LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture

 
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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
DOSSIER PÉDAGOGIQUE

                       LE MALADE IMAGINAIRE
                                   MOLIÈRE / MICHEL DIDYM

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AGATHE CORDRAY
ADMINISTRATRICE DE PRODUCTION ET DE DIFFUSION
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MARIE-HÉLÈNE RÉBOIS                                          10 RUE BARON LOUIS - BP 63349
CHARGÉE DE PRODUCTION                                                  54014 NANCY CEDEX
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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
LE MALADE IMAGINAIRE
                                  MOLIÈRE / MICHEL DIDYM

Avec, en alternance
Michel Didym (Argan)
Norah Krief ou Agnès Sourdillon ou Elizabeth Mazev (Toinette)
Jeanne Lepers ou Pauline Huruguen ou Sara Llorca (Angélique)
Catherine Matisse ou Johanna Nizard (Béline)
Bruno Ricci ou Léo Grange (Le notaire, Thomas Diafoirus, Monsieur Fleurant)
Jean-Marie Frin (Polichinelle, Monsieur Diafoirus, Monsieur Purgon)
Barthélémy Meridjen ou Laurent Prache (Cléante)
Jean-Claude Durand ou Didier Sauvegrain (Béralde)
Et en alternance une fillette dans le rôle de Louison
Musique Philippe Thibault
Scénographie Jacques Gabel
Lumières Joël Hourbeigt
Costumes Anne Autran
Assistante à la mise en scène Anne Marion-Gallois
Chorégraphie Jean-Charles Di Zazzo
Maquillage et perruque Catherine Saint Sever
Enregistrement et mixage musique Bastien Varigault
Avec la participation du Quatuor Stanislas Laurent Causse, Jean de Spengler Bertrand Menut, Marie Triplet
Modiste Catherine Somers
Couturières Liliane Alfano, Éléonore Daniaud
Réalisation des costumes Ateliers du Théâtre de Liège / Séverine Thiébault
Construction du décor Ateliers du Théâtre National de Strasbourg, Ateliers du CDN Nancy Lorraine
Production Centre Dramatique National Nancy - Lorraine, La Manufacture ; TNS - Théâtre National de Strasbourg
Théâtre de Liège ; Célestins, Théâtre de Lyon - DURÉE 2H - À PARTIR DE 12 ANS

Le corps et l’argent sont au centre de ce Malade imaginaire. Il y a en cela une grande modernité car,
désormais, nos vies sont suspendues à ces dieux : corps et argent / sport et bourse. Alors qu’il se porte
bien, ce malade a peur de la mort au point de mépriser sa famille et de se laisser manipuler par tous les
beaux parleurs qui lui promettent une longue vie avec des médicaments appropriés. C’est paradoxal car
notre Malade, bien que riche, est radin. Il veut mettre des médecins dans sa famille pour avoir accès aux
ordonnances. Son égoïsme face à la maladie est bien de notre époque et, en l’écoutant, nous nous disons
que même si la science a fait des progrès, ce n’est pas toujours le cas des docteurs et des patients.
Mort sur la scène en jouant ce Malade, Molière devint Homme-théâtre absolu, celui qui a donné corps
et âme à son art, à la mission qu’il s’était fixée d’éclairer le monde à la lanterne de son esprit et de son
ironie par la voie du rire, de l’esprit critique et de son goût pour la liberté.
Imaginaire mais pas seulement métaphysique, bien là, encombré par son corps de chair et d’os, mortel,
vraiment malade à force de croire qu’il l’est, ce Malade nous tend un miroir où se reflètent nos illusions et
nos peurs les plus archaïques.
Et, en plus, ça nous fait rire !

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SOMMAIRE

                 ARGUMENT........................................................................................... page 4

                 ENTRETIEN AVEC MICHEL DIDYM.....................................................pages 5-6

                 LA DRAMATURGIE (LE CHOEUR CHANTE)................................................. pages 7-8

                 ÉLÉMENTS AUTOBIOGRAPHIQUES (MOLIÈRE, QUI ÊTES-VOUS?).................... page 9

                 LE LANGAGE COMME INSTRUMENT DE DOMINATION........................... page 10

                 LA COMÉDIE-BALLET.......................................................................... page 11

                 LA SCÉNOGRAPHIE ...................................................................pages 13 > 15

                 LES COSTUMES ........................................................................ pages 16 > 21

                 LA MUSIQUE ......................................................................................page 22

                 PHOTOGRAPHIES DU SPECTACLE .................................................pages 23-24

                 LA MÉDECINE ET LES MÉDECINS
                 CHEZ DESPROGES ET MONTAIGNE .............................................pages 25 > 27

                 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE ................................................... page 28

                 BIOGRAPHIES ......................................................................... pages 29 > 40

                 TOURNÉE .................................................................................. page 41 > 42

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
ARGUMENT

Veuf, Argan s’est remarié avec Béline qui simule des soins attentifs, mais n’attend en réalité que la mort de
son mari pour pouvoir hériter.
Il se fait faire des saignées, des purges et prend toutes sortes de remèdes, dispensés par des médecins
pédants et soucieux davantage de complaire à leur patient que de la santé de celui-ci. Toinette, sa servante,
se déguise en médecin et lui dispense des conseils pleins d’ironie où elle se moque du ridicule des
médecins.
Angélique, sa fille, aime Cléante au grand dépit d’Argan. Il préférerait voir sa fille mariée à Thomas Diafoirus
lui-même médecin.
Pour les tirer d’affaire, Toinette recommande à Argan de faire le mort. Sa femme est appelée par Toinette,
et manifeste sa joie d’être débarrassée de son mari devant celui-ci, qu’elle croit mort. Toinette appelle
ensuite Angélique, qui manifeste un chagrin sincère de la mort de son père : celui-ci arrête aussitôt son
jeu et accepte l’union de sa fille avec Cléante, à la condition que ce dernier devienne médecin. Son frère,
Béralde, lui conseille de devenir médecin lui-même, ce qu’il accepte. La pièce se termine par une cérémonie
bouffonne d’intronisation d’Argan à la médecine.

