Les arts et la culture au Liban - Radiographie de la situation culturelle de la thawra à février 2022

 
CONTINUER À LIRE
Les arts
et la
culture
au Liban
Radiographie de la situation culturelle
de la thawra à février 2022

                                          Février
                                            2022
RÉDIGÉ PAR
Emma Moschkowitz

AVEC LA PARTICIPATION DE
Mariotte Mura
Leslie Saliba

GRAPHISME ET MISE EN PAGE PAR
Iléana Khayat-Lespagnol
www.ileanakhayatlespagnol.fr

SOUS LA DIRECTION DE
Myriam Nasr Shuman

EN PARTENARIAT AVEC
Robert Matta Foundation

                                Février
                                  2022
Qui sommes-nous ?
La promotion de la culture est le credo de l’Agenda Culturel, sa raison d’être et sa
mission.

Depuis 27 ans, notre magazine, aussi bien dans sa version papier (avant 2019)
qu’en ligne [www.agendaculturel.com], œuvre à la promotion des rendez-vous
culturels du Liban auprès du plus grand nombre, et en cela, encourage le déve-
loppement de la vie culturelle, artistique, et touristique dans le pays.

L’Agenda Culturel est la seule publication spécialisée dans la mise en valeur des
activités culturelles au Liban, et la première en son genre dans le monde arabe. Il
est à présent disponible en version anglophone, avec le Mym Agenda [www.my-
magenda.com]. Ce nouveau site web couvre l’actualité culturelle au Liban, et dans
tous les pays du Moyen-Orient.

L’Agenda Culturel, c’est aussi le BAM [www.bamleb.com], notre guide touristique
du Liban, teinté des pigments de notre expertise culturelle.

Enfin, notre entreprise organise des conférences, évènements, week-ends et
voyages culturels, au Liban et ailleurs.

www.agendaculturel.com
info@agendaculturel.com
+961 78 959670
Beyrouth, Liban
Note
d’intention
    Convaincus de l’absolue nécessité du maintien d’une offre culturelle et ar-
tistique plurielle et dynamique, l’Agenda Culturel ainsi que les différents ac-
teurs qui composent et font la vie culturelle libanaise cultivent le souhait de
voir la production artistique se perpétuer et fructifier.
   
    En dépit de la conjoncture nationale actuelle, et précisément dans l’espoir
d’un avenir meilleur pour le pays et sa vie artistique et culturelle, l’étude qui
suit représente l’aboutissement d’une enquête de terrain du secteur culturel tel
qu’il existe aujourd’hui au Liban. Les entretiens effectués auprès de plus d’une
quarantaine de personnes dans les différentes disciplines du secteur culturel,
s’inscrivent dans l’objectif de mieux appréhender les besoins des acteurs du
secteur. L’étude représente donc un outil de travail à privilégier pour qui sou-
haite s’investir dans le maintien et le développement d’une vie artistique et
culturelle à même de répondre aux besoins des artistes, mais également du
public.
   
    Soutenir un secteur subissant la grave crise libanaise, fédérer une commu-
nauté d’acteurs, maintenir la création, entretenir une expertise sur le sujet, as-
surer une diversité culturelle, les enjeux sont nombreux et il est donc impératif
de consigner et de définir une vision globale du secteur afin d’espérer pou-
voir y répondre. Pour la fomentation d’une identité durable pour le pays, pour
l’éducation des plus jeunes, pour l’entretien d’une parole novatrice et libéra-
trice, et parce qu’elle représente à la fois une source de catharsis, d’espoir et
d’inclusion, la culture doit continuer d’occuper une place de première ampleur
parmi les considérations essentielles à la prospérité du pays et au bien-être de
ses habitants.
Sommaire
                                                                06
                     PANORAMA GÉNÉRAL
      07...........................Héritage et diversité culturelle

      07.....Situation politique et économique du Liban

      07.......................................................Gouvernance

      10......................................................Enseignement

      11....................................Associations et mécénat

      12..........................................Aides internationales

      12.....Émergence de nouveaux espaces culturels

      13...........................................................Conclusion

                                                                   14
      ÉTAT DES LIEUX SECTORIEL
      15................................................................Musique

      20..................................................Arts de la Scène

      24..........................................................Arts Visuels

      27.................................................................Cinéma

      32............................................................Littérature

      36............................................................Patrimoine

      43...........................................................Conclusion
Pano
  rama
général
   Cette   première partie s’attache à dé-       rôle des municipalités dans la démocra-
finir qui sont les instances en charge de        tisation culturelle du pays sera abordé.
la culture au Liban et à rendre compte de        L’étude s’interrogera ensuite sur la teneur
l’état de leurs travaux. Partant d’un bref       de la formation en arts mis en place par
contexte historique qui semble suggé-            les structures éducatives, à la fois aux
rer une position favorable à une création        niveaux secondaires et supérieurs. S’en
artistique libre et plurielle, il sera ensuite   suivra une énumération des associations,
question d’expliciter la situation écono-        locales, régionales et internationales ma-
mique, sanitaire et politique actuelle du        jeures attenant au soutien de la culture au
Liban afin d’inscrire l’étude dans la réalité    Liban.
la plus actuelle du pays.                           L’étude du panorama global des ac-
   Il s’agira ensuite de répertorier les         teurs principaux du secteur dans le pays
grandes institutions culturelles du pays,        permettra ainsi de savoir dans quel cadre,
en commençant par l’autorité étatique,           politique, législatif, éducatif et associatif,
le Ministère de la Culture. A cet effet,         les arts et la culture évoluent au Liban,
ses engagements et dispositions en fa-           afin de pouvoir appréhender au mieux les
veur de la culture seront détaillés. Puis, le    enjeux des sous-secteurs de la culture.
Héritage et diversité                            différentes périodes de confinements ont

                                                                                                  PANORAMA GÉNÉRAL
                                                 fortement affecté l’économie, et notam-
culturelle                                       ment les secteurs de la restauration, de la
                                                 fête, du spectacle, de la culture, etc.
   Riche d’une Histoire incontestable-           La double explosion du 4 août au port de
ment multiculturelle, le Liban s’est façon-      Beyrouth a dévasté la ville, et plus parti-
né autour d’une diversité de confessions,        culièrement les quartiers de Gemmayzé et
de communautés et d’influences venues            Mar Mikhael qui concentraient une impor-
irriguer le pays et ses habitants d’une ou-      tante part de l’activité festive, artistique
verture d’esprit intellectuelle et artistique.   et culturelle de la capitale. Le drame, à la
Largement trilingue, le pays du Cèdre at-        fois humain et matériel, s’est accompa-
tire acteurs régionaux et occidentaux et         gné d’une démission du gouvernement
s’est affirmé, au cours de son existence,        qui, déjà très affaibli par une contestation
comme un haut lieu de culture et d’art au        virulente de ses capacités, n’a pu trouver
Moyen-Orient. Sa production artistique           de succession durant treize mois. La fail-
y est éclectique, libre et réputée dans le       lite de l’Etat n’a fait qu’aggraver la situa-
monde entier.                                    tion, surtout du point de vue des énergies
                                                 (électricité et essence).
                                                     Ainsi, l’incertitude inhérente à cette pé-
                                                 riode de crises a fortement touché le sec-
Situation politique et                           teur culturel ces trois dernières années.
économique du pays
                                                 Gouvernance
   Alors que la thawra (révolution), inter-
venue en octobre 2019, laissait espérer
un mouvement instigateur d’un nouveau                Le Ministère de la Culture libanais voit
                                                                                                   7
souffle pour la politique libanaise, les         le jour en 1993, et est couplé au Minis-
crises qui lui ont succédé ont ralenti l’idée    tère de l’Enseignement supérieur jusqu’en
d’un renouvellement.                             2000. En 2020, son budget annuel était de
   Avec l’écroulement du système ban-            33 millions de dollars, soit 0,24% du bud-
caire, le peuple a vu ses économies blo-         get de l’Etat, ce qui est un des plus faibles
quées dans les banques. Alors que, origi-        portefeuilles ministériels (à titre de com-

                                                                                                     LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
nellement le dollar équivalait à 1500 livres     paraison, la France accorde aujourd’hui
libanaises, et que les deux monnaies             2,56% de son budget annuel à la culture).
circulaient conjointement dans le pays,          Le budget pour 2022 est estimé à 0,045%
l’incapacité du système financier à fonc-        du budget de l’Etat, ce qui représente 2
tionner a entrainé la mise en place d’un         millions de dollars, mais le taux officiel
marché noir sur lequel dollar et livre liba-     étant encore fixé à 1 dollar pour 1500
naise s’échangent à des taux qui varient         livres, cela représente environ 150 000
chaque jour, au gré des remous. Paral-           dollars sur un marché noir qui fixe actuel-
lèlement, les prix du marché s’adaptent          lement le dollar à 20 000 livres libanaises.
continuellement à la dévaluation toujours           
plus forte de la livre libanaise, amoindris-        Aujourd’hui, le cabinet est divisé en
sant un peu plus chaque jour le pouvoir          deux directions :
d’achat des Libanais.                               • la Direction Générale des Antiquités
    La crise sanitaire a ajouté à la compli-     (DGA), responsable des bâtiments tradi-
cation des conditions de vie de la popu-         tionnels classés, des fouilles archéolo-
lation en ce qu’elle s’est accompagnée           giques et des biens culturels ;
de bouclages totaux du pays durant de               • la Direction de la Culture, qui s’oc-
long mois. Les restrictions qui ont suivi les    cupe des différents secteurs artistiques
et culturels ainsi que des industries cultu-    tentatives du Ministère de mandater des

                                                                                                   PANORAMA GÉNÉRAL
relles.                                         études pour faire du milieu culturel un
                                                secteur économiquement rentable et un
   Trois organismes publics sont ratta-         outil de développement économique, au-
chés au Ministère :                             cune des recommandations produites par
   • le Conseil Général des Musées qui          Strategy& ou relevés au cours de la confé-
est une commission nationale indépen-           rence CÈDRE (Conférence Économique
dante créée en 2018. Actuellement, la pré-      pour le Développement par les Réformes
sidente générale, retenue sur concours,         et avec les Entreprises) en 2018 n’ont été
est Anne-Marie Afeiche. Ses membres             prises en compte depuis. Après l’explo-
sont nommés en Conseil des Ministres ;          sion, le Ministère a été très peu présent
   • le Conservatoire National de Mu-           dans le processus de reconstruction qui
sique, créé en 1920, est aujourd’hui dirigé     incluait pourtant de nombreuses organi-
par Walid Moussallem. Il dispose égale-         sations culturelles, industries culturelles
ment de deux orchestres, philharmonique         et artistiques. Par exemple, et si la Direc-
et oriental, et de quinze succursales à tra-    tion Générale des Antiquités a estimé à
vers le pays. Grâce à ses enseignements,        600 le nombre de bâtiments patrimoniaux
le Conservatoire dispose de l’exclusivité       détruits par la double explosion du 4 août
d’octroi d’un doctorat en musique. C’est        2020, le Ministère de la Culture n’a, hor-
également un centre national d’archives         mis l’octroi de permis de restauration et
et de recherche sur la musique ;                le gel des transactions immobilières dans
   • la Bibliothèque Nationale, dirigée par     les quartiers détruits par l’explosion, en-
Hassan Acra, est une institution nationale      trepris aucune levée de fonds.
publique dont la mission s’articule autour
de la conservation des archives écrites du
Liban.
                                                    Ainsi, quel que soit le secteur artistique
                                                dans lequel ils évoluent, les artistes ne bé-
                                                néficient d’aucun statut vis-à-vis de l’Etat.
                                                                                                   8
    La direction générale de ces trois enti-    Ils sont des travailleurs “normaux” et leur
tés est soumise au confessionnalisme en         art n’est pas protégé car la culture est
vigueur au niveau étatique : le directeur du    considérée par les gouvernants comme
Conservatoire doit être grec-orthodoxe et       tout autre produit de consommation et
le directeur de la Bibliothèque doit être       les entreprises culturelles sont soumises
maronite, seul le directeur du Conseil Gé-      aux mêmes règles que toute autre société

                                                                                                      LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
néral des Musées ne dépend pas de ce            commerciale. S’il existe bien des sous-di-
critère car l’instance a très récemment         rections selon les secteurs de la culture
été créée (celui-ci doit toutefois être chré-   (littérature, cinéma, etc.), le manque de
tien pour assurer un certain équilibre des      qualification des employés de ces bureaux
confessions dans les postes de directeurs       ainsi que leur méconnaissance du sujet
généraux de l’Etat). Depuis 2018, et bien       ne permettent pas de mettre en place une
qu’ils aient été nommés en Conseil des          réelle stratégie différenciée selon les be-
Ministres, l’absence de signature par le        soins des secteurs dont ils sont chargés.
président de la République de leur décret       Il n’existe pas de politique culturelle ac-
respectif, a empêché les directeurs de ces      tive : les artistes et industries culturelles
trois instances de percevoir leur salaire.      œuvrent dans un cadre réglementaire qui
                                                n’encourage pas la création, ne bénéfi-
                                                cient d’aucune incitation fiscale ni d’au-
         Politique culturelle                   cune forme de protectionnisme, souffrent
                                                de la censure et de lourdeurs administra-
   Il n’existe aujourd’hui pas de réelle        tives. Ainsi, l’article 25 de la loi sur la TVA,
stratégie étatique mise en place pour le        fixée à un taux de 11% pour les sociétés
soutien de la culture au Liban. Malgré les      et travailleurs indépendants, n’exempte
pas les acteurs du secteur culturel.             tion des municipalités envers la promo-

                                                                                                  PANORAMA GÉNÉRAL
En plus de cette taxe, les industries cultu-     tion des initiatives culturelles dans leur
relles doivent à l’Etat un impôt sur leurs       circonscription est à nuancer à la lumière
bénéfices, un impôt sur les traitements et       d’une très faible implication étatique dans
les salaires, un impôt sur les contribuables     le soutien au développement des munici-
non-résidents (pour les personnes phy-           palités. En effet, les taxes collectées par
siques ou morales ne possédant pas               l’Etat pour le compte des villes ne sont
d’établissement professionnel au Liban)          pas ou très peu versées, et ce contraire-
et des frais dus à la Caisse mutuelle des        ment à ce que la législation prévoit. Ainsi,
syndicats des artistes professionnels.           la municipalité de Jezzine a fait état de sa
                                                 situation : seulement 12% du budget qui
                                                 devait lui être accordé lui a été remis par
           Décentralisation                      l’Etat en 2019. Compte tenu des crises qui
                                                 se sont succédées depuis ces dernières
   La loi de 1977 relative aux municipa-         données numériques, les ressources et
lités (et notamment les lois 47, 49 et 50)       moyens mis à disposition de la culture se
habilite celles-ci à allouer des budgets         sont encore davantage raréfiées.
au soutien d’activités culturelles dans             Bien qu’il n’existe pas de recense-
leur périmètre d’action. Celles-ci peuvent       ment officiel des activités et institutions
mettre à disposition des espaces à des           culturelles à travers le pays, l’inventaire
fins culturelles d’utilité publique ou mettre    fait par l’Agenda Culturel laisse à penser
en place des exonérations fiscales à des-        que Beyrouth concentre plus que la moi-
tination des entités culturelles. Ces lois       tié des espaces culturels du pays. Ainsi,
imposent aux municipalités de favoriser          l’absence manifeste d’infrastructure adé-
la production culturelle en fournissant la
logistique nécessaire à la production de
l’œuvre culturelle et en la mettant à la dis-
                                                 quate semble apparaître comme un élé-
                                                 ment majeur en défaveur d’une plus im-
                                                 portante consommation d’art et de culture
                                                                                                  9
position du public. La loi 37 stipule que        en dehors de Beyrouth.
les municipalités sont chargées d’enrichir           Toutefois, et si Beyrouth a longtemps
leur communauté d’activités culturelles          été le centre névralgique de la création et
et de fournir des moyens aux initiatives         de la diffusion de l’art et de la culture au
culturelles potentielles.                        Liban, les habitants des régions semblent
   Seulement, ces prérogatives sont gé-          afficher un intérêt croissant pour le sec-

                                                                                                     LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
néralement peu promues. La municipalité          teur et les villes voient émerger de plus en
de Tripoli accordait en 2019 aux industries      plus d’initiatives artistiques et culturelles.
culturelles seulement 1% de son budget           A ce propos, la ville de Tripoli a été nom-
total annuel, soit moins de 10 centimes          mée capitale culturelle du monde arabe
par résident alloué à la culture. La ville de    pour 2024. L’accès reste malheureuse-
Jezzine consacre 42% de son budget to-           ment limité, faute d’une politique étatique
tal à la culture cette même année, avec un       active à cette encontre et du fait d’un
fort investissement en faveur du tourisme.       exode massif vers la capitale et, plus ré-
Avec 14,4 dollars par résident par an pour       cemment, vers l’international, entraînant
la culture, Jezzine semble être un cas           une fuite inexorable des cerveaux.
particulier en termes d’allocation de res-
sources en faveur de la culture au Liban. A
l’inverse, les municipalités de Zahlé, Aley
ou Zouk Mickael accordent entre 2 et 4,6
dollars par résident par an à la culture, et
ce sont les villes qui attribuent le plus haut
budget au secteur parmi tout le territoire
libanais. Malgré tout, cette faible implica-
Enseignement                                     fesseurs d’arts plastiques dans les écoles

                                                                                                PANORAMA GÉNÉRAL
                                                 privées, comparées aux écoles publiques.
                                                 Les écoles privées semblent dispenser
         La pratique de l’art                    des cours d’art d’une qualité supérieure
          dans les écoles                        aux écoles publiques, ce qui peut proba-
                                                 blement s’expliquer par la liberté de dé-
   A l’école secondaire, les arts ont été        cision dont les écoles privées jouissent,
déterminés par le plan de réforme de             leurs plus importantes capacités finan-
l’éducation de 1997 comme un élément             cières, leur habilité à amender plus faci-
essentiel du processus éducatif. Pour au-        lement leur curriculum suivant les nou-
tant, les statistiques faites chaque année       velles prérogatives officielles et leur plus
par le Centre de Recherche et de Dévelop-        grande facilité à employer des contrac-
pement Pédagogiques (CRDP) font état             tuels. De plus, certaines écoles publiques,
d’un manque d’implication de la part des         qui ne disposent pas d’enseignants en
écoles en termes d’enseignement de l’art.        art, consacrent du temps à des cours
Celles-ci révèlent des disparités impor-         d’art sous des dénominations non recon-
tantes, selon les gouvernorats, dans les         nues par le curriculum officiel par des
pratiques de recrutements de professeurs         professeurs qui ne sont pas officiellement
d’arts. Alors que l’on estime le nombre          agréés à enseigner cette discipline. Une
de professeurs d’art à travers le pays à         situation similaire apparaît dans les écoles
5250 (ce qui équivaudrait à au moins deux        privées, où l’enseignement obligatoire de
professeurs par école), certaines écoles         l’art est ignoré et seulement des cours
ne disposent pas d’enseignants en art,           de dessins optionnels sont proposés aux
d’autres n’en ont qu’un seul, d’autres en-       élèves. La crise sanitaire, et la tenue des
core dédient des après-midis entières à la
pratique de l’art, tandis que certaines ne
proposent pas de cours d’art mais sug-
                                                 cours en distanciel qui l’a accompagnée,
                                                 a en outre entraîné un certain retard sur
                                                 les programmes scolaires, reléguant alors
                                                                                                10
gèrent aux élèves de rejoindre des clubs         au dernier plan la pratique des arts dans
d’art comme moyen de divertissement              les écoles. En outre, même depuis la re-
après les horaires scolaires. Il est à noter     prise des activités, les sorties scolaires,
que seuls les arts plastiques (les estima-       au théâtre ou bien dans des musées, ont
tions font cas d’environ 3800 professeurs)       été pour la plupart annulées, notamment
et la musique (environ 900 enseignants)          à cause du prix des transports. Les élèves

                                                                                                   LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
sont des matières officielles du pro-            ne sont donc que très peu sensibilisés à
gramme éducationnel libanais, le théâtre,        l’art et à la culture à l’école.
pourtant souvent proposé (aux alentours
de 550 professeurs), est une discipline
considérée comme une activité artistique              Enseignement supérieur
facultative. De plus, il semblerait que les
professeurs soient aléatoirement répartis            Plusieurs universités disposent de for-
dans les écoles selon un mode d’affec-           mation en arts au Liban :
tation qui privilégie les conditions de vie         • l’Université Libanaise dispose d’une
et d’hébergement des professeurs plutôt          Faculté de Pédagogie qui dispense des
que les besoins des écoles elles-mêmes.          cours d’éducation musicale et d’éducation
                                                 artistique et délivre des diplômes d’ensei-
   Le traitement de la pratique des arts         gnement pour ces deux spécialisations.
est bien différent selon si une école est pri-   L’Université Libanaise a également une
vée ou publique : les statistiques montrent      Faculté des Beaux-Arts et d’Architecture
qu’il y a deux fois plus de professeurs de       qui forme les professeurs de théâtre et de
musique, trois fois plus de professeurs de       beaux-arts ;
théâtre et un peu moins du double de pro-           • l’American University of Beirut a une
faculté d’Arts et dispose également d’un         situation peut s’expliquer par un besoin

                                                                                                 PANORAMA GÉNÉRAL
ciné-club ;                                      plus que jamais nécessaire d’exprimer
   • la Lebanese American University             ses idées et ressentis à travers la pra-
propose une formation en Beaux-Arts et           tique professionnelle d’une discipline ar-
en Arts du Spectacle sur son campus de           tistique et la volonté quasi vitale d’occu-
Beyrouth ainsi que d’une formation en Au-        per une profession satisfaisante pour qui
diovisuel et théâtre sur son campus de           subit déjà une situation quotidienne diffi-
Byblos ;                                         cilement supportable. En outre, la quali-
   • l’Université Saint-Esprit de Kaslik         té des enseignements dispensés par des
jouit d’une formation en photographie et         professionnels du secteur est à relever en
d’une formation en peinture et iconogra-         ce qu’elle assure aux étudiants une for-
phie, d’un département de théâtre et d’un        mation d’excellence et un réseau pour le
département de musique ;                         futur. Malgré tout, la forte dévaluation des
   • l’Université Antonine (à Baabda) a          salaires des professeurs a poussé beau-
une Faculté de Musique et de Musicolo-           coup d’entre eux à quitter leur emploi ou
gie ;                                            même le pays (à titre d’exemple, 40% des
   • l’Académie Libanaise des Beaux-             professeurs en arts visuels ont quitté leurs
Arts (qui fait partie de l’Université de Bala-   fonctions à l’Université Libanaise). Pour
mand) dispose d’une Ecole d’Arts Visuels,        assurer aux élèves la validation de leurs
d’une Ecole d’Arts Décoratifs et d’une           diplômes, les universités ont donc dû re-
Ecole de Cinéma et de Réalisation Audio-         cruter rapidement ou bien demander à
visuelle, ainsi que d’un ciné-club ;             des enseignants d’assurer plus de cours.
   • l’Université Notre-Dame de Louaizé,         La tenue des cours est également com-
située à Zouk Mosbeh, a un département           plexifiée par les coûts liés à l’essence et à
d’Arts et de Musique, ainsi qu’un départe-
ment d’Audiovisuel et théâtre ;
   • l’Université arabe de Beyrouth pro-
                                                 l’électricité : les enseignements sont donc
                                                 tenues de façon hybride, c’est-à-dire à la
                                                 fois en présentiel et en distanciel, pour
                                                                                                 11
pose une formation en audiovisuel et             contrer les difficultés de se déplacer d’une
théâtre ;                                        part, et l’absence d’internet de l’autre.
   • la Haigazian University dispense des
cours de musique ;
    • la American University of Science
and Technology dispose d’un départe-             Associations
                                                 et mécénat
                                                                                                    LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
ment d’Arts ;
   • l’Université Saint-Joseph propose
trois formations en théâtre (mise en scène,
                                                    Face à l’incapacité de l’Etat à proté-
dramaturgie et recherche). L’Université
                                                 ger et soutenir la création artistique, de
possède également son propre théâtre, le
                                                 nombreuses ONG et institutions interna-
Théâtre Beryte, où les étudiants peuvent
                                                 tionales soutiennent le secteur culturel au
performer.
                                                 Liban, parmi lesquelles :
                                                     • Al Mawred al Thaqafy est une orga-
   Si peu nombreux sont les candidats
                                                 nisation non gouvernementale régionale
à ces programmes d’études supérieures,
                                                 fondée en 2004 qui vise à soutenir les ar-
cela a toujours été le cas, tant l’art reste
                                                 tistes du monde arabe. Elle favorise les
une vocation souvent dénigrée et peu re-
                                                 échanges entre artistes de la région et
connue par la société libanaise. Pour au-
                                                 propose des subventions, des bourses
tant, il semblerait que les crises n’aient
                                                 ou des formations. Depuis le début de la
pas affecté la volonté de ces aspirants
                                                 crise, l’association a créé des cellules de
artistes à poursuivre leurs études. Le
                                                 soutien et un fonds financier pour venir en
nombre d’étudiants recensés reste sen-
                                                 aide aux artistes ;
siblement le même qu’avant 2018. Cette
                                                     • AFAC (Arab Fund for Art and Culture)
est une fondation indépendante créée en          domaines suivants : danse et arts de la

