LE KOTEL APPARTIENT À TOUS LES JUIFS - Tenou'a
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SUPPLÉMENT GRATUIT AU N° 168 - ISSN 0293-8812 LE KOTEL APPARTIENT À TOUS LES JUIFS LE 26 JUIN 2017, LE PREMIER MINISTRE ISRAÉLIEN EST REVENU SUR SON ENGAGEMENT D’ÉTABLIR UN NOUVEL ESPACE DE PRIÈRE ÉGALITAIRE ET PLURALISTE AU MUR DES LAMENTATIONS. TENOU’A VOUS PROPOSE LES RÉACTIONS DE MICHAËL BAR-ZVI, JEAN-FRANÇOIS BENSAHEL, DANIELLE COHEN, ARIEL GOLDMANN, DELPHINE HORVILLEUR, FRANCIS KALIFAT, RICHARD PRASQUIER, REUVEN RIVLIN, LESLEY SACHS ET NATAN SHARANSKY “Tenou’a - Atelier de pensée(s) juive(s)” | Revue trimestrielle de l’Association Tenou’a | Supplément au numéro 168 | Dépôt légal : 29 juin 2017 | N° CPPAP : 0918 G 93165 11 rue Gaston-de-Caillavet, 75015 Paris | Directrice de la rédaction : Delphine Horvilleur | Rédacteur en chef : Antoine Strobel-Dahan | Directeur de la publication : Francis Lentschner Directeur artistique : Élie Papiernik | Relecture : Sarah Rozenblum | Imprimé par COMPEDIT BEAUREGARD SA - 61600 La Ferté-Macé. TENOUA_168_SUPPLEMENT_V08.indd 1 29/06/2017 19:33
FAUTE depuis deux ans et par ailleurs la conjoncture internationale n’a jamais été aussi favorable à POLITIQUE, Israël, en raison du changement d’administration aux États-Unis et du contexte géopolitique régional. Netanyahou a réussi créer des relations ERREUR de coopération économique avec les grands pays émergents comme l’Inde et la Chine. Il a récemment participé à une grande convention HISTORIQUE en Afrique orientale. Alors pourquoi revenir sur un compromis dont il avait été l’initiateur et que le président de l’Agence juive, membre du Likoud, Natan Sharansky avait réussi à négocier ? MICHAËL BAR-ZVI PHILOSOPHE Netanyahou, généralement habile tacticien dans les manœuvres politiciennes, s’est fourvoyé pour des raisons de survie politique. On a du mal à L e jour de la date limite fixée par la Cour croire qu’un Premier ministre de l’État du peuple suprême pour l’application de la décision juif soit prêt à briser l’unité du peuple juif, à travers du gouvernement israélien de créer une zone tous ses courants en Israël et en diaspora, pour rester de prières mixte près du Kotel, le Premier ministre au pouvoir. Les réactions au sein du gouvernement Benjamin Netanyahou a décidé de suspendre les et des représentants des courants du judaïsme n’ont travaux d’installation du lieu, qui soit dit en passant pas tardé et il faut espérer qu’elles mèneront à un ne fait pas partie de l’esplanade en elle-même mais changement de position. dépend de l’Autorité de l’archéologie. Depuis la création du nouveau cabinet israélien, les partis La seconde question est d’ordre historique, car orthodoxes ne cessent de faire pression sur le Premier contrairement à ce que certains hommes politiques ministre pour limiter les contours du statu quo, veulent nous faire croire, il ne s’agit pas d’une crise devenu de plus en plus friable. Ils ont obtenu, sans entre le gouvernement israélien et le mouvement trop de difficultés, des financements supplémentaires libéral américain, mais d’une volonté de réécrire pour des réseaux d’écoles non-sionistes qui l’histoire. Ce ne sont pas les partis orthodoxes qui n’enseignent pas les matières obligatoires du cursus ont libéré le Kotel et la Vieille Ville de Jérusalem, scolaire. Ils viennent d’obtenir une modification de mais des soldats de Tsahal, une armée dans laquelle la loi sur les conversions en Israël, y compris celles nombre d’entre eux refusent de s’engager. C’est réalisées par des rabbins orthodoxes, non contrôlés aux sacrifices de ces parachutistes que nous devons par le Rabbinat. Ils ont déposé des amendements sur la liberté de prier sur les lieux où nos ancêtres la loi concernant les transports publics le