LES FORCES D'OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L'OTAN DANS L'ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ CONTEMPORAIN
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COMMISSION DE LA DÉFENSE ET DE LA SÉCURITÉ (DSC) Sous-commission sur l'avenir de la sécurité et des capacités de défense (DSCFC) LES FORCES D'OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L'OTAN DANS L'ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ CONTEMPORAIN Projet de rapport révisé par Madeleine MOON (Royaume-Uni) Rapporteure 169 DSCFC 18 F | Original : anglais | 16 octobre 2018 Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission de la défense et de la sécurité, il ne représente que le point de vue de la rapporteure.
TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION ......................................................................................................... 1 II. OPPORTUNITÉS ET DÉFIS POUR LES SOF................................................................ 5 III. LES SOF DANS L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ INTERNATIONAL CONTEMPORAIN ....................................................................................................... 6 IV. LES SOF ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE ............................................................. 11 V. CONCLUSIONS : VOIES À SUIVRE POUR LES PARLEMENTAIRES DES PAYS DE L’OTAN .............................................................................................................................. 14 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 16
169 DSCFC 18 F I. INTRODUCTION 1. Les forces d’opérations spéciales (SOF) de l’OTAN exécutent toute une gamme de missions essentielles dans l’environnement de sécurité international complexe actuel. Par exemple, une coalition de forces spéciales internationales apporte son soutien aux forces locales dans la lutte contre Daech. Les SOTG (d’autres groupes d’opérations spéciales) ont été intégrés, dans toute la région du Moyen-Orient et de l’Afrique, à l’appui des forces afin de permettre à celles-ci de donner la priorité aux tactiques, techniques et procédures de petites unités ainsi qu’aux opérations militaires. Au-delà de la lutte contre l’extrémisme violent, les SOF de l’OTAN s’emploient aussi à aider les pays membres à garder une longueur d’avance sur les menaces croissantes émanant de pays concurrents de niveau quasi égal. 2. Extrêmement spécialisées tout en présentant l’avantage de laisser une faible empreinte, les forces spéciales peuvent être considérées comme un instrument de précision à la disposition des États qui s’efforcent d’exécuter toute une série de tâches difficiles dans un environnement opérationnel de plus en plus exigeant et au-delà. Par ailleurs, comme cela sera décrit dans ce projet de rapport, elles offrent de nombreux autres avantages pour ce qui est d’atteindre des objectifs politiques à moindre coût et leur taux de réussite est relativement élevé. 3. Une part importante du paysage de sécurité international actuel et futur se situe dans une zone grise de concurrence entre l’OTAN et ses principaux rivaux. Ces eaux troubles qui bordent le seuil de la guerre ne constituent pas un terrain sur lequel l’OTAN peut véritablement mettre à profit ses points forts. L’existence de forces spéciales de l’OTAN solides, aptes au combat et interopérables s’inscrira en tant qu’élément essentiel dans le cadre d’une stratégie appliquée par l’Alliance tout entière en vue de relever ce défi. 4. Le quartier général des opérations spéciales de l’OTAN (NSHQ) permet aux pays membres et les pays partenaires de l’Alliance de coopérer plus efficacement, notamment en matière de formation et de planification, bien qu’il serait encore possible d’en faire bien plus aux niveaux de l’Alliance et de chaque pays membre pour renforcer la résilience et améliorer la connaissance de la situation. Le NSHQ manque toujours de ressources nécessaires pour accomplir le nombre croissant de tâches qui lui sont assignées. Plus généralement, tous les Alliés cherchent à développer des forces d’opérations spéciales de plus en