LE VOYAGE: TOUTE UNE HISTOIRE - Université de Genève
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LE MAGAZINE
SCIENTIFIQUE
DE L’UNIVERSITÉ
DE GENÈVE
N° 145
Juin 2021
LE VOYAGE:
TOUTE UNE
HISTOIRE
P. 18 CONSACRÉ CETTE ANNÉE AU VOYAGE,
LE FESTIVAL HISTOIRE ET CITÉ EST REVENU SUR
L’ÉVOLUTION D’UNE PRATIQUE QUI SUSCITE
DEPUIS TOUJOURS LA CONTROVERSE ET DONT
LE RÉCIT NE SE LIMITE PAS AUX EXPLOITS DE
QUELQUES AVENTURIERS OCCIDENTAUX.
L’INVITÉ EXTRA-MUROS TÊTE CHERCHEUSE
GUILLAUME LECOINTRE : FRONTIÈRES SILKE GRABHERR :
« LA NATURE EST LOIN ET GRAFFITIS LA MORT LUI
D’ÊTRE OPTIMALE » À DHEISHEH VA SI BIEN
PAGE 38 PAGE 42 PAGE 46
Et pourquoi
pa s à v é l o ?
www.unige.ch/velo
#unigevelo
LE MAGAZINE 3
SCIENTIFIQUE
DE L’UNIVERSITÉ
DE GENÈVE
N° 145
Juin 2021
DOSSIER : LE VOYAGE,
04 ACTUS
RECHERCHE
TOUTE UNE HISTOIRE
10 INFORMATIQUE
QUAND L’ORDINATEUR
SE DÉHANCHE AU
RYTHME DE LA SALSA
32 URUCH BEG, VOYAGE
Une thèse a décomposé les
AU PAYS DES MERVEILLES
mouvements de la danse cubaine
Envoyé en Europe dans les dernières
en une série de « paramètres spatio-
années du XVIe siècle afin de
temporels » afin de l’étudier et de
conclure des alliances contre les
développer de nouvelles techniques
Ottomans, Uruch Beg a parcouru
d’apprentissage.
18 DU « GRAND TOUR » ont favorisé la circulation des des milliers de kilomètres et vécu
12 SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ AU TOURISME DE MASSE personnes, des idées mais aussi, de multiples péripéties avant de se
convertir à la foi chrétienne et de finir
FEMMES Le Festival Histoire et Cité était inévitablement, des agents
sa vie à la cour d’Espagne sous le
SÉROPOSITIVES : consacré cette année au thème du pathogènes.
nom de Don Juan de Persia.
PLONGÉE DANS LE voyage, un secteur économique qui
a connu sa pire récession depuis 28 PETITE HISTOIRE DES
MONDE DU SILENCE des décennies à cause de la crise du « GRANDES DÉCOUVERTES » 35 AVENTURES INTÉRIEURES
Une enquête retrace le combat de DANS LE JAPON DE JADIS
covid. Sylvain Venayre, spécialiste L’exploration des autres continents
30 femmes contaminées par le VIH À l’époque classique et médiévale,
de l’histoire des circulations, revient par les voyageurs européens a
entre 1986 et 2002, en soulignant voyager à l’intérieur et hors du
sur cette pratique déjà ancienne. longtemps été perçue comme une
leur solitude et leur invisibilité au Japon suppose non seulement
suite d’actes héroïques réalisés
sein de la société mais aussi du d’affronter nombre de périls
24 L’« ÉCHANGE COLOMBIEN »: par des individus exceptionnels,
système médical. naturels ou surnaturels mais aussi
ON NE PART JAMAIS SEUL confirmant par là même la
L’ouverture de nouvelles voies supériorité de l’Occident. Cette de se confronter au manque, à
15 ARCHÉOLOGIE l’arrachement et à la vacuité de
commerciales, les grandes lecture est aujourd’hui contestée
UNE VILLE SUBMERGÉE découvertes, les expéditions aux par de nombreux spécialistes l’existence.
DE L’ÂGE DU BRONZE quatre coins du globe et plus encore qui défendent l’idée d’un récit
RÉVÈLE SES SECRETS le tourisme de masse d’aujourd’hui « à parts égales ». Illustration de couverture : Alamy
RENDEZ-VOUS
Dans le Péloponnèse, un site
préhistorique côtier et submergé
a révélé quelques surprises aux
archéologues, dont les restes d’une
industrie de teinture pourpre ainsi
que des lames en obsidienne.
38 L’INVITÉ 42 EXTRA-MUROS 46 TÊTE CHERCHEUSE
« LA NATURE EST LOIN FRONTIÈRES LA MORT
D’ÊTRE OPTIMALE » ET GRAFFITIS LUI VA SI BIEN
L’évolution a lieu à toutes les À DHEISHEH Nommée à la tête du Centre univer-
échelles, tout le temps et partout. Une jeune géographe s’est rendue sitaire romand de médecine légale à
Même à l’intérieur du corps humain, en Palestine pour étudier le l’âge de 35 ans, Silke Grabherr a mis
comme l’explique Guillaume phénomène des graffitis dans un au point une technique permettant
Lecointre. Professeur du Muséum camp de réfugiés de Cisjordanie. de visualiser les vaisseaux sanguins
national d’histoire naturelle Elle en tire une thèse, un documen- d’un mort qui a fait le tour du monde.
à Paris, il était de passage à Genève taire et un livre. Récit.
pour une conférence sur le sujet. 50 À LIRE
52 THÈSES DE DOCTORAT
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ACTUS
ARCHÉOLOGIE
DIDIER PITTET, DOCTEUR
« HONORIS CAUSA » DE
Les Suisses de l’âge du bronze
L’UNIVERSITÉ DE LOUVAIN
soignaient leur alimentation
Une équipe internationale de scientifiques
a réalisé une enquête inédite sur l’évolu-
tion des habitudes alimentaires ainsi que
des techniques d’agriculture et d’élevage des
populations de Suisse occidentale à travers
tout l’âge du bronze (entre 2200 et 800 avant
notre ère). Parue le 27 janvier dans la revue
Professeur à la Faculté de méde- PLoSOne, l’étude de certains isotopes contenus
cine, Didier Pittet s’est vu remettre, dans des restes humains, animaux et végétaux
ANDRÉ HOUOT
mardi 9 février, un doctorat honoris prélevés sur des sites de la région lémanique et
causa de l’Université catholique du lac de Neuchâtel a permis de combler un
de Louvain. Didier Pittet est l’un certain nombre de lacunes dans ce domaine.
des inventeurs de la solution Atelier de bronziers au X-XIe siècle avant notre ère.
