NIKOLAÏ LUGANSKY PIANO STRAUSS ARIANE À NAXOS - LE CALENDRIER DES CONCERTS ÀPARIS ETEN ÎLE-DE-FRANCE - CADENCES
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L’ AC T UALI T E D E S CO N C ERTS E T D E L’ O PE R A © Jean-Baptiste Millot Nikolaï Lugansky Le calen d ri e r [ n° 322 mars 2019 ] piano des c o n ce rts Strauss Ariane à Naxos à p A ris et en + Lucile Richardot Î le-de-Fr a n c e
Anniversaire sommaire LeS dossiers © united archives/Leemage Richard Strauss, Ariane à Naxos 2 Adolphe Adam, Le Postillon de Longjumeau 4 © Igor Studio à Paris 10 L’actualité des concerts 6 Il y a 180 ans… Portrait 8 naissait Modeste Moussorgski, le 21 mars Nicolaï Lugansky 1839 à Karevo dans le gouvernement voix 10 de Pskov. Homme d’une immense culture, Lucile Richardot il fonda le Groupe des cinq avec Balakirev, Borodine, Cui et Nikolaï Rimski-Korsakov. Piano 12 Toute sa vie il défendit le folklore populaire Louis Lortie russe qui l’avait bercé dans son enfance et © Elias qu’il intégrait à la musique dite « savante », viole de gambe 14 cherchant avant tout la sincérité dans sa musique. Avec Boris Godounov il signa en 12 Robin Pharo 1874 son œuvre la plus célèbre. Moussorgski en famille 16 incarna la figure type de l’artiste maudit, torturé par ses questionnements mystiques, ses crises d’épilepsies, sa dépression, son les concerts alcoolisme… Mais ce que l’on sait moins, à paris et qui nuance un peu ce sombre stéréotype, c’est que le compositeur était également et en île-de-fr ance 17 © Rita Cuggia amateur de chant et travaillait sa belle voix de baryton qu’on disait limpide et puissante. Son talent l’amena même à interpréter CD 26 en 1859 le rôle du Mandarin Kau Tsing dans l’opéra Le Fils du Mandarin de César Cui ! E.G. 14 Médias 28 Cadences • ISSN 1760 - 9364 • édité par les Concerts Parisiens • SARL au capital de 10 000 euros • 21, rue Bergère 75009 Paris • Tél. 01 48 24 40 63 • Fax 01 48 24 16 29 • Siret 44156960500013 • Directeur de la publication : Philippe Maillard • Publicité : Alexia Dufayet, tél. 01 48 24 40 63, adufayet@cadences.fr • Rédacteur en chef : Yutha Tep • Chef de rubrique : Élise Guignard • Ont participé à ce numéro : Floriane Goubault, Michel Fleury, Michel Le Naour • Conception graphique : Astrada design • Diffusion : Sophie Borgès, sborges@cadences.fr • Impression : RPN. Livry-Gargan • Tirage : 50 000 exemplaires • Abonnement : 9 nos 40 € .fr Retrouvez nous également sur Les articles du magazine Le calendrier complet des concerts à Paris et en Île-de-France Les conseils de la rédaction, les anciens numéros Des offres exceptionnelles de concerts à tarifs préférentiels* Inscrivez-vous à la Newsletter * nombre de places limitées mars 2019 cadences 1
DO s s i e r Richard Strauss Ariane à Naxos Brillante synthèse d’opera seria et de comedia dell’arte, (Ariane à Naxos) trop sérieux pour la digestion Ariane à Naxos ressuscite le théâtre baroque et le divertissement de ses invités, et deman- dait qu’on l’égayât de quelques entrées de co- en y incorporant l’enivrante effusion romantique médiens bouffons. La difficulté de l’expérience propre à Strauss L explique qu’Ariane à Naxos ait donné lieu à a matière d’Ariane à trois versions. La première, créée le 25 octobre Naxos avait de quoi 1916 au théâtre de la Cour de Stuttgart sous la stimuler un composi- direction de l’auteur, s’incorpore à la repré- teur enclin à s’enga- sentation du Bourgeois gentilhomme : la céré- ger dans de nouvelles expé- monie turque cède la place à un opéra (Ariane riences, pour ardues qu’elles à Naxos), que Jourdain a fait composer à un fussent : celle-ci était particu- élève de son maître de musique afin d’en réga- lièrement terrifiante, puisqu’il ler ses amis. La pièce de Molière condensée en s’agissait de traiter le difficile deux actes est donnée avec une délicieuse par- problème de la simultanéité tition de Strauss dans l’esprit de Couperin et des deux formes : la joyeuse Rameau et précède donc l’opéra. Le succès mi- et la grave. A cela s’ajoutait tigé de la « fête baroque » de Stuttgart condui- l’obligation de joindre un troi- sit à une seconde version, qui est celle donnée sième élément, le Bourgeois d’ordinaire, créée le 4 octobre 1916 à l’opéra gentilhomme, déjà de son côté de la Cour de Vienne. La troisième version fait pourvu de musique par les disparaître l’opéra Ariane à Naxos, revenant à soins de Lully. L’entreprise la cérémonie turque, le tout émaillé d’une ver- © D.R. ne manquait cependant point sion de la musique de scène de Strauss enrichie de séduction pour Strauss : le de quelques succulents suppléments. sujet soumis par Hugo von Hofmannsthal était Maître incontesté de l’opéra paré du charme éblouissant de ce baroque qui depuis le Chevalier à la rose jusqu’à la Femme et du poème symphonique, Richard Strauss domine D’une fête galante sans ombre allait subjuguer le Maître alle- de sa puissante stature le début du xxe siècle. étincelante… mand ; d’autre part, ce sujet était en rapport direct avec l’art français classique auquel il a toujours voué un culte renforcé d’érudition. Enfin, le thème de l’opera seria, Ariane retirée L a seconde version (celle qui est usuelle- ment donnée) est la seule qui soit entière- ment lyrique et entièrement et exclusivement en l’île de Naxos, abandonnée par Thésée, tirée de Strauss et Hofmannsthal. Le Bourgeois n’est de son chagrin et ramenée à la joie par l’arri- plus qu’un prétexte : son esprit imprègne ce- vée de Bacchus, et sa métamorphose en déesse, pendant la nouvelle œuvre, même si la facture laisse préfigurer le cours ultérieurement suivi est différente. L’opéra (identique à celui de la par le compositeur dans son retour à