LE POSTILLON DE LONJUMEAU - Opéra Comique
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AVEC L'AIMABLE CAPTATIONS PARTICIPATION DE Spectacle enregistré par France Musique, diffusion prévue le dimanche 28 avril 2019 à 20h. 2
LE POSTILLON DE LONJUMEAU Opéra-comique en trois actes d’Adolphe Adam. Livret d’Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick. Créé à l’Opéra Comique le 13 octobre 1836. Direction musicale - Sébastien Rouland Mise en scène - Michel Fau Décors - Emmanuel Charles Costumes - Christian Lacroix Lumières - Joël Fabing Maquillage - Pascale Fau Assistante musicale - Stéphanie-Marie Degand Cheffe de chant - Cécile Restier Assistant mise en scène - Damien Lefevre Assistant costumes - Jean-Philippe Pons Production Opéra Comique Coproduction Opéra de Rouen Normandie Chapelou / Saint-Phar - Michael Spyres Avec le soutien de Monsieur G. F. Madeleine / Madame de Latour - Florie Valiquette Durée : 2 h 30, entracte compris Le marquis de Corcy - Franck Leguérinel Spectacle en français, Biju / Alcindor - Laurent Kubla surtitré en français et en anglais Rose - Michel Fau Louis XV - Yannis Ezziadi Rencontre avec les artistes de la production mardi 12 mars à 19h Bourdon - Julien Clément Introduction au spectacle, 45 min. avant la représentation Chantez Le Postillon de Lonjumeau, 45 min avant la représentation Chœur - accentus / Opéra de Rouen Normandie Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie 3
À LIRE AVANT LE SPECTACLE Par Agnès Terrier En 1836, la première ligne de chemin 1830, l’Opéra Comique engrange ainsi est un merveilleux point de départ de fer civile de France est en cours de bonnes recettes en célébrant pour une comédie, dont la fonction d’achèvement. Elle reliera l’année métiers et conditions, avec des titres reste de peindre la société dans suivante, à toute vapeur et en moins aussi attrayants que Le Marchand tous ses états. Parmi les titres d’une demi-heure, Paris au Pecq, forain, Le Porte-faix, Le Luthier à succès du répertoire de l’Opéra u n e co m mu n e s i t u é e au p i e d de Vienne, Le Brasseur de Preston, Comique figure, depuis 1820, cet opus de la magnifique terrasse de Saint- Le Perruquier de la Régence... de Boieldieu, Les Voitures versées, Germain-en-Laye. On le pressent En dépit de l’impossibilité de faire où l’on voit un nobliau angevin laisser alors, cette adaptation au transport caracoler des chevaux sur le plateau en piteux état une route longeant de passagers d’un moyen de locomotion de l’Opéra Comique, alors logé dans sa propriété afin de pouvoir recueillir développé pour le charbon un petit théâtre sis place de la Bourse, les Parisiens accidentés et se tenir ainsi va révolutionner le territoire. Bientôt mettre en scène un postillon est à trois informé des dernières tendances… on pourra contempler la mer en titres un bon calcul. Normandie, prendre les eaux dans Enfin, le costume et les attributs officiels D’abord ce personnage, que l’on croise (fouet et cor) du postillon n’ayant les Pyrénées, escalader le Mont-Blanc ! à tous les carrefours, aura le mérite pas changé depuis l’Ancien Régime, de séduire le public des départements – Il est donc temps, en 1836, de consacrer d’habiles librettistes comme Brunswick un public auquel tient l’Opéra Comique un opéra-comique – en forme de chant et Leuven peuvent placer l’action sous qui fournit aux nombreux théâtres du cygne – à la figure familière le règne libertin de Louis XV. En 1836, de province la majeure partie de leurs du postillon : c’est en effet lui qui cela ne peut qu’amuser le bon roi Louis- saisons. conduit les équipages des voyageurs, Philippe d’Orléans et cela permet depuis plus de deux siècles, sur les Ensuite le prétexte du voyage, de camper, dans un décor rococo, routes de France. En ces années avec ses rencontres imprévues, un postillon-joli cœur. Cette réputation 4
Pourvu qu’un homme ait de l’esprit, une figure distinguée et de l’entregent, les femmes ne lui demandent jamais d’où il sort, mais où il veut aller. Balzac, Physiologie du mariage, 1829 avantageuse, les postillons la doivent un « premier sujet de l’Académie Royale Au premier il doit son parcours à leur élégance, à leur autorité de Musique » – que sous la plume p rofe s s i o n n e l , au s e co n d s o n de cavalier et au fard qu’ils portent d’un compositeur fin connaisseur tempérament charmeur et hâbleur, pour se protéger des intempéries. de l’Ancien Régime. Or Adolphe Adam h é r i t é d e s g ra n d e s c r é at i o n s est, en son temps, à peu près le seul de Chollet, le Fra Diavolo d’Auber S’il est séducteur, notre postillon à se passionner pour les prédécesseurs et le Zampa d’Hérold. ne peut s’exprimer qu’avec une de Gluck : Rameau et ses contemporains. voix de ténor – il en va ainsi dans Ce répertoire baroque a disparu avec Puisqu’à tout bon opéra-comique il faut la typologie vocale et théâtrale la Révolution. Adam, lui, retrouve de l’amour, auteurs et compositeur ont de l’opéra-comique. Et comme le public les œuvres à la Bibliothèque du le bon goût d’opposer à leur postillon qui s’embourgeoise n’aime rien tant que Conservatoire, les étudie, les apprécie. de grand chemin une remarquable les histoires d’ambition et d’ascension Il arrange et programme maintes figure de femme forte, Madeleine, sociale, notre postillon d’Île-de-France, pages de Rameau en concert, en ville comme on n’en trouve plus beaucoup officiant à Lonjumeau (sans g) sur et à la cour. Il lui consacre aussi plusieurs depuis l’établissement du Code la route d’Orléans, montera à Paris essais, convaincu que s’est écrite Napoléon. Il