LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA COLOMBIE

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LA POLITIQUE EXTÉRIEURE
DE LA COLOMBIE,
Entre l’influence et l’indépendance.
Le débat sur le rôle du président
et de l’académie de formation
des diplomates*
                                                                      Héctor Heraldo Rojas Jiménez**

RÉSUMÉ                                                         d’un travail diplomatique infructueux, dans
                                                               lequel il n’y a pas de planification à long terme,
Avoir des dirigeants qui ne se préoccupent pas                 et qui se limite à la conjoncture présidentielle.
de l’intérêt de la majorité, mais des leurs, est un            La mauvaise image ou le manque de crédibilité
fait qui caractérise la Colombie et qui est mani-              dans la capacité de l’État et de ses fonctionnaires,
feste à travers la nomination de ses diplomates.               à diriger des processus internationaux, sont le
En général, ceux qui ont pour habitude de re-                  résultat d’un “nanisme auto-imposé”, comme
présenter le pays ne sont ni les meilleurs, ni les             réponse à une série d’échecs historiques et à un
plus qualifiés, mais ce sont les plus proches du               manque de leadership qui ne contribuent pas
pouvoir. Cette situation se traduit par l’exécution            au développement du potentiel international du

*
     El presente artículo es un aparte del resumen de la tesis doctoral sustentada el 6 de enero de 2016 en la Université
Paris 3 Sorbonne Nouvelle por el autor.
**
    Ph D. en Sciences Politiques de la Université Sorbonne Nouvelle, Paris III. Docente investigador de la Facultad
de Finanzas, Gobierno y Relaciones Internacionales de la Universidad Externado de Colombia. Bogotá (Colombia).
[hector.rojas@uexternado.edu.co], [https://orcid.org/0000-0003-1153-318X]
Agradecimientos a la profesora Sylvie Nail y a la traductora Anaïs Delpech por su colaboración en la revisión del texto
luego de los comentarios de los pares evaluadores
Recibido: 20 de junio de 2018 / Modificado: 18 de septiembre de 2018 / Aceptado: 1 de octubre de 2018
Para citar este artículo: Rojas Jiménez, H. H. (2019). La politique extérieure de la Colombie, entre l’influence et l’in-
dépendance. Le débat sur le rôle du président et de l’académie de formation des diplomates. oasis, 29, pp. 155-174
doi: https://doi.org/10.18601/16577558.n29.08
Héctor Heraldo Rojas Jiménez
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      pays. La construction d’une stratégie commune              international issues could contribute to man-
      entre de nombreux acteurs liés aux questions               agement of foreign policy that is torn between
      internationales, pourrait contribuer à la gestion          influence and independence.
      de la politique étrangère partagée entre influence               Key words: Colombia, foreign policy,
      et indépendance.                                           self-imposed dwarfism, presidential margin
            Mots-clés : Colombia, Politique Ex-                  of discretion –discretionary.
      térieure, Nanisme auto-imposé, discrétion
      présidentielle                                             POLITICA EXTERIOR
                                                                 DE COLOMBIA,
      COLOMBIA’S FOREIGN POLICY,                                 Entre la influencia
      Between influence                                          y la independencia.
      and independence.                                          El debate sobre el papel del
      The debate on the role of the                              Presidente y la Academia en la
      President and the Academy in                               formación de diplomáticos.
      the training of diplomats
                                                                 RESUMEN
      ABSTRACT
                                                                 Colombia se ha caracterizado por tener gober-
      Colombia has been characterized for having                 nantes que no buscan el beneficio de las mayorías
      rulers who do not seek the benefit of the ma-              sino los propios, lo que se evidencia en la desig-
      jority of the population but their own, as evi-            nación de sus diplomáticos. En general, quienes
      denced by their appointment of diplomats. In               suelen representar al país no son los mejores, ni
      general, those who usually represent the coun-             más capacitados, sino los más cercanos al poder.
      try, are not the best, or the best trained, but            Esta situación se traduce en la ejecución de un
      those closest to power. This situation translates          trabajo diplomático fallido, donde no hay una
      into the execution of failed diplomatic work,              planificación a largo plazo, sino que se limita a
      lacking in long-term planning and limited to               la coyuntura presidencial. La mala imagen o la
      a particular presidential context. The bad im-             falta de credibilidad en la capacidad del Estado
      age or the lack of credibility in the capacity of          y sus funcionarios, para liderar procesos inter-
      the State and its officials to lead international          nacionales, son el resultado de un «enanismo
      processes are the result of a «self-imposed                autoimpuesto» como respuesta a una serie de
      dwarfism» in response to a series of historical            fracasos históricos y falta de liderazgo que no
      failures and lack of leadership that do not con-           aportan al desarrollo del potencial internacional
      tribute to the development of the international            del país. La construcción de una estrategia con-
      potential of the country. The construction of              junta entre muchos actores vinculados con los
      a joint strategy among many actors linked to               temas internacionales, podría contribuir con la

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La politique extérieure de la Colombie…
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gestión de la política exterior que se debate entre               de la Colombie. L’absence d’une vision glo-
la influencia y la independencia.                                 bale, l’incapacité à résoudre le débat entre les
      Palabras Clave: Colombia, política exte-                    modèles fédéraliste et centraliste, ainsi que les
rior, enanismo auto-impuesto, discrecionali-                      tensions régionales entre les différents peuples
dad presidencial                                                  de la République ont mené à sa dissolution.
                                                                        La Colombie est un pays au potentiel
                                                                  considérable. Pourtant, il souffre d’un « na-
« À la confluence des deux océans, s’étendaient                   nisme auto-imposé », autrement dit, d’un sé-
40 000 lieues carrées (un million de km²) que                     rieux problème d’estime de soi, ce qui se ressent
Colomb entrevit à peine lors de son quatrième                     sur la scène internationale. Ses gouvernants
voyage et qui portent aujourd’hui leur nom :                      et ses dirigeants ne croient pas fermement au
la Colombie » (García, 1995). À ses origines,                     potentiel du pays. Pourtant, il existe parfois, de
la Grande Colombie disposait d’un territoire                      manière fortuite ou non, des situations qui lais-
trois fois plus grand que sa superficie actuelle                  seraient croire à une bonne gestion politique
de 1 141 748 km². Sans être le plus étendu                        du pays. Pendant fort longtemps, aucun auteur
des pays d’Amérique, la Colombie pouvait se                       de renom international ne s’est attelé à l’étude
vanter de posséder un territoire à la superficie                  de la politique étrangère colombienne. De ce
proche de celle de l’Argentine actuelle, supé-                    fait, Bruce M. Bagley, universitaire nord-amé-
rieure à celle du Mexique contemporain et un                      ricain, en est venu à suggérer que le cas de la
peu plus importante que la moitié du territoire                   Colombie pouvait s’apparenter à un « nanisme
brésilien. Sa configuration initiale était plus                   auto-imposé » (Bagley, 1982). De son côté,
grande que le territoire des treize colonies de                   Heraldo Muñoz ajoute, après avoir considéré
l’Union américaine.                                               les atouts qui profitent à la Colombie, que ce
      La Grande Colombie a juridiquement                          pays devrait être une puissance régionale, do-
existé entre 1821 et 1831 : elle était alors                      tée d’un pouvoir de négociation comparable à
formée par la vice-royauté de Nouvelle-Gre-                       celui du Mexique ou de l’Argentine (Muñoz,
nade, la Capitainerie générale du Venezuela,                      1981, p.23).
le District de Quito et la Province libre de                            Cette croyance en un « nanisme » c olom-
Guayaquil. Elle correspondrait aujourd’hui                        bien tire son origine de multiples cicatrices
au cumul des territoires de la République de                      historiques, engendrées tout au long de la
Colombie, de l’Équateur, du Panama et du                          construction du pays. Cette situation répond
Venezuela, non sans exclure d’autres territoires                  au manque d’intérêt réel des gouvernants,
passés aux mains du Brésil, du Pérou et du Ni-                    des dirigeants et des fonctionnaires, à qui in-
caragua, suite à des erreurs stratégiques com-                    combent les problématiques internationales,
mises par des dirigeants politiques colombiens.                   pour la consolidation d’une stratégie judi-
Ce manque de discernement stratégique a                           cieuse, à même de promouvoir la Colombie
malheureusement constitué un point commun                         dans le concert des nations. Autrement dit, la
entre tous les présidents et hauts fonctionnaires                 figure du « nanisme auto-imposé » provient du
OA S IS , IS S N : 1657-7558, E -IS S N : 2346 -2132, N° 29, Enero - J uni o d e 2019, pp. 155-174

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      manque de confiance de la Colombie en ses                      tion. La sélection adéquate et la professionna-
      propres capacités. Le pouvoir de négociation                   lisation des diplomates, ainsi que la possibilité
      colombien pourrait être nettement renforcé si                  d’évaluer leurs résultats, ont depuis toujours
      le pays orientait mieux sa politique étrangère                 suscité de grands débats, et plus encore depuis
      et si les décisions gouvernementales étaient                   l’entrée en vigueur de la Constitution actuelle.
      prises conformément à une stratégie nationale.                 Cette dernière avait en effet été pensée dans
      Pourtant, certains actes politiques comme le                   un souffle d’optimisme, ses auteurs la jugeant
      Plan Colombie1 forment ce qui pourrait être                    capable de donner à la Colombie l’impulsion
      désigné comme un réalisme complexe, où « le                    nécessaire pour affronter le nouveau siècle, tant
      plus fort » — les États-Unis — s’impose, mais                  sur le plan national qu’international.
      où « le nain » — la Colombie — redéfinit,                            Il existe un consensus entre tous les spé-
      d’une certaine façon, le rapport de pouvoir,                   cialistes de la Politique étrangère colombienne
      tirant profit pour lui-même, au-delà de l´hé-                  (pec) : le manque de lignes directrices claires et
      gémonie étatsunienne, et s’accommodant des                     continues des services extérieurs colombiens,
      intérêts du géant nord-américain.                              et ce, depuis sa création. Avant d’être une
            Les Colombiens ont peu confiance en                      politique d’État, la diplomatie colombienne
      leurs capacités en tant que pays. Il existe une                est avant tout la politique d’un seul homme,
      complexité géopolitique –voire psycholo-                       celle du président en exercice. Elle est donc
      gique–, qui entretient une dialectique entre                   entièrement conjoncturelle et dessert unique-
      soumission et domination. Cependant, la                        ment les intérêts présidentiels. Elle souffre de
      Colombie a conscience de son importance                        carences notables en matière de cohérence, de
      dans les affaires nord-américaines et certains                 pertinence et de prospective, ignorant la réalité
      dirigeants colombiens ont su tirer profit et faire             nationale et la nécessité de participer aux né-
      bon usage de la reconnaissance nord-améri-                     gociations internationales. Les fonctionnaires
      caine, même s’ils furent peu nombreux.                         ayant participé à l’élaboration et à l’exécution
            Depuis l’entrée en vigueur de la Consti-                 de la pec n’ont pas une connaissance suffi-
      tution de 1991, les principes idéaux de la Po-                 sante des dossiers internationaux et ne sont
      litique étrangère colombienne ont donné lieu                   pas capables de relier les enjeux mondiaux aux
      à d’importants débats, dont ceux liés au rôle                  intérêts de la nation.
      même de la politique étrangère et aux défis ren-                     De la même manière, ceux qui conçoivent
      contrés par le pays, comme la mondialisation                   les politiques le font en se projetant à court
      et une situation interne en constante évolu-                   terme et selon le contexte du moment. D’au-

      1
           Le Plan Colombie est un accord gouvernemental entre la Colombie et les États-Unis. Conçu en 1999 entre les
      présidents Andrés Pastrana Arango et Bill Clinton, il cherche, à travers une revitalisation sociale et économique, à
      contribuer à mettre fin au conflit armé colombien. Même si son action la plus évidente et la plus conforme aux intérêts
      états-uniens a été la lutte contre la drogue, la Colombie est parvenue à rediriger les ressources économiques allouées à
      ce plan vers des domaines relatifs au développement social.

                                  OA S IS , IS S N: 1657-7558, E-ISSN: 2346-2132, N° 29, Enero - J uni o d e 2019, pp. 155-1 7 4
La politique extérieure de la Colombie…
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cuns considèrent que la Colombie n’a pas la                       ce qui a engendré une baisse de rigueur dans
capacité de décider de sa politique étrangère,                    la sélection, la formation et la promotion des
car celle-ci se trouve figée sous l’influence des                 représentants colombiens à l’étranger. Plus
facteurs externes et de la mainmise directe                       encore, il a limité la possibilité d’accentuer la
exercée par des puissances supérieures. En effet,                 présence de la Colombie dans le monde, ainsi
les responsables de la politique étrangère ont                    que sa capacité à être une puissance régionale
été « colonisés intellectuellement » (Álvarez,                    guidée par une Stratégie conjointe de politique
2003, p.19), ce qui se rapproche de la notion                     extérieure (scpe).
de « nanisme auto-imposé » de B. Bagley.                                Ce travail de recherche est théorique, des-
      La personnalisation de la relation entre                    criptif et analytique. Il a été développé selon
l’ancien président Uribe et l’ancien président                    les critères instaurés par la recherche qualitative
vénézuélien Hugo Chávez a marqué une                              et quantitative dans le domaine des sciences
nouvelle tension dans les relations bilatérales                   sociales, en facilitant l’établissement d’une
puisque, dès le début, ils ne sont pas parvenus                   méthode scientifique pour aborder et intera-
à des accords limitrophes, pas plus qu´ils n’ont                  gir avec l’objet de recherche. La méthodologie
réussi à fortifier les échanges pour obtenir des                  de cette thèse est celle offerte par la recherche
résultats positifs concernant la balance com-                     documentaire, historique et théorique. La fi-
merciale bilatérale. Finalement, aucun accord                     nalité est de vérifier l’hypothèse en utilisant des
de coopération n’a pu être formalisé dans                         outils hautement qualitatifs et en mettant de
aucun domaine. Cette personnalisation de la                       côté les formules mathématiques. Différentes
politique étrangère s’appuie sur la constitu-                     analyses liées à des théories sur les relations
tion colombienne qui octroie à l’exécutif une                     internationales, telles que des descriptions de
grande liberté dans ses prises de décision, sans                  l’histoire récente du pays, ont été effectuées.
établir de limites.                                               Ces analyses sont complétées par des enquêtes
      Cependant, Uribe n’a pas été l’exception.                   menées auprès d’étudiants universitaires et des
Tous les présidents ont adapté la politique                       entretiens effectués auprès d’anciens ministres,
étrangère en fonction de leurs besoins. De plus,                  vice-ministres et divers hauts fonctionnaires
la nomination des diplomates a été la « caja me-                  issus de la carrière diplomatique (tels que d’an-
nor » 2 de l’exécutif pour récompenser, acheter                   ciens ambassadeurs et des membres actifs du
ou occulter des personnalités de la vie publique                  service extérieur).
nationale. De la prise de décisions importantes                         Ce document prétend démontrer l´hypo-
à la nomination des fonctionnaires de rang                        thèse suivante : dans la mesure où le système
inférieur, le rôle du président s’est déplacé,                    présidentiel en vigueur en Colombie octroie

2
     Il s’agit de moyens peu orthodoxes consistant en une réserve d›argent liquide destinée à payer des menues dépenses
ou à résoudre des problèmes sans avoir à se soumettre aux procédures exigées par la démocratie. Dans le cas de la po-
litique extérieure, on décide, sans aucune règle, qui représentera le pays à l’étranger et un service politique est souvent
rendu par la nomination.

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Héctor Heraldo Rojas Jiménez
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      un caractère discrétionnaire au Président, en                 aux relations internationales et à la politique
      particulier dans la gestion de la politique étran-            étrangère en Colombie. En dépit de ce qui
      gère, et particulièrement dans les nominations                précède, l’analyse de la relation entre les no-
      des agents diplomatiques, les efforts déployés                minations au service extérieur en Colombie et
      pour sélectionner les diplomates de carrière                  les raisons qui ont amené le pouvoir exécutif
      dûment formés à cet effet, évaluer leurs services             à prendre de telles décisions n’a jamais été sys-
      et améliorer leurs compétences, ne pourront                   tématiquement développée.
      fournir les résultats escomptés que si la formu-                    Cela peut coïncider avec la difficulté à
      lation de la politique étrangère de la Colombie               trouver des informations officielles et suffi-
      ne se limite pas aux événements conjoncturels,                samment fiables sur le sujet. C’est pour cette
      mais cherche plutôt à se construire en tenant                 raison qu’il a été demandé à la Direction des
      compte de l’intérêt suprême dont les Colom-                   ressources humaines du ministère des Affaires
      biens pourraient en tirer.                                    étrangères (mae) de mettre à jour les chiffres
                                                                    des responsables des mae parmi les diplomates
      POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET NOMINATIONS                            de carrière et ceux qui sont soumis à un autre
      DANS LE SERVICE EXTÉRIEUR                                     type de contrat. À la date de livraison défi-
                                                                    nitive de cet article, aucune information de
      La question du pouvoir discrétionnaire du pré-                ce type n’a été reçue. Cependant, la réponse
      sident de nommer les diplomates représentant                  de l’Association diplomatique et consulaire
      les intérêts de la Colombie a été critiquée à                 colombienne a été très diligente et nous a fait
      maintes reprises par ceux qui sont ont affaire                part des informations suivantes (Tableau 1) :

                                                           Tableau 1

       Nombre de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères de carrière diplomatique (en Colombie et à l’étranger)
       Nombre actuel d’officiers de carrière diplomatiques et consulaires ayant le ministère (derniers inscrits +        395
       fonctionnaires en période d’essai) (13/08/2018)
       Nombre de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères dans d’autres conditions contractuelles (en Colom-
       bie et à l’étranger)
       Postes de carrière diplomatique et consulaire                                                                     609
       Siège interne:                                                                                                    205
       Ambassades, missions et consulats (usine exterme):                                                                374
       Charges diplomatiques et consulaires prévues à titre provisoire                                                   212
       Plante externe                                                                                                    182
       Plante interne                                                                                                     30

      Source: informations fournies par la Direction des Talents Humains du Ministère des Affaires Ètrangères à la demande
      de L’Association diplomatique et consulaire de Colombie (13/08/2018)

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La politique extérieure de la Colombie…
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      Cet article traite de l’importance de pri-                  en particulier en raison de l’excès de pou-
vilégier la professionnalisation du service                       voirs constitutionnels attribués au sein de la
extérieur colombien comme un élément fon-                         fonction présidentielle. Référence : Titre VII,
damental de sa projection internationale, et                      Chapitres 1 et 8 de la Constitution politique
en ce sens, comme le mentionne Ardila, « une                      colombienne.
politique étrangère qui s’inscrit dans le pro-                          En ce sens, Rose mentionne que la poli-
longement d’une politique intérieure, reflète                     tique étrangère est principalement comprise
plus directement les intérêts d’un pays, ou de                    comme le produit de la dynamique interne
secteurs hégémoniques de celui-ci, de manière                     d’un pays, telle que l’idéologie politique et
conjointe ou fragmentée. En d’autres termes,                      économique, le caractère national, les partis
il n’y a pas d’intérêt national, mais une somme                   politiques et la structure socioéconomique.
d’intérêts en interaction permanente » (Ardila,                   En ce sens, la dynamique interne en Colombie
2005, p. 354).                                                    tend à aborder les faveurs politiques, le clienté-
      Il existe un débat sur l›existence des théo-                lisme et les nominations favorisant les intérêts
ries de la politique étrangère, cependant, leur                   individuels, loin de servir tous les membres de
rapprochement avec la théorie des relations                       la société. En ce sens, elle pourrait être considé-
internationales suggère que la politique étran-                   rée comme le prolongement de ce qui se passe
gère se nourrit des sources de ces différentes                    également à l’intérieur du pays.
théories. En tout état de cause, cela est cou-                          Cependant, on suppose que les repré-
rant parmi les théories de politique étrangère                    sentants colombiens à l’étranger devraient
qui suggèrent, comme le mentionne Ardila                          chercher à ce que les résultats extérieurs déter-
(2005), qu’elles ont pour intérêt commun                          minent les avantages pour le pays, en harmonie
celui de prolonger les intérêts nationaux dans                    avec le système international. En tout état de
le contexte international. En pratique, la ma-                    cause, il existe un écart important entre les
nière dont les nominations des fonctionnaires                     différentes théories et la recherche des intérêts
colombiens du service extérieur sont décidées,                    particuliers des dirigeants, le manque de vision
en particulier les nominations et les révoca-                     globale ou la nécessité de payer des faveurs
tions non motivées, n’est liée à aucun intérêt                    politiques, entre autres.
national et est probablement dépourvue de                               Les trois variables ci-dessus ne sauraient
logique théorique.                                                être liées à un agent particulier. Ce n’est pas
      Cependant, parmi les quatre propositions                    un problème des présidents Betancur, Gaviria,
de politique étrangère de Gideon Rose (1998),                     Samper, Pastrana, Uribe ou Santos. Un mois
la première, « la théorie de la politique étran-                  après la prise de possession du président Du-
gère nationale » pourrait, d’une manière ou                       que, le tableau suivant suggère quelques cas de
d’une autre, se rapprocher de la manière dont                     fonctionnaires n’appartenant pas à la carrière
la politique étrangère est menée en Colombie,                     diplomatique (Tableau 2) :

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                            Tableau 2                               intensifiées ces cinquante dernières années,
                                                                    d’où l’impératif pour le pays de développer une
           Quelques nominations récentes du gouvernement            politique étrangère » (Tirado, 1989, pp. 5-6).
              Duque (2018-2022), à des fonctionnaires
             n’appartenant pas à la carriére diplomatique
                                                                    RÉFLEXIONS ET SUGGESTIONS
          España            Juan Carlos Iragorri
          Estados Unidos    Francisco Santos                        Sur une superficie totale de 2 070 408 km² répar-
          Italia            Gloria Ramírez                          tis sur une aire continentale de 1 141 748 km²
          Naciones Unidas   Guillermo Fernández de Soto             et une aire maritime de 928 660 km², la
          oea               Alejandro Ordóñez                       Colombie est divisée administrativement en
          Portugal          María Emma Mejía                        32 départements, 1101 municipalités, 5 dis-
          Uruguay           Guillermo Rivera                        tricts et 20 corregimientos3 départementaux
          Vaticano          Andrés Pastrana                         (Igac, s.f.). Cependant, toutes les décisions
                                                                    passent encore par le pouvoir central, sans que
      Elaboración propia basado en información de Bluradio          les besoins et les potentiels locaux soient pris en
                                                                    compte, ce qui engendre des politiques erro-
      D’autre part, selon le commentaire d’Álvarez,                 nées. Du fait de la détermination bolivarienne
      « les études de politique étrangère dans notre                à faire de la Colombie un pays centraliste, et ce,
      pays se sont centrées sur des facteurs autres                 dès son origine, les universités, les entreprises,
      que l’intérêt national. Dans la majorité des                  les hôpitaux, les centres de production et les
      cas, elles ne font que décrire des situations, ou             ressources économiques de toutes les régions
      les expliquer en spéculant après la survenance                sont concentrés à Bogotá, avant d’être répartis
      des événements, sans prendre en compte la                     selon les besoins et au prorata des apports de
      question centrale de savoir comment l’intérêt                 chaque région. Toutefois, beaucoup de ces ré-
      national s’en trouve affecté, ou le processus de              gions ne parviennent pas à recouvrer leur part
      formation de celui-ci, pour obtenir les consen-               de ressources économiques nationales, et ce,
      sus nécessaires au niveau interne permettant de               au point de ne même pas pouvoir rémunérer
      mettre en application la politique élaborée, ou               leurs fonctionnaires.
      de la critiquer, et de politiquement contrôler                      Cette situation détermine un manque de
      de manière efficace le travail et les décisions de            proportionnalité congénitale dans la mesure
      l’Exécutif à l’échelle internationale » (Álvarez,             où les régions ont créé des niveaux de dépen-
      2003, p.20). Quoi qu’il en soit, les relations                dance difficiles à résoudre, et ce, d’autant plus
      économiques internationales du pays ont                       qu’actuellement la mondialisation tend à im-
      pris de l’ampleur et se sont considérablement                 poser certaines normes. Cela entraîne l’oubli

      3
           En Colombie, on emploie le terme de corregimiento pour désigner les populations qui vivent sur un même terri-
      toire, mais qui ne forment pas de municipalité.

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La politique extérieure de la Colombie…
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des traditions locales qui sont pourtant la base                  la planète permettrait à la population colom-
de l’activité nationale et le ciment qui repré-                   bienne une plus grande prospérité.
sente l’orgueil d’un peuple et sa capacité à faire                      2. De la même façon, une formation
face à la mondialisation, le libre-échange et de                  plus rigoureuse des agents diplomatiques (lire
nombreux phénomènes sociaux, politiques,                          en annexe les entretiens effectués auprès des
culturels, résultant du moment historique vécu.                   fonctionnaires de la Chancellerie) et la fin
      1. Aller à l’encontre d’un centralisme                      des nominations sous forme de « retours de
vieux de 200 ans pour fortifier 1096 muni-                        faveurs » au service des affaires étrangères,
cipalités ou 32 départements n’est pas une                        pourraient permettre à la Colombie de s´im-
tâche facile, mais c’est fondamental. La voix                     poser davantage sur la scène internationale.
des régions doit être entendue. Il ne s’agit pas                  Une politique étrangère indépendante, qui
seulement de permettre juridiquement aux                          soit une politique d’État et pas uniquement le
régions de s’exprimer, il est aussi nécessaire de                 fruit d’une conjoncture, qui soit dynamique
s’engager dans la consolidation des conditions                    et faite à partir d’une lecture des événements
pour permettre l’exploitation des potentiels                      extérieurs et non à partir du porte-monnaie et
locaux. Il faut également tirer le meilleur parti                 des intérêts du président au pouvoir, et qui se
de la capacité créatrice des régions, aussi bien                  veut une politique à long terme, permettrait
dans les domaines politique et économique                         de projeter l’image d’un pays qui a changé,
que dans les sphères sociales et culturelles. La                  qui a réussi à comprendre ses problèmes et à
paradiplomatie peut être un espace qui, associé                   les résoudre avec ses propres outils, non sans
à la mondialisation, assure le développement                      ignorer les propositions d’autrui, mais en ayant
du pays depuis sa base régionale.                                 compris que les victimes d’une situation sont
      Une des solutions aux problèmes colom-                      les plus placées pour élaborer des solutions
biens pourrait être l’émergence d’un chef de file                 durables. Selon Tamayo,
qui réussirait à avoir en tête la grandeur du ter-
ritoire, sa diversité, sa complexité ethnique, ses                      « La politique étrangère colombienne ne saurait
problèmes sociaux, politiques, économiques,                       s’entendre comme une politique d’État pendant les
sanitaires, d’ordre public, d’infrastructure, de                  années du Front national (1958-1974), période du-
corruption et écologiques, et qui aurait une                      rant laquelle l’exercice du pouvoir était partagé entre
interprétation précise des phénomènes mon-                        le parti libéral et le parti conservateur et a été immo-
diaux. Une autre solution consisterait à inciter                  dérément personnalisé. De la même manière, durant
les régions à autoévaluer leurs capacités et à                    cette période, la politique étrangère colombienne,
prendre des décisions à partir de leurs enjeux                    comme celle de toutes les autres nations du continent,
locaux ; elles auraient ainsi plus de possibilités                se sont trouvées limitées par la conjoncture mondiale
pour faire face à la dynamique de la mondia-                      conformément à la doctrine Truman, et poursuivant
lisation. En finir avec la peur des fantômes                      la ligne pro-nord-américaine héritée de la participa-
extérieurs et offrir des biens et des services à                  tion à la Seconde Guerre mondiale, les États alliés ont

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      adopté une politique anticommuniste dans le contexte        consciente des risques impliqués dans l’effort
      international » (2009, p.100).                              pour indépendantiser son pouvoir décision-
                                                                  nel » (Pardo, 1994).
      En effet, il faut reconnaître la faible maturité                  D’après Pierre Gilhodes, « se demander
      existante dans la formulation de la politique               si un pays comme la Colombie — le troisième
      étrangère colombienne. En considérant les                   d’Amérique latine de par son nombre d’habi-
      différentes théories sur les relations interna-             tants, après le Brésil et le Mexique —, peut
      tionales, on peut reconnaître avec Mattiesen,               développer une politique étrangère, revient à
      qu’en Colombie, il est possible d’avoir une                 se demander si Bogotá répond aux exigences
      approche systémique, socio-centrique et stato-              du monde extérieur ou si le pays peut, ayant
      centrique (Matthiesen, 1999, p.43).                         défini ses priorités en tant que nation et État,
            Il n’est pas aisé de classer la politique             adopter une action propre, en toute autono-
      étrangère colombienne de ces dernières an-                  mie » (Gilhodes, 2002, p.161).
      nées dans une seule et même catégorie. Pour                       Parler d’autonomie dans le cas colom-
      Ernesto Samper, celle-ci est avant tout in-                 bien implique toutefois d’aborder le concept
      terdépendante, alors que Andrés Pastrana la                 d’autonomie ambiguë (Ansell-Pearson, 1991,
      qualifierait d’idéaliste ; elle contrasterait ainsi         p.282), dans la mesure où il s’agit d’une ap-
      avec le réalisme d’Uribe. Enfin, une approche               proche moins orthodoxe de la notion tradi-
      systémique donnerait des réponses théoriques                tionnelle d’autonomie, reconnaissant qu’il
      à la compréhension de la politique étrangère                existe des visions différentes de l’autonomie,
      de Santos.                                                  non seulement pour la Colombie, mais aussi
            Malgré cela, le postmodernisme a offert               pour une grande partie des acteurs du droit in-
      une ouverture théorique qui parvient à in-                  ternational : être pensés autonomes les définit
      clure plusieurs des événements de la politique              comme quasi indépendants, et dans l’actuelle
      étrangère colombienne récente. Depuis le                    dynamique mondiale, peut-être qu’aucun État
      postmodernisme, l’autonomie en matière de                   ne sera suffisamment indépendant, quel que
      politique étrangère constitue l’un des plus                 soit le scénario.
      grands objectifs, définie par Pardo et Tokat-                     Pour citer à nouveau Gilhodes : « (…)
      lian comme : « La capacité d’un acteur social à             au fond, on peut dire qu’actuellement les Co-
      maximiser son pouvoir de négociation réel ou                lombiens savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils
      potentiel vis-à-vis d’un autre acteur social dans           ne veulent plus être. Ils refusent de voir leur
      un domaine ou une thématique spécifique,                    pays associé de manière permanente à l›idée
      sous réserve de quatre conditions : la posses-              du trafic de stupéfiants. Leur pays n›est pas
      sion de certains attributs du pouvoir dans ce               un « narco-État » et ils ne sont pas un « nar-
      ou ces domaine(s) thématique(s) ; l’existence               co-peuple ». Plus que n’importe qui, ce sont
      d’intérêts dans un conflit opposant les deux ac-            eux ceux qui paient de leur vie le prix d’une
      teurs ; la manifestation d’une volonté concrète             lutte difficile qui les dépasse. Il faut reconnaître
      d’exercer cette capacité et la reconnaissance               que les stéréotypes sur ce pays qui circulent
                               OA S IS , IS S N: 1657-7558, E-ISSN: 2346-2132, N° 29, Enero - J uni o d e 2019, pp. 155-1 7 4
La politique extérieure de la Colombie…
                                                                                                                           165

dans le monde sont déprimants. Tout existe,                       ment la possibilité d’administrer correctement
comme partout ailleurs, mais le trafic de dro-                    la branche du pouvoir correspondante4. Ce-
gues ne résume pas la vie du pays. (…) Dans                       pendant, bien que les transformations frôlent
de nombreux domaines, les Colombiens ont                          toutes les branches du pouvoir, c’est sur la fi-
beaucoup à faire pour se faire connaître du                       gure présidentielle que se situe le présent débat.
monde, et beaucoup à apprendre et à attendre                      En ce sens, le système présidentiel colombien,
de lui. C’est une tâche nationale qui va au-de-                   caractérisé par des institutions faibles, dans une
là de tel ou tel gouvernement, parce qu’il ne                     confrontation ouverte et permanente, et une
s’agit pas d’attendre un miracle, mais d’efforts                  lutte pour la suprématie dans le maniement du
soutenus. L’insertion croissante de la Colom-                     pouvoir politique, devrait prendre l’initiative
bie dans le monde est irréversible. Pourvu que                    de motiver les ajustements qui permettraient
s’effacent ses caractéristiques les plus négatives                un équilibre des pouvoirs, et en particulier, une
et se développent d’autres moins connues »                        gestion réussie du service extérieur.
(Gilhodes, 2002, p.176).                                                Au xixe siècle, les rivalités constantes entre
      3. Il y a matière à réflexion sur le sys-                   les partis libéral et conservateur, générées par
tème présidentiel en Colombie. Étant donné                        le manque de définition du modèle centraliste
la condition humaine qui tend à augmenter                         ou fédéraliste qui a opposé Bolivar et Santan-
le pouvoir, indépendamment des outils qui                         der, ont fait que chaque fois qu’il arrivait au
s’emploient à le limiter, le présidentialisme                     pouvoir, le parti adverse créait une nouvelle
en Colombie a réussi à établir une institution                    constitution, ce qui explique que la Colom-
aussi solide qu’imperméable, qui a grandi                         bie ait eu huit constitutions à ce jour, sans
avec le temps et qui n’a pas de contrepoids                       que l’une d´elles puisse représenter un accord
permettant un équilibre décent du pouvoir. Sa                     unanime des Colombiens sur les sujets fonda-
capacité à intervenir dans d’autres pouvoirs est                  mentaux alors à l’ordre du jour. La Constitu-
énorme, les lignes fines avec lesquelles le statu                 tion de 1886, qui a survécu 105 ans, n’a pas
quo de l’impuissance et de l’impossibilité de                     été l’exception, mais a permis l’implantation
changement est maintenu sont déterminées                          d’un État autoritaire en renforçant le modèle
par un système pervers qui permet que chaque                      centraliste, en fortifiant l’Église catholique, en
pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire) ait une              limitant le commerce, les libertés individuelles
capacité de nomination si représentative que                      et l’opinion citoyenne. Par conséquent, les
la vigilance des fonctions de l’une et l’autre                    réformes amorcées au xx e siècle montrent la
branche du pouvoir est liée à la gratitude pour                   préoccupation d’ouvrir des espaces inclusifs de
avoir été nommé, qu’elle empêche complète-                        participation, au moyen de la consolidation du

4
     Le cas récent du magistrat Jorge Pretel, ex-président de la Cour constitutionnelle, la dénonciation de quelques
législateurs en raison des pressions subies pour en finir avec le Conseil supérieur de la magistrature, ou même l’actuel
projet de réforme politique dans la recherche de l’équilibre des pouvoirs, constitue un échantillon déterminant de
l’importance de mener à bon terme ces transformations.

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      régime démocratique et en donnant la possibi-                    « Après plus de 200 ans, il est clair que la
      lité au peuple de contrôler les dirigeants élus.           séparation des pouvoirs publics n’est pas une
            La Constitution de 1991 est plus démo-               garantie suffisante contre les abus, pas plus
      cratique. En reconnaissant la souveraineté po-             que l’énumération détaillée des pouvoirs du
      pulaire, elle permet aux délégués du peuple                détenteur de l’autorité. Ce qui manque, c’est
      de convoquer l’Assemblée constituante. La                  d’attribuer aux citoyens et de créer des méca-
      Colombie est un état de droit social, puisque la           nismes leur permettant d’exercer de manière
      forme de gouvernement est le régime présiden-              pacifique, ordonnée et directe par les voies
      tiel dans lequel le centre du pouvoir politique de         institutionnelles, à tout moment et en tout
      l’État s’exerce à travers le président. Cependant,         lieu. C´est précisément ce que fait une Charte
      le président n’est pas le seul maître du pouvoir,          des droits et des devoirs comme celle que nous
      puisqu’il existe un système d’autonomie relative           soumettons à l’étude de cette Assemblée :
      des branches du pouvoir public. Le Congrès et le           transférer le pouvoir au citoyen ordinaire pour
      président sont élus au suffrage universel, de sorte        que, lorsqu’il sera traité arbitrairement, celui-ci
      qu’ils bénéficient de l’approbation du peuple co-          puisse avoir une autre issue que l’agression, la
      lombien, ce qui en fait un régime démocratique.            protestation incendiaire ou la résignation sou-
      Le président a le titre de chef de l’État, chef du         mise et aliénante. Ce que nous proposons, et
      Gouvernement, chef de l’Administration pu-                 ce qui est juste dans une démocratie, c’est que
      blique et chef des Forces armées ; il peut aussi           le citoyen puisse se présenter devant un juge,
      nommer ses ministres et secrétaires d´État qui             devant le défenseur des droits de l’homme ou
      l’accompagneront durant son mandat.                        devant la juridiction constitutionnelle dirigée
            Conformément à l’article 190 de la                   par la Cour constitutionnelle (Journal officiel
      Constitution colombienne, « Le président                   constitutionnel numéro 1, 1991 : 17-18) »
      de la République est élu pour une période de               (Guzmán, 2011, p.37).
      quatre ans, par la moitié plus une voix que les                  Noam Chomsky, dans « Fear of Democra-
      citoyens déposent, de manière secrète et di-               cy », souligne un fragment de l’histoire dans
      recte, à la date et selon les modalités fixées par         laquelle il reconnaît, avec une fermeté extrême,
      la loi (…). Si aucun des candidats n’obtient               l’importance d’autonomiser le peuple, en rai-
      de majorité absolue lors du premier tour, un               son de son caractère souverain, pour empêcher
      second tour aura lieu trois semaines après la              l’État d’exerce un pouvoir arbitraire contre lui.
      participation des deux candidats ayant obtenu
      le plus de voix ; l’élu est celui qui aura obtenu                 « Un État despotique peut contrôler son enne-
      le plus grand nombre de voix. » (Constitution              mi interne au moyen de la force, mais quand l’État
      politique, art. 190).                                      perd son arme, d’autres dispositifs sont requis pour
            Dans un discours prononcé devant l’As-               empêcher les masses ignorantes de s’immiscer dans
      semblée constituante, César Gaviria a évoqué               les affaires publiques, ce qui ne les regarde pas (…) le
      les velléités ardentes exprimées par le peuple             problème de « mettre le public à sa place » est passé
      colombien :                                                au premier plan avec ce qu’un historien dénomme « le

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La politique extérieure de la Colombie…
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premier grand éclatement de pensée démocratique                   tine et des Caraïbes » (art. 9 de la Constitution
dans l’histoire » la révolution anglaise du XVIIe siècle.         politique de 1991).
Cet éveil de la plèbe en général a suscité le problème                  Dans l’article 189, « Il incombe au Pré-
de savoir comment contenir la menace. Les idées li-               sident de la République, en qualité de Chef
bertaires des démocrates radicaux étaient considérées             d’État, chef de gouvernement et Autorité ad-
comme offensantes par les gens respectables. Ces idées            ministrative suprême de :
favorisaient l’éducation universelle, la garantie des                   1. Nommer et révoquer librement les mi-
soins de santé et la démocratisation de la loi, ce qui            nistres du Cabinet et les directeurs des services
était perçu comme menaçant puisqu’elles cherchaient               administratifs.
à soulever la plèbe (…) contre les hommes de grande                     2. Diriger les relations internationales.
valeur du royaume afin de les entraîner dans des as-              Nommer les agents diplomatiques et consu-
sociations et des combinaisons envers l’un et l’autre             laires ; recevoir les agents respectifs et conclure
(…) contre tous les lords, la bourgeoisie, les ministres,         avec d’autres États et entités de droit inter-
les avocats et les hommes riches et pacifiques (…)                national des traités et des accords qui seront
redoutables étaient les travailleurs et les prédicateurs          soumis à l’approbation du Congrès.
itinérants qui en appelaient à la liberté et à la démo-                 3. Diriger la force publique et en disposer
cratie. (…) il n’y aura jamais de monde juste tant que            à titre de Commandant suprême des Forces
les lois seront faites pour nous par des hommes et des            armées de la République (…)
messieurs qui sont élus dans la peur et ne font que                     4. Garantir la sécurité extérieure de la
nous opprimer, dans l’ignorance des maux du peuple »              République, en défendant l’indépendance et
(Chomsky, 1997, pp. 342-343).                                     l’honneur de la Nation ainsi que l’inviolabilité
                                                                  du territoire ; déclarer la guerre sur autorisa-
La Colombie est un pays constitutionnelle-                        tion du Sénat ou la faire sans l’obtention d’une
ment présidentialiste qui exploite l’image du                     telle autorisation pour repousser une agression
président de la République. Les fonctions du                      étrangère ; et convenir et ratifier les traités de
président consistent à traiter de sujets ayant                    paix dont il rendra immédiatement compte
trait aux relations internationales et à préser-                  au Congrès (…)
ver la sécurité internationale. En plus de cela,                        5. Nommer les présidents, directeurs ou
le Président peut mettre en place des accords                     gérants des établissements publics et natio-
internationaux sur approbation du Congrès.                        naux et les personnes qui doivent exercer des
      La Constitution de 1991 propose dans                        fonctions publiques dont la nomination n’est
son article 9 que « (...) les relations extérieures               pas sur concours ou ne correspond pas à celle
de l’État reposent sur la souveraineté nationale,                 d’autres fonctionnaires ou sociétés, conformé-
le respect de l’autodétermination des peuples                     ment à la Constitution ou à la loi. Dans tous les
et la reconnaissance des principes du droit                       cas, le Gouvernement a le pouvoir de nommer
international acceptés par la Colombie. De                        et de destituer librement ses agents (art. 189 de
même, la politique étrangère de la Colombie                       la Constitution politique de 1991).
s’orientera vers l’intégration de l’Amérique la-
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           En Colombie, la prise de décisions est                du mieux possible ; en plus de cela, l’organi-
      orientée par le modèle politique qui régit le              sation du programme mené par le président
      pays, c’est-à-dire le régime présidentiel. Ce              est essentielle pour obtenir de bons résultats ;
      système consiste en une division du pouvoir                il s’agit donc d’un critère dont il faut aussi
      étatique en trois branches, exécutive, législative         tenir en compte dans l’évaluation du travail
      et judiciaire, dans lesquelles chacune assume              présidentiel.
      des fonctions particulières, tout en encoura-
      geant la coopération mutuelle, en créant une               II. LE PRÉSIDENT EN TANT QUE
      interdépendance nécessaire au fonctionne-                  CHEF DE GOUVERNEMENT
      ment efficace de l’État. Le système présidentiel
      colombien a établi que, quel que soit le pré-              Le modèle présidentiel ne place pas seulement
      sident élu, il sera chef de Gouvernement, c’est-           le président à la tête de l’État, lui donnant, de
      à-dire la personne chargée des objectifs et de la          manière indépendante, le pouvoir décisionnel
      politique intérieure du pays, et simultanément             en matière de politique étrangère du pays, mais
      chef de l’État, c’est-à-dire le représentant de la         aussi à la tête du Gouvernement, de sorte que
      souveraineté du pays à l’étranger chargé, par              celui-ci doit agir selon les besoins de la nation
      là même, de la prise des décisions en matière              en tant que telle, dans le but d’atteindre les
      de politique étrangère du pays.                            objectifs que celui-ci propose de donner au
                                                                 pays en interne. Les décisions qu’il prend sur
      I. LE PRÉSIDENT EN TANT QUE CHEF D’ÉTAT                    le plan externe doivent donc strictement être
                                                                 prises à partir de la politique interne, dans la
      Le système présidentiel colombien lui confé-               mesure où elles auront des répercussions sur
      rant la faculté de chef d’État, il est considéré           cette dernière et concerneront directement la
      comme le représentant de la souveraineté in-               population.
      ternationale ; c’est lui qui a le pouvoir de prise              Un élément supplémentaire de discussion
      de décisions en ce qui concerne la politique               correspond à l’un des jugements les plus déter-
      étrangère du pays. Cependant, il est évalué                minants, décisifs et étudiés par Thoreau, dans
      non seulement par les membres du gouverne-                 son essai sur la « Désobéissance civile » où il
      ment colombien, mais aussi par des experts en              commence par dire :
      affaires politiques. Ainsi, certains critères ont
      été établis, à partir desquels la mise en place                   « De grand cœur, j’accepte la devise : ‘Le mei-
      de la politique étrangère est évaluée. L’un des            lleur gouvernement est celui qui gouverne le moins‘ et
      aspects les plus importants réside dans le fait            j’aimerais que celle-ci soit mise en pratique de manière
      que le président, lorsqu’il doit agir, doit avoir          plus rapide et plus systématique. Mais en l’accomplissant,
      une idée claire de l’orientation qu’il va donner           elle se ramène à ceci auquel je crois également, à savoir
      à la politique à mener et sa conception, pour              que ‘le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne
      que, à l’heure de résoudre les problèmes qui               point’ et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera
      affectent le pays, il soit capable de les gérer            ce genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouverne-

                              OA S IS , IS S N: 1657-7558, E-ISSN: 2346-2132, N° 29, Enero - J uni o d e 2019, pp. 155-1 7 4
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