Les auteur-es, dont fait partie Marie Besse,
hydroalcoolique qui a permis, professeure et directrice du Laboratoire d’ar-
à partir des années 1990, de préve-
chéologie préhistorique et anthropologie plus gros changement durant l’âge du bronze
nir la transmission de maladies
(Faculté des sciences), concluent notamment final (1300-800 avant notre ère) avec l’arrivée
nosocomiales et des virus – dont
que l’utilisation d’engrais s’intensifie au cours d’une nouvelle céréale, probablement le mil-
le Covid-19 –, contribuant à
de cette quinzaine de siècles pour faire face let, qui vient de Chine et qui est plus résistante
sauver des millions de vies dans
le monde. Il a popularisé l’usage
à la croissance des populations. Les restes de à un climat chaud et sec et donc plus adap-
de cette solution et empêché sa
plantes cultivées ne montrant aucun signe tée à la période de sécheresse qui sévit alors
privatisation, permettant ainsi sa de stress hydrique, les scientifiques esti- en Europe. Et Marie Besse de commenter :
production locale. ment par ailleurs que les communautés ont « Cette première étude sur l’évolution de l’ali-
mis en place des solutions pour l’irrigation. mentation en Suisse occidentale à l’âge du bronze
Curieusement, alors que le Léman et le Rhône corrobore ce que nous savons de cette période mais
JUDITH SCHREMPF- sont tout proches, le régime alimentaire démontre aussi la richesse d’importants échanges
STIRLING DISTINGUÉE demeure essentiellement tiré des ressources interculturels. »
PAR LE « BUSINESS AND terrestres tout au long de cette même période. Archive ouverte N°148389
HUMAN RIGHTS JOURNAL » Ce régime alimentaire, enfin, a connu son
MÉDECINE
Le parasite de la malaria
contient un « os » insoupçonné
Le Business and Human Rights Une équipe menée par paludisme, cet élément joue
Journal (BHRJ) a décerné
Virginie Hamel, chercheuse pourtant un rôle essentiel
l’Annual Reviewer Reward à Judith
au Département de biolo- dans la motilité et la méca-
Schrempf-Stirling, professeure
VIRGINIE HAMEL / UNIGE
gie cellulaire (Faculté des nique de l’invasion de cellules
associée à la Faculté d’économie
sciences), a réussi à « gonfler » hôtes chez la plupart des
et de management, pour la
qualité de son travail en tant que
des spécimens de parasites de autres parasites du groupe
réviseuse. Le BHRJ cherche à faire la malaria (Plasmodium) de des apicomplexes dont
avancer la discussion académique façon à pouvoir étudier leur fait partie le Plasmodium.
sur les entreprises et les droits de cytosquelette avec une préci- Détail du « Plasmodium » Cette découverte, publiée le
et son conoïde au sommet.
l’homme, à fournir une plateforme sion inédite. Cette technique 11 mars dans la revue PLoS
faisant autorité pour le débat très récente, appelée micros- Biology, ouvre donc un nou-
académique sur ces questions, copie à expansion, a permis de découvrir une veau champ de recherche dans la lutte contre
ainsi qu’à promouvoir les préoc- structure en forme d’anneau située à l’extrémi- cet unicellulaire mortel, responsable de plus
cupations pour les droits humains té de la cellule : le conoïde. Considéré comme de 200 millions d’infections et de plus de
dans la pratique des affaires. absent jusque-là chez l’agent responsable du 400 000 décès dans le monde chaque année.
CAMPUS N° 145 ACTUS 5
MÉDECINE
Un cancer très agressif sur un rein greffé
a été soigné en trois mois
Une femme diabétique a été Neuf ans plus tard, les méde-
traitée avec succès pour une cins détectent toutefois une
tumeur qu’elle a développée tumeur dans le rein et des
sur un rein qui lui avait été métastases dans les intes-
greffé neuf ans auparavant. tins, le foie et les poumons.
Au moment du diagnostic, Il s’agit d’un cancer dit de JAYA KRISHNAKUMAR EST
RAPHAËL MEIER / UNIGE
le cancer, très agressif, lui Bellini, un des plus agres- NOMMÉE POUR LE PROJET
laisse statistiquement cinq sifs connus. Après analyse, « MULTIDIMENSIONAL
mois d’espérance de vie. La les médecins découvrent que BIODIVERSITY INDEX »
tumeur provient toutefois la tumeur a probablement
du rein du donneur. Cette été causée par un virus (le
particularité a permis à une virus BK) et qu’elle provient
équipe de scientif iques, Scanner montrant la tumeur du rein du donneur.