faudra peut-être attendre pour devenir... un divo d’opéra. D’opéra au siècle précédent une grande page Carmen en 1875 pour revoir sur les et non d’opéra-comique, ce qui permet de la musique française, relativement planches de l’Opéra Comique une telle comme au XVIIIe siècle une parodie isolée d’une Europe dont Paris, au XIXe meneuse de jeu – et cela coûtera alors du grand genre. siècle, est devenue la capitale culturelle. sa place à Leuven, devenu entretemps le directeur du théâtre. Cette Le postillon Chapelou (nom dérivé Le postillon Chapelou tient donc Madeleine est créée par Zoé Prévost, de chapelle ou de chapeau…) ne peut autant du ténor fétiche de Rameau, alors en pleine crise matrimoniale avec devenir un ténor de l’Opéra à l’époque Jélyotte, que de son créateur Chollet, ce qui contribue probablement des Lumières – ou plus exactement de 1836, Jean-Baptiste Chollet. à la vérité de leur interprétation. 5
Comme elle, les autres interprètes le dirige à plusieurs reprises, le fixant à vie et dont le ministre offrit à l’institution issus de la troupe de l’Opéra Comique dans sa mémoire… À l’Opéra Comique, le terrain sur lequel s’élève toujours reçoivent des rôles sur mesure : c’est l’œuvre quitte le répertoire en 1894, la salle Favart ? le cas d’Henry pour le charron Biju, après 569 représentations en moins de Ricquier pour le marquis de Corcy, de soixante ans. mais aussi du couple Roy pour les rôles de Bourdon et de Rose. Les auteurs En compagnie de Michael Spyres, précisent, en tête de la partition publiée aujourd’hui l’un des rares artistes chez Delahante et dédiée au roi de capables d’endosser ce rôle-titre Prusse, combien les rôles secondaires aux redoutables contre-ré, Sébastien sont importants pour la réussite Rouland et Michel Fau dépoussièrent de cette comédie en trois actes, et réhabilitent Le Postillon de émaillée de treize numéros musicaux. Lonjumeau, avec l’amour qu’ils portent à ce répertoire élégant et insolent. La création du 13 octobre 1836 remporte Une insolence qui les pousse un succès formidable et essaime vite à convoquer Louis XV en scène – dans les régions puis en Europe. Dès une apparition royale qu’interdisait 1837, Der Postillon von Lonjumeau la censure au XIX e siècle. Mais est joué à Berlin, Vienne, Leipzig, en 2019, pourquoi se priver d’un Prague, partout dans le vaste Empire hommage, en forme de clin d’œil, allemand, jusqu’à Riga où un jeune chef au monarque qui donna à l’Opéra d’orchestre nommé Richard Wagner Comique le statut de troupe royale, 6
ARGUMENT ACTE I ACTE II ACTE III Ville relai entre Paris et Orléans, Dix ans plus tard, Madeleine a hérité La « nuit de noce » vire au cauchemar Lonjumeau fête les noces du de sa tante et refait sa vie sous le nom pour Saint-Phar. Biju lui révèle que plus fringant de ses postillons, de Madame de Latour. Courtisée par le sacrement est avéré, ce qui fait de Chapelou, avec la jeune aubergiste le marquis de Corcy, elle a préféré lui un bigame passible de la pendaison. Madeleine. Pour lui, elle renonce séduire, du fond de sa loge à l’Opéra, Puis paraît une nouvelle servante au à l’héritage d’une riche tante ; pour le fameux ténor Saint-Phar – qui service de Madame de Latour : c’est elle, il abandonne sa vie de séducteur. n’est autre que Chapelou, incapable Madeleine qui lui demande des Pourtant, à l’une comme à l’autre, de la reconnaître. comptes – tandis que dans l’obscurité on a prédit que le mariage serait À l'occasion du séjour chez elle de la qui gagne le château, sa nouvelle malheureux... troupe lyrique, venue lui interpréter épouse fait l’outragée. L’arrivée d’un voyageur pressé fait un hommage composé par Corcy, Enfin, Corcy surgit avec des gardes tout basculer : c’est le marquis Madame de Latour piège Saint- pour appréhender le libertin. de Corcy, administrateur de l’Opéra. Phar. Elle accepte de lui accorder Chapelou est sauvé in extremis par À la recherche d’un ténor sur l’ordre ses faveurs mais, pour préserver son Madeleine et Madame Latour, qui exprès de Louis XV, il est enthousiasmé honneur, pose une condition : qu’il parlent désormais d’une seule voix. par la voix naturelle de Chapelou. l’épouse. Confondu et repentant, il n’en est que Le postillon cède vite aux sirènes de Saint-Phar croit pouvoir organiser une plus aimé. la gloire et abandonne Madeleine parodie de mariage. Mais avertie par sans grand scrupule. Il entraîne dans le marquis jaloux, Madame de Latour son sillage Biju, le forgeron qu’elle avait substitue au faux prêtre un authentique Vannina Santoni éconduit pour lui. chapelain. et Michael Spyres 7
INTENTIONS Dans quel état d’esprit ranimez-vous Le Postillon de Lonjumeau ? Par les maîtres d’œuvre du spectacle Sébastien Rouland C’est passionnant de remettre au goût du jour une œuvre qui a connu un succès aussi phénoménal. Le Postillon fait partie des titres emblématiques de l’opéra-comique, un genre qui, au XIXe siècle, se distingue par sa créativité, sa variété et son élaboration musicale toujours croissante. Pourtant, l’œuvre se réduit aujourd’hui à un air sensationnel, la « ronde du postillon », dont se saisissent les rares ténors dotés du contre-ré. On ne connait plus guère l’œuvre complète, sauf à avoir voyagé à Berlin en 1998, à Dijon en 2004 ou à Québec en 2013. La gloire du Postillon est donc paradoxale. Encore plus si l’on considère que, joué à l’Opéra Comique tout au long du siècle de sa création, il n’a jamais été remonté dans la 3e salle Favart, donc depuis 1898... Autre sujet d’étonnement : l’œuvre est toujours relativement populaire, mais en Allemagne ! C’est caractéristique du sort que le wagnérisme français a fait subir à la musique française à partir de la IIIe République. Car à la même époque, en Europe Sébastien Rouland et dans le monde, nos opéras-comiques étaient traduits, magnifiquement montés, et pris en exemple. De son vivant, Adam avait d’ailleurs été un artiste d’envergure européenne, suivi par le public, courtisé par les têtes couronnées de Prusse et de Russie, comme Boieldieu, Berlioz…. Il est donc temps de lui accorder l’importance qu’il mérite, à l’instar de Rossini ou de Donizetti. Et de redécouvrir aussi ses contemporains comme Hérold ou Halévy. 10
Michel Fau Michel Fau J’ai été particulièrement séduit par la beauté de la partition du Postillon, même si je n’aborde jamais séparément le livret et la musique d’une œuvre lyrique. Tous deux paraissent en effet, à l’amoureux d’opéra que je suis, intrinsèquement liés par l’esthétique. Je trouve au Postillon une unité musicale assez rare parmi les opéras-comiques de la période romantique, dans lesquels trop souvent les beaux morceaux alternent avec des numéros très conventionnels. Ici on a affaire à une musique qui n’a pas peur d’être savante, mais qui sait aussi déjouer ou transcender les conventions, car il ne s’agit jamais de les battre en brèche. Bien sûr, j’ai immédiatement aimé l’intrigue du Postillon : cette histoire de chant, de voix, de carrière lyrique et de travestissement avait tout pour me plaire. Mais c’est le sujet de l’œuvre lui-même qui me passionne. Non pas ce prétexte platement juridique qu’est la bigamie, mais ce grand sujet qu’est l’amour, et plus exactement les différentes formes que peut prendre l’amour dans un cœur, dans une vie. Un sujet sur lequel je reviens sans cesse, aussi bien au théâtre, en montant ces dernières années des pièces d’André Roussin (Un amour qui ne finit pas), de Jean Poiret (Douce-Amère), que dans l’opéra, avec Ciboulette entre autres à l’Opéra Comique. 11
Michel Fau Chapelou fait d’abord le choix L’amour fou social de se marier, mais et passionnel, l’amour l’arrivisme l’emporte aussitôt. platonique, l’amour éphémère, Dix ans plus tard, il éprouve l’amour pour celui ou celle avec un véritable coup de foudre. qui on choisit de partager sa vie Certes, l’ambition est toujours – mais comme écrit Claudel dans là, puisqu’il s’éprend d’une Le Soulier de satin, « ce n’est pas aristocrate (sans reconnaître en l’amour qui fait le mariage mais elle son épouse abandonnée). le consentement » – Chapelou Mais je trouve intéressante, traverse tout cela en trois actes. aussi, cette union intime Il a probablement de l’amour avec un projet besoin, pour être heureux, d’ascension sociale : de toutes ces formes d’amour. ne relève-t-elle pas d’un fantasme Madeleine, justement, s’avère répandu ? Cet opéra est capable de les incarner, profondément immoral, de les satisfaire. il devrait être interdit… Florie Valiquette 12
Sébastien Rouland Son livret est délicieusement invraisemblable : quelle imagination, Laurent Kubla quelle liberté à l’égard de la véracité historique, du réalisme psychologique et des convenances ! Ce qui est formidable avec les librettistes et les compositeurs français du siècle romantique, par rapport à leurs contemporains italiens par exemple, c’est qu’ils savent tempérer le sérieux et le grave par l’humour et l’émotion. Ils évitent ainsi le kitch. Avant et après Adam, des musiciens comme Boieldieu, Auber, Michael Spyres Berlioz, Messager illustrent ce génie de l’équilibre. La situation dramatique du Postillon est aussi simple qu’improbable : sans le savoir, un homme épouse deux fois la même femme à dix ans d’intervalle. À côté d’un prétexte aussi bref, celui de La Dame blanche, inspiré de Walter Scott, est d’une complexité shakespearienne ! Eh bien en trois actes et avec six personnages, les librettistes du Postillon ont su broder une mécanique et des situations impeccables : aucune coupure n’est nécessaire. Prenez le début : au moment d’aller se marier, les promis s’avouent s’être fait prédire l’avenir… qui s’annonce catastrophique. C’est génial de commencer un opéra-comique sur la promesse d’un mariage raté ! J’aime beaucoup ce genre d’ouvrage que le second degré, combiné à une musique à la fois savante et légère, rend jubilatoire. 13
Le Postillon, c’est le XIXe siècle du chemin de fer qui regarde le XVIIIe siècle des chaises à porteurs… Michel Fau les artifices et les conventions du XVIIIe, Le XVIIIe vu par le XIXe siècle, les exacerbent, les détournent. L’habit c’est un imaginaire bourgeois du postillon, qui est historiquement élégant à l’heure du romantisme : entre et soigné, nous invite à rêver autour d’une la porcelaine et la pâtisserie, entre époque, avec des paysans aussi élégants le sucré et l’acidulé – d’où les couleurs que des chanteurs lyriques en tournée. saturés de notre spectacle. Et puis l’œuvre est conçue comme un écrin Le Postillon, c’est la bourgeoisie triomphante qui fait briller la virtuosité des artistes. de la Monarchie de Juillet qui fantasme Que sa moralité soit suspecte n’enlève sur le règne décadent de Louis XV, où on rien à sa beauté, et ne doit pas affecter anoblissait les prostituées, où roturiers l’irrésistible séduction qu’elle exerce. et aristocrates rivalisaient dans la même course à la fortune. On peut donc flirter Sébastien Rouland avec le mauvais goût, ce que j’apprécie L’anachronisme du Postillon particulièrement, en me réclamant est assumé. Et tout cela ne vieillit d’Antoine Vitez qui disait qu’on a le pas, non plus que La Dame blanche de droit de jouer contre le bon goût petit- Boieldieu, que nous avons remonté en 1997 bourgeois. Dans la suite de ce jeu entre à l’Opéra Comique avec Marc Minkowski, les époques que se permettent Adam et dont j’étais alors l’assistant. Ces ouvrages, ses librettistes, les décors d’Emmanuel qui ont connu de multiples distributions et Charles revisitent et mettent en abime de nombreuses productions scéniques, ont l’univers des toiles peintes, avec les largement fait leurs preuves. Ce n’est pas leur moyens d’aujourd’hui. Les costumes âge qui peut les rendre difficiles à monter de Christian Lacroix exploitent aujourd’hui, ce sont uniquement nos préjugés. 14
Franck Leguérinel 15
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Y a-t-il une forme de modernité dans Le Postillon ? Sébastien Rouland Il n’y a pas davantage de modernité que de pastiche du XVIIIe siècle musical ! Et pourquoi en chercher ? Un titre pareil invite à aller au théâtre pour changer de coordonnées et pour être séduit. On s’assied sous les dorures de la salle Favart et on cède à cette fantaisie, à ce langage délicieux. Cependant, l’œuvre n’est ni complaisante, ni naïvement sentimentale, et ce grâce au personnage de Madeleine. Pour une fois, l’amoureuse n’est pas plus une idiote qu’une victime consentante. Elle s’est faite toute seule. Résiliente, elle est passée à autre chose après avoir été abandonnée. Elle retombe sur Chapelou par hasard. Désormais maîtresse de la situation, elle reste capable de nostalgie et de poésie. Michel Fau Tout cela donne au personnage une jolie La pièce ne manque pas de complexité. Du point de vue vocal, son rôle féminisme, si on veut en chercher : se fait de plus en plus lyrique et explore Madeleine est active et combattante. des registres variés. Il n’est pas dans la Elle a même une sorte de bonne démonstration vocale et dans la verticalité conscience dans la personne de Rose, comme Chapelou, il est plus scénique et qui est comparable à une confidente horizontal. Madeleine n’est pas du tout de tragédie. Le couple qu’elles forment un faire-valoir : elle forme avec Chapelou un ensemble est autrement plus digne que splendide duo à tous les niveaux de l’œuvre. celui formé par Chapelou et Biju ! 17
Quelles sont les qualités musicales du Postillon ? Sébastien Rouland des pas des danseurs. Chacun Le Postillon de Lonjumeau est de ses ballets est un véritable poème d’abord une partition très bien symphonique. On y trouve le premier orchestrée. Comme Boieldieu, Adam usage du leitmotiv dans le domaine possédait un « métier » extraordinaire. chorégraphique. Giselle est une œuvre L’orchestre requis est classique, avec d’une grande poésie, d’un puissant souffle les vents par deux : c’est celui de dramatique. À part Berlioz et Wagner l’Opéra Comique dans les années 1830. qui le détestaient – ce qui est une sorte L’orchestration est délicate sans être d’hommage –, tous ses contemporains ont difficile, car elle devait être accessible témoigné du respect à ce compositeur aux orchestres des théâtres, français dont la carrière magnifique s’est ouverte et étrangers, qui reprendraient l’ouvrage. avec un second Prix de Rome et s’est Les compositeurs d’opéra-comique achevée à l’Académie des Beaux-Arts. étaient pragmatiques ! Sur le plan harmonique, c’est néanmoins très élaboré. Enfin, Adam déploie un génie mélodique prodigieux, avec un grand souci de variété. À partir d’une mélodie toute simple, il sait par exemple renouveler l’intérêt des trois couplets en variant subtilement l’orchestration. Adam n’a pas écrit de symphonie, probablement par pudeur. Il préférait se mettre au service de paroles et de situations dramatiques. Cependant – ou pour cette raison – il a su métamorphoser le genre chorégraphique qui était, encore à l’époque, au service 18
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Qu'en est-il de l'écriture vocale d'Adam ? Sébastien Rouland À l’époque d’Adam, c’était un véritable métier d’écrire pour la voix. Le statut de compositeur lyrique était comparable à celui d’auteur- compositeur aujourd’hui, assurant célébrité et richesse. Adam a travaillé pour des chanteurs aux aptitudes exceptionnelles, et son écriture est spécifique à la France de cette première moitié du XIXe siècle. Concernant les ténors, elle fait appel à une technique vocale qui mixe voix de poitrine et voix de tête. Chollet, le créateur du Postillon, était un ténor français typique, spinto et léger à la fois, produisant des aigus insolents. Le public et les compositeurs ont ensuite cédé au goût italien de la seule voix de poitrine, ce qui a fait tomber en désuétude tout un répertoire. On en redécouvre aujourd’hui les trésors de poésie et de fantaisie. Car ce chant mixte met admirablement en valeur le texte, il replace au centre de l’esthétique musicale la prosodie et les vers. 20
Michel Fau Au fond, seule la servante Rose, que Chaque personnage est construit j’incarne, a la tête sur les épaules : elle est à l’image de sa voix. Chapelou, par exemple, d’ailleurs la bonne conscience de l’héroïne. Parce est doté d’une voix naturelle – oui, cela existe ! que ces états extrêmes sont aussi physiques De même que sa voix séduit sans calculs que vocaux, le travail scénique que fournissent ni artifices, son tempérament est irréfléchi, les chanteurs est énorme, en particulier pulsionnel, presque animal. Ce qui le sauve, dans pour incarner le Marquis et Biju. l’esprit de la spectatrice et du spectateur, c’est On croit que le développement du jeu scénique est la beauté de son chant ainsi que sa sincérité : récent chez les artistes lyriques, mais on se trompe : le charme et la grâce, finalement, de son instinct. de telles pièces ne pouvaient être écrites que Madeleine, au contraire, développe une pour d’extraordinaires chanteurs-acteurs. Le genre intelligence des situations, une faculté même de l’opéra-comique n’a pu se développer d’adaptation, de métamorphose même, que grâce à la faculté des interprètes d’incarner et à l’échelle de sa vie comme dans chaque situation de chanter avec des talents égaux. musicale. Qualités auxquelles rend justice son air magnifique qui ouvre l’acte II, où d’aubergiste elle est devenue châtelaine. Madeleine confirme ce que disait Strindberg, à savoir que la femme est plus intelligente que l’homme. Comme dans la tragédie et le vaudeville, l’œuvre égrène une succession de crises, ce qui montre toujours les personnages dans des états extrêmes, propices au chant : Madeleine éprouve des états d’âme contrastés, le Marquis de Corcy est en permanence survolté, Biju est par nature un sanguin et un furieux, Chapelou n’écoute que son instinct… 21
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Justement, comment aborder le parlé-chanté de l’opéra-comique ? Sébastien Rouland Michel Fau Convenons déjà que J’aime bien entendre l’alternance entre le parlé et le le passage de la voix parlée chanté, dans l’opéra-comique à la voix chantée, et vice-versa. et l’opérette, n’est pas plus artificielle Car j’aime que le chant s’impose sur que ne l’est le dialogue continument la parole, lorsque le sentiment devient chanté de l’opéra. extrême. Les niveaux d’intensité dans Ce manque de naturel, il faut l’aimer les émotions expliquent les gradations et l’assumer. Le surnaturel n’est-il de l’expression, de la parole triviale pas plus plaisant que le naturel ? jusqu’au chant le plus virtuose. Il faut D’un point de vue pratique, l’opéra- se servir de cette riche palette vocale, comique demande aux chanteurs et aussi rendre justice aux contrastes, de rechercher pour leur voix parlée que peuvent délibérément ménager les une position qui ne soit pas trop auteurs, entre la platitude d’une réplique éloignée du chant, afin d’éviter et le raffinement d’un morceau musical. la fatigue, mais aussi pour des raisons Le fait même de rouler les [r] dans esthétiques, puisque les deux types le chant, et de les grasseyer de parole peuvent ainsi être projetés dans le parlé, est un facteur de la même façon. supplémentaire de contraste, assumé. 23
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« Nous ne prisions pas toujours à leur juste valeur les partitions d’Adolphe Adam, mais ses improvisations au piano, dans un salon, entre amis, nous réjouissaient extraordinairement. On s’amusait lorsque, prenant un journal et le plaçant sous ses yeux, il traduisait musicalement une séance de la Chambre des députés. Comme on est généralement porté à abuser de la complaisance d’un artiste, peu s’en fallait que nous ne demandassions à l’auteur du Chalet une improvisation à jet continu sur le journal entier ! » Augustin Challamel, Souvenirs d’un hugolâtre, 1885 26
Adolphe Adam, par Jean-Baptiste-Ange Tissier, 1853 ADOLPHE ADAM (1803-1856) Ad o l p h e Ad a m n a î t à Pa r i s des vaudevilles, comédies émaillées entre 1830 et 1835 (Le Grand Prix ou le 24 juillet 1803, quelques mois d’airs. Après un second prix de Rome le Voyage à frais communs, Une bonne avant Berlioz. Son père Jean-Louis en 1825, suivi d’un grand voyage fortune, Le Proscrit ou le Tribunal Adam, qui fut intime de Gluck, en Europe, il aborde la composition invisible…). Adam sait élaborer des est un grand professeur de piano grâce à Eugène Scribe qui lui confie formules qui marchent et saisir l’air au Conser vatoire, promoteur le livret de L’Oncle d’Amérique, créé du temps. Mais il sera accusé de de Bach, de Mozart et même en 1826 au Gymnase. complaisance et de facilité, entrant de son contemporain Beethoven. inexorablement dans la catégorie Adam est lancé : il consacre les dix- des artistes qu’on dirait aujourd’hui L’enfant dilettante et cancre, huit mois suivants à répondre à dix- commerciaux. comme son camarade Eugène Sue, sept commandes de partitions devient un adolescent passionné pour le Gymnase, le Vaudeville, Après un séjour fructueux à Londres qui entre au Conservatoire à 14 les Nouveautés… En 1829, il débute en 1832 (trois créations dans deux ans. Son professeur de composition, à l’Opéra Comique avec l’acte Pierre théâtres), Adam remporte un énorme le fameux Boieldieu, l’encourage et Catherine, sur un sujet sérieux succès à l’Opéra Comique avec à développer sa veine mélodique. (et russe). Joué en complément Le Chalet, sur un livret de Scribe Adolphe doit vite vivre de la musique : de programme avec La Fiancée d’après un sujet suisse de Goethe. 1836 organiste remplaçant, il donne d’Auber, il est désormais en vue. voit coup sur coup ses débuts à l’Opéra des leçons, joue des timbales dans Après le succès de Danilowa, perturbé avec le ballet La Fille du Danube, dansé l’orchestre du Gymnase. À 19 ans, il y est par la Révolution de Juillet 1830, il par Marie Taglioni, puis le triomphe nommé chef de chœur. Il y apprend donne son premier ballet, La Chatte à l’Opéra Comique du Postillon les métiers de la scène et y place ses blanche, aux Nouveautés. Souple et de Lonjumeau, que suivra celui premières chansons puisqu’on y joue rapide, il enchaîne dix titres lyriques du Brasseur de Preston. Berlioz, qui ne 27
Personnages et scènes principales du Postillon de Lonjumeau en 1836, illustrations de presse. l’aime guère, convient dans un éloge (1841) triomphe à l’Opéra : il est dansé l’affaire. Endetté, séparé de sa femme paradoxal que « le style de cette par Carlotta Grisi, sur un argument et responsable de leurs deux musique est admirablement adapté de Théophile Gautier d’après Heinrich enfants, Adam redouble d’activité aux goûts de la plupart des habitués Heine. Adam s’impose en rénovateur comme chroniqueur dans la presse de l’Opéra-Comique ». de la musique de danse, qu’il porte et prend la direction d’une classe à un niveau symphonique, et réorchestre de composition au Conservatoire. Ses succès parisiens rayonnent pour les réhabiliter des titres de Grétry, De 1847 date par ailleurs son tube, en Europe. À l’automne 1839, Adam Dalayrac, Monsigny. En 1844, après le cantique de Noël Minuit, chrétiens part à Saint-Pétersbourg, invité le succès du Roi d’Yvetot à l’Opéra sur un texte de Placide Cappeau. par le tsar Nicolas 1er. Il y remonte Comique et le semi-échec de son opéra De nouvelles créations se succèdent Le Brasseur et La Fille du Danube, et y Richard en Palestine, il est nommé à parmi lesquelles Le Toréador (1849) crée un ballet original, L’Écumeur des l’Académie des Beaux-Arts au fauteuil à l’Opéra Comique, Si j’étais roi mers. Mais les honneurs ne compensent de Berton (et Berlioz lui succèdera). (1852) au Théâtre Lyrique et le ballet pas les rigueurs de l’hiver russe, et Le Corsaire (1856) à l’Opéra. Entretemps Adam décline le prestigieux poste Après de nouvelles créations, Adam s’est remarié mais a la douleur de maître de chapelle qu’avait dont le ballet Le Diable à quatre, de perdre son fils de 20 ans. occupé Boieldieu. Au retour, il passe Adam se fâche avec le directeur le printemps 1840 à Berlin, à l’invitation de l’Opéra Comique. Il décide alors Le 3 mai 1856, à 53 ans, Adam meurt du roi de Prusse. Il y crée un opéra- d’ouvrir un nouveau théâtre lyrique, dans son sommeil, probablement ballet, Les Hamadryades, et dirige des dédié aux jeunes compositeurs, d e su r m e n a ge. Il e st e nte r r é reprises lyriques et chorégraphiques, et inaugure l’Opéra-National en au cimetière de Montmartre. à nouveau avec succès. 1847 sur le boulevard du Temple. De retour à Paris, son ballet Giselle La Révolution de 1848 fait péricliter 28
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Zoé Prévost et Jean- Baptiste Chollet en Madeleine et Chapelou, à l'acte I du Postillon de Lonjumeau, par Gustave Janet, 1836 30
« AVOIR MILLE LIVRES DANS SON GOSIER », DE LOUIS XV À LOUIS-PHILIPPE Par Sabine Teulon Lardic « Tu as mille livres dans ton gosier. scène, du gospel au rap, de la variété DIX ANS APRÈS : LES ITINÉRAIRES Tu ne sais pas chanter… mais tu as une a u x Vi c t o i re s d e l a m u s i q u e D’UN COUPLE, DU VILLAGE voix timbrée, flexible, admirable… tu me où l’accomplissement par la célébrité AU SALON NOBLE parais avoir de l’intelligence… je ferai médiatique nourrit tout happy ending. de toi un artiste distingué, et dans six La seconde thématique de l’œuvre Le scénario du Postillon est sans mois, tu débuteras au Grand Opéra. d’Adam, en filigrane, aborde la (fausse) doute aussi efficace qu’une comédie […] Et tu gagneras dix mille francs par bigamie sur fond d’adultère. Là encore, de Feydeau ou qu’un film de Cukor an. » déclare l’intendant de l’Académie les mouvements féministes pourraient (La Femme aux deux visages, 1947). royale de Musique à Chapelou, actualiser le propos, en provoquant Lorsque les librettistes osent une ellipse au 1er acte du Postillon de Lonjumeau, des dénonciations certes plus radicales de dix ans entre la situation initiale, soit initialement intitulé Une voix. que celles de l’héroïne, cependant les noces de Madeleine et du postillon vengée, du Postillon. Culturelle autant Chapelou (acte I), et les deux actes La réplique du marquis-impresario que sociale, la dernière thématique suivants, c’est pour mieux jongler au postillon synthétise le thème de cet opéra-comique de 1836 joue avec les identités et l’hypocrisie balzacien de l’intrigue : l’ascension sur deux temporalités : celle des du régime matrimonial, que Balzac socio-économique et artistique coulisses du monde lyrique au siècle ne désavoue pas dans sa Physiologie d’un individu, depuis son milieu villageois des Lumières (fiction) se superpose du mariage (1829). En une décennie, jusqu’à l’Académie royale de Musique, à celle du temps d’Adam, soit la métamorphose du statut socio- sous Louis XV. Une situation qui peut la « fabrique » de l’opéra-comique sous culturel de chaque époux.se s’accomplit se décliner actuellement sur toute Louis-Philippe. en effet tant par le milieu – de la 31
Entre vous et malle-poste à Lonjumeau vers le salon dans son état antérieur (Une voix). noble parisien – que par l’habitus Aussi les couplets de Chapelou sèment- une femme au-dessus de chacun.e. Madeleine, aubergiste ils quelques sous-entendus grivois de vous par sa fortune abandonnée le jour des noces, s’est en évoquant le profil social du postillon, ou sa position sociale, muée en noble dame accomplie, grâce courant la malle-poste de village en les chatouillements à un héritage. L’ex-postillon Chapelou village : « Et le cœur de la plus sauvage demeure, lui, un séducteur invétéré / Voyageait en croupe avec lui / S’il de vanité sont dans sa métamorphose en Saint- versait parfois une belle / Ce n’était immenses et partagés. Phar, haute-contre de l’Académie que sur le gazon » (Ronde du postillon). Un homme n’a royale de Musique au temps de jamais pu élever Rameau. Les costumes de la création Mué en haute-contre (tessiture de ténor), traduisent avec luxe cette mutation, le chanteur populaire délaisse une part sa maîtresse jusqu’à lui, à l’instar des bals costumés de l’Opéra de sa virilité et endosse la préciosité mais une femme place Comique et de l’Opéra, événements que sous-tend son nouvel état. toujours son amant incontournables de la vie mondaine Celle-ci irrigue l’air emblématique aussi haut qu’elle. sous la Monarchie de Juillet. Le bonnet d’une tragédie lyrique de son de tulle de la jeune aubergiste cède répertoire (« Assis au pied d’un hêtre ») Balzac, Physiologie la place au satin poudré de Madame et questionne peut-être le genre du mariage, 1829 de Latour, désormais apte à manifester masculin au sein de cet univers un goût policé pour la tragédie lyrique, de convention… Cependant, l’ascension au point de ne pas être reconnue par de ce Rastignac des planches est son ancien époux... tracée sans faux-semblants dans sa confession intime, à l’aube du second Cependant, le règne de Louis XV mariage (air « À la noblesse je m’allie », ressemble parfois à celui de la France acte II). Au prisme de ces itinéraires, orléaniste de 1836. De comiques indices la bourgeoisie louis-philipparde peut entre passé et contemporanéité sont sans peine s’identifier, elle qui fait habilement semés dans les dialogues, alliance avec la noblesse dans les mêmes sous la plume des librettistes, perspectives d’enrichissement. vaudevillistes rompus aux ficelles du Palais Royal. C’est d’ailleurs Le troisième acte fait néanmoins ce théâtre qui avait reçu leur comédie converger les trajectoires des époux, 32
faussement adultères, par une résolution plus astucieuse (et plus féministe) que celle d’un conte de Cendrillon. Grâce au dédoublement de Madeleine dans la pénombre de la chambre nuptiale, l’épouse rusée tient à la fois sa reconquête et sa vengeance. Elle joue sur du velours face à l’époux mystifié, adoptant tantôt sa voix et son langage d’aubergiste, tantôt ceux de la noble épousée, outrée des révélations de bigamie. Faire tomber les masques – sans tweet ni hashtag – révèle son audace féminine, lorsque la dénonciation du donjuanisme est à contre- courant des mentalités bourgeoises. Adam surferait-il sur cette guerre des sexes, lorsqu’il confie l’anecdote suivante ? Le couple des interprètes de l’opéra (Jean-Baptiste Chollet et Zoé Prévost), en instance de rupture, aurait accompli une sorte de thérapie amoureuse… au fil des représentations ! CLINS D’OEIL AUX COULISSES son univers artificiel, et, ce faisant, DE L’OPÉRA renouent avec l’esprit satirique de Tandis que le postillon imagine déjà son destin de chanteur à l'Opéra, l’opéra-comique qui, depuis les Foires, l'intendant des Menus Plaisir refuse Tournant le dos au réalisme villageois, parodiait l’institution rivale. Adam d'auditionner le forgeron. la mise en abyme de l’Académie royale reviendra d’ailleurs au XVIIIe siècle, de Musique monopolise le deuxième celui de la Comédie-Italienne, dans acte. Les auteurs campent avec humour la brillante écriture du Toréador (1849). 33
Le Postillon, par Ernest Meissonier, 1889 engendre la satire caractéristiques du « grand opéra » qui de l’archétypale se trouve en ligne de mire : la création pastorale ou des Huguenots de Meyerbeer cette tragédie lyriques : même année n’y est sans doute pas « Le berger près étrangère… de sa bergère / En vain souffle Quand la caricature charge le snobisme dans son pipeau. / de la haute-contre, le comique vise Pour fléchir le cruel l’arrogance capricieuse des vedettes, Cerbère / Hier sans refuser le cabotinage ou l’auto- Orphée a chanté dérision. Cet aspect est certes invariant faux./ Le fleuve à toute époque. Mais la décennie Dans Le Postillon, l’astuce de la mise auprès de sa fontaine / N’a qu’un petit enregistre une attention particulière en abyme consiste à sonder filet de voix ». Adam ne nommait-il pas pour le statut de l’interprète, tant les pratiques depuis les coulisses. ces attributs « l’appareil mythologique chez les dramaturges et romanciers Invités à se produire dans le salon de rigueur » (Souvenirs d’un musicien), que chez les publics, informés par de Madame de Latour, les artistes près d’un siècle après les polémiques la presse spécialisée naissante. dévoilent l’envers du décor. Tandis de Diderot et de Rousseau sous le feu Au Théâtre des Variétés, Kean que les choristes se lamentent de la Querelle des Bouffons ? Dans d’A. Dumas (31 août 1836) campe fortissimo sur leur rythme de travail – l’air suivant, le choriste plébéien les itinéraires marginaux du célèbre « Ah quel tourment ! Ah quel affreux Alcindor, ex-compère maréchal-ferrant acteur britannique, avant que martyre ! / Chanter toujours / Chanter (Biju), moque autant les conventions Consuelo de G. Sand (1842) n’explore à chaque instant / non, non, jamais poético-musicales dont la tragédie les coulisses des théâtres vénitiens nous n’y pourrons suffire ! » (Chœur est saturée – « Si je représente Zéphir au XVIIIe siècle, via l’ascension d’une n° 6) – la célèbre haute-contre Saint- / Ma voix vole légèrement » (air n° 7, chanteuse du peuple. Le critique Adam Phar (alias Chapelou) organise leur avec gammes vocalisées) – que les brossera lui-même un désopilant rébellion : « La révolte est complète, stéréotypes du chœur de combat – « Début en province » (Souvenirs tout marche au gré de mes désirs ». « Marchons, frappons, combattons d’un musicien), qui couvre celui de Cette « grève des intermittents », que la / Combattons, rions, chantons, l’interprète de son Postillon (Chollet)… vedette manigance par opportunisme, buvons ». Ici, c’est davantage une des surnommé Longino. 34
