Le syndrome de fatigue chronique : une nouvelle maladie ? - Dr Jean-Marie BRISSEAU
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Le syndrome de fatigue chronique : une nouvelle maladie ? Dr Jean- Marie BRISSEAU Praticien Hospitalier Consultant en Médecine Interne CHU de Nantes
NOSOLOGIE • La fatigue est un phénomène physiologique aussi bien sur le plan physique que psychologique ; et qui est dans la majorité des cas un symptôme transitoire, bénin et dû à des circonstances évidentes. • Ce qui est anormal, c’est l’asthénie = sensation désagréable d’épuisement, avec anticipation que toute activité demandera un repos ; elle n’est pas améliorée par le repos • La fatigabilité = apparition anormalement précoce de la sensation de fatigue au cours de l’effort ! si elle s’exprime dans le domaine musculaire : elle doit faire rechercher une affection neuromusculaire • La fatigue chronique : lorsque la fatigue se prolonge au-delà de 6 mois : on peut distinguer : la fatigue chronique inexpliquée ou idiopathique le syndrome de fatigue chronique ( SFC ) = fatigue invalidante (c’est-à-dire s’accompagnant d’un retentissement sévère sur la vie quotidienne ) et inexpliquée , que le repos ne gomme pas , avec fatigabilité, souvent réfractaire et associée à d’autres symptômes . Il entraine une altération importante de la qualité de vie avec des conséquences psychosociales majeures . Ce syndrome concernerait environ un tiers des patients avec fatigue chronique . Le SFC est reconnu par l’OMS et figure dans la CIM ( code G93.3)
EPIDEMIOLOGIE • En soins primaires ou secondaires , la plainte de fatigue ou d’asthénie est exprimée par 10 à 40 % des patients • La fréquence du SFC est diversement appréciée , avec une prévalence entre 0,2 et 2,6% dans les pays anglo-saxons • Le rapport femmes/hommes est de 4/1, avec une prédominance chez l’adulte jeune ( 20-40 ans ); facteurs génétiques ? • Indépendamment des niveaux socio-économiques • Le SFC est reconnu par les autorités sanitaires américaines comme problème majeur de santé publique
EVOLUTION DES CONCEPTS • de la neurasthénie • du syndrome du virus d’Epstein-Barr chronique • du syndrome des yuppies ( ou syndrome de fatigue chronique post-viral ) • du syndrome de fatigue chronique de dysfonction immunitaire • aux 8 tentatives de définitions de janvier 1988 à septembre 2014 critères de Fukuda et du CDC critères de l’encéphalomyélite myalgique ( EM ) Haney et al. Ann Intern Med 2015;162:834-40
Vers une nouvelle dénomination ? • Suite au rapport de l’Institute of Medicine américain => US task force => Revisiting • Après une analyse exhaustive et critique de la littérature avec audition de diverses parties prenantes • Changement de dénomination pour éviter stigmatisation et banalisation de « fatigue chronique » ; répondre au désarroi des malades et au désarroi des médecins ; se former car c’est une maladie sévère • L’objectif est aussi d’offrir un cadre diagnostique simple pour proposer une prise en charge adéquate et favoriser les recherches fondamentales et thérapeutiques . Un nouveau code doit être créé dans la CIM 10 distinct de « fatigue chronique » et « neurasthénie » Systemic Exercice Intolerance Disease (SEID) « Maladie ou Syndrome d’Intolérance Systémique à L’Effort » ( MISE ou SISE )
(physique,cognitif,émotionnel) ( 1 ) (incapacité d’exercer de façon soutenue une activité en position verticale) ( 1 ) avec aggravation de la fatigue , des malaises, de la douleur et des difficultés cognitives durant plusieurs jours voire plusieurs semaines
Critères diagnostiques SEID (CFS/ME) Autres manifestations possibles • Douleurs ( variables en fréquence , nature et intensité ) • Infections déclenchantes • Troubles gastro-intestinaux ou génito-urinaires • Mal de gorge ou gorge irritée • Adénopathies : cervicales/axillaires sensibles ou douloureuses • Sensibilité aux stimulis externes NB : Ces symptômes n’excluent pas le diagnostic mais ne rentrent pas dans les critères diagnostiques • D’autre part , le comité de l’IOM est hostile à la définition de comorbidités associées au SEID/SFC et laisse le clinicien libre de prendre en considération , dans certaines conditions , la liste de comorbidités établie dans le consensus EM
L’identification d’une nouvelle maladie à la place d’un syndrome est contestable • La plupart des études sont descriptives , testant des patients très sélectionnés et ont enrôlés des sujets en bonne santé ou non fatigués comme contrôle • Elles ne répondent donc pas à la question clinique essentielle si ces critères permettent de distinguer le SFC des autres pathologies asthéniantes • Aucune étude n’a sélectionné des patients spécifiques avec causes identifiées ; ni pour caractériser une population de patients homogènes • Absence de validation actuelle , manque de sensibilité et de spécificité de ces critères ; leur diversité empêchant de se faire une idée cohérente de l’épidémiologie du syndrome • Peut-être que la nouvelle entité SEID/MISE-SISE à l’instar de l’EM ,identifie un sous-groupe de SFC plus sévère au sein de la fatigue chronique inexpliquée au sens large.