plus aptes au combat et efficaces de manière à affiner leur connaissance de la situation et leurs capacités de réaction. Néanmoins, et en dépit des efforts déployés, les travaux de recherche effectués montrent que la plupart des SOF alliées n’ont ni la taille ni les ressources suffisantes pour faire face à l’accélération du rythme des tâches qui leur sont assignées, en particulier celles qui nécessitent une intervention stratégique efficace hors d’Europe. En veillant à ce que les forces spéciales nationales bénéficient de moyens financiers appropriés pour les rendre aptes à leurs tâches dans l’environnement de sécurité contemporain, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer si l'on veut remédier à ce problème. 5. Ce projet de rapport fait le point sur le rôle nouveau et dynamique que les forces spéciales jouent aujourd’hui dans les domaines des opérations, de l’entraînement et de la planification. Son but ultime est de mieux faire comprendre aux législateurs des pays membres de l’OTAN ce qu’une utilisation accrue des SOF signifie en termes de coûts et d’avantages dans un environnement de sécurité exigeant. Comme il ressort clairement du présent projet de rapport, les parlementaires doivent réfléchir sérieusement au rôle et à l’utilisation des SOF, comprendre les obstacles qui se posent à une coopération interagences appropriée, sachant qu’une telle coopération est nécessaire pour pouvoir faire face aux problèmes cruciaux que sont notamment le financement et la supervision opérationnelle. 1
169 DSCFC 18 F Définition des SOF : que font les SOF concrètement ? 6. De par leur nature même, les forces spéciales sont destinées à mener des missions de sécurité complexes et dynamiques. Elles sont censées innover suffisamment rapidement pour garder une longueur d’avance face aux défis de sécurité les plus ardus auxquels tout État pourra un jour se trouver confronté. Si elles représentent aujourd’hui une composante indispensable des forces armées dans la majorité des pays de l’Alliance, leurs devoirs et leurs tâches sont souvent mal compris. Dans la doctrine alliée interarmées pour les opérations spéciales de l’OTAN, les SOF sont définies comme engagées dans des « activités militaires menées par des forces spécialement désignées, organisées, sélectionnées, entraînées et équipées, utilisant des techniques et des modes d’action non conventionnels ». Plus de détails sont donnés dans le reste de la définition : « Ces activités pourront être menées dans toute la gamme des opérations militaires, pour aider à atteindre le résultat final escompté. Des considérations politico-militaires pourront nécessiter de recourir à des techniques clandestines ou secrètes, et d’accepter un certain niveau de risque politique ou militaire non associé à des opérations menées par des forces conventionnelles. Les opérations spéciales fournissent des résultats au niveau stratégique ou opérationnel, ou sont exécutées lorsqu’il existe un risque politique majeur ». 7. Les principales tâches des forces spéciales sont classées en trois grandes catégories : assistance militaire (MA), reconnaissance spéciale (SR), action directe (DA) – ces types de mission sont communs aux SOF de tous les pays membres de l’OTAN. 8. L’assistance militaire consiste en des activités de formation et d’entraînement, de conseils, et de soutien aux partenaires (le plus souvent dans la zone de responsabilité du partenaire). La MA est souvent fournie par la puissance alliée jusqu’à ce que le partenaire soit en mesure d’assumer seul les activités concernées. Les activités de MA peuvent toutefois déboucher sur des interactions fructueuses en apportant de nouveaux enseignements/nouvelles informations dans un domaine intéressant à la fois les tâches de SR et de DA. Les tâches de reconnaissance spéciale sont essentiellement des activités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) servant à renseigner des secteurs ou des types de missions extrêmement dangereuses, se déroulant dans des environnements hostiles, ou politiquement sensibles. L’action directe peut être définie comme toute action prise par les SOF alliées, depuis les opérations de frappe de précision et les exécutions ciblées jusqu’aux arrestations de criminels de guerre, etc. conformément à ce qu’exige l’exécution d’une mission. 