Le potentiel en hydrocarbures de la structure géologique Old Harry ...ou quand le ballon se dégonfle
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Le potentiel en hydrocarbures de la structure géologique Old Harry ...ou quand le ballon se dégonfle Recherche : Sylvain Archambault Coalition Saint-Laurent 8 mai 2015 On assiste, depuis une quinzaine d’années, à une véritable surenchère lorsqu’il est question du potentiel pétrolier de la structure géologique Old Harry. Alors qu’en 2000, la compagnie Corridor Resources en évaluait le potentiel à 1,5 milliards de barils de pétrole, certains médias n’hésitent pas aujourd’hui à avancer le chiffre de 10 milliards de barils pour l’ensemble de la structure géologique, et tout ça en l’absence même de tout nouveau travail d’exploration. Cette valse des milliards a comme effet néfaste d’attiser le rêve et la convoitise pour cette ressource toujours hypothétique. Comment, en effet, garder la tête froide lorsqu’on parle de milliards de barils et de dizaines de milliards de dollars ? Une analyse du potentiel en hydrocarbures du golfe du Saint-Laurent réalisée récemment par deux chercheurs de l’INRS1 vient toutefois jeter un pavée dans la mare. Commandée par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles dans le cadre de l’évaluation environnementale stratégique (ÉES) globale sur les hydrocarbures, cette étude révèle que le potentiel de l’ensemble de la partie sud du golfe du Saint-Laurent au Québec (fig. 1), incluant le prospect Old Harry, ne serait que d’environ 98,8 millions de barils ! Dans les lignes qui suivent, nous relaterons les étapes de cette bulle pétrolière alors que le potentiel estimé de Old Harry gonflait sans retenue, jusqu’à atteindre récemment 10 milliards de barils, soit cinq fois plus que le gisement Hibernia. Le rapport de l’INRS, en crevant cette bulle avec un potentiel estimé 100 fois moindre, apporte un peu de réalisme dans le débat. L’intérêt commercial de Old Harry fond rapidement à la lumière de ces évaluations de l’INRS. À $60 le baril, ces 98,8 millions de barils rapporteraient un montant brut de 6 milliards de dollars. Or, les infrastructures nécessaires à l’exploitation en mer sont extrêmement coûteuses. À Terre-Neuve, la plateforme Hibernia a coûté plus de 5 milliards de dollars en 1990 tandis qu’on estime que le coût final de la plateforme Hebron, présentement en construction, dépassera les 13 milliards de dollars. Avec ces données sur le potentiel de Old Harry, explorer devient un non-sens économique. 1Séjourné, S. et M. Malo. 2015. Géologie et potentiel en hydrocarbures des bassins sédimentaires du sud du Québec. Rapport soumis au MERN. Institut national de la recherche scientifique, rapport de recherche R1552. 147 p. http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/documents/Chantier-economie-synthese-geologique.pdf
2 2000 Corridor Resources 1,5 à 2 milliards de barils Dans son rapport financier pour l’année 2000, la compagnie Corridor Resources affirme : « Recoverable reserves potential is estimated to be in the order of 1.5 to 2 billion barrels » http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-2000.pdf 2006 Ministère des Ressources naturelles 2 milliards de barils Dans une présentation du ministère intitulée Perspectives et concepts d'exploration en hydrocarbures au Québec : Un horizon de découvertes, on peut lire (diapo 100) : « Structure de Old Harry – potentiel de 2 milliards de barils de pétrole » https://www.mrn.gouv.qc.ca/publications/energie/petrole-gaz/perspective_concept_exploration.pdf 2009 Commission géologique du Canada 1,5 milliard de barils Dans un rapport intitulé Petroleum Resource Assessment, Paleozoic Successions of the St. Lawrence Platform and Appalachians of Eastern Canada, Lavoie et coll. évaluent le potentiel pétrolier de divers ensembles géologiques de l’Est du Canada à partir de données de forages. Ils estiment que pour l’ensemble du bassin de Madeleine (fig. 1), incluant Old Harry, il serait d’environ 1,5 milliard de barils. http://bit.ly/1JbMdLS 2012 (23 janvier) Jennings Capital jusqu’à 2 milliards de barils Dans un rapport sur Corridor Resources, la firme de recherche financière Jennings Capital écrivait en janvier 2012 : « If successful, it has the potential to contain up to 2 billion barrels of oil. » https://dl.dropboxusercontent.com/u/19046799/Jennings%20Capital%20analysis%20%282012-01-23%29.pdf 2012 (7 mai) Corridor Resources plusieurs milliards de barils Dans une entrevue à Ocean-Resources, Philip