menée par Raphaël Meier, avec les métastases dans le foie et le Les scientif iques misent
poumon (à gauche) et leur disparition
chercheur au Département six mois après (à droite). alors sur l’interleukine 2,
de chirurgie de la Faculté un traitement qui active le
de médecine et ancien chef système immunitaire de
de clinique au Service de chirurgie viscérale manière extrême. L’attaque se révèle d’autant
Professeure à l’Institut d’économie
et transplantation des Hôpitaux universitaires plus agressive que la cible se constitue des cel- et d’économétrie (Faculté
de Genève (HUG), d’attaquer la tumeur via lules tumorales de quelqu’un d’autre, que les d’économie et de management),
un renforcement choc de son système immu- cellules capables de tuer la tumeur sont parti- Jaya Krishnakumar a été choisie
nitaire. Aujourd’hui, selon l’article qui culièrement efficaces chez cette femme et que pour faire partie de l’International
rapporte le cas paru le 1er février dans la revue les globules blancs spécialisés dans l’éradica- Advisory Group du projet
Transplantation, la femme se porte bien et n’a tion des virus sont également entrés en action. Multidimensional Biodiversity
plus développé de cancer depuis. Trois mois de traitement ont permis de faire Index. Géré par le Centre de
Souffrant de diabète de type 1 depuis l’âge de disparaître complètement la tumeur et les surveillance de la conservation
10 ans, la patiente bénéficie à l’âge de 41 ans métastases. La prise de médicaments antirejet de la nature du Programme des
d’une greffe rein-pancréas aux HUG. À la ayant été interrompue, les organes greffés ont Nations unies pour l’environ-
suite de l’opération, son taux de sucre et sa subi des dommages irréversibles et la patiente nement, ce projet vise à mettre
fonction rénale se normalisent. Elle peut alors a dû reprendre ses dialyses. Mais aujourd’hui, au point un index de santé de la
se passer d’injections d’insuline et de dialyses il n’y a plus aucune trace du cancer et une nou- biodiversité sur le modèle des
mais doit prendre des immunosuppresseurs à velle greffe pourrait être envisagée. mesures de développement
vie afin d’éviter le rejet des organes. économique et en tenant compte
Archive ouverte N° 131612
des aspects sociaux et écolo-
giques qui ont abouti, dans les
années 1990, à définir l’indice de
SCIENCES DE LA TERRE développement humain.
Dans les panaches des volcans,
des cendres font du rafting ERRATUM
L’article « Intersexe : histoire
d’une population invisible »,
Certaines cendres éjectées lors d’une éruption a été démontrée par une observation directe paru dans le numéro 144
volcanique font du « rafting », c’est-à-dire qu’au et soutenue par un appareil théorique, comme en page 40 a été publié par
lieu de tomber normalement, elles voyagent le rapporte un article paru le 26 février dans erreur dans une version non
beaucoup plus loin dans l’atmosphère que ne la revue Nature Communications. Les résul- définitive qui ne contenait
le laisse supposer leur poids. Le comporte- tats de cette étude, dont le premier auteur est pas certaines précisions
ment inattendu de ces particules s’explique Eduardo Rossi, chercheur au Département apportées par la chercheuse
par une configuration spéciale, comprenant des sciences de la Terre (Faculté des sciences), concernée à laquelle nous
un noyau de 100 à 800 microns de diamètre permettront d’affiner les modèles actuels présentons nos excuses.
recouvert par de nombreuses poussières de prédisant, en temps réel, quand le panache La version mise à jour de
moins de 60 microns qui, ensemble, agissent créé par une éruption volcanique croisera les l’article est disponible en
comme un parachute, retardant la sédimen- routes aériennes. ligne sur le site du magazine
tation. L’existence de cet effet de rafting, Archive ouverte N° 150138
(www.unige.ch/campus
suggéré en 1993 mais alors déclaré impossible, numeros/144).
6 CAMPUS N° 145 ACTUS
BIOLOGIE
La plus belle image de l’année
magnifie des écailles embryonnaires de serpent
GRIGORII TIMIN
Écailles embryonnaires du serpent africain des maisons. Cette image a été prise au microscope confocal.
Elle représente des fibres de collagène (en blanc) et des cellules pigmentaires du derme (en rouge).
L’ image ci-dessus, prise au microscope
confocal, a été réalisée par Grigorii
Timin dans le cadre du travail de thèse
La douceur rendue par les fibres de collagène
(en blanc) soulignée par la brillance des cel-
lules pigmentaires du derme (en rouge) et
comprend l’analyse quantitative des proces-
sus de division cellulaire et des propriétés
mécaniques des tissus lors du développement
qu’il mène sous la direction de Michel l’harmonie de l’ensemble ont séduit les juges embryonnaire.
Milinkovitch, professeur au Département de de la Société Olympus. Cette dernière a en Cette approche permet de mieux comprendre
génétique et évolution (Faculté des sciences). effet décerné à ce cliché le prix Europe de les mécanismes biologiques et physiques res-
Elle montre un échantillon de peau embryon- la meilleure image de microscopie optique. ponsables du développement des formes chez
naire du « serpent africain des maisons ». Le travail de thèse de Grigorii Timin les êtres vivants.
7
ASTROPHYSIQUE
MUSE met en lumière
la toile cosmique de l’Univers
Cette découverte a été rendue possible grâce
au couplage du spectrographe 3D MUSE au NICOLAS GISIN ENTRE
système d’optique adaptative du Very Large DANS LE PETIT LAROUSSE
Telescope (VLT) au Chili. Ce dispositif de
mesure, opérationnel depuis 2017, est le pre-
mier à être capable de détecter un signal aussi
Jeremy Blaizot / SPHINX
faible que celui du rayonnement émis par les
filaments de cette toile cosmique.
