Les arts et la culture au Liban - Radiographie de la situation culturelle de la thawra à février 2022
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Les arts et la culture au Liban Radiographie de la situation culturelle de la thawra à février 2022 Février 2022
RÉDIGÉ PAR Emma Moschkowitz AVEC LA PARTICIPATION DE Mariotte Mura Leslie Saliba GRAPHISME ET MISE EN PAGE PAR Iléana Khayat-Lespagnol www.ileanakhayatlespagnol.fr SOUS LA DIRECTION DE Myriam Nasr Shuman EN PARTENARIAT AVEC Robert Matta Foundation Février 2022
Qui sommes-nous ? La promotion de la culture est le credo de l’Agenda Culturel, sa raison d’être et sa mission. Depuis 27 ans, notre magazine, aussi bien dans sa version papier (avant 2019) qu’en ligne [www.agendaculturel.com], œuvre à la promotion des rendez-vous culturels du Liban auprès du plus grand nombre, et en cela, encourage le déve- loppement de la vie culturelle, artistique, et touristique dans le pays. L’Agenda Culturel est la seule publication spécialisée dans la mise en valeur des activités culturelles au Liban, et la première en son genre dans le monde arabe. Il est à présent disponible en version anglophone, avec le Mym Agenda [www.my- magenda.com]. Ce nouveau site web couvre l’actualité culturelle au Liban, et dans tous les pays du Moyen-Orient. L’Agenda Culturel, c’est aussi le BAM [www.bamleb.com], notre guide touristique du Liban, teinté des pigments de notre expertise culturelle. Enfin, notre entreprise organise des conférences, évènements, week-ends et voyages culturels, au Liban et ailleurs. www.agendaculturel.com info@agendaculturel.com +961 78 959670 Beyrouth, Liban
Note d’intention Convaincus de l’absolue nécessité du maintien d’une offre culturelle et ar- tistique plurielle et dynamique, l’Agenda Culturel ainsi que les différents ac- teurs qui composent et font la vie culturelle libanaise cultivent le souhait de voir la production artistique se perpétuer et fructifier. En dépit de la conjoncture nationale actuelle, et précisément dans l’espoir d’un avenir meilleur pour le pays et sa vie artistique et culturelle, l’étude qui suit représente l’aboutissement d’une enquête de terrain du secteur culturel tel qu’il existe aujourd’hui au Liban. Les entretiens effectués auprès de plus d’une quarantaine de personnes dans les différentes disciplines du secteur culturel, s’inscrivent dans l’objectif de mieux appréhender les besoins des acteurs du secteur. L’étude représente donc un outil de travail à privilégier pour qui sou- haite s’investir dans le maintien et le développement d’une vie artistique et culturelle à même de répondre aux besoins des artistes, mais également du public. Soutenir un secteur subissant la grave crise libanaise, fédérer une commu- nauté d’acteurs, maintenir la création, entretenir une expertise sur le sujet, as- surer une diversité culturelle, les enjeux sont nombreux et il est donc impératif de consigner et de définir une vision globale du secteur afin d’espérer pou- voir y répondre. Pour la fomentation d’une identité durable pour le pays, pour l’éducation des plus jeunes, pour l’entretien d’une parole novatrice et libéra- trice, et parce qu’elle représente à la fois une source de catharsis, d’espoir et d’inclusion, la culture doit continuer d’occuper une place de première ampleur parmi les considérations essentielles à la prospérité du pays et au bien-être de ses habitants.
Sommaire 06 PANORAMA GÉNÉRAL 07...........................Héritage et diversité culturelle 07.....Situation politique et économique du Liban 07.......................................................Gouvernance 10......................................................Enseignement 11....................................Associations et mécénat 12..........................................Aides internationales 12.....Émergence de nouveaux espaces culturels 13...........................................................Conclusion 14 ÉTAT DES LIEUX SECTORIEL 15................................................................Musique 20..................................................Arts de la Scène 24..........................................................Arts Visuels 27.................................................................Cinéma 32............................................................Littérature 36............................................................Patrimoine 43...........................................................Conclusion
Pano rama général Cette première partie s’attache à dé- rôle des municipalités dans la démocra- finir qui sont les instances en charge de tisation culturelle du pays sera abordé. la culture au Liban et à rendre compte de L’étude s’interrogera ensuite sur la teneur l’état de leurs travaux. Partant d’un bref de la formation en arts mis en place par contexte historique qui semble suggé- les structures éducatives, à la fois aux rer une position favorable à une création niveaux secondaires et supérieurs. S’en artistique libre et plurielle, il sera ensuite suivra une énumération des associations, question d’expliciter la situation écono- locales, régionales et internationales ma- mique, sanitaire et politique actuelle du jeures attenant au soutien de la culture au Liban afin d’inscrire l’étude dans la réalité Liban. la plus actuelle du pays. L’étude du panorama global des ac- Il s’agira ensuite de répertorier les teurs principaux du secteur dans le pays grandes institutions culturelles du pays, permettra ainsi de savoir dans quel cadre, en commençant par l’autorité étatique, politique, législatif, éducatif et associatif, le Ministère de la Culture. A cet effet, les arts et la culture évoluent au Liban, ses engagements et dispositions en fa- afin de pouvoir appréhender au mieux les veur de la culture seront détaillés. Puis, le enjeux des sous-secteurs de la culture.