Knoll, Pdg de Corridor Resources, affirme : « You are talking about the potential of multi-trillion cubic feet gas reserves or multi-billion barrel oil reserves in the Old Harry structure. » http://ocean-resources.com/industry-news.asp?newsid=11585 2012 Macquarie Tristone + Corridor Resources 5 milliards de barils Corridor Resources a fait appel à la firme Macquarie Tristone pour l’aider à trouver des investisseurs pour le projet Old Harry. Dans un document produit en 2012 par Macquarie Tristone et Corridor Resources, on peut lire : « The structure has the potential to contain 5 billion barrels of oil » https://www.macquarie.com/mgl/com/macquarietristone/mandates/corridor
3 2012 Institut économique de Montréal (IEDM) 6 milliards de barils Dans un texte intitulé Les avantages du développement des hydrocarbures au Québec, M. Germain Belzile (IEDM) affirmait : « À Old Harry, entre le Québec et Terre-Neuve, on en trouverait 6 milliards [de barils] » http://www.iedm.org/files/note0412_fr.pdf 2013 MRN, selon revue L’Actualité 10 milliards de barils En mars 2013, dans un article intitulé Le pétrole en 22 questions, les journalistes Jean-Benoît Nadeau et Pierre Duhamel écrivent : « Selon le ministère des Ressources naturelles, la portion québécoise du gisement Old Harry, dans le golfe du Saint-Laurent [pourrait renfermer], 7 milliards de barils » Note : la structure Old Harry se trouve à 70 % au Québec et à 30 % à Terre-Neuve. Par conséquent, 7 milliards de barils dans la portion québécoise équivalent à 10 milliards de barils pour l’ensemble de la structure géologique. Note : l’article ne donne pas de détails sur la source, au ministère, de cette évaluation de potentiel. http://www.lactualite.com/sante-et-science/environnement/le-petrole-en-22-questions/ 2015 Journal de Montréal 10 milliards de barils Dans une infographie publiée le 1er mars 2015 sous le titre Le Québec rêve du pétrole, on peut lire « 7 milliards de barils dans la portion québécoise du gisement Old Harry, dans le golfe du Saint- Laurent » Note : la structure Old Harry se trouve à 70 % au Québec et à 30 % à Terre-Neuve. Par conséquent, 7 milliards de barils dans la portion québécoise équivalent à 10 milliards de barils pour l’ensemble de la structure géologique. bit.ly/1aUCQoc 2015 Séjourné et Malo (2015), INRS 98,8 millions de barils Les auteurs, chercheurs à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), réévaluent le potentiel pétrolier du golfe du Saint-Laurent (bassin d’Anticosti et bassin de Madeleine, voir fig.1) à partir de travaux géologiques, en particulier les travaux de Lavoie et coll. (2009) de la Commission géologique du Canada. Pour la totalité du bassin de Madeleine en territoire québécois, ils évaluent le potentiel à 32,9 millions de barils pour le Carbonifère inférieur et 65,9 millions de baril pour le Carbonifère supérieur, soit 98,8 millions de barils au total. Devant les énormes différences entre leurs propres estimés (98,8 millions de barils) et ceux de Corridor Resources (5 milliards de barils), les auteurs apportent quelques commentaires critiques : « Il convient également de souligner que les auteurs du présent rapport n’ont pu retracer la source de cet estimé [celui de Corridor Resources], et que certains éléments de l’estimé contredisent les modèles établis pour le bassin de Madeleine. » (p. 119) « Ainsi dans le cas du prospect Old Harry (...) les volumes d’hydrocarbures en place qui sont proposés
4 sont hautement spéculatifs. » « (...) la possibilité que d’importants volumes de pétrole soient présents ne s’accorde pas avec les modèles régionaux établis pour le bassin de Madeleine. » « (...) l’écart important noté avec l’estimation disponible du volume de pétrole en place pour le prospect Old Harry indique que la plus grande prudence doit être utilisée dans la considération du potentiel de cette structure, sans que cela doive pour autant en diminuer l’intérêt. » http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/documents/Chantier-economie-synthese-geologique.pdf Figure 1. Géologie du golfe du Saint-Laurent Bassin d’Anticosti Bassin de Madeleine