l’Antiqui- première version) y est précédé d’un prologue : té (Daphné, L’Amour de Danaé). la représentation doit avoir lieu non dans la L’idée centrale du projet était d’entrelarder Du 21 au 30 mars – Théâtre maison de M. Jourdain, mais dans celle d’un un grave opera seria d’entrées comiques de la des Champs-Élysées très riche bourgeois viennois (qui n’apparaît ce- comedia dell’arte. Le Bourgeois gentilhomme Orchestre de Chambre de Paris, Jérémie pendant à aucun moment) : le rapport est donc Rhorer (direction), Katie Mitchell (mise de Molière en était le pivot. Monsieur Jour- étroit avec l’atmosphère du Chevalier à la rose. en scène). dain donnait un gala dans son hôtel. En der- Avec C. Nylund, R. Saccà, K. Lindsey, Le prologue écrit par Hofmannsthal est d’une nière minute, ce dernier trouvait l’opera seria O. Pudova… invention ravissante et d’un humour étince- 2 cadences mars 2019
paris © P.Victor – artcompress © P.Victor – artcompress hiatus entre les deux univers irréconciliables (la comédie et le sérieux) est l’occasion pour Strauss d’y insérer une musique spirituelle, d’une étonnante vérité psychologique, sachant éviter la grosse farce pour traduire en filigrane lant. Il traite des préparatifs pour la représen- Mise en scène de Katie le tragique de l’existence humaine étirée entre tation et pourrait s’intituler « Le Compositeur ». Mitchell créée au Festival ciel et terre…Ulcéré par l’inéluctable profana- Agitation de ce dernier (très jeune homme : rôle d’Aix-en-Provence en 2018. tion de son chef-d’œuvre, le Compositeur s’en- travesti), présomption et prétentions de la pri- fuit alors que tombe le rideau. madonna (future Ariane) et du ténor (futur Bac- chus), séduction de Zerbinette dont l’entrée dé- cide le Compositeur à consentir à des coupures … à l’apothéose qui lui font horreur, sagesse du Maître de mu- de l’opéra baroque sique, qui persuade les deux chanteuses (tenant les rôles respectifs d’Ariane et de Zerbinette), l’une après l’autre, que sa rivale ne lui arrive pas à la cheville, et chacun des deux principaux P eut alors commencer Ariane à Naxos : comme dans tout opéra baroque, d’abord l’ouverture, portrait psychologique de l’héroïne interprètes masculins (rôles d’Arlequin et de énonçant les deux groupes opposés de thèmes : Bacchus) qu’on n’a fait de coupures que dans andante en sol mineur pour ceux d’Ariane dé- le rôle de l’autre. Les laquais traitent les artistes laissée (thèmes de la solitude, des larmes, de comme des égaux, et le maître de maison traite Thésée, amour d’Ariane, regrets, joie de vivre tout le monde comme des laquais, y compris et bauté) ; puis bref allegro pour commenter le compositeur puisqu’au dernier moment il son désespoir (thèmes de la douleur). Aux ten- exige que l’opéra et le spectacle comique soient tatives des comédiens italiens et de Zerbinette intégrés pour que le feu d’artifices puisse com- visant à l’arracher à son chagrin, Ariane oppose mencer à 9 heures précises. Argument théâtral un grand air appelant la mort, sur lequel plane bien vu, traité avec esprit et brio, mais dont l’ombre d’Hermès et de son caducée entraî- l’éparpillement et l’éclatement auraient pu dé- repères nant les feuilles flétries. En vain les comédiens concerter tout autre musicien que Strauss. En renouvellent-ils leurs assauts et Zerbinette 1864 : naissance le 11 juin à Munich fait, après l’ouverture la plus délicieuse, la plus ses consolations de godinette : ils finissent 1874-1882 : solide formation simple et la plus coulante, le Maître a trouvé par abandonner Ariane pour une ravissante générale (lycée puis université) en le texte de son librettiste favori prétexte à scène de galanterie entre les quatre hommes 1875-1880 : études d’écriture et de un humour musical et à un ton plaisant idéale- composition avec le chef d’orchestre et la gourgandine. La trompette lointaine an- ment adaptés. Au fil de cette intrigue touffue de Friedrich Wilhelm Meyer ; bénéficie des nonce alors l’arrivée de Bacchus, les nymphes mise en place s’ébauchent les motifs musicaux conseils de son père, corniste réputé (Naïade, Dryade et Echo) élevant un hymne de de l’opéra qui va suivre. Ainsi de la mélodie qui, 1889 : Don Juan louanges au jeune dieu. Ariane se méprend et peu à peu, s’empare du Compositeur et s’élève 1890 : Burlesque pour piano et croit accueillir la mort salvatrice. Alors s’opère lentement, de plus en plus forte, jusqu’au mo- orchestre la métamorphose, sous l’emprise des dons pro- ment où elle se précipite de nouveau en triples 1895 : Till l’Espiègle phétiques de la musique : Ariane parle encore croches, parce que le perruquier vient de sortir 1899 : Une Vie de héros de l’enchantement nocturne de la mort, mais en courant de la loge du ténor. L’apparition de 1905 : Salomé la musique annonce déjà un autre ravissement Zerbinette suscite une trame musicale exquise, 1911 : Le Chevalier à la rose nocturne… Après le chant de triomphe diony- véritable verrerie de Venise tenant lieu d’avant- 1915 : Une Symphonie alpestre siaque et monumental du dieu, les Esprits de la goût à la comedia dell’arte qui se prépare. Le nature font entendre dans le lointain un chant 1916 : Ariane à Naxos Compositeur peine à expliquer à Zerbinette les de tendresse qui va s’amplifiant, les merveilles 1919 : La Femme sans ombre intentions élevées de l’opéra où elle va devoir du théâtre baroque étendant leur dais étoilé 1938 : Daphné intervenir ; les masques italiens ont tôt fait de sur les deux demi-dieux qui s’élèvent au firma- 1949 : mort le 8 septembre à banaliser les nobles sentiments d’Ariane (dans ment dans l’apothéose de leur voix. Garmisch-Partenkirchen l’esprit d’« un de perdu, dix de retrouvés ») et ce • Michel Fleury mars 2019 cadences 3
