Les Entretiens Réinventer le travail
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les Entretiens Réinventer le travail Les Entretiens de Royaumont CAHIER DES ENTRETIENS SAMEDI 1er & DIMANCHE 2 DÉCEMBRE 2012 Abbaye de Royaumont www.entretiensroyaumont.org
les Entretiens Réinventer le travail CAHIER DES ENTRETIENS SAMEDI 1er & DIMANCHE 2 DÉCEMBRE 2012 Abbaye de Royaumont www.entretiensroyaumont.org
Réinventer le travail Editorial Depuis bientôt dix ans, les Entretiens de Royaumont constituent un moment rare de réflexion et d’échanges au sein de la vie politique française. Ils apportent la preuve que des hommes et des femmes issus d’horizons différents peuvent débattre et enrichir ensemble le débat intellectuel et politique, et que le coeur du débat politique, son essence et sa raison d’être restent la confrontation des idées et l’enrichissement mutuel. Ce grand moment, devenu le rendez-vous annuel de la réflexion politique, a fait le choix cette année de parler du travail, un thème particulièrement clivant, tant dans la façon de concevoir sa place dans la société française que dans la façon de le vivre, avec ses joies et ses contraintes, au quotidien. Soyez les bienvenus à ce moment unique en France, rehaussé par la qualité exceptionnelle de celles et ceux qui viennent chaque année y intervenir ou y assister, pour participer tous ensemble à l’avenir de notre pays. Jérôme CHARTIER président des Entretiens de Royaumont E DITORIAL
SAMEDI 1er DÉCEMBRE 2012
les Entretiens SAMEDI 1 er DÉCEMBRE 2012 Modération de la journée par Michel FIELD 9:00 INTRODUCTION AU DÉBAT Construire des champions industriels européens — Marwan LAHOUD grand témoin Regard sur le coût du travail — Sébastien PROTO grand témoin 9:45 OUVERTURE DES ENTRETIENS — Vincent MONTAGNE secrétaire général des Entretiens de Royaumont 10:00 DISCOURS D’ OUVERTURE — Michel SAPIN ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social 10:30 ECLAIRAGE — Cardinal Philippe BARBARIN archevêque de Lyon, Primat des Gaules Le travail, l’homme, les valeurs 11:00 ECLAIRAGE — Ezra SULEIMAN professeur de science politique, université de Princeton Travailler en France : vision d’outre-Atlantique 11:30 LE GRAND ECHANGE Forces et faiblesses du modèle français — Jean-Louis BORLOO — Christophe de MARGERIE ancien ministre, président de l’UDI président, groupe Total — Dominique REINICHE — Emmanuelle BARBARA présidente Europe, Coca-Cola Company avocate, spécialiste du droit du travail — Nicolas BAVEREZ — Fabienne KELLER avocat, essayiste sénatrice du Bas-Rhin, spécialiste du travail transfrontalier Introduction par Jean-Luc DECORNOY trésorier des Entretiens de Royaumont
Réinventer le travail 1 4:45 LE GRAND DÉBAT Relever les 3 défis du travail : inventer, produire, exporter — Claude GUEANT — Philippe VARIN ancien ministre, ancien secrétaire général président du directoire, PSA Peugeot Citroën de l’Elysée — Viviane RIBEIRO — Jean-Pierre JOUYET présidente, Lefebvre Software directeur général, Caisse des Dépots femme entrepreneur de l’année 2012 président, Banque publique d’investissement — Marwan LAHOUD — Clara GAYMARD président EADS France présidente, General Electric France Introduction par Pierre-Antoine GAILLY président de la CCIP, président de l’UCCIFE 16:15 LA GRANDE PERSPECTIVE Travailler moderne — Mercedes ERRA — Bruno LE ROUX présidente exécutive, Havas Worldwide député, président du groupe socialiste radical — Jérôme CHARTIER et citoyen à l’Assemblée nationale président des Entretiens de Royaumont — Yseulys COSTES — Stéphane TREPPOZ présidente, 1000mercis.com président, Sarenza.com — Pierre TAPIE président, Conférence des grandes écoles Introduction par Aldo CARDOSO président de la Fondation Royaumont 17 :30 Libre propos sur le travail — Edgard MORIN socioloque 18:00 C ONCLUSION — Yayi BONI président du Bénin, président de l’Union africaine Un autre regard sur le travail COCKTAIL DE CLÔTURE Remise du prix de la francophonie économique — par Yayi BONI & Steve GENTILI président du Forum Francophone des Affaires P ROGRAMME
les Entretiens LE GRAND ECHANGE — Forces et faiblesses du modèle français Le tableau de l’économie française aujourd’hui n’est pas de ceux dont un pays pourrait se vanter : finances publiques dégradées, comptes extérieurs déficitaires, croissance en berne, chômage en hausse, investisseurs moins confiants, les clignotants de l’économie française sont tous au rouge. Le modèle français n’est-il pas en train de buter sur ses limites ? Il avait pourtant trouvé des avocats inattendus au plus fort de la crise finan- cière. La presse économique anglo-saxonne, qui n’avait cessé de le dénon- cer — le mélange de dirigisme étatique et d’Etat-providence est éloigné de son credo libéral —, lui avait alors trouvé des vertus. En mai 2009, l’hebdo- madaire britannique The Economist concédait que le « modèle français sem- blait plutôt bon, au moins dans ces temps économiques troublés ». Quelques mois auparavant, son homologue américain Newsweek estimait que « le seul modèle encore debout est le modèle français ». De fait, c’est au « modèle social français » qu’était alors attribué le recul plus faible de l’activité en France par comparaison avec les autres grands pays déve¬loppés. Effectivement, le poids élevé de l’Etat et l’importance des trans¬ferts sociaux ont soutenu les revenus des ménages et alimenté une consom¬mation présentée comme le moteur de la crois¬sance