9. Par ailleurs, les forces spéciales jouent souvent un rôle clé dans différents types d’autres tâches allant de la lutte contre l’insurrection, contre le terrorisme ou contre les risques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) aux opérations de sauvetage/libération d’otages. Les forces d’opérations spéciales modernes 10. L’année 2001 a marqué le début d’une ère nouvelle pour les SOF dans tous les pays de l’Alliance. Après le 11 septembre, les États-Unis ont augmenté les capacités SOF et en ont fait leur fer de lance de la guerre mondiale contre le terrorisme. Ce rôle de premier plan des forces spéciales a eu deux conséquences principales : premièrement, les succès opérationnels enregistrés par les SOF états-uniennes ont considérablement amélioré leur réputation et la perception de leur utilité ; et deuxièmement, face au succès de ce recours accru aux forces spéciales, de nombreux Alliés ont suivi l’exemple états-unien en améliorant et en développant leurs propres capacités SOF. 11. L’efficacité des forces spéciales états-uniennes dans les opérations de lutte contre le terrorisme et contre l’insurrection (CT/CI) a rapidement suscité de nouveaux investissements, poussant Washington à augmenter les dépenses de défense pour pouvoir renforcer les effectifs et les capacités de ses forces spéciales. Ces dépenses ont été multipliées par près de cinq entre 2001 et 2016, passant de 2,3 à 10,4 milliards de dollars (Naylor, 2016). Alors que dans le monde, la menace terroriste reste élevée, les États-Unis ont de plus en plus recours aux SOF pour des 2
169 DSCFC 18 F missions et des opérations. Durant les 200 premiers jours de la présidence Trump, par exemple, plus de 100 opérations ont été menées sous le commandement des opérations spéciales des États-Unis (USSOCOM), soit cinq fois plus que durant les 200 derniers jours de la présidence Obama (Zenko, 2017). 12. À l’instar des États-Unis, de nombreux pays européens disposent de forces d’opérations spéciales modernes bien entraînées, efficaces et dynamiques et l’attention portée à ces forces ne fait qu’augmenter. Parmi les grandes forces militaires européennes, personne ne sera surpris d’apprendre que le Royaume-Uni comme la France bénéficient d’une longue tradition s’agissant de la mise en place et du déploiement de forces d’opérations spéciales pour toute une palette de tâches allant de l’action directe à la reconnaissance spéciale à l’assistance militaire. Depuis 2001, ces deux pays, qui sont des partenaires essentiels des États-Unis dont ils soutiennent les initiatives de lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale, assument des rôles de chefs de file dans des régions du monde telles que la Libye, l’Iraq, la Syrie, le Mali et au-delà. Dans leur propre pays comme à l’étranger, la France et le Royaume-Uni se sont révélés non seulement comme des innovateurs clés en matière de SOF mais également comme des contributeurs essentiels aux opérations et missions de formation des Alliés. 13. Au-delà des évolutions constatées au sein des grandes puissances militaires de l’OTAN, l’attention accrue accordée aux SOF modifie également les structures de forces de nombreux autres pays alliés de taille plus petite ou moyenne et leurs contributions aux missions et tâches de l’OTAN. L’Espagne, la Norvège et la Lituanie sont d’excellents exemples illustrant cette tendance. La diversité de taille, d’emplacement géographique et de perspectives de la menace prouve l’existence d’une tendance grandissante, dans toute l’Alliance, qui est d’investir dans des SOF modernes dynamiques et innovantes. 