DO s s i e r Adolphe Adam Le postillon de Longjumeau Adolphe Adam construisit toute sa carrière sur un talent un tournant en 1844 lorsqu’il se brouille avec de mélodiste inné. Capable de composer une profusion le directeur. Adolphe Adam achète alors le d’œuvres avec une rapidité stupéfiante, il plut au public cirque du Temple qui devient l’Opéra-National, de son époque par l’efficacité immédiate de sa musique. Le où il souhaite monter ses propres œuvres. Mal- heureusement la Révolution de 1848 le coupe Postillon de Lonjumeau est aujourd’hui le titre principal dans son élan et le théâtre fait faillite. Adam, que l’on a retenu de ses nombreux opéras-comiques. D tout en continuant à composer, se fait critique e nos jours, Adolphe musical pour Le Constitutionnel et L’Assemblée Adam est un nom nationale et devient professeur pour rembour- presque oublié. On ser ses dettes. Dans ses articles, Adam souligne l’évoque pour par- son admiration pour Meyerbeer et Verdi, mais ler de son ballet romantique apprécie moins Berlioz (qui lui rendra bien son Giselle, de son cantique Noël, inimitié). Apres un nouveau changement de Chrétiens, et éventuellement direction à l’Opéra Comique, il connait de nou- du Postillon de Lonjumeau. veau le succès avec Le Toréador (1849) et Giral- Auber, Hérold et quelques da (1850). En 1852, Adam n’est plus endetté. Il autres l’éclipsèrent dans la continue néanmoins son activité de journaliste postérité et le milieu musical et compose Si j’étais roi qui devient également ne fut pas tendre avec lui : très populaire. Le compositeur décède en 1856 la critique aussi bien que les dans son sommeil, juste après la création aux compositeurs (Debussy par Bouffes-Parisiens de son opérette Les Pantins © Costa/Leemage exemple) qualifièrent souvent de Violette. Au total, il composa près de 80 opé- sa musique de « facile ». Pour- ras-comiques, presque tous créés à Paris. Outre tant, Adam fut un compositeur ceux-ci, Adam écrivit trois ouvrages pour l’Opé- majeur dans le domaine de ra de Paris : Richard en Palestine (1844), La bou- l’opéra-comique et s’avéra un quetière (1847) et Le Fanal (1849) mais il prit maître dans l’art de distraire sans se prétendre Adolphe Adam contribua avant tout du plaisir à composer des ballets, génial pour autant. à figer définitivement comme Le Corsaire (1856) et Giselle (1841) qui Né le 24 juillet 1803 à Paris (la même année que les caractéristiques reste indéniablement son œuvre la plus connue Berlioz), Adolphe Adam doit s’opposer à son de l’opéra-comique. depuis que Diaghilev l’a exhumée. Adam fut père musicien pour imposer sa volonté de faire entièrement dédié à son art comme il l’affirma carrière dans le même domaine que lui. Adam lui-même : « Je n’ai malheureusement aucune étudie d’abord la composition avec Boieldieu. manie, je n’aime ni la campagne, ni le jeu ni au- Ses études lui donnent le goût de composer cune distraction. Le travail musical est ma seule pour la scène. C’est en 1829 que l’une de ses passion et mon seul plaisir. » œuvres est pour la première fois à l’affiche de Du 30 mars au 9 avril – Opéra Comique l’Opéra Comique : Pierre et Catherine. Il devient alors l’un des compositeurs les plus en vue de Chœur Accentus, Orchestre de l’Opéra Plaire avant tout de Rouen, Sébastien Rouland (direction), Paris et mène une vie mondaine. Il compose Le L Michel Fau (mise en scène). es opéras-comiques d’Adam respectent par- Chalet en 1834 qui connait un succès fulgurant Avec M. Spyres, F. Valiquette, F. Leguérinel, M. Fau... faitement les normes du genre. Les livrets et sera joué régulièrement à l’Opéra Comique font se succéder scènes parlées et chantées, et (il connaîtra même sa 1000e représentation en la verve comique reste polie et bienséante. Le 1873). Le Postillon de Lonjumeau voit le jour compositeur s’attache avant tout à inventer des en 1836 et le ballet Giselle en 1841. Mais le lignes mélodiques qui restent dans l’oreille. Il se triomphe d’Adam à l’Opéra Comique connait 4 cadences mars 2019
paris © Dax Bedell © D.R. révèle incomparable de justesse et de charme, gré ces déboires, la première du Postillon est aussi bien dans les mélodies enjouées que dans un franc succès. L’œuvre voyagera, ne convain- les plus nostalgiques. La fluidité les caractérise, quant pas du tout le public de la Scala de Milan ainsi qu’un grand naturel. C’est cette facilité mais connaissant un triomphe en Allemagne où apparente d’Adam à composer des mélodies elle sera donnée régulièrement. à succès qui agaça d’ailleurs nombre de ses L’ouvrage met un scène un postillon, c’est-à-dire contemporains. Sa musique a pour objectif un conducteur de chevaux de poste, s’enfuyant © Brent Calis assumé de plaire, sans chercher à révolution- le soir même de son mariage pour tenter sa ner un genre ou à fonder une nouvelle esthé- chance en tant que chanteur. Dix ans plus tard tique. L’invention mélodique est seule reine et il tente de reconquérir sa femme sans même la le compositeur se montre incroyablement doué reconnaître… Sur cette intrigue cocasse, Adam à ce jeu-là. La société bourgeoise de l’époque Sous la direction de compose une musique pleine de bonne humeur n’attend d’ailleurs que cela car sous Louis-Phi- Sébastien Rouland (au et de grâce. La scène du mariage au premier lippe, le public est friand de plaisirs simples et centre), le ténor Michael acte est particulièrement pétillante, accompa- accessibles. La musique d’Adam, tout en visant Spyres (à gauche) et la gnée d’un orchestre léger. Un chœur intéres- l’efficacité, est également élégante, avec une soprano Florie Valiquette sant conclut le premier