française. Mais le revers de cette médaille est un déficit chronique des comptes publics, un solde com¬mercial qui s’est enfoncé dans le rouge depuis le mi¬lieu des années 2000 et un chômage élevé pour les plus âgés comme pour les plus jeunes. Fin 2012, le déficit public devrait avoisiner les 84 milliards d’euros (91 mil- liards fin 2011) et celui des échanges extérieurs établir un nouveau re¬cord (70 milliards d’euros fin 2011). Depuis plus de 30 ans, les comptes publics n’ont jamais été équili¬brés, ce qui n’a cessé d’alimenter une dette publique qui culmine à près de 1 717 milliards d’euros (85,8 % du PIB) à la fin de 2011, soit environ 26 000 euros par habitant. De plus, le marché du travail est marqué par un fort dualisme, les contrats précaires échéant surtout aux jeunes sur lesquels pèse l’essentiel de l’ajus-
Réinventer le travail tement de l’emploi, ce qui se traduit par un taux de chômage anormalement élevé à 22,7 % pour les 15-24 ans (au second trimestre 2012), une perte de capital humain et donc à terme une perte de production potentielle. Que faut-il penser du modèle français ? Quelles sont ses forces et faiblesses ? DES FORCES INDISCUTABLES, DANS LE MONDE DU XXIe SIÈCLE Une position géographique bien placée, au carrefour des grands flux de l’Eu- rope et au voisinage des principales puissances de l’Union européenne, un littoral qui ouvre sur les grands fronts du transport maritime, des infrastruc- tures de qualité, le deuxième plus grand réseau de trains à grande vitesse du monde, des équipements énergétiques de qualité… Les fées qui se sont penchées sur le berceau de la France l’ont dotée de riches atouts. Des atouts qui font pâlir d’envie de nombreux autres pays, et dont ne disposent même pas des puissances économiques bien plus performantes que nous. La France possède également une vitalité démographique, qui tranche sur la dépression que connaît la natalité de la plupart des pays européens : la population française ne cesse d’augmenter (65 millions d’habitants), et ce, davantage du fait d’un solde naturel positif qu’en raison du solde migratoire. Le taux de natalité français est un des plus élevés que nous connaissions depuis la fin du baby-boom, et l’un des plus élevés en Europe, moitié plus que nos voisins allemands (1,98 enfant par femme en moyenne en France contre 1,38 en Allemagne en 2009). La France dispose d’autres forces : une épargne plus abondante, avec un taux d’épargne qui est l’un des plus élevés des pays développés. L’épargne des Français, à la fois un carburant pour la préparation de l’avenir (elle permet de compenser les insuffisances des régimes de retraite par réparti- tion par des efforts de capitalisation) et un amortisseur de déficits (un pays qui épargne peut financer lui-même ses investissements). C’est un trésor national. Certes, dans notre pays, les fourmis sont les ménages, pas l’État. La France peut également tirer profit de sa culture : c’est une force, dans le monde de demain. D’abord parce que la main-d’œuvre française est plutôt qualifiée. Le niveau de formation et de qualification des Français, pour partie un héritage des S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens savoir-faire accumulés au fil des siècles dans les « métiers », est élevé par rapport à celui des autres pays. En attestent les dirigeants des sociétés mul- tinationales qui viennent volontiers chercher en France l’accès à ce réser- voir de main-d’œuvre et qui y voient l’un des éléments les plus importants de l’attractivité de notre pays. Ensuite parce que les Français sont proactifs, volontaires. Chaque année, plusieurs centaines de milliers créent leur entreprise, loin du cliché qui fait de tous les Français des fonctionnaires en puissance. Ils font preuve dans leur travail d’ingéniosité technique, commerciale, humaine ou financière. Les cabinets de « chasseurs de tête » qui comparent les salariés des diffé- rents pays voient chez les Français un niveau de flexibilité, d’adaptabilité, supérieur à la moyenne. La France reste malgré tout une grande puissance économique, comptant en 2010 11 entreprises parmi les 100 plus grosses sociétés au monde en termes de chiffre d’affaires selon le magazine Fortune. Si l’on se penche sur les 500 plus grosses entreprises, l’Hexagone ne place pas moins de 39 groupes, soit la 4e nation la plus représentée, derrière les Etats-Unis (139 compa- gnies), le Japon (71) et la Chine (46). La France compte de nombreux cham- pions mondiaux : Axa, Total, BNP Paribas, Carrefour, GDF Suez, LVMH, Areva... Enfin, Paris reste la deuxième ville européenne la plus recherchée par les chefs d’entreprise, derrière Londres et devant Francfort. UN PAYS QUI PERD DE SON ATTRACTIVITÉ La mesure de l’attractivité d’un pays constitue un baromètre assez fidèle de sa situation. Or, l’évolution est inquiétante : la France attire de moins en moins les investisseurs étrangers et perd de son crédit auprès des inves- tisseurs des pays à forte croissance comme le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Même le crédit impôt recherche ne suffit plus pour attirer les inves- tissements en recherche. Les groupes étrangers sont également plus indécis sur la volonté de maintenir ou de renforcer leurs activités dans l’Hexagone. Au second trimestre 2012, pour la première fois depuis 2002, la France a perdu la deuxième place européenne au profit de l’Allemagne, derrière le Royaume-Uni.
Réinventer le travail Quelle est l’image de la France à l’étranger ? Elle n’est globalement pas très positive — et en tout cas moins positive que ne le pensent nos conci- toyens — : un sondage réalisé en juin 2012 révèle que 43 % des investis- seurs jugent la France moins adaptée aux exigences de la mondialisation que ses concurrents. La liste des reproches qu’ils formulent contre l’Hexagone est longue : le coût élevé du travail, un droit du travail contraignant, une recherche et une innovation insuffisantes, l’absence de coopération entre les grands groupes et les PME. Selon le président de la filiale française d’une grande entreprise chinoise, « les Chinois estiment que les Français ont trop souvent une vision du monde obsolète ». Bref, il existe plus d’une faille dans la cuirasse du modèle français. LES FAIBLESSES DU MODÈLE FRANÇAIS La première faiblesse s’énonce simplement : nous ne travaillons pas assez. La France cumule un grand nombre de jours de congés payés (36), de jours fériés (11), des études longues, un âge moyen de départ effectif à la retraite peu élevé, le plus bas par rapport aux principaux pays européens (59,3 ans en France en 2008 contre 61,7 pour l’Allemagne, 62,6 pour l’Espagne, 63,1 pour le Royaume-Uni, 63,2 ans pour les Pays-Bas et 63,8 pour la Suède), et une des plus faibles durées hebdomadaires du travail (35 heures !) du monde. A cette critique portant sur la faible quantité de travail effectuée par les Français, on répond habituellement qu’ils sont parmi les tout premiers en termes de productivité de travail par heure. Mais cette statistique est trom- peuse : elle ne révèle que la performance des Français qui travaillent quand ils travaillent. Si un salarié français produit 5 % de plus par heure travaillée qu’un Américain, il produira 13 % de moins par an et 36 % de moins dans toute sa vie active. On ne peut pas compenser le fait que nous travaillons peu avec une meilleure productivité. A l’heure où la quantité de travail fourni par un pays est une des princi- pales variables qui déterminent ses performances économiques, sa capacité à financer la justice sociale, à investir dans la recherche et l’enseignement, cette faiblesse n’est pas négligeable. D’autre part, la société française est affaiblie par un sentiment de défiance : les citoyens se méfient des hommes politiques, les syndicalistes se méfient S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens des patrons, les salariés se méfient des syndicats et des patrons, les lec- teurs se méfient des medias… Cette méfiance fausse la vision de la réalité et complique les relations dans l’entreprise, dans la vie politique, dans la société. Une société de défiance alimente le conservatisme et la frilosité face au changement. La troisième faiblesse est le blocage de la société française, peu flexible, offrant moins d’opportunités. L’ascenseur social fonctionne aujourd’hui moins qu’hier. Il est, en 2011, plus rare qu’en 1970 qu’un fils d’ouvrier devienne cadre supérieur. Dans un contexte économique tendu, on constate un repli sur soi des classes sociales et une plus grande difficulté pour ceux qui sont au bas de l’échelle à gravir les échelons. Quatrième faiblesse, la France est corsetée, enserrée dans de nombreux carcans. Au carcan institutionnel avec la multiplicité des lieux de décision et la complexité du mille-feuilles administratif, s’ajoute un carcan législatif et réglementaire. Aujourd’hui, le Journal officiel compte plus de 23 000 pages, contre seulement 15 000 dans les années 1980, du fait de la multiplication des lois : la loi-réponse à un fait divers, la loi émotion, la loi rassurante, mais de plus en plus inefficace. Les textes s’accumulent plus vite qu’ils ne peuvent être appliqués et compris. Et, en bout de chaîne, les Français, sala- riés, patrons, fonctionnaires, doivent faire au mieux. N’oublions pas le carcan économique. La France est devenue un des pays les plus chers au monde, en particulier pour la main-d’œuvre, du fait des cotisations sociales particulièrement élevées. Les charges sociales dans leur ensemble (salariales et patronales) sont plus lourdes en France que dans tous les autres pays d’Europe : près de 56% du salaire brut moyen est consa- cré aux dépenses maladies, retraites, famille ou chômage, loin devant les Pays-Bas (43%), l’Allemagne (40%), l’Espagne et l’Italie à 37 %, la Suède à moins de 30% et le Royaume-Uni à 25%. Enfin, la France est handicapée par de nombreuses ambiguïtés. Les Fran- çais ont d’abord une position ambiguë par rapport à l’Europe — ils aiment l’Europe quand elle est française, quand elle est une extension de la puis- sance de leur pays, mais ne l’aiment pas quand elle leur rappelle des règles et des principes que nous avons pourtant contribué à décider. Un rapport ambigu à l’argent, aussi : sera-t-il possible un jour de réconcilier les Français avec l’argent ? Dans notre pays, l’argent n’est pas un objectif,
Réinventer le travail ni l’étalon de toutes les réussites — cette réserve fait partie de notre culture, de nos traditions, et c’est tant mieux. Mais les Français doivent aussi com- prendre que le capital est un facteur de production aussi nécessaire au fonc- tionnement et à la modernisation de l’économie que le facteur travail. Un rapport ambigu, aussi, à la mondialisation : la même mondialisation qui permet à une entreprise française de racheter une entreprise étrangère ou d’exporter, qui a permis, par l’expansion du commerce mondial, l’essor de pays asiatiques ou latino-américains, n’est pas le grand mal qu’y voient les Français, prompts à applaudir les programmes protectionnistes. Mais la mondialisation, si elle ne signifie ni une dilution des nations ni un affaiblisse- ment des cultures, exige des politiques nationales intelligentes, volontaristes et coordonnées. Enfin, un rapport ambigu au marché, considéré comme le responsable anonyme, invisible et brutal, des difficultés de notre temps, alors que bien peu de Français seraient prêts à renoncer à l’économie de marché et à ce que chacun d’entre nous consomme quotidiennement. Les Français aiment se bercer de l’idée que l’on pourrait se passer des marchés, alors que, sur- veillés et régulés, ceux-ci ont un rôle crucial à jouer. A voir ces quelques caractéristiques de la société française, est-on porté à dessiner en noir ou en rose l’avenir de la France ? Beaucoup dépend de la capacité du pays à se remettre en question. L’histoire offre de nombreux exemples de situations où les Français ont su se remonter les manches. — Relever les 3 défis du travail : inventer, produire, exporter Une coïncidence est passée inaperçue il y a quelques mois : au moment où le groupe PSA Peugeot Citroën annonçait la suppression de 6 000 postes en Europe, l’entreprise française Unowhy ouvrait en France, à Montceau-les- Mines, un site de production pour une tablette numérique culinaire, Qooq, en expliquant qu’il est plus intéressant de produire en France qu’en Chine, où la première version de cette tablette était fabriquée. La France peut-elle espérer renouer avec une croissance soutenue alors qu’elle n’a pas dépassé 1,1% en moyenne sur les dix dernières années ? S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens Comment le pays, qu’on ne cesse de comparer à la robuste industrie alle- mande, compétitive et fortement exportatrice, et même à l’industrie ita- lienne, peut-il redorer son blason ? Au moment où la mondialisation des échanges réels et financiers rend les économies nationales de plus en plus vulnérables à la concurrence étrangère, comment redonner à l’Hexagone une puissance industrielle et dynamiser sa compétitivité ? La relance de la production industrielle a figuré en tête du programme de tous les candidats à la présidence de la République au printemps dernier. C’est heureux, tant le fait de disposer d’une industrie forte est vital : cela permet d’exporter des produits à forte valeur ajoutée et de réduire le chômage et la dette publique. Cela nécessite au préalable que la France fasse son deuil d’une idée encore ancrée dans de nombreux esprits : l’idée selon laquelle le partage du travail dans le monde devait conduire à installer les usines dans les pays en déve- loppement et à réserver aux pays riches les activités très technologiques ou les services. Pour relancer la production de la France, de multiples plans et programmes se sont succédé depuis au moins trente ans, s’attaquant aux symptômes sans comprendre et soigner les causes profondes. Le vrai problème n’est-il pas que nous avons en France un écosystème peu favorable au développement industriel ? UN ENVIRONNEMENT PEU FAVORABLE AU DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL Dans notre pays, l’image de l’industrie n’est pas bonne, l’école et l’université donnent encore une piètre image du monde industriel, l’industrie a du mal à attirer les jeunes de talent. De plus, les industriels dénoncent un environne- ment complexe, un carcan législatif et réglementaire, une fiscalité lourde et instable qui peut décourager nombre de bonnes volontés. Mal préparé aux défis de la mondialisation, le pays est marqué par une forte crispation contre le changement : les Français considèrent une fermeture d’usine comme un drame national, mais sont contents que plus personne ne travaille dans les mines de charbon. Ils croient encore qu’un ministre peut, durablement, empêcher l’inéluctable et le lui demandent, pour être déçus
Réinventer le travail quelques temps plus tard. Les pouvoirs publics découragent souvent l’entre- preneur ; ils ne sont pas avares de leçons données à tel ou tel chef d’entre- prise, mais oublient d’être efficaces dans la gestion des dépenses publiques. La France est restée nostalgique du modèle des Trente Glorieuses. Celles- ci correspondaient bien à notre culture, avec des grands programmes, des champions avec des clients captifs et une forte intervention de l’Etat. On en voit bien les limites aujourd’hui : cette approche a conduit à négliger tout ce qui fait la compétitivité d’un pays, l’éducation, la recherche, le consensus dans les entreprises, le développement de PME performantes dont le rôle ne se limite pas à la sous-traitance pour amortir les chocs économiques. Pendant longtemps, des systèmes d’aides massifs, financés par l’endette- ment, permettaient de compenser les erreurs économiques, comme le coût trop élevé du travail peu qualifié ajouté aux 35 heures, ou les systèmes de préretraite ruineux. L’arrivée des pays émergents a servi de révélateur à nos faiblesses, mais celles-ci sont aussi manifestes au sein de l’Europe. Notre compétitivité s’est gravement érodée depuis dix ans et aucune dévaluation ne pourra remettre les compteurs à zéro. METTRE L’ACCENT SUR LA COMPÉTITIVITÉ PRIX OU SUR LA COMPÉTITIVITÉ HORS PRIX ? La guerre économique fait rage entre les pays anciennement développés, mais aussi de manière de plus en plus âpre entre ces derniers et les éco- nomies émergentes dont la croissance est fondée sur des exportations. La compétitivité est donc devenue le Graal de tous les responsables politiques. Mais comment l’atteindre ? Deux stratégies dominantes sont possibles pour relancer les exportations françaises. Faire le choix de la compétitivité prix, c’est rechercher et main- tenir les avantages concurrentiels de nos entreprises par la réduction des coûts, notamment salariaux. D’autre part, améliorer la compétitivité hors prix nécessite de développer une capacité d’innovation différenciatrice, dans l’objectif de créer et de renouveler une position de monopole et de leadership sur des créneaux à fort potentiel de développement. Pour un pays anciennement développé comme la France, la stratégie de la compétitivité prix n’est-elle pas contre-performante compte tenu des avan- S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens tages comparatifs des pays en développement et de la globalisation des marchés financiers ? Coûteuse sur le plan budgétaire et social, ne revient- elle pas à gaspiller des ressources qui devraient être prioritairement consa- crées à la valorisation de notre potentiel scientifique, technologique et cogni- tif ? Lutter contre les pays « low-cost » sur le front des coûts et des prix est-il tenable compte tenu des réserves de main-d’œuvre à bas coût des pays peu développés ? Aujourd’hui, tous les experts internationaux s’accordent à dire que les véri- tables avantages concurrentiels d’un pays développé procèdent moins des différentiels de coûts sur des produits de masse que de l’innovation qui crée la différence. Ainsi, la compétitivité actuelle de l’Allemagne ne tient pas tant à la « déflation compétitive » qu’elle s’est imposée depuis quelques années, qu’à tous les atouts qu’elle s’est forgés depuis un demi-siècle : un socle régu- lièrement enrichi de savoirs scientifiques et technologiques, de culture, de formation industrielle et de cohésion sociale permettant un positionnement durable sur les produits haut de gamme, des réformes de compétitivité, un tissu de PME et d’entreprises familiales, qui ont garanti une croissance exponentielle de ses exportations malgré un parti-pris de monnaie forte. Malgré la crise, elle recueille aujourd’hui les fruits de cette stratégie en devenant, notamment, fournisseur monopolistique de biens d’équipement très innovants nécessaires au développement chinois. QUELS LEVIERS UTILISER ? Parmi les pistes évoquées depuis quelques années, figurent en tête l’allège- ment des charges sociales qui pèsent sur le travail et l’allongement de la durée du travail, mais aussi la création d’un écosystème favorable à une industrie forte et la mise en place d’une vraie flexicurité. Sans oublier qu’un plan crédible de gestion rigoureuse des dépenses publiques constitue un élément essentiel d’une ambition industrielle pour la France. La création d’un contexte plus favorable à l’innovation constitue une autre clé du rebond industriel du pays. Il est temps de traiter deux symptômes alarmants qui traduisent, malgré des progrès récents, un manque de confiance entre le monde universitaire et celui de l’entreprise : la France est en retard dans les dépenses privées de recherche, en particulier dans les budgets privés confiés aux laboratoires publics, et le taux de chômage des docteurs est supérieur à celui des bac+5.
Réinventer le travail Donner un coup de pouce à l’innovation ne se décrète pas, mais l’État peut agir, en rapprochant encore plus fortement l’éducation, les centres de recherche publics et l’entreprise. Tout l’enjeu des années à venir est d’encou- rager, d’inciter ces deux mondes à travailler davantage ensemble. La France doit également développer une armée de grosses PME capables de produire des biens sophistiqués à forte valeur ajoutée. Le modèle fran- çais de développement industriel, fondé sur un nombre restreint de grandes entreprises, les champions nationaux, soutenus par l’Etat, ne suffit plus. Du reste, ce sont ces grandes entreprises qui sont contraintes de délocaliser, de PSA, Renault à Sanofi ou Alcatel. Telle est la clef du succès de l’Alle- magne : un vivier de grandes PME industrielles, qui fournissent, en priorité à l’Union européenne, des machines, des équipements de transport, des pro- duits chimiques, des métaux, de la mécanique fine… Dans ces domaines, la France n’a pas ou pas assez d’entreprises assez fortes pour investir et vendre à l’étranger. MISER SUR LA RECHERCHE ET L’INNOVATION Enfin et surtout, la France, qui ne consacre que 2 % de son PIB à la recherche-développement et où les rapports entre l’industrie et le milieu scientifique sont manifestement insuffisants, doit mener une politique ambi- tieuse en matière de recherche et d’innovation. C’est une évidence, l’indus- trie de demain est une affaire de savoirs et de nouvelles technologies. Quels leviers utiliser ? Soutenir les entreprises naissantes et à fort poten- tiel de croissance fondées sur la recherche de pointe et le capital humain à haute valeur ajoutée, amplifier les aides aux jeunes entreprises innovantes… L’université doit être sollicitée ; elle a aussi un rôle à jouer dans la formation des futurs salariés de l’industrie. L’industrie de demain emploiera certaine- ment plus de diplômés de niveau « bac pro » ou BTS que de CAP. La com- pétitivité passe par des emplois d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers qualifiés. Permettre la hausse des qualifications, facteur de compétitivité, nécessitera d’accentuer l’effort pour que moins de jeunes sortent de l’école sans diplôme, mais aussi pour rendre plus attractifs les diplômes d’ingé- nieurs et de techniciens. S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens Une industrie compétitive et forte doit non seulement s’appuyer sur la recherche et employer un personnel qualifié, mais aussi s’intéresser à toutes les nouvelles technologies : le numérique, les nanotechnologies, bien sûr, mais aussi ce qui concerne l’environnement (traitement des déchets, trans- ports, énergies renouvelables...), autant de domaines dans lesquels vont se créer de nouveaux emplois. *** La France peut-elle regagner les parts de marché perdues ? Elle dispose de réels atouts dans des secteurs industriels comme l’aéronautique, le luxe et les biotechnologies. Son redressement implique qu’elle soit capable de jouer la carte de l’ouverture et de la flexibilité, de ne pas se laisser aller aux ten- tations du repli, d’accueillir les talents, de promouvoir la culture de l’innova- tion et de l’entrepreneuriat. Ne nous trompons pas de combat : le défi ne consiste pas à prendre des parts de marché aux pays low-cost sur les produits bas de gamme ou standard, mais à conquérir des positions de leadership sur des « niches » où la France puisse tirer profit de ses atouts spécifiques.
Réinventer le travail LA GRANDE PERSPECTIVE — Travailler moderne Les formes d’organisation du travail, de gestion et de mobilisation des sala- riés, influencent de façon décisive le rapport que chacun a de nous a avec le travail, la manière dont nous vivons le travail. Elles conditionnent les formes d’adaptation au travail, la possibilité de le domestiquer, de se l’approprier, et de résister à ses effets les plus pénibles. LE TRAVAIL APRÈS LE POST-TAYLORISME A partir de la fin des années 1980, des modes d’organisation du travail qui tournaient ouvertement le dos au taylorisme se sont développées dans les grands groupes industriels. Finie, la parcellisation des tâches qui tend à isoler chaque salarié et à l’enfermer dans son poste de travail. Or, loin d’être un habillage de surface, ce mouvement de fond s’étendit rapidement à l’en- semble du monde du travail. Cette évolution, qui pouvait être interprétée comme une sortie du taylorisme révèle une nouvelle donnée du fonctionnement des entreprises. Elles sont devenues beaucoup plus mouvantes et plus instables, bien loin d’un modèle unique, porteur d’une illusion rationnelle trop univoque : la fameuse « one best way » de Taylor, qui se voulait « scientifique ». Le mode de travail moderne est une compétence qui s’apprend : au-delà du recours systématisé et permanent aux outils électroniques, il s’agit d’une transformation de la façon de travailler. La hiérarchie est moins présente, les organisations sont plus flottantes, le travail est devenu moins collectif, c’est une expérience individuelle. D’un enjeu parfois politique, syndical ou social, il s’est transformé en aventure personnelle. Le mode de mobilisation de la main-d’œuvre repose sur de nouveaux déter- minants : il ne s’agit plus d’une logique de fidélisation et stabilisation, qui, alliée à une recherche d’économies d’échelle, conduisait les grandes entre- prises à installer dans la durée de grandes masses d’ouvriers. Les salariés embauchaient aux mêmes heures, prenaient leur pause ensemble, déjeu- S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens naient et sortaient ensemble ; ils travaillaient au sein de collectifs stables, car la polyvalence n’était pas de mise ; leur progression se faisait à l’ancien- neté et les augmentations de salaires, qui étaient d’ailleurs équivalents pour le même type de poste, étaient collectives. Désormais, le travail est perçu de manière individuelle. La gestion des salariés, l’organisation de leur travail et sont individualisées, ainsi que la détermination des salaires — par des entretiens individuels avec le supérieur immédiat —, mais aussi, de manière plus innovante et portant des implica- tions plus lourdes, les formations, les parcours professionnels, les horaires. Et même les lieux de travail sont individualisés, avec le développement du télétravail. Se développe également l’idée d’une convergence d’intérêts entre salariés et employeurs, tandis qu’émergent deux nouveaux protagonistes dans le fonc- tionnement de l’entreprise : le client et l’actionnaire. Le client et l’action- naire, éléments extérieurs, pareillement exigeants (l’actionnaire étant lui aussi très exigeant avec la financiarisation du capitalisme) font peser des contraintes sur la direction au même titre que sur les salariés, qui doivent tous œuvrer ensemble pour assurer la survie de l’entreprise. L’entreprise moderne requiert de chacun non seulement un engagement à fond, une disponibilité totale, mais elle exige aussi l’excellence en perma- nence. Les pratiques managériales, assorties de codes déontologiques, de chartes éthiques, de règles de vie, visent à imposer l’idée que chaque salarié doit être en mesure de résoudre seul les multiples difficultés et contradic- tions inhérentes au travail moderne. C’est aux travailleurs qu’il revient de résoudre les difficultés à concilier les impératifs de qualité, réactivité, avec ceux de productivité. Autonomes et responsabilisés, c’est ainsi qu’ils attestent de leurs compétences et de leur employabilité. LE TRAVAIL DANS L’ENTREPRISE 2.0 Avec la systématisation de l’usage des NTIC, les entreprises 2.0 sont connec- tées en permanence, à tel point que certaines ne survivraient pas sans le Web. Les « travailleurs 2.0 » sont des adeptes des déplacements fréquents et de l’emploi de terminaux divers, ils ont pour compagnons de voyages des applications informatiques, utilisables en tout lieu. Toujours disponible, tou-
Réinventer le travail jours en ligne : la dépendance du monde économique vis-à-vis d’Internet est grande et croît de jour en jour. Le travail moderne se caractérise par un plus haut niveau d’exigence, exprimé par la mise en place d’objectifs, d’évaluation individualisés, mais aussi par un nouveau rapport au temps, induit par la nouvelle organisation et par l’usage des NTIC. Les salariés doivent répondre « aussi vite que pos- sible » (« asap », as soon as possible) à une demande extérieure, travailler toujours plus vite, répondre « en temps réel ». Cette nouvelle organisation du travail correspond à l’arrivée dans les entre- prises de la génération Y, qui conçoivent la hiérarchie, les relations de travail dans l’entreprise et les objectifs, d’une manière différente de celle de leurs aînés. Pour les membres de la génération Y, l’autorité n’est pas toujours synonyme de compétence ; ils sont autant à l’aise pour communiquer à l’aide des technologies que de manière directe ; ils ne placent pas le travail au premier plan, recherchent une meilleure qualité de vie, en conciliant travail et intérêt personnel, ils pensent à court terme et sont très mobiles. Cette net- génération traite le travail avec le plus grand sérieux, mais ne souhaite pas pour autant renoncer à son mode de fonctionnement, à la fois individualiste et tribal. Progression rapide, horaires plus flexibles, formation continue, liberté et autonomie… Voilà quelques-unes des exigences de cette génération, et les entreprises n’auront d’autre choix que d’en tenir compte. UNE NOUVELLE FAÇON DE TRAVAILLER Le travail moderne subit l’effet de deux mouvements contradictoires. D’un côté, le recul important des accidents physiques graves et de la pénibilité purement mécanique, d’autant que la désindustrialisation dans les pays occi- dentaux, sous les effets conjugués des gains de productivité et de la division internationale du travail, a laissé la place à des activités globalement moins dangereuses. Mais d’un autre côté, la restructuration quasi-permanente des activités industrielles et la montée en puissance d’une économie de service mondialisée et hyperconcurrentielle, pilotée par les multiples exigences du client, entraînent l’émergence d’un nouveau paradigme, celui de la réor- ganisation permanente, de la réactivité et de la flexibilité, en même temps qu’elles renouvellent les modes de management. Ces évolutions se traduisent concrètement sur la manière de travailler : l’individualisation des tâches et S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens de l’évaluation, la polyvalence, le « juste-à-temps », le temps partiel, la mobi- lité géographique, l’externalisation qui peuvent entraîner un affaiblissement global des collectifs de travail et une désorientation des salariés. C’est là que résident la spécificité du travail au début du XXIe siècle et l’explication de l’émergence du thème du mal-être au travail au cours des deux dernières décennies. Ce nouveau paradigme vient en effet non seulement modifier le contenu du travail et le rythme des activités mais aussi remettre en cause les modes traditionnels de reconnaissance, le fonctionnement habituel des équipes et la conception classique du management. Dans le même temps, les salariés expriment de nouvelles attentes : ils aspirent de plus en plus à s’épanouir dans leur travail et à y trouver des motifs de satisfaction personnelle. Dans notre pays, en particulier, l’investis- sement affectif dans le travail atteint des niveaux très élevés. LES IMPLICATIONS DU TRAVAIL MODERNE De nouvelles formes de travail émergent : télétravail, coworking, etc. Le télétravail, terme à la fois dépassé pour certains, d’actualité pour d’autres, est présenté à la fois comme un concept d’aménagement du territoire et un sésame de l’emploi de demain. Cette nouvelle forme d’organisation du travail, rendue possible par le développement des NTIC, est au confluent d’une demande sociétale sur les nouveaux temps sociaux — comment conci- lier une vie professionnelle que chacun souhaite riche avec la volonté de pré- server des espaces de vie personnelle pour sa famille ou ses passions ? — et des demandes sociales sur le rapport à l’espace — comment s’abstraire des migrations quotidiennes imposées par les grands centres urbains et réaliser ce rêve de la ville à la campagne, qui structure des démarches multiples de réimplantation dans des zones autrefois délaissées, faute de travail sur place ? Il se situe à la rencontre de bien des intérêts. Son développement suppose l’équipement des acteurs économiques, le développement des infras- tructures et des ressources logicielles adaptées. Les montants potentiels de chiffre d’affaires pour les entreprises sont considérables. Ce constat rend-il cependant le télétravail nécessairement utile au développement de l’écono- mie française ? L’objectif d’équilibre entre la vie privée et la vie profession- nelle oblige l’entreprise à une gestion one to one de ses salariés, et donc de revoir en amont toute son organisation. Le travail à distance et le télétravail en mode hexagonal ou international nécessitent, au-delà des outils, de mettre
Réinventer le travail en place de nouvelles modalités de communication et de management des télétravailleurs pour susciter l’engagement. In fine, les rencontres physiques restent le meilleur moyen pour maintenir et enrichir le lien. Les techniques désormais classiques, qu’il s’agisse de bureautique, de mes- sagerie ou d’ERP (progiciel de gestion intégré), encadrent de façon for- melle le travail, en l’attachant à son ordinateur plutôt qu’en libérant l’ini- tiative individuelle. La mobilité permise par la technique ne donne pas la liberté promise. La révolution de l’entreprise 2.0 n’est pas achevée tant que persistent les formes traditionnelles de management : réunion de service, communication hiérarchisée… L’implication la plus évidente des nouvelles manières de travailler est que le temps contraint déborde facilement sur la sphère de la vie privée, les nouvelles générations de travailleurs pratiquent entre le travail et le reste de la vie une continuité multitâche comme ils jonglent entre leurs outils numériques. Un débat sur ce sujet serait le bienvenu pour mieux appréhender collective- ment cette transformation du travail, mais ce sujet ne fait pas débat dans les entreprises — peut-être parce que personne ne semble avoir envie d’en prendre l’initiative, ou ne se juge bien placé pour le faire. Les DSI se sentent peu légitimes pour traiter de questions qui ont par ailleurs des implications sociales, tandis que les DRH sont, de leur côté, peu à l’aise sur un sujet dont le contenu technologique est vaste, enfin les directions générales ne semblent pas vouloir s’en inquiéter non plus, soit qu’elles ramènent ces questions à des questions techniques, soit qu’elles considèrent que ces mouvements dépassent les frontières et surtout les marges de manœuvre de l’entreprise. *** Un mouvement est donc massivement enclenché dans les entreprises. C’est la manière de travailler, la vie des gens au travail qui est bouleversée, ainsi que les comportements individuels et collectifs, la manière de se représenter son utilité, sa place dans la société mais également la charge psychique à assumer (stress accru), et même le rapport à la transparence, au contrôle, voire à la surveillance. S AMEDI 1er DÉCEMBRE
les Entretiens Les enjeux du travail 2.0 sont importants : peut-il faire oublier le désenchan- tement actuel vis-à-vis du travail ? Peut-il contribuer à faire une place aux nouvelles générations, Y et Z, dans l’entreprise ? Entreprise 2.0, télétravail, travail collaboratif, tous ces mots-ci peuvent faire rêver les entreprises : ils représentent l’image de la modernité, mais elles doivent veiller aux effets induits pour les salariés, notamment en termes d’isolement. Au-delà des nouvelles formes de travail, il reste une constante : les outils restent des leviers, des facilitateurs, des moyens de faciliter la cohésion de groupe et non pas d’isoler le talent. Si l’on souhaite dévelop- per l’excellence en entreprise, chaque salarié doit être considéré comme un talent à développer et à retenir.
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les Entretiens INTRODUCTION Construire des champions industriels européens Marwan LAHOUD président EADS France Né en 1966, Marwan LAHOUD est Président d’EADS France et Directeur Général délégué à la Stratégie et à l’International du Groupe EADS. Il a débuté sa carrière à la Délégation générale pour l’armement. Fin 1995, il est conseiller pour les affaires industrielles, la recherche et l’armement au cabinet de Charles Millon, ministre de la Défense. Marwan Lahoud rejoint Aéros- patiale en 1998 comme directeur du développement. À la création d’EADS en juillet 2000, il est nommé Senior Vice-Président Mergers and Acquisitions, et, à ce titre, est chargé des opérations de fusions et acquisitions d’EADS, comme la création de la société Airbus, de MBDA, d’Astrium et d’EDSN. Le 1er janvier 2003, il devient CEO de la filiale nouvellement créée MBDA Missile Systems, En juin 2007, il est nommé Chief Strategy and Marketing Officer d’EADS. Regard sur le coût du travail Sébastien PROTO Né le 25 novembre 1977. Janvier 2012 à mai 2012 : conseiller de campagne de Nicolas Sarkozy. Mi-2011 à janvier 2012: directeur de cabinet auprès de Valérie Pécresse, ministre du Budget. 2011 : gérant chez Rothschild & Cie. 2010 : directeur de cabinet du ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique. Principale- ment en charge de la réforme des retraites. 2009-2010 : directeur de cabinet du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l‘Etat. Ses domaines de responsabilité : politique budgétaire, sécurité sociale, réduction des dépenses publiques, diminution de l’emploi public, ouverture du marché des jeux à la concurrence. 2007-2009 : directeur adjoint du cabinet du ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l‘Etat.
Réinventer le travail OUVERTURE DES ENTRETIENS Vincent MONTAGNE secrétaire général des Entretiens de Royaumont Vincent MONTAGNE, éditeur, est depuis 1991, président directeur général du groupe Média-Participations, groupe d’édition et de presse (notamment Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Rustica, Edifa, Fleurus et Mango) et producteur d’audiovisuel (Ellipsanime, Citel). Il est également président du Syndicat National de l’Edition et du Cercle de la librairie, auditeur de la 53ème session nationale de l’IHEDN et secrétaire général des Entre- tiens de Royaumont. DISCOURS D’OUVERTURE Michel SAPIN ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social Né en 1952, Michel SAPIN est député de l’Indre. Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, il est membre du Parti socialiste. Il a occupé plusieurs positions minis- térielles : ministre délégué auprès du ministre de la Justice, ministre de l’Économie et des Finances et ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État. Il a aussi été président du Conseil régional du Centre de 1998 à 2000 puis de 2004 à 2007. Il est également maire d’Argenton-sur-Creuse. De son passage au sein du ministère de l’économie et des finances, il laisse une loi dite « loi Sapin », promulguée en janvier 1993, luttant contre la corruption : les plafonds de dépense sont diminués, les moyens d’enquête sur les malver- sations renforcés, la transparence des comptes des partis accentuée. Depuis mai 2012, il est ministre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. S AMEDI 1er DÉCEMBRE
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