14. Les forces spéciales espagnoles évoluent rapidement, selon les informations obtenues par une délégation de la sous-commission sur l'avenir de la sécurité et de capacités de défense (DSCFC) de l'AP-OTAN lors d’une récente visite en Espagne. L’Espagne a commencé, il y a peu, à augmenter ses dépenses de défense tandis qu’une revue de la structure de ses forces effectuée en 2016 a débouché sur la réorganisation des brigades de son armée en vue d’une meilleure déployabilité, grâce à des formations mécanisées et à des forces d’opérations spéciales plus efficaces (Mix, 2018). La plus grande importance accordée aux SOF fait suite à la création, en 2014, du commandement des opérations spéciales interarmées, qui cherchait à organiser des forces d’opérations spéciales dans toutes les branches des forces armées espagnoles (Villarejo, 2016). En outre, l’Espagne a créé une quatrième force d’opérations spéciales, appelée Grupo de Operaciones Especiales (GOE), accroissant par là même sa capacité à déployer ses SOF à l’étranger. Par ailleurs, c’est le commandement des opérations spéciales (SOCOM) de l’Espagne qui dirige actuellement la composante Opérations spéciales de la Force de réaction de l’OTAN (NRF) 2018. 15. Le commandement des opérations spéciales norvégien (NORSOCOM), établi en 2014, place les deux unités SOF norvégiennes (NORSOF) sous un nouveau commandement autonome, ce qui permet à celles-ci de mettre en œuvre une approche plus globale pour s’attaquer à des problèmes aussi complexes que les tactiques de guerre hybride ou l’extrémisme violent. Les NORSOF, qui sont désormais une branche militaire indépendante, se situent à un niveau équivalent de l’armée et de la marine norvégiennes (Deblanc-Knowles, 2015). En 2016, le NORSOCOM a signalé son intention de mettre en place une composante aérienne des opérations spéciales (SOAC). Au titre des acquisitions annoncées pour 2017-2025, la Norvège va également investir dans des technologies C4ISR1 plus avancées (Ministère de la défense de la Norvège, 2017). Le pays a accueilli en octobre et en novembre l’édition 2018 de l’exercice Trident Juncture de l’OTAN, qui représente un test majeur pour la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF), au sein de laquelle les forces spéciales alliées jouent un rôle clé. 1 C4ISR : commandement, contrôle, communication, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance. 3
169 DSCFC 18 F 16. Comprenant les limites de ses forces conventionnelles, la Lituanie a accordé une importance plus grande à ses unités tactiques des forces d’opérations spéciales de manière à créer une capacité de réaction militaire plus polyvalente et plus flexible (Andriskevicius, 2014). En 2014, la Lituanie a affecté 2 500 militaires à une composante de réaction rapide des forces armées lituaniennes (LAF). Doter les LAF d’une composante SOF de réaction rapide doit permettre de réagir avec diligence en cas de situation d’urgence hybride, situation à laquelle les forces conventionnelles seraient certainement trop lentes à répondre. La Lituanie accueille par ailleurs l’exercice annuel Flaming Sword qui réunit les SOF des pays membres et des pays partenaires de l’OTAN. La valeur de l’exercice se situe au niveau de la priorité qu’il accorde au renforcement de l’interopérabilité des SOF alliées en réponse à un incident hybride circonscrit dégénérant rapidement en conflit conventionnel plus large. 17. Comme le montrent clairement les exemples de l’Espagne, de la Norvège et de la Lituanie, l’environnement de sécurité international d’après 2014 recentre la priorité de l’Alliance dans son ensemble sur le développement de SOF modernes. Certains Alliés commencent par ailleurs à élargir le rôle accordé aux femmes dans leurs rangs. Le rôle croissant des femmes au sein des SOF 18. Bien que le sujet continue de prêter à controverse, l’intégration des femmes dans les SOF s’est avérée apporter de réels avantages à la poignée de pays ayant commencé à intégrer des femmes dans leurs rangs. L’heure étant à l’affectation d’unités SOF à une large gamme de missions, l’intégration des femmes dans ces unités fournit aux États membres de l’OTAN de nouvelles capacités opérationnelles précieuses sur le théâtre. Par exemple, en 2014, les forces spéciales norvégiennes ont créé les Jegertroppen, un programme de formation de forces spéciales exclusivement féminines, axé sur la surveillance et la reconnaissance. De hauts responsables norvégiens font observer qu’en Afghanistan, le recueil du renseignement et la consolidation des relations, qui sont des aspects essentiels des opérations de lutte contre le terrorisme, sont entravés par la composition exclusivement masculine des unités SOF car cela les empêche d’interagir avec les femmes dans une population locale conservatrice. En dehors de l’Afghanistan, ces capacités se sont également révélées utiles en Iraq, en Syrie et au large des côtes somaliennes au cours de missions de lutte contre la piraterie (Korpela, 2016). 