La Fatigue Chronique et le Syndrome de Fatigue Chronique appartiennent aux Syndromes Somatiques Fonctionnels Syndromes Somatiques Fonctionnels Caractéristiques générales . Ensemble de symptômes médicalement inexpliqués . Similitudes : chevauchement / association /physiopathologie . Pas d’explication physiopathologique univoque
Syndromes somatiques fonctionnels Caractéristiques psychopathologiques • Comorbidités psychologiques: Détresse , catastrophisme Psychiatrie ( non systématique) : anxiété, dépression… • Facteurs sociaux : Terrain : ex. : hyperactivité compulsive et fibromyalgie Evénements de la vie : traumatismes, souffrances….
La Fatigue Chronique et le Syndrome de Fatigue Chronique appartiennent aux Syndromes Somatiques Fonctionnels Rabhi M et al. Les syndromes somatiques fonctionnels .Mise au point . Rev Med Intern 2010;31:17-22
Physiopathologie du Syndrome de Fatigue Chronique Dysrégulation multisystémique Predisposing Factors Triggers . Acute and chronic infections . Environnemental toxins . Major physical /emotional trauma Muscle symptoms Immune response Immune symptoms Pathological fatigue Sore throat Post-exertional fatigue Tender nodes Pain : muscles and joints Brain New sensitivites to Spinal cord medications Nerves food Hormones chemicals Flu symptoms Central nervous system symptoms Post-exertional fatigue/malaise Neuroendocrine symptoms Autonomic symptoms Memory/concentration difficulties Heat/cold intolerance Orthostatic intolerance Pain Headaches Marked weight gain/loss Vertigo,palpitations Sleep dysfonction Reduced stress tolerance Irritable bowel syndroms Depression/anxiety Bladder dysfonction
Etiopathogénie du SFC Modèle bio-psychosocial Facteurs prédisposants Facteurs d’entretien -sexe féminin -psychocomportementaux (traits de -type de personnalité personnalité,anxiété/dépression,repos -mode de vie (hyperactivité) prolongé,inactivité,fluctuations brutales du -apprentissage intrafamilial des conduites de maladies Facteurs précipitants FATIGUE niveau d’activité) SFC -troubles du sommeil -traumatismes et événements de vie de -représentation que se fait le patient vie -surmédicalisation -comorbidités psychiatriques -entourage non aidant -bénéfices secondaires
Un sujet fertile de publications 4799 items à la requête « fatigue syndrome,chronic » sur PubMed au 27/11/2016 dont 47 en 2016
INFECTIONS ANOMALIES IMMUNITAIRES
INTOLERANCES et ALLERGIES - sensibilité au gluten non coeliaque souvent retrouvée - réactivité anormale lymphocytaire T à des antigènes microbiens - rôle potentiel du microbiote intestinal TROUBLES ENDOCRINIENS/METABOLIQUES - dysfonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien - -
ANOMALIES CARDIOVASCULAIRES - -POTS ( Postural Orthostatic Tachycardia Syndrome ) défini par une accélération du rythme cardiaque > 30 ou RC > 120 après 10 ‘ d’orthostatisme : serait observé jusqu’à 27 % des patients SFC et aurait une physiopathologie auto-immune … TROUBLES NEUROLOGIQUES - le dysfonctionnement cognitif est une composante majeure du SFC :problème de concentration/attention,difficultés à trouver ses mots,troubles de la mémoire ,moindre vitesse de traitement de l’information,ralentissement moteur et épuisement mental - les mécanismes sont mal compris : leur étude repose principalement sur la neuroimagerie morphologique et fonctionnelle (IRM,SPECT,TEP) sachant que l’imagerie standard est normale DYSFONCTION MUSCULAIRE - dysfonction mitochondriale et défaut de performance bioénergétique
En pratique « il parait hautement improbable , après 30 ans de multiples recherches infructueuses, que le SFC s’avère correspondre , autrement que dans une proportion limitée de cas et comme un facteur causal non exclusif à une pathologie infectieuse , métabolique , immunologique ou neurologique spécifique » Cathébras P . Qu’y a-t-il dans un nom ? A propos des anciens et nouveaux noms de la fatigue chronique. Rev Med Interne 2016 ; 37 : 791-795