acte, avec une fugue écriture profondément théâtrale. Le composi- (à droite) chanteront les illustrant l’effervescence de la foule introduite teur fait varier les procédés expressifs et s’af- deux rôles principaux. par l’émouvante plainte de Madeleine. L’air de firme aussi comme un orchestrateur de talent, celle-ci qui ouvre le second acte est virtuose, jouant avec les couleurs pour créer toutes les mais peut-être pas tant que celui de Chapelou atmosphères nécessaires aux intrigues. Par ail- au premier acte qui a fait la renommée de l’ou- leurs, on trouve bien des airs de bravoure dans vrage avec son contre-ré (« Mes amis, écoutez les partitions d’Adam, qui n’hésite pas à exiger l’histoire ») et qui a attiré bien des ténors dési- une grande virtuosité de la part des interprètes, reux de prouver leurs aptitudes vocales. L’air pour les sopranos avant tout mais également bouffe de Biju (« Oui, des choristes du théâtre ») pour les autres voix (comme le ténor dans Le est typique du genre, comique et plein d’en- Postillon de Lonjumeau). train. Au troisième acte le trio « Pendu ! Pendu ! Pendu ! Pendu ! » est efficace et vif, Adam trou- Une partition efficace vant le bon équilibre dans l’accompagnement orchestral qui soutient solidement les voix sans repères les noyer. Le finale clôt l’opéra sur des pages L e Postillon de Lonjumeau est créé en 1836 à l’Opéra Comique, au moment où Adam a le vent en poupe : son ballet La Fille du Danube 1803 : Naissance d’Adolphe Adam à Paris variées et très vivantes. Le Postillon de Lonjumeau répondit parfaite- ment aux attentes de son public comme en est créé trois semaines avant à l’Opéra de Pa- 1829 : Pierre et Catherine témoigna l’écrivain Charles Monselet quelque ris. Mais les répétitions du Postillon sont per- 1834 : Le Chalet temps après : « Oh ! Ce Postillon de Lonjumeau ! turbées par des querelles de vedettes : le ténor 1836 : Le Postillon de Lonjumeau Quelle place il tient dans nos oreilles et dans nos Chollet qui interprète le rôle principal s’affiche 1841 : Giselle souvenirs d’enfance ! (…) Toute la France d’alors publiquement avec la cantatrice Jenny Colon, 1844 : Richard en Palestine a fredonné ses fredons grivois, absous par une alors que sa compagne Mme Prévost interprète 1847 : Adam achète le cirque élégance moyenne. C’était bien la littérature et Madeleine… Adam raconte lui-même l’anec- du Temple la musique qui convenaient au gouvernement dote : « Jenny Colon ne quittait pas Chollet et 1848 : Son entreprise fait faillite bon enfant de Louis-Philippe 1er. » Nul doute arrivait aux répétitions avec lui. Prévost avait 1850 : Giralda que l’œuvre mérite bien qu’on la réentende une attaque de nerfs en voyant sa rivale ! C’était 1856 : Décès à Paris aujourd’hui. presque tous les jours la même scène (…) » Mal- • élise Guignard mars 2019 cadences 5
les concerts du mois Festival Vents d’hiver du 4 au 25 mars (Musée de l’Armée) Avec le mois de mars revient le festi- val Vents d’hiver qui est l’un des rares à mettre à l’honneur les instruments à vent. On pourra y entendre les ins- trumentistes les plus renommés du moment mais également de jeunes talents, comme le Quatuor Rayuela © D.R. ou encore la clarinettiste coréenne Youjin Jung. Paul Meyer est l’un des grands noms qui se produiront pendant le festival. Lors d’un concert le 14 mars, il sera tour à tour soliste et chef d’orchestre, révélant toute l’intensité de son jeu et sa personnalité artis- tique forte dans la création prévue : Un voyage extraordinaire d’André Chpelitch, une rhapsodie pour clarinette et orchestre d’harmonie conçue d’après Jules Verne. Gil Shaham, violon 11 mars (Maison de Radio France) À 80 ans, le génial et légendaire Yuri Temirkanov semble plus passionné que jamais. Pour fêter son anniver- saire, il dirige l’Orchestre Philhar- monique de Radio France aux côtés © Luke Ratray du violoniste Gil Shaham et de la so- prano Rachel Harnisch. Deux œuvres sont au programme : le Concerto pour violon et orchestre n’est peut-être pas l’œuvre la plus connue de Beethoven mais développe un ly- risme serein et heureux caractéristique de sa période de com- position. La Symphonie n° 4 de Mahler évolue elle aussi dans une atmosphère de gaieté. On s’en imprègne pour sortir émer- veillé de son écoute après le tendre lied conclusif. Henri Demarquette 13 mars (La Seine Musicale) La Seine Musicale lance une nouvelle série de concerts intitulée « Classic Band » placée sous le signe du par- tage. D’un format court (1h30), elle a © Jean-Marc Solta l’objectif louable de défaire les trop nombreux codes qui entourent le dé- roulement d’un concert de musique classique et de chercher à rapprocher public et interprètes à l’Auditorium. Pour le premier concert de ce projet prometteur, le violoncel- liste Henri Demarquette a invité quelques éminents collègues comme le pianiste Jean-Frédéric Neuburger et la soprano Ra- quel Camarinha autour d’un programme Brahms. On pourra entendre plusieurs de ses Danses hongroises, des Lieder et bien d’autres bijoux encore. 6 cadences mars 2019