19. Dès 2017, le 75e régiment de rangers de l’armée états-unienne avait vu la première femme rejoindre l’unité SOF après avoir satisfait aux exigences du programme 2 d’évaluation et de sélection des rangers. Ce rôle croissant attribué aux femmes est également illustré par le fait que deux femmes ont intégré l’école militaire Army Ranger School après que les États-Unis eurent ouvert tous les rôles de combat aux femmes (Tzemach Lemmon, 2017). Néanmoins, ni les forces navales ni les forces aériennes n’ont jamais vu aucune femme satisfaire aux difficiles exigences standard d’admission en leur sein, bien que des femmes y soient recrutées à des fins de formation (Swick et Moore, 2018). 20. Si le Canada compte quelques femmes au sein de ses effectifs SOF, le pays s’emploie actuellement à élargir les capacités opérationnelles que les femmes peuvent fournir aux forces spéciales canadiennes. De hauts responsables canadiens font observer que la participation accrue de SOF féminines permettra une plus grande flexibilité dans l’exécution des opérations, soulignant notamment que la présence d’équipes mixtes attirera moins l’attention, lors d’opérations, que celle d’équipes entièrement masculines (Brewster, 2018). 4
169 DSCFC 18 F II. OPPORTUNITÉS ET DÉFIS POUR LES SOF 21. Les efforts déployés par l’OTAN pour s’adapter à la situation d’après 2014 peuvent être regroupés autour de deux défis majeurs : la Russie et l’extrémisme violent d’inspiration djihadiste. Le fait d’appréhender ces défis en tant que pôles distincts cherchant à saper la paix et la sécurité des populations et des territoires des pays membres de l’Alliance, masque la complexité des menaces qu’ils posent. À plus long terme, l’OTAN devra trouver les moyens d’adapter sa structure de forces et ses politiques de manière à défendre les populations et les territoires des pays alliés à la fois contre ses rivaux de niveau quasi égal, tels que la Russie et la Chine, et contre des acteurs non étatiques à l’affût de faiblesses exploitables dans les politiques de consensus et d’engagement des Alliés. 22. La Russie est un pays révisionniste hostile aux accords politiques, économiques et de sécurité dictés par la communauté euro-atlantique en Europe. Enhardie par ses récents progrès au niveau de ses capacités militaires conventionnelles, la Russie se montre de plus en plus agressive dans ses acrobaties avec les pays occidentaux sur les plans politique, économique et de la sécurité. Mais la Russie est loin de représenter une menace strictement conventionnelle, pouvant être contrée grâce au calcul du juste dosage entre systèmes de défense conventionnel, nucléaire, aérien et antimissile. En réalité, la Russie pose aussi toute une série de défis asymétriques, dont certains s’apparentent plus souvent à des agissements de groupes armés non étatiques et de réseaux criminels qu’à celles d’États modernes. 23. Aujourd’hui, les organisations terroristes exploitant des motifs religieux représentent un problème de sécurité majeur pour tous les pays membres de l’Alliance. Le nombre de ressortissants européens et nord-américains commettant des actes violents au nom d’idéologies extrémistes d’inspiration djihadiste augmente. Cela teste les limites des forces de police nationales et plonge la société civile dans une profonde tourmente (Vidino, et al., 2017). Les services secrets ont évalué à 5 000 le nombre d’Européens à s’être empressés de rejoindre Daech après son ascension rapide en 2014 ; on s’attend à ce qu’environ 1 500 d’entre eux tentent désormais de rentrer chez eux (Renard et Coolsaet, 2018). 