Le Malade imaginaire - La Coursive

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Le Malade imaginaire - La Coursive
Photographie de répétition

Le Malade imaginaire
de Molière

mise en scène Claude Stratz                                                       En tournée
                                                                            11 SEPT > 19 DÉC 19

avec la troupe de la Comédie-Française                             Reprise au Théâtre Marigny
Alain Lenglet, Coraly Zahonero, Guillaume Gallienne,                           AVRIL > MAI 20
Julie Sicard, Christian Hecq, Yoann Gasiorowski, Élissa Alloula,
Clément Bresson
Le Malade imaginaire - La Coursive
ÉDITO D ’ÉRIC RUF

LE MALADE IMAGINAIRE
                                                               À ce jour ont endossé déjà le bonnet de nuit du malade –
Une « épure », en construction ou en architecture,             et avec quel talent – Alain Pralon, Gérard Giroudon et à
est un traçage au sol de l’embase d’un décor ou d’un           présent Guillaume Gallienne qui avait joué d’ailleurs le
assemblage. Elle est l’empattement initial, dessiné, pensé,    notaire dans cette mise en scène il y a quelques années.
de la construction à venir, le départ de sa perspective et     La dernière pensionnaire engagée, Élissa Alloula, enfile la
l’assurance de sa hauteur.                                     robe jaune poussin d’Angélique, sous le regard scrupuleux
Il en est de certains spectacles comme de certaines            et amusé de Julie Sicard qui jouait le rôle à la création et
constructions, leurs fondations sont si justement pensées      qui, depuis quelques saisons, a repris celui de Toinette
qu’elles durent longtemps.                                     après Catherine Hiegel et Muriel Mayette-Holtz. Alain
Chaque saison, l’administrateur général de la Comédie-         Lenglet est notre Béralde historique, mémoire du spectacle
Française se voit proposer une liste de réforme de             et aujourd’hui chef de troupe, après avoir été, un moment,
décors. Il faut alors décider d’en « casser » certains, ceux   remplacé par Hervé Pierre et Gilles David. Nous ne
de spectacles dont les reprises ont épuisé leur public         comptons plus les Cléante : je fus le premier suivi – mais
potentiel, pour permettre aux ateliers de construction         dans quel ordre ? – par Loïc Corbery, Laurent Stocker,
d’en stocker de nouveaux. Cette rotation est obligatoire       Benjamin Lavernhe, [...] même Cyril Teste y est passé lors
mais chaque réforme est une condamnation sans retour.          d’une tournée. Inutile de convoquer ici les notaires, père et
                                                               fils Diafoirus, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant, trop
Sur cette liste, le stylo tremble souvent à en biffer          d’acteurs lèveraient le doigt, témoins de leur participation
certains dont « l’épure » justement est exemplaire, surtout    à un moment donné, toute la Troupe presque.
lorsqu’il s’agit de titres classiques. Quand une version est   Ce spectacle désigne, en creux, la qualité et l’exception
manifestement réussie, épouse justement ce qui a rendu         de la Comédie-Française. C’est un modèle singulier. La
classique l’œuvre montée et en renouvelle très simplement      Troupe est là pour que les grands spectacles vivent au-
le plaisir et l’intérêt, la condamner définitivement n’est     delà d’une exploitation normale et la passation des rôles
pas chose facile. D’autant qu’il faudra, pour en créer une     entre les déjà 535 sociétaires et le nombre plus important
nouvelle, attendre que les années passent pour éviter le       encore de pensionnaires depuis Molière est une tradition
simple effet de comparaison et sans assurance d’ailleurs       chaque jour renouvelée. Les Comédiens-Français
que cette réédition soit à la hauteur de la précédente.        connaissent tous cette école de l’humilité et mettent
                                                               leur pas dans ceux de leurs prédécesseurs, faisant, de
Le Malade imaginaire de Claude Stratz est de cette veine et    programmes de spectacles en captations d’archives, un
de cette serpentine, longue et permanente réussite (bientôt    travail archéologique sensible pour rendre à chaque
500 représentations). Le bonheur des lectures lorsqu’il        réplique et à chaque mouvement, le geste originel, le hic
s’agit de classiques tient sans doute à leur singularité et    et nunc du départ. Ce principe, et ce n’est que justice,
au fait que les metteurs en scène réussissent à contourner     a besoin de la liberté et du singulier de chacun des
toute convention établie pour épouser le muscle profond        nouveaux comédiens distribués pour se réinventer.
des œuvres. L’épure initiale de Claude était forte et          C’est ce travail que la nouvelle distribution réunie pour
tragique, son spectacle crépusculaire et dense – les fraises   servir le spectacle de Claude Stratz a effectué pour cette
des médecins, les clystères (notre considération à leur        tournée d’automne qui nous mènera notamment dans
égard s’est d’ailleurs transformée en craintive vénération)    dix villes d’Île-de-France, de Saint-Denis à Sartrouville,
mais avant tout le désir obsédant de contrefaire la mort,      Chaville ou encore Rueil-Malmaison, et pour sa
de faire le mort, d’entendre post mortem ce qu’on pense        reprise au Théâtre Marigny afin d’être fidèle à sa beauté
de nous, de pouvoir séparer le grain de l’ivraie. Vieux        crépusculaire.
fantasme taraudant mais toujours vivace.
J’ai souvent remarqué – et le parallèle est pertinent
aussi s’agissant d’architecture – que lorsque l’équation
initiale d’un spectacle est aussi justement posée, alors
la distribution peut être entièrement remaniée, chaque
nouvel impétrant épousant avec évidence ce qui a été
premièrement énoncé. Ainsi de L’Avare monté par Jean-
Paul Roussillon et joué plus de 25 ans, Lucrèce Borgia
montée par Denis Podalydès, jouée plus de 170 fois et
dont aucune actrice, aucun acteur n’a fait l’entièreté
de l’exploitation, ou notre Malade imaginaire monté
par Claude Stratz, repris de salle originelle en Théâtre
éphémère, de villes américaines en centre ville chinois...
La mort de Claude, quelques années après la création, n’a
empêché ni le désir, ni la nécessité de jouer ce spectacle
à l’envi(e) justement. C’est la règle du Français et sa
permanence exceptionnelle.
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Le Malade imaginaire - La Coursive
SOMMAIRE                                                     GÉNÉRIQUE
Édito d'Éric Ruf                                      p.2    Le Malade imaginaire
L’argument, Molière, épilogue d’une vie de théâtre p.4       de Molière
Le Malade imaginaire, comédie de la mélancolie               Mise en scène Claude Stratz
par Claude Stratz                                     p.5
                                                             Scénographie et costumes Ezio Toffolutti
Biographie du metteur en scène                        p.6
                                                             Lumières Jean-Philippe Roy
Alain Lenglet, Julie Sicard et Guillaume Gallienne
                                                             Musique originale Marc-Olivier Dupin
parlent du Malade imaginaire
propos recueillis par Laurent Muhleisen            p.7       Travail chorégraphique Sophie Mayer
Une musique pour Le Malade imaginaire                        Maquillages, perruques et prothèses
par Marc-Olivier Dupin                                p.11   Kuno Schlegelmilch
Le Malade imaginaire, comédie mêlée de musique               Assistanat à la mise en scène Marie-Pierre Héritier
et de danses, par Joël Huthwohl                p.12          Assistanat à la scénographie Angélique Pfeiffer
Historique du Malade imaginaire                              Assistanat aux maquillages et prothèses Elisabeth
par Joël Huthwohl                                     p.13   Doucet et Laurence Aué
Interprètes du rôle d’Argan                           p.15
En tournée                                            p.16   avec
Au cinéma – Pathé Live                                p.17   Alain Lenglet Béralde
Biographies des comédiens de la Troupe                p.18   Coraly Zahonero Béline
Biographies des musiciens                             p.23   Guillaume Gallienne Argan
Informations pratiques                                p.26   Julie Sicard Toinette
                                                             Christian Hecq Monsieur Diafoirus et Monsieur Purgon
                                                             Yoann Gasiorowski Cléante
                                                             Élissa Alloula Angélique
                                                             Clément Bresson Thomas Diafoirus,
                                                             Monsieur Bonnefoy et Monsieur Fleurant
                                                             et
                                                             Prune Bozo*, Marthe Darmena*, Marie de Thieulloy*
                                                             Louison
                                                             Élodie Fonnard*, Donatienne Michel-Dansac* soprano
DATES DU SPECTACLE                                           Étienne Duhil de Bénazé*, Jérôme Billy* ténor
En tournée en France                                         Ronan Debois*, Jean-Jacques L’Anthoën* baryton-basse
du 11 septembre au 19 décembre 2019                          Jorris Sauquet clavecin
                                                             *en alternance
Reprise au Théâtre Marigny
d'avril à mai 2020

Au cinéma – Pathé Live
Spectacle diffusé dans plus de 300 salles de cinéma
en France et à l'étranger
En direct le jeudi 14 mai 2020 à 20h15
Reprises dans les salles de cinéma
les 1er, 7 et 14 juin à 17h et le 8 juin à 20h

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Le Malade imaginaire - La Coursive
LE SPECTACLE

L' ARGUMENT                                                     MOLIÈRE, ÉPILOGUE D’UNE VIE DE THÉÂTRE
Argan, le « malade imaginaire », entend marier sa fille         La mythologie moliéresque a longtemps fait du Malade
Angélique, qui aime Cléante, à Thomas Diafoirus afin de         imaginaire une pièce testament, symbole d’une vie vouée
disposer d’un médecin à demeure. Béline, sa deuxième            au théâtre. Certes, la réplique d’Argan proférée par Molière
épouse qui complote pour profiter de son héritage,              lui-même – « N’y a-t-il pas quelque danger à contrefaire le
préfèrerait, quant à elle, envoyer la jeune fille au couvent.   mort » – quelques heures avant son trépas le 17 février 1673,
Aidé de Toinette, la servante de la maison, qui va jusqu’à      peut apparaître comme une prémonition et l’ultime sacrifice
se déguiser en médecin, Béralde, le frère d’Argan parvient      d’un homme au service de son art jusque dans la mort. Mais
à révéler à son frère les véritables sentiments de Béline.      contrairement à la légende, Molière n’est pas mort sur scène
Convaincu de se faire passer pour mort, Argan découvre          au cours de la quatrième représentation de sa nouvelle
successivement la duplicité de sa femme et l’amour de sa        pièce, créée le 10 février 1673 au Palais-Royal. Le registre
fille Angélique. Il accède alors au désir de cette dernière,    de La Grange nous apprend qu’il est rentré chez lui rue de
qui épousera Cléante, et, sur les conseils de son frère,        Richelieu, et le récit supposé de cette mort en scène, amplifié
décide de devenir médecin lui-même : une cérémonie              au cours des siècles, se met au service d’une hagiographie
parodique et bouffonne, à laquelle participent tous les         du héros littéraire qui prendra tout son essor à l’époque
personnages, tient lieu d’intronisation.                        romantique. La récente biographie de Georges Forestier
                                                                (Molière, Gallimard, 2018) déconstruit ce mythe et rétablit
                                                                la vérité des faits et du contexte. À l’hiver 1673, Molière
                                                                est au sommet de son art avec la création récente d’œuvres
                                                                importantes (Psyché, Les Fourberies de Scapin, La Comtesse
                                                                d’Escarbagnas en 1671, Les Femmes savantes en 1672) jouées
                                                                tant à la cour qu’à la ville. Il est notamment l’organisateur
                                                                du Ballet des ballets pour le Roi. Contrairement au portrait
                                                                communément dressé d’un homme amoindri par une
                                                                maladie chronique pulmonaire qui finira par l’emporter,
                                                                il est en pleine possession de ses moyens jusqu’aux jours
                                                                précédant la première du Malade : le même registre
                                                                mentionne qu’il est alors atteint d’une « fluxion », c'est-à-dire
                                                                une affection broncho-pulmonaire qui provoque finalement
                                                                l’hémorragie fatale. Mais il n’a certainement pas écrit son
                                                                ultime pièce en pensant à sa propre fin.
                                                                Néanmoins, deux événements viennent probablement
                                                                assombrir les dernières années de sa vie : la mort de
                                                                Madeleine Béjart le 17 février 1672, compagne de toujours
                                                                et mère d’Armande, sa jeune épouse, et celle de son fils
                                                                Pierre en octobre 1672. Par ailleurs, les tractations de
                                                                Lully pour obtenir le privilège de l’opéra et restreindre les
                                                                possibilités pour les autres troupes de théâtre d’avoir recours
                                                                à la musique et à la danse, ont certainement préoccupé et
                                                                occupé Molière. Auteur de nombreuses comédies-ballets
                                                                – dont beaucoup en collaboration avec Lully lui-même
                                                                – il est bien sûr visé par cette interdiction, mais parvient
                                                                à plaider sa cause auprès du Roi. Fort de son effectif
                                                                assuré de six chanteurs et douze violons, il commence
                                                                la composition du Malade imaginaire à l’automne 1672,
                                                                avec la collaboration de Beauchamp pour la danse et de
                                                                Charpentier pour la musique, prévoyant la création pour
                                                                le Carnaval suivant et espérant faire jouer cette nouvelle
                                                                comédie mêlée, sans machines ni changements de décor à
                                                                vue, sur les scènes éphémères de la cour. Molière se retire
                                                                alors de la scène, laissant à Baron le soin de le remplacer :
                                                                il s’occupe de sa pièce et de la publication de ses œuvres.
                                                                Le Malade imaginaire, créé le 10 février 1673, remporte
                                                                un grand succès et génère une recette très importante. La
                                                                mort de son auteur, la restructuration des troupes et les
                                                                manœuvres de Lully ne permettront néanmoins pas de la
                                                                jouer à la cour avant le printemps 1674.
                                                                                                               Agathe Sanjuan
Photographie de répétition                                                    Conservatrice-archiviste à la Comédie-Française
                                                                                                                            4
Le Malade imaginaire - La Coursive
LE MALADE IMAGINAIRE, COMÉDIE DE LA MÉLANCOLIE
PAR CLAUDE STRATZ