FEUILLETAGE D’ÉPOQUES subtilités du dialogue. Le simulacre d’une de Castor et Pollux, tragédie qu’il ET IMBROGLIO DE STYLES conversation mondaine, rapportée qualifie de « véritable chef-d’œuvre ». par l’intendant de l’Académie royale La création du Postillon s’accomplit à l’acte I – et que Michel Fau place Toutefois, le feuilletage d’époques sous le règne de Louis-Philippe, qui en ouverture de spectacle –, en livre n’est pas seulement celui de la fiction. marque le retour des d’Orléans après le mode anecdotique. Le succès ininterrompu du Postillon le mouvement révolutionnaire de 1830. le met ensuite en porte-à-faux avec Adam est ouvertement légitimiste. Pour les spectateurs, un pan du théâtre les révolutions industrielles. L’intrigue Dès lors, faut-il relever l’ambiguïté des des Lumières est plaisamment se trouve confrontée à l’abandon auteurs à camper l’univers de la tragédie déroulé. Pierre Jélyotte, haute-contre progressif des malles-postes au profit lyrique (Ancien Régime), tout en renommée, découvert dans sa province du chemin de fer. Lors de sa reprise réactualisant les codes parodiques des toulousaine, incarna à Paris les grands au Théâtre-Lyrique en 1852, le scénario rivaux, soit l’opéra-comique des Foires ? rôles d’opéras de Rameau, dont celui déjà rétro suscite le diagnostic caustique Certes, le genre offre toujours asile à de Castor et Pollux aux reprises et futuriste d’H. Berlioz : l’histoire lyrique (Lully et Quinault, 1812) de 1763. On devine sans peine la patte ou à la mélomanie (Les Voitures versées, d’Adam, recruteur de chanteurs dans « Quand viendra le règne de la puissance 1820), mais il tend désormais à fuir l’Hexagone à ses heures, notamment électrique, le nom de ces joyeux la critique sociale pour se délecter de la en compagnie du directeur de l’Opéra conducteurs de chevaux sera devenu couleur locale au temps d’Auber. Dans Le Comique en 1834. Si l’œuvre scénique un vieux mot de la langue française Postillon, la couleur temporelle du règne de Rameau est entrée en sommeil en dont la signification échappera de Louis XV, identifié comme celui du ces décennies romantiques, Adam est totalement à l’intelligence de la plupart libertinage (Le Chandelier de Musset), l’unique compositeur à réorchestrer des voyageurs. Et quand, en passant au- se loge non seulement dans les décors pour le concert (la Société des Concerts dessus de Lonjumeau, le ballon poste de et costumes, mais aussi dans certaines du Conservatoire) la scène des enfers Paris contiendra quelque lettré savant, Jadis le coupé était accessible à l'air, ouvert à tous les points de vue, c'était un belvédère... Le postillon-écuyer donnait de la vie à la locomotion. Les écarts du cheval, les causeries, les lazzis, les jurons égayaient l’étape. Maurice Alhoy, Physiologie du voyageur, 1841 35
Un jour viendra où l'on il s'écriera, en considérant ce village avec Mais il s’avère suffisamment savant pour s'apercevra qu'Adam sa longue-vue : Voilà le pays du postillon pasticher la tragédie lyrique chez la noble qu’un ancien compositeur a rendu mécène de l’Académie royale (2e acte) ou était un artiste fameux. […] Ses aventures fournirent le pour élaborer un chœur en fugato lors étonnamment doué, sujet d’une de ces pièces de théâtre où du départ de Lonjumeau (« Mais quel d'une force de production l’on parlait et chantait successivement, et bruit », 1er acte). Est-il assez malin pour exceptionnelle, qu’on désignait alors sous le nom d’opéras- concéder des roulades au belcanto dans comiques. La musique de cet ouvrage fut l’air brillantissime de l’épouse victime (« Je d'une puissance écrite par un compositeur à la verve facile, vais donc le revoir » , 2e acte) ? Si tout cela d'imagination presque célèbre en France sous le nom de Dam résonne « à la manière de », la combinaison inépuisable, et ou d’Edam (quelques historiographes est savoureuse et subtilement dosée, sans qu'il faudra, en dépit le nomment Adam) et qui fut, cela est doute davantage que la désacralisation certain, membre de l’Institut. » (Journal du mythe d’Orphée aux enfers, deux des dédaigneux, des débats, 10 novembre 1852). décennies plus tard. classer au nombre de nos musiciens En dépit des coups de patte de Berlioz – Enfin, les jeux sur la voix entrelacent les plus originaux, qui succèdera sans broncher au fauteuil adroitement les modes d’énonciation d’académicien de Dam – l’éclectisme et peuvent justifier l’intérêt de l’opéra, les plus vraiment Français du style musical semble néanmoins une exporté en traduction de Berlin à Saint- et les plus accomplis. réussite. N’oublions pas qu’Adolphe est le Pétersbourg, de Stockholm à New York Arthur Pougin, Adolphe Adam, fils du piano-fortiste Jean-Louis Adam, lui- dès la décennie 1840-1850, et suscitant sa vie, sa carrière, ses mémoires, 1877 même proche de Gluck à Paris à la fin des tant des réécritures ultramontaines Lumières. Le comique de situation trouve (Il Postiglione) que de zarzuela (El Postillon donc une connivence complice dans de la Rioja). La voix chantée remplit l’écriture qui joue sans complexe sur trois effectivement à elle seule les promesses claviers. Adam maîtrise suffisamment la d’une soirée lyrique, notamment les muse populaire pour truffer la légendaire deux airs du ténor Chapelou, aux « Ronde du postillon » (1er acte) de motifs contre-ré vertigineux en voix de tête. chansonniers sur fond de sifflements Nous avons vu comment le glissement (ceux du fouet dans l’orchestre), ou encore des styles vocaux devient vis comica pour déconstruire le syllabisme du trio de la dramaturgie, tant les stéréotypes de « Pendu » (3e acte), bien avant Offenbach. la chanson (Ronde du Postillon, également 36
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