment ? À disparaître, soit celle que les coupables cette deuxième question, la réponse est leur infligent directement (le cas est rare, quand elle ne fait pas rire ? mais il existe : pensons à Alisha tout là aussi facile : l’adulte référent, celui qui Si elle est moqueuse, répétée, fait autorité, qui a pour rôle de récom- récemment). On doit évidemment ajouter amplifiée, et s’attaque penser les bons comportements comme à ce constat les comportements d’auto- toujours à la même personne, de sanctionner les mauvais. Lorsque les destruction que sont les troubles du adultes se désengagent de la punition comportement alimentaire, les auto- et que celle-ci en souffre, des moqueries répétées, lorsqu’ils préfè- mutilations, les comportements à risque, la réponse est simple : il s’agit rent minimiser les faits, quelles qu’en la toxicomanie, les dépendances en tout de harcèlement. En tant soient les raisons, le signal donné aux genre : dans tous les cas, il s’agit de se moqueurs est clair : ils ont champ libre ; punir sans savoir de quoi. qu’adultes, nous savons c’est alors la « raison du plus fort » qui est Lorsque l’on interroge les élèves concer- que la réaction de repli « toujours la meilleure » ; ils sont les nés, le silence règne. Ce n’est qu’au d’une personne à nos ironies loups, les autres sont les agneaux. Et lycée que les langues se délient, lorsque passagères est le signe cette manière de comprendre le fonc- les faits ont cessé. Des élèves de tionnement de la vie en groupe ne Terminale se livrent ainsi : « J'ai toujours qu’il faut s’arrêter là. pourra que s’accentuer ensuite, ayant été eu quelques rondeurs qui n'étaient pas Les enfants ne connaissent intégrée si tôt. acceptées par tout le monde. On me pas toujours cette limite Quant à la cible des moqueries, le signal critiquait en disant "Ah… ça va le mam- et peuvent éprouver reçu face à ce désaveu des « grands » est mouth ?", "Tu manges combien de ham- un certain plaisir à tester dévastateur : de victime, elle devient burgers par jour ? Une centaine ?", "T'es un coupable. Coupable de déranger les peu grosse"… et j'en passe. Ces remarques leur pouvoir de domination ont eu un impact sur moi. J'ai perdu adultes ayant autre chose à faire de plus sur certains de leurs important ; coupable de provoquer mal- confiance en moi, déjà que je n'en avais camarades. Car oui, gré elle lesdites invectives, puisque les pas beaucoup. » dès la maternelle, « l’homme moqueurs en rejettent toujours la res- Une autre élève écrit, des années après ponsabilité sur leur cible : il ou elle est les faits : « J’ai été harcelée de mon CP à la peut être un loup pour trop petit, trop gros, trop prétentieux, 3e. Au primaire, c’était compliqué de me l’homme » lorsqu’on ne lui trop bizarre, etc. Pour être le chef de faire accepter avec mes différences auprès pose pas de limites. meute, il faut affirmer son autorité en des élèves, mais aussi des professeurs. Ils parvenant à exclure quelqu’un du me mettaient de côté et depuis mon CP j’ai groupe, surtout quand l’autre fait de souvent entendu "tu n’y arriveras pas dans l’ombre à ce petit pouvoir ; pour l’exclure, la vie, il faudrait te retirer du cursus" par les il faut un prétexte. Telle est la logique du professeurs, puis les élèves me mettaient bouc émissaire analysée par exemple par toujours de côté. Je me sentais seule, par René Girard dans son livre éponyme. exemple je mangeais toute seule à la can- Après les moqueries viennent les humi- tine, en sport, on me choisissait toujours en liations, les insultes et/ou l’ostracisme, dernier. Je crois que ce qui m’a le plus trau- dont la violence n’est pas à négliger non matisée en primaire à cet âge-là, c’est qu’à plus ; l’étape suivante est, logiquement, chaque fois que je mettais un bonnet, on celle des coups et, aujourd’hui, de la dif- me l’arrachait et "on jouait" avec. Pour moi fusion des insultes, menaces et vidéos de c’était normal et du coup je ne voulais plus coups sur les réseaux sociaux et les mes- en mettre ». sageries instantanées. Les faits peuvent sembler anodins ; mais La dernière étape ? La mort. Soit celle ce sont les premiers jalons d’un harcèle- que les victimes se donnent à elles- ment qui ira jusqu’aux coups. Privée de mêmes, ayant compris que tout le soutien, l’élève dissimulera à ses parents : monde leur demande de s’effacer et de « Un garçon est venu me frapper, un autre le délégué | N° 267 | Juin 2021 5