Quand Molière écrit Le Malade imaginaire, il se sait           en feignant d’entrer dans les sentiments d’Argan et de
gravement malade. Sa dernière pièce est une comédie,           Béline, que Toinette aidera Angélique. C’est comme faux
mais chaque acte se termine par une évocation de la mort.      maître de musique que Cléante peut s’introduire dans la
On ne peut s’empêcher de voir derrière le personnage           maison. C’est qu’il faut être hypocrite pour dénoncer les
d’Argan (interprété par Molière lui-même à la création)        impostures et les mensonges.
l’auteur mourant, qui joue avec la souffrance et la mort.      La pièce a suscité les interprétations les plus contradictoires :
Le même thème, tragique dans la vie devient comique            on a joué Argan malade, on l’a joué resplendissant de
sur la scène, et c’est avec son propre malheur que l’auteur    santé, on l’a joué tyrannique, on l’a joué victime, on l’a
choisit de nous faire rire.                                    joué comique, on l’a joué dramatique. C’est que tout cela y
Dans un siècle où les écrivains ne parlent pas d’eux-          est, non pas simultanément mais successivement. Molière
mêmes, Molière nous fait une confidence personnelle :          propose une formidable partition, toute en ruptures,
il est si affaibli, nous dit Béralde, « qu’il n’a justement    toute en contradictions où le comique et le tragique sont
de la force que pour porter son mal ». Le vrai malade          étroitement imbriqués l’un dans l’autre, où ils sont l’envers
joue au faux malade. Toute la pièce tourne autour de           l’un de l’autre. Derrière la grande comédie qui a intégré
l’opposition du vrai et du faux : vrai ou faux médecin,        certains schémas de la farce, on découvre l’inquiétude,
vrai ou faux maître de musique, vraie ou fausse mort.          l’égoïsme, la méchanceté, la cruauté.
Cette dialectique culmine au dernier acte quand, dans          Comédie paradoxale ? Dans cette pièce rien n’est tout à
une parodie de diagnostic (où le poumon est la cause           fait dans l’ordre des choses. L’unité de temps, par exemple,
de tous les maux d’Argan), Molière fait dire à Toinette        y est respectée et pourtant discrètement subvertie : le
déguisée en médecin la vérité de son mal : à la quatrième      premier acte commence en fin d’après-midi et se termine
représentation, Molière crache du sang et meurt                à la nuit tombante, les deux actes suivants se déroulant le
quelques heures plus tard – du poumon, justement. C’est        matin et l’après-midi du lendemain. La dernière pièce de
l’imposture au second degré, l’imposture (de Toinette)         Molière commence donc dans les teintes d’une journée
pour dénoncer l’imposture (des médecins), qui finalement       finissante ; c’est une comédie crépusculaire, teintée
dit la vérité. C’est du mensonge que surgit la vérité. C’est   d’amertume et de mélancolie.
le mensonge d’Argan (quand il joue au mort) qui révèle                                            Claude Stratz, mise en scène
la trahison de Béline. C’est en « changeant de batterie »,                                                        janvier 2001

                                                                                                                              5
Le Malade imaginaire - La Coursive
BIOGRAPHIE DU METTEUR EN SCÈNE

CLAUDE STRATZ, MISE EN SCÈNE                                 Il a mis en scène :
                                                             1975 Les Bakkhantes d’Euripide (ESAD de Genève)
Né à Zurich, Claude Stratz étudie la psychologie à
                                                             1976 Tamerlan d'après Marlowe (ESAD)
l'Université de Genève avec Jean Piaget. Il enseigne la
dramaturgie et l'interprétation à l'École supérieure d'art   1978 Woyzeck de Büchner (Théâtre de Carouge)
dramatique de Genève. Assistant de Patrice Chéreau           1980 Le Prince de Hombourg de Kleist (Comédie de
au Théâtre des Amandiers de Nanterre de 1981 à 1988,         Genève)
il dirige ensuite la Comédie de Genève de 1989 à 1999,       1982 Les Troyennes d'Euripide (ESAD)
l'École supérieure d'art dramatique de Genève de 1999        1984 L'École des mères et Les Acteurs de bonne foi de
à 2001 et le Conservatoire national supérieur d’art          Marivaux (ESAD)
dramatique de septembre 2001 à sa mort en 2007.              1985 Le Legs et L'Épreuve de Marivaux (Comédie de
                                                             Genève et Théâtre de Nanterre Amandiers)
                                                             1987 Le Suicidé de Nicolaï Erdman (Comédie de Genève
                                                             et Théâtre de Nanterre Amandiers)
                                                             1989 Chacun à son idée de Pirandello (Comédie de
                                                             Genève et TNS)
                                                             1990 Jules César de Shakespeare (Comédie de Genève)
                                                             1991 L'Otage de Paul Claudel (Comédie de Genève)
                                                             1992 Le Pain dur de Paul Claudel (Comédie de Genève)
                                                             L'École des mères et Les Acteurs de bonne foi de Marivaux
                                                             (Comédie de Genève et Théâtre de la Commune
                                                             d'Aubervilliers)
                                                             1993 Le Baladin du monde occidental de John M. Synge
                                                             (Comédie de Genève)
                                                             1995 Fantasio de Musset (Comédie de Genève et
                                                             Théâtre National de Chaillot en 1996)
                                                             Monsieur Bonhomme et les incendiaires de Max Frisch
                                                             (Comédie de Genève et Athénée Théâtre Louis-Jouvet
                                                             en 2001)
                                                             1996 Un ennemi du peuple de Henrik Ibsen
                                                             (Comédie de Genève et Théâtre de la Colline en 1998)
                                                             1997 Le Drame d'Olivier Chiacchiari (Comédie de
                                                             Genève)
                                                             1998 Sa Majesté des mouches texte français d’Olivier
                                                             Chiacchiari d’après William Golding (Comédie de
                                                             Genève)
                                                             1999 Ce soir on improvise de Pirandello (Comédie de
                                                             Genève et Athénée Théâtre Louis-Jouvet)
                                                             2000 La Critique de l'École des femmes et L'Impromptu
                                                             de Versailles de Molière (ESAD)
                                                             Le Silence et Le Mensonge de Nathalie Sarraute (ESAD)
                                                             2001 Le Malade imaginaire de Molière (Comédie-
                                                             Française)
                                                             2003 La Bohème de Puccini (Opéra de Lausanne)
                                                             2004 Le Malade imaginaire de Molière (Theater in der
                                                             Josefstadt, Vienne)
                                                             2005 Les Grelots du fou de Luigi Pirandello (Théâtre du
                                                             Vieux-Colombier)
Portrait de Claude Stratz © Jürg Bohlen

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Le Malade imaginaire - La Coursive
ALAIN LENGLET, JULIE SICARD ET GUILLAUME GALLIENNE PARLENT DU
MALADE IMAGINAIRE MIS EN SCÈNE PAR CLAUDE STRATZ

ALAIN LENGLET* Béralde
Claude Stratz, au fil des nombreuses reprises de son            Donc, pour Claude, Béralde ne devait pas « s’installer »
spectacle à la Comédie-Française, aimait plaisanter en          pour « raisonner » Argan ; en incarnant le point de
disant qu’il n’était plus « que » le metteur en scène du        vue de Molière (la haine des médecins), il devait avoir
Malade imaginaire ; sur le même mode, à une époque,             quelque chose du Molière de Philippe Caubère dans le
je n’étais plus « que » le comédien qui jouait Béralde.         film d’Ariane Mnouchkine, et participer à une vision
Du vivant de Claude, chaque reprise était cependant             radicale et crépusculaire de la pièce. Cette confrontation
extrêmement stimulante, tant il avait le goût à retravailler    de Béralde avec Argan prenait vite le ton de ces
la pièce, et en particulier cette fameuse scène dite du         conversations politiques qu’on a en famille, où chacun
« raisonneur », que nous avons essayé de traiter de façon       défend son point de vue avec âpreté. Ici, la polémique
particulière. Claude pensait en effet que Béralde, bien         va si loin que Molière – dans son extraordinaire lucidité,
qu’étant au cœur du complot visant à amadouer Argan sur         lui qui se sait condamné – fait dire à Argan que s’il était
la question du mariage d’Angélique, n’était pas forcément       médecin, il laisserait crever cet auteur qui se moque tant
l’homme de la situation ; il arrive chez son frère qui trône    de la médecine ; Claude avait donné un ton extrêmement
sur son fauteuil, reclus dans cet intérieur bourgeois quasi     nerveux à sa mise en scène. Après sa mort en 2007, j’ai
désaffecté – désinfecté ! – en y apportant les effluves de      l’impression que le spectacle s’était un peu arrondi, dilaté.
la nuit de carnaval à laquelle il vient de participer (c’est    Je suis passé par tellement d’émotions contradictoires,
intéressant à noter lorsqu’on sait que Molière est mort         tellement de couches de jeu au fil des années que l’aspect
quatre jours après la première, un 17 février, en plein         fébrile, enfiévré, a sans doute fini par s’estomper.
carnaval). Il est accompagné des polichinelles, et n’a pas      À la création, je jouais le « jeune frère » d’Argan / Alain
forcément envie d’avoir ce type de conversation. Il dit         Pralon ; aujourd’hui ce rapport va être complètement
venir « en passant » ; il est un peu essoufflé, pas forcément   inversé face à Guillaume Gallienne. Entre temps, j’ai joué
ivre (et peut-être ai-je eu tort d’envisager le rôle sous cet   Béralde face à Gérard Giroudon, qui incarnait un Argan
angle lors des premières séries) en tout cas enivré par la      pareil à un grand enfant désemparé, et très malheureux ;
fête, par cette distraction qui n’est peut-être plus de son     en tant que Béralde avec le temps je devenais peut-être
âge. De ce point de vue, en reprenant une nouvelle fois         plus inquiet pour cet Argan-là que pour celui d’Alain
le rôle aujourd’hui, 18 ans après la création et à l’âge que    Pralon.
j’ai, j’en viens à jouer effectivement un personnage un peu     En reprenant la mise en scène de Claude aujourd’hui,
trop vieux pour ce genre de virées nocturnes !                  je crois qu’Éric Ruf – qui n’était autre que le Cléante de

Photographie de répétition
                                                                                                                           7
Le Malade imaginaire - La Coursive
ALAIN LENGLET, JULIE SICARD ET GUILLAUME GALLIENNE PARLENT DU MALADE IMAGINAIRE
                                                                  MIS EN SCÈNE PAR CLAUDE STRATZ

la création du spectacle en 2001 – souhaite redonner                  s’agissait pour lui d’être au plus près de ce qui est dit et
au spectacle son caractère « urgent » et crépusculaire                écrit, dans l’immédiateté qui caractérise le rapport qu’on
d’origine.                                                            a aux textes d’aujourd’hui.
J’ai toujours adoré jouer ce spectacle, que nous avons                L’aspect très crépusculaire que Claude a donné à la mise
tourné dans le monde entier, et qui partout a rencontré               en scène de son Malade était passionnant à travailler.
l’écho que l’universalité de la pièce appelle. Il était               C’est celui-ci que nous essayons de retrouver dans cette
intéressant de voir les différences de réaction du public             reprise, car au fil des années, le spectacle s’était trop
en Chine et aux États-Unis, par exemple. La question du               « éclairé » au gré des tournées et des reprises de rôles. C’est
mariage arrangé ne résonne pas de la même façon dans                  l’imminence de la mort, ce côté sombre, qui intéressaient
les deux cultures, ni celle des sommes d’argent colossales            Claude dans la pièce ; il y a de quoi, quand on songe que
qu’un individu doit dépenser pour se soigner !                        Molière lui-même est mort quatre jours après avoir créé
À chaque fois pourtant, une certaine appréhension se                  le rôle du Malade.
mêle à ma joie : dans une mise en scène aussi radicale,               Jouer avec Catherine Hiegel était évident : le rapport
bien que profondément classique, il s’agit toujours de                maternel de Toinette et Angélique, nous l’avions déjà.
trouver un équilibre entre la longueur de la scène et le fait         Il a fallu bien sûr modifier ce rapport quand le rôle
de ne rien « installer » ; il faut trouver les bons moments           de Toinette a été repris par Muriel Mayette-Holtz ;
et les bons ressorts pour « ré-alimenter » la discussion, et          Toinette est devenue une grande sœur. C’est un luxe,
ne pas perdre pied.                                                   dans une carrière, de pouvoir changer de rôle dans un
* Alain Lenglet interprète le rôle de Béralde depuis la création du   même spectacle ; du fait de connaître les deux rôles, je
spectacle, en 2001. Il a été de toutes les reprises.                  sais ce qu’attend Angélique de Toinette et vice versa.
                                                                      Aujourd’hui ce qui est particulier dans cette reprise, c’est
JULIE SICARD Toinette                                                 que les anciennes Toinette ne sont plus dans la Maison,
                                                                      je n’ai plus le regard de mes aînées sur cet héritage qui
Je suis entrée à la Comédie-Française pour jouer le
                                                                      m’a été légué et je vais sans doute pouvoir m’approprier
rôle d’Angélique à la création du spectacle en 2001. Le
                                                                      davantage de choses encore.
hasard veut qu’au départ, ce rôle devait être confié à
                                                                      J’ai créé ma Toinette en même temps que Gérard Giroudon
Coraly Zahonero, qui finalement n’était pas libre, et
                                                                      créait son Argan, au Théâtre éphémère. Ensuite, nous
qui aujourd’hui joue le rôle de Béline, lequel avait été
                                                                      sommes partis en tournée, et il n’y avait pas d’Angélique
créé par Catherine Sauval. Auparavant, j’avais déjà
                                                                      disponible dans la Troupe. On m’a donc demandé de
joué au Français en tant qu’élève stagiaire, aux côtés
                                                                      « repasser » au rôle de la jeune première, ce que j’ai fait
d’Alain Pralon ; quant à Catherine Hiegel – la Toinette
                                                                      avec beaucoup de plaisir. J’ai pu à cette occasion vérifier
de Claude Stratz, qui elle-même avait joué Angélique
                                                                      à quel point le travail de Claude Stratz était formidable
dans la mise en scène de Robert Manuel – elle avait été
                                                                      et précis ; il n’y a pas eu de « contamination » d’un rôle
mon professeur au Conservatoire. Grâce à eux j’ai passé
                                                                      par l’autre. En voyant aujourd’hui Élissa travailler
l’audition. Je les soupçonne d’ailleurs d’avoir un peu
                                                                      Angélique et en l’aidant du mieux que je peux, je retrouve
insisté auprès de Claude puisque quand il m’a vue, il a
                                                                      le travail de Claude, l’idée précise qu’il avait de cette
d’abord trouvé que je n’étais pas « assez jolie » pour jouer
                                                                      jeune amoureuse et de son chemin vers une certaine
la jeune première auprès d’Éric Ruf ! L’ironie du sort veut
                                                                      émancipation. À travers Angélique, Élissa partage, je
même qu’au cours des répétitions, il lui arrivait de me
                                                                      crois, les mêmes défis que moi à la création : il y a une
dire que parfois il pressentait trop Toinette derrière mon
                                                                      excitation particulière à entrer dans cette forme stricte,
Angélique ! Sans doute avait-il peur de cela du fait que
                                                                      ce canon classique qu’est la jeune première de Molière
j’étais une ancienne élève de Catherine et que nous avions
                                                                      lorsqu’on est une jeune fille d’aujourd’hui. C’est le travail
une relation très « mère-fille ». Malheureusement, Claude
                                                                      avec Claude qui m’a permis de voir à quel point une
n’a jamais su que par la suite, j’ai effectivement fini par
                                                                      « jeune première » pouvait être concrète, vivante, aimer
jouer Toinette…
                                                                      et souffrir d’une façon organique, viscérale. Angélique
Claude Stratz était un extraordinaire directeur d’acteur.
                                                                      est entière et entièrement dans l’émotion.
Aujourd’hui encore, je me souviens de tout ce qu’il disait,
                                                                      Avoir joué Angélique et Toinette dans Le Malade m’a
de toutes les indications qu’il m’a données. Cela est très
                                                                      permis de comprendre que c’est Angélique qui porte
utile dans les discussions que j’ai avec Élissa Alloula, qui
                                                                      le drame, et que Toinette n’est pas qu’un rôle comique.
reprend aujourd’hui le rôle d’Angélique et qui n’a jamais
                                                                      Il était intéressant d’avoir déjà connu la douleur
joué de jeune première auparavant.
                                                                      d’Angélique pour pouvoir ensuite, en tant que Toinette,
Ce qui est magnifique, c’est que Claude, ami et assistant
                                                                      la comprendre et l’aider ; je sais par où elle passe. Et
de Patrice Chéreau, a monté ce Malade imaginaire de
                                                                      de l’autre côté, la relation entre Toinette et Argan est
façon « classique » et en même temps complètement
                                                                      insoupçonnable du point de vue d’Angélique, cette
intemporelle. Si le spectacle n’a pas vieilli, même après
                                                                      relation de « vieux couple ». Toinette jouit d’une liberté
18 ans, c’est je crois grâce au rapport honnête que
                                                                      interdite à Angélique.
Claude avait à l’œuvre de Molière. Sa lecture de la pièce
                                                                      Pour finir, je peux dire que si mon expérience dans cette
ne différait pas de celle de pièces contemporaines ; il
                                                                      mise en scène est particulière, c’est aussi parce que ma
                                                                                                                                   8
Le Malade imaginaire - La Coursive
ALAIN LENGLET, JULIE SICARD ET GUILLAUME GALLIENNE PARLENT DU MALADE IMAGINAIRE
                                                                MIS EN SCÈNE PAR CLAUDE STRATZ

fille y a joué le rôle de Louison. J’avais un trac fou pour       quatre jours après la création de la pièce…
elle, si bien que pendant le spectacle je m’inquiétais            C’est un élément qui n’a pas échappé à Claude Stratz, et qui
pour Angélique, (jouée alors par Claire de La Rüe du              donne à sa mise en scène cette tonalité crépusculaire. Le
Can) pour Toinette (que je jouais moi-même) et pour               Malade imaginaire est clairement une pièce testamentaire,
Louison ! J’avais l’impression d’avoir une triple partition       où l’auteur, par la voix d’Argan, se dit à lui-même : « Crève !
dans la tête.                                                     Crève ! ».
Jouer un spectacle sur une durée aussi longue et dans             En travaillant la pièce, porté par le regard bienveillant
deux rôles différents a aussi ceci de remarquable qu’on           d’Éric Ruf qui faisait partie de la distribution de Claude
finit par connaître le texte de tout le monde et la mise          Stratz, on se rend compte que Molière y a placé des
en scène par cœur. Je me surprends d’ailleurs, au cours           ingrédients d’autres comédies ; on y trouve du Sganarelle
de cette reprise, à défendre certains détails, parfaitement       bien sûr, du Géronte dans des Fourberies de Scapin, ou
gravés dans ma mémoire, et qui selon moi participent à            de l’Harpagon de L’Avare et même du M. Jourdain du
retrouver la couleur d’origine du spectacle.                      Bourgeois gentilhomme. Toutefois, Molière explore en
                                                                  Argan un homme brisé, amer, au bout du rouleau. Il dit
GUILLAUME GALLIENNE* Argan                                        des choses merveilleuses sur la liberté des femmes, leur
                                                                  liberté de choix. L’œuvre regorge de pendants, comme
Ce qui est très marquant pour moi dans Le Malade                  par exemple le discours d’Angélique sur le mariage face
imaginaire, c’est qu’on parte, chez Argan, d’une angoisse         à la vénalité de Béline, la description désopilante de
extrêmement forte de la mort, et que c’est de ce motif,           Thomas Diafoirus par son père – qui le tient pour un
de ce socle, que toute l’intrigue découle. C’est à l’instant      parfait crétin – face à la vivacité et à la ruse de Louison…
précis où le personnage du Malade se sent abandonné, à            Molière pousse l’humour très loin en nous faisant rire
la fin de la première scène, que les choses se précipitent :      des propos d’un père sur son fils, et on l’imagine riant
il lui faut un médecin dans la famille ! Cela vire à              lui-même en écrivant la scène.
l’obsession, et l’aveugle sur tout le reste. Si cela ne se fait   Jouer cette angoisse totale de la maladie et de la mort est
pas, il crèvera dans les trois jours… Trois jours, et non         intéressant si l’on se réfère par exemple à la polémique
quatre – alors que c’est ce délai qu’il escompte pour le ma-      sur les vaccins qui secoue aujourd’hui le monde médical :
riage d’Angélique. Lorsqu’on sait que Molière est mort

Photographie de répétition
                                                                                                                               9
ALAIN LENGLET, JULIE SICARD ET GUILLAUME GALLIENNE PARLENT DU MALADE IMAGINAIRE
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on entend différemment la scène d’Argan avec Béralde
lorsque l’un demande ce que l’on peut faire quand on est
malade et que l’autre répond : rien !
Il n’y a pas beaucoup de psychologie dans Le Malade
imaginaire : l’état d’hypocondrie avancé d’Argan fait que
tout va très vite : il y a urgence ! La mise en scène de
Claude Stratz durait moins de deux heures.
Cela dit, en tant qu’acteur, je n’ai pas les mêmes
caractéristiques que mes prédécesseurs dans ce rôle ; il est
certain aussi que je ne l’aurais pas inventé comme cela. En
termes de filiation, je me réclame davantage d’un Roland
Bertin que d’un Alain Pralon. Bien que je me doive d’être
fidèle à la mise en scène de Claude Stratz, et c’est à moi
de « faire le travail », j’ai un recours plus immédiat à une
forme de rondeur, de naïveté, d’enfance. Il est fort probable
que ma composition laisse entrevoir cela ; reste à faire en
sorte que cela s’inscrive dans l’esprit de la mise en scène ;
mais j’entends très bien le moteur de l’angoisse, de la colère
et surtout de l’urgence dans la pièce !
Ce qui est très beau dans cette mise en scène, c’est que
rien ne la parasite : l’humeur se fige à l’écoute de l’autre ;
elle est à la base du déroulement de l’action, sans en être
constamment le résultat. Le rythme est rapide, mais ne
s’emballe pas, il n’y a pas de fioritures, tout est très précis
et très net. Claude Stratz est en permanence au plus
près du texte, il ne se place jamais au-dessus de lui. Et
puis, cette idée de Polichinelles, de danse macabre qui
vient s’inscrire dans la comédie-ballet, est absolument
formidable.
Je parlais de Géronte et d’Harpagon, mais il y a aussi
du Misanthrope dans la pièce ; cette maison murée, ces
fresques passées à la chaux, cette peur du microbe, de
l’extérieur, ce nombrilisme qui consiste à se mettre au
centre de la maison, sur un « trône » (dans les deux sens
du terme), et de tout faire tourner autour de soi, cette
lumière diffuse, tout cela a quelque chose de presque
vampirique.
Je vais « chercher le rôle » au cours des répétitions – où
tout va relativement vite puisqu’il s’agit d’une reprise –
mais, comme toujours, je continuerai à « essayer » et à
« goûter » des choses pendant les représentations avec
la complicité de mes merveilleux camarades. C’est un
chemin passionnant à creuser, tant le rôle est immense.
*Guillaume Gallienne interprétera le rôle d’Argan pour la première fois.
Il prend dans cette mise en scène la succession d’Alain Pralon
et de Gérard Giroudon.

                        Propos recueillis par Laurent Muhleisen,
                    conseiller littéraire de la Comédie-Française.

                                                                                              10
UNE MUSIQUE POUR LE MALADE IMAGINAIRE
PAR MARC-OLIVIER DUPIN, MUSIQUE ORIGINALE

Composer une musique de scène pour une pièce aussi                 rythmé, dansant et métriquement irrégulier. La deuxième
mythique et symbolique de la collaboration entre Molière           qui correspond aux discours pompeux des docteurs est
et Lully, est un exercice bien particulier. La première idée       une fugue didactique, construite sur le thème le plus
fut de conserver la présence sur scène de trois chanteurs          stupide qui soit. Le juro précède un récitatif parlé d’Argan
et d’un clavecin tout en la complétant par une discrète            sur fonds de clavecin. Le vivat se termine par une ronde
bande-son. La deuxième, à laquelle le metteur en scène             effrénée.
Claude Stratz était particulièrement attaché, est la
référence à un certain parfum de commedia dell’arte.               Au-delà du texte et des indications de Claude Stratz, la
Molière écrit le premier intermède en forme de sérénade            référence à l’Italie mais aussi à Mozart, m’est apparue
de Polichinelle, en italien. À la fin du deuxième acte,            évidente après avoir vu le magnifique décor d’Ezio
Béralde annonce à Argan la venue d’un divertissement               Toffolutti. Les couleurs parfois un peu passées de ce
qui prendra la forme d’une irruption bruyante dans                 lieu grandiose et un peu délabré m’ont évidemment fait
les appartements d’Argan, de musiciens de carnaval,                penser au Stravinsky de Pulcinella ou du Rake’s progress.
déguisés et masqués. C’est dans cet esprit que je composai         Et pour le duo d’Angélique et Cléante, nous voulions un
ces intermèdes, clairement en référence à la musique               réel moment de vocalité et d’opéra, mobilisant à la fois les
vocale italienne, populaire et savante de la fin de la             capacités vocales et instrumentales des comédiens.
Renaissance et du baroque. Le premier est en forme de              Enfin, la bande-son cherche à créer un « ailleurs », le
sérénade (tonale, ternaire et avec une tendre pensée au            monde extérieur à l’univers clos d’Argan : un claveciniste
sublime air de Barberine de Mozart) ; le deuxième est              qui fait des exercices dans une maison voisine, une
davantage un pastiche déglingué comme Stravinsky les               cloche, un chien au lointain, les bruits du carnaval, etc.
aimait : une « carcasse » classique, mais des rythmes et           Ainsi, en me laissant porter par l’immense grandeur
des dissonances à la mesure de l’exaspération du Malade.           du texte, la poésie des indications de Claude Stratz et la
Le dernier intermède qui consacre la réception d’Argan             beauté du décor, j’ai en effet tenté d’oublier le poids de
en médecin, suit assez fidèlement la structure du texte            l’histoire.
de Molière. La première séquence, en latin bringuebalant
et truffé de français, est presque en forme de rap : parlé

Le Malade imaginaire © Claudine Doury, 2001, coll. Comédie-Française

                                                                                                                             11
LE MALADE IMAGINAIRE, COMÉDIE MÊLÉE DE MUSIQUE ET DE DANSES
PAR JOËL HUTHWOHL

Au XVIIe siècle, théâtre, musique et danse étaient                    André Jolivet, directeur de la musique de la Comédie-
souvent étroitement mêlés. Molière lui-même magnifia                  Française. Le renouveau des divertissements ne fit pas
l’association des trois arts en créant la comédie-ballet.             l’unanimité. La critique fut de nouveau partagée en 1958
À ce titre, Le Malade imaginaire, avec son prologue                   sur les ballets de la mise en scène de Robert Manuel.
à la gloire du roi, ses trois intermèdes – celui de                   Ils furent supprimés dès 1960, malgré une partition de
Polichinelle, celui des Mores et la cérémonie burlesque               Georges Auric, que son travail pour le ballet des Fâcheux
des médecins qui clôt le spectacle –, sans oublier le petit           en 1924 avait contribué à faire connaître. En 1971, Jean-
opéra que donnent Cléante et Angélique, est une de ses                Laurent Cochet transforma le prologue en une étonnante
comédies-ballets les plus accomplies. Pour produire                   scène muette entre Toinette, Françoise Seigner, et Argan,
le spectacle, Molière dut même étoffer sa troupe, car la              Jacques Charon, qui se réveillait en bougonnant. La pièce
pièce nécessitait douze violons, douze danseurs, trois                s’achevait avec le Ballet des microbes et Thomas Diafoirus
symphonistes et sept chanteurs. Il avait d’ailleurs dû se             et les lutins, sur une musique d’Émile Magne.
battre, l’année précédente, pour avoir le droit de donner             Place doit être faite à la mise en scène de Jean-Marie
musique et danse sur son théâtre au Palais Royal, face                Villégier et Christophe Galand en 1990 au Théâtre du
à son ancien compère Jean-Baptiste Lully, surintendant                Châtelet. À cette occasion, William Christie et les Arts
et compositeur de la musique du roi, qui, pressentant                 florissants interprétèrent la totalité des intermèdes
l’avenir prometteur de l’opéra, avait obtenu du roi le                dans leur version originale, grâce à la redécouverte par
privilège d’établir une Académie royale de musique à                  un chercheur américain à la Bibliothèque-Musée de
Paris, accompagné d’une forte limitation de l’emploi de               la Comédie-Française des parties manquantes de la
musiciens, de danseurs et de chanteurs sur les autres                 musique de Charpentier. Le public parisien put ainsi
scènes. Entre les deux « Baptiste », qui avaient pourtant             se faire une idée du spectacle complet de la création du
collaboré étroitement depuis Le Mariage forcé en 1664,                Malade imaginaire. Un futur sociétaire de la Comédie-
ce conflit signifiait la rupture. Molière fit donc appel à un         Française, Jean Dautremay, et une ancienne sociétaire,
autre compositeur, Marc-Antoine Charpentier, tout en                  Christine Murillo, y incarnaient Argan et Toinette.
continuant à confier les ballets à Pierre de Beauchamps,              Cette reconstitution voulait montrer que l’intrigue de
son col-laborateur de longue date.                                    la comédie et les sujets des ballets sont habilement liés
À l’époque, les intermèdes avaient leur part dans le                  et que le prologue et les intermèdes « dessinent un autre
succès de la pièce auprès du public, qui appréciait autant            plan de réalité, un autre étage, un grenier de l’imaginaire,
les parties chantées et dansées que l’étude de caractère.             qui est en rapport profond avec l’étage apparemment plus
La Grange et Armande Béjart, la femme de Molière, en                  réel où se situe la comédie »2.
particulier, se taillèrent un beau succès, sur le théâtre             Le parti de Gildas Bourdet en 1991 à la Comédie-
Guénégaud, dans le duo de Cléante et d’Angélique.                     Française fut tout autre. Dans une version totalement
L’engouement du XVIIIe siècle pour la musique, malgré une             revue de la pièce, dans un esprit loufoque, il choisit de
certaine désaffection pour Molière, explique que, jusqu’à             souligner les entrées et les temps forts du spectacle –
la période romantique, les intermèdes aient fait partie               sans prologue, ni intermèdes – en insérant librement
intégrante du spectacle1. En revanche, au XIXe siècle, les            dans le cours de la pièce une musique de scène, mélange
divertissements furent progressivement abandonnés.                    d’inspirations baroques et de sonorités contemporaines,
Seule subsistait la cérémonie des médecins lors de la                 composée par Angélique et Jean-Claude Nachon. La
célébration de l’anniversaire de Molière, le 15 janvier,              composante musicale et chorégraphique de la comédie-
pratique légitimée et magnifiée par le développement                  ballet ne laisse donc plus aujourd’hui indifférents les
des études moliéresques. Les tentatives pour « restaurer »            metteurs en scène, et écrire une nouvelle partition
la musique de Charpentier restèrent isolées. En 1851,                 pour Le Malade imaginaire relève, comme le pensaient
Jacques Offenbach, directeur de la musique de la                      Angélique et Jean-Claude Nachon, du défi, défi relevé par
Comédie-Française, composa une ouverture. La nouvelle                 Marc-Olivier Dupin en 2001 pour la mise en scène de
orchestration qu’A. Roques fit en 1860 pour la Comédie-               Claude Stratz. Il compose une musique sous l’influence
Française fut sans doute la plus complète ; mais les                  de la commedia dell’arte, un choix qui n’aurait pas déplu
divertissements étaient généralement considérés comme                 à Molière, lui qui a si longtemps partagé son théâtre avec
artificiellement juxtaposés à la comédie dont ils cas-                les Comédiens-Italiens.
saient le rythme.                                                                                                       Joël Huthwohl,
Il fallut attendre 1944 et la mise en scène de Jean Meyer                             directeur du département des arts du spectacle
pour que soient réintroduits les intermèdes, notamment                                           à la Bibliothèque nationale de France
celui de Polichinelle qu’incarnait Jean-Louis Barrault.
La musique, inspirée de Charpentier, avait été écrite par