UN DIAGNOSTIC D’ EXCLUSION +++ Principaux diagnostics d’exclusion du SFC et examens d’orientation
Examens complémentaires face à une asthénie apparemment isolée
Problèmes des manifestations chroniques fonctionnelles attribuées à la maladie de Lyme Les tests Elisa utilisés en première intention permettent de détecter plus de 90 % des patients au cours des formes tardives de la maladie Les tests Western blot permettent d’éliminer les faux positifs du test Elisa ;en cas de test Elisa négatif : la réalisation d’un test Western blot n’est pas recommandée; Les espèces de Borrelia qui ne seraient pas détectées par ces tests sont très minoritaires Une sérologie positive ne doit pas être considérée comme une preuve que la maladie de Lyme est obligatoirement encore active…et que tous les symptômes présentés par le patient soient liés à celle-ci Tout au plus peut-on concevoir qu’une fatigue post-infectieuse puisse être déclenchée par une maladie de LYME Position de la Société de pathologie infectieuse de langue française à propos de la maladie de Lyme .Editorial. Médecine et maladies infectieuses 2016 ; 46 : 343-345
TRAITEMENT • La prise en charge des patients atteints de SFC est difficile , en raison des moyens thérapeutiques limités et souvent de l’évolution longue : l’amélioration voire la guérison surviendrait dans la moitié des cas au bout de 3 à 5 ans . Cependant , il n’y a pas d’augmentation de la mortalité (exception possible : le suicide) • Il n’existe actuellement aucun traitement qui guérisse la fatigue en tant que telle . Quant aux vitamines et oligoéléments , leur effet correspond à celui d’un placebo ( à ne pas négliger ). Immunothérapies , antiviraux , hormones thyroidiennes, sexuelles , hydrocortisone , fludrocortisone, corticoides, IgG…:aucune preuve d’efficacité • Les antidépresseurs ne sont indiqués qu’en cas de syndrome anxieux ou dépressif associé et caractérisé: et à utiliser avec prudence en initiant le traitement à faibles doses . Eviter au mieux les benzodiazépines . • Prudence avec les approches « thérapeutiques modernes »
2 essais cliniques de phase II utilisant le Rituximab Mais aussi
TRAITEMENTS NON MEDICAMENTEUX +++ Chaque cas est particulier ; la prise en charge doit s’appuyer sur une évaluation précise du handicap physique et psychologique et du retentissement familial , social et professionnel L’accent doit être mis sur la qualité de la relation médecin-malade , avec un accompagnement régulier ,soutenant et empathique ( reconnaissance des symptômes du patient …) Réassurance : dans la FC , la découverte tardive de maladies organiques expliquant les symptômes est rarissime mais ne pas se limiter à dire « il n’y a rien de grave. » Sortir de l’irréductible dualisme cartésien du corps et de l’esprit : au symptôme suspecté d’ être de cause psychologique est attaché un jugement moral de responsabilité sinon de culpabilité « un symptôme médicalement inexpliqué réfractaire est une triple cause de souffrance : celle du symptôme, celle de l’incertitude sur ses causes , et celle de l’absence de légitimité médicale … et comment pourrait-on aller mieux si l’on doit prouver qu’on est malade ? Cette problématique contribue à construire des situations bloquées , marquées par une relation soignant – soigné conflictuelle et iatrogène. » P.Cathébras Savoir mettre un terme à l’escalade des investigations : qui risquent de majorer l’anxiété et aussi de découvrir des anomalies fortuites sans lien avec la plainte
