Les difficultés éthiques du secret professionnel
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Dossier : Le secret professionnel Définir le secret professionnel, non pas au sens littéral, mais bien au sens de sa concrétisation dans la pratique professionnelle de chaque soignant, est un acte délicat. Si le principe est aussi évident qu'incontournable, la façon dont ce secret se vit au quotidien ne peut se résumer à une simple non-communication d'information. Evoquer le secret professionnel, c'est aussi, entre autres, parler d'engagement, de respect, de non-jugement et d'éthique. Autant de réalités que les auteurs de ce dossier se sont attachés à dépeindre, en fonction de leur pratique, de leur vécu et de leur ressenti. Le résultat final constitue un dossier dont la richesse réside tout autant dans la qualité des points de vue exprimés que dans leur diversité. ********** Les difficultés éthiques du secret professionnel Discussion d’un cas Jean-Michel Longneaux Philosophe, chargé de cours aux FUNDP Namur, conseiller en éthique dans le monde de la santé et rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica Les lois, la déontologie, voire la morale - ne pas laisser traîner des dossiers (attention commune, donnent des repères relativement au carnet de liaison au domicile des patients) ; clairs (même si les exceptions se multiplient) - ne pas parler d’une situation délicate avec la en ce qui concerne les questions du secret personne concernée au vu et au su de tous ; professionnel et du secret partagé. - ne jamais envoyer des informations importantes par fax ou par mail ni même par Les grands principes reposent sur deux courrier : on ne sait pas qui va les motivations qu’il faut garder à l’esprit : d’une réceptionner ; part, ils visent à rendre possible et à préserver - ne pas laisser accessibles les ordinateurs la relation de confiance avec le patient que l’on contenant les données personnelles du patient ; a en face de soi et d’autre part, en étant - en rentrant du travail, ne fournir aucun nom à respectés, ils donnent à tous les autres son propre conjoint, fût-il digne de confiance ; « patients » potentiels la garantie qu’en cas de - taire tout ce qui n’est que rumeur, etc. besoin, eux aussi n’auront rien à craindre en se confiant à des professionnels afin de bénéficier Bref, le professionnel doit éviter tout de la meilleure prise en charge possible. comportement qui, s’il était appris, pourrait blesser les personnes qui se sont confiées ou Le secret professionnel ne protège donc pas susciter de la méfiance de la part des patients seulement les intérêts de l’individu dont on a la potentiels. charge, mais aussi l’intérêt de la collectivité. C’est ainsi que s’imposent certaines règles On doit bien constater cependant que si les élémentaires qui entretiennent la confiance : règles sont relativement claires, un problème se pose : la réalité du terrain est bien plus Kaïros 38 Page 1
complexe que ne laisse supposer la simplicité une bonne et une mauvaise solution, voire des principes. Devant la multiplicité des enjeux entre de bonnes solutions : il n’a parfois devant en présence, on ne sait plus toujours, en effet, lui que de mauvaises solutions. C’est le cas comment appliquer la loi. Parfois même, lorsque non seulement la violation du secret appliquer scrupuleusement la loi peut professionnel fait problème, mais aussi son engendrer des conséquences regrettables. En respect. Nous voudrions illustrer ce cas de d’autres termes, le monde n’étant pas parfait et figure par un exemple que nous les entreprises humaines ayant leurs limites, commenterons. l’intervenant n’a pas toujours le choix entre Une situation plus fréquente qu’on le croit Monsieur V., 82 ans, est marié mais séparé. Il responsable la rencontre à plusieurs reprises et vit depuis plusieurs années avec une fait le point avec elle sur la situation de compagne. Monsieur V. a un fils et sa monsieur. compagne 5 enfants. Fait important, monsieur Le patient restant algique, il est mis rapidement a deux adresses : l’une est celle de son ancien sous morphine. Cela perturbe la compagne qui domicile (dans lequel il vivait avec son craint qu’à cause de la morphine, plus aucun épouse) et l’autre est celle d’un appartement échange avec son compagnon ne soit possible. personnel, où il réside actuellement avec sa Lorsqu’une relation s’établit, elle est persuadée compagne. Cette dernière, quant à elle, n’est que c’est suite à une baisse de la dose de pas officiellement domiciliée à cet morphine administrée. On lui explique que ce appartement, même si elle y vit. C’est à la n’est pas le cas, que les atteintes neurologiques demande du fils – qui connaissait sont seules responsables de l’état de personnellement le médecin responsable – que conscience de monsieur, mais elle ne veut rien Monsieur V. entrera en soins palliatifs. entendre. Elle répète sans cesse qu’il faut Le patient est en phase terminale d’un diminuer les doses de morphine. néoplasme prostatique avec extension L’équipe est assez partagée par rapport à la locorégionale, évoluant depuis quelques compagne. D’un côté, elle est très touchante. années. Il est arrivé à l’unité de soins palliatifs Son amour est sincère, sa façon de parler de en provenance de l’hôpital où il avait été admis son compagnon aux infirmières ou aux pour coma hyperosmolaire d’origine iatrogène médecins est émouvante. On pressent que la (corticothérapie). A l’hôpital, on corrige séparation de la mort sera une épreuve l’hyperglycémie et la déshydratation, de telle redoutable pour elle. Cela fait des mois qu’ils sorte que le patient récupère en partie ses se battent ensemble contre la maladie. D’un fonctions de relation. Il n’empêche, son état autre côté, elle ne semble pas vouloir ou neurologique est altéré, il somnole et reste pouvoir entendre la situation sur le plan confus. médical : du coup, elle formule des reproches Quand le patient arrive dans l’unité de soins qui n’ont pas lieu d’être. Il est un autre point palliatifs, il est douloureux au niveau pelvien et qui interpelle l’équipe : l’ex-épouse n’a pas sa conscience reste limitée. La compagne de encore daigné se manifester. Seul le fils connu Monsieur V. manifeste énormément d’amour du médecin vient au chevet de son père et fait pour son compagnon. Elle est plutôt de temps à autre allusion à sa mère. Certains démonstrative, physiquement proche, et utilise dans l’équipe sont choqués par cette des surnoms affectueux. Surtout, elle manifeste indifférence de l’épouse légale – après tout, ils beaucoup d’inquiétude. Le médecin Kaïros 38 Page 2
sont encore mariés – tandis que les autres y accord avec le fils, le corps devra être ramené voient plutôt une sage retenue. chez eux, à leur appartement. De même, elle s’occupera de tous les papiers. Le lendemain, Dans les jours qui suivent, l’état de Monsieur le fils ayant été averti au détour d’une V. se détériore. Il commence à s’encombrer et conversation avec le même médecin, il présente un hoquet persistant. Son état de démentira tout accord à ce sujet. Le corps doit conscience est de plus en plus altéré. Sa retourner chez sa maman, et il n’est plus compagne ne le quitte plus, appelle sans cesse question que cette « étrangère » à la famille les soignants pour soulager les symptômes. puisse prendre la moindre décision. Le fils Mais elle commence aussi à évoquer la mort demande explicitement qu’elle soit désormais prochaine de son compagnon. Lors d’un tenue à l’écart. entretien avec le médecin, elle annonce qu’en Analyse de la situation Une telle situation soulève la question du Cela vaut également en cas de conflit entre secret professionnel – il s’agit en effet de deux ou plusieurs des personnes mentionnées savoir à qui on peut donner des informations dans le présent paragraphe. médicales ou des documents officiels – dans Affirmer que les droits du patient sont exercés un contexte particulier, celui d’un patient qui par le représentant du patient, c’est déclarer ne peut plus recevoir d’information ni décider que les règles du secret professionnel devront pour lui-même, et avec différents intervenants être respectées avec ce représentant : il devient qui prétendent chacun avoir la légitimité celui avec qui une relation de confiance devra requise pour être l’interlocuteur privilégié. En être développée et protégée. La question est d’autres termes, deux problématiques sont ici donc de savoir, d’après cet article de loi, quel liées : celle du secret professionnel et celle de est l’interlocuteur qui peut recevoir des la représentation du patient. informations. L’épouse a-t-elle encore le statut Sur le plan strictement légal, la loi belge de d’épouse cohabitante ? Il semble que oui 2002 sur les droits du patient devrait régler puisque tous les documents officiels cette question : (enregistrement au registre de la population, état civil, etc.) le confirment. Cela peut paraître Art. 14. § 2. Si le patient n'a pas désigné de absurde au regard de la situation réelle de ce mandataire ou si le mandataire désigné par le couple, mais seuls les documents officiels patient n'intervient pas, les droits fixés par la doivent être pris en compte. présente loi sont exercés par l'époux cohabitant, le partenaire cohabitant légal ou le Quant à la compagne, quel statut lui partenaire cohabitant de fait. Si cette personne reconnaître ? Elle n’est évidemment pas une ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut, nouvelle épouse, elle n’est pas non plus une les droits sont exercés, en ordre subséquent, partenaire cohabitante légale : aucune par un enfant majeur, un parent, un frère ou déclaration n’a été enregistrée qui protègerait une sœur majeurs du patient. Si une telle la relation et donnerait des droits ainsi que des personne ne souhaite pas intervenir ou si elle obligations à madame. Peut-elle alors se fait défaut, c'est le praticien professionnel prévaloir d’être une cohabitante de fait ? Il n’y concerné, le cas échéant dans le cadre d'une a aucune raison de douter de la relation concertation pluridisciplinaire, qui veille aux amoureuse, et d’une vie commune de plusieurs intérêts du patient. années. Le fils de monsieur désigne d’ailleurs madame comme la compagne de son père. Kaïros 38 Page 3
Mais elle ne pourra exhiber un extrait du Pour revenir à notre situation, on doit constater registre de la population qui démontrerait que, si on accorde néanmoins le titre de qu’ils sont inscrits à la même adresse, puisque cohabitante de fait à la compagne, on se ce n’est pas le cas. Et il semble un peu tard retrouve devant un nouveau problème : pour faire faire un constat par exemple par la l’article 14 §2 ne précise pas à qui, de l’épouse police. Il n’y a donc actuellement aucun ou de la compagne, il faut donner la priorité. document qui officialise cette relation. Le fils On peut comprendre que le législateur ait utilise cet état de fait pour déclarer que considéré comme peu probable, voire madame n’a aucun droit, puisqu’elle n’a aucun impossible, qu’une même personne soit dans le statut véritable. même temps époux cohabitant légal avec une personne et cohabitant de fait avec une autre. Ce cas fait penser à ces situations malheureuses où un voisin bien intentionné Quant au fils, peut-il s’interposer comme il le s’occupe d’une personne âgée pendant de fait ? Il n’est pas question de remettre en cause nombreuses années. Eventuellement, le son statut de fils. Cependant l’épouse dévouement ou le sens du devoir ont laissé la cohabitante – c’est-à-dire sa mère – ou la place à une véritable amitié. Pendant ce temps, cohabitante de fait – si l’on accorde ce titre à la la famille de la personne âgée s’est compagne de monsieur – ont logiquement la désintéressée de son parent. Voilà que ce priorité. Or, si l’épouse ne s’est jamais dernier fait une chute. Inquiet, le voisin appelle manifestée jusqu’ici, rien n’indique qu’elle ne les services d’urgence, lesquels embarquent le souhaite pas jouer son rôle de représentante du patient et préviennent la famille qui se montre patient. Peut-on donc échanger des soudain intéressée par le sort du malheureux, et informations avec le fils, sans au préalable surtout par la perspective d’un éventuel avoir contacté l’épouse, si du moins on juge héritage. Quel sera l’interlocuteur à privilégier, qu’elle est l’interlocutrice prioritaire, ou sans si le patient tombe dans un coma prolongé ? La avoir établi au préalable un ordre de priorité famille ou le voisin ? Pour la loi, en l’absence entre les différents prétendants ? de déclaration, le voisin n’existe tout Dans ce contexte juridique plutôt flou, trois simplement pas. Dans des cas pareils, on possibilités théoriques s’offrent aux soignants : comprend toute l’importance d’une déclaration ils peuvent donner les informations soit aux officielle par laquelle le patient désignerait son deux femmes, soit à l’une des deux – mais en voisin comme seul représentant légitime (ce ce cas, laquelle ? –, soit au fils, aucune des qui enlève de facto tout pouvoir à toute autre deux femmes n’ayant le statut de recevoir les personne, que ce soit un époux, une mère ou confidences. Laquelle de ces solutions est la un frère). De même, on perçoit le drame vécu plus conforme à la légalité ? L’impossibilité de par ces amants et ces maîtresses qui, dans des définir clairement le statut des deux femmes se situations tragiques comme un accident ou le traduit par une certaine insécurité juridique : décès du partenaire, ne peuvent prétendre à dans quelle mesure une des parties lésées rien, pas même à la reconnaissance de leur pourrait-elle porter plainte pour violation du deuil. Contre un discours ambiant qui secret professionnel ? disqualifie toute forme de mariage ou d’officialisation, arguant que l’amour doit L’équipe soignante ne peut toutefois se rester « libre », il faut rappeler qu’un amour contenter de cette première réflexion car il n’y libre ne donne aucun droit au regard de la a pas qu’une question légale. Quoi que dise ou société. Officialiser une relation amoureuse et ne dise pas la loi, comment veiller au bien-être donc la sortir de la clandestinité, c’est d’abord de chacune des personnes impliquées dans la protéger. cette histoire ? On pourrait tout d’abord se demander ce qu’aurait souhaité monsieur après tout c’est lui le centre de la relation de soin. Kaïros 38 Page 4
Or, il faut bien l’admettre, rien dans ce que la soutenir en lui permettant de rester au chevet l’on sait de lui ne peut nous orienter. Certains de l’homme qu’elle aime, et en l’informant diront qu’il a quitté son épouse depuis régulièrement de son état de santé. Dans cette plusieurs années et qu’il vivait avec sa hypothèse, il semble juste (au sens éthique du compagne, ce qui suffit pour savoir qui doit terme) à l’équipe d’agir ainsi, même si ce n’est avoir la priorité. Mais d’autres feront pas légal. Mais du coup, c’est le bien-être ou la remarquer qu’aucun divorce n’a été prononcé, sécurité des soignants qui est menacée : la ni même demandé. Monsieur V. n’a même pas famille pourrait porter plainte pour violation du changé l’adresse indiquée sur ses papiers : secret professionnel. Or, une réflexion éthique s’agit-il de négligence de sa part ou est-ce vise à promouvoir le respect de chacun, y- volontairement qu’il n’a pas donné de statut compris les soignants eux-mêmes. Dès lors, officiel à sa relation avec sa nouvelle lorsqu’on envisage une telle solution, deux compagne ? Il est impossible de le savoir. contraintes s’imposent aux professionnels : - d’une part, ils ont l’obligation de rendre des Si, à présent, on se tourne vers l’entourage de comptes (à leur hiérarchie, à leurs collègues, monsieur, il apparaît que le droit peut bien voire à la justice) en étant capables trancher en faveur de l’un ou l’autre, on ne d’argumenter pourquoi, dans cette situation peut pour autant se résoudre, sur le plan précise, ils ont jugé bon de transgresser le humain, à exclure l’« ex »-épouse, la secret professionnel ou une décision de justice compagne ou le fils. Qui trouverait qu’il est (quelle valeur a-t-on voulu respecter qui fut juste de dire à l’une de ces personnes qu’elle supérieure à cette règle ?) ; n’a plus droit à aucune information ? - d’autre part, ils doivent être capables Imaginons qu’il faille légalement privilégier d’assumer les conséquences éventuelles d’une l’« ex »-épouse et son fils – les deux se telle transgression. montrant unis dans l’épreuve, l’épouse se reposant sur son fils –, est-il éthiquement Or, au cours de la réflexion éthique où l’on se acceptable de ne plus donner aucune demande quoi faire, on doit évidemment tenir information sur l’état de monsieur à celle qui a compte d’une donnée importante : ses propres vécu et continue à vivre avec lui une histoire limites et donc le respect de soi-même. Dans d’amour intense, et qui l’a accompagné ces certaines situations graves, est-on prêt à derniers mois dans son parcours médical ? A prendre le risque de subir l’éventuelle l’inverse, si on doit accorder l’exclusivité à la réprobation des collègues ou de la famille et, compagne, est-il concevable, sur un plan selon la gravité de la transgression assumée, éthique, de tenir à l’écart la famille de d’être peut-être sanctionné, de perdre monsieur, comme s’il s’agissait là éventuellement son emploi, ou d’être convoqué d’étrangers ? en justice ? On peut très bien comprendre un Dans un tel cas, comment agir ? professionnel qui, tout en reconnaissant Cette question vise l’action la plus juste sur le qu’idéalement, il ne faut pas laisser tomber la plan non plus légal, mais sur le plan éthique. compagne, se déclarera incapable d’assumer Or, faut-il le rappeler, une attitude éthique cette position. n’est pas nécessairement une attitude légale. En d’autres termes, faire de l’éthique, ce n’est Pour le comprendre, imaginons, dans le cas pas jouer au héros, ce n’est pas non plus être présent, qu’un juge soit saisi de l’affaire en au-dessus des lois, c’est avoir le courage urgence, et désigne l’épouse et son fils comme d’assumer parfois une décision qui n’est pas la seuls interlocuteurs possibles. L’équipe meilleure parmi les mauvaises solutions, mais soignante pourrait décider, après discussion qui est celle que l’on sera capable de porter et collégiale, qu’on ne peut abandonner la d’assumer jusqu’au bout. compagne. On continuera donc, malgré tout, à Kaïros 38 Page 5
Pistes possibles Il ne nous appartient pas de dire, dans le cas de termine par une dispute, à moins que l’un ou Monsieur V., ce qu’il est juste de faire. C’est à l’autre ne refuse d’emblée d’y prendre part. Il chaque professionnel ou à chaque équipe de n’empêche, cette solution défend des valeurs prendre ses responsabilités. Tout au plus, peut- honorables comme la responsabilisation des on explorer quelques pistes, à titre personnes concernées et le respect des d’hypothèses, et montrer les enjeux qu’elles différents types de relation (filiale, soulèvent. matrimoniale, amoureuse). Si l’équipe organise elle-même cette rencontre, on pourrait lui Un premier scénario, déjà évoqué, consisterait reprocher de tomber dans un excès de à demander à un juge de trancher en urgence. responsabilité, c’est-à-dire d’en faire trop, en En attendant, on avertit les parties qu’on ne sortant du cadre de ses missions. Pour transmet plus aucune information ni à l’un ni à contourner cette objection, on peut toujours l’autre. Quels risques prend-on dans ce cas ? confier cette tentative de rapprochement au Les parties en présence pourraient s’y opposer psychologue de l’équipe ou à un médiateur. et, en attendant que tombe la décision, harceler les soignants et le médecin. Par ailleurs, Aucun de ces deux scénarios n’est comment, lorsqu’une décision sera prise, la irréprochable. Mais sans doute est-il de la partie lésée réagira-t-elle ? Pour cette dernière, responsabilité de l’équipe impliquée d’assumer le processus de deuil risquera d’être aussi plus l’une de ces deux pistes (à moins que d’autres compliqué. Malgré ces risques pris, cette ne soient envisagées). Le cas échéant, les deux solution paraîtra juste à certains parce qu’elle scénarios ici proposés pourront être tous les privilégie le respect de la loi – qui jouera le deux retenus : on suggérera à l’entourage de rôle de Tiers. Par ailleurs, l’équipe soignante et monsieur une réunion de négociation (scénario médicale est non seulement sécurisée mais n°2), en prévenant que si elle échoue, on s’en respecte les limites de son travail : ce n’est pas remettra à l’avis d’un juge (scénario n°1). aux soignants de régler des problèmes de famille. Evidemment, ce scénario n’est pas parfait puisqu’il sacrifie un membre de On le voit, si les règles du secret professionnel l’entourage du patient. En quelques sortes, on sont relativement claires, leur application privilégie la loi au détriment du lien peut parfois poser question. Car le contexte qu’entretient un des proches avec le patient. dans lequel se trouvent les équipes soignantes et médicales se révèle bien souvent très Un second scénario consisterait à organiser une complexe. Pour faire face à cette complexité, rencontre entre les parties et de chercher on ne peut se contenter d’appliquer ensemble un accord qui, si possible, permet à mécaniquement la loi : la loi n’a pas réponse chacun de trouver sa place, ce qui facilitera le à tout, et ne permet pas toujours d’agir de la deuil à faire lorsque monsieur décédera. En façon la plus juste qui soit. Il faut encore attendant cet accord, plus aucune information prendre le temps, en équipe, de réfléchir n’est communiquée. Avec ce scénario, on ensemble sur les valeurs que l’on entend encourt le risque que cette réunion ne se privilégier. ********** Kaïros 38 Page 6
Approche psychique du secret professionnel Brigitte Halut Psychologue – Formatrice – Superviseur La plupart d’entre nous connaissent Plusieurs situations souvenirs me viennent à l’importance légale et déontologique du secret l’esprit : des réunions d’équipe où l’on étale les professionnel et s’accordent à penser que cette détails de l’histoire des patients et de leurs notion est une référence importante et proches agrémentés de réflexions et de fondamentale dans nos pratiques de soignants. jugements tout azimut, des échanges où l’on se défoule à propos des difficultés, crises ou Mais comment soutient-on cette balise et conflits de certaines familles, des informations comment la conçoit-on ? confidentielles données par téléphone dans un Sous la pression, dans la tension et le rythme ascenseur, dans un couloir, dévoiler des accéléré de nos interventions professionnelles, aspects de la vie de collègues qui sont très nous travaillons souvent sans réaliser les personnels, vouloir savoir ce qui s’est passé différentes façons dont nous transgressons lors d’un conflit, d’une crise… l’intime, la part personnelle des uns et des Le monde des soignants est un monde où la autres… ou dont nous naviguons dans du transgression existe d’autant plus que l’objet familier avec les patients et/ou leur proches de leur travail concerne le corps, l’intime à des sans réaliser comme on gomme la différence moments clés de l’existence : la grossesse, la des places et des rôles. naissance, la maladie ou l’accident, la fin de vie, la mort. Pour commencer, une évocation du sens du « secret professionnel » Secret vient du mot « secretum » qui veut dire santé. C’est dire combien la dimension intime « chose séparée ». Le secret fait référence à d’une personne va être présente dans l’activité quelque chose qui doit être préservé dans un et la prise en charge des soignants. espace, qui a son propre lieu séparé d’un autre. Comment différencier ce qui appartient à un C’est le lieu de l’intime, du personnel, du privé sujet et à sa façon d’être au monde, ce qui doit qui nécessite le respect, la discrétion, la être tenu secret , à l’écart des dynamiques confidentialité et qui interroge les limites à professionnelles en cours et ce qui peut être soutenir pour ne pas malmener et maîtriser la échangé et partagé afin de mieux prendre en subjectivité de l’autre souffrant. compte les malades dans leur trajet de soins ? Professionnel : c’est ce qui concerne un lieu Comment les soignants peuvent-ils soigner, ouvert, public, extérieur. C’est donc le champ accompagner le sujet malade dans sa façon qui concerne la collectivité et le social, et qui d’EXISTER durant cette parenthèse qui développe des actions et des interventions en commence à la naissance et finit à la mort et fonction de l’objet de sa fonction. Pour les qui comporte les enjeux de l’une à l’autre, de soignants, le champ professionnel est un lieu l’une par l’autre ? C’est là le ressort du secret où le corps est en jeu à partir du problème de professionnel. Kaïros 38 Page 7
DIRE 1. Nous devons garder tout ce qui nous moments des sentiments de découragement, est dit car en aucun cas nous ne sommes d’absurdité, d’insécurité. C’est aussi ressentir propriétaires de la parole d’autrui. Cela la culpabilité et le débordement de ce qui concerne également tout ce qu’un submerge. Gérer les situations avec maîtrise et professionnel a vu, entendu, surpris, compris contrôle, opérationnaliser les interventions, ou deviné… parler du patient sans retenue, dépister ses difficultés pour mieux cibler les prises en Les informations, parfois ayant un caractère charge aident les soignants à cadrer leur confidentiel, peuvent être partagées, activité, à avoir des repères qui les apaisent et transmises, lorsque cela peut favoriser la les protègent de l’incertain, du doute, des continuité et la qualité des soins ou lorsque des contradictions, de l’inconnu, du dramatique. Ils évènements nécessitent une intervention ou sont en contact avec la pression impérieuse de une recherche de solutions. trouver des solutions de sortie pour éviter de Il convient alors de ne transmettre que les déposer ces tumultes et de les élaborer. Ils éléments nécessaires à une meilleure n’ont souvent pas le temps nécessaire pour orientation de soins et à éclairer un projet au cette démarche. Ceci se fait parfois au plus proche du malade, sans raconter des détriment du respect de l’intimité d’une situations, des comportements, des dires du subjectivité qui vit cette crise existentielle patient concerné. C’est bien plus un éclairage selon les reliefs de son histoire. d’une situation qui est approprié plutôt que des - Les soignants ont un contact continu avec le énoncés de faits, des contenus d’évènements. Il corps du malade. Le patient vit une crise où n’est pas question de dire pour se décharger, tout fout le camp : il se trouve dans une grande pour déposer un poids encombrant, pour faire dépendance qui réveille le plus archaïque c’est- de l’effet ou pour susciter le rire. à-dire les premiers temps de la vie lorsque la Cela veut dire que les soignants doivent mère était vitalement nécessaire et qu’elle avait apprendre à contenir et garder secret ce qu’ils le pouvoir de vie sur lui. Il adresse aux ont entendu, vécu, perçu et à prendre du recul soignants qui ont en charge de le traiter ou qui de manière à transmettre ce qui donnera une sont proches de son corps par les soins, un meilleure compréhension des patients, une appel intense de vie. Un appel qui serait une meilleure lecture de ce qui se vit. sorte de « empêchez-moi de mourir ! ». Ceci est souvent difficile. L’angoisse, les Comme si les soignants pouvaient être une peurs, la toute puissance des soignants les mère toute puissante protégeant l’autre de la poussent continuellement à aller plus loin, à mort. Les soignants se retrouvent dans une trop intervenir, à vouloir livrer des batailles recherche fusionnelle avec le malade où impossibles, à avoir l’impression que l’issue s’exprime l’illusion de pouvoir répondre à ce pourrait dépendre d’eux…et du coup à qu’il cherche, où se cherche la perception transgresser l’intime : d’être en phase avec le patient, où se définit la situation du patient à partir de ses propres - ce qui fait partie de la condition des humains références. C’est au cœur de ces dynamiques c’est-à-dire être soumis aux lois de la nature à que la confidentialité n’est plus toujours laquelle on appartient, devient problématique respectée. pour les soignants : le côtoiement répété de la souffrance de l’autre à ces moments de la fin Le secret professionnel fait partie d’une VOIE de son existence, c’est être malmené dans son TIERCE entre la position de l’autre et celle des identité professionnelle, c’est avoir à différents soignants. Il préserve donc les patients. Kaïros 38 Page 8
Il préserve également les soignants des élevée au rang de vertu, quelle légitimité a le chemins où il n’y aurait de la place que pour secret ? une position unique, une seule vérité, et où les On peut se demander si notre société défend interventions nourries des meilleures intentions encore le secret. Nombre de situations révèlent auraient des allures totalitaires. que l’on banalise les repères éthiques et que 2. Le patient doit savoir que l’on travaille l’on se complait dans une culture de la en équipe, qui fait partie de l’équipe et révélation. Il suffit de penser aux évolutions comment fonctionne cette équipe. Il convient médiatiques dans la presse écrite et de discuter avec lui de ce qui peut être transmis télévisuelle. aux autres intervenants ou de l’en informer et, Question éthique, mais question psychique il doit donner son accord. Souvent, ces aussi : cela touche les fondements mêmes de la références fonctionnent comme si elles étaient vie des humains que sont les interdits majeurs. acquises et établies une fois pour toutes. Ils permettent d’intégrer la différence des 3. Il est important enfin de s’assurer que places, les frontières de celles-ci et d’assumer les soignants avec lesquels ce partage est fait, du coup sa propre place qui n’est pas égale à sont soumis au secret professionnel. Ceci celle du malade. Ils garantissent la mise en aussi devrait être rappelé : nous avons tous des place du sens de l’autre, différent et qui expériences où certaines informations échappe à nos propres dimensions échangées dans un certain contexte, perdent personnelles ; nous ne pouvons savoir ce qui leur sens dans un autre temps et un autre est bon pour lui, le réduire à nos propres contexte…et sont souvent déformées. critères, l’insérer dans nos propres projets. Le secret professionnel a donc pour objectif de Au nom du « meilleur » pour les malades, ne construire la CONFIANCE qui s’impose à nous retrouvons nous pas à préciser des l’exercice de nos professions de soignants ; objectifs d’accompagnement afin qu’ils souvent, nous ne mesurons pas combien nos s’adaptent aux prises en charge médicales ou paroles trahissent une confiance indispensable. qu’ils réalisent leur cheminement vers la mort tel que nous le pensons souhaitable. Nous Nous devons rester vigilants : dans notre avons donc un projet sur l’autre plutôt que contexte ambiant marqué par le développement d’être réceptifs à la façon dont ils vivent leur de la communication et l’échange toujours plus maladie, leur fin de vie dans leur histoire et important de données, où la transparence est leur manière d’être. ECRIRE Il est important que nous restions constamment manière que cela n’alimente pas l’imaginaire attentifs sur ce que nous allons inscrire dans les des soignants ? Un chômeur, un alcoolique, un dossiers médicaux ou infirmiers, sur le contenu amant ou une maîtresse, c’est d’abord une d’une anamnèse qui reprend la situation personne et nous devons restituer à chaque sociale, psychique, familiale des patients. patient sa fonction de personne. Quelles conséquences certaines informations Nous devons penser à l’objectif que l’on comme « chômeur » ou « CPAS », comme poursuit dans la tenue de dossier écrit à propos « en concubinage » ou « isolé » peuvent avoir des patients, à l’intention que l’on a en donnant sur les représentations des soignants autant que certaines précisions écrites qui sont du sur l’étiquetage et les interprétations qui en domaine de l’intime, à la façon dont vont être découlent ? Comment tenir un dossier de telle utilisées ces informations et par qui. Kaïros 38 Page 9
EN GUISE DE CONCLUSION… Qu’est ce qui autorise à dire, à écrire ce qui important de s’interroger sur ce que l’on quête relève de l’intime ? en toute innocence. N’est-on pas pris dans une grande indiscrétion S’aider soi-même en aidant autrui : la mort des qui joue beaucoup sur l’émotionnel, sur ce qui autres m’aiderait à accueillir la mienne ? se passe dans les relations entre les personnes, On devrait soutenir une distance respectueuse sur la dégradation physique ? et discrète vis à vis de ces situations qui sont Que cherche-t-on ? Qui de nous est à l’abri inaccessibles, mystérieuses et qui nous d’être fasciné par le sensationnel ? échappent à juste titre. Derrière la recherche d’un meilleur Au delà de l’altruisme et de l’identification, accompagnement, nous allons parfois trop loin, c’est bien plus le contact d’être les uns avec les trop profondément dans nos tentatives de autres dans ce tumulte du monde. savoir ce qui se passe, de comprendre ce qui se joue. Il y a des processus d’identification qui Savoir être ébranlé, démuni, vulnérable en auraient à être pris en compte, un désir de supportant de ne pouvoir faire, de ne pouvoir réparation, de maîtrise, de tentative de venir à résoudre, de ne pouvoir savoir et comprendre. bout du plus bouleversant qu’est la séparation Et rester dans la distance relationnelle de ce ultime. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes qui ne nous appartient pas et que nous ne intentions et de bons sentiments, il est pouvons coloniser. ********** Aides familiales : secret professionnel, devoir de discrétion – Actuels éléments de référence Jean-Marc Rombeaux Conseiller à la Fédération des CPAS de l'UVCW En Région Wallonne, le statut des aides - Pour une aide familiale, quelle est la familiales prévoit qu’elles soient liées par un définition du devoir de discrétion ? devoir de discrétion. Cette obligation persiste La présente note reprend une série de points de après la fin des interventions et après la fin de référence et d’arguments dans ce débat. La son contrat. Ce devoir de discrétion donne lieu matière est complexe et évolutive en raison de à débat. Au sein de notre Association, trois l’importance prise par le droit à l’information. questions sont apparues : - Quelle est la différence entre le devoir de Si le droit fournit des éléments permettant de discrétion et le secret professionnel ? rencontrer les deux premières interrogations, la - L'aide familiale peut-elle se retrancher troisième appelle une jurisprudence, derrière son devoir de discrétion pour ne pas aujourd'hui inexistante, sur l’application du répondre aux questions d’une autorité statut des aides familiales. judiciaire ? Kaïros 38 Page 10
1. SECRET PROFESSIONNEL connaissance d’un crime ou un délit sera tenu d’en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel Les médecins, les chirurgiens, officiers de ce crime ou délit aura été commis, ou dans santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes les lequel l’inculpé pourrait être trouvé, et de autres personnes dépositaires par état ou par transmettre à ce magistrat tous les profession, des secrets qu’on leur confie, qui renseignements, procès-verbaux et actes qui y hors les cas où ils sont appelés à rendre sont relatifs. témoignage en justice et celui où la loi les L’obligation de dénonciation prévue à l’article oblige à faire connaître ces secrets, les auront 29 du Code de l’instruction criminelle n’étant révélés seront punis d’un emprisonnement de pas pénalement sanctionnée, elle ne peut céder huit jours à six mois et d’une amende de cent le pas devant l’article 458 du Code pénal4 qui francs à cinq cents francs1. prévoit le secret professionnel. On considère qu’il y a secret professionnel : - lorsque la personne dépositaire du secret 3. DEVOIR DE DISCRETION DES est un confident nécessaire, c’est-à-dire AIDES FAMILIALES qu’elle a été consultée par nécessité ; - et lorsque le secret a été confié dans l’exercice et en raison de l’état (ex. : Il est prévu par le statut5 des aides familiales. mandat du membre du conseil de l’aide « L'aide familiale est liée par un devoir de sociale) ou de sa profession (ex.: discrétion. Cette obligation persiste après la travailleur social)2. fin des interventions et après la fin de son Il résulte de la jurisprudence majoritaire que contrat. l’article 458 du Code pénal ne s’applique pas L'aide familiale est donc tenue d'observer la automatiquement à l’ensemble des plus grande discrétion par rapport aux fonctionnaires et à l’ensemble des documents situations qu'elle rencontre. administratifs3. La divulgation de faits ou d'informations, sans nécessité et sans utilité, constitue, dans le chef 2. OBLIGATION DE DECLARATION de l'aide familiale une faute de déontologie qui porte atteinte à la relation de confiance. Cette faute peut entraîner une sanction disciplinaire. L’article 29 du Code d’instruction criminelle Cependant, dans le contexte de l'aide à précise que toute autorité constituée, tout domicile, le partage d'informations avec fonctionnaire ou officier public qui dans d'autres professionnels tenus soit à un devoir l’exercice de ses fonctions acquerra la de discrétion, soit au secret professionnel, est 1 Article 458 du Code pénal. indispensable. 2 F. Mues, "L’obligation de secret du CPAS face à la demande de renseignements notamment des Toutefois, ce partage doit se limiter aux services de police et/ou des sociétés de informations pertinentes et exclure toute recouvrement de créance", Note au Comité entrave au respect de la confidentialité directeur de la Section « CPAS » de l’AVCB, considérée comme un droit fondamental de la 25.5.1998. G.P Libin et al, "Le CPAS face à l’obligation de personne au respect de la vie privée. secret", UVCB, 1990. 3 Ph . De Bruycker, "Déontologie de la fonction 4 publique et transparence administrative", in F. Mues, op. cit. 5 Administration publique, 3ème trimestre 1993, p. AGW 16.7.1998 portant approbation du statut de 175. l’aide familiale (M.B. 8.9.1998, p. 28876). Kaïros 38 Page 11
Par conséquent, les intervenants doivent Toute personne qui œuvre au sein d'un service, régulièrement s'interroger sur ce qu'il est d'une institution ou d'une association et qui a opportun de transmettre dans l'intérêt des pour profession ou pour mission, même à titre personnes et sur ce qu'ils doivent garder pour bénévole ou temporaire est tenue d'apporter eux. aide à l'enfant victime de maltraitances ou à celui chez qui sont suspectés de tels mauvais Dans des situations mettant en péril l'intégrité traitements. L'aide est due, quelle que soit la du bénéficiaire, de son entourage et des forme de la maltraitance, qu'elle soit intervenants (état de nécessité, devoir psychique, physique ou sexuelle. Elle vise à d'assistance à une personne en danger), l'aide prévenir ou à mettre fin à la maltraitance. familiale pourra divulguer l'information qu'elle détient et devra la porter à la Lorsqu'il est dans l'impossibilité d'agir connaissance des autorités compétentes. personnellement afin de favoriser l'arrêt des maltraitances, l'intervenant, sans préjudice de Par rapport à ces situations, l'aide familiale a l'application de l'article 458 du Code pénal, comme premiers référents, le travailleur social est tenu d'apporter son aide sous forme d'une et la direction du service qui encadrent sa information d'une instance compétente dont: le mission auprès de qui elle devra pouvoir conseiller de l'aide à la jeunesse, ou l'équipe « trouver conseil ». S.O.S.-Enfants », ou l'équipe d'un centre psycho-médico-social ou d'un centre 4. ABSENCE DU SECRET d'inspection médicale scolaire. En outre, PROFESSIONNEL DU STATUT DE l'intervenant, sans préjudice de l'application L’AIDE FAMILIALE de l'article 458 du Code pénal, est tenu d'apporter son aide sous forme d'une information d'une instance compétente lorsque La notion de secret professionnel n’a pas été la maltraitance est commise par un tiers reprise dans le statut des aides familiales. extérieur au milieu familial de la vie de l'enfant. Il n’existe pas de travaux parlementaires ou de rapport au Roi sur ce statut6. Le statut de l’aide familiale a prévu que : Nous avons participé à la préparation du statut Dans des situations mettant en péril l'intégrité et nous avons repris contact avec des acteurs du bénéficiaire, de son entourage et des de l’époque. L’absence du concept de secret intervenants (état de nécessité, devoir professionnel dans le statut de l’aide familiale d'assistance à une personne en danger), l'aide semble s’expliquer par deux facteurs. familiale pourra divulguer l'information qu'elle détient et devra la porter à la Le premier, historique et sociologique, découle connaissance des autorités compétentes. des affaires de pédophilie. A l’époque, pour l’opinion publique, le silence face aux cas de Dans la mesure où le secret professionnel maltraitance est devenu inadmissible. Le accorde un droit de se taire (cf. infra), le Législateur a pris en compte cette évolution Législateur wallon semble avoir considéré sociétale. qu’il était contradictoire de prévoir un devoir de secret professionnel et un devoir Dans la législation sur l’aide à la jeunesse7, un d’information pour les aides familiales. devoir d’information a été introduit. Le second facteur explicatif découle de l’analyse de la fonction d’aide familiale. 6 Il y a par contre un recours au Conseil d’Etat. 7 Décret 6.3.1998 de la Communauté française Le législateur semble avoir estimé que le relatif à l'aide aux enfants victimes de travail de l’aide familiale se concrétise maltraitances. Kaïros 38 Page 12
principalement par l’exécution de tâches à son devoir de discrétion pour refuser de caractère matériel. témoigner en justice. Dés lors, l’aide familiale ne constitue pas un En droit privé, l’application de l’article 458 du confident nécessaire de la personne aidée. Code pénal ne peut s’étendre à ceux qui sont Le confident nécessaire est le travailleur seulement tenus d’un devoir de discrétion10. social. Dans la fonction publique, le secret « Les besoins des demandeurs seront évalués professionnel et le devoir de discrétion peuvent et l’enquête sociale sera réalisée par le éventuellement se cumuler11. travailleur social attaché au service8 ». Le devoir de discrétion prévu dans la fonction En cas de partage de secret professionnel par publique est toutefois un concept qui est l’assistant social nécessaire à l’exécution des distinct de celui qui s’impose à toute aide tâches, au terme du statut, l’argument tombe: familiale, d’un service privé ou public. ce partage doit se limiter aux informations Il apparaît dans le droit disciplinaire applicable pertinentes et exclure toute entrave au respect aux seuls agents nommés. Il s’impose à chaque de la confidentialité considérée comme un agent, même si aucune disposition droit fondamental de la personne au respect de réglementaire ne le prescrit formellement12. la vie privée. Au niveau de la fonction publique, le secret professionnel (quand il est d’application) vise 5. DEVOIR DE DISCRETION ET la protection de l’administré et de la SECRET PROFESSIONNEL Communauté. A l’inverse, le devoir de discrétion protège l’administration et le système politique13. De manière générale, Vandernoot relève que La visée est donc différente de celle du devoir « la distinction entre le secret professionnel et de discrétion propre à l’aide familiale l’obligation de discrétion est l’œuvre de la wallonne: le partage d’information par l’aide jurisprudence : le premier s’applique en familiale doit exclure toute entrave au respect principe aux confidents nécessaires et est de la confidentialité considérée comme un sanctionné pénalement, la seconde concerne, droit fondamental de la personne au respect de toujours en principe, les confidents la vie privée. Le champ d’application est volontaires et n’engage que la responsabilité également plus restreint: le devoir de discrétion civile (ndlr: et non pénale) et, le cas échéant, des fonctionnaires ne s’applique qu’aux seuls disciplinaire ; ces derniers sont même tenus à statutaires. témoigner en justice des faits dont ils ont connaissance, alors que les premiers peuvent De Bruycker écrit à ce sujet que « comme le se retrancher derrière le secret professionnel secret professionnel, l’obligation de discrétion pour refuser leur témoignage »9. impose, ainsi que le terme « discrétion » le suggère, aux agents concernés de ne pas En particulier, on peut en déduire qu’une aide familiale ne peut se retrancher derrière 10 Cass. B, 16.5.1977, p. 1977, P. 1977, I 947. 8 11 Circ. 16.9.1991 relative à l’AECF du 16.12.1988 De Bruycker, op. cit. p. 176. 12 réglant l'agrément des services d'aide aux familles Lambert P., "Le Secret professionnel", Bruxelles, et aux personnes âgées et l'octroi de subventions à Nemesis, p.267, cité dans cité dans Statut des ces services, tel que modifié - Réf. 1/91/618.0/30. Administrations locales et provinciales, p. 26, CED 9 Vandernoot, "Le fonctionnaire, ses droits et ses Samson. 13 obligations", in Administration publique, Revue de I. Opdebeek, le Droit disciplinaire dans les droit public et de sciences administratives, T1, Administrations locales, Commentaire, la Charte, 1990, p.49. p.7, 1988 Kaïros 38 Page 13
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