1. D’après Sylvie CHEVALLEY, « Histoire d’une pièce : Le Malade       2. Marc FUMAROLI, « Le Malade guéri, ou la victoire de la fiction sur
imaginaire chez Molière, 1673-1973 », dans Études sur Pézenas et sa   le mensonge » dans le programme du Malade imaginaire, Théâtre du
région, IV-3-1973.                                                    Châtelet, 1990, p. 17-20.
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HISTORIQUE DU MALADE IMAGINAIRE
PAR JOËL HUTHWOHL

Le Malade imaginaire, trentième et dernière comédie             une dimension grave et émouvante que les années n’ont
de Molière, reste indissolublement liée au sort de son          pas effacée. Elle reste gravée dans les mémoires selon les
auteur. Jouée pour la première fois le 10 février 1673          mots du registre de La Grange : « Ce mesme jour, après la
sur le théâtre de Molière au Palais-Royal, cette comédie-       comédie, sur les 10 heures du soir, Monsieur de Molière
ballet en trois actes et en prose, « mêlée de musique et de     mourust dans sa maison rue de Richelieu, ayant joué le
danses », avait été écrite pour être représentée à l’occasion   roosle dudit malade imaginaire fort incommodé d’un
du Carnaval avec l’espoir que son succès inciterait le roi      rhume et fluction sur la poitrine […] ».
à réclamer qu’elle soit jouée à la cour. Malgré le triomphe     Dès le 24 février 1673, le théâtre du Palais-Royal rouvrit
des trois premières représentations, Louis XIV ne vit           et, le 3 mars, La Thorillière reprenait le rôle d’Argan,
jamais Molière dans le rôle d’Argan. Le 17 février, au soir     mais la troupe de Molière, privée de son chef, ne put
de la quatrième représentation, Jean-Baptiste Poquelin          se maintenir. Après Pâques, La Thorillière, Baron et
mourait dans sa maison de la rue de Richelieu. Sur scène        les Beauval furent engagés par l’Hôtel de Bourgogne.
le comédien avait dû puiser toute son énergie de serviteur      La troupe qui restait fut chassée du Palais-Royal et
du public pour surmonter le malaise qui montait. Dès la         s’installa à l’Hôtel Guénégaud2 où la rejoignirent, sur
toile baissée, il fut transporté chez lui où il succomba        ordre du roi, les comédiens du Théâtre du Marais. À
d’une « fluxion », le sang ayant envahi ses poumons. Sa         Guénégaud, la Troupe reprit Le Malade imaginaire qui
condition de comédien l’empêcha de recevoir l’absolution        fut enfin représenté devant le roi le 21 août 1674. En 1680,
et compliqua la célébration de l’office religieux voulu         Louis XIV réunit les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne
par les siens. L’archevêque de Paris n’autorisa qu’une          et de Guénégaud pour fonder une troupe unique, qu’on
cérémonie modeste à la tombée du jour. Cependant si             allait appeler la Comédie-Française. Elle donna dès le
l’on en croit La Gazette d’Amsterdam, la notoriété du           6 septembre Le Malade imaginaire. Depuis cette date,
personnage l’emporta et ce ne sont pas moins de huit
prêtres et 700 à 800 personnes qui à la lueur des flambeaux
accompagnèrent le convoi funèbre de Molière jusqu’au            1. Sur la vie de Molière, voir la biographie récente de Georges Forestier,
                                                                Molière, Gallimard, 2018.
cimetière Saint-Joseph1. La mort de Molière, au sortir
                                                                2. Aujourd’hui rue Mazarine, à la hauteur de la rue Jacques Callot.
des planches, donne à la comédie du Malade imaginaire

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