24. Mis sous pression par les campagnes militaires actives menées contre eux en Syrie, en Iraq, en Libye et en Afghanistan, les chefs de Daech encouragent leurs sympathisants à frapper partout où ils peuvent et avec tous les moyens dont ils disposent. En conséquence, les agressions impromptues à l’arme blanche et les attaques au véhicule-bélier ont représenté le plus grand nombre d’attentats réussis ces dernières années. Une étude a permis de recenser 51 attentats commis par des loups solitaires en trois ans, de juin 2014 à juin 2017 (Vidino, et. al., 2017). 25. Dans de nombreux conflits à travers le monde, de l’Afghanistan à l’Afrique de l’Ouest en passant par le Moyen-Orient, des groupes armés d’inspiration djihadiste sèment la terreur dans les États faibles et provoquent le déplacement massif de populations locales qui, pour un grand nombre d’entre elles, viennent grossir les rangs de réfugiés et les flux de migrants rejoignant la Turquie, l’Europe et, après avoir traversé l’océan Atlantique, le Canada et les États-Unis. De nos jours, les groupes terroristes internationaux d’inspiration djihadiste, comme Daech, ont également recours à des méthodes et à des stratégies davantage apparentées à celles d’acteurs étatiques : occupation de territoire, taxation des civils, mise en place de forces de combat de type conventionnel plus structurées, etc. Ainsi, ces groupes ont un impact d’autant plus profond sur le terrain dans les sociétés déchirées par la guerre et qui s’efforcent de trouver un moyen de favoriser la réconciliation politique et sociale. Les groupes djihadistes transnationaux, les groupes armés locaux non étatiques, et les loups solitaires utilisent tous des tactiques terroristes, profitant d’une position de relative faiblesse pour venir jouer les trouble-fêtes et semer la peur et le doute quant à la capacité de l’ordre politique en place de maintenir la paix et la sécurité. 26. Cette gamme complexe de menaces force les dirigeants politiques et les conseillers politiques à élargir leur compréhension de la sécurité d’une façon nouvelle – tandis qu’ils s’efforcent de trouver 5
169 DSCFC 18 F les instruments de puissance nationale adéquats (sur les plans diplomatique, de l’information, militaire, économique, financier, du renseignement, et de l’application des lois – dénommés DIME-FIL) pour répondre aux objectifs à court et à long termes visant à maintenir la paix et la sécurité des populations dont la responsabilité leur incombe en dernier ressort. Les tactiques de déstabilisation sans recours à la guerre : la zone grise et la compétition entre rivaux de niveau quasi égal 27. Élargir notre compréhension de la sécurité est rendu d’autant plus difficile que bon nombre des menaces qui se posent à l’OTAN aujourd’hui se situent à l’intérieur de ce que de nombreux universitaires, et de plus en plus de responsables politiques, appellent la zone grise. À mi-chemin entre la guerre et la paix, la compétition dans la zone grise reste hors de l'application de l'article 5. Ce terme englobe toute la myriade de tactiques de déstabilisation pouvant être utilisées en vue de prendre l’avantage sur un adversaire sans provoquer de conflit conventionnel. Dans la zone grise, les acteurs étatiques et non étatiques « ont recours aux menaces, à la coercition, à la cooptation, à l’espionnage, au sabotage, à la pression politique et économique, à la propagande, aux outils électroniques, à des techniques clandestines, au démenti, à la menace de l’usage de la force, et à l’usage de la force pour faire avancer leurs projets politiques et militaires » (Roberts, 2016). 28. Tout État, ou autre acteur quel qu’il soit, essayant de mettre à mal un État a le choix entre deux options stratégiques fondamentales s’agissant de concevoir des cadres défensifs : l’alignement (à l’instar de ce qu’ont fait les États-Unis et l’URSS durant la guerre froide) ou la compensation, c’est-à-dire investir dans – et exploiter – les capacités nécessaires pour réduire l’avantage du concurrent (Goldman, 2011). 