Dossier jour, il m’a giflée et chaque fois je revenais car, quand il a été mis en place, il s’est que craignent les enfants qui sont la chez moi avec la boule au ventre ». Mes muré… ». « Ma fille a été harcelée sans que cible d’un harcèlement, c’est l’escalade parents me demandaient ce que repré- sa mère ou moi ne soyons au courant, de de la violence. Une maman indique à sentaient les traces sur mon corps, je leur l'École maternelle à la 5e. Cette situation a propos de sa fille : « elle va maintenant à répondais toujours les mêmes choses : pris fin le jour où ma fille a refusé de l’École en ayant peur des représailles. « je me suis pris des meubles ». Depuis, j’ai retourner en classe et a avoué des pensées Certaines de ses copines lui ont dit : commencé à en parler à une personne suicidaires. » "Jeanne, tu as abusé, ils faisaient ça pour extérieure à mon cercle familial et sco- rire" ». La solution trouvée est souvent une laire car elle m’avait vu pleurer et me sou- Ce qui nous ramène à notre interroga- solution par défaut : la fuite. Face à tenait. tion de départ : qu’est-ce qu’une blague l’inaction ou à l’inefficacité des mesures On sait que les agressions commencent prises par les établissements, beaucoup moqueuse quand elle ne fait pas rire ? pourtant dès le primaire pour s’amplifier de parents décident de changer leur au collège. Une enquête, réalisée en enfant d’établissement avant qu’il ne Élodie Pinel, Chevalier de l'ordre natio- 2010 par Éric Debarbieux pour soit trop tard. Un père d’élève raconte : nal du Mérite, professeure agrégée de l’Observatoire de la violence à l’École « la direction du collège a semblé bien plus français/philosophie au lycée. Docteure avec l’UNICEF, établit qu’en cycle 3, 11 à craindre pour elle-même qu’être préoccu- en littérature française, elle contribue 12 % des élèves ont subi du harcèlement pée par la protection de ma fille. À ma régulièrement à la rubrique « Livres » de (14 % pour le harcèlement moral, dont connaissance, rien n'a été fait. Ma fille a dû la revue Études. Engagée dans son acti- 8 % sévère et 10 % pour le harcèlement être hospitalisée et c'est dans ce cadre vité d'enseignante, elle est l'autrice physique, dont 5 % sévère). C’est donc qu'elle a été protégée et incitée à s'ouvrir. d'ouvrages scolaires et parascolaires dès le primaire qu’il faut prévenir les (…) Une plainte a été déposée mais, à ma pour les éditions du Robert, de vidéos élèves, former les personnels ensei- connaissance, jamais aucune suite n'a été pédagogiques pour Les Bons Profs et gnants et de direction et instaurer des donnée (…). En pratique, je vois ce qui est elle anime des ateliers de philosophie plans clairs et efficaces de prise en arrivé à ma fille comme un véritable pour enfants avec Les Petits Platons. charge des victimes et de sensibilisation lâchage ». Chroniqueuse pour Lumni (France télé- des témoins silencieux comme pour les Il faut malheureusement souligner cet visions) durant le confinement, elle coupables. élément pointé par l’une des élèves : des vient de créer le podcast de cours de enseignants peuvent parfois participer à français « Passe ton Bac de français C’est bien ce qui ressort des témoi- ce harcèlement. « Certains professeurs d'abord » (Spotify). gnages de parents d’élèves : le sentiment d’être seuls à accorder de l’importance à ont pris ma défense et certains autres, ce que leur confient leurs enfants, rares, l’ont aggravée (notamment une pro- lorsqu’ils parviennent à communiquer : fesseure d'allemand qui m'a prise comme « Tout ce que nous avons appris de ce qui tête de Turc au collège, m'appelant la lui était arrivé par la suite, nous a été rap- "sous-douée" devant toute la classe après porté par d'autres, enfants ou profes- avoir vu que j'étais "précoce", dans mon seurs ». Même constat du côté d’une dossier) ». autre maman : « Ma fille s’est tue (…) et a Des mesures seraient pourtant possi- craqué lorsqu’elle s’est pris un coup derrière bles ; un parent d’élève indique ainsi : la tête par un garçon envoyé par la bande « je suis convaincu qu'il serait nécessaire en question ». qu'en France, et ce dès la maternelle, l'on Une fois le silence levé, reste à agir. Les mette en place des temps collectifs de établissements