5 Le faible intérêt des compagnies pétrolières pour le golfe du Saint-Laurent Quelques éléments de réflexion 1. Aucun partenaire financier majeur pour Corridor Resources Depuis 1997, Corridor Resources recherche activement un partenaire financier majeur pour l’aider dans son projet de forage à Old Harry. Année après année, les rapports financiers font état d’efforts afin de trouver un partenaire financier majeur qui fournirait le capital nécessaire pour forer Old Harry. De plus, depuis 2011, Corridor a mandaté la firme Macquarie Tristone afin de l’aider à trouver un tel partenaire. Toutes ces démarches se sont avérés vaines. 1997 : « The company plans to attract a major international company to carry out exploration drilling in these offshore permits in 1999. » Rapport financier 1997, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-1997.pdf 1998 : « Corridor plans to assemble a consortium of oil companies to participate in the drilling of the Old Harry prospect, pending timely government approvals » Rapport financier 1998, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-1998.pdf 1999 : « This winter Corridor intends to be actively recruiting partners to drill Old Harry during the summer1/Fall 2000. » Rapport financier 1999, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-1999.pdf 2000 : « Corridor is reopening farmout discussions with a number of major oil companies that have expressed an interest in participating in drilling the Old Harry structure. » Rapport financier 2000, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-2000.pdf 2001 : « Corridor is reopening farmout discussions with a number of major oil companies that have expressed an interest in participating in drilling the Old Harry structure. » Rapport financier 2001, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-2001.pdf 2002 : « Corridor is continuing farmout discussions with a number of major companies that have expressed an interest in participating in drilling the Old Harry structure. » Rapport financier 2002, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-2002.pdf (...) 2010 : « During 2011, Corridor will focus on the procurement of a suitable offshore dilling rig and completing an arrangement with a strategic partner for the drilling of the exploration well. »
6 Rapport financier 2010, Corridor Resources http://www.corridor.ca/downloads/investors/annual-report-2010.pdf 2014 : « At that time, Corridor believed that the extension would provide it with sufficient time to gain the regulatory permits to drill, (...) provided Corridor obtained a joint venture partner to participate in this exploration well. » Rapport financier 2014, Corridor Resources http://www.corridor.ca/investors/documents/Coridor-_2014AIF_Final.pdf 2. Aucun soumissionnaire lors du dernier appel d’offres dans le golfe. Le 16 mai 2013, le C-NLOPB (Canada – Newfoundland and Labrador Offshore Petroleum Board) lançait un appel d’offres pour 4 territoires dans le golfe du Saint-Laurent totalisant 1 004 482 ha (10 045 km2), l’un de ces territoires étant immédiatement voisin de la license EL 1105 de Corridor Resources sur Old Harry. Le 14 novembre 2014, les résultats ont été dévoilés et aucun des quatre permis disponibles dans le golfe du Saint-Laurent n’a trouvé preneur auprès d’une compagnie pétrolière. http://www.cnlopb.ca/news/nr20141114.php 3. Prix payés par l’industrie pour des permis d’exploration Les prix payés par les compagnies pétrolières pour acquérir un permis d’exploration sont généralement le reflet du potentiel pétrolier reconnu d’un territoire donné. Corridor Resources a acquis son permis d’exploration EL 1105 sur Old Harry en 2008 au coût de $1,5 millions. D’autres permis, du côté terreneuvien du golfe, ont été acquis pour des sommes aussi faibles que $500 000. Il est à noter que seules des compagnies juniors ont acquis des permis d’exploration dans la partie terreneuvienne du golfe. En contrepartie, l’industrie pétrolière est prête à payer des sommes énormes pour des permis d’exploration dans l’Atlantique (Grands Bancs). Parmi les prix payés récemment pour des permis d’exploration dans l’Atlantique notons : consortium Exxon, Conoco, Suncor ($559 millions), consortium Chevron, Statoil, Repsol ($202 millions). 4. Dépenses pour des travaux d’exploration Il est intéressant de comparer les montants totaux dépensés par les compagnies pétrolières pour des travaux d’exploration (levés sismiques, forages, etc.) dans les divers secteurs marins de Terre-Neuve. Selon les données fournies par le C-NLOPB 2, les dépenses totales d’exploration pour la période 1960-2012 ont été de $5 742 000 000 (5,7 milliards !) pour les Grands Bancs, $557 000 000 pour la côte du Labrador, et ... seulement $103 millions pour le golfe du Saint-Laurent. 2 http://www.cnlopb.ca/pdfs/historical_offshore_exp.pdf
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