Pour y arriver, les astronomes ont observé une
petite région du ciel durant 140 heures, faisant
de ce sondage spectroscopique le plus profond
jamais réalisé. Ils y ont détecté des filaments
Simulation de la toile cosmique dans une région de comptant une densité de galaxies 100 fois plus Internationalement connu pour
l’Univers profond d’environ 15 millions d’années-lumière
de large. Les sources ponctuelles correspondant à des importante que prévu. Situés dans l’Univers ses travaux pionniers sur la
galaxies sont reliées par des filaments de lumière très jeune, soit quelques milliards d’années après téléportation et la cryptographie
faible émise par le gaz intergalactique. quantiques, Nicolas Gisin,
le Big Bang, ces filaments s’étendent sur des
millions d’années-lumière. Le rayonnement professeur honoraire à la Faculté
À grande échelle, la matière dans l’univers diffus observé par MUSE est probable- des sciences et fondateur de la
start-up IDQuantique, est entré
est répartie selon une structure filamentaire ment dû à une population de très nombreuses
dans le Petit Larousse des noms
séparée par de grands vides, plus communé- petites galaxies, trop faiblement lumineuses
propres. Les critères pour accéder
ment appelée la toile cosmique et le long de pour être détectées individuellement. Les
à cet honneur sont : « la notoriété
laquelle se forment les galaxies. Il s’agit d’une petites galaxies sont considérées comme des
de la personne et de son œuvre
des prédictions du modèle du Big Bang et briques élémentaires qui s’assemblent au cours
en France et dans le bassin
cela fait plus de quarante ans que les astro- du temps pour donner naissance à des galaxies francophone ; la permanence de
nomes tentent d’en apercevoir un signal. Cette plus massives comme la Voie lactée. cette notoriété, sa légitimité et sa
attente a pris fin avec la première observation Cette découverte est une étape importante reconnaissance auprès du public,
directe de tels filaments, comme le rapporte dans l’exploration de l’Univers jeune. Le spec- de la critique et de ses pairs ;
un article paru dans le numéro de mars de trographe MUSE connaît d’ailleurs déjà son l’universalité de l’œuvre ; l’acces-
la revue Astronomy & Astrophysics et auquel successeur, BlueMUSE, dont l’installation sibilité du contenu de cette œuvre
ont participé Anne Verhamme et Thibault sur le VLT est prévue en 2030 et au déve- et sa disponibilité ; et la cohérence
Garel, professeure assistante et maître-assis- loppement duquel l’UNIGE est associée. Ce avec les valeurs du Petit Larousse,
tant au Département d’astronomie (Faculté futur instrument devrait permettre d’étudier celles de l’excellence, à la
des sciences). de plus près la toile cosmique. promotion de la culture française ».
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8 CAMPUS N° 145 ACTUS
ASTROPHYSIQUE
Plus de 100 télescopes pour remonter
à l’origine des rayons cosmiques
TINA AMBOS DIRIGERA
« L’INNOVATION AU SEIN L’existence des rayons cosmiques qui bom-
DES ORGANISATIONS bardent la Terre est connue depuis plus d’un
DE L’ONU » siècle. Mais l’étude et la détermination des
GABRIEL PÉREZ DIAZ / IAC
sources de ces particules sporadiques et véhi-
culant parfois des énergies des centaines de fois
plus intenses que les meilleurs accélérateurs du
CERN demeurent des défis de taille pour les
scientifiques. Afin d’avancer dans cette quête,
une équipe dirigée par Teresa Montaruli, pro-
fesseure au Département de physique nucléaire
et corpusculaire (Faculté des sciences), a obte-
nu 8,4 millions de francs sur quatre ans du
Professeure à la Faculté Secrétariat d’État à la formation, à la recherche Quatre types de télescopes formeront le CTAO actuellement en
d’économie et de management, et à l’innovation pour financer une contribu- construction au Chili et aux Canaries, lequel comptera plus d’une centaine
de ces instruments.
Tina Ambos a été invitée à diriger tion au projet international Cherenkov Telescope
l’initiative sur « l’innovation au sein Array Observatory (CTAO). Ce dernier, actuel-
des organisations de l’ONU » de la
lement en construction sur deux sites, au Chili dit Cherenkov. Le travail des scientifiques
campagne « Organizing for Good ».
et aux Canaries, sera composé de plusieurs de l’UNIGE se concentrera sur l’ingénie-
Lancée le 8 avril, cette campagne
télescopes de tailles différentes. Relativement rie du système principal des télescopes de
prend la forme d’une série
légers, faciles à manier, ils pourront se diri- grande taille (LST) et sur le développement,
d’événements qui se dérouleront
pendant un an et dont le but est
ger en quelques dizaines de secondes vers leur en collaboration avec les Écoles polytech-
de stimuler la recherche et les
objectif en cas d’événement céleste inattendu. niques fédérales de Lausanne et de Zurich, de
pratiques en matière de design Ils sont conçus pour détecter le flash extrê- caméras destinées à collecter les signaux lumi-
organisationnel pour faire avancer mement bref émis par les rayons cosmiques neux ne durant que quelques nanosecondes
les Objectifs de développement lorsqu’ils rentrent dans l’atmosphère et pro- (10-9 s). Lorsqu’il sera pleinement opération-
durable des Nations Unies. voquent une spectaculaire gerbe de particules. nel, le CTAO pourra retracer la provenance du
Ces dernières se déplacent en effet plus vite rayon cosmique à l’origine de chaque gerbe de
que la vitesse de la lumière dans l’air (où elle particules et étudier ainsi les objets célestes tels
PIERRE CHOPARD est ralentie de 0,03 % par rapport à sa céléri- que les trous noirs, les restes de supernovae, les
PRÉSIDERA LA té dans le vide), générant ainsi l’effet lumineux pulsars ou encore la matière noire, si elle existe.
COMMISSION FÉDÉRALE
DE LA QUALITÉ DES SOINS
MÉDECINE
Pesticides, phtalates et métaux lourds
détériorent la qualité du sperme
Il y a deux ans, l’équipe de Serge Nef, profes- de leur mère à des produits connus pour conte-
seur au Département de médecine génétique nir des substances pouvant interférer avec le
et développement (Faculté de médecine), a fonctionnement du système endocrinien (pes-
Pierre Chopard, professeur
montré grâce à une étude sur 1045 recrues que ticides, métaux lourds, phtalates...) ont deux
associé au Département
62 % des hommes suisses ont une qualité sper- fois plus de risques de présenter un volume
de réadaptation et gériatrie
matique qui n’atteint pas les critères de fertilité séminal et un nombre total de spermato-
(Faculté de médecine), a été
choisi pour diriger la toute nouvelle
établis par l’Organisation mondiale de la santé zoïdes par éjaculation situés en dessous des
Commission fédérale de la qualité (OMS). Dans une nouvelle publication, parue normes. Sans pour autant préjuger de la ferti-
(CFQ). Chargée d’intervenir auprès le 17 mars dans la revue Human Reproduction, lité effective des jeunes hommes, ces résultats
du Conseil fédéral et d’élaborer et grâce à un questionnaire envoyé aux parents expliqueraient, au moins en partie, la moindre
un concept pour mesurer de ces mêmes recrues, les scientifiques gene- qualité de leur sperme.
l’amélioration de la qualité des vois en collaboration avec des collègues de
soins, la CFQ devrait remédier au Rennes (France) ont réussi à identifier un des
fait qu’au cours d’un traitement coupables probables : les perturbateurs endo-
médical une personne sur dix subit criniens. Plus concrètement, les hommes qui
un événement indésirable. ont été exposés lorsqu’ils étaient dans le ventre
9
GÉNÉTIQUE
La mutation d’un gène architecte est la cause
de l’apparition d’une seconde paire de cornes
UNE ÉTUDE A PERMIS
D’IDENTIFIER LA CAUSE
GÉNÉTIQUE DU PHÉNOMÈNE
DES BOVIDÉS À QUATRE
CORNES. IL S’AGIT DE
MUTATIONS TOUCHANT LE
GÈNE ARCHITECTE « HOXD1 »,
CONNU POUR SON RÔLE DANS
LA FABRICATION DU CORPS.
L
e mystère des chèvres et des moutons
à quatre cornes est enfin résolu. Cette
curiosité morphologique, apparaissant
spontanément sur le crâne de certaines bêtes
et qui maintient éveillé l’intérêt des éleveurs
et des scientifiques depuis des siècles, est due
UNIGE/JOHN HEDGES
à la mutation d’un gène dit architecte appe-
lé HOXD1. L’article rapportant cette décou-
verte, paru le 2 février dans la revue Molecular
Biology and Evolution, montre que l’altération
de ce gène semble entraîner chez l’embryon
l’agrandissement des surfaces crâniennes des- Certains éleveurs de moutons sélectionnent les animaux pour conserver la particularité de posséder quatre cornes.
tinées à servir de base à la pousse des cornes.
Cette extension anormale aboutit à la scission Dans ce contexte, l’anomalie qui fait naître de agronomique et de l’environnement de France
des bourgeons naissants puis à l’apparition temps en temps une bête arborant deux paires (Inrae), les scientifiques ont pu analyser les
de cornes surnuméraires. Selon les auteur- de cornes représente une aubaine pour identi- génomes de plus de 2000 moutons et chèvres
es, dont la première est Aurélie Hintermann, fier d’éventuelles mutations sur un ou plusieurs dont une dizaine affublés de deux paires de
assistante dans le groupe de Denis Duboule, gènes clés. De tels animaux, appelés polycères, cornes. Ils ont ainsi pu constater que ces der-
professeur au Département de génétique et sont connus depuis des millénaires. On a niers présentent tous des mutations sur le
évolution (Faculté des sciences), il s’agit là retrouvé à Çatal Höyük en Turquie des restes même gène, à savoir HOXD1. Les altérations
d’une nouvelle fonction pour HOXD1 connu d’ovidés à quatre cornes datant de 6000 ans génétiques sur le gène sont différentes chez les
jusqu’ici pour son rôle dans le positionnement avant notre ère. On retrouve des individus moutons et les chèvres mais, dans les deux cas,
et la croissance des membres antérieurs et pos- polycères partout dans le monde. Dans les elles conduisent à une réduction de la quantité
térieurs chez les embryons. Alpes, ils sont également observés sporadi- de protéines produites par ce gène.
quement – il existe aussi des races locales de HOXD1 est l’un des 39 gènes architectes Hox
Structure commune Riches en formes et en moutons à quatre cornes sélectionnés pour qui sont responsables du respect du plan du
textures, les coiffes des ruminants ont connu cette particularité par certains éleveurs – mais corps pendant le développement embryon-
des adaptations évolutives très variables, à ils sont absents dans les vestiges archéolo- naire. Ils ont pour tâche d’informer chaque
l’image des cornes de bovidés, des bois des cer- giques et, surtout, n’ont fait l’objet d’aucune cellule de l’endroit où elle se trouve dans l’or-
vidés, des ossicônes des girafes ou encore des étude génétique jusqu’à présent. ganisme et par conséquent de la partie du
étuis cornés fourchus des antilocapridés. Elles corps qu’il s’agit de fabriquer. HOXD1 est
partagent cependant une structure commune. Le bouc de Marie-Antoinette La plus impliqué très tôt dans ce processus et dans le
Toutes vont par paires, naissent du même type ancienne mention d’un tel animal remonte à développement des structures antérieures.
de cellules souches, sont implantées sur les os la reine Marie-Antoinette qui fit venir un bouc La découverte de ce mécanisme nouveau dans
frontaux et possèdent un noyau en os recou- à quatre cornes en 1786 de la ville de Bulle en la pousse des cornes permet d’imaginer pour
vert d’un tégument. Mais les mécanismes Suisse au Hameau de la Reine à Versailles. le futur une manipulation génétique ayant
moléculaires à l’origine du développement de Attelé à une petite voiture, ce dernier prome- pour objectif de faire naître des bovidés sans
ces appendices osseux sont encore méconnus nait le Dauphin Louis-Joseph sur le domaine. cornes. Une caractéristique qui ne manquera
et difficiles à étudier car ils se déclenchent très Grâce à la collaboration de nombreux éle- pas de s’immiscer dans le débat sur les vaches
tôt durant l’embryogenèse et impliquent des veurs de l’union des coopératives d’élevage avec ou sans cornes. Et dans celui sur notre
centaines de gènes. Allice, de l’Institut national de recherche relation avec les animaux d’élevage.
10
RÉALITÉ VIRTUELLE
QUAND L’ORDINATEUR
SE DÉHANCHE
AU RYTHME DE LA SALSA
UNE THÈSE EN FACULTÉ
À
DES SCIENCES A DÉCOMPOSÉ
LES MOUVEMENTS DE Genève, en temps normal, des cen- basée sur les connaissances acquises dans la
LA DANSE CUBAINE EN taines de couples dansent sur le première partie du travail, a permis d’observer
UNE SÉRIE DE « PARAMÈTRES rythme entêtant de la salsa dans un progrès significatif et de fournir des indica-
des cours organisés par 17 écoles tions sur un éventuel apprentissage de la salsa
SPATIO-TEMPORELS » différentes et dans des centaines de soirées au travers de ce dispositif.
AFIN DE L’ÉTUDIER DE qui animent le canton toutes les semaines. Bien qu’elle n’en soit qu’à un stade préliminaire
MANIÈRE OBJECTIVE Sans oublier le festival Ya Tu Sabes ! spéciale- de son développement, cette technique laisse
ET DE DÉVELOPPER DE ment consacré à la danse cubaine et qui réunit entrevoir une solution intéressante pour les
chaque année à Pâques quelque 3000 partici- élèves de danse momentanément empêchés de
NOUVELLES TECHNIQUES
pants durant quatre jours. Il est donc fréquent retrouver physiquement un ou une partenaire
D’APPRENTISSAGE. sur les parquets genevois que mambo et cuca- mais qui souhaiteraient continuer à progresser
racha se succèdent et que les personnes qui dans leur activité.
Archive ouverte N° 142477
mènent et celles qui suivent coordonnent leurs
mouvements avec une fluidité parfaite chez les Mécanique du couple « Les mouvements
expert-es et un peu de désordre et de mala- de la danse classique et de la danse contempo-
dresse chez les débutant-es. Mais au fond, raine ont déjà fait l’objet d’un certain nombre
qu’est-ce qui fait qu’un mouvement de salsa d’études, précise Simon Sénécal, ex-membre
est réussi ? D’où tire-t-il sa beauté ? Quel geste de Miralab, le laboratoire d’images, d’ani-
ajoute du « style » et à partir de quand risque- mation et de mondes de synthèse du Centre
t-il au contraire de gâcher la performance ? universitaire d’informatique où il a réalisé son
C’est à ce genre de questions que le jeune cher- travail. Les gestes ont été identifiés, décrits, classés
cheur Simon Sénécal a tenté de répondre dans et leurs enchaînements analysés jusqu’à un certain
le cadre d’une thèse terminée en juin 2020 à la point. Dans le cas des danses de couple, il existe
Faculté des sciences et dont l’objectif consiste à également des travaux mais ils ne sont pas assez
« apprendre et comprendre la danse de couple nombreux ni assez précis pour être exploités. Il
grâce à l’analyse du mouvement dans un envi- faut dire que l’étude de la salsa et des autres danses
ronnement virtuel ». de salon représente un défi scientifique de taille.
Le résultat est une base de données compre- Ce ne sont pas les mouvements d’un seul danseur
nant les mouvements de la salsa exécutés par qu’il faut décortiquer mais une mécanique plus
des danseurs et des danseuses de différents complexe qui implique un duo. »
niveaux et entièrement numérisés. À partir de Dans le cadre de son travail, Simon Sénécal,
cette bibliothèque unique en son genre, il est lui-même danseur de salsa (en plus d’être un
possible, grâce à certains critères (le rythme, le créateur d’instruments de musique bizarres),
guidage et le style), d’évaluer la qualité d’une a d’abord dressé la liste des ingrédients essen-
nouvelle performance. tiels pour obtenir ce que les experts de la danse
Le chercheur a complété son travail par la estiment être une « bonne salsa ». L’un d’eux est
création d’une partenaire de salsa de synthèse sans conteste celui de savoir bouger les pieds en
avec laquelle un danseur ou une danseuse rythme et sur les bons temps d’une musique qui
(ayant le rôle de meneur) peut interagir via un en compte huit. Un autre est le guidage, c’est-
appareillage de réalité virtuelle. Une analyse à-dire la capacité du couple à se mouvoir de
des mouvements du participant en chair et en manière synchronisée. Un troisième est le style,
os au cours d’un certain nombre de séances, qui peut se traduire par des variations de vitesseCAMPUS N° 145 RECHERCHE INFORMATIQUE 11
Vingt-six couples
volontaires ont accepté de
danser dans des conditions
de laboratoire.
plus importantes, une plus grande surface cou- genevois se tourne ensuite vers la réalité vir-
verte durant la prestation ou encore des gestes tuelle (VR). Il met au point un scénario dans
SIMON SÉNÉCAL / UNIGE
qui sortent des règles de base de la salsa, comme lequel le participant ou la participante chausse
lever un bras en l’air. ses lunettes VR et se trouve face à un avatar
« Il existe d’autres critères, comme la fluidité, la capable de passer du mambo (les pieds bougent
capacité à partager ses émotions sur le moment ou en avant et en arrière) à la cucaracha (les pieds
encore la musicalité, admet Simon Sénécal. Mais bougent de côté). Il ou elle communique ses
ceux-ci sont compliqués à théoriser et à mesurer sur intentions via les deux manettes qui se collent
des vrais danseurs et je n’ai pas eu le temps de m’en automatiquement aux mains de la danseuse
occuper dans le cadre de ma thèse. Je me suis donc virtuelle dont les pas restent parfaitement en
focalisé sur les trois premiers, qui sont aussi les plus rythme, quoi qu’il arrive. L’interaction se fait
importants, de l’avis des experts et autres profes- sentir via des vibrations plus ou moins intenses
seurs de salsa. » sur une moquette, se souvient Simon Sénécal. dans les manettes. Secondée par la vision,
À l’issue d’une analyse théorique, le chercheur Nous avons aussi dû faire face à des problèmes l’illusion de former un couple qui danse fonc-
parvient à définir 29 mouvements élémentaires, inattendus tels que l’occlusion de certaines boules tionne très bien.
ou paramètres spatio-temporels (MMF pour à l ’œil des caméras lorsqu’elles se retrouvent En mesurant une fois de plus les mouvements
Musical Motion Features), composant la salsa, cachées entre les deux partenaires, par exemple. » du danseur ou de la danseuse et en évaluant la
qui sont mesurables et dont la qualité de réali- Les couples et leurs gestes déconstruits selon qualité de chaque geste élémentaire, le cher-
sation assure celle de la performance dans son les 29 MMF sont ensuite classés en fonction de cheur a pu mettre en évidence un réel progrès,
entier. Dix d’entre eux concernent le rythme, leur niveau, débutant, intermédiaire ou expert. en tout cas chez la vingtaine de volontaires
sept le guidage et douze le style. Bonne nouvelle, une première comparaison des n’ayant aucune notion de salsa avant l’expé-
critères prédéfinis révèle les différences atten- rience. Ces personnes n’ont pas pour autant
Déhanchement au labo Afin de pouvoir dues entre les trois groupes. Les experts sont appris la salsa, mais ils en ont acquis certains
tester les prémices de sa modélisation, le cher- notamment plus en rythme, surtout aux tem- éléments, estime Simon Sénécal.
cheur a enregistré les mouvements de sa danse pos rapides, et varient davantage leur vitesse « Mon travail contribue à l’objectivisation des
préférée à l’aide de vrais danseurs. Faisant de déplacement. mouvements de la salsa, analyse-t-il. C’est
appel à son réseau de connaissances, il par- Simon Sénécal soumet alors ses données à important pour l’enseignement de cet art pour
vient à convaincre 26 couples de se déhancher différents algorithmes d’apprentissage auto- lequel il n’existe pas de diplôme ou de certification
durant deux heures dans son laboratoire au son matique. Les programmes sont nourris avec officiels. Du coup, n’importe qui peut se prétendre
d’un générateur automatique de salsa. Pour des données accumulées par le chercheur gene- professeur de salsa. Une meilleure compréhension
l’occasion, les volontaires enfilent un costume, vois et doivent ensuite, à partir de ce qu’ils des mouvements de salsa permettrait un appren-
à savoir une sorte de pyjama moulant, bardé ont progressivement « appris », tenter d’éva- tissage plus efficace et plus cohérent. Cela pourrait
de petites boules fluorescentes dont l’évolution luer la qualité d’un geste nouveau. Le score est aussi mener à de nouvelles pistes créatives pour
est suivie par plusieurs caméras, elles-mêmes excellent. Un des algorithmes parvient en effet les chorégraphes, par exemple. Par ailleurs, le
reliées à un ordinateur. De chaque séance, il à reconnaître le niveau auquel appartient un fait d’avoir enregistré, numérisé et répertorié
résulte deux nuages de 52 points qui se tré- mouvement de salsa qui lui est soumis avec un les mouvements de la salsa pourrait aussi servir
moussent dans l’espace et à partir desquels on taux de réussite de 90 % (les résultats habituels à la préservation de cet art, un héritage cultu-
peut reconstruire et numériser tous les gestes sont plutôt de l’ordre de 60 ou 70 %). rel qui fait partie du patrimoine intangible de
des danseurs en trois dimensions. l’humanité. »
« Ça n’a pas toujours été facile pour les danseurs Partenaire virtuel Désireux de mettre au point Anton Vos
et les danseuses, plus habitués à se mouvoir en un dispositif d’apprentissage potentiellement
chaussures sur un parquet plutôt qu’en chaussettes utilisable par un large public, le chercheur12 CAMPUS N° 145 RECHERCHE SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ
Exposition « La lutte
contre le sida en images »,
Musée international de
la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, Genève,
le 4 avril 2017.
SOCIOLOGIE
FEMMES SÉROPOSITIVES:
PLONGÉE DANS LE
MONDE DU SILENCE
GRÂCE AU DÉVELOPPEMENT DES TRITHÉRAPIES, LE VIH/SIDA EST AUJOURD’HUI UNE
MALADIE « SOUS CONTRÔLE ». UNE ENQUÊTE RETRACE LE COMBAT DE 30 FEMMES
CONTAMINÉES PAR LE VIH ENTRE 1986 ET 2002, EN SOULIGNANT LEUR SOLITUDE
ET LEUR INVISIBILITÉ AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ MAIS AUSSI DU SYSTÈME MÉDICAL.
«C’
Archive ouverte N° 150918
était deux médecins, un Vanessa Fargnoli. Ensuite, elles ont dû certaines, tandis que d’autres vont jusqu’à affir-
tout petit bureau et ça a apprendre à vivre avec lui, puis accepter l’idée de mer qu’elles ont été « choisies » par la maladie.
duré un quart d’ heure. vieillir en sa compagnie. Et à chaque étape, elles « Certes, pour quelques-unes, l’infection par le
Ils m’ont dit que j’étais ont dû faire face à la peur, au rejet, à l’isolement et virus est l’événement clé qui brise la « normali-
gravement malade, que j’allais mourir dans les au silence. Le leur, mais aussi celui des proches et té » d’une vie paisible mais la plupart définissent
deux mois. Il ne fallait plus que je m’approche de de la société dans son ensemble. » le VIH comme un événement symptomatique dans
quiconque parce qu’on ne savait pas comment ça L’annonce du diagnostic constitue un choc leur trajectoire de vie, poursuit la chercheuse. En
se transmettait, qu’il fallait que je m’enferme à d’une violence terrible. C’est le moment où tout effet, l’analyse des récits révèle que le cumul de vul-
la maison et que j’attende. Un quart d’heure plus bascule. L’épreuve est plus redoutable encore nérabilités antérieures (fragilité mentale, violences
tard, j’étais toute seule sur le trottoir. C’est juste pour celles qui ont contracté le virus avant l’ap- sexuelles, épreuves familiales) les a contraintes à se
la fin du monde ! J’attends juste de mourir et je parition des trithérapies, au milieu des années construire une identité avec le VIH a posterio-
ne sais même pas de quelle façon, je ne sais même 1990. En l’absence de traitement, il équivaut en ri comme conséquence de ce cumul. Cet exercice de
pas comment, personne ne peut l’expliquer, je ne effet à une mort certaine. À cela s’ajoute encore relecture du passé leur a permis d’ancrer le VIH
sais pas à qui aller demander des informations. » la crainte de la déchéance physique, de la souf- dans leur parcours de vie et, au final, beaucoup
Zoé* fait partie des 30 femmes séropositives au france et du rejet social. estiment que le virus leur a, malgré tout, plus offert
virus de l’immunodéficience humaine (VIH) Après une période de déni, la réalité de leur que pris. »
interrogées par Vanessa Fargnoli, chargée nouvelle condition biologique et sociale s’im- Cette prise de conscience, si terrible soit-elle, a
de cours à la Faculté des sciences de la socié- pose tant bien que mal. Il s’agit dès lors de pour mérite de provoquer une forme d’électro-
té, dans le cadre de sa thèse de doctorat. Un donner du sens à cette réalité intolérable en éla- choc. C’est le moment de reprendre sa vie en
travail aujourd’hui publié sous forme de livre, borant un récit qui soit acceptable à la fois pour main, d’arrêter de tirer sur la corde, de faire le
qui éclaire une frange de la population restée soi et pour les autres. ménage dans sa vie et d’en « faire quelque chose
jusqu’ici dans l’invisibilité la plus totale. « Ce qui est très frappant, complète la sociologue, de positif ». De « sublimer » leur VIH, comme
Zoé, Adèle, Charlotte, Manon, Paola et les c’est que, dans un certain nombre de cas, l’arrivée l’affirment certaines.
autres ont toutes été contaminées par le virus du VIH dans l’existence de ces femmes n’apparaît « Certaines participantes affirment effectivement
du sida entre 1986 et 2002. De nationalité pas forcément comme le pire événement de leur vie être parvenues à se dépasser grâce au VIH, ponc-
suisse, blanches et hétérosexuelles, elles n’ap- mais comme une tuile de plus dans un parcours déjà tue Vanessa Fargnoli. Elles ont recommencé à
partiennent à aucun « groupe à risque » tel que bien cabossé. » travailler, réussi à fonder une famille, entrepris
défini par l’OFSP et se pensaient donc hors Beaucoup parmi les femmes interrogées dans le de voyager… C’est pour témoigner de cela que cer-
d’atteinte de la menace du sida qui les a rat- cadre de l’enquête ont en effet subi des carences taines ont accepté de me rencontrer. Parce qu’elles
trapées, le plus souvent, via leur partenaire. affectives durant leur enfance et/ou des vio- aimeraient être reconnues pour ce qu’elles sont par-
Âgées de 34 à 69 ans au moment de l’enquête, lences sexuelles. Habitées par un sentiment venues à accomplir et pas uniquement en tant que
elles vivent aujourd’hui pour la plupart en de culpabilité, elles se sentent responsables de femmes séropositives. »
couple. Un tiers sont célibataires, deux sont n’avoir pu ou su échapper, qui, à une relation Avancer à visage découvert en portant un tel
veuves (leur mari est mort des conséquences du toxique, qui, à des fréquentations malsaines. « fardeau » n’est cependant pas chose facile.
sida) et 12 d’entre elles ont eu un enfant après À leurs yeux, le VIH n’est donc pas le fruit du Parmi les proches, la bienveillance et la com-
le diagnostic. hasard ou d’un accident mais le dernier acte passion ne sont pas toujours au rendez-vous. Et
« L’ évolution des traitements médicaux a per- d’une suite logique d’événements. « Il y avait celles qui ont fait le choix de la transparence
mis à ces femmes de survivre au virus, explique quelque chose qui clochait avant », racontent doivent affronter certaines paroles et certainsKEYSTONE
actes (l’éloignement des enfants, par exemple) « La non-prise en compte des femmes séropositives
qui trahissent une méfiance sourde mais par le système médical conduit à un manque de
constante, reflet de la désapprobation sociale connaissances dans certains domaines, complète
que suscite le VIH. Vanessa Fargnoli. Leur absence des essais thé-
Du côté du corps médical, leur discours n’est rapeutiques laisse un vide important sur les effets
pas non plus toujours bien reçu. Dans les pre- secondaires des traitements et les empêche égale-
mières années de l’épidémie, le personnel ment de se raccrocher à un cadre de référence, à
soignant n’a en effet pas grand-chose à offrir un récit collectif de la maladie et donc de parta-
à ces patientes. Il n’existe alors ni traitement ger leur vécu. »
ni structure spécialisée pour les accueillir. Cette mise à l’écart se retrouve dans les
« INvihSIBLES » Pour la population concernée par l’enquête, ce milieux associatifs, largement dominés par
Trajectoires de femmes vide thérapeutique est encore accentué par le une population – les hommes homosexuels
séropositives fait que ces femmes échappent aux grilles de – avec qui les participantes de l’étude ne se
par Vanessa Fargnoli, Ed. lecture construites autour de la maladie. La sentent pas beaucoup de points communs.
Antipodes, 404 p. prise en charge et les études se concentrent Pour briser la chape de plomb qui les entoure,
en effet sur les populations dites « à risque » environ un tiers des personnes interrogées
que constituent les hommes gays, les per- font le choix de témoigner à visage découvert.
sonnes originaires de pays à prévalence élevée Parfois dans les médias, le plus souvent dans
(Afrique subsaharienne principalement), les le cadre de campagnes de prévention menées
toxicomanes par injection et les travailleuses auprès du jeune public. Elles restent toutefois
du sexe. Représentant une forme d’anomalie incapables d’agir collectivement et donc de
dans ce tableau épidémiologique, les femmes peser au niveau institutionnel.
séropositives qui n’entrent pas dans cette clas- L’apparition des trithérapies à partir de
sification sont difficilement prises en compte 1996 en Suisse modifie cependant la donne.
par les professionnels de la santé. Pire, elles Progressivement, le VIH passe d’un f léau
sont souvent suspectées de comportements conduisant irrémédiablement à la mort à une
irresponsables ou légers. maladie chronique, ensuite considérée commeVous pouvez aussi lire