29. Étant donné la supériorité conventionnelle et (pour le moment encore) technologique des pays membres de l’OTAN, et des États-Unis en particulier, les adversaires des Alliés affûtent leurs capacités dans la zone grise et y effectuent leurs investissements. Ce que recherchent les adversaires de l’OTAN en procédant ainsi, ce sont des moyens de déstabilisation autres que la guerre, applicables aux niveaux politique, social, économique et de sécurité. En conséquence de quoi, les préoccupations liées à une large palette de perturbateurs potentiels allant des attentats terroristes à l’ingérence électorale et aux campagnes de désinformation modifient la conception que tous les pays membres de l’OTAN ont de la défense ou de la dissuasion aujourd’hui. 30. Vu leur entraînement, leur formation et leur dynamisme opérationnel dans tout un éventail de tâches, les forces spéciales ont de plus en plus tendance à être considérées comme un élément clé par rapport au type de défense, de dissuasion et de connaissance situationnelle dont les Alliés ont besoin pour faire face aux menaces émanant de l’éventail de plus en plus large de problèmes de sécurité auxquels l’OTAN doit faire face aujourd’hui. III. LES SOF DANS L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ INTERNATIONAL CONTEMPORAIN Les SOF alliées et la lutte contre le terrorisme 31. Comme mentionné plus haut, les SOF sont devenues de facto l’instrument militaire choisi pour mener la campagne internationale de lutte contre le terrorisme au lendemain des attentats du 11 septembre. Les deux principaux types de déploiement des SOF sont : les missions directes pour détecter, surveiller, neutraliser les capacités terroristes essentielles, obtenir des preuves de leur existence, leur porter un coup d’arrêt ou les détruire ; et les méthodes indirectes, qui impliquent souvent la formation, la fourniture de conseils et d’une assistance dans le cadre de missions de forces partenaires (à la fois étatiques et non étatiques). À l’ère de la guerre mondiale contre le terrorisme, tant les missions directes qu’indirectes ont été extrêmement fructueuses. Les exemples abondent pour illustrer ces succès. Dans le cas de l’Iraq, les efforts déployés par les forces de la coalition pour poursuivre al-Qaida entre 2005 et 2011 ont certes, décimé leurs capacités, mais ils 6
169 DSCFC 18 F ont permis d’éviter une guerre interconfessionnelle, et partant de sauver un nombre incalculable de vies civiles. Par ailleurs, on peut faire valoir le fait que la formation, les conseils et l’assistance délivrés par les forces spéciales iraquiennes durant la même période se sont avérés être la raison essentielle qui a permis à Bagdad de ne pas tomber durant les heures les plus sombres de l’assaut mené par Daech contre le pays en 2014. L’opération lancée par les États-Unis pour cerner et éliminer Oussama ben Laden a permis, dans une certaine mesure, de panser le traumatisme des attentats du 11 septembre. 32. Les SOF prévalent dans l’environnement actuel de lutte contre le terrorisme pour une simple et bonne raison : leur efficacité à atteindre des objectifs opérationnels avec les moyens les plus adaptés aux besoins de chaque mission. Néanmoins, les responsables politiques devraient veiller à ne pas abuser de leur utilisation et se méfier du décalage à long terme entre politique et stratégie qu’un recours excessif risquerait d’entraîner. Les problèmes potentiels liés à la stratégie à long terme de lutte contre le terrorisme et au recours aux SOF – l’exemple de Daech et des talibans 33. De nombreuses opérations menées par les Alliés récemment en recourant abondamment aux SOF devraient appeler l’attention sur une caractéristique essentielle liée à leur emploi : les opérations spéciales s’inscrivent presque toujours dans le cadre d’un objectif stratégique plus large, nécessitant le soutien d’autres instruments militaires de pouvoir, mais aussi d’instruments nationaux par exemple économiques et politiques. Si les SOF peuvent contribuer au succès sur le plan tactique, les objectifs stratégiques plus larges nécessitent l’investissement d’efforts et une volonté politique plus soutenus. Il arrive cependant parfois que des pays déploient leurs SOF pour capturer ou éliminer des cibles de « haute valeur » au sein d’une organisation terroriste spécifique, dans le but de précipiter la chute de cette organisation ou sa tombée en désuétude. 