Héritage et diversité différentes périodes de confinements ont PANORAMA GÉNÉRAL fortement affecté l’économie, et notam- culturelle ment les secteurs de la restauration, de la fête, du spectacle, de la culture, etc. Riche d’une Histoire incontestable- La double explosion du 4 août au port de ment multiculturelle, le Liban s’est façon- Beyrouth a dévasté la ville, et plus parti- né autour d’une diversité de confessions, culièrement les quartiers de Gemmayzé et de communautés et d’influences venues Mar Mikhael qui concentraient une impor- irriguer le pays et ses habitants d’une ou- tante part de l’activité festive, artistique verture d’esprit intellectuelle et artistique. et culturelle de la capitale. Le drame, à la Largement trilingue, le pays du Cèdre at- fois humain et matériel, s’est accompa- tire acteurs régionaux et occidentaux et gné d’une démission du gouvernement s’est affirmé, au cours de son existence, qui, déjà très affaibli par une contestation comme un haut lieu de culture et d’art au virulente de ses capacités, n’a pu trouver Moyen-Orient. Sa production artistique de succession durant treize mois. La fail- y est éclectique, libre et réputée dans le lite de l’Etat n’a fait qu’aggraver la situa- monde entier. tion, surtout du point de vue des énergies (électricité et essence). Ainsi, l’incertitude inhérente à cette pé- riode de crises a fortement touché le sec- Situation politique et teur culturel ces trois dernières années. économique du pays Gouvernance Alors que la thawra (révolution), inter- venue en octobre 2019, laissait espérer un mouvement instigateur d’un nouveau Le Ministère de la Culture libanais voit 7 souffle pour la politique libanaise, les le jour en 1993, et est couplé au Minis- crises qui lui ont succédé ont ralenti l’idée tère de l’Enseignement supérieur jusqu’en d’un renouvellement. 2000. En 2020, son budget annuel était de Avec l’écroulement du système ban- 33 millions de dollars, soit 0,24% du bud- caire, le peuple a vu ses économies blo- get de l’Etat, ce qui est un des plus faibles quées dans les banques. Alors que, origi- portefeuilles ministériels (à titre de com- LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL nellement le dollar équivalait à 1500 livres paraison, la France accorde aujourd’hui libanaises, et que les deux monnaies 2,56% de son budget annuel à la culture). circulaient conjointement dans le pays, Le budget pour 2022 est estimé à 0,045% l’incapacité du système financier à fonc- du budget de l’Etat, ce qui représente 2 tionner a entrainé la mise en place d’un millions de dollars, mais le taux officiel marché noir sur lequel dollar et livre liba- étant encore fixé à 1 dollar pour 1500 naise s’échangent à des taux qui varient livres, cela représente environ 150 000 chaque jour, au gré des remous. Paral- dollars sur un marché noir qui fixe actuel- lèlement, les prix du marché s’adaptent lement le dollar à 20 000 livres libanaises. continuellement à la dévaluation toujours plus forte de la livre libanaise, amoindris- Aujourd’hui, le cabinet est divisé en sant un peu plus chaque jour le pouvoir deux directions : d’achat des Libanais. • la Direction Générale des Antiquités La crise sanitaire a ajouté à la compli- (DGA), responsable des bâtiments tradi- cation des conditions de vie de la popu- tionnels classés, des fouilles archéolo- lation en ce qu’elle s’est accompagnée giques et des biens culturels ; de bouclages totaux du pays durant de • la Direction de la Culture, qui s’oc- long mois. Les restrictions qui ont suivi les cupe des différents secteurs artistiques
et culturels ainsi que des industries cultu- tentatives du Ministère de mandater des PANORAMA GÉNÉRAL relles. études pour faire du milieu culturel un secteur économiquement rentable et un Trois organismes publics sont ratta- outil de développement économique, au- chés au Ministère : cune des recommandations produites par • le Conseil Général des Musées qui Strategy& ou relevés au cours de la confé- est une commission nationale indépen- rence CÈDRE (Conférence Économique dante créée en 2018. Actuellement, la pré- pour le Développement par les Réformes sidente générale, retenue sur concours, et avec les Entreprises) en 2018 n’ont été est Anne-Marie Afeiche. Ses membres prises en compte depuis. Après l’explo- sont nommés en Conseil des Ministres ; sion, le Ministère a été très peu présent • le Conservatoire National de Mu- dans le processus de reconstruction qui sique, créé en 1920, est aujourd’hui dirigé incluait pourtant de nombreuses organi- par Walid Moussallem. Il dispose égale- sations culturelles, industries culturelles ment de deux orchestres, philharmonique et artistiques. Par exemple, et si la Direc- et oriental, et de quinze succursales à tra- tion Générale des Antiquités a estimé à vers le pays. Grâce à ses enseignements, 600 le nombre de bâtiments patrimoniaux le Conservatoire dispose de l’exclusivité détruits par la double explosion du 4 août d’octroi d’un doctorat en musique. C’est 2020, le Ministère de la Culture n’a, hor- également un centre national d’archives mis l’octroi de permis de restauration et et de recherche sur la musique ; le gel des transactions immobilières dans • la Bibliothèque Nationale, dirigée par les quartiers détruits par l’explosion, en- Hassan Acra, est une institution nationale trepris aucune levée de fonds. publique dont la mission s’articule autour de la conservation des archives écrites du Liban. Ainsi, quel que soit le secteur artistique dans lequel ils évoluent, les artistes ne bé- néficient d’aucun statut vis-à-vis de l’Etat. 8 La direction générale de ces trois enti- Ils sont des travailleurs “normaux” et leur tés est soumise au confessionnalisme en art n’est pas protégé car la culture est vigueur au niveau étatique : le directeur du considérée par les gouvernants comme Conservatoire doit être grec-orthodoxe et tout autre produit de consommation et le directeur de la Bibliothèque doit être les entreprises culturelles sont soumises maronite, seul le directeur du Conseil Gé- aux mêmes règles que toute autre société LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL néral des Musées ne dépend pas de ce commerciale. S’il existe bien des sous-di- critère car l’instance a très récemment rections selon les secteurs de la culture été créée (celui-ci doit toutefois être chré- (littérature, cinéma, etc.), le manque de tien pour assurer un certain équilibre des qualification des employés de ces bureaux confessions dans les postes de directeurs ainsi que leur méconnaissance du sujet généraux de l’Etat). Depuis 2018, et bien ne permettent pas de mettre en place une qu’ils aient été nommés en Conseil des réelle stratégie différenciée selon les be- Ministres, l’absence de signature par le soins des secteurs dont ils sont chargés. président de la République de leur décret Il n’existe pas de politique culturelle ac- respectif, a empêché les directeurs de ces tive : les artistes et industries culturelles trois instances de percevoir leur salaire. œuvrent dans un cadre réglementaire qui n’encourage pas la création, ne bénéfi- cient d’aucune incitation fiscale ni d’au- Politique culturelle cune forme de protectionnisme, souffrent de la censure et de lourdeurs administra- Il n’existe aujourd’hui pas de réelle tives. Ainsi, l’article 25 de la loi sur la TVA, stratégie étatique mise en place pour le fixée à un taux de 11% pour les sociétés soutien de la culture au Liban. Malgré les et travailleurs indépendants, n’exempte
pas les acteurs du secteur culturel. tion des municipalités envers la promo- PANORAMA GÉNÉRAL En plus de cette taxe, les industries cultu- tion des initiatives culturelles dans leur relles doivent à l’Etat un impôt sur leurs circonscription est à nuancer à la lumière bénéfices, un impôt sur les traitements et d’une très faible implication étatique dans les salaires, un impôt sur les contribuables le soutien au développement des munici- non-résidents (pour les personnes phy- palités. En effet, les taxes collectées par siques ou morales ne possédant pas l’Etat pour le compte des villes ne sont d’établissement professionnel au Liban) pas ou très peu versées, et ce contraire- et des frais dus à la Caisse mutuelle des ment à ce que la législation prévoit. Ainsi, syndicats des artistes professionnels. la municipalité de Jezzine a fait état de sa situation : seulement 12% du budget qui devait lui être accordé lui a été remis par Décentralisation l’Etat en 2019. Compte tenu des crises qui se sont succédées depuis ces dernières La loi de 1977 relative aux municipa- données numériques, les ressources et lités (et notamment les lois 47, 49 et 50) moyens mis à disposition de la culture se habilite celles-ci à allouer des budgets sont encore davantage raréfiées. au soutien d’activités culturelles dans Bien qu’il n’existe pas de recense- leur périmètre d’action. Celles-ci peuvent ment officiel des activités et institutions mettre à disposition des espaces à des culturelles à travers le pays, l’inventaire fins culturelles d’utilité publique ou mettre fait par l’Agenda Culturel laisse à penser en place des exonérations fiscales à des- que Beyrouth concentre plus que la moi- tination des entités culturelles. Ces lois tié des espaces culturels du pays. Ainsi, imposent aux municipalités de favoriser l’absence manifeste d’infrastructure adé- la production culturelle en fournissant la logistique nécessaire à la production de l’œuvre culturelle et en la mettant à la dis- quate semble apparaître comme un élé- ment majeur en défaveur d’une plus im- portante consommation d’art et de culture 9 position du public. La loi 37 stipule que en dehors de Beyrouth. les municipalités sont chargées d’enrichir Toutefois, et si Beyrouth a longtemps leur communauté d’activités culturelles été le centre névralgique de la création et et de fournir des moyens aux initiatives de la diffusion de l’art et de la culture au culturelles potentielles. Liban, les habitants des régions semblent Seulement, ces prérogatives sont gé- afficher un intérêt croissant pour le sec- LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL néralement peu promues. La municipalité teur et les villes voient émerger de plus en de Tripoli accordait en 2019 aux industries plus d’initiatives artistiques et culturelles. culturelles seulement 1% de son budget A ce propos, la ville de Tripoli a été nom- total annuel, soit moins de 10 centimes mée capitale culturelle du monde arabe par résident alloué à la culture. La ville de pour 2024. L’accès reste malheureuse- Jezzine consacre 42% de son budget to- ment limité, faute d’une politique étatique tal à la culture cette même année, avec un active à cette encontre et du fait d’un fort investissement en faveur du tourisme. exode massif vers la capitale et, plus ré- Avec 14,4 dollars par résident par an pour cemment, vers l’international, entraînant la culture, Jezzine semble être un cas une fuite inexorable des cerveaux. particulier en termes d’allocation de res- sources en faveur de la culture au Liban. A l’inverse, les municipalités de Zahlé, Aley ou Zouk Mickael accordent entre 2 et 4,6 dollars par résident par an à la culture, et ce sont les villes qui attribuent le plus haut budget au secteur parmi tout le territoire libanais. Malgré tout, cette faible implica-
Enseignement fesseurs d’arts plastiques dans les écoles PANORAMA GÉNÉRAL privées, comparées aux écoles publiques. Les écoles privées semblent dispenser La pratique de l’art des cours d’art d’une qualité supérieure dans les écoles aux écoles publiques, ce qui peut proba- blement s’expliquer par la liberté de dé- A l’école secondaire, les arts ont été cision dont les écoles privées jouissent, déterminés par le plan de réforme de leurs plus importantes capacités finan- l’éducation de 1997 comme un élément cières, leur habilité à amender plus faci- essentiel du processus éducatif. Pour au- lement leur curriculum suivant les nou- tant, les statistiques faites chaque année velles prérogatives officielles et leur plus par le Centre de Recherche et de Dévelop- grande facilité à employer des contrac- pement Pédagogiques (CRDP) font état tuels. De plus, certaines écoles publiques, d’un manque d’implication de la part des qui ne disposent pas d’enseignants en écoles en termes d’enseignement de l’art. art, consacrent du temps à des cours Celles-ci révèlent des disparités impor- d’art sous des dénominations non recon- tantes, selon les gouvernorats, dans les nues par le curriculum officiel par des pratiques de recrutements de professeurs professeurs qui ne sont pas officiellement d’arts. Alors que l’on estime le nombre agréés à enseigner cette discipline. Une de professeurs d’art à travers le pays à situation similaire apparaît dans les écoles 5250 (ce qui équivaudrait à au moins deux privées, où l’enseignement obligatoire de professeurs par école), certaines écoles l’art est ignoré et seulement des cours ne disposent pas d’enseignants en art, de dessins optionnels sont proposés aux d’autres n’en ont qu’un seul, d’autres en- élèves. La crise sanitaire, et la tenue des core dédient des après-midis entières à la pratique de l’art, tandis que certaines ne proposent pas de cours d’art mais sug- cours en distanciel qui l’a accompagnée, a en outre entraîné un certain retard sur les programmes scolaires, reléguant alors 10 gèrent aux élèves de rejoindre des clubs au dernier plan la pratique des arts dans d’art comme moyen de divertissement les écoles. En outre, même depuis la re- après les horaires scolaires. Il est à noter prise des activités, les sorties scolaires, que seuls les arts plastiques (les estima- au théâtre ou bien dans des musées, ont tions font cas d’environ 3800 professeurs) été pour la plupart annulées, notamment et la musique (environ 900 enseignants) à cause du prix des transports. Les élèves LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL sont des matières officielles du pro- ne sont donc que très peu sensibilisés à gramme éducationnel libanais, le théâtre, l’art et à la culture à l’école. pourtant souvent proposé (aux alentours de 550 professeurs), est une discipline considérée comme une activité artistique Enseignement supérieur facultative. De plus, il semblerait que les professeurs soient aléatoirement répartis Plusieurs universités disposent de for- dans les écoles selon un mode d’affec- mation en arts au Liban : tation qui privilégie les conditions de vie • l’Université Libanaise dispose d’une et d’hébergement des professeurs plutôt Faculté de Pédagogie qui dispense des que les besoins des écoles elles-mêmes. cours d’éducation musicale et d’éducation artistique et délivre des diplômes d’ensei- Le traitement de la pratique des arts gnement pour ces deux spécialisations. est bien différent selon si une école est pri- L’Université Libanaise a également une vée ou publique : les statistiques montrent Faculté des Beaux-Arts et d’Architecture qu’il y a deux fois plus de professeurs de qui forme les professeurs de théâtre et de musique, trois fois plus de professeurs de beaux-arts ; théâtre et un peu moins du double de pro- • l’American University of Beirut a une
faculté d’Arts et dispose également d’un situation peut s’expliquer par un besoin PANORAMA GÉNÉRAL ciné-club ; plus que jamais nécessaire d’exprimer • la Lebanese American University ses idées et ressentis à travers la pra- propose une formation en Beaux-Arts et tique professionnelle d’une discipline ar- en Arts du Spectacle sur son campus de tistique et la volonté quasi vitale d’occu- Beyrouth ainsi que d’une formation en Au- per une profession satisfaisante pour qui diovisuel et théâtre sur son campus de subit déjà une situation quotidienne diffi- Byblos ; cilement supportable. En outre, la quali- • l’Université Saint-Esprit de Kaslik té des enseignements dispensés par des jouit d’une formation en photographie et professionnels du secteur est à relever en d’une formation en peinture et iconogra- ce qu’elle assure aux étudiants une for- phie, d’un département de théâtre et d’un mation d’excellence et un réseau pour le département de musique ; futur. Malgré tout, la forte dévaluation des • l’Université Antonine (à Baabda) a salaires des professeurs a poussé beau- une Faculté de Musique et de Musicolo- coup d’entre eux à quitter leur emploi ou gie ; même le pays (à titre d’exemple, 40% des • l’Académie Libanaise des Beaux- professeurs en arts visuels ont quitté leurs Arts (qui fait partie de l’Université de Bala- fonctions à l’Université Libanaise). Pour mand) dispose d’une Ecole d’Arts Visuels, assurer aux élèves la validation de leurs d’une Ecole d’Arts Décoratifs et d’une diplômes, les universités ont donc dû re- Ecole de Cinéma et de Réalisation Audio- cruter rapidement ou bien demander à visuelle, ainsi que d’un ciné-club ; des enseignants d’assurer plus de cours. • l’Université Notre-Dame de Louaizé, La tenue des cours est également com- située à Zouk Mosbeh, a un département plexifiée par les coûts liés à l’essence et à d’Arts et de Musique, ainsi qu’un départe- ment d’Audiovisuel et théâtre ; • l’Université arabe de Beyrouth pro- l’électricité : les enseignements sont donc tenues de façon hybride, c’est-à-dire à la fois en présentiel et en distanciel, pour 11 pose une formation en audiovisuel et contrer les difficultés de se déplacer d’une théâtre ; part, et l’absence d’internet de l’autre. • la Haigazian University dispense des cours de musique ; • la American University of Science and Technology dispose d’un départe- Associations et mécénat LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL ment d’Arts ; • l’Université Saint-Joseph propose trois formations en théâtre (mise en scène, Face à l’incapacité de l’Etat à proté- dramaturgie et recherche). L’Université ger et soutenir la création artistique, de possède également son propre théâtre, le nombreuses ONG et institutions interna- Théâtre Beryte, où les étudiants peuvent tionales soutiennent le secteur culturel au performer. Liban, parmi lesquelles : • Al Mawred al Thaqafy est une orga- Si peu nombreux sont les candidats nisation non gouvernementale régionale à ces programmes d’études supérieures, fondée en 2004 qui vise à soutenir les ar- cela a toujours été le cas, tant l’art reste tistes du monde arabe. Elle favorise les une vocation souvent dénigrée et peu re- échanges entre artistes de la région et connue par la société libanaise. Pour au- propose des subventions, des bourses tant, il semblerait que les crises n’aient ou des formations. Depuis le début de la pas affecté la volonté de ces aspirants crise, l’association a créé des cellules de artistes à poursuivre leurs études. Le soutien et un fonds financier pour venir en nombre d’étudiants recensés reste sen- aide aux artistes ; siblement le même qu’avant 2018. Cette • AFAC (Arab Fund for Art and Culture)
est une fondation indépendante créée en domaines suivants : danse et arts de la PANORAMA GÉNÉRAL 2007 qui cible les artistes indépendants scène, musique, jeux et arts visuels ; du monde arabe et les soutient grâce à • le Goethe Institut est le centre cultu- des subventions ; rel de l’Allemagne. Outre la promotion de • la Friedrich Naumann Foundation, qui la langue allemande et l’enseignement de finance de nombreux projets artistiques et cours, l’Institut organise et soutient des culturels au Liban (études, festivals, etc.) ; événements culturels dans le but de pro- • Robert A. Matta Foundation et Saa- mouvoir les échanges interculturels ; dallah & Loubna Khalil Foundation sont • l’Istituto Italiano di Cultura est le Bu- des mécènes qui soutiennent les arts et la reau Culturel de l’Ambassade d’Italie. Très culture au Liban. actif dans le soutien aux initiatives visant à sauver le Patrimoine, l’institut œuvre aussi à la circulation des idées et des arts à travers la création et la promotion d’évé- Aides internationales nements culturels au Liban. Les instances culturelles diploma- tiques œuvrent grandement à la promo- tion d’une scène artistique et culturelle Émergence de prolifique au Liban. On peut ici citer : nouveaux espaces • l’Unesco œuvre à la promotion de la culture au Liban comme outil de la cohé- culturels sion sociale. Après la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, l’Unesco Le Liban dénombre de nombreux a lancé l’initiative Li Beirut, afin de soute- nir la réhabilitation des bâtiments patrimo- niaux, des musées et des galeries de la centres culturels sur son territoire, parmi lesquels ceux des institutions diploma- tiques. Toutefois, de nombreux lieux de 12 capitale et de soutenir l’économie créative restauration ou de fête diversifient leurs beyrouthine. Cette initiative a en outre or- activités en proposant régulièrement des ganisé Terdad, un événement culturel im- concerts live ou des expositions tempo- portant en juillet 2021 ; raires (l’on peut par exemple citer entre • l’Union Européenne, à travers sa Dé- autres Haven for Artists ou Onomatopoeia, légation au Liban, soutient de nombreux à Beyrouth). Les espaces aux activités LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL projets artistiques et culturels au Liban ; plurielles se multiplient tandis qu’une sen- • l’Institut français, qui dispose de neuf sibilité à l’art et à la protection des esprits antennes à travers le pays, est non seule- créatifs semble s’accroître. Alors que, ment un partenaire fréquent des initiatives à l’international, le concept de tiers-lieu artistiques et culturelles entreprises au Li- est déjà relativement développé et appa- ban mais participe aussi activement à la raît s’affirmer comme une nouvelle façon vie culturelle du Liban (résidences, événe- de consommer de la culture, le Liban se ments, festivals, etc.). L’Institut français a tourne pareillement de plus en plus vers notamment lancé le programme de rési- ce type de lieu comme en réaction à l’in- dences Nafas, afin de permettre à 100 ar- capacité de l’Etat à mettre à disposition tistes libanais de poursuivre leurs activités des lieux culturels ou à les promouvoir. de création en élaborant des échanges culturels avec la France ; • le British Council a notamment lancé l’initiative Catapult, portée par le Dépar- tement Art et Culture, et qui vise à faire émerger des talents en leur proposant de collaborer avec des structures dans les
Conclusion PANORAMA GÉNÉRAL Si les rendements économiques du secteur culturel libanais sont difficilement mesurables, tant il n’existe pas d’instance capable de les regrouper et de les analy- ser, les derniers chiffres en date estiment que les industries culturelles ont enregis- tré un revenu annuel de 894 millions de dollars en 2019. Ainsi, et si l’on ajoute à cette première donnée la part non tra- çable des revenus générés par ces indus- tries (ce qui représente environ le double), l’on peut estimer qu’elles ont une valeur marchande d’environ 2 milliards de dol- lars, soit 5% du PIB. Les données sur les emplois et métiers créatifs restent très lacunaires en l’ab- sence d’étude nationale sur la population active et sa répartition dans le monde du travail par l’Etat ou une instance agréée. Toutefois, l’Administration centrale de la Statistique a publié une étude en 2018 fai- sant état de 13 000 personnes occupant des métiers artistiques, soit 0,8% de la population active. Une autre enquête, ef- 13 fectuée par la Banque Mondiale estimerait ce chiffre à 75 000 personnes, soit 4,5% de la population active. L’Institut des Fi- nances quant à lui considère que 100 000 personnes travaillent dans les secteurs créatifs au sens strict du terme. A cette LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL donnée peuvent être ajoutés les travail- leurs qualifiés et les artisans, la population “potentiellement créative” s’élève alors à 360 000 personnes, soit 20% de la popu- lation active. Ainsi, et si le secteur reste ostensible- ment vivace, source de rendements éco- nomiques importants mais aussi essentiel à la continuité d’une identité nationale et d’un rayonnement à l’international, l’ab- sence d’une vision ou d’une volonté en faveur d’une politique culturelle globale menée par le Ministère de la Culture et la dépendance totale du secteur aux initia- tives privées ou associatives, qui préca- rise les artistes et les entreprises restent les problématiques les plus préoccu- pantes aujourd’hui au Liban.
État des lieux sectoriel Les dossiers qui suivent s’ajoutent à Cette analyse repose sur : la vision transversale étudiée plus tôt en • une collecte de données et de statis- proposant une analyse complémentaire, tiques issues d’analyses multiples et com- par secteur, des réalités et enjeux de la parées ; culture et de ses différents domaines que • la consultation d’une quarantaine sont : d’acteurs majeurs des différents secteurs. • la musique • les arts de la scène Ici, une importance toute particulière a • les arts visuels été donnée à la variété des interlocuteurs • le cinéma contactés : l’étude qui suit s’apparente • la littérature donc à un condensé des propos d’artistes, • le patrimoine d’associations, de producteurs et autres Il sera ainsi question de détailler leurs : professionnels de la promotion et de la • conditions de création et de produc- distribution de la culture au Liban. Le des- tion sein de cette recherche réside donc dans • conditions de programmation et de l’édification de conclusions les plus ob- diffusion jectives et réalistes possibles. L’évidente • publics impossibilité de s’entretenir avec l’inté- • modèles économiques gralité de la scène artistique et culturelle Une telle classification permettra de s’in- implique une nécessaire non-exhaustivité téresser aux spécificités de ces secteurs, des analyses faites ci-après. En revanche, et sera ainsi l’occasion de déterminer ces dossiers doivent être envisagés quels sont les enjeux globaux ainsi que comme des enseignements ouverts à de les problématiques particulières de ceux- plus amples recherches pour qui souhaite ci. voir la culture prospérer au Liban.
Mu MUSIQUE Le Conservatoire Libanais Supérieur de Musique, présidé par Walid Moussalem, sique est composé d’un orchestre philharmo- nique et d’un orchestre oriental. Alors que l’orchestre philharmonique comptait auparavant un tiers d’étrangers, ceux-ci, du fait de la dévaluation drama- tique de la livre libanaise et donc de la baisse drastique des salaires, ont dû re- Il est important, pour pouvoir mieux noncer, pour un grand nombre à leur poste. appréhender la scène musicale libanaise, Cela a gravement affecté l’orchestre qui a de différencier plusieurs types de pro- vu son effectif se réduire et la disparition ductions musicales. Seront abordés dans de pupitres de musiciens. Le nombre de l’étude qui suit la musique classique, por- concerts a donc dû être réduit, d’autant tée par les orchestres philharmonique plus que les musiciens restants sont dé- et oriental de l’Orchestre National, ainsi sormais incapables de se déplacer tous que les musiques dites actuelles, qui re- les jours au Conservatoire à cause des prix groupent différents styles musicaux parmi de l’essence. Ainsi, la saison 2020/2021 lesquels le rock, le jazz, la pop, la musique de l’orchestre philharmonique n’a vu que électronique, etc. quatre concerts se jouer, contre 35 aupa- L’étude qui suit omet volontairement de ravant. L’intégralité des concerts de l’or- mentionner les chanteur-stars libanais et chestre oriental ont été annulés. libanaises, car leur succès implique un Le Conservatoire dispose également 15 chiffre d’affaire et une capacité d’expor- d’une formation en musique qui est gra- tation incomparable avec la réalité de la tuite et ouverte aux élèves à partir de 7 situation des artistes du pays. ans. Le cursus est divisé en deux départe- ments : occidental et arabe. Outre la pra- tique d’un instrument, les étudiants sont amenés à étudier les matières théoriques Conditions (formation musicale, harmonie, fugue, de création contrepoint, histoire de la musique, etc.) et à participer à une chorale et à des en- et de production semble instrumentaux. Le Conservatoire LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL délivre des diplômes de niveau baccalau- Musique classique réat, licence et master. Avant le début des crises, l’école rassemblait entre 5500 et La pratique de la musique classique 6000 élèves toutes branches confondues. au Liban n’est généralement et malheu- Depuis 2019, a été entamé le projet d’un reusement pas encouragée et la profes- siège pour le Conservatoire Libanais Su- sion reste mal payée et mal considérée. périeur de Musique à Dbayeh. Financé par Malgré tout, la musique classique bénéfi- le gouvernement chinois à hauteur de 62 cie d’un soutien important de la part des millions de dollars, il s’agit de construire instances diplomatiques étrangères, ce deux bâtiments qui regroupera une salle qui a permis à cette discipline de mainte- de concert de 1200 places pour les deux nir un certain niveau d’activité malgré les orchestres, ainsi que huit étages destinés crises. Aujourd’hui, le départ de beaucoup à la gestion du Conservatoire et à l’ensei- de musiciens classiques étrangers, ajouté gnement universitaire permettant aux en- à l’incapacité pour les musiciens libanais seignants de délivrer des diplômes en in- d’aller se former à l’étranger est un pro- terprétation, composition et théorie de la blème majeur qui s’est soldé en une im- musique. Ce bâtiment sera prêt, en prin- portante baisse du niveau. cipe en octobre 2023.
Musiques actuelles Anghami est une plateforme de streaming MUSIQUE fondée en 2011 au Liban par Elie Habib et L’offre de formation reste assez limi- Eddy Maroun. Instigatrice de la notion de tée en ce qui concerne les musiques ac- service musical légal au Moyen-Orient, la tuelles. Si beaucoup de musiciens sont plateforme compte aujourd’hui 78 millions autodidactes, certains sont toutefois pas- d’utilisateurs. Anghami fonctionne sur 29 sés par des professeurs indépendants ou réseaux mobiles dans la région MENA bien par des écoles. Ainsi, seules l’USEK et propose des abonnements quotidien, dispose d’une École de Musique et l’Uni- hebdomadaire ou mensuel. Face à la crise versité Antonine délivre une licence en financière observée au Liban, l’entreprise, musique et musicologie. toujours détenue à hauteur de 32% par ses Ces dernières années, de nombreux ar- deux cofondateurs, a choisi de restreindre tistes du secteur musical ont été contraints ses bureaux à Beyrouth au marketing et à d’émigrer afin de préserver leur activité. la création de contenu, tandis que le pôle Depuis l’étranger, beaucoup continuent à technologique se trouve, depuis 2021, à travailler au regard du Liban, c’est-à-dire Dubaï. Le 3 février 2022, Anghami deve- que leurs activités s’orientent souvent nait la première entreprise tech du monde autour d’une collaboration entre artistes arabe à être cotée en bourse à New York. issus de la diaspora libanaise et pour es- pérer pouvoir reconstruire une scène ar- tistique au Liban un jour (l’on peut ici citer Zeid Hamdan qui, depuis la France, s’as- Les artistes qui sont restés dans le socie à des artistes libanais pour organi- pays pâtissent d’une situation qui ne leur ser des événements ensemble, ou bien est pas favorable. D’une part, la double ex- plosion du port du 4 août 2020 ainsi que la 16 encore Anthony Semaan, anciennement propriétaire de la plateforme Beirut Jam crise financière ont poussé à la fermeture Sessions qui organise désormais des de beaucoup de studios d’enregistrement bookings à Londres). Toutefois, l’expor- ; l’on estime le nombre de studios encore tation de la production musicale libanaise en activité à une dizaine seulement. Avant est rendue complexe par le traitement de 2018, l’heure d’enregistrement était factu- la propriété intellectuelle vis-à-vis d’une rée entre 45 et 70 dollars aux artistes par œuvre artistique, son respect étant une les studios ; aujourd’hui, il est impossible problématique importante au Liban et au de déterminer un prix fixe. Pour créer un Moyen-Orient. Le concept n’est que très son, un chanteur a plusieurs possibilités : LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL peu connu des artistes et souvent peu ob- • il peut trouver quelqu’un pour lui en- servé. Cette situation pose en effet pro- registrer ses paroles sur une instrumen- blème à l’étranger car l’Europe et l’Amé- tale libre de droits trouvée sur internet, ce rique du Nord sont très vigilants quant à qui lui reviendra à environ 300 000 livres ces questions. S’il existe une délégation libanaises ; pour le Liban de la SACEM (Société des • il peut travailler avec un producteur Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Mu- de musique qui va composer une mélodie sique) qui reste la seule société légitime sur laquelle l’artiste va poser ses paroles à exercer la perception du droit d’auteur et ensuite l’enregistrer. Aujourd’hui, un sur le territoire, son envergure d’action producteur libanais fait payer entre 300 et reste très limitée. Ainsi, le piratage est 400 dollars pour une chanson ; très fréquent et les artistes libanais, bien • il peut choisir de s’entourer d’une conscients de la situation, reportent le équipe, généralement composée d’un pro- déficit induit par l’absence de revenus ducteur, d’un compositeur, d’un ingénieur de leur sorties musicales sur la tenue de du son, d’un ingénieur de mixage et d’un concert live. Ils ne promeuvent donc que ingénieur du mastering, et d’enregistrer très peu leurs produits (CD, singles, etc.) ses chansons dans un studio d’enregis- et comblent le manque à gagner en espé- trement. Cette option coûte environ 5000 rant les cachets les plus élevés. dollars, suivant le temps d’enregistrement
et le volume de production souhaitée. un moyen de pallier les astreintes à tra- MUSIQUE Les labels, quant à eux, sont toujours vers le digital, notamment sur YouTube ou actifs dans le soutien des artistes liba- via des vidéos live publiées sur les réseaux nais. L’on peut citer ici Rupture ou encore sociaux, cette solution reste précaire et ne Thawra Records. Ils sont chargés d’aider peut contenter le public. l’artiste dans la réalisation de son projet, de lui trouver des financements, de gérer son image, de le distribuer. Mais rares sont Musiques actuelles les artistes à avoir signé avec un label au Liban : à titre d’exemple, sur une quaran- Les artistes doivent pouvoir trouver taine d’artistes hip-hop au Liban, seul un leurs propres équipements, leur public, est pris en charge par un label, et celui-ci ainsi que d’être en mesure de “se vendre” n’est même pas libanais. Les artistes qui eux-mêmes sur les réseaux sociaux. n’ont pas de label sont face à deux choix La censure est également à prendre en : soit ils décident de s’auto-produire de compte pour les musiciens et chanteurs manière indépendante, soit ils trouvent un libanais : le pays a vu plusieurs fois des distributeur qui, contre 30% des revenus concerts annulés à la demande des au- générés par l’artiste, va prendre en charge torités ecclésiastiques ou pour des rai- l’aspect marketing du travail et la distri- sons politiques (l’on peut ici mentionner bution de sa musique sur les plateformes l’exemple du groupe Mashrou’ Leila em- de streaming. Malgré tout, la diffusion sur pêché de se produire au festival interna- ces plateformes (Anghami pour la région tional de Byblos en 2019). Moyen-Orient - Afrique du Nord, Spotify, Concernant les festivals spécialisés en Deezer, etc.) n’est que très peu rémuné- musiques actuelles, il n’en existe plus que ratrice : les artistes ne sont payés que 0,03 dollar par stream (comprendre par écoute). deux au Liban : Irtijal et Beirut & Beyond. Au vu de la rareté de ces initiatives, Irtijal et Beirut & Beyond se posent désormais 17 comme les défenseurs d’une création mu- sicale diverse et de qualité. Alors qu’ils Conditions de étaient originellement destinés à accueil- lir une musique que l’on pourrait qualifier programmation d’expérimentale, cette orientation “de et de diffusion niche” ne peut plus être envisagée et les LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL organisateurs s’attachent aujourd’hui à proposer leur scène à tous, afin d’aider au Musique classique mieux la production musicale libanaise. En outre, Irtijal s’est dernièrement imposé Si les seules salles réellement destinées en ONG : à travers une mission de sou- à accueillir un orchestre sont celles du Ca- tien à la production des artistes sur scène sino du Liban, du Palais des Congrès et et grâce à des workshops organisés avec du Palais de l’Unesco, la grande prédomi- l’Unesco pour aider financièrement les nance des églises et auditoriums universi- musiciens, le festival fait désormais office taires comme lieu de concert des récitals de réelle instance de soutien pour le sec- de musique classique traduit un manque teur de la musique au Liban. certain de site où les orchestres peuvent se produire. En outre, la crise sanitaire Concernant la musique électronique, mondiale a fortement touché le secteur la destruction des clubs emblématiques musical en ce qu’elle a rendu impossible de Beyrouth suite à la double explosion la tenue de concerts et de tournées alors du port du 4 août 2020 a laissé un vide même qu’ils représentent l’essence de ce sur le marché qui a permis à des collectifs qu’est la musique. Si le secteur a trouvé itinérants de s’imposer. Cela a entraîné un
renouveau de la scène house et techno, Modèles MUSIQUE qui a retrouvé un élan innovateur de quali- té. Pareillement, les DJ locaux sont désor- économiques mais plus sollicités car il est devenu quasi impossible de faire venir des artistes de l’étranger. Musique classique Les festivals et concerts de musique classique au Liban (Beirut Chants, le festi- Publics val du Bustan et autres initiatives privées) ont toujours principalement fait reposer leur financement sur le mécénat. A partir Musique classique de 2018, ils ont réussi, malgré l’arrêt des subventions par les banques, à trouver Depuis la fin des confinements, en juin une certaine stabilité financière dans la 2021, la demande de concerts et événe- collaboration avec l’étranger. Ils béné- ments musicaux est très importante. Le ficient de partenariats, de bourses des public semble être au rendez-vous, d’au- festivals internationaux et jouissent aussi tant plus qu’un effort considérable est fait de la générosité de la diaspora. Pour cer- pour assurer une gratuité ou des prix dé- tains, cet important soutien leur permet risoires à une population dont le pouvoir d’assurer une gratuité de la manifestation, d’achat a été considérablement ébranlé. et donc un public important. Cette situation, si elle mène à une préca- rité monétaire toujours plus importante pour les artistes, leur permet en revanche 18 Musiques actuelles d’assurer la continuité de leurs activités. La plupart des professionnels de la musique au Liban se voient obligés de Musiques actuelles trouver d’autres sources de revenus (sou- vent dans l’enseignement ou à travers des Globalement, l’offre est essentielle- prestations pour des soirées, mariages, ment concentrée à Beyrouth, et ce d’au- etc.) pour pouvoir subvenir à leurs besoins. tant plus en ce qui concerne la scène Les musiciens indépendants peinent à fi- house et techno. Seuls quelques événe- nancer leurs productions, d’autant plus LES ARTS ET LA CULTURE AU LIBAN - FÉVRIER 2022 - AGENDA CULTUREL ments sont organisés par les collectifs de que l’enregistrement de musique est for- musique électronique en région durant tement complexifié à cause de la situation l’été, le plus souvent autour des grandes financière du pays car l’achat de matériel stations balnéaires. Seulement, beaucoup ne peut se faire qu’en dollar. de jeunes libanais ont quitté le pays, fai- En ce qui concerne les clubs, la dé- sant drastiquement baisser le nombre valuation toujours plus importante de la d’entrées. Ainsi, l’on observe une nette crise entraîne une difficulté à fixer des hausse de la fréquentation des clubs du- prix qui conviennent à la fois aux clients rant les périodes qui correspondent aux et aux artistes. Plus de 75% des coûts vacances de la diaspora (l’été et Noël), car qu’implique l’organisation d’une soirée en ces expatriés reviennent au Liban, tandis discothèque sont à régler en dollar, tandis qu’il est plus compliqué d’attirer un large que les rentrées d’argent liées à la vente public pendant l’année. de tickets et de boissons sont faites en Pour ce qui est des concerts, le public livre libanaise. Ainsi, les bénéfices liés à semble être au rendez-vous malgré une l’organisation d’une soirée ne permettent perte évidente, les manifestations ras- pas aux organisateurs de se rémunérer, semblent généralement entre 200 et 500 car ils sont constamment réinvestis pour personnes chaque soir. la tenue de futurs événements.
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