                                                                                                   PANORAMA GÉNÉRAL
2007 qui cible les artistes indépendants         scène, musique, jeux et arts visuels ;
du monde arabe et les soutient grâce à              • le Goethe Institut est le centre cultu-
des subventions ;                                rel de l’Allemagne. Outre la promotion de
    • la Friedrich Naumann Foundation, qui       la langue allemande et l’enseignement de
finance de nombreux projets artistiques et       cours, l’Institut organise et soutient des
culturels au Liban (études, festivals, etc.) ;   événements culturels dans le but de pro-
    • Robert A. Matta Foundation et Saa-         mouvoir les échanges interculturels ;
dallah & Loubna Khalil Foundation sont              • l’Istituto Italiano di Cultura est le Bu-
des mécènes qui soutiennent les arts et la       reau Culturel de l’Ambassade d’Italie. Très
culture au Liban.                                actif dans le soutien aux initiatives visant
                                                 à sauver le Patrimoine, l’institut œuvre
                                                 aussi à la circulation des idées et des arts
                                                 à travers la création et la promotion d’évé-
Aides internationales                            nements culturels au Liban.

   Les instances culturelles diploma-
tiques œuvrent grandement à la promo-
tion d’une scène artistique et culturelle        Émergence de
prolifique au Liban. On peut ici citer :         nouveaux espaces
   • l’Unesco œuvre à la promotion de la
culture au Liban comme outil de la cohé-         culturels
sion sociale. Après la double explosion du
port de Beyrouth le 4 août 2020, l’Unesco           Le Liban dénombre de nombreux
a lancé l’initiative Li Beirut, afin de soute-
nir la réhabilitation des bâtiments patrimo-
niaux, des musées et des galeries de la
                                                 centres culturels sur son territoire, parmi
                                                 lesquels ceux des institutions diploma-
                                                 tiques. Toutefois, de nombreux lieux de
                                                                                                   12
capitale et de soutenir l’économie créative      restauration ou de fête diversifient leurs
beyrouthine. Cette initiative a en outre or-     activités en proposant régulièrement des
ganisé Terdad, un événement culturel im-         concerts live ou des expositions tempo-
portant en juillet 2021 ;                        raires (l’on peut par exemple citer entre
   • l’Union Européenne, à travers sa Dé-        autres Haven for Artists ou Onomatopoeia,
légation au Liban, soutient de nombreux          à Beyrouth). Les espaces aux activités

                                                                                                      LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
projets artistiques et culturels au Liban ;      plurielles se multiplient tandis qu’une sen-
    • l’Institut français, qui dispose de neuf   sibilité à l’art et à la protection des esprits
antennes à travers le pays, est non seule-       créatifs semble s’accroître. Alors que,
ment un partenaire fréquent des initiatives      à l’international, le concept de tiers-lieu
artistiques et culturelles entreprises au Li-    est déjà relativement développé et appa-
ban mais participe aussi activement à la         raît s’affirmer comme une nouvelle façon
vie culturelle du Liban (résidences, événe-      de consommer de la culture, le Liban se
ments, festivals, etc.). L’Institut français a   tourne pareillement de plus en plus vers
notamment lancé le programme de rési-            ce type de lieu comme en réaction à l’in-
dences Nafas, afin de permettre à 100 ar-        capacité de l’Etat à mettre à disposition
tistes libanais de poursuivre leurs activités    des lieux culturels ou à les promouvoir.
de création en élaborant des échanges
culturels avec la France ;
   • le British Council a notamment lancé
l’initiative Catapult, portée par le Dépar-
tement Art et Culture, et qui vise à faire
émerger des talents en leur proposant de
collaborer avec des structures dans les
Conclusion

                                                 PANORAMA GÉNÉRAL
   Si les rendements économiques du
secteur culturel libanais sont difficilement
mesurables, tant il n’existe pas d’instance
capable de les regrouper et de les analy-
ser, les derniers chiffres en date estiment
que les industries culturelles ont enregis-
tré un revenu annuel de 894 millions de
dollars en 2019. Ainsi, et si l’on ajoute à
cette première donnée la part non tra-
çable des revenus générés par ces indus-
tries (ce qui représente environ le double),
l’on peut estimer qu’elles ont une valeur
marchande d’environ 2 milliards de dol-
lars, soit 5% du PIB.
    Les données sur les emplois et métiers
créatifs restent très lacunaires en l’ab-
sence d’étude nationale sur la population
active et sa répartition dans le monde du
travail par l’Etat ou une instance agréée.
Toutefois, l’Administration centrale de la
Statistique a publié une étude en 2018 fai-
sant état de 13 000 personnes occupant
des métiers artistiques, soit 0,8% de la
population active. Une autre enquête, ef-
                                                 13
fectuée par la Banque Mondiale estimerait
ce chiffre à 75 000 personnes, soit 4,5%
de la population active. L’Institut des Fi-
nances quant à lui considère que 100 000
personnes travaillent dans les secteurs
créatifs au sens strict du terme. A cette

                                                    LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
donnée peuvent être ajoutés les travail-
leurs qualifiés et les artisans, la population
“potentiellement créative” s’élève alors à
360 000 personnes, soit 20% de la popu-
lation active.
    Ainsi, et si le secteur reste ostensible-
ment vivace, source de rendements éco-
nomiques importants mais aussi essentiel
à la continuité d’une identité nationale et
d’un rayonnement à l’international, l’ab-
sence d’une vision ou d’une volonté en
faveur d’une politique culturelle globale
menée par le Ministère de la Culture et la
dépendance totale du secteur aux initia-
tives privées ou associatives, qui préca-
rise les artistes et les entreprises restent
les problématiques les plus préoccu-
pantes aujourd’hui au Liban.
État
   des lieux
   sectoriel
   Les dossiers qui suivent s’ajoutent à      Cette analyse repose sur :
la vision transversale étudiée plus tôt en        • une collecte de données et de statis-
proposant une analyse complémentaire,         tiques issues d’analyses multiples et com-
par secteur, des réalités et enjeux de la     parées ;
culture et de ses différents domaines que        • la consultation d’une quarantaine
sont :                                        d’acteurs majeurs des différents secteurs.
   • la musique
    • les arts de la scène                        Ici, une importance toute particulière a
    • les arts visuels                        été donnée à la variété des interlocuteurs
   • le cinéma                                contactés : l’étude qui suit s’apparente
   • la littérature                           donc à un condensé des propos d’artistes,
   • le patrimoine                            d’associations, de producteurs et autres
Il sera ainsi question de détailler leurs :   professionnels de la promotion et de la
    • conditions de création et de produc-    distribution de la culture au Liban. Le des-
tion                                          sein de cette recherche réside donc dans
   • conditions de programmation et de        l’édification de conclusions les plus ob-
diffusion                                     jectives et réalistes possibles. L’évidente
   • publics                                  impossibilité de s’entretenir avec l’inté-
   • modèles économiques                      gralité de la scène artistique et culturelle
Une telle classification permettra de s’in-   implique une nécessaire non-exhaustivité
téresser aux spécificités de ces secteurs,    des analyses faites ci-après. En revanche,
et sera ainsi l’occasion de déterminer        ces dossiers doivent être envisagés
quels sont les enjeux globaux ainsi que       comme des enseignements ouverts à de
les problématiques particulières de ceux-     plus amples recherches pour qui souhaite
ci.                                           voir la culture prospérer au Liban.
Mu

                                                                                               MUSIQUE
                                                Le Conservatoire Libanais Supérieur de
                                                Musique, présidé par Walid Moussalem,

  sique
                                                est composé d’un orchestre philharmo-
                                                nique et d’un orchestre oriental.
                                                Alors que l’orchestre philharmonique
                                                comptait auparavant un tiers d’étrangers,
                                                ceux-ci, du fait de la dévaluation drama-
                                                tique de la livre libanaise et donc de la
                                                baisse drastique des salaires, ont dû re-
   Il est important, pour pouvoir mieux         noncer, pour un grand nombre à leur poste.
appréhender la scène musicale libanaise,        Cela a gravement affecté l’orchestre qui a
de différencier plusieurs types de pro-         vu son effectif se réduire et la disparition
ductions musicales. Seront abordés dans         de pupitres de musiciens. Le nombre de
l’étude qui suit la musique classique, por-     concerts a donc dû être réduit, d’autant
tée par les orchestres philharmonique           plus que les musiciens restants sont dé-
et oriental de l’Orchestre National, ainsi      sormais incapables de se déplacer tous
que les musiques dites actuelles, qui re-       les jours au Conservatoire à cause des prix
groupent différents styles musicaux parmi       de l’essence. Ainsi, la saison 2020/2021
lesquels le rock, le jazz, la pop, la musique   de l’orchestre philharmonique n’a vu que
électronique, etc.                              quatre concerts se jouer, contre 35 aupa-
L’étude qui suit omet volontairement de         ravant. L’intégralité des concerts de l’or-
mentionner les chanteur-stars libanais et       chestre oriental ont été annulés.
libanaises, car leur succès implique un         Le Conservatoire dispose également

                                                                                               15
chiffre d’affaire et une capacité d’expor-      d’une formation en musique qui est gra-
tation incomparable avec la réalité de la       tuite et ouverte aux élèves à partir de 7
situation des artistes du pays.                 ans. Le cursus est divisé en deux départe-
                                                ments : occidental et arabe. Outre la pra-
                                                tique d’un instrument, les étudiants sont
                                                amenés à étudier les matières théoriques
Conditions                                      (formation musicale, harmonie, fugue,

de création                                     contrepoint, histoire de la musique, etc.)
                                                et à participer à une chorale et à des en-
et de production                                semble instrumentaux. Le Conservatoire

                                                                                                LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
                                                délivre des diplômes de niveau baccalau-
         Musique classique                      réat, licence et master. Avant le début des
                                                crises, l’école rassemblait entre 5500 et
   La pratique de la musique classique          6000 élèves toutes branches confondues.
au Liban n’est généralement et malheu-          Depuis 2019, a été entamé le projet d’un
reusement pas encouragée et la profes-          siège pour le Conservatoire Libanais Su-
sion reste mal payée et mal considérée.         périeur de Musique à Dbayeh. Financé par
Malgré tout, la musique classique bénéfi-       le gouvernement chinois à hauteur de 62
cie d’un soutien important de la part des       millions de dollars, il s’agit de construire
instances diplomatiques étrangères, ce          deux bâtiments qui regroupera une salle
qui a permis à cette discipline de mainte-      de concert de 1200 places pour les deux
nir un certain niveau d’activité malgré les     orchestres, ainsi que huit étages destinés
crises. Aujourd’hui, le départ de beaucoup      à la gestion du Conservatoire et à l’ensei-
de musiciens classiques étrangers, ajouté       gnement universitaire permettant aux en-
à l’incapacité pour les musiciens libanais      seignants de délivrer des diplômes en in-
d’aller se former à l’étranger est un pro-      terprétation, composition et théorie de la
blème majeur qui s’est soldé en une im-         musique. Ce bâtiment sera prêt, en prin-
portante baisse du niveau.                      cipe en octobre 2023.
Musiques actuelles                      Anghami est une plateforme de streaming

                                                                                                 MUSIQUE
                                                 fondée en 2011 au Liban par Elie Habib et
    L’offre de formation reste assez limi-
                                                 Eddy Maroun. Instigatrice de la notion de
tée en ce qui concerne les musiques ac-
                                                 service musical légal au Moyen-Orient, la
tuelles. Si beaucoup de musiciens sont
                                                 plateforme compte aujourd’hui 78 millions
autodidactes, certains sont toutefois pas-
                                                 d’utilisateurs. Anghami fonctionne sur 29
sés par des professeurs indépendants ou
                                                 réseaux mobiles dans la région MENA
bien par des écoles. Ainsi, seules l’USEK
                                                 et propose des abonnements quotidien,
dispose d’une École de Musique et l’Uni-
                                                 hebdomadaire ou mensuel. Face à la crise
versité Antonine délivre une licence en
                                                 financière observée au Liban, l’entreprise,
musique et musicologie.
                                                 toujours détenue à hauteur de 32% par ses
    Ces dernières années, de nombreux ar-
                                                 deux cofondateurs, a choisi de restreindre
tistes du secteur musical ont été contraints
                                                 ses bureaux à Beyrouth au marketing et à
d’émigrer afin de préserver leur activité.
                                                 la création de contenu, tandis que le pôle
Depuis l’étranger, beaucoup continuent à
                                                 technologique se trouve, depuis 2021, à
travailler au regard du Liban, c’est-à-dire
                                                 Dubaï. Le 3 février 2022, Anghami deve-
que leurs activités s’orientent souvent
                                                 nait la première entreprise tech du monde
autour d’une collaboration entre artistes
                                                 arabe à être cotée en bourse à New York.
issus de la diaspora libanaise et pour es-
pérer pouvoir reconstruire une scène ar-
tistique au Liban un jour (l’on peut ici citer
Zeid Hamdan qui, depuis la France, s’as-            Les artistes qui sont restés dans le
socie à des artistes libanais pour organi-       pays pâtissent d’une situation qui ne leur
ser des événements ensemble, ou bien             est pas favorable. D’une part, la double ex-
                                                 plosion du port du 4 août 2020 ainsi que la

                                                                                                 16
encore Anthony Semaan, anciennement
propriétaire de la plateforme Beirut Jam         crise financière ont poussé à la fermeture
Sessions qui organise désormais des              de beaucoup de studios d’enregistrement
bookings à Londres). Toutefois, l’expor-         ; l’on estime le nombre de studios encore
tation de la production musicale libanaise       en activité à une dizaine seulement. Avant
est rendue complexe par le traitement de         2018, l’heure d’enregistrement était factu-
la propriété intellectuelle vis-à-vis d’une      rée entre 45 et 70 dollars aux artistes par
œuvre artistique, son respect étant une          les studios ; aujourd’hui, il est impossible
problématique importante au Liban et au          de déterminer un prix fixe. Pour créer un
Moyen-Orient. Le concept n’est que très          son, un chanteur a plusieurs possibilités :

                                                                                                  LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
peu connu des artistes et souvent peu ob-           • il peut trouver quelqu’un pour lui en-
servé. Cette situation pose en effet pro-        registrer ses paroles sur une instrumen-
blème à l’étranger car l’Europe et l’Amé-        tale libre de droits trouvée sur internet, ce
rique du Nord sont très vigilants quant à        qui lui reviendra à environ 300 000 livres
ces questions. S’il existe une délégation        libanaises ;
pour le Liban de la SACEM (Société des              • il peut travailler avec un producteur
Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Mu-         de musique qui va composer une mélodie
sique) qui reste la seule société légitime       sur laquelle l’artiste va poser ses paroles
à exercer la perception du droit d’auteur        et ensuite l’enregistrer. Aujourd’hui, un
sur le territoire, son envergure d’action        producteur libanais fait payer entre 300 et
reste très limitée. Ainsi, le piratage est       400 dollars pour une chanson ;
très fréquent et les artistes libanais, bien        • il peut choisir de s’entourer d’une
conscients de la situation, reportent le         équipe, généralement composée d’un pro-
déficit induit par l’absence de revenus          ducteur, d’un compositeur, d’un ingénieur
de leur sorties musicales sur la tenue de        du son, d’un ingénieur de mixage et d’un
concert live. Ils ne promeuvent donc que         ingénieur du mastering, et d’enregistrer
très peu leurs produits (CD, singles, etc.)      ses chansons dans un studio d’enregis-
et comblent le manque à gagner en espé-          trement. Cette option coûte environ 5000
rant les cachets les plus élevés.                dollars, suivant le temps d’enregistrement
et le volume de production souhaitée.           un moyen de pallier les astreintes à tra-

                                                                                                 MUSIQUE
    Les labels, quant à eux, sont toujours      vers le digital, notamment sur YouTube ou
actifs dans le soutien des artistes liba-       via des vidéos live publiées sur les réseaux
nais. L’on peut citer ici Rupture ou encore     sociaux, cette solution reste précaire et ne
Thawra Records. Ils sont chargés d’aider        peut contenter le public.
l’artiste dans la réalisation de son projet,
de lui trouver des financements, de gérer
son image, de le distribuer. Mais rares sont             Musiques actuelles
les artistes à avoir signé avec un label au
Liban : à titre d’exemple, sur une quaran-         Les artistes doivent pouvoir trouver
taine d’artistes hip-hop au Liban, seul un      leurs propres équipements, leur public,
est pris en charge par un label, et celui-ci    ainsi que d’être en mesure de “se vendre”
n’est même pas libanais. Les artistes qui       eux-mêmes sur les réseaux sociaux.
n’ont pas de label sont face à deux choix       La censure est également à prendre en
: soit ils décident de s’auto-produire de       compte pour les musiciens et chanteurs
manière indépendante, soit ils trouvent un      libanais : le pays a vu plusieurs fois des
distributeur qui, contre 30% des revenus        concerts annulés à la demande des au-
générés par l’artiste, va prendre en charge     torités ecclésiastiques ou pour des rai-
l’aspect marketing du travail et la distri-     sons politiques (l’on peut ici mentionner
bution de sa musique sur les plateformes        l’exemple du groupe Mashrou’ Leila em-
de streaming. Malgré tout, la diffusion sur     pêché de se produire au festival interna-
ces plateformes (Anghami pour la région         tional de Byblos en 2019).
Moyen-Orient - Afrique du Nord, Spotify,            Concernant les festivals spécialisés en
Deezer, etc.) n’est que très peu rémuné-        musiques actuelles, il n’en existe plus que
ratrice : les artistes ne sont payés que
0,03 dollar par stream (comprendre par
écoute).
                                                deux au Liban : Irtijal et Beirut & Beyond.
                                                Au vu de la rareté de ces initiatives, Irtijal
                                                et Beirut & Beyond se posent désormais
                                                                                                 17
                                                comme les défenseurs d’une création mu-
                                                sicale diverse et de qualité. Alors qu’ils

Conditions de
                                                étaient originellement destinés à accueil-
                                                lir une musique que l’on pourrait qualifier
programmation                                   d’expérimentale, cette orientation “de

et de diffusion                                 niche” ne peut plus être envisagée et les

                                                                                                  LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
                                                organisateurs s’attachent aujourd’hui à
                                                proposer leur scène à tous, afin d’aider au
         Musique classique                      mieux la production musicale libanaise.
                                                En outre, Irtijal s’est dernièrement imposé
    Si les seules salles réellement destinées   en ONG : à travers une mission de sou-
à accueillir un orchestre sont celles du Ca-    tien à la production des artistes sur scène
sino du Liban, du Palais des Congrès et         et grâce à des workshops organisés avec
du Palais de l’Unesco, la grande prédomi-       l’Unesco pour aider financièrement les
nance des églises et auditoriums universi-      musiciens, le festival fait désormais office
taires comme lieu de concert des récitals       de réelle instance de soutien pour le sec-
de musique classique traduit un manque          teur de la musique au Liban.
certain de site où les orchestres peuvent
se produire. En outre, la crise sanitaire          Concernant la musique électronique,
mondiale a fortement touché le secteur          la destruction des clubs emblématiques
musical en ce qu’elle a rendu impossible        de Beyrouth suite à la double explosion
la tenue de concerts et de tournées alors       du port du 4 août 2020 a laissé un vide
même qu’ils représentent l’essence de ce        sur le marché qui a permis à des collectifs
qu’est la musique. Si le secteur a trouvé       itinérants de s’imposer. Cela a entraîné un
renouveau de la scène house et techno,
                                               Modèles

                                                                                              MUSIQUE
qui a retrouvé un élan innovateur de quali-
té. Pareillement, les DJ locaux sont désor-    économiques
mais plus sollicités car il est devenu quasi
impossible de faire venir des artistes de
l’étranger.
                                                        Musique classique
                                                  
                                                   Les festivals et concerts de musique
                                               classique au Liban (Beirut Chants, le festi-
Publics                                        val du Bustan et autres initiatives privées)
                                               ont toujours principalement fait reposer
                                               leur financement sur le mécénat. A partir
         Musique classique                     de 2018, ils ont réussi, malgré l’arrêt des
                                               subventions par les banques, à trouver
    Depuis la fin des confinements, en juin    une certaine stabilité financière dans la
2021, la demande de concerts et événe-         collaboration avec l’étranger. Ils béné-
ments musicaux est très importante. Le         ficient de partenariats, de bourses des
public semble être au rendez-vous, d’au-       festivals internationaux et jouissent aussi
tant plus qu’un effort considérable est fait   de la générosité de la diaspora. Pour cer-
pour assurer une gratuité ou des prix dé-      tains, cet important soutien leur permet
risoires à une population dont le pouvoir      d’assurer une gratuité de la manifestation,
d’achat a été considérablement ébranlé.        et donc un public important.
Cette situation, si elle mène à une préca-
rité monétaire toujours plus importante
pour les artistes, leur permet en revanche

                                                                                              18
                                                       Musiques actuelles
d’assurer la continuité de leurs activités.
                                                   La plupart des professionnels de la
                                               musique au Liban se voient obligés de
        Musiques actuelles                     trouver d’autres sources de revenus (sou-
                                               vent dans l’enseignement ou à travers des
    Globalement, l’offre est essentielle-      prestations pour des soirées, mariages,
ment concentrée à Beyrouth, et ce d’au-        etc.) pour pouvoir subvenir à leurs besoins.
tant plus en ce qui concerne la scène          Les musiciens indépendants peinent à fi-
house et techno. Seuls quelques événe-         nancer leurs productions, d’autant plus

                                                                                               LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL
ments sont organisés par les collectifs de     que l’enregistrement de musique est for-
musique électronique en région durant          tement complexifié à cause de la situation
l’été, le plus souvent autour des grandes      financière du pays car l’achat de matériel
stations balnéaires. Seulement, beaucoup       ne peut se faire qu’en dollar.
de jeunes libanais ont quitté le pays, fai-       En ce qui concerne les clubs, la dé-
sant drastiquement baisser le nombre           valuation toujours plus importante de la
d’entrées. Ainsi, l’on observe une nette       crise entraîne une difficulté à fixer des
hausse de la fréquentation des clubs du-       prix qui conviennent à la fois aux clients
rant les périodes qui correspondent aux        et aux artistes. Plus de 75% des coûts
vacances de la diaspora (l’été et Noël), car   qu’implique l’organisation d’une soirée en
ces expatriés reviennent au Liban, tandis      discothèque sont à régler en dollar, tandis
qu’il est plus compliqué d’attirer un large    que les rentrées d’argent liées à la vente
public pendant l’année.                        de tickets et de boissons sont faites en
    Pour ce qui est des concerts, le public    livre libanaise. Ainsi, les bénéfices liés à
semble être au rendez-vous malgré une          l’organisation d’une soirée ne permettent
perte évidente, les manifestations ras-        pas aux organisateurs de se rémunérer,
semblent généralement entre 200 et 500         car ils sont constamment réinvestis pour
personnes chaque soir.                         la tenue de futurs événements.
Vous pouvez aussi lire