paris Leonardo García Alarcón, chef 16 & 17 mars (Versailles, Opéra Royal) Premier opéra du compositeur Fran- cesco Sacrati, La Finta pazza (La Folle supposée) connut un succès immédiat à sa création à Venise en 1641. Préfi- © Jean-Baptiste Millot gurant ce que serait l’opéra-ballet, l’ouvrage mêlait musique, danse, et une machinerie époustouflante éla- borée par Torelli. Il donne à entendre également la première « scène de folie » composée pour la cantatrice Anna Renzi. Le livret joue sur les travestissements et les mises en abime, nous ramenant aux origines même du théâtre. Leonardo García Alarcón, à la tête de la Cappella Mediterranea, exhume la partition pour en donner sa première version scénique française dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf créée à l’Opéra de Dijon en février. Marie-Nicole Lemieux, contralto 19 mars (Philharmonie) Trois chefs-d’œuvre seront donnés lors de ce concert dont deux ballets créés à deux semaines d’intervalle. Les Jeux de Debussy, poème dansé à la musique très sensuelle, répondent à © Denis Rouvre un scénario badin pensé par Nijinski, et ne furent pas vraiment compris par le public de l’époque. Mais Le Sacre du printemps de Stravinski provoqua de son côté un tel scandale qu’il fit oublier un temps l’œuvre de Debussy… Kent Nagano dirige l’Orchestre symphonique de Montréal dans ces deux monuments et l’on pourra également entendre les Wesendonck Lieder de Wagner par l’éblouissante Marie-Nicole Lemieux. Quel programme ! Damien Guillon, contre-ténor 25 mars (Temple du Foyer de l’Âme) On sait depuis longtemps maintenant que Damien Guillon fait merveille dans Bach. Après avoir enregistré en 2009 un disque de référence avec © Julien Bénhamou les Cantates pour alto BWV 35 & BWV 170 (Zig-Zag), il vient d’enregis- trer les Cantates BWV 82 & BWV 169 pour le label Alpha classics. Le disque sera dans les bacs ce mois-ci, mais on pourra aussi apprécier en direct l’art si subtil du contre-ténor français et son timbre plein de lumière. Lors de ce concert au Temple du Foyer de l’Âme, il interprètera le programme en question. La Cantate BWV 82 « Ich habe genug » semble nous placer en apesanteur, tandis que la BWV 169 « Gott soll allein, mein Herze haben » évoque la puissance de Dieu. mars 2019 cadences 7
les concerts do p urm troa i si t Nicolaï Lugansky le francophile héritier de la tradition russe par l’ampleur des moyens tôt, quelques études quand j’avais 14 ou 15 ans, pianistiques, Nikolaï Lugansky s’est toujours distingué par et il y a eu ensuite une période lors de laquelle j’ai assez souvent joué son concerto pour piano. une personnalité singulière, poète pudique et architecte Mais je l’ai délaissé durant une longue période ». sonore avide de transparence et de lisibilité. Il retrouve Il va sans dire qu’il faudra prêter une oreille le public français qu’il aime et qui l’aime. attentive à la Sonate n° 3 du plus fantasque des compositeurs russes, alors que les extraits Le 22 mars – Théâtre des Préludes op. 32 rappelleront l’amour de Ni- des Champs-Élysées kolaï Lugansky pour Rachmaninov. Le disque Debussy, Suite bergamasque, L’Île consacré à ces préludes, paru chez Harmonia joyeuse ; Scriabine, Sonate n° 3 ; mundi l’an passé, s’est placé d’emblée dans le Rachmaninov, Préludes op. 32 n° 5 à 13. panthéon discographique, réussissant l’impos- sible union entre virtuosité époustouflante, construction millimétrée et, toujours, cette sen- sibilité à la fois discrète et prenante qui carac- térise l’art de Lugansky. Debussy depuis toujours © Jean-Baptiste Millot du tac au tac L a nouveauté en cette soirée du 22 mars sera hexagonale, avec la Suite bergamasque de Claude Debussy. Si l’élégance souveraine du La partition pour une île déserte. virtuose russe, sa science des couleurs et des Ma première pensée : la plans sonores appelaient cette aventure fran- L Symphonie n° 7 de Sibelius. çaise, il aura fallu patienter fort longtemps : es récitals de Nikolaï Lugansky au Mais ce sera différent dans « J’ai peut-être joué les Deux Arabesques à un une heure. Théâtre des Champs-Élysées s’ins- très jeune âge, mais c’est seulement depuis un L’auteur qu’un musicien doit crivent dans le paysage musical pari- an et demi environ, que j’ai vraiment joué sa absolument lire. Pour les Russes, sien depuis maintes saisons, faisant de absolument Pouchkine si l’on musique – et que je l’ai enregistrée. Debussy lui l’un des pianistes les plus aimés du public veut sentir le rythme et la est devenu très important dans ma vie et dans de la capitale. Le prochain rendez-vous ne mélodie de la langue russe. mon répertoire. Toutefois, je passe beaucoup décevra pas les admirateurs du pianiste russe, Le compositeur le plus pictural. Le de temps chaque jour avec mon lecteur de avec notamment deux génies russes : « Je choi- premier me venant à l’esprit, disques et j’écoute Debussy depuis toujours, il Debussy. sis bien sûr pour mes récitals les compositeurs figure parmi mes compositeurs préférés. Je suis dont je suis amoureux mais mon histoire avec Le peintre le plus musical. Claude particulièrement fasciné par son incroyable Monnet. chacun d’entre eux est unique. J’ai évidemment éventail de couleurs, qu’aucune autre musique Le métier le plus proche de celui de bien plus souvent joué, dans ma vie, la musique ne possède ». musicien. Si l’on parle d’un de Rachmaninov que celle de Debussy ou même interprète, un athlète, ou un Fidèle en cela aux mânes de sa professeur de Scriabine. Je fréquente Rachmaninov depuis membre des forces spéciales. vénérée, la grande Tatiana Nikolaïeva, Nikolaï l’âge, je crois, de 11 ou 12 ans, et depuis pas L’objet qui vous accompagne partout. Lugansky est un auditeur insatiable, se pas- une saison ne passe sans que je l’aborde et je Mon lecteur CD, qui est déjà sionnant pour tous les genres musicaux et joue chaque année ses 5 concertos. À ce jour, vieux, mais aussi mon livre toutes les époques. Sa passion pour Debussy je pense avoir donné presque toutes ses pièces électronique. Chez moi, je se double d’un attachement certain pour la suis entouré de livres. pour piano. J’ai également joué Scriabine assez France, un pays qu’il n’a eu de cesse de visiter – 8 cadences mars 2019