se sentent souvent parole ». D’autres témoins sont moins démunis, insuffisamment formés et optimistes : « les enfants/ados sont un informés ; leurs réactions vont de la peu dans "leur monde" dans les établisse- négation du problème à une prise en ments scolaires, et même si les adultes charge maladroite. Une élève rapporte : essaient d'y faire évoluer des choses, ils « je me souviendrai toujours des moments ont peu de leviers (voire même peuvent où les parents d’élèves ont vu des scènes aggraver les situations par exemple où je me faisais harceler : ils sont allés voir quand le CPE a convoqué plusieurs élèves, ce qui a fini par se retourner contre moi), le directeur de mon établissement et il n’a car ils ne maîtrisent pas les codes des rela- pas réagi ». Je me souviendrai toujours tions sociales que les élèves établissent du moment où ma responsable m’avait entre eux ». dit : « Si tu te fais harceler, il y a qu’une seule solution : tu te fais toute petite et tu Il ne faut pas oublier : ce qui importe, ne participes plus durant les cours… ». c’est donner les règles du vivre-ensem- Une maman témoigne : « la seule ble et ce, malgré les incompréhensions, consigne que mon fils avait, était de faire les intolérances et les difficultés. La des rapports d'incidents, c’est-à-dire de sanction est nécessaire ; elle doit ouvrir relater les faits par écrit et les transmettre sur une conciliation qui permet aux vic- à l'infirmière. Pour mon fils, ce plan a été times de se sentir en sécurité. Comme complètement inefficace, tout simplement pour les cas de violences conjugales, ce 6 le délégué | N° 267 | Juin 2021
Dossier Jean-Pierre Valentin Directeur honoraire de la Protection judiciaire de la Jeunesse Les violences et l’École, quelle prévention ? Le discours sur l’École et la L’École est une « petite société » comme faire partager l’objectif d’amener cha- disait Durkheim, qui a donc à ce titre, cun à son plus haut niveau de réussite violence est récurrent. Pour ses règles, ses rituels, son langage. Et si et d’en être heureux. L’enjeu est donc autant il mérite d’être relancé c’est l’Honneur de l’École publique d’ac- pour les maîtres de contribuer à un chaque fois que nécessaire cueillir tous les enfants sans distinction, apprentissage de la citoyenneté qui ne pour examiner ce qu’il cela implique que tous n’ont pas a priori va pas de soi, car il suppose de prendre les codes, les habitudes ou le langage en compte à la fois l’enfant et son envi- recouvre et surtout les que suppose une intégration harmo- ronnement et les obligations qu’im- éléments de solution qu’il nieuse dans la vie scolaire. Cela peut pose le respect des règles du « vivre- suppose. Les faits sont là et créer des conflits, des frustrations et ensemble ». Chacun différent, mais donc générer de la violence. On le sait, tous semblables car tous, élèves et même s’ils ne concernent l’École n’est pas un sanctuaire. Encore citoyens en construction. Et cet qu’une minorité d’enfants, les moins aujourd’hui qu’hier notamment apprentissage s’il a un aspect théo- prendre en compte c’est aussi avec internet et les réseaux sociaux. rique, doit aussi se traduire par des actes dans l’organisation scolaire, les respecter leurs auteurs et Le but est donc de faire comprendre et rapports des élèves entre eux, élèves – tenter de les prévenir. accepter les contraintes scolaires et de enseignants, parents – enseignants, enseignants entre eux, avec les éche- lons hiérarchiques, etc. Là est aussi la prévention des violences. Certes dans ce cadre, la sanction doit exister, proportionnée aux actes com- mis (pour l’essentiel des incivilités) et s’inscrire dans la problématique plus large de la prévention de ces actes. Prévenir, c’est aussi guérir. L’École ne saurait résoudre à elle seule la question des violences. Il est trop facile de tout lui renvoyer lorsque bien des manque- ments se produisent ailleurs. La préven- tion passe par le travail en commun de tous les acteurs dans et autour de l’École. Personnels de la vie scolaire dont la hiérarchie évidemment, person- nels de santé et de service social… mais aussi les personnes-ressources exté- rieures : policiers, services sociaux, acteurs de Justice. L’enseignant ne sau- rait avoir seul toutes les compétences et heureusement. Mieux vaut additionner celles-ci car les violences ont des causes bien diverses et bien spécifiques par- fois. Les jeunes peuvent d’ailleurs être en même temps acteurs et victimes. La solution est souvent complexe et le dia- logue nécessaire avec les familles, faci- lité par la diversité des acteurs, pour peu qu’ils soient cohérents dans leur approche. le délégué | N° 267 | Juin 2021 7