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
ENTRETIEN AVEC MICHEL DIDYM

FRANÇOIS RODINSON Michel Didym, vous montez la saison prochaine Le Malade imaginaire. Vous êtes connu
pour votre attachement à un théâtre qui met en avant les écritures contemporaines que vous défendez au
CDN de Nancy et à La Mousson d’été depuis 20 ans maintenant à Pont-à-Mousson. Pourquoi, tout à coup,
monter un Classique et qui plus est un Classique qui est un monument, Le Malade imaginaire de Molière ?
MICHEL DIDYM Je me méfie du monument, dans le mot monument il y a quelque chose qui ment.
Le passé ment ou en tout cas on peut le faire mentir. Dans cette œuvre-là, écrite par Molière à la fin
de sa vie, il y a comme un accomplissement, l’aboutissement de toute sa dramaturgie. C’est sans
conteste le chef-d’œuvre absolu de Molière. Le Malade imaginaire, c’est tout Molière comme dans
Hamlet il y a tout Shakespeare. Ramassés en une assez courte pièce en trois actes, il rassemble tous
les motifs de toutes ses pièces, à commencer par le mariage forcé. Un père, Argan, force sa fille à un
mariage qui sert davantage ses propres intérêts, ses lubies et ses fantasmes que ses intérêts à elle.
C’est la quintessence de cette comédie bourgeoise qu’il a inventée avec cette profondeur métaphysique déjà
à l’œuvre dans Dom Juan ; Argan est l’homme étonné d’être au monde. Il n’en revient toujours pas d’exister
et de la façon dont le monde va. Il a tous les traits d’un bourgeois gentilhomme devenu malade. Mais c’est le
monde qui est malade, ce malade imaginaire est un bourgeois malade de sa propre bourgeoisie.
Ma fréquentation de Montaigne au printemps dernier pour créer le spectacle Voyage en Italie m’a éclairé sur
ce que Molière a emprunté à Montaigne, notamment les critiques de la médecine de son époque. En relisant
cette machine merveilleuse qu’est Le Malade imaginaire, sa modernité m’a explosé à la figure. Il m’est apparu
que le moment était venu pour moi d’oser me confronter à cette grande œuvre, compte tenu de la maturité que
j’ai pu acquérir.
Je dois dire que certains éléments de ma propre vie ont également pu influer sur mon choix. Sans vouloir
m’épancher plus avant sur mes tracas personnels, j’ai acquis également une sorte de lucidité dans mon
rapport à la médecine et à la mort car il m’est arrivé d’étudier ça de près durant de longues heures à l’hôpital.
J’ai alors conçu sur ce sujet un certain nombre de convictions qui, je l’espère, vont transparaître dans ma lecture
du Malade imaginaire. Je compte maintenant régler son compte pas seulement à la médecine mais aussi à la
maladie et à la mort (rire).
Argan est un homme qui brûle, c’est ça qui est intéressant. Il se consume au sens propre comme au sens
figuré. Finalement, bien que très entouré, il est seul.
F.R. Y –a-t-il encore quelque chose à dire sur une telle pièce du 17ème siècle ? Que voulez-vous dire, vous ?
M.D. Il ne faut pas dire « encore », il y a beaucoup de choses à dire sur cette pièce !
Le regard sarcastique face à l’incompétence des médecins est d’une grande modernité. Evidemment, il y a eu
des progrès scientifiques mais les médecins sont toujours les mêmes. Ils ont juste remplacé la saignée par la
chimiothérapie !
Chez Molière cette incompétence est masquée par la fatuité du discours. Aujourd’hui encore, chez les
médecins il y a des incompétents qui exercent avec pourtant tous les diplômes ad hoc.
F.R. Comment voyez vous cette mise en scène ? Est-ce une mise en scène « en costumes » ou transposez-
vous la pièce dans une perspective contemporaine ?
M.D. Mon objectif n’est pas de sursignifier ma lecture par une mise en scène ostentatoire qui donnerait à
imaginer que la radicalité de ma version pourrait compenser la faiblesse de l’œuvre. Un chef d’œuvre absolu
mérite tout le respect dû aux chefs-d’œuvre.
D’autre part, il y a une authenticité et une puissance des situations qui est indépassable. Ce qui m’intéresse
c’est de donner des signes de modernité très précis avec une série d’anachronismes vestimentaires ou
sociologico-médicaux qui vont donner aux spectateurs du grain à moudre dans leur sablier temporel.

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
Le Malade est une pièce qui a un ancrage profond dans son époque mais pourquoi son actualité nous touche ?
Qu’est-ce qui nous sépare des Grecs et des Romains ? Quel est l’état de notre rapport à Dieu et à la mort ? Pour
toutes ces questions notre malade peut nous aider à réfléchir. Bon, c’est vrai, nous avons des smartphones.
Le Malade est une pièce qui a un ancrage profond dans son époque mais pourquoi son actualité nous touche ?
Qu’est-ce qui nous sépare des Grecs et des Romains ? Quel est l’état de notre rapport à Dieu et à la mort ? Pour
toutes ces questions notre malade peut nous aider à réfléchir. Bon, c’est vrai, nous avons des smartphones.
Mais dans le rapport à l’état, dans le rapport à la cité, au collectif, nous sommes les mêmes. C’est la même
dialectique entre le succès public et l’échec privé, entre la profession de foi publique et la tricherie en privé.
Notre rapport à la mort a soi disant changé. Mais quand il y a un décès et qu’on voit l’abondance de gens qui
se réunissent dans un lieu de culte, je me demande si ça a tellement changé. La question que je me pose
est la suivante : est-ce que la maladie ne serait pas provoquée par la société, est-ce que ce ne serait pas la
conséquence logique d’une certaine corruption des idées face à la mort, face à la vie et à ses plaisirs ? La plus
grande maladie, je trouve, c’est la maladie de l’âme et des idées.
F.R. La pièce est très rarement montée avec ses intermèdes musicaux. Quel est votre projet par rapport à ça ?
Quel traitement réservez-vous à la musique ?
M.D. J’ai récemment changé d’avis à ce sujet. Je croyais que c’était une volonté de Molière de créer un
espace métaphorique autour de la médecine. Il me paraît aujourd’hui qu’à l’évidence la musique de Lully a été
imposée à Molière de manière dictatoriale. Beaucoup de ces ballets entourant la pièce étaient des œuvres de
circonstances qui permettaient à Molière d’accéder à la Cour et, tout simplement, de subsister. Il faut savoir
en tirer les conséquences. Je ne compte pas garder l’intégralité de ces intermèdes musicaux chorégraphiés
qui sont pour moi comme une gangue dont il s’agit d’extraire le fruit. De temps en temps quelques débris de la
gangue viendront nous rappeler l’existence de ces parties qui font « divertissement ». Je ferai appel pour cela
à une création musicale on ne peut plus contemporaine.
F.R. Molière est mort en crachant du sang sur scène alors qu’il interprétait le Malade, le corps harassé par les
tournées et par la tuberculose. Qu’est-ce que cela vous inspire ? C’est le comble de l’engagement physique
d’un homme au théâtre, non ? Vous sentez-vous proche de cet engagement, proche de l’homme Molière ?
M.D. Dans son film Molière Ariane Mnouchkine donne des éléments saisissants là-dessus. Boulgakov, lui aussi,
dans Le Roman de monsieur de Molière dit des choses qui sont tout à fait plausibles sur l’investissement
total d’un homme qui a tout sacrifié à son art, qui a donné sa santé, son temps et finalement sa vie. Mais
en définitive, je crois qu’il est rattrapé par la vérité. Dans une époque qui se distingue par le triomphe de la
fausseté, lui, il exige la vérité. C’est peut-être aussi en ce sens là qu’il est, aujourd’hui comme hier, très moderne.
C’est un théâtre qui se révèle en présence du public et qui tire tout son sens au moment de la représentation.
Propos recueillis par François Rodinson, le 4 décembre 2013.

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
LE CHŒUR CHANTE
                           « Vivat , vivat, vivat, vivat, cent fois vivat ! ».

Les médecins tournent autour de lui comme des rapaces. Nous sommes le 17 février 1673, au théâtre du
Palais Royal Molière et sa troupe arrivent au terme de la quatrième représentation du Malade imaginaire.
Molière, depuis le matin est sujet à de violentes crises de toux, une fluxion de poitrine qui accompagne
la tuberculose qu’il a contractée il y a huit ans. Il est arrivé fatigué au théâtre et a tenu son rôle. Il est
coiffé du bonnet d’Argan, un rôle énorme dans lequel il ne quitte pratiquement pas le plateau durant toute
la représentation. Molière a du mal à se retenir de tousser. Dans le finale de sa dernière pièce, peut-être
son chef-d’œuvre, il triomphe, la pièce est un succès. Un cortège de médecins, croque-morts à chapeaux
pointus, l’entraînent dans une intronisation délirante au titre de docteur. Il reçoit une improbable extrême
onction, sidérante, proférée dans un latin grotesque. Le public rit et applaudit une toux exécutée avec un
tel accent de vérité. Mais ceux qui le connaissent voient bien qu’il s’efforce de ne pas tousser, qu’il doit faire
un effort surhumain pour tenir son rôle. (...)

Immédiatement après la représentation, Molière est conduit chez lui en chaise à porteur et sa toux provoque
l’explosion d’une artère. Le sang l’étouffe.
Molière savait mieux que ses médecins où la tuberculose le conduirait : à la fin, à ce « rideau ! »
derrière lequel il n’y a rien. Rien et tout à la fois. Rien qu’un corps mortel qui s’éteint, son effacement et sa
dispersion. Tout le théâtre, tout son monde et son idée d’un théâtre du monde comme Shakespeare, aussi,
autrement, un peu avant. Les médecins nécrophiles qui exécutent un rituel macabre autour de ce malade
imaginaire et pourtant bien réel ont eu raison de l’homme Molière, prostré sur son fauteuil comme le monument
qu’il deviendra, embaumé.

Trois actes ont suffi pour l’œuvre de sa vie. Sa vision d’un monde qu’il met sur la scène comme nul autre
avant lui alors que la tragédie française est au faîte de sa gloire, pleine de rois hagards et de princesses
perdues, de demi-dieux et de héros qui s’abîment. Corneille et Racine accompliront ce registre avec génie
mais avec Molière, ça se passe dans la rue, à un carrefour, ou bien dans un de ces salons bourgeois dans
lesquels s’exerce la tyrannie paternelle et où se règlent les comptes de cette nouvelle classe sociale
prospère, cette bourgeoisie dont lui même est issu.

Il traite de métaphysique et du trivial, du social et du politique. Il est l’un des premiers féministes qui donne
aux femmes la parole pour des revendications fortes.
L’Angélique de George Dandin : « Je prétends n’être point obligée à me soumettre en esclave à vos volontés,
et je veux jouir, s’il vous plait, de quelques nombres de beaux jours que m’offre la jeunesse. » Des mariages
arrangés, des hommes fous, rongés par leurs obsessions, des amoureux empêchés et des femmes
contraintes, comme Toinette, la servante du Malade, à déployer leur intelligence avec ruse.
Angélique a le droit de choisir entre le mariage forcé et le couvent. Toinette résiste :
      « Argan. — Je ne suis point bon, je suis méchant quand je veux.
      Toinette. — Quand un maître ne sait pas ce qu’il fait, une servante est en droit de le redresser.
      Argan. — Chienne ! »
Molière met sur la scène sa propre vie et la vie de sa troupe. Il met de lui dans tous les rôles, Dom Juan,
Alceste le Misanthrope, Scapin le facétieux, Sganarelle le questionneur, et les monstres Harpagon, Orgon et
Argan. Il démasque dans Tartuffe l’hypocrisie des puritains intégristes de la sinistre Compagnie de Jésus.

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
Au grand théâtre de la Cour, il sait ménager et entretenir les appuis qu’il faut et qui le sauveront in extremis
dans les cabales violentes dont il est l’objet.
À la fin, avec ce Malade, il revient au début, à son enfance avec son grand-père sur le Pont-Neuf, aux théâtres
de tréteaux. Il retrouve la rudesse de la farce la plus scatologique, ce théâtre des entrailles, des flatulences,
des pets et ses dissertations sur la plus ou moins grande fermeté de la merde. Il se souvient des acteurs
italiens qui excellent en un genre où le théâtre est poème du corps et de l’espace, la Commedia dell’ Arte.
(...)

Le cérémonial de la fin de la pièce est aussi un sacre et Argan-Molière est entraîné dans la lumière de la
gloire. Le 21 février à 9 heures du soir, des centaines de flambeaux accompagnèrent la dépouille de Molière
au petit cimetière Saint-Joseph. Il était écrit que la terre n’était plus chrétienne en-dessous de quatre pieds.
On creusa donc un trou de cinq pieds et le clergé autorisa l’inhumation.

Nous sommes bien seuls, nous dit Molière, pas de salut extra-terrestre. Mais quelqu’un meurt et quelqu’un
naît à la vie et au jeu. La fille d’Argan, Louison, fait son entrée dans le théâtre familial, petite reine de grâce et
de subtilité qui seule peut incarner la mort mieux que son père et le faire sortir de sa bulle, la seule fois dans
toute la pièce où il s’inquiète pour quelqu’un d’autre que lui-même. Louison prend le relais, la vie continue.
Molière mort, quelqu’un reprend le rôle et les représentations se poursuivent. Car la maladie, comme le
théâtre, c’est la vie, il n’y a rien à faire. C’est aussi sa contradiction inhérente, la mort. Nous sommes tous plus
ou moins malades, vivants acteurs de notre existence mortelle nous oscillons toujours entre imagination
et réalité et nous mourrons bien, pourtant. Sur le théâtre les lumières s’allument et s’éteignent. C’est la vie.

François Rodinson, dramaturge

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
MOLIÈRE, QUI ÊTES-VOUS ?
                                       Les éléments autobiographiques

Argan est perturbé par deux parties de son corps, le ventre et la tête. Comme tous les grands bourgeois
ridicules de Molière, il est frappé d’impuissance à vivre de plain-pied avec la vérité objective : les uns trichent
avec elle, les imposteurs ; les autres s’illusionnent sur elle, les imaginaires. Argan est victime d’une double
illusion : il croit en Béline, il croit en la médecine. Le guérir consisterait à l’amener à reconnaître l’imposture
de Béline et celle de la médecine. Réussi pour l’une, raté pour l’autre. Au dénouement, plus victime que
jamais des apparences, il ne doute pas d’avoir réalisé magiquement, grâce au cérémonial d’intronisation
l’unité magique du malade et du médecin.

Argan ne connaît pas sa folie. Par contre, il est hyperconscient du trouble corporel dont il se croit atteint.
Humeurs et matières. Drogues et clystères. Ce malade dégoûtant est le véritable aboutissement du
bourgeois moliéresque. « Oui, mon corps est moi-même. » Le bourgois se nourrit de la pure matière du
monde dont son corps est le tabernacle. La névrose d’Argan naît de cette croyance mystique. Il vit dans
la terreur de sentir ses entrailles encombrées de matières impures. À l’imagerie culinaire de Chrysale, il
substitue une imagerie excrémentielle. Il se défait de l’intérieur. Il a somatisé son trouble dans les parties
les plus faibles de son corps, le ventre et la tête.

Molière sait bien qu’Argan est malade et il sait qu’il l’est lui-même. « Le Malade Imaginaire est une œuvre
écrite et jouée par un vrai malade », écrit Marc Soriano. Il sait encore que sa maladie est connue de tous,
que ses ennemis raillent en public sa pâleur et sa toux comme il l’a fait lui-même dans Pourceaugnac et
dans L’Avare.
D’où un jeu de miroirs qui va le conduire à mettre comiquement le théâtre en rapport avec la mort pour
ressusciter guéri, de son illusion conjugale. D’autre part, ce jeu le concerne, lui : « N’y a-t-il pas quelque
danger à contrefaire le mort ? » Il fait de la mort un jeu. Il décide de jouer sa mort, de jouer la mort, de
mourir en jouant, de jouer à en mourir. D’autres comédiens sont morts à la tâche. La mort de Molière seule
a changé sa vie en destin, a changé le théâtre en destin de Molière et fait de sa vie le double du théâtre.
Omniprésente dans l’art baroque, la mort savait qu’elle devrait le prendre en scène au moment précis où
il la narguerait. Ce thème revient comme un leitmotiv dans les innombrables épitaphes parues à sa mort.
« J’ai joué la mort et la mort m’a joué. » Georges Mongrédien

Molière. Qui êtes-vous ? Alfred Simon, La Manufacture, p.367

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LE MALADE IMAGINAIRE - Théâtre de la Manufacture
LE LANGAGE COMME
                INSTRUMENT DE DOMINATION

Ce n’est pas tellement le déroulement du Malade imaginaire qui en fait l’essentielle nouveauté, c’est au
contraire ce à quoi il aboutit : à ce retournement ultime où Argan se fait médecin en une sorte de culmination
grotesque de la maladie imaginaire. C’est le clin d’œil capital, c’est, exprimé en clair, la possibilité ultime
donnée à chacun de « retrousser » le système.

Argan ne fait finalement pas autre chose que Tartuffe : il se sert désormais des signes dont il apprend
à inverser le sens. Le tout c’est d’avoir le « culot » nécessaire, c’est-à-dire de se placer de l’autre côté
du langage : décider de ne plus entendre mais de le dire, décider de se faire escroc à son tour est le défi
ultime. De faux malade, Argan devient faux médecin et peut-être avec la même conviction, mais son propre
médecin, c’est, ouverte par Molière, une voie vers la conquête de soi.

Argan, d’abord et pendant presque toute la pièce, demande à être trompé, il voudrait vider son angoisse en
autrui, être « existé » par d’autres. à travers lui Molière montre à merveille (...) jusqu’où peut aller la volonté
de domination des imbéciles. En effet, tout comme les Femmes savantes, Monsieur Purgon et les Diafoirus
père et fils se régalent de vocabulaire- ils ressemblent de façon frappante aux linguistes ou psychanalystes
de ce temps : leur idiome recèle la même volonté de gouvernement. Ils veulent dominer par le vocabulaire et
pour eux Argan en tant que patient n’est que le « lieu » d’exercice de leur domination.

Molière ou la liberté mise à nu, George-Arthur Goldschmidt, Julliard

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LA COMÉDIE BALLET

Choix des intermèdes dans la mise en scène de Michel Didym
Acte I : le Polichinelle
Acte II : la danse des Égyptiens déguisés en Mores
Acte III : l’intronisation à la médecine

L’invention de la comédie-ballet
En août 1661, pour la somptueuse fête donnée par le surintendant Fouquet en son château de Vaux-Le-
Vicomte, Molière crée Les Fâcheux. La magnificence de la fête – qui entraîna d’ailleurs la jalousie du jeune
Louis XIV et contribua à l’arrestation de Fouquet – conduit à convier la musique, en la personne de Lully, et
la danse si fort prisée par le Roi, en la personne du chorégraphe Beauchamp.
Ce qu’il est convenu d’appeler la comédie ballet, c’est-à-dire une comédie mêlée de danse et de
musique, naquit de contraintes spécifiques que Molière expose au début de l’édition de la pièce :
« Le dessein était de donner un ballet aussi ; et comme il n’y avait qu’un petit nombre choisi de Danseurs
excellents, on fut contraint de séparer les Entrées de ce ballet , et l’avis fut de les jeter dans les Entractes
de la Comédie afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes Baladins [c’est-à-dire aux danseurs]
de revenir sous d’autres habits. De sorte que pour ne point rompre le film de la Pièce, par ces manières
d’intermèdes, on s’avisa de les coudre au sujet du mieux que l’on put, et de ne faire qu’une seule chose du
Ballet et de la Comédie. »
Molière souligne plus loin la nouveauté de l’entreprise sur les théâtres de son époque, tout en la rattachant
à la tradition antique du Choeur. Il constate que ce « mélange » a plu et envisage de le renouveler.
Louis XIV, bien vite désireux de surpasser la magnificence de Fouquet, sera le grand commanditaire de
cette nouvelle forme. En 1664, il ordonne les trois journées des Plaisirs de l’Ile Enchantée en son château
de Versailles. Molière y crée la seconde de ses comédies–ballets : La Princesse d’Elide. Suivront en 1664
encore Le Mariage Forcé, en 1665 L’Amour Médecin, en 1667 Le Sicilien ou l’Amour peintre, en 1668 George
Dandin pour Le Grand Divertissement royal de Versailles, en 1669 Monsieur de Pouceaugnac, en 1670 Les
Amants Magnifiques et Le Bourgeois Gentilhomme, en 1671 La Comtesse d’Escarbagnas et Psyché.
Pendant près de dix ans, Molière et Lully collaborent dans une véritable harmonie créatrice. (...)
La collaboration avec Lully fut brisée lorsqu’à l’automne 1671 le musicien obtint le privilège à vie d’une
« Académie royale de Musique », privilège qui lui donnait la haute main sur toute création où entrait la
musique. Si Lully avait composé la musique du Malade Imaginaire, il serait devenu le propriétaire unique
de l’ensemble de la pièce. Il fallait donc que Molière se tournât vers un autre musicien ; ce fut Marc Antoine
Charpentier avec qui il avait travaillé pour La comtesse d’Escarbagnas.
De plus, la pièce du Malade Imaginaire ne fut pas représentée, comme les autres comédies-ballets, dans
le cadre d’un divertissement royal, mais à la Ville, pour le public parisien, au théâtre du Palais-Royal. (...)
Le terme employé au XVIIème n’est que très rarement celui de comédie-ballet. On parle de comédie unie pour
les comédies proprement dites exclusivement parlées, auxquelles on oppose les comédies mêlées. La «
comédie mêlée de musique et de danse » n’est pas un genre figé mais au contraire une forme qui s’invente
au fil de diverses expérimentations.

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La composition des comédies-ballets de Molière varie; néanmoins leur unité réside dans la volonté de
ne pas présenter d’intermèdes totalement détachés de la comédie, même s’ils apparaissent étrangers à
l’intrigue. Au fur et à mesure des œuvres, les intermèdes sont de plus en plus intégrés à l’intérieur de
la comédie parlée, intégration qui culmine dans les deux cérémonies burlesques qui servent de final au
Bourgeois Gentilhomme et au Malade Imaginaire.
Extraits du dossier pédagogique réalisé par le Théâtre du Jeu de Paume.

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LA SCÉNOGRAPHIE

Comment appréhendez-vous votre travail de scénographe ?
Il y a une manière de travailler spécifique avec chaque metteur en scène, en fonction de sa personnalité,
son univers de travail, son choix du texte.
Je m’y prends toujours très longtemps à l’avance, environ 1 an. Au départ, je lis le texte, des ouvrages
périphériques – je lis beaucoup. J’essaie d’avoir un temps très long de maturation. Puis, nous décidons de
la première réunion avec le metteur en scène pour comprendre un peu le cadre dans lequel on va travailler.
Et pour Le Malade imaginaire ?
C’est la première fois que je travaille sur Molière, très curieusement ; j’ai très peu fait de classiques et jamais
de Molière. Je connaissais peu, ou mal son œuvre. J’ai donc compté sur un temps de compréhension,
agrémenté par des lectures périphériques à propos de l’auteur, de l’époque, etc.
Les premières conversations avec Michel (Didym) se sont basées sur le contexte : devions-nous faire un
« Malade » contemporain ou classique ? Tout l’objet des réunions, qui se resserraient au fur et à mesure,
portait sur ce point.
Le préalable de Michel était assez fort : si on montait Le Malade imaginaire de manière contemporaine, il
fallait le placer à l’époque du gouvernement de Vichy, en requalifiant le malade comme un bourgeois un
peu fermé ; les médecins auraient pu être des collabos, des tortionnaires. Connaissant mal Molière, je ne
répondais bien évidemment pas à la question, ni par l’affirmative, ni pas la négative.
De manière générale, je repousse le plus possible la prise de décision car, souvent, quand on énonce trop
précisément des choses, on en est inconsciemment un peu prisonnier ; il faut essayer de rester le plus
longtemps ouvert sur les possibles. Le dessin est pas mal pour ça parce qu’il permet de faire soit des
dessins très approfondis, soit des croquis un peu rapides qui permettent de lancer des idées, comme des
hypothèses de travail ouvrant la discussion.
Comment a évolué le travail de l’époque de Vichy au décor final ?
La vision de la scénographie a évolué à chaque séance de travail hebdomadaire comme une espèce de
métronome. Quand je faisais un dessin qui tournait vers le classique, Michel s’effrayait un peu en disant
que ce n’était pas possible ; on repartait vers du contemporain, on échafaudait même des pistes assez
différentes qui passaient du contemporain à l’abstrait, quitte à être très abstrait. Et puis ça a varié :
Michel n’arrivait pas à se décider à un choix définitif. L’espace que l’on voit est la traduction non pas d’une
hésitation, mais d’une décision de le faire basculer d’une époque à une autre ; c’est ce que l’on retrouve
également dans les costumes.
Nous n’avons donc pas fait de choix coup-de-poing ; nous avons été un peu plus subtils, parce que l’on est
tous, et Michel en premier, très sensibles à ce qu’on lit, à la langue de Molière, et au texte. Et ce qui nous
paraissait très important, et qu’on vérifie sur le plateau, c’est cette langue qui a une musique, comme chez
Marivaux, qui éteint un peu le sens très contemporain de cette écriture. Tout le travail était donc de créer un
espace qui permette aux acteurs de faire éclore ce texte pour que les oreilles contemporaines l’entendent
d’une manière pertinente.
Il est par ailleurs très important que la scénographie ne soit pas univoque : comme la lumière, elle apporte
des suggestions en sous-couches, elle doit flirter avec le sensible.

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Pourquoi avoir choisi un plateau de biais par rapport au public ?
Bien sûr, on a mis ce Malade imaginaire presque en majesté, comme un roi qu’on viendrait visiter. La petite
scène qui appartient à Argan crée aussi une distance avec ceux qui arrivent comme s’il y avait une difficulté
à l’approcher. L’espace permet de jouer avec ces tensions-là.
En scénographie, vous avez le choix entre travailler avec une scène face, parallèle aux spectateurs, ou bien
à 45°. Vous pouvez le voir dans des aquarelles de toutes les époques : quand on présente un espace à 45°,
tout à coup, il se passe quelque chose de moins figé, de moins statique sur les perspectives.
Le dévissement du plateau a une première fonction très active sur le jeu.
Il y a deux entrées, une à cour et une à jardin qui sont qualifiées différemment: celle à jardin propose presque
un hall, une entrée vers l’extérieur; et, à cour, il s’agit plus des communs, de la famille qui l’emploie le plus
souvent. Le fait de ne pas mettre le plateau frontalement, où on aurait eu des entrées assez équilibrées
pour les acteurs, le choix de le visser comme cela crée, même pour le Malade, des rapports d’écoute et
des regards différents. C’est de la scénographie pure de dynamiser au maximum le jeu. C’est vrai qu’une
diagonale, c’est plus payant qu’une horizontale, qu’un rapport très orthonormé, qu’un espace planté par
rapport aux spectateurs.
De plus, cet espace prend en compte les intermèdes chantés et dansés : Michel avait la volonté de les
monter mais pas dans leur intégralité. Il voulait qu’il y ait un côté césure dans le spectacle. Progressivement,
est né le deuxième espace au-delà des chaînes, comme une scène de cabaret, espace qui sert également
de sortie pour le Malade quand il va aux toilettes.
Les chaînes, pourquoi ?
Pour avoir une fluidité de passage. Il n’y a pas de porte non plus pour avoir une immédiateté d’entrées sur
le plateau. Cette langue, ces scènes nécessitent d’avoir un rythme assez soutenu : il ne faut donc pas trop
freiner les déplacements, la rapidité des choses, même la simultanéité d’une sortie et d’une entrée.
Et la deuxième fonction du plateau de biais ?
La deuxième fonction du plateau est liée au déplacement du fauteuil du Malade. Nous nous sommes très
longtemps posé la question, jusqu’à ce que l’on ait fait un premier essai avec André (Marcon). J’avais comme
première source d’inspiration le travail sur les papes de Francis Bacon : la voix comme un cri, comme une
poussée.
Nous avons réalisé un prototype pour en vérifier toutes les proportions avec André. Nous avons fait 2 jours
d’essais en visitant quelques scènes, pour que l’on puisse discuter de sa position sur le plateau, sa mobilité,
et la stature de ce fauteuil. Son ampleur, sa taille,.., tout a été transformé au fur et à mesure, centimètre
après centimètre ; sa profondeur, l’inclinaison du dossier, et le fait qu’il puisse se déplacer juste sur une
poussée d’André à des moments précis. C’est un travail assez minutieux fait sur cet accessoire qui entoure
le rôle principal.
Enfin, le plateau de biais qui empiète sur la salle pose un peu la question de la place du spectateur : le public
est de trois-quarts, en regard par rapport à l’intimité de ce malade.

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D’où vient le choix du petit plateau carrelé sur la scène ?
Il est lié à plusieurs dessins des intérieurs assez bourgeois que nous avons réalisés préalablement aux
maquettes ; plusieurs matières avaient été retenues. Est-ce que l’on fait un plancher ? Est-ce que l’on est
dans la chambre d’Argan ? Un salon ? À un moment donné, on a fait un espace très ancré dans le milieu
hospitalier avec des revêtements en Plexiglas, un espace plus lié à la maladie. Ce carrelage est un entre-
deux entre l’hôpital et la chambre d’une maison particulière.
C’est un sol qui est en outre assez dynamique sur les voix ; il assez dur, les voix rebondissent ainsi très
bien. Il est important de prendre en compte la qualité des matériaux par rapport au sonore et à la lumière.
Jacques Gabel, scénographe, janvier 2015

                                                              Maquette du Malade imaginaire réalisée par Jacques Gabel

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LES COSTUMES

ENTRETIEN AVEC MICHEL DIDYM, DÉCEMBRE 2013
« Mon objectif n’est pas de sursignifier ma lecture par une mise en scène ostentatoire qui donnerait à
imaginer que la radicalité de ma version pourrait compenser la faiblesse de l’œuvre. Un chef d’œuvre absolu
mérite tout le respect dû aux chefs-d’œuvre.
D’autre part, il y a une authenticité et une puissance des situations qui est indépassable. Ce qui m’intéresse
c’est de donner des signes de modernité très précis avec une série d’anachronismes vestimentaires ou
sociologico-médicaux qui vont donner aux spectateurs du grain à moudre dans leur sablier temporel. »

ENTRETIEN AVEC ANNE AUTRAN, COSTUMIÈRE, JANVIER 2015
J’ai commencé les maquettes des costumes après avoir vu les comédiens à la première lecture du Malade
imaginaire en septembre 2014. J’avais bien entendu commencé les recherches avant, mais j’ai senti les
intentions des comédiens à leur attitude, même s’ils n’étaient pas en mouvement. J’étais imprégnée de
cela, car, bien sûr, on crée les costumes en fonction des artistes. Et pour le comédien, la connaissance de
son costume est importante car elle positionne son travail et son jeu.
Dès le départ, Michel (Didym) souhaitait des costumes ayant trait au classique et au moderne. Il fallait
donc veiller à ne pas les figer dans une époque mais, au contraire, de mélanger les périodes, les modes, les
tissus. Pour Le Malade imaginaire, j’ai conçu environ 35 pièces de costumes.

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Béralde
La première maquette réalisée a été celle de Béralde, le frère d’Argan. J’ai beaucoup été inspirée par le
portrait photographique de l’artiste Léonard Foujita. Les motifs du pull de Foujita sont conçus d’après les
ceux de la peintre et couturière Sonia Delaunay. Avec ces motifs, nous avions une belle réunion entre la
Comedia dell’Arte - le personnage de l’Arlequin qui amène la vie-, et la modernité de l’artiste peintre en lien,
bien entendu, avec la modernité du personnage de Béralde.
L’importance de la couleur chez Delaunay est ici également liée à l’importance de la couleur au 17ème siècle
– au 19ème siècle, on est plus dans le noir.
Avec la maquette de Béralde, j’ai posé l’extrême modernité des costumes du Malade imaginaire : j’ai ainsi
pu déployer les possibilités de mélanges avec les côtés plus classiques.

                                                                            Léonard Foujita

                                                                            Motifs Sonia Delaunay

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Argan
Les portraits des auteurs Celine et Léautaud ont été mes premières inspirations pour le personnage
d’Argan. Pour moi, le Malade imaginaire est quelqu’un qui a un vêtement depuis toujours, dans lequel il
s’enveloppe, dans lequel il se sent rassuré, avec lequel il vit, qu’il use. Mais Michel souhaitait aussi que le
costume d’Argan soit celui d’un homme plus chic, plus riche, plus élégant.
Je suis alors partie sur quelque chose de plus classique avec la robe de chambre qui est un peu tirée de
l’esprit ethnique, oriental. Ce sont des coupes de robes d’intérieur qui existaient depuis le 17ème siècle et qui
ont perduré jusqu’au 20ème siècle.
J’ai travaillé la robe de chambre à partir d’un tissu de sari indien, assez ancien, pour qu’il y ait à la fois la
noblesse de la matière avec cette très belle soie, et déjà un vécu dans le tissu d’origine.
Le premier croquis correspond à l’idée de départ de la modernité : nous avions pensé à un pyjama. Nous ne
l’avons pas gardé car cela ne fonctionnait pas sur scène et l’avons remplacé par un pantalon de ville. J’ai
également allégé le costume d’intérieur pour estompé le côté réception du vêtement et garder celui d’une
personne qui reste chez elle, dans sa chambre.

                                                                            Celine

                                                                            Léautaud

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Purgon
Les passages plus classiques sont venus très naturellement
notamment celui de Purgon avec une tradition également tirée
de la Comedia delle Arte. Purgon est le seul qui a une culotte
du 17ème siècle, aucun autre personnage ne l’a. Michel voulait
que cela soit quelqu’un qui sorte de son bloc opératoire ;
wla grande tunique et la culotte peuvent presque être un
uniforme de travail avec le tablier dessus. C’est le costume le
plus poussé vers le 17ème . Tous les autres ont des pantalons,
même s’ils ont des redingotes comme le personnage de
Cléante.

Cléante
La redingote est un vêtement du 19ème: la coupe et la couleur de ce costume sont de cette époque. Mais
ce n’est pas le cas du col. Pour la matière, je me suis inspirée des oeuvres du peintre suisse Liotard, mais
également d’autres peintures du 17ème telles celles du Néerlandais Gabriel Metsu.
Le col de Cléante est imposant. Il y avait à Paris au musée des Arts décoratifs l’exposition de Dries van
Noten, un couturier que j’aime beaucoup. Parmi ses sources d’inspiration, une peinture : un jeune homme
des années 70 avec ce grand col blanc. Cela faisait très bien le pont avec d’autres époques : le romantisme
et le 17ème. Ça a été pour moi un des points de départ de Cléante: le col, le rouge de ce personnage, la
douceur du velours et le rapport au pantalon. Et la modernité avec les Beatles : à la fin, il revient avec les
boots à la Beatles avec le talon, et un pantalon en daim moderne.

                                                                  Source d’inspiration « Exposition
                                                                  Dries van Noten »

                                                                  Peinture de Gabriel Metsu

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Toinette
Toinette est une servante : le tablier est incontournable. C’est comme chez Purgon, il y a des codes qui
doivent être lisibles immédiatement. C’est donc un costume de fonction. Parfois, la comédienne le retire;
Nora Krief retire plus souvent le tablier qu’Agnès Sourdillon (rôle en alternance), chacune sa position par
rapport au personnage. Je me suis beaucoup inspirée des premiers autochromes des frères Lumière ; ils
m’ont servie pour faire les manches de Toinette par exemple. Cette photo, notamment, était très importante
pour moi. On devait sentir que le corps était toujours présent sous les manches. Je veux que le corps
habite le vêtement, qu’on soit moins dans l’idée du costume. Ce sont ici des tissus légers : je trouvais cela
important de garder de la sensualité combinée à la femme de maison.

                                                                         Autochrome des frères Lumière

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Angélique
                 Angélique, je l’ai cherchée un moment : où était sa place entre son émancipation et son
                 obéissance ? était-elle déjà émancipée ? où était son côté sage ? quelle était la liberté qu’elle
                 prenait ? où se situait vraiment son costume ?
                 Je voulais un côté souple et un côté à la fois tenue, d’où la petite raideur du dos. La gestuelle
                 de la comédienne Jeanne Lepers est justement assez particulière : elle est entre la raideur
                 et la souplesse.
                 Pour ce personnage, il était essentiel d’avoir la légèreté de la matière. J’avais trouvé les
                 tissus du costume avant la tenue : je savais que c’était la matière qu’il fallait pour Angélique,
                 de la soie.
                 Mes sources d’inspiration ce sont aussi les films : là, Bright Star de Jane Campion où la jeune
                 fille a un col fermé. Le col fait ainsi référence à l’éducation religieuse d’Angélique : elle devait
                 être la fille obéissante de la maison. Mais s’il est plus fin 19ème siècle, le costume n’en a pas
                 la longueur, la coupe est plus moderne. Je me suis inspirée pour la forme d’une petite veste
                 tunique d’été qui est de 1890. Les manches sont elles d’inspiration 18ème siècle, très nuage.

                                                                                Image du film « Bright Star »

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LA MUSIQUE

                 Comment avez-vous commencé à travailler sur la musique du Malade imaginaire ?
                 Nous avons d’abord travaillé à la table avec Michel (Didym), nous avons déplié le sens et le
                 texte : quel sens la musique peut apporter ?
                 Le texte a raison; c’est le principal axe de Michel. Il est déterminant quand il est parlé, ou
                 chanté. La musique est un véhicule qui doit nous laisser entendre les choses, mais aussi un
                 décor qui doit colorer un climat, une humeur.
                 Il y avait aussi bien sûr une figure « imposée » par le découpage des intermèdes : une
                 ouverture, le Polichinelle, le ballet des Égyptiennes et la cérémonie des médecins.

                 Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
                 Nous avons commencé avec la chanson du Polichinelle. Michel souhaitait qu’il y ait une
                 résonnance entre le faux latin du 3e intermède en créant un faux italien : nous avons ainsi fait
                 un mix entre l’italien et la traduction en français. Puis nous sommes partis sur une musique
                 franchement italienne, dans la lignée des chanteurs à voix, un peu crooners, un slow italien,
                 complètement anachronique, qui correspond à l’anachronisme de la mise en scène. Nous ne
                 sommes pas dans une époque, on traverse un temps, une pensée, une musique. Le style me
                 semble également bien coller à la problématique du Polichinelle, désespéré de ne pas être
                 aimé par sa belle : le cliché de la sérénade amoureuse.

                 Pour le ballet des Égyptiennes, on a plongé franchement dans l’orientalisme, en gardant
                 une forme de mystère sur ce qui vient d’être dit. Le travail qu’on a fait sur le son est un son
                 théâtral : on doit toujours entendre ce qui est dit. Et, surtout dans cet intermède, des femmes
                 mores arrivent et nous disent de « profiter du printemps », de profiter du temps qui passe :
                 on souhaitait que cette chose soit entendue très précisément.

                 Pour l’ouverture, on a travaillé avec le quatuor à cordes de l’Ensemble Stanislas.
                 J’avais une idée sur le mystère des cordes, en lien avec la lumière du créateur lumière Joël
                 Hourbeigt et avec la scénographie de Jacques Gabel. La scène d’ouverture est ancrée avec
                 le son, puisque tout commence par le son ; puis la lumière, et le décor qui apparaît. C’est un
                 travail collectif avec les trois corps de métiers : son, lumière, scénographie. On travaille de la
                 matière et on essaie de trouver une unité.

                 Et le dernier intermède ?
                 La fin, l’entrée des médecins doit être faite très sérieusement, tellement, qu’elle en devient
                 drôle.
                 Nous avons choisi l’image d’une messe, un peu franc-maçonnique, très ritualisée. Les
                 médecins ont toujours un langage, comme les scribes égyptiens : on ne les comprend pas.
                 On est dans le monde mystérieux des médecins, avec des codes, des trucs. On a suivi cette
                 corporation en créant une musique presque vaudou.
                 La fin est importante : il fallait garder une tension, une apothéose : l’ensemble du spectacle
                 s’exprime dans la scène finale.

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