en couverture Admirer les instants de la vie M ême s’il est capable de déclencher des paroxysmes sonores tonitruants, Nikolaï Lugansky ne goûte nullement les effets de manche et sa manière aristocratique semble coller organiquement à l’univers debussyste. Il n’est toutefois pas si simple de défendre un compositeur sans doute moins démonstratif, moins immédiatement séduisant que certains CD de ses confrères : « Chacun va vous répondre © Marco Borggreve différemment. Je suis persuadé que tout est lié à l’évolution du dernier centenaire. Le niveau de bruit est toujours plus fort, partout dans le monde, avec plus de machines, d’avions, de trains, de télévisions. Avec la télévision ou cette entretien s’est d’ailleurs déroulé en fran- l’internet, sans parler des publicités, le niveau çais : « Debussy pour moi représente la France Sergueï Rachmaninov sonore est maintenant très haut. Ces habitudes plus qu’aucun autre compositeur. J’ai toujours 24 Préludes op. 3 n° 2, op. 23 suscitent peut-être des difficultés pour une mu- & op. 32 trouvé très intéressante la différence qui existe sique telle que celle de Debussy. La relation que 1 Cd Harmonia mundi entre les cultures russe et française. La musique le public peut avoir en concert avec elle est bien française se démarque aussi de la musique alle- moins directe qu’avec d’autres compositeurs. Il mande dans la forme. Chez les grands composi- n’y a pas cette influence émotionnelle qu’exerce teurs allemands, par exemple dans leur forme- la musique de Rachmaninov, à laquelle les gens sonate, il y a des éléments plus importants que sont contraints de réagir. Pour sa part, Beetho- d’autres, le thème principal primant sur les ven se montre implacable envers son auditeur thèmes secondaires etc. Dans la musique russe, et l’oblige littéralement à le suivre. Debussy est Claude Debussy on voit défiler la vie, la naissance ou la mort. à l’opposé : c’est une invitation à sortir de chez Suite bergamasque, Images / Quand on écoute Debussy, chaque moment mu- deuxième série… soi pour contempler le soleil ou les nuages, une sical ressemble à un moment de la vie : on sent le 1 CD Harmonia mundi invitation à partager cette admiration des ins- soleil, ou la pluie, ou un nuage, on regarde nager tants de la vie que j’évoquais. Et cette invitation un poisson etc. Tous ces moments sont aussi im- est d’un grand calme, d’une grande modestie. Si portants les uns que les autres, et il n’y a pas de vous en avez l’envie, venez ; si vous ne le voulez hiérarchie, au contraire : on perçoit une intense pas, tant pis, ce n’est pas très grave ». admiration pour chacun d’entre eux, qui est un Toutefois, lorsqu’on considère la magnifique petit miracle en soi. Certes, des pièces telles que réussite qu’est son enregistrement consacré à La Cathédrale engloutie possèdent une sorte Debussy sous étiquette Harmonia mundi, dé- Portrait de sommet sonore mais on ne peut pas dire que Concertos & pièces pour piano cliner ladite invitation constituerait une faute ce dernier soit l’élément le plus important de la seul de Beethoven, Chopin, de goût impardonnable. Nikolaï Lugansky n’a pièce. Cette admiration de chaque moment de Rachmaninov, Prokofiev. jamais caché son amour profond pour les mille la vie est à mes yeux éminemment française, il City of Birmingham Orchestra, joies impalpables de la vie quotidienne et il Sakari Oramo (direction). s’agit d’une aptitude que nous n’avons pas dans n’est guère surprenant qu’il soit un interprète 9 CD Erato-Warner Classics la culture russe ». privilégié des brises debussystes. • Yutha Tep mars 2019 cadences 9
Voix Lucile Richardot à voix basse la vie, les opportunités ne se sont simplement pas présentées. C’est d’ailleurs la même chose pour l’Oratorio de Noël dont je n’ai encore jamais chanté la partie soliste. » Si Bach est un défi pour nombre de ses collègues, Lucile Richardot au contraire aime particulièrement le chanter : « J’adore Bach, je m’en délecte. Ses parties d’alto sont souvent un peu schizoph- rènes, avec à la fois de l’aigu et du grave. Il est toujours difficile de trouver le chanteur idéal qui aura toutes les qualités nécessaires. L’emploi d’alto de la Messe en si n’est pas souvent confié à une femme mais plutôt à un contre-ténor, qui sera plus confortable dans les aigus. Pour ma part j’ai la chance de me sentir à l’aise sur toute la tessiture, c’est vraiment ma zone de confort, alors que beaucoup de mezzos ne peuvent pas chanter ces airs-là. » Les versions célèbres de contre-ténors ont marqué la contralto : « J’ai tellement été imprégnée de ces versions que dès que je chante un solo d’alto de Bach je réen- © Igor Studio tends les voix d’Andreas Scholl ou de Damien Guillon par exemple et je reproduis malgré moi ce que j’ai entendu, ce qui est impossible car je n’ai pas du tout le même type de voix. » Quant à Dotée d’une voix de contralto Lucile Richardot collabore l’écriture de Bach en elle-même, elle n’effraie profonde et puissante que l’on avec les plus grands pas la chanteuse même si elle en souligne les ensembles de la scène difficultés : « Les vocalises sont souvent inter- reconnaît entre mille, Lucile baroque. minables et il y a quelque chose de très instru- Richardot retrouve ce mois-ci mental dans les conduites de phrases. Souvent l’ensemble Pygmalion à Versailles on chante avec un instrument colla parte ou pour une Messe en si de Bach, qui joue à la tierce, nous obligeant à être dans avant un récital en juin autour la même dynamique que lui. Le piège princi- des figures de magiciennes dans pal avec Bach, pour nous chanteurs, qui avons le répertoire baroque. Des projets besoin d’une souplesse vocale, c’est de céder à qui lui tiennent à cœur. la tentation de laisser s’installer des petites iné- C 13 & 14 mars – Chapelle galités rythmiques. Il faut l’éviter à tout prix. urieusement, les concerts du mois Royale de Versailles Parfois il faut savoir se transformer un peu en de mars seront une première pour 24 mai – Philharmonie viole de gambe ou en hautbois ! On doit avoir la contralto française : « J’ai toujours de Paris l’impression de n’être qu’un instrument parmi chanté la Messe en si dans les chœurs, Bach, Messe en si mineur le reste de l’orchestre. » C’est aux côtés de l’en- notamment lorsque je faisais partie de la Maî- Ensemble Pygmalion, Raphaël Pichon semble Pygmalion que Lucile Richardot se pro- (direction). trise de Notre-Dame de Paris. C’est la première duira pour ces concerts : « L’ensemble explore fois que j’interprète la partie d’alto solo, ce qui 30 juin – Chateau de Versailles de plus en plus de répertoires et de styles depuis me ravit. L’Agnus Dei est un véritable tube, de Magiciennes baroques quelques années. Mais Raphaël Pichon revient toute beauté. Ce sont les étonnants hasards de Jean-Luc Ho, clavecin toujours à ses vieilles amours. Il ne laisse jamais 10 cadences mars 2019
paris Bach loin de lui trop longtemps. Il y a au moins un projet Bach chaque année avec Pygmalion, auquel je participe généralement. Avec cette Messe en si, on revient aux fondamentaux de l’ensemble. » Sortilèges baroques A u mois de juin, Versailles accueillera de nouveau la chanteuse pour un récital avec le claveciniste Jean-Luc Ho. Avec son timbre envoûtant, Lucile Richardot se révèle l’inter- prète idéale de Médée, Armide ou Circé : « Les magiciennes baroques sont un thème qui séduit le public, et notre programme tourne beaucoup. Le monologue d’Armide de Lully est un incon- tournable et j’adore également interpréter la grande cantate de François Colin de Blamont autour de Circé. Cette pièce est parfaite pour une mezzo, ce qui est rare car la majorité des cantates françaises sont écrites pour dessus ou haute-contre. Elle est très théâtrale, et per- met de déployer toute une palette expressive. C’est un exemple parfait de cantate française avec une alternance de récits, d’ariosos, de ré- cits accompagnés, de grands airs de fureur, de lamentations… Le programme de notre concert s’est donc construit autour de ces œuvres, et j’ai rajouté ensuite beaucoup d’autres pièces. J’ai dû renoncer aussi à certaines d’entre elles, no- tamment à la musique médiévale à mon grand regret, car il fallait se restreindre à du réper- toire pour voix et clavecin. » L’exercice du réci- tal, loin de frustrer la chanteuse par rapport à une production scénique, semble lui donner des ailes : « On est seul maitre à bord en réci- tal, ce qui donne une grande liberté par rapport à une production d’opéra. Comme j’ai souvent tendance à improviser des gestes et des petites mises en scène, cela me convient très bien. » Encore bien des merveilles baroques sont programmées pour Lucile Richardot dans les mois à venir, notamment un Sémélé de Händel en avril avec John Eliot Gardiner (en version concert mise en espace), mais la contralto se dit également impatiente de chanter d’autres répertoires : « J’aimerais travailler davantage sur la musique de la fin du xixe siècle et celle du début du xxe siècle. Je voudrais chanter du Brit- ten par exemple et du Menotti. J’ai une tendresse particulière pour Poulenc, mais également pour Debussy, Massenet… J’ai déjà chanté beaucoup de mélodies françaises et j’aimerais avoir la chance d’aborder leurs opéras. En 2021 j’aurai l’occasion de faire mon premier Pelléas et Méli- sande dans le rôle de Geneviève, et j’ai hâte de faire mon premier Dialogues des carmélites. » Et nous de l’entendre ! • élise Guignard mars 2019 cadences 11
piano Louis Lortie Un Québécois à Paris Le pianiste québécois Louis Lortie dont ils ont laissé de remar- s’installe en mars à Paris et dans quables témoignages. Avec la Région Île-de-France pour l’Orchestre National d’Île- une série de concerts, en soliste de-France il a mis à son pro- gramme le Concerto en fa mi- tout d’abord avec l’ONDIF, puis neur de Chopin, une partition en musique de chambre dans un qui lui est familière : « J’at- cycle Brahms. à tends avec impatience la ren- l’orée de ses soixante ans, Louis contre avec Jacek Kaspszyk Lortie est reconnu dans le monde car je sais pour l’avoir vécu musical comme l’un des meilleurs que les chefs polonais en ont pianistes actuels. Bien que franco- une connaissance intime. Je phone, il est en définitive assez peu présent n’ai jamais eu l’occasion de dans l’Hexagone. à ses nombreuses activités jouer avec lui, mais le fait de concertiste, de chambriste, il joint une qu’il soit à la fois Directeur passion pour l’enseignement (en octobre musical de l’Orchestre Natio- 2016, il a succédé à Maria-João Pires à la nal et de l’Opéra National de légendaire Chapelle Musicale Reine Elisa- Varsovie constitue en soi une beth de Bruxelles) et pour l’enregistrement assurance. Ce Concerto n° 2 © Elias (sa cinquantaine de disques pour le label présente des difficultés pia- Chandos couvre trois siècles de musique). Ce nistiques indéniables mais de- vainqueur du Concours Ferruccio Busoni à Né à Montréal en 1957, mande plus encore un dialogue constant dans Bolzano en 1984 s’est pris d’affection récem- Louis Lortie voit sa carrière un respect mutuel du tempo et du rubato. On ment pour l’œuvre pour clavier de Gabriel prendre son essor après remet sans cesse en cause les qualités d’or- Fauré qu’il avait quelque peu laissée en son Premier Prix au chestrateur de Chopin qui n’a pas toujours jachère : « Adolescent, j’ai suivi à Montréal Concours Busoni en 1984. bonne réputation dans ce domaine auprès l’enseignement d’Yvonne Hubert, une