Dossier Michel Lafont Conseiller fédéral Les violences à l’École… Quelques pistes pour les prévenir dès la maternelle Quand, à la fin de l’année scolaire 2015- • Les élèves de la section des grands ont expli- cour de récréation ; le banc sur lequel les 2016, l’Union Départementale des DDEN qué aux plus petits ce que les vignettes signi- amitiés se renforcent. du Tarn a édité le recueil intitulé « L’École fiaient et ces règles, acceptées et connues Dans certaines Écoles, dès la maternelle, publique, les valeurs de la République », par tous, ont été affichées dans l’École. des ateliers philosophiques sont pratiqués. l’objectif principal était de mettre en évi- • Il a été décidé que toute altercation devait Les enseignants de ces classes savent que dence des actions menées dans les Écoles immédiatement cesser si un des belligé- la violence commence là où la parole s'ar- publiques du département illustrant les rête. Alors on y apprend à débattre, à écou- rants prononçait les mots : MESSAGE CLAIR valeurs républicaines. Il fallait les faire ter et respecter l’autre, à attendre avant de « à ce moment précis, chacun doit se cal- connaître et reconnaître, par le grand prendre la parole, mais aussi à accepter les mer, faire face à l’autre et exprimer par le public et les enseignants, comme des idées différentes des siennes. langage ce qu’il ressent, afin de mettre des exemples transposables dans d’autres Toutes ces démarches s’appuient sur le mots sur le différend. Il s’agit d’apprendre à classes, d’autres Écoles, d’autres centres respect de l’autre et quelques classes ont se parler, à s’écouter plutôt que d’en venir de loisirs. adopté le principe des cribles de Socrate aux mains. » Antoine Guiraud, le président de l’UD des pour accroître leur attention vigilante DDEN du Tarn, titrait sa préface ainsi : D’autres classes ont travaillé le thème de la face aux ragots et aux médisances. « Vivre ensemble est un art qui se cultive. » différence avec des Très Petites Sections/ Des actions comme celles qui précèdent, Petites Sections (TPS/PS) à partir de la Ces actions ont touché tous les niveaux de en quatre années scolaires, nous en avons lecture de l’album « Réglisse et Calisson » et l’École primaire. Nous vous proposons de repéré près d’une centaine et ce n’est que les Moyennes Sections et Grandes Sections nous intéresser à ce qui a pu se faire en la partie émergée de l’iceberg. Tous les (MS et GS) ont défini des règles pour départements en recèlent. Il nous revient, à maternelle. apprendre à partager les jeux de cour. nous DDEN de les valoriser. L’opération Prévenir la violence c’est établir le respect dans tous les actes de la vie quotidienne : Des Moyennes Sections et Grandes nationale « Se construire Citoyen » et d’au- Sections ont travaillé sur l’apprentissage tres actions locales nous le permettent. • Lors du partage d’un gâteau d’anniver- du respect de soi et des autres, sur l’atten- saire, les élèves attendent que tous les Ainsi nous prouvons que ce qui se fait à tion à l’autre et l’entraide. Les élèves ont l’École publique autour des valeurs de la camarades soient servis, puis se disent appris à identifier leurs émotions et leurs République et pour l’amélioration du « bon appétit » avant de commencer à sentiments ; ils ont pratiqué l’empathie en vivre-ensemble mérite d’être connu et mis manger. Ils se servent et font passer le plat adoptant le « banc de l’amitié » dans la en avant. au voisin avant de commencer. • En salle de motricité, ils pratiquent la « course à deux » qui nécessite, pour Les trois cribles de Socrate, un outil au service de la prévention de la violence à l’École gagner, d’arriver ensemble sans se lâcher la Un homme aborde Socrate : main, ni faire tomber son camarade. – II faut absolument que je te raconte, dit-il, visiblement excité. Tu sais, ton ami… • La prise en charge d’un plus jeune enfant – Arrête ! L’interrompt Socrate, as-tu passé ce que tu désires me communiquer par ou d’un enfant en