Poser un diagnostic fonctionnel : mais sans laisser suggérer « une maladie mentale » . Il s’agit d’admettre qu’il n’y a pas toujours d’explications médicale et qu’il est inutile de rechercher désespérément un diagnostic somatique précis car cela empêche d’avancer et d’apprendre à gérer ses symptômes . Définir un diagnostic de FC/SFC ( comme pour la fibromyalgie ou la douleur chronique ) peut être utile pour faire avancer le patient à sortir de la recherche effrénée d’un diagnostic , légitimer ses plaintes et l’aider à passer à une étape de prise en charge Dépister et prendre en charge les facteurs d’entretien: - facteurs psychocomportementaux - Inactivité : le repos et le confinement sont délétères. - Hygiène de vie et la qualité du sommeil :les troubles du sommeil sont quasiment toujours présents dans le SFC - La représentation que se fait le patient de sa maladie :ex. : beaucoup de patients privilégient les explications causales qui font d’eux des victimes ( infection, intoxication, stress professionnel …) .ils résistent aux informations qui contredisent ces attributions et la force de ces croyances est un facteur de chronicité - … Les interventions thérapeutiques rigoureusement évaluées - Reconditionnement à l’effort très progressif = TEG ( Thérapies par l’Exercice Gradué ) : dispensées par des physiothérapeutes : réhabilitation à l’effort avec un programme adapté aux capacités de chaque patient puis augmenté de façon progressive ( ex. 30 minutes d’exercice 5 fois par semaine , principalement la marche ) - Thérapies comportementales et cognitives ( TCC ) ; délivrées par des psychiatres ou des psychologues. Elles permettent de « faire face » aux symptômes et à l’incapacité qu’ils déterminent.
In : Syndrome de fatigue chronique . A Gonthier et B Favrat . Rev Med Suisse 2015:2236-2242
FC « idiopathique » et SFC : les points clés -SFC: affection sévère, chronique , complexe, « systémique » , altérant profondément la qualité de vie , déroutante pour le médecin, en raison des difficultés diagnostiques et d’une prise en charge mal codifiée L’évolution est variable mais le plus souvent très prolongée . - Malgré le nouveau concept américain proposé en 2015 ( Pas une révolution!), qui simplifie l’approche diagnostique et rompt avec les terminologies antérieures : il est encore trop tôt d’individualiser une maladie car restant un ensemble hétérogène , plurifactoriel => syndrome plutôt que maladie - Tous les critères restent pauvrement validés empiriquement et sont largement inopérants pour distinguer le SFC d’autres pathologies asthéniantes -Modèle bio-psycho-social : facteurs favorisants , déclenchants et d’entretien (importance des facteurs psychologiques et comportementaux ) -anamnèse , examen physique , explorations ciblées nécessaires -démarche rigoureuse pour diagnostic différentiel et confirmation du diagnostic de SFC/EM -prise en charge difficile et longue : rôle pivot du médecin généraliste , prise en charge des comorbidités intérêt des TEG et de la TCC dans les cas les plus sévères -En France : pas de structure de soins dédiés à ces troubles malgré une prévalence significative et un coût élevé pour la société - SFC : un axe de recherche important : qui permettra de « sortir » du cadre des Syndromes Somatiques Fonctionnels ou de « cibler » mieux certains sous-groupes ?
Je vous remercie de votre attention Pour en savoir plus: - Le syndrome de fatigue chronique : une nouvelle maladie ? Mise au point .JD de Korwin et al. La Revue de Médecine Interne 2016 ( article in press ) - Qu’y a -t-il dans un nom ? A propos des anciens et nouveaux noms de la fatigue chronique . Editorial . P.Cathébras . La Revue de Médecine Interne 2016 ;37:791-795 - Fatigue Chronique. Dossier. M.Toinon et P.Cathébras . La Revue du Praticien MEDECINE GENERALE 2014 , n°925 ;
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