proche des chefs. C’est négliger la transparence, le d’Alfred Cortot, mais j’étais trop jeune pour sens des couleurs, voire une modernité très en assimiler tout ce qu’elle était susceptible de avance sur l’époque. » Cerise sur le gâteau, le me transmettre. Elle avait connu à Paris Al- public parisien aura également le privilège 22 mars – Philharmonie beniz, Debussy, Fauré, un compositeur qui, à d’assister à la Philharmonie à trois concerts 23 mars – Opéra de Massy rebours, me captive de plus en plus. J’ai été de musique de chambre intitulés « Le Salon 24 mars – Espace Carpeaux très surpris par le succès remporté par mon Brahms » regroupant la plupart de ses opus à Courbevoie premier CD Fauré qui a eu plus de succès que Orchestre National d’Île-de-France, pour piano et cordes : « Au Canada, j’ai déjà le disque Chopin enregistré au même moment. Jacek Kaspszyk (direction) vécu une expérience de ce type il y a une On dit que Fauré est peu exportable en dehors Chopin, Chostakovitch vingtaine d’années. C’est un bonheur de me de la France, mais les choses à mon avis sont retrouver avec le violoniste Augustin Dumay 26, 27, 28 mars – Cité de en train de changer. » Peu de compositeurs et l’altiste Miguel Da Silva – qui enseignent la Musique échappent à la perspicacité de cet artiste qui aussi à la Chapelle Musicale –, ainsi qu’avec le avec Augustin Dumay, Miguel Da Silva, a déjà gravé les 32 Sonates de Beethoven, Jian Wang violoncelliste Jian Wang dans ces pages d’une achève une intégrale Chopin après s’être Brahms liberté et d’une inventivité sans cesse renou- confronté à Liszt, Rachmaninov ou Saint- velées. » Un moment d’exception où quatre Saëns. Il trouve même le temps de pratiquer musiciens complices mettront leur idéal au avec Hélène Mercier – une amie de longue service de la musique pure. date – l’exercice si exigeant du quatre mains • Michel Le Naour 12 cadences mars 2019
viole de gambe Robin Pharo la relève Fondé en 2017 par le jeune violiste Robin Pharo, l’ensemble Près de votre oreille s’attache à défendre un répertoire Répertoires oubliés I intimiste. La sortie de leur prochain disque Come Sorrow, nitialement, le programme du disque était abordant la chanson anglaise de l’époque élisabéthaine, centré autour des pièces vocales de Hume. est l’occasion pour l’ensemble de présenter ce programme Présentant la rare particularité d’avoir une ta- en concert le 1er avril au Théâtre de l’Athénée. blature écrite spécifiquement pour la viole de À gambe (dans un répertoire où le luth est d’ordi- l’origine une asso- naire privilégié), elles suscitent inévitablement ciation destinée à l’intérêt des violistes : « À cette époque, beau- soutenir les projets coup de recueils de chansons sont édités avec de Robin Pharo une tablature de luth accompagnant les voix. (notamment l’enregistrement Dans leurs préfaces, la présence de la viole est de son premier disque L’Ano- toujours suggérée mais son rôle n’est jamais pré- nyme Parisien), Près de votre cisé (doit-elle par exemple soutenir la basse ?). Il oreille est devenue quelque est très rare d’avoir une tablature entièrement temps plus tard un ensemble écrite comme pour le luth. À part chez Tobias original à l’effectif variable. Hume et l’un de ses contemporains Thomas Un nom poétique qui fait écho Ford, il n’y a que très peu d’exemples. » En cher- à la volonté de proposer une chant un complément aux pièces de Hume, Ro- musique intime et délicate, bin Pharo découvre, par l’entremise du violiste essentiellement baroque mais et musicologue Jonathan Dunford, les pièces également contemporaine de Robert Jones. Publiées avant celle de Hume, © Rita Cuggia lorsque l’occasion le permet. elles proposent également des parties poly- Accompagné d’Anaïs Ber- phoniques entièrement écrites pour la viole : trand (mezzo-soprano), Nico- « Ces pièces sont, jusqu’à preuve du contraire, las Brooymans (basse) et Thi- les premières pièces éditées avec tablature pour baut Roussel (luth), Robin Pharo s’attaque au Robin Pharo commence viole. C’est un recueil historique. » Robin Pharo répertoire vocal anglais datant du début du xviie la viole de gambe dès découvre alors le vrai noyau de ce qu’allait être siècle : « C’est la première fois que je m’intéresse l’âge de 5 ans auprès de le disque et recentre le programme autour de aussi profondément à la musique anglaise, qui Jean-Louis Charbonnier. l’œuvre de Jones. Après avoir consacré l’album est extrêmement riche à l’époque élisabéthaine L’Anonyme Parisien au mystérieux Charles et assez peu connue et peu jouée en France ». En Dollé, élève très peu connu de Marin Marais, effet, si le programme de Come Sorrow inclut le violiste poursuit l’exhumation des composi- des pièces de John Dowland et Tobias Hume, teurs oubliés : « C’est passionnant de s’intéres- il fait la part belle à un autre compositeur de 1er avril – Théâtre ser à la musique de compositeurs peu connus. la même époque presque entièrement tombé de l’Athénée Quand on tombe sur une pièce peu jouée, il est dans l’oubli, Robert Jones : « En réalité, Robert Come Sorrow fascinant de se l’approprier. La musique de Jones était assez connu de son vivant. Il a pu- Ensemble Près de votre oreille Robert Jones, aujourd’hui tombée dans l’oubli, blié quatre livres de chansons, ce qui n’est pas n’a rien à envier à celle de Dowland. Les textes négligeable. Il collaborait également avec des utilisés dans ses chansons sont très beaux et les auteurs de théâtre et était très intégré à la vie mélodies assez surprenantes. Come Sorrow (qui londonienne. » donne son titre au disque) est une pièce magni- 14 cadences mars 2019
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