difficulté se fait par un les trois cribles ? élève plus avancé. – Que veux-tu dire ? • Pour développer l’égalité filles/garçons, des – Le premier crible est celui de la vérité ; ce que tu as à me dire, est-ce absolument vrai ? albums (Toi et moi, Petit Ours, Couché, papa !, Azur et Asnar…) sont lus pour faire – Je le pense, reprit l’autre, mais enfin, je ne l’ai pas vu de mes propres yeux, c’est un compa- évoluer le schéma familial classique en pro- gnon qui m’a dit que… voquant des discussions et en confrontant – Le deuxième crible, interrompt à nouveau Socrate, est celui de la bonté ; ce que tu vas me les différentes perceptions du monde. dire, est-il de nature bienfaisante ? Sans attendre de posséder le code écrit, – Pas précisément, c’est plutôt le contraire. les élèves s’approprient ou construisent – Le troisième crible enfin est celui de la nécessité ; est-il absolument indispensable que je des pictogrammes permettant de savoir sache ce que tu veux me dire ? ce qu’il est possible de faire à l’École et ce – Indispensable ? Non, pas tout à fait, mais enfin, je pensais… qui est interdit. – Eh bien, mon ami ! Si ce que tu as à me dire n’est ni indispensable, ni bienveillant, ni vrai, • Ils élaborent des règles de vie commune pourquoi le colporter ? Efface-le de ta mémoire et parlons de choses plus sages. compréhensibles par tous. 8 le délégué | N° 267 | Juin 2021
Se construire citoyen Philippe Gallier Conseiller fédéral Construire le Citoyen ou « Se construire Citoyen ? » La citoyenneté est le fruit d’un Vers (« Pour ») la construction portements. C’est donc bien à la base, dans la vie et dans l’action, qu’il y a apprentissage. Un enfant ne de l’enfant-citoyen urgence de réactiver la culture civique et peut seul inventer des valeurs On a longtemps cru que les évolutions l’éducation à la citoyenneté. ni des règles de vie collective. techniques et l’accroissement des connaissances allaient rendre l’Homme Cependant, dans le contexte sociétal Il faut les lui enseigner et lui meilleur. Apprenons-lui à lire et à écrire, actuel, il est possible que certains ensei- permettre de reconnaître ce améliorons les conditions techniques de gnants ne voient dans les principes de la qu’il y a de commun en son travail, apportons-lui toujours devise républicaine que des valeurs davantage d’éléments de civilisation par aujourd’hui peu efficientes puisque trop chaque être humain et ce qui souvent dévoyées ou contredites par les les moyens modernes de communica- est du domaine du nécessaire tion et l’homme cessera d’être un loup réalités sociales qui, en imposant des et de l’incontournable dans pour l’homme. Donnons-lui une culture droits individuels, prennent le pas sur et son potentiel de civisme et de citoyen- l’intérêt général. les comportements de chacun neté en sera amélioré. En fonction de ses capacités de discerne- pour vivre en société et pour « Tout enfant qu’on enseigne est un ment et de sa maturité sociale, l’enfant faire société. L’École et la homme qu’on gagne », écrivait Victor qui se construit doit pouvoir connaître société sont de plus en plus Hugo. un environnement stimulant et structu- interdépendantes et au rant, propice à son implication et à sa C’est ainsi qu’avec ferveur les instituteurs participation dans le lieu privilégié de moment où la lutte contre les apportaient aux élèves des connais- socialisation qui lui est dédié : l’École phénomènes de violence ou sances sans lesquelles ils pouvaient diffi- publique. L’enfant comme l’arbre se contre les replis identitaires cilement s’intégrer en tant que citoyens construit de l’intérieur selon des proces- au sein de la société. Seulement, au fil du semble s’installer comme temps et notamment, depuis ces der- sus qui lui sont propres. Il puise dans le autant d’inquiétudes milieu les matériaux qui lui sont indis- nières décennies, les exigences du socle pensables et qu’il s’approprie pour sa sociétales, il convient à la fois des savoirs, les incessantes réformes, nourriture et sa croissance. Ce sont ces de faire preuve de lucidité leurs circulaires consécutives, les évalua- matériaux qu’il faut mettre à la disposi- tions chronophages et la pression insti- mais aussi d’exigences en tion de tous les jeunes et c’est un milieu tutionnelle ont délimité l’éventail des aidant et apaisant qu’il faut leur préparer. recherchant et en imposant pratiques pédagogiques. Et même avec des réponses appropriées aux la meilleure volonté, les enseignants L’École ne saurait se désintéresser de la d’aujourd’hui, engagés dans la subordi- construction de la citoyenneté en direc- situations éminemment nation aux directives ministérielles suc- tion des enfants. Cet apprentissage est évolutives que génère notre cessives et aux insistantes contraintes non seulement nécessaire mais indis- société et qui portent en elles administratives, sont bien embarrassés pensable car sans lui, il ne saurait y avoir tous les éléments d’une pour créer dans leur classe le climat qui de formation vraiment sociale et donnerait corps et sentiment aux actes humaine. On peut regretter que, globa- régression sociale. Clef de qui rendent possible l’épanouissement lement, l’École actuelle manque à ce voûte de l’édifice républicain, de tout enfant et l’émergence de son sta- devoir en négligeant presque cette édu- l’École, à ce propos, doit tut de citoyen. cation. On constate en effet que cette approche n’est distillée que par petites pouvoir assumer son rôle On ne peut se satisfaire de l’illusion qu’en connaissant par cœur, dans leur hiérar- touches en fonction des emplois du fondamental. temps et en fonction de la motivation chie et leur fonction, les organismes du Pouvoir républicain, on devienne un bon des enseignants. citoyen. Le civisme n’est pas une affaire de Former les citoyens de demain mémoire, il est dans la vie de tous les C’est le rôle de l’École que de former les jours, dans les actes et dans les com- citoyens de demain. Elle est aussi souvent le délégué | N° 267 | Juin 2021 9
Se construire citoyen le dernier lieu où peuvent être inculquées • Participer à des décisions collectives en Cette construction du Citoyen à l’École les valeurs citoyennes. Depuis un grand donnant son avis, en défendant son fait l’objet d’un certain consensus mais, nombre d’années, l’éducation à la point de vue, en formulant des choix au-delà, et sous prétexte que cette citoyenneté connaît des soubresauts et, d’organisation, des règlements ou des préoccupation réponde à l’intérêt du aujourd’hui, au regard des secousses que règles de vie. moment, l’approche à la citoyenneté se vit notre société, elle est de nouveau sujet • S’engager dans des projets collectifs limite souvent à l’apprentissage de la d’actualité et manifeste la nécessité de réels et négociés. politesse, de comportements corrects à réactiver l’apprentissage des valeurs col- observer ou au respect de règles ou de lectives qui régissent toutes nos relations • Prendre des responsabilités qui structu- règlements à propos desquels, lors de sociales et particulièrement celles des rent sa personnalité. leur élaboration, l’avis des enfants jeunes. • S’ouvrir aux autres, les écouter et coo- concernés, les citoyens en devenir, n’aura pérer avec eux. pas été sollicité ! Parce qu’elles sont for- Ministres, parents, enseignants, mouve- ments d’éducation populaire, DDEN… • Et surtout apprendre à gérer les conflits matrices, seraient bienvenues des dis- nombreux sont ceux qui affirment son par la parole et non plus par des coups. cussions sur, entre autres, les limites des importance et appellent sa présence ren- droits et l’étendue des devoirs de tout C’est par de telles pratiques sociales et forcée. Derrière cette unanimité générale citoyen, quel que soit son sexe, dans éducatives que les jeunes peuvent se profilent certains points qui, pour les notre société démocratique, les spécifici- acquérir, progressivement, l’assurance, la militants que nous sommes, semblent tés des espaces publics et privés, la place confiance en soi, la construction du rap- sortir du domaine de notre compétence. de la parole de la jeunesse, sans oublier port à la Loi et ainsi se doter de compé- Certaines réalités semblent nous dépas- un éveil à la solidarité et l’éveil à une tences pour s’impliquer et entrer en ser et peut-être, effectivement, nous conscience humaniste et laïque. citoyenneté. dépassent-elles réellement. Cette éducation est une ouverture sus- Parce que nous sommes nous-mêmes La construction du désir de vivre en ceptible d’installer des pensées construc- citoyens responsables, il nous est légi- société n’est pas un thème qui émerge tives autour des manières de vivre time d’interroger sur l’absence, ici ou là, comme faisant partie d’une priorité tout ensemble de façon apaisée, sur les de projets ou de pratiques d’actions édu- au long du cursus scolaire. La question conceptions du lien social, sur l’utilité catives démocratiques qui favorisent qui se pose à nous, DDEN, est de savoir des règles de vie collective et des valeurs l’exercice du droit de participation des comment l’École peut y contribuer et qui les fondent. Ces pistes sont éduca- élèves aux affaires qui concernent leur favoriser la construction du sentiment tives car elles aident à la prise de socialisation. d’appartenance à notre société en refu- conscience de l’intérêt général. Nous sant et en luttant contre toutes formes L’École n’est pas le seul lieu où l’enfant pourrions suggérer au ministre de de communautarisme et aider à l’enraci- évolue et n’est pas non plus le seul lieu l’Éducation nationale qu’il encourage de nement du désir de vivre avec les autres d’apprentissage de la citoyenneté mais façon explicite et officielle la généralisa- dans notre espace sociétal que, peut- elle en reste bien le lieu privilégié. En tion de telles conduites, non pas nova- être, nous n’arrivons plus précisément à apprenant à exercer leur droit de citoyen, trices mais bien progressistes, et qu’il définir… Il y aurait certainement avantage à apporte son soutien aux enseignants encourager les élèves à ne pas sous-esti- agissant en ce sens, actuellement sur le Si l’École a un rôle décisif à jouer dans la mer la possibilité qui leur est permise de terrain car, si des expériences auda- formation du citoyen, évoquer l’appren- tenter de changer les choses quand ils ne cieuses se multiplient, des résistances tissage de la vie sociale à l’École, c’est-à- sont pas d’accord avec ce qu’ils voient, continuent d’exister, liées souvent à des dire dans un lieu clos, dans un espace avec ce qu’ils vivent ou ce qu’ils subis- enjeux de pouvoir et, concernant les spécifique où l’enjeu n’est en rien compa- sent. C’est à l’École que devrait pouvoir enfants, à une représentation des adultes rable à celui de « la vraie vie », pourrait s’effectuer cet apprentissage. C’est à les considérant souvent comme incapa- paraître paradoxal sans l’apport des ver- l’École que devrait pouvoir se décons- bles d’assumer des responsabilités. tus de la vie coopérative à l’École dont le truire des postures, des attitudes, des but est de faire naître des individus Parce que ce sont des domaines contro- actes d’agressivité verbale ou de conflit acteurs, responsables et solidaires pour versés et souvent objets de débats, il est physique et y rencontrer des enseignants que chacun d’eux puisse structurer sa vie de notre responsabilité, dans le cadre de qui, par leur détermination quasi mili- personnelle, avec les autres et tous l’opération « se construire citoyen », de tante, font vivre des organisations d’acti- ensemble. savoir reconnaître, valoriser et extériori- vités et de vie qui poussent les élèves à ser l’investissement des enseignants pas- Les pionniers Barthélémy Profit, Célestin des prises de conscience. Cette explora- sionnés qui n’auront pas hésité à s’enga- Freinet, Fernand Oury, entre autres, ont tion pédagogique aide, en effet, à la valorisé les apports de ger et à engager leurs élèves dans ces compréhension et à la construction des la coopération à l’École chemins pour leur faire découvrir et vivre savoir-être. Il s’agit bien d’aider à la au service de l’éduca- les aspects stimulants et structurants réflexion, à l’acquisition de connais- tion à la citoyenneté. d’une organisation coopérative de la vie sances par des questionnements appro- La classe et également scolaire préparant à l’harmonie sociale. priés et d’opérer le nécessaire ajuste- d’autres lieux de vie, ment entre les désirs des enfants, leurs La construction du citoyen ne s’enseigne deviennent un lieu de envies, leurs contestations, leurs ques- pas, elle se pratique et se vit. « Tu me dis, pratiques citoyennes tionnements et la pertinence de la fina- j’oublie, Tu m’enseignes, je me souviens, Tu qui permettent à lité éducative de l’École en rapport avec m’impliques, j’apprends » (Benjamin Célestin Freinet. chaque enfant de : la construction du Citoyen. Franklin). 10 le délégué | N° 267 | Juin 2021
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