34. Comme l’ont montré des études, les stratégies portant sur des cibles de haute valeur n’ont pas été aussi efficaces qu’espéré (Long, 2016). En dépit des efforts déployés pour priver les groupes de leurs chefs et de leurs puissants chefs intermédiaires, ou pour affaiblir leur pouvoir, cette stratégie est largement inefficace en raison de la stratégie organisationnelle des groupes. En effet, les groupes fortement institutionnalisés, comme le sont les talibans, ont montré qu’ils étaient en mesure d’absorber rapidement les chocs touchant la structure de leur commandement. 35. Par ailleurs, les groupes ayant été fragilisés par l’application d’une stratégie de capture et d’élimination de cibles de haute valeur, comme l’a été Daech, ont trouvé les moyens de se réorganiser, de reconstituer leurs ressources et de réémerger. Étant donné que l’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL) a perdu son territoire, le groupe reviendra à ce que les groupes terroristes armés semblent tous faire aujourd’hui : s’employer à se regrouper en pratiquant un mélange de terrorisme international et régional pour faire survivre leur cause, préserver leur raison d’être puis réapparaitre. Malheureusement, les conditions prévalant aujourd’hui sur le terrain en Iraq et en Syrie semblent continuer d’offrir un terrain favorable à une résurrection du groupe. 36. De plus, il convient de noter que l’élimination de cibles à l’extérieur du champ de bataille officiel pose d’évidents problèmes de légalité et de droits humains. Cette question est au centre du débat mené actuellement aux États-Unis sur la nécessité d’obtenir une nouvelle autorisation pour pouvoir recourir à la force militaire. Par ailleurs, le fait que les points de vue divergent sur la question de savoir s’il s’agit, ou non, d’exécutions extrajudiciaires, alimente les spéculations et la méfiance dans les médias sociaux, sans parler de la propagande diffusée par les mêmes organisations terroristes que celles combattues par nos forces nationales. 7
169 DSCFC 18 F A. L’UTILISATION DES SOF PAR LA RUSSIE 37. La Russie a recours aux SOF pour déstabiliser et fragiliser son voisinage proche dans le but de maintenir son influence et son contrôle sur les développements politiques dans ces régions, l’exemple le plus récent étant celui de l’annexion de la Crimée. L’annexion de la Crimée par la Russie et son ingérence continue en Ukraine 38. Comme évoqué par cette commission dans son rapport de 2015 sur La guerre hybride : un nouveau défi stratégique pour l’OTAN [166 DSC 15 F bis], l’ingérence russe en Ukraine, et l’annexion de la Crimée qui a suivi, ont représenté un exemple illustrant la manière dont tous les éléments du pouvoir d’État russe se sont combinés pour donner un résultat stratégique à court terme. Les forces spéciales russes ont joué un rôle clé dans la capacité de Moscou à tricher, déstabiliser puis s’emparer d’un territoire appartenant à l’Ukraine. 39. Durant les premiers mois de 2014, la société civile ukrainienne s’est livrée à une lutte ouverte pour son avenir. Elle avait le choix entre rester sous la sphère d’influence russe ou continuer de se rapprocher de la communauté euro-atlantique par le biais d’une association plus étroite avec l’UE et l’OTAN. À la fin du mois de février 2014, Moscou a décidé de tenir un exercice-surprise de grande envergure mobilisant quelque 150 000 soldats, ce qui a permis de détourner l’attention des actions russes en Crimée. Rapidement, une cyberattaque à grande échelle a été lancée contre des institutions publiques et privées ukrainiennes, suivie par une manœuvre de guerre électronique consistant à brouiller les systèmes de communication des institutions criméennes. Cette attaque électronique a permis d’isoler la péninsule de Crimée de Kiev, afin qu’elle ne parvienne pas à établir de réponse coordonnée. Des forces spéciales russes non identifiées se sont alors infiltrées, s’emparant d’installations militaires et gouvernementales essentielles dans toute la péninsule. La Russie a également eu recours à une campagne de désinformation et à des manœuvres diplomatiques pour parvenir à imposer un référendum factice sur l’indépendance. Toutes les tactiques utilisées ