LES FORCES D'OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L'OTAN DANS L'ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ CONTEMPORAIN
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DSC 064 DSCFC 18 F Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ LES FORCES D’OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L’OTAN DANS L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ CONTEMPORAIN PROJET DE RAPPORT* Madeleine MOON (Royaume-Uni) Rapporteure Sous-commission sur l’avenir de la sécurité et des capacités de défense www.nato-pa.int 4 avril 2018 * Aussi longtemps que ce document n’a pas été adopté par la commission de la défense et de la sécurité, il ne représente que le point de vue de la rapporteure.
064 DSCFC 18 F TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION ................................................................................................................... 1 II. L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ ACTUEL – OPPORTUNITÉS ET DÉFIS POUR LES SOF ....................................................................................................................................... 1 LA ZONE GRISE ................................................................................................................... 2 III. LES SOF DANS L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ INTERNATIONAL CONTEMPORAIN .............................................................................................................................................. 3 A. BREF HISTORIQUE DES SOF DE LEUR CRÉATION À NOS JOURS ........................ 3 B. QUE FONT LES SOF CONCRÈTEMENT ? ................................................................. 5 C. PRINCIPALES TÂCHES DES SOF .............................................................................. 5 D. ÉVOLUTION DU RÔLE DES SOF AU SEIN DE L’OTAN ............................................. 6 E. LE NSHQ AUJOURD’HUI ............................................................................................. 6 F. LES SOF DE L’OTAN ET L’ADAPTATION D’APRÈS 2014 .......................................... 7 G. VERS UNE RÉGIONALISATION DES SOF DE L’OTAN ? ........................................... 8 IV. SOF ALLIÉES ET LUTTE CONTRE LE TERRORISME ........................................................ 8 LES PROBLÈMES LIÉS À LA STRATÉGIE À LONG TERME DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET AU RECOURS AUX SOF – L’EXEMPLE DE DAECH ET DES TALIBANS .............................................................................................................................................. 8 V. L’UTILISATION DES SOF PAR LA RUSSIE .......................................................................... 9 L’ANNEXION DE LA CRIMÉE PAR LA RUSSIE ET SON INGÉRENCE CONTINUE EN UKRAINE ............................................................................................................................... 9 VI. LES SOF ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DANS LA ZONE GRISE ........................ 10 A. APERÇU DU CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES SOF TEL QUE MENÉ PAR CERTAINS ALLIÉS .................................................................................................... 11 1. ROYAUME-UNI ................................................................................................. 11 2. ÉTAS-UNIS ....................................................................................................... 11 3. FRANCE............................................................................................................ 12 4. LES DÉFIS POSÉS PAR LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES SOF DANS D’AUTRES PAYS MEMBRES ........................................................................... 12 VII. CONCLUSIONS PROVISOIRES : QUELLES VOIES À SUIVRE POUR LES PARLEMENTAIRES DES PAYS DE L’OTAN ? ................................................................... 13 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 15
064 DSCFC 18 F I. INTRODUCTION 1. Les forces d’opérations spéciales (SOF) de l’OTAN exécutent des missions essentielles, allant de l’action directe à la connaissance de la situation ou encore aux missions d’entraînement dans l’environnement de sécurité international complexe actuel. Par exemple, une coalition de forces spéciales internationales apporte son soutien aux forces locales dans la lutte contre Daech, et d’autres groupes d’opérations spéciales (SOTG) ont été intégrés, dans toute la région du Moyen- Orient et de l’Afrique, à l’appui des forces afin de permettre à celles-ci de donner la priorité aux tactiques, techniques et procédures (TTP) ainsi qu’aux opérations militaires de petites unités. Au- delà de la lutte contre l’extrémisme violent, les SOF de l’OTAN s’emploient aussi à aider les pays membres à garder une longueur d’avance sur les menaces croissantes émanant de pays concurrents de niveau quasi égal. 2. Alors que les guerres, autant impopulaires que largement infructueuses, perdent de l’ampleur au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est, la volonté de disposer d’opérateurs spéciaux va aller croissant. Les forces d’opérations spéciales sont niables par nature, ce qui permet aux dirigeants politiques d’éviter la réprobation que le déploiement de forces conventionnelles suscite auprès de l’opinion publique. En plus de laisser une faible empreinte, les forces spéciales offrent de nombreux autres avantages pour ce qui est d’atteindre des objectifs politiques à moindre coût. 3. Le défi que pose l’environnement de sécurité international actuel et futur se joue dans la zone grise de compétition entre l’OTAN et ses principaux rivaux. Les eaux troubles qui bordent le seuil de la guerre ne constituent pas un terrain sur lequel l’OTAN peut véritablement mettre à profit ses points forts. Tandis que la Russie utilise ses instruments militaires à l’appui de ses éléments de puissance nationale, les pays membres de l’Alliance utilisent tous trop souvent leurs instruments militaires pour défendre leurs instruments de puissance nationaux. L’existence de forces spéciales de l’Alliance solides, aptes au combat et interopérables sera essentielle à une uniformisation des règles du jeu. 4. Le quartier général des opérations spéciales de l’OTAN (NSHQ) s’emploie à former, à donner des avis et à soutenir les SOF des pays membres et des pays partenaires de l’Alliance pour parvenir à cette fin. Comme le montre le présent projet de rapport, il serait possible d’en faire encore bien plus pour financer les efforts de cette entité. 5. Ce projet de rapport fait le point sur le rôle nouveau et dynamique que les forces spéciales jouent aujourd’hui dans les domaines des opérations, de l’entraînement et de la planification. Son but ultime est de mieux faire comprendre aux législateurs des pays membres de l’OTAN ce qu’une utilisation accrue des SOF signifie en termes de coûts et d’avantages dans un environnement de sécurité exigeant. Ce qui ressort clairement du présent projet de rapport : les parlementaires doivent réfléchir sérieusement au rôle et à l’utilisation des SOF, comprendre que les défis qui se posent nécessitent une coopération interagences appropriée pour pouvoir faire face aux problèmes cruciaux que sont notamment le financement, le contrôle et la supervision opérationnelle. II. L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ ACTUEL – OPPORTUNITÉS ET DÉFIS POUR LES SOF 6. Les efforts déployés par l’OTAN pour s’adapter à la situation d’après 2014 peuvent être regroupés autour de deux défis majeurs : la Russie et l’extrémisme violent d’inspiration djihadiste. Mais le fait d’appréhender ces défis en tant que pôles distincts cherchant à saper la paix et la sécurité des populations et des territoires des pays membres de l’Alliance, masque la complexité des menaces qu’ils posent. 7. La Russie est un pays révisionniste hostile aux accords politiques, économiques et de sécurité dictés par la communauté euro-atlantique en Europe. Enhardie par ses récents progrès au niveau de ses capacités militaires conventionnelles, la Russie se montre de plus en plus agressive dans 1
064 DSCFC 18 F ses acrobaties avec les pays occidentaux sur les plans politique, économique et de la sécurité. Mais la Russie est loin de représenter une menace strictement conventionnelle, pouvant être contrée grâce au calcul du juste dosage entre systèmes de défense conventionnel, nucléaire, aérien et antimissile. En réalité, la Russie pose aussi toute une série de défis asymétriques, dont certains s’apparentent plus souvent aux actions de groupes armés non étatiques et de réseaux criminels qu’à celles d’États-nations modernes. 8. Aujourd’hui, l’extrémisme violent d’inspiration islamiste représente un problème de sécurité majeur pour tous les pays membres de l’Alliance. Le nombre de ressortissants européens et nord-américains commettant des actes violents au nom d’idéologies extrémistes d’inspiration djihadiste augmente. Cela teste les limites de nos forces de police et plonge la société civile dans une profonde tourmente (Vidino, et al., 2017). Selon les estimations du renseignement, le nombre d’Européens à s’être empressés de rejoindre Daech, après son ascension rapide en 2014, serait de 5 000 ; on s’attend à ce qu’environ 1 500 d’entre eux essaient de rentrer chez eux (Renard et Coolsaet, 2018). 9. Se sentant menacés par les campagnes militaires actives menées contre eux en Syrie, en Iraq, en Libye et en Afghanistan, les chefs de Daech encouragent leurs sympathisants à frapper partout où ils peuvent et avec tous les moyens dont ils disposent. En conséquence, les agressions à l’arme blanche menées de manière aléatoire et les attaques au véhicule-bélier ont représenté le plus grand nombre d’attentats réussis ces dernières années. Une étude a permis de recenser 51 attentats commis par des loups solitaires en trois ans, de juin 2014 à juin 2017 (Vidino, et. al., 2017). 10. Dans de nombreux conflits à travers le monde, de l’Afghanistan à l’Afrique de l’Ouest en passant par le Moyen-Orient, des groupes armés d’inspiration djihadiste sèment la terreur dans les États faibles et provoquent le déplacement massif de populations locales qui, pour un grand nombre d’entre elles, poursuivent leur fuite jusqu’en Europe, venant rejoindre les rangs de réfugiés toujours plus nombreux et grossir les flux de migrants. De nos jours, les groupes terroristes internationaux d’inspiration djihadiste, comme Daech, ont également recours à des méthodes et à des stratégies davantage apparentées à celles d’acteurs étatiques : occupation de territoire, taxation des civils, mise en place de forces de combat de type conventionnel plus structurées, etc. Ainsi, ces groupes ont un impact d’autant plus profond sur le terrain dans les sociétés déchirées par la guerre et qui s’efforcent de trouver un moyen de favoriser la réconciliation politique et sociale. Les groupes djihadistes transnationaux, les groupes armés locaux non étatiques, et les loups solitaires utilisent tous la même stratégie, profitant d’une position de relative faiblesse pour venir y jouer les perturbateurs et semer la peur et le doute quant à la capacité de l’ordre politique en place de maintenir la paix et la sécurité. 11. Cette gamme complexe de menaces force les dirigeants politiques et les conseillers politiques à élargir leur compréhension de la sécurité d’une façon nouvelle – tandis qu’ils s’efforcent de trouver les instruments de puissance nationale adéquats (sur les plans diplomatique, de l’information, militaire, économique, financier, du renseignement, et de l’application des lois (DIME-FIL)) pour répondre aux objectifs à court et à long termes visant à maintenir la paix et la sécurité des populations dont la responsabilité leur incombe en dernier ressort. La zone grise 12. Élargir notre compréhension de la sécurité est rendu d’autant plus difficile que les principales menaces qui se posent à l’OTAN aujourd’hui se situent à l’intérieur de ce que les universitaires, et de plus en plus aussi les responsables politiques, appellent la zone grise. La zone grise désigne la zone où des acteurs étatiques et non étatiques « ont recours aux menaces, à la coercition, à la cooptation, à l’espionnage, au sabotage, à la pression politique et économique, à la propagande, aux outils électroniques, à des techniques clandestines, au démenti, à la menace de l’usage de la force, et à l’usage de la force pour faire avancer leurs projets politiques et militaires » (Roberts). Et selon Frank Hoffman : « Ce terme renvoie à des activités multidimensionnelles menées 2
064 DSCFC 18 F délibérément par un acteur étatique juste au-dessous du seuil de l’usage agressif de la force militaire » (Hoffman). La figure 1 ci-dessous indique où se situe la zone grise dans la gamme des défis de sécurité.2 Le spectre du conflit dans la guerre non conventionnelle 13. Bien qu’Hoffman fasse uniquement référence aux États, le terme peut aussi s’appliquer à des acteurs quasi étatiques comme Daech. Pourquoi un acteur étatique ou quasi étatique chercherait-il à exploiter la zone grise ? Tout État, ou autre acteur quel qu’il soit, essayant de mettre à mal un État a le choix entre deux options fondamentales s’agissant de concevoir des cadres défensifs : l’alignement (à l’instar de ce qu’ont fait les États-Unis et l’URSS durant la guerre froide) ou la compensation, c’est-à-dire investir dans des capacités en vue de réduire l’avantage du concurrent (Goldman). 14. Étant donné la supériorité conventionnelle et (pour le moment encore) technologique des pays membres de l’OTAN, et des États-Unis en particulier, leurs adversaires affûtent leurs capacités dans la zone grise et y effectuent des investissements, ce qui modifie la conception que tous les pays membres de l’OTAN ont de la défense et de la dissuasion aujourd’hui. Cela redéfinit en fait fondamentalement la conception que tous les membres de l’Alliance ont de la sécurité contemporaine. 15. La zone grise se situe entre la guerre et la paix. C’est en quelque sorte un sous-article 5, étant donné que l’invocation de l’article 5 permettrait aux Alliés de l’OTAN de mobiliser les capacités et les ressources nécessaires à écraser leurs adversaires. 16. Vu leur entraînement, leur formation et leur dynamisme opérationnel dans tout un éventail de tâches, les forces spéciales ont de plus en plus tendance à être considérées comme la solution au type de défense, de dissuasion et de connaissance situationnelle dont les Alliés ont besoin pour faire face aux menaces émanant de la zone grise. III. LES SOF DANS L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ INTERNATIONAL CONTEMPORAIN A. BREF HISTORIQUE DES SOF DE LEUR CRÉATION À NOS JOURS 17. Alors que tous les pays bénéficiant d’une solide tradition militaire pouvaient se targuer de disposer de leurs propres SOF3, la guerre moderne les a, au départ, rendues moins pertinentes. Durant la guerre froide, les forces spéciales représentaient une composante marginale de la stratégie de défense des Alliés. Dans une période où le risque de guerre totale était concret et où il était encore courant de mener des opérations à grande échelle, les petites unités spécialisées étaient ouvertement méprisées par les autres forces militaires, comme l’a succinctement résumé le 2 Graphique extrait du livre de Frank Hoffman “The Contemporary Spectrum of Conflict: Protracted, Gray Zone, Ambiguous, and Hybrid Modes of War” Heritage Foundation, 2016 Index of U.S. Military Strength. https://index.heritage.org/military/2016/essays/contemporary-spectrum-of-conflict/ 3 Dans l’ère précontemporaine, les exemples les plus connus furent certainement les ninjas japonais et les janissaires de l’Empire ottoman. 3
064 DSCFC 18 F général Eric Shinseki, ancien vétéran du Vietnam : « Aucun soldat des forces spéciales ne m’a jamais arraché du champ de bataille » (Rumsfeld, 2011). 18. Un mythe des forces spéciales s’est développé, les présentant comme une élite invisible prête à assumer les tâches les plus dangereuses. Malgré des échecs cuisants, comme la débâcle de l’opération Eagle Claw, leur image captiva l’imagination populaire. Les forces spéciales jouèrent un rôle particulièrement déterminant au Royaume-Uni durant les crises politico-militaires d’Irlande du Nord et des Malouines, et également un rôle essentiel dans les actions que les Français menèrent en Algérie et en Indochine. 19. La résurgence actuelle des SOF trouve son origine dans la réforme des SOF états-uniennes menée en 1987, qui les plaça sous le commandement unifié du commandement des opérations spéciales des États-Unis (USSOCOM). Sous l’USSOCOM, les SOF états-uniennes menèrent avec succès des missions sur différents théâtres, d’Haïti jusqu’en Iran. En particulier, certaines des nouvelles composantes de commandement, comme le commandement des opérations spéciales interarmées (JSOC) et la division science et technologie furent chargés de recenser les lacunes en matière de capacités et de proposer des innovations afin de maintenir leur avance technologique sur leurs concurrents. C’est en ex-Yougoslavie que les SOF ont pour la première fois été utilisées systématiquement après la fin de la guerre froide : elles ont d’abord apporté leur soutien aux forces de l’OTAN dans le cadre des opérations menées en Bosnie-Herzégovine et en Serbie, puis elles ont participé à l’entraînement de l’Armée de libération du Kosovo et aidé à capturer des personnes suspectées de crimes de guerre (Moran, 2016a ; NSHQ 2018). 20. L’année 2001 a marqué le début d’une ère nouvelle pour les SOF. Après le 11 septembre, l’administration George W. Bush a boosté les capacités SOF et en a fait le fer de lance de la guerre mondiale contre le terrorisme. Cette décision a eu deux conséquences : premièrement, cela a permis aux SOF états-uniennes d’acquérir de l’expérience dans les opérations de lutte contre le terrorisme et contre l’insurrection (CT/CI), qui sont ainsi devenues leur principal domaine d’activité, et les succès qu’elles ont enregistrés ont considérablement amélioré leur réputation ; deuxièmement, de nombreux Alliés ont suivi l’exemple états-unien en améliorant leurs capacités SOF. 21. Les budgets consacrés aux SOF ont augmenté de manière spectaculaire après le 11 septembre, passant de 2,3 milliards de dollars en 2001 à 10,4 milliards en 2016 (Naylor). Cela s’explique en grande partie par deux facteurs : premièrement, le recours aux SOF s’est avéré bien plus rentable que les opérations à grande échelle ; deuxièmement, l’opinion publique ne voulait plus d’autres guerres après avoir beaucoup investi en Afghanistan et en Iraq. Dès lors, les SOF furent considérées comme un compromis satisfaisant pour mener d’indispensables opérations sur les théâtres de guerre (Barno et Sharp). Aujourd’hui, les Alliés utilisent d’ailleurs encore davantage les SOF pour réaliser leurs objectifs de politique étrangère. Par exemple, durant les 200 premiers jours de la présidence de Donald Trump, l’USSOCOM a mené à bien plus de 100 opérations avec les SOF, soit cinq fois plus qu’au cours des 200 derniers jours de la présidence d’Obama (Zenko). 22. Tout comme les États-Unis, de nombreux pays européens ont commencé à mettre en œuvre leurs propres commandements interarmées des SOF. Mais, faute de ressources suffisantes, les résultats ont été mitigés. Certains pays au passé dictatorial ont dû se battre avec l’opinion publique pour pouvoir opérer des réformes dans le secteur militaire, tandis que d’autres ont vu leurs initiatives entravées par leur manque d’ampleur et de budgets (Murphy). De ce point de vue, ni le NSHQ ni l’Union européenne (UE)4 n’ont reçu les ressources et le soutien politique suffisants pour pouvoir générer les capacités SOF nécessaires pour les opérations et souhaitées par l’ensemble des Alliés. 4 En 2001, après le 11 septembre, l’UE a approuvé la création d’un réseau ATLAS. Sur la base du constat selon lequel tous les pays membres de l’UE n’ont pas la capacité d’intervenir dans toutes les situations de crise, ATLAS a été créé en tant qu’association dans le but de fournir un cadre à l’échange d’informations dans les situations nécessitant des « unités d’intervention spéciales ». Cette idée aurait, certes, pu facilement être à l’origine d’une plateforme de l’UE destinée au partage de capacités SOF, 4
064 DSCFC 18 F 23. Mais comme les récents développements laissent présager une nouvelle révision de la posture de défense des Alliés, ceux-ci devraient tenir compte de la mise au point par Moscou de nouvelles compétences SOF. Ces dernières années, l’OTAN a assisté à l’utilisation accrue et fructueuse des SOF par la Russie, l’exemple le plus marquant étant celui de l’annexion de la Crimée, menée à bien avec succès par les brigades russes spetsnaz5 (Galeotti). En d’autres termes, les capacités SOF pourraient bien représenter l’élément qui ferait toute la différence dans un scénario de guerre hybride. B. QUE FONT LES SOF CONCRÈTEMENT ? 24. Définition : dans la doctrine alliée interarmées pour les opérations spéciales de l’OTAN, les SOF sont définies comme suit : « Activités militaires menées par des forces spécialement désignées, organisées, sélectionnées, entraînées et équipées, utilisant des techniques et des modes d’action non conventionnels ». Plus de détails sont donnés dans le reste de la définition : « Ces activités pourront être menées dans toute la gamme des opérations militaires, pour aider à atteindre l’état final souhaité. Des considérations politico-militaires pourront nécessiter de recourir à des techniques clandestines ou secrètes, et d’accepter un certain niveau de risque politique ou militaire non associé à des opérations menées par des forces conventionnelles. Les opérations spéciales fournissent des résultats au niveau stratégique ou opérationnel, ou sont exécutées lorsqu’il existe un risque politique majeur. » C. PRINCIPALES TÂCHES DES SOF 25. Les principales tâches des forces spéciales sont classées en trois grandes catégories : assistance militaire (MA), reconnaissance spéciale (SR), action directe (DA) – ces types de mission sont communs aux SOF de tous les pays membres de l’OTAN. 26. L’assistance militaire consiste en des activités de formation et d’entraînement, de conseils, et de soutien aux partenaires (le plus souvent dans la zone de responsabilité du partenaire). La MA est souvent fournie par la puissance alliée jusqu’à ce que le partenaire soit en mesure d’assumer seul les activités concernées. Les activités MA peuvent toutefois déboucher sur des interactions fructueuses en apportant de nouveaux enseignements/nouvelles informations dans un domaine intéressant à la fois les tâches SR et DA. Les tâches de reconnaissance spéciale sont essentiellement des activités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) servant à renseigner des secteurs ou des types de missions extrêmement dangereuses, se déroulant dans des environnements hostiles, ou politiquement sensibles. L’action directe peut être définie comme toute action prise par les SOF alliées, depuis les opérations de frappe de précision et les exécutions ciblées jusqu’aux arrestations de criminels de guerre, etc. conformément à ce qu’exige l’exécution d’une mission. 27. Par ailleurs, les forces spéciales jouent souvent un rôle clé dans différents types d’autres tâches allant de la lutte contre l’insurrection, contre le terrorisme ou contre les risques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) aux opérations de sauvetage/libération d’otages. mais au moment de la rédaction du présent document, les pays membres n’avaient pas poursuivi leur soutien en faveur d’ATLAS. 5 Littéralement : forces à usage spécial ; c’est le terme générique russe utilisé pour SOF. 5
064 DSCFC 18 F D. ÉVOLUTION DU RÔLE DES SOF AU SEIN DE L’OTAN6 28. Les SOF de l’OTAN sont nées du constat selon lequel les capacités et les activités SOF de l’Alliance manquent cruellement de coordination. La transition de l’OTAN après la guerre froide vers des opérations expéditionnaires dans les pays voisins, a mis au jour la nécessité pour les capacités interopérables SOF de prendre en charge toute une série de tâches allant des activités ISR aux opérations de sauvetage/libération d’otages et de lutte contre l’insurrection. Cela fut le cas pour la première fois en Bosnie-Herzégovine en 1995, lorsque les forces multinationales de l’OTAN eurent l’impression que le champ de bataille bosnien était cloisonné (un trop grand nombre de canaux d’information discrets convergeant vers les autorités nationales au détriment d’autres forces de l’Alliance présentes sur le théâtre). De même, l’opération expéditionnaire CT/CI à longue distance, en Afghanistan en 2002, a montré le coût élevé et le peu d’avantages qui pouvaient résulter du manque d’interopérabilité entre les SOF des différents pays de l’OTAN. 29. La solution finale au manque d’interopérabilité entre les SOF des pays membres de l’OTAN a commencé à poindre avec la déclaration du sommet de Riga en 2006, qui a scellé l’approbation d’une série d’initiatives visant à renforcer la capacité de l’Alliance à s’adapter au nouvel environnement de sécurité. Il est spécifiquement indiqué dans la déclaration qu’il s’agit notamment : « de lancer une initiative de transformation des forces d’opérations spéciales visant à accroître leur aptitude à s’entraîner et opérer ensemble, notamment en améliorant les capacités en équipements ». Cela a pris le nom d’Initiative de transformation des SOF de l’OTAN (NSTI). 30. Les trois missions essentielles poursuivies dans le cadre de la NSTI concernaient la mise en place : 1) d’un directeur du bureau des opérations spéciales en mesure de donner des conseils directs sur les SOF au commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) ; 2) d’un centre de coordination des SOF de l’OTAN, de manière à créer un lien direct entre les SOF nationales et l’OTAN, et d’aider à la coordination de l’appariement direct entre les capacités SOF nationales et les besoins de l’OTAN ; et, 3) d’une fédération de centres pour coordonner l’offre en matière de formation et d’entraînement, entre l’OTAN et les SOF nationales. En 2010, les Alliés ont établi un quartier général des opérations spéciales de l’OTAN, destiné à être un quartier général permanent pour la coordination plutôt qu’un commandement des opérations spéciales de l’OTAN. E. LE NSHQ AUJOURD’HUI 31. Le rôle essentiel du NSHQ est la coordination du développement de capacités SOF, et de leur interopérabilité, pour les Alliés et leurs partenaires.7 Le NSHQ est aussi chargé de fournir de solides services consultatifs aux décideurs de l’OTAN, allant de la planification, la doctrine et la publication de normes jusqu’aux conseils directs. Le personnel du NSHQ s’efforce d’établir une planification stratégique et opérationnelle afin de permettre aux pays membres de l’OTAN l’emploi de « SOF compétentes, immédiatement disponibles et intégrées, à l’appui de l’OTAN » dans l’environnement de sécurité complexe d’aujourd’hui. Actuellement, le NSHQ participe étroitement (prenant même parfois la direction du projet) à l’élaboration du très attendu plan d’action de l’Alliance contre le terrorisme, qui doit être remis en avril pour pouvoir être présenté lors du sommet de juillet à Bruxelles. 6 Les informations fournies ci-après découlent d’un certain nombre d’entretiens ou de séances d’information que l’auteur et le personnel de la commission de la défense et de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) ont eus avec des commandants SOF des pays de l’OTAN au NSHQ, des membres de la conférence des commandants du NSHQ, et du personnel de la fondation internationale SOF. Toute erreur ou interprétation erronée éventuelle relèverait de notre propre fait. 7 Pour cette tâche, le NSHQ peut largement s’appuyer sur le système de recueil et d’exploitation des informations du champ de bataille (BICES). Actuellement, tous les pays partenaires SOF approuvés de l’OTAN peuvent accéder à toutes les informations communicables disponibles dans BICES, les partager entre eux et collaborer à leur sujet. 6
064 DSCFC 18 F 32. Les États-Unis fournissent actuellement près de 93 % du financement total du NSHQ. Le Congrès des États-Unis supervise cinq cadres de dépenses distincts pour le NSHQ, dont les ressources et le personnel proviennent des 26 Alliés possédant des SOF.8 33. Les commandants du NSHQ vont rapidement présenter l’école des forces d’opérations spéciales de l’OTAN comme la « perle » de l’organisation. L’école des SOF de l’OTAN cherche à « fournir aux SOF de l’OTAN un entraînement et une formation synchronisés, normalisés, efficients et efficaces et à permettre aux SOF des pays de l’OTAN et des pays partenaires d’améliorer leurs capacités nationales et leur capacité à travailler ensemble, et de promouvoir l’interopérabilité ». L’école propose actuellement 27 cours différents à ses résidents, axés sur le développement professionnel, les études opérationnelles, le renseignement et les opérations d’exploitation technique, le développement des capacités aériennes des SOF, et sur la formation médicale théorique et pratique des SOF. Actuellement, les développements du NSHQ avec les partenaires concernent essentiellement des programmes dotés d’importants moyens financiers en Ukraine, en Géorgie et en Tunisie. Le NSHQ a fait savoir que si l’élargissement des programmes de développement des partenaires est vivement souhaité, le fait que ce ne soit toujours pas une priorité politique à l’OTAN limite le potentiel d’extension. F. LES SOF DE L’OTAN ET L’ADAPTATION D’APRÈS 2014 34. L’OTAN a réagi à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 en restructurant la Force de réaction de l’OTAN (NRF) via le plan d’action « réactivité » (RAP), dont le but était d’augmenter les effectifs de la force de réaction à 40 000 soldats et de les rendre plus flexibles et plus adaptables, afin de garantir renforcement rapide et mobilité. Le RAP a également donné lieu à la création de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) en tant que fer de lance de la NRF, capable de déployer une brigade de 5 000 hommes dans un délai de 2 à 7 jours à la périphérie de l’Alliance.9 Depuis cette réforme, la NRF contient des composantes air, terre, mer ainsi que des unités de forces d’opérations spéciales. 35. Au sein de la NRF, le NSHQ a pour rôle principal de coordonner le développement des capacités SOF des Alliés pour permettre aux pays de réaliser le plan de rotation à long terme au titre de la NRF, y compris former les commandements de composante opérations spéciales (SOCC) de la NRF et les groupes de travail (et unités) qui en dépendent. Étant donné que la formation d’un SOCC est le rôle le plus difficile qu’aient à remplir les pays de l’Alliance, le NSHQ dispose d’un programme spécifique pour passer de zéro à un SOCC de la NRF, qui consiste en une approche structurée sur cinq ans visant à développer la capacité d’un pays à fournir un SOCC. Le programme comprend une formation théorique et pratique, des exercices et une évaluation. Selon les besoins, le programme pourra également prévoir l’assistance de l’OTAN pour la fourniture de systèmes d’information et de communication (SIC) et d’autres capacités facilitatrices qu’un pays ne sera peut-être pas en mesure de financer seul. 36. Alors que l’OTAN continue d’adapter sa posture de défense et de dissuasion à l’environnement de sécurité d’après 2014, les SOF ont un rôle déterminant à jouer. Le NHSQ cherche à passer de la capacité opérationnelle de commande et de contrôle mentionnée plus haut à la fourniture d’une capacité stratégique de forces spéciales de théâtre. En tant que composante SOF de théâtre, le NSHQ se liera plus étroitement avec le directeur du bureau des opérations spéciales au SHAPE pour fournir des avis stratégiques et synchroniser les forces spéciales sur l’ensemble du théâtre à un niveau situé au-dessus des commandements de forces interarmées opérationnelles. 8 Actuellement, le Luxembourg, l’Islande et le Monténégro ne possèdent pas de forces spéciales. 9 Cette commission a examiné plus en détails l’impact de cette décision dans le précédent rapport [167 DSCFC 15 F bis], intitulé Le plan d’action « réactivité » de l’OTAN : assurance et dissuasion pour la sécurité après 2014, de Xavier Pintat. 7
064 DSCFC 18 F G. VERS UNE RÉGIONALISATION DES SOF DE L’OTAN ? 37. Aujourd’hui, il y a une volonté de porter le commandement, le contrôle et la planification à un niveau régional via l’extension du réseau des SOCC. Cela se traduirait par une coordination des capacités SOF d’un pays membre dans telle ou telle région pour tirer parti de missions communes, afin d’obtenir une représentation de la situation régionale. Les SOCC régionaux multinationaux regrouperaient alors leurs résultats pour établir une synthèse du renseignement plus complète des développements hybrides quels qu’ils soient observés sur le territoire de l’Alliance, pour compilation en une représentation coordonnée à Bruxelles. 38. Comme cela a été évoqué ci-dessus, le principal facteur de motivation à la régionalisation des SOF de l’OTAN provient du fait que les forces ont du mal à fournir le nombre requis de SOCC par niveau d’ambition. Étant donné que de nombreux pays manquent encore de ressources et de capacités, la constitution de SOCC composites prévoyant des rôles distincts pour chaque pays permettra à chacun de ces pays d’apporter sa contribution à la formation d’un réseau plus fort et plus résilient. Ces SOCC régionales pourraient être configurées en fonction des communautés linguistiques, des liens géographiques ou historiques, ou des capacités. IV. SOF ALLIÉES ET LUTTE CONTRE LE TERRORISME 39. Les SOF sont devenues de facto l’instrument militaire par excellence de la campagne mondiale de lutte contre le terrorisme qui a démarré à la suite des attentats du 11 septembre. Comme mentionné plus haut, il existe deux grands types de déploiement des SOF : les missions directes visant à traquer, arrêter ou tuer des terroristes et leurs instigateurs ; ou les méthodes indirectes qui comprennent souvent des missions consistant pour les SOF à former, donner des avis et à soutenir les forces partenaires (étatiques ou non étatiques). Les missions directes et indirectes menées par les SOF dans le cadre de la guerre mondiale contre le terrorisme ont été extrêmement fructueuses. Les exemples abondent pour illustrer ces succès. La traque et l’élimination d’Oussama Ben Laden ont contribué à atténuer un peu le traumatisme des attentats du 11 septembre. De même que l’on peut faire valoir que la formation, les avis et l’assistance délivrés aux forces spéciales iraquiennes se sont avérés être la clé de voûte qui a empêché Bagdad de tomber durant les heures les plus sombres de l’offensive de Daech sur le pays en 2014. 40. Combinées aux aéronefs pilotés à distance pour les activités ISR et les frappes de précision à distance, les SOF sont aujourd’hui l’arme politique la plus discrète qui puisse être utilisée pour les opérations de lutte contre le terrorisme et contre l’insurrection dans des environnements de sécurité complexes. Si les SOF prévalent dans l’environnement actuel de lutte contre le terrorisme, cela est dû à deux raisons principales : premièrement, le recours aux SOF est une solution rentable ; et, deuxièmement, la nature secrète des opérations SOF offre aux décideurs une option plus discrète pour un usage sélectif de la force, comme solution alternative aux grandes opérations complexes, mobilisant de nombreux effectifs et susceptibles d’être politiquement sensibles. 41. Les responsables politiques devraient néanmoins se garder de trop recourir aux forces spéciales et se méfier du décalage à long terme entre politique et stratégie qu’un recours excessif risquerait d’entraîner. A. LES PROBLÈMES LIÉS À LA STRATÉGIE À LONG TERME DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET AU RECOURS AUX SOF – L’EXEMPLE DE DAECH ET DES TALIBANS 42. De nombreuses opérations menées par les Alliés récemment en recourant abondamment aux SOF devraient appeler l’attention sur quelques caractéristiques essentielles liées à l’emploi des SOF. Premièrement, les opérations spéciales s’inscrivent presque toujours dans le cadre d’un objectif stratégique plus large, nécessitant le soutien d’autres instruments de pouvoir militaires, mais 8
064 DSCFC 18 F aussi d’instruments nationaux ainsi que d’instruments économiques et politiques. Si les SOF peuvent contribuer au succès sur le plan tactique, les objectifs stratégiques plus larges nécessitent l’investissement d’efforts plus soutenus et une volonté politique. Deuxièmement, les SOF sont couramment utilisées dans la stratégie mondiale alliée de lutte contre le terrorisme pour capturer ou éliminer des cibles de « haute valeur » au sein d’une organisation terroriste spécifique, avec pour conséquence de précipiter sa chute ou sa tombée en désuétude. 43. Comme l’ont montré des études, les stratégies portant sur des cibles de haute valeur n’ont pas été aussi efficaces qu’espéré (Long, 2017). En dépit des efforts déployés pour priver les groupes de leurs chefs et de leurs puissants chefs intermédiaires, ou pour affaiblir leur pouvoir, cette stratégie est largement inefficace en raison de la stratégie organisationnelle des groupes. En effet, les groupes fortement institutionnalisés, comme le sont les talibans, ont montré qu’ils étaient en mesure d’absorber rapidement les chocs touchant la structure de leur commandement. 44. Par ailleurs, les groupes ayant été fragilisés par l’application d’une stratégie de capture et d’élimination de cibles de haute valeur, comme l’a été Daech, ont trouvé les moyens de se réorganiser, de reconstituer leurs ressources et de réémerger. Étant donné que l’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL) a perdu son territoire, le groupe reviendra à ce que les groupes terroristes armés semblent tous faire aujourd’hui : s’employer à se regrouper en pratiquant un mélange de terrorisme international et régional pour faire survivre leur cause, préserver leur raison d’être puis resurgir. Les conditions prévalant aujourd’hui sur le terrain en Iraq et en Syrie continuent d’offrir un terrain favorable pour permettre au groupe de resurgir : l’État de droit est loin d’être établi et c’est plutôt l’homme fort de la région qui impose sa loi à une population traumatisée par les conflits. Une fois encore, la campagne militaire de déni de territoire a largement devancé les initiatives visant à trouver une solution de réconciliation politique adéquate sur le terrain. 45. De plus, il convient de noter que l’élimination de cibles à l’extérieur du champ de bataille officiel pose d’évidents problèmes de légalité et de droits humains. Cette question est au centre du débat mené actuellement aux États-Unis sur la nécessité d’obtenir une nouvelle autorisation pour pouvoir recourir à la force militaire. Par ailleurs, le fait que les points de vue divergent sur la question de savoir s’il s’agit, ou non, d’exécutions extrajudiciaires, alimente les spéculations et la méfiance dans les médias sociaux, sans parler de la propagande diffusée par les mêmes organisations terroristes que celles combattues par nos forces nationales. V. L’UTILISATION DES SOF PAR LA RUSSIE 46. La Russie a recours aux SOF pour déstabiliser et fragiliser son voisinage proche dans le but de maintenir son influence et son contrôle sur les développements politiques dans ces régions, l’exemple le plus récent étant celui de l’annexion de la Crimée. L’annexion de la Crimée par la Russie et son ingérence continue en Ukraine 47. Comme évoqué par cette commission dans son rapport de 2015 sur la guerre hybride, l’ingérence russe en Ukraine, et l’annexion de la Crimée qui a suivi, a représenté un exemple illustrant la manière dont tous les éléments du pouvoir d’État russe se sont combinés pour donner un résultat stratégique à court terme. Les forces spéciales russes ont joué un rôle clé dans la capacité de Moscou à tricher, déstabiliser puis s’emparer d’un territoire appartenant à l’Ukraine. 48. Durant les premiers mois de 2014, la société civile ukrainienne s’est livrée à une lutte ouverte pour son avenir : à savoir si elle devait rester dans la sphère d’influence russe ou se rapprocher de la communauté euro-atlantique par le biais d’une association plus étroite avec l’UE et l’OTAN. À la fin du mois de février, Moscou a décidé la tenue d’un exercice surprise de grande envergure mobilisant quelque 150 000 soldats, ce qui a permis de détourner l’attention des actions russes en Crimée. Rapidement, une cyberattaque à grande échelle a été lancée contre des institutions 9
064 DSCFC 18 F publiques et privées ukrainiennes, suivie par une manœuvre de guerre électronique consistant à brouiller les systèmes de communication des institutions criméennes. Cette attaque électronique a permis d’isoler la péninsule de Crimée de Kiev, afin qu’elle ne parvienne pas à établir de réponse coordonnée. Des forces spéciales russes non identifiées se sont alors infiltrées, s’emparant d’installations militaires et gouvernementales essentielles dans toute la péninsule. La Russie a également eu recours à une campagne de désinformation et au soutien diplomatique de Moscou pour imposer un référendum factice sur l’indépendance. Toutes les tactiques utilisées ont permis d’éviter de justesse la guerre tout en obtenant le résultat politique souhaité. 49. La Russie poursuit son ingérence en Ukraine. Le maintien en puissance et l’entraînement des forces insurgées à l’est de l’Ukraine est un parfait exemple de mission MA. Le soutien apporté par Moscou aux forces supplétives en vue de maintenir Kiev dans l’incapacité de contrôler l’ensemble du territoire ukrainien nuit aux efforts déployés par l’Ukraine pour poursuivre ses projets d’intégration euro-atlantique. Parmi les moyens non militaires employés pour déstabiliser Kiev, on citera : l’utilisation ou le contrôle de ressources naturelles pour exercer une pression économique et politique, les cyberattaques, le recours aux réseaux criminels, etc. Tout cela, sous un déluge permanent de propagande, de dezinformatzia et de fausses nouvelles pour désancrer la perception de la vérité au sein de la population et allant même jusqu'à la réinterprétation du passé récent ou du long passé historique en maintenant vivaces les différents récits de tel ou tel événement d’actualité. 50. Il ressort clairement de ce qui précède que la Russie conçoit ses forces militaires, et donc également les SOF, comme un soutien à tous ses éléments de puissance nationale, et qu’elle les utilise pour réaliser ses objectifs de grande stratégie. Cela diffère grandement de la conception de l’Alliance. En effet, les Alliés semblent estimer que le déploiement de leurs forces doit servir à défendre leurs instruments de pouvoir nationaux. Ceci engendrera un déséquilibre et une faiblesse stratégiques permanentes face à la Russie. En d’autres termes, l’OTAN continue de réagir aux actions de la Russie plutôt qu’à les anticiper. VI. LES SOF ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DANS LA ZONE GRISE 51. Comme évoqué précédemment, c’est dans la zone grise, située entre la guerre et la paix, que les SOF sont le plus efficaces. Néanmoins, cette zone grise étant intrinsèquement vague et utilisée pour justifier une vaste gamme d’activités, les préoccupations de redevabilité vont croissant. 52. Ces préoccupations de redevabilité se manifestent de deux manières différentes. Premièrement, les forces spéciales n’ont traditionnellement pas besoin de l’approbation parlementaire pour être déployées. Deuxièmement, les gouvernements mentionnent généralement les opérations réussies mais gardent sous silence celles qui ont échoué. En conséquence de quoi la population pense que les opérations SOF sont plus fiables qu’elles ne le sont en réalité, du fait de l’utilisation sélective des données. 53. Il va de soi que les opérations SOF sont avant tout caractérisées par leur nature secrète. En principe, les unités SOF relèvent du même système de justice militaire que les troupes régulières. Toutefois, le caractère secret des opérations qu’elles mènent fait que les tribunaux sont souvent incapables d’accéder aux dossiers complets, y compris à l’identité du personnel : dès lors, le manque d’informations concernant les opérations fait qu’il est difficile de poursuivre le personnel pour fautes graves, négligence ou pire encore. Par ailleurs, alors que les budgets de défense diminuent, l’empressement des gouvernements à augmenter le financement des SOF pose question quant à leurs véritables motifs, au point que de hauts responsables ont demandé si le renforcement des capacités SOF était dicté uniquement par des considérations stratégiques ou par la volonté de mener des opérations militaires encore plus grandes à l’insu de la population. 10
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