Les enjeux du conflit au Nord-Mali - par Pascal De GenDt 2012/08

La page est créée Melanie Bourgeois
 
CONTINUER À LIRE
2012/08

      Les enjeux du conflit
      au Nord-Mali
      par Pascal De Gendt

     Analyses &
	        Études
                             1
      Monde et Droits de l’Homme   Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente,
sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de
SIREAS sous la direction de Mauro Sbolgi, éditeur responsable. Les ques-
tions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui intéressent notre pu-
blic et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de rendre
les textes accessibles à l’ensemble de notre public.
Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes
Monde et droits de l’homme
Notre société à la chance de vivre une époque où les principes des Droits de l’Homme
protègent ou devraient protéger les citoyens contre tout abus.  Dans de nombreux pays ces
principes ne sont pas respectés.
Économie
La presse autant que les publications officielles de l’Union Européenne et de certains
organismes internationaux s’interrogent sur la manière d’arrêter les flux migratoires.  Mais
ceux-ci sont provoqués principalement par les politiques économiques des pays riches qui
génèrent de la misère dans une grande partie du monde.
Culture et cultures
La Belgique, dont 10% de la population est d’origine étrangère, est caractérisée, notamment,
par une importante diversité culturelle
Migrations
La réglementation en matière d’immigration change en permanence et SIREAS est
confronté à un public désorienté, qui est souvent victime d’interprétations erronées des
lois par les administrations publiques, voire de pratiques arbitraires.
Société
Il n’est pas possible de vivre dans une société, de s’y intégrer, sans en comprendre ses
multiples aspects et ses nombreux défis.

Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur nos sites
www.lesitinerrances.com et www.sireas.be, elles sont aussi disponibles en version
papier sur simple demande à educationpermanente@sireas.be

       Siréas asbl
                                                                                        Avec le soutien
Service International de Recherche,
                                                                                       de la Fédération
d’Éducation et d’Action Sociale asbl                                                 Wallonie-Bruxelles
Secteur Éducation Permanente
Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles
Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58
educationpermanente@sireas.be
www.lesitinerrances.com – www.sireas.be 2
D
          epuis le 6 avril 2012, le Mali est amputé des deux-tiers de son
          territoire. Ce jour-là, le Mouvement National de Libération de
          l’Azawad (MNLA) déclarait l’indépendance de cette vaste région du
Nord après quatre mois de combat contre l’armée malienne. Ce mouvement
touareg, rejoint dans la lutte par les islamistes de Ansar Dine (« Combattants
de la Foi »), accomplissait ainsi le rêve qu’ils caressaient depuis l’accession
à l’indépendance du pays en 1960. Cette volonté avait déjà inspiré plusieurs
révoltes de la part des populations touaregs du Nord-Mali, une région
désertique et inhospitalière à laquelle le pouvoir et la population malienne
du Sud du pays n’ont jamais accordé beaucoup d’intérêt (1). Jusque-là,
les tentatives de sédition avaient toujours été réprimées par l’armée. Lors
des révoltes de 2006 et 2007-2009, quelques milliers de Touaregs avaient
d’ailleurs fui le pays pour se réfugier notamment en Lybie où une partie
d’entre eux avaient rejoint les troupes de Khadafi.
    Au printemps 2011, après la chute du leader libyen, ces hommes sont
revenus au pays, lourdement armés suite au pillage des stocks d’armes de
l’armée libyenne (1). Pour la première fois, le rapport de force avec les
militaires maliens leur était favorable. Le 16 octobre 2011, une coalition
formée par ces soldats « revenants », le Mouvement National de l’Azawad
et l’Alliance Touareg Niger-Mali voit le jour sous le nom de MLNA. Le 17
janvier 2012, ils attaquent des camps militaires. Rejoints par les islamistes
maliens de Ansar Dine, soutenus par AQMI (Al Qaida au Maghreb
Islamique), ils mènent leur combat de libération face à une armée divisée
et peu habituée à combattre dans le désert. Fin mars, les indépendantistes
détiennent Kidal, Tombouctou et Gao, les principales viles du nord du pays
et déclarent donc, quelques jours plus tard, l’indépendance de l’Azawad.

                                  3
Reprochant au gouvernement en place de n’avoir pu garantir l’intégrité
territoriale du pays, des militaires menés par le capitaine Sanogo renversent,
le 22 mars, le président Amadou Toumani Traoré et installent un Comité
National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de
l’État. Suite aux sanctions politiques et économiques décidées par la
Communauté économique des États de l’Afrique Ouest (Cédéao), qui se
transforment ensuite en embargo total, la junte se retire le 12 avril et laisse la
place à un président intérimaire, Dioncounda Traoré, et à un gouvernement
de transition, toujours en place aujourd’hui. Ce geste ne rassure pas la
communauté internationale et l’embargo n’est pas levé. Le matériel militaire
qu’attendait l’armée malienne pour tenter de reconquérir l’Azawad reste
bloqué dans les ports de Conakry et Dakar (1). La contre-offensive n’aura
donc pas lieu.

Sanctuaire islamiste
   Au Nord, les batailles ne cessent pas pour autant. Elles opposent désormais
le MLNA, dont l’objectif était l’indépendance, et ses alliés islamistes qui
visaient surtout à instaurer la charia. La lutte tourne en faveur des derniers
nommés, mieux équipés et plus riches, et le MLNA est bientôt forcé de
quitter les villes et places stratégiques de la région. Celles-ci deviennent dès
lors un nouveau sanctuaire djihadiste pour les troupes d’Ansar Dine, du
Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une
sorte de filiale subsaharienne d’Aqmi, et d’autres mouvements islamistes
africains tel les Nigérians de Boko Haram. Ils y imposent leur vision
de l’Islam, qui n’est pas sans rappeler celle des talibans d’Afghanistan,
notamment dans leur volonté de combattre les particularités régionales
de la religion en détruisant des tombeaux de saints à Tombouctou. A côté
de ce zèle religieux, ces groupements trempent également dans différentes
activités criminelles (prise d’otages et rançon) et trafics (migrants, armes et
drogues) qui prolifèrent dans cette région depuis plusieurs années.
   Pour la communauté internationale, la priorité est donc désormais de
combattre et chasser ces mouvements terroristes. Après bien des discussions
et des hésitations, la Cédéao approuvait, le 11 novembre dernier, l’envoi
d’une force militaire soutenue logistiquement par les pays occidentaux. Le
Conseil de Sécurité des Nations-Unies devait également se positionner sur
ce sujet avant la fin du mois de décembre. La reprise des combats ne semble
toutefois pas imminente. A la mi-novembre, après diverses consultations,
Romano Prodi, l’envoyé spécial de l’ONU au Sahel, déclarait qu’il semblait
difficile de planifier une intervention militaire avant septembre 2013. Des
hésitations qui cachent mal une réalité : le conflit du Nord Mali recèle bien
plus d’enjeux qu’un simple combat contre le terrorisme islamiste en Afrique.

                                       4
Le Sahel, nouvel Eldorado pétrolier
    Ce n’est sans doute pas par hasard si la carte d’implantation des forces
armées islamistes au Sahel est presque parfaitement calquée sur celle des
ressources pétrolières dans cette région (2). Le bassin de Taoudéni, qui
s’étend sur les territoires de la Mauritanie, de l’Algérie, du Niger et du
Mali, semble particulièrement prometteur. « Un nouvel Eldorado » (2),
comme l’a nommé le directeur pour l’Afrique du Nord du groupe Total. Le
groupe français sait de quoi il parle : déjà présent dans la région, il a signé,
en janvier dernier, un accord avec la Mauritanie pour deux nouveaux permis
d’exploration (3). Un off-shore, l’autre en plein bassin de Taoudéni. Et qui
est actionnaire, à hauteur de 3%, dans le groupe pétrolier français ? Le Qatar.
Le même émirat qui a fait une spécialité du soutien aux groupes salafistes,
en Libye, en Syrie comme au Mali (4). Autant de pays dont les ressources
naturelles sont convoitées par les grandes puissances d’aujourd’hui, États-
Unis en tête.
    En soutenant, des groupes terroristes, le meilleur nouvel allié des
USA accroît ainsi encore un peu plus son importance sur la carte géo-
économique de la planète. Le calcul pourrait être celui-ci : développer la
puissance de ces organisations pour leur donner l’occasion de déstabiliser
les fragiles états du Sahel. Ce qui facilite à la fois l’accaparement de leurs
ressources naturelles et permet aux gendarmes du monde de pointer du
doigt la menace terroriste pour intervenir et s’installer dans ces pays, fût-ce
via un intermédiaire. La stratégie sahélienne des États-Unis est d’ailleurs
pratiquement inscrite noir sur blanc dans les principes fondant l’action de
l’AFRICOM, leur commandement militaire sur ce continent. On y parle
d’assurer « la libre circulation des ressources naturelles de l’Afrique vers
le marché mondial » et « de protéger l’accès aux hydrocarbures et autres
ressources stratégiques abondantes en Afrique ». Les protéger notamment
contre la féroce concurrence russe et chinoise. (5)
    Les États-Unis, échaudés par la mauvaise expérience afghane, n’ont
pas plus envie que cela d’envoyer des hommes dans cette région. Leurs
alliés occidentaux non plus d’ailleurs. Heureusement pour eux, la France
dispose encore de beaucoup d’influence en Afrique occidentale. Ils peuvent
notamment compter sur la Cédéao, la communauté économique d’états de
la région dont la banque centrale est contrôlée par… la Banque de France. Les
observateurs dans la région ont ainsi noté que le président ad intérim malien
et le gouvernement de transition n’ont pas été démocratiquement élus mais
nommés sous pression de la Cédéao qui a prolongé leur mandat, au mépris
de la Constitution du pays. (6) On relèvera que la même organisation
économique a contribué à l’impuissance de l’armée malienne, face aux
Touaregs et à leurs alliés, en décrétant l’embargo après le coup d’État, et

                                  5
en le maintenant après l’installation du gouvernement de transition.
C’est également la Cédéao qui a pratiquement imposé au Mali la
perspective de voir une force militaire internationale intervenir contre
les sécessionnistes. (6) Cette opération serait soutenue logistiquement
par la France et les États-Unis. Avec quelles perspectives ? Celle de
voir une force d’interposition, guidée par le Burkina-Faso et la Côte
d’Ivoire, des pays « amis » de la France et des États-Unis, s’installer
dans un pays complètement déstabilisé pour le maintenir sous
tutelle et veiller au respect de leurs intérêts économiques respectifs ?
C’est une possibilité que le néo-colonialisme à l’œuvre en Afrique ne
permet pas d’écarter. (7)

Gênante Algérie
   La France se retrouve néanmoins en délicate posture. Coincée
entre les intérêts de Total, qui reste l’un des principaux fleurons de son
économie et ses impératifs de sécurité nationale. Ceux-ci seraient mis
à mal si un foyer de terrorisme continuait à se développer dans une
région qui n’est pas si éloignée que cela des rives de la Méditerranée
et où travaillent un bon nombre de compatriotes. Une intervention
militaire pourrait d’ailleurs coûter cher aux otages français détenus
par l’Aqmi et le Mujao comme l’a rappelé, en novembre, un djihadiste
malien.
   Mais l’embarras français n’est rien par rapport à celui de l’Algérie.
Ce pays désire éviter la contamination de ses propres Touaregs
mais s’est toujours montré opposé à une intervention militaire pour
plusieurs raisons. D’abord parce que cela l’arrange qu’une partie des
effectifs de l’Aqmi, un groupe d’origine algérienne, se retrouve au
Mali plutôt que sur son territoire. Ensuite parce qu’il est probable
que certains membres du gros appareil d’État profite de l’ampleur
des trafics traversant l’Afrique pour arriver en Europe. Les routes
du narcotrafic de produits colombiens traversant l’Atlantique puis
l’Afrique de l’Ouest sont bien connues. Elles passent notamment
par le Mali puis foncent vers la Méditerranée en empruntant les
routes algériennes. Les frontières entre les deux pays semblent
étonnamment perméables et la surveillance des routes du sud du pays
particulièrement laxiste. Les cargaisons de stupéfiants sont, en effet,
assurés par des convois de type « go fast », à savoir des véhicules
voyants, de type 4X4, filant à toute allure. (8)

                                       6
Mais ce que l’Algérie ne veut surtout pas, c’est assister à l’installation
d’une force armée étrangère de l’autre côté de sa frontière voire sur son
propre territoire si ses « amis » américains lui demandent ce coup de main.
Cela ne pourrait que diminuer son statut de puissance régionale alors que
certaines de ses entreprises louchent également sur le pétrole malien. Encore
pire : le pays n’oublie pas que son sous-sol est également convoité et que son
soutien au régime syrien lui a attiré quelques solides inimitiés internationales,
le Qatar en tête. (9) S’il a jusqu’ici été épargné par un « printemps arabe »,
certains pays n’hésiteront pas, le cas échéant, à donner un coup de main aux
composantes de sa population qui tenterait de se soulever.
   Une preuve supplémentaire que l’immense jeu de Stratégo qui se met
en place au Sahel dépasse de loin les frontières du seul Mali et que la lutte
contre le terrorisme mis en avant dans tous les discours officiels cachent des
enjeux bien moins reluisants.

Bibliographie
(1) Diploweb.com, « Géopolitique du Mali, un Etat failli ? » (en ligne) c2012
    (consulté le 20/11/2012) Disponible sur http://www.diploweb.com/
    Geopolitique-du-Mali-un-Etat.html

(2) Le Blog Finance, « Quand le pétrole et le Qatar s’invitent au Mali et au
    Sahel » (en ligne) c2012 (consulté le 20/11/2012) Disponible sur http://
    www.leblogfinance.com/2012/06/quand-le-petrole-et-le-qatar-sinvi-
    tent-au-mali-et-au-sahel.html

(3) Les Echos, « Nord du Mali : Et le pétrole dans tout ça ? » (en ligne) c2012
    (consulté le 19/11/2012) Disponible sur http://www.lesechos.ml/nord-
    du-mali-et-le-petrole-dans-tout-ca.html

(4) Le Soir d’Algérie, « Qatar : Une diplomatie au service de l’Amérique »
    (en ligne) c2012 (consulté le 21/11/2012) Disponible sur http://www.
    lesoirdalgerie.com/articles/2012/10/23/article.php?sid=140630&cid=41

(5) Mondialisation.ca, « La guerre secrète des Etats-Unis en Afrique » (en
    ligne) c2012 (consulté le 21/11/2012) Disponible sur http://www.mon-
    dialisation.ca/la-guerre-secrete-des-etats-unis-en-afrique/5308437

(6) Mondialisation.ca, « Le Mali, nouvelle victime désignée d’actives ingé-
    rences néocoloniales françaises » (en ligne) c2012 (consulté le 21/11/2012)

                                   7
Disponible sur http://www.mondialisation.ca/le-mali-nouvelle-vic-
   time-designee-dactives-ingerences-neocoloniales-francaises

(7) Connectionivoirienne.net, « Mali : les raisons françaises à la déstabilisa-
    tion du pays » (en ligne) c2012 (consulté le 20/11/2012) Disponible sur
    http://www.connectionivoirienne.net/mali-les-raisons-francaises-a-la-
    destabilisation-du-pays/

(8) Tamoudre.org, « La mexicanisation de l’Azawad » (en ligne) c2012
    (consulté le 21/11/2012) Disponible sur http://www.tamoudre.org/opi-
    nions/la-mexicanisation-de-lazawad.html

(9) La Tribune, « Les enjeux géostratégiques de la crise malienne » (en ligne)
    c2012 (consulté le 20/11/2012) Disponible sur http://www.latribune-
    online.com/suplements/international/72073.html

A lire aussi sur le sujet

Jeune Afrique, « Mali : Et si les islamistes convoitaient l’or noir » Dis-
   ponible     sur    http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-
   subsaharienne/11872-mali-et-si-les-islamistes-convoitaient-lor-noir-.
   html

Le Quotidien, « Y a-t-il un deal international sur l’intervention au Mali ? »
   Disponible sur http://www.lequotidien-oran.com/?news=5174095

L’Humanité, « Whashington s’implique au Mali » Disponible sur http://
   www.humanite.fr/monde/washington-s-implique-au-mali-507482

Globalresearch.ca, “Covert Ops in Nigeria : fertile ground for US spon-
   sored balkanization” Disponible sur http://www.globalresearch.ca/co-
   vert-ops-in-nigeria-fertile-ground-for-us-sponsored-balkanization/

                                      8
Vous pouvez aussi lire