shabbat. érigèrent le Temple de Jérusalem. La capitale de Mais avant tout, ils cherchent à briser le consensus l’État d’Israël est avant tout le siège des sites qui instauré par le mouvement sioniste qui consistait à établissent au regard des nations la souveraineté rassembler, à dialoguer, plutôt qu’à séparer. L’unité, du peuple juif sur la terre de ses ancêtres, qui même dans le débat ardent entre les communautés, n’étaient ni des orthodoxes, ni des réformistes, du peuple d’Israël a toujours été l’élément fondateur ni des laïques, mais des fils d’Israël, porteur d’un de la société israélienne et le ciment de sa démocratie. patrimoine dont le socle principal est la loi. Israël, malgré les concessions faîtes aux orthodoxes par La première question que l’on se pose est d’ordre Ben-Gourion dès son indépendance sur le statu quo politique. Pour quelle raison Netanyahou a-t-il pris religieux, n’est pas un État « halakhique » mais un cette décision maintenant, à l’heure où le peuple État juif et démocratique, qui par essence reconnaît juif célèbre les cinquante ans du retour sur ce lieu la pluralité maximale des manières de vivre la symbolique pour chaque Juif, pratiquant ou non ? judéité. Un gouvernement, un Premier ministre qui remettraient en cause ce principe perdraient La coalition gouvernementale n’est pas en danger, toute légitimité morale, et aboliraient ainsi le sens les orthodoxes n’ont aucune intention de la profond du sionisme, qui a redonné au peuple juif démanteler, car aucune autre constellation politique une histoire dont l’épicentre est la centralité de ne leur apporterait les budgets dont ils bénéficient Jérusalem, ville dont le cœur bat en chacun de nous. IV TENOUA_168_SUPPLEMENT_V08.indd 4 29/06/2017 19:33
TENOUA_163_COUV_P1 V01.pdf 1 04/03/2016 13:21 LIBERTÉ HEUREUX COMME DIEU EN FRANCE ÉGALITÉ LES JUIFS DANS LA RÉPUBLIQUE 163 FRATERNITÉ HOMMAGE À MARIANNE C M J CM MJ CJ CMJ N Collection Ma Préférence LETTRES À LA FRANCE Les bagues interchangeables N°163 – PRINTEMPS 2016 : AVEC NOTAMMENT ÉMILIE FRÈCHE, SALOMON MALKA, DOMINIQUE SCHNAPPER, JEAN-CHRISTOPHE ATTIAS, ANNETTE WIEVIORKA FRANÇOIS HEILBRONN, NOURITH, GÉRARD HADDAD, BRIGITTE STORA, MARC-ALAIN OUAKNIN, PATRICK CHASQUÈS, NOÉMIE BENCHIMOL, SERGE KLARSFELD, GEORGES BENSOUSSAN, JEAN-FRANÇOIS BENSAHEL, ROSIE PINHAS-DELPUECH, DOV ZERAH... ISSN 0293-8812 9€ 1602060_POIRAY_FR_TENOUA_AVR1_MAPREFERENCE_ROUGE_210x280.indd 1 03/03/2016 14:37
אבגדהוזחטיכלמנסעפצקרשת LETTRE À MA FRANCE JUIVE Chère France, dans un rapport de filiation et de trans- Il ne se passe pas à un jour sans que je mission. Ce n’est pas l’amour qui ne pense à toi, aux moments heureux compte, de même que ce n’est pas le et malheureux de notre vie commune. désamour qui désespère, car au cœur de Je n’y songe pas avec nostalgie, mais la relation entre la France et Israël il y a avec la crainte que l’oubli ne finisse pas autre chose de bien plus fort et bien effacer ce qui nous a liés si longtemps. plus essentiel, c’est la notion d’élection. Les remous et les troubles de l’histoire Deux peuples qui partagent l’idée peuvent-ils broyer en un tournemain le d’une mission envers les autres peuples, passé qui a permis de bâtir les fonde- différente bien sûr, mais qui ont ce sens ments spirituels d’une civilisation ? En de l’honneur, que certains désigneront devenant sacrée la laïcité a-t-elle anéanti comme le messianisme et d’autres la figure d’Israël, centrale dans la cul- comme la chevalerie. ture et la littérature française ? Qui pourrait encore décrire les personnages Mais dans une France où les héros sont bibliques de la Légende des siècles ? des « people » issus du show-biz, du sport ou de la mode que devient cet es- prit ? La haine d’Israël n’est pas seule- ment l’antisémitisme classique dénonçant les tares juives, elle com- ISRAËL mence par l’indifférence, par le relati- visme où tout se vaut et où au fond rien # n’a de valeur, même la souffrance. Le multiculturalisme en voulant bâtir un « vivre-ensemble » a abandonné des ter- MICHAËL BAR-ZVI Philosophe ritoires, condamné des jeunes au radi- Auteur notamment de Israël et la France, l’alliance égarée (Les Provinciales, 2014) calisme et éloigné des familles et de Pour une politique de la transmission, réflexions sur la question sioniste décomposées. Drumont s’est trans- (Les Provinciales, à paraître en avril 2016) formé en humoriste et Céline en anti- sioniste islamo-gauchiste pour rejeter La France du post-modernisme et du les blasons d’une alliance spirituelle an- métissage a gommé le nom juif, qui en- cienne qui permit pendant des siècles à richissait son patrimoine de Rachi à Montaigne, Pascal, Racine, Bossuet, Proust ou des kabbalistes de Provence Hugo, Péguy ou Claudel de créer la à Emmanuel Lévinas. Une France dé- magnifique galerie juive de la culture christianisée et a fortiori déjudaïsée n’est française. Sommes-nous revenus au pas seulement un pays qui renie ses ra- temps où le rabbin de Paris Yehiel cines, mais une société qui déconstruit quitta la France pour monter en Erets sa demeure actuelle et assombrit son Israel après la destruction du Talmud au avenir. Il ne s’agit pas de prouver que XIIIe siècle ou bien à celui du roi Louis des Juifs vivaient sur cette terre avant XIV venu rendre hommage aux Juifs qu’elle ne devienne le royaume de dans la synagogue de Metz ? France, en revanche il est important de comprendre pourquoi celui-ci choisit C’est en France que le peuple juif, au les emblèmes de la dynastie du roi lendemain de l’affaire Dreyfus, retrouva David comme symbole de sa souverai- sa dignité nationale pour refonder un neté. Le peuple d’Israël est le modèle État, et j’espère que la France puisera sur lequel la nation française s’est dans le sionisme son retour en force constituée, et la fleur de lys ou le sacre dans l’histoire pour y rétablir sa gloire. du roi par l’onction ne sont pas des actes anodins, ils trouvent leur source « Que la France jouisse d’une paix du- dans la tradition juive. La France, fille rable et conserve son rang glorieux au aînée de l’Église, est aussi juive en cela, milieu des nations. Amen. » 27
DANS LE TEXTE TORAH UN VERSET DOUZE LECTURES . לעבדה ולשמרה,*עד-*; וינחהו בג/האד- את,/ויקח יי אלהי L’ÉTERNEL-DIEU PRIT DONC L’HOMME ET L’ÉTABLIT DANS LE JARDIN D’ÉDEN POUR QU’IL LE TRAVAILLE ET LE SOIGNE. GENÈSE 2:15 TENOU’A A DEMANDÉ À DOUZE PERSONNALITÉS DE NOUS DONNER LEUR LECTURE DE CE VERSET © Lion Lichter 8
DANS LE TEXTE TORAH LISHMOR, « PROTÉGER » MAIS AUSSI « ESPÉRER » Michaël Azoulay, Rabbin, Neuilly-sur-Seine Face à ce qui est devenu un sentiment d’urgence de devoir agir pour la sauvegarde de notre planète, si l’on postule que « le jardin d’Éden » et « l’homme » sont des métaphores de la Terre et de l’humanité qu’elle porte, ce verset me sem- ble induire deux idées-forces : - La Bible plaçant l’Homme dès le début en présence et en relation avec la nature, l’évolution inexorable d’une humanité vers ÉCOLO MA NON TROPPO une urbanité dominante a profondément Michaël Bar Zvi, Philosophe et durablement affaibli sa sensibilité à la préservation de l’écosystème. Les peuples Ce verset de la Genèse est-il le fondement d’une écolo- amérindiens ou africains, par exemple, peu- gie juive ? Il questionne la relation de l’homme à la nature, vent nous aider à réinvestir ce lien perdu et en même temps nous montre que celle-ci n’a pas le sens avec Mère Nature. que lui donne la philosophie occidentale d’origine grecque. - L’humanité a trop longtemps « cultivé », En hébreu, la nature est désignée par le terme teva, qui si- ou plutôt surexploité son environnement, gnifie planter. Autrement dit, dans le judaïsme, il n’y a pas rempli et soumis la terre (Genèse 1:28), au de nature avant l’action de l’homme, comme un objet qui détriment de sa protection. Le temps est serait là avec ses propres règles de fonctionnement, ses cy- venu de changer de paradigme. Aux res- cles et ses forces telluriques. Le verset évoque deux mitsvot ponsables religieux d’apporter leur contri- de caractère différent. La première qui consiste à cultiver bution en évoquant plus souvent dans la terre, avec le terme avoda, le travail dans son sens noble, leurs interventions auprès de leurs fidèles, comme dans le culte de Dieu (avodat Hashem), et d’ailleurs l’urgence vitale du développement dura- le texte ne dit pas amal, qui signifie travail dans son ex- ble. Dans la Bible, lishmor signifie aussi pression de labeur. La seconde mitsva évoque la nécessité « espérer » (cf. Genèse 37:11, où Jacob « at- de conserver, c’est-à-dire de ne pas gaspiller les bienfaits de tend » la réalisation des rêves prophétiques la terre. Comment interpréter l’accouplement de ces deux de son fils Joseph). Nous devons agir au- injonctions, qui renvoie à d’autres versets, dans lesquels la jourd’hui pour un futur que nous ne ver- même dualité entre le bien et le mal existe ? L’homme est rons peut-être pas, comme ce vieillard capable de développer la terre, mais aussi d’en épuiser les plantant des arbres qui donneront des ressources. Interprétation écologique intéressante de ce ver- fruits qu’il ne goûtera pas, évoqué par le set, mais somme toute réductrice, car l’idée centrale est la Talmud (cf. p. 27). présence d’Adam, l’homme, qui n’est pas désigné ici comme ish ou isha, mais bien comme un humain, établi au Gan Eden par Dieu. Les philologues et les étymologistes s’interrogent sur l’origine du nom adam pour savoir s’il TRAVAILLER AVEC vient de adama, la terre, ou bien de adom, rouge par réfé- rence à dam, le sang. Dans les deux cas, il s’agit de com- ET POUR LA TERRE prendre que adam est au cœur du problème et non la terre, Elliot Dorff, Rabbin, le sol ou la nature. Ce verset nous met en garde contre les American Jewish University, risques d’une idolâtrie de la terre sous toutes ses formes, Los Angeles celle des écolos fondamentalistes et celle des fanatiques des guerres saintes. Dans la Genèse 1:28, Dieu bénit les deux premiers êtres humains en leur disant : « Croissez et multipliez ! Remplissez la terre et soumettez-la ! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre ! ». Cela semble nous donner tout pouvoir et toute liberté sur la terre pour en faire ce que bon nous semble, et il semble bien facile pour nous de diriger le monde. Puis dans le chapitre suivant, en Genèse 2:15, on entend que les deux premiers humains doivent « travailler [la terre] et la préserver ». Soudainement, notre relation à la terre n’est plus si libre ni si facile : nous devons la travailler pour obtenir ce dont nous avons besoin, et nous devons, dans ce travail, prendre des mesures pour la préserver. C’est bien cette dernière relation à la terre qui caractérise notre époque, où nous sommes pleinement conscients que nous devons travailler avec et pour la terre afin de pouvoir exister. Traduit de l’anglais par ASD 11
ATELIER DE PENSÉE(S) JUIVES(S) L’INTERPRÉTATION BIBLIQUE EXERCICE HUMORISTIQUE RIRE UNE ARME CONTRE L’EXTRÉMISME 159 HUMOUR JUIF L’ART DE L’AUTODÉRISION N°159 – PRINTEMPS 2015 : AVEC LES RABBINS ALEXIS BLUM, TOM COHEN, FRANÇOIS GARAÏ, ALAIN GOLDMANN, PHILIPPE HADDAD, DELPHINE HORVILLEUR, OLIVIER KAUFMANN ET MARC-ALAIN OUAKNIN ET, NOTAMMENT, ARMAND ABÉCASSIS, MICHAËL BAR-ZVI, JOËLLE BERNHEIM, FRÉDÉRIC ENCEL, GÉRARD HADDAD, JUL, MICHEL KICHKA, GÉRARD RABINOVITCH, SEFWOMAN, DANIEL SIBONY, BRIGITTE SION… ISSN 0293-8812 9€
HUMOUR JUIF ISRAËL Comment faire rire un Israélien ? L’humour en Israël MICHAËL BAR-ZVI, PHILOSOPHE Qu’est-ce que l’humour israélien ? Cette question en comprend en fait trois : • L’humour israélien est-il une forme ou une évolution de l’humour juif ? • Comment la société israélienne a-t-elle in- tégré les folklores, les histoires et les mots d’esprit de plus de cent communautés juives revenues sur leur terre ancestrale ? Quelle trace a laissé ce long séjour au cœur de nombreuses cultures ? •Comment rire ou faire de l’humour lorsque la guerre, le terrorisme et la mort sont le lot quotidien d’un pays ? D ès les années quarante, l’humour israélien se ma- Dès les années cinquante, l’humour israélien se nifeste dans sa relation avec la guerre. Les ex- décline sur trois registres : la critique politique, l’armée ploits et ruses de guerre, dont certains et l’intégration des nouveaux immigrants. La satire ressemblent un peu aux aventures de Tartarin, des hommes politiques a toujours fait recette en Israël. appelés Tshisbatim sont racontés au coin du feu Mais l’une des originalités de l’humour israélien est et forgent l’imaginaire humoristique de la sans aucun doute la présentation des diverses Guerre d’Indépendance. Quoique la guerre fût communautés montées en Israël sous des aspects particulièrement meurtrière, dans la mémoire renforçant violemment les stéréotypes. Les différentes collective israélienne, les jeunes du Palmah, de Alyot (vagues d’immigration) sont présentées dans un la Hagana et de l’Irgoun apparaissent aussi comme de joyeux drilles, prêts sketch classique des années cinquante où les à de nombreuses plaisanteries ou canulars au soir de combats acharnés. personnages parlent avec des accents très prononcés 35
HUMOUR JUIF ISRAËL et sont accueillis par les Olim de la vague précédente qui, déjà, se considèrent comme des vétérans. L’exemple le plus célèbre est HUMOUR NOIR, sans doute le film culte d’Ephraïm Kishon Salah Shabati, joué PARFOIS MORBIDE par Haim Topol. Il raconte l’histoire des Maabarot, sorte de Les années deux mille et la vague de terrorisme aveugle virent ap- baraques provisoires destinées aux Olim des années cinquante, et paraître un nouvel humour noir, parfois morbide sur les victimes montre avec un humour grinçant la lutte des petits contre la et les assassins. C’est sans doute une expression du vieux réflexe bureaucratie. L’arme fatale y reste le ridicule et le comique de de l’humour juif, utilisant la dérision comme dernier moyen de situation bon enfant. Un des autres grands classiques du cinéma défense contre le désespoir et l’angoisse. La satire politique et so- israélien, écrit dans le même esprit par Kishon, est Le Policier ciale en Israël n’épargne personne et elle se caractérise par une li- Azoulay, joué par Shaike Ophir, critique ingénue de la police et berté d’expression unique en son genre. Elle ne connaît ni limite, des préjugés sur la communauté juive marocaine. ni tabou, ni autocensure. Les clips des campagnes électorales en portent la marque. Les programmes satiriques ont fait florès ces À la fin des années soixante, c’est le théâtre qui devient le révéla- dernières années sur les chaînes israéliennes et ont à chaque fois teur des grands talents de l’humour israélien, et notamment de repoussé les limites du politiquement incorrect, qui caractérise ses tendances cyniques. Le dramaturge Hanoch Levin commence l’humour israélien. Le plus connu est Eretz Nehederet, « Un pays à écrire une critique amère et sarcastique de la société israélienne magnifique » qui, depuis sept ans, à un rythme quasi hebdoma- sans épargner aucun sujet. Son premier grand succès, La reine de daire, taille en pièces la classe politique israélienne. Autre pro- la baignoire, raconte l’histoire d’une prostituée et, à travers elle, gramme phare des dernières années, la série Avoda Aravit, c’est toute la société qui est mise en cause. Il reste la figure de « Travail arabe », écrite par l’écrivain arabe de langue hébraïque proue de toute une génération d’écrivains influencés par Ionesco Sayed Kashua qui s’attaque aux préjugés à l’égard de la minorité et Beckett, utilisant le cynisme et la dérision. À la fin des années arabe. La série culte des dernières années, Ramzor, revendue aux soixante-dix, la première émission télévisée de satire politique États-Unis, raconte les péripéties de trois trentenaires israéliens. Nikoui Rosh, « Lavage de cerveau », reprit cette tendance d’hu- Enfin, dernière en date du paysage audiovisuel israélien, Haye- mour grinçant dans ses émissions. hudim Baim, « Les juifs arrivent », reprend en douze épisodes les principaux événements de l’histoire juive, en mettant en scène ses principaux personnages, sous un jour souvent peu flatteur. LE TRIO COMIQUE DEVENU Et, pourtant, personne en Israël n’y voit la moindre atteinte à la SUJET UNIVERSITAIRE religion ou aux bonnes mœurs, car blasphémer, ici, ce serait re- Ce registre n’est pas le domaine du trio comique le plus célèbre noncer à rire de tout… de l’histoire israélienne, HaGashash Hahiver, littéralement « l’éclaireur pâle », qui occupa la scène israélienne pendant plus de quarante ans, grâce à un humour populaire avec des textes al- liant les jeux de mots au comique de situation, et même la chan- sonnette. Un ton juste sur tous les plans, pas de critique politique acerbe, pas de « sujets qui fâchent », pas de violence dans le pro- PENDANT LA GUERRE DE pos, mais une galerie de personnages de toutes les couches de la population. L’accent est mis sur le détail et certaines expressions KIPPOUR, 500 ÉGYPTIENS de Gashashim sont entrées dans le langage courant, à tel point qu’ils ont déjà fait l’objet de thèses universitaires de linguistique ASSIÈGENT UN PETIT VILLAGE et de sociologie. Le trio s’associa à Assi Dayan dans un film de- venu l’un des canons des films comiques israéliens, Givat Halfon DÉFENDU PAR UNE VINGTAINE eina ona – L’unité Halfon ne répond pas, qui met en scène l’expé- rience, connue de tous, des périodes de réserve dans l’armée. D’ISRAÉLIENS AVEC SEULEMENT Le développement de la télévision amena un humour d’une autre QUELQUES REVOLVERS. UN facture, moins centré sur le texte et s’adressant à un public plus JOURNALISTE LEUR DEMANDE: jeune. Le cas le plus célèbre est celui de l’émission ZeHouZe, « C’est ainsi », dont les animateurs ont été sans aucun doute les - COMMENT ALLEZ-VOUS VOUS EN vedettes de la Guerre du Golfe : pendant que le taux d’audience était à son maximum, ils s’efforçaient de remonter le moral des SORTIR? Israéliens. Plusieurs autres phénomènes ont vu le jour, à partir de la télévision : les Guignols israéliens, Hartsoufim, exacte repro- - DIEU NOUS AIDERA. duction de ce que l’on connaît en France ; Hahamishia Hakame- rit, « le quintette » dont l’humour était ciblé sur la satire - ET S’IL EST OCCUPÉ AILLEURS? politico-sociale ; ou encore Rak B’Israel, « Seulement en Israël », - DANS CE CAS, SEUL UN MIRACLE animée par la fameuse Limor, caricature de la « cruche ». Mais la mode israélienne en matière d’humour reste depuis les années POURRA NOUS SAUVER. quatre-vingt-dix le stand-up, l’improvisation d’un humoriste qui tance son public, notamment en stéréotypant les origines. Cet humour ethnique choque parfois en diaspora mais est assez bien vécu en Israël. 36
ATELIER DE PENSÉE(S) JUIVES(S) QUATORZE SIÈCLES JUIFS ET ARABES, D'HISTOIRE COMMENT RENOUER JUDÉO-MUSULMANE LE DIALOGUE? 158 FRATERNITÉS ISRAÉLO-PALESTINIENNES DES INITIATIVES MIXTES POUR AVANCER Iàòîùé ÷çöé ������� ����� © Antoine Schneck 2014, courtesy of Galerie Berthet-Aittouares, Paris ISAAC & ISMAËL SE REPARLER ? N°158 - HIVER 2014-2015 : AVEC LES IMAMS MOHAMMED AZIZI, HASSEN CHALGHOUMI ET TAREQ OUBROU, LE PÈRE ÉMILE SHOUFANI, LES RABBINS PHILIPPE HADDAD, DELPHINE HORVILLEUR, MARC-ALAIN OUAKNIN ET MICHEL SERFATY, ET ÉGALEMENT ARMAND ABÉCASSIS, MALEK CHEBEL, BENJAMIN STORA, ABDENOUR BIDAR, MICHAËL BAR ZVI, RACHID BENZINE, BRIGITTE SION, JEAN-FRANÇOIS BENSAHEL... ISSN 0293-8812 9€
LIVRES ENTRETIEN Les juifs et la France, une alliance du passé ? “Quelque chose s’est brisé” ENTRETIEN AVEC MICHAËL BAR-ZVI, PHILOSOPHE Lorsqu’il s’installe en Israël il y a quarante ans, le philosophe Michaël Bar-Zvi le fait sans se départir de son attachement à la France, et veut enrichir ses deux cultures. Aujourd’hui, il constate que les nouveaux immigrés français en Israël arrivent dans une situation de rupture avec leur pays d’origine. Dans « Israël et la France : L’alliance éga- rée », il décrit et explore cette alliance an- cienne sinon antique entre les juifs et la France, une alliance qui semble aujourd’hui appartenir au passé. Éditions les Provinciales, 2014, 15 ¤ 59
LIVRES ENTRETIEN POURQUOI AVEZ-VOUS VOULU ÉCRIRE CE LIVRE ? Lorsque j’ai quitté la France pour faire mon alyah, je l’ai quittée avec un amour de la France et en apportant la culture française dans laquelle j’avais été élevé, dans l’idée qu’elle pourrait enrichir mon alyah et qu’il y avait entre ces deux nations une forme de fidélité et des racines spirituelles communes. Depuis quelque temps, je constate que les juifs qui font leur alyah sont en situation de rejet : à la fois eux-mêmes rejettent parfois la France, mais aussi se sentent rejetés. Quelque chose s’est brisé. DANS VOTRE LIVRE, VOUS SEMBLEZ DIRE QUE LA Lorsque la nation française se forge en MYTHOLOGIE NATIONALE FRANÇAISE S’APPUIE SUR tant que nation pour devenir ensuite le royaume de France, c’est à partir L’HISTOIRE DES HÉBREUX, POUVEZ-VOUS NOUS d’un certain modèle, un modèle bi- L’EXPLIQUER ? blique au sens historique. Tous les pre- miers textes fondateurs de la France en tant que royaume, son unité nationale, s’appuient sur une conception juive, voire biblique, de la poli- tique ; ils s’inscrivent dans cette idée que la France a une mission par rapport à ses habitants mais aussi une mission universelle. La France s’est conçue en tant que nation dans la lignée des Rois d’Israël – les symboles mêmes de la royauté en France sont ceux du Roi David. POURQUOI ALORS LA FRANCE A-T-ELLE ÉTÉ L’UN L’antisémitisme est une forme de ba- DES PARADIS DES THÉORICIENS DE lancier idéologique que l’on retrouve partout, qui change de forme et de L’ANTISÉMITISME ? camp selon les époques mais survit toujours. C’est justement la nature de cette haine polymorphe qui s’appelle antisémitisme : aujourd’hui on déteste les juifs pour les raisons pour lesquelles on les tolérait auparavant et inversement. Plus pro- fondément, l’idée fondamentale du lien spirituel entre Israël et la France est la notion d’élection, parce que le peuple juif est un peuple élu, qui se sent investi d’une mission ; et le peuple français, lorsqu’il se considère comme nation, le fait justement à partir de cette idée d’élection. Une partie des théoriciens politiques refusait l’idée qu’il puisse y avoir deux peuples élus sur une même terre, ce qui a expliqué cer- taines persécutions. A contrario, d’autres penseurs affirment que c’est au nom de cette notion d’élection que le peuple juif doit être protégé en France. LA FRANCE, POURTANT, AVEC LA RÉVOLUTION, NE Le début de la rupture, de la sépara- REFUSE-T-ELLE PAS AUX JUIFS LA LÉGITIMITÉ D’ÊTRE tion, effectivement, c’est la Révolution française : à partir du moment où la UN PEUPLE ? France se place justement dans cette vi- sion universaliste et presque messianique, elle ne peut accepter l’idée des Juifs comme nation. Elle a donc offert aux Juifs une émancipation individuelle en niant leur nature de peuple. Quand on enlève au peuple juif sa nature de nation et de peuple, on le place en situation de rejet de son appartenance et on l’incite à l’assimilation individuelle. Le résultat en est quelque chose d’assez curieux dans le monde moderne : les Juifs sont encore là comme Juifs, l’antisémitisme également, sous de nouvelles formes et, pour ne plus parler de « peuple juif », on va inventer l’idée du « génie juif », un concept absurde que nul ne peut définir. 60
LIVRES ENTRETIEN POURQUOI LA FRANCE EST-ELLE LE SEUL PAYS La France se perd dans des idéologies OCCIDENTAL DANS LEQUEL L’ANTISÉMITISME dominantes qui l’amènent à perdre ses propres repères. Lorsque nous, Juifs, TROUVE NON SEULEMENT UNE EXPRESSION sommes attaqués, c’est toujours un ré- VERBALE VIRULENTE, MAIS ÉGALEMENT UNE vélateur. C’est, d’une certaine façon, EXPRESSION MEURTRIÈRE CES DERNIÈRES ANNÉES ? un schéma qui se répète : la France est devenue un terrain privilégié pour cette violence parce qu’elle ne respecte pas sa propre histoire. Notre pays a beaucoup de mal à gérer son passé, notamment colonial, et ne se trouve plus en position de pouvoir réclamer une fidélité à son destin – un destin dans lequel beaucoup ne se reconnaissent pas. La possibilité pour les musulmans radicalisés de s’exprimer en France est imputable, d’abord, au vide politique de notre pays : les politiques ont laissé vacant cet espace pour faire du spectacle ou de l’écono- mie. Or les jeunes de banlieue sont attirés avant tout par la politique. L’islam fondamentaliste leur donne l’impression d’avoir une action et une influence sur l’Histoire EXISTE-T-IL, SELON VOUS, UNE POSSIBILITÉ DE Il n’y a pas à cette heure de véritable DIALOGUE JUDÉO-MUSULMAN ? dialogue : le dialogue judéo-chrétien se fonde sur le texte commun, mais nous n’avons pas de texte commun avec les musulmans. Pour qu’existe un dialogue au-delà des simples rela- tions d’amitié, il faudrait des textes sur lesquels des théologiens, des philosophes, des penseurs, réfléchi- raient ensemble. Il existe certes des religieux et des intellectuels musulmans qui veulent trouver des relations spirituelles et intellectuelles avec les juifs, mais ils n’ont pas trouvé, pour l’instant, le tronc com- mun spirituel et philosophique qui permettrait ce dialogue. EXPO VOIR “Mehitza” - Ce que femme voit MYRIAM TANGI AU MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE DU JUDAÏSME EXPOSITION DU 19 JANVIER AU 26 JUILLET 2015 Dans « Ce que femme voit » dont les lecteurs de Tenou’a ont découvert un cliché dans le numéro 157, Myriam Tangi explore, à travers une cinquantaine de photographies, la séparation opérée dans la synagogue entre l’espace réservé aux hommes et l’espace réservé aux femmes, soit en hébreu la mehitsa (“division”). Avec un regard résolument subjectif, cet essai photographique retrace l’expérience féminine au sein des différentes communautés du judaïsme contemporain, et s’interroge plus largement sur les territoires masculin et féminin dans le monde juif. Traditionnellement reléguées derrière des voiles, des claustras, des parois translucides, ou surplombant l’espace liturgique depuis un balcon situé à l’étage, les femmes ont un accès indirect au rituel synagogal. Cette distance contrainte, Myriam Tangi s’en empare, non pour dénoncer une discrimination, mais pour construire une vision différenciée et un projet artistique où se conjuguent ses recherches formelles et un récit puisant aux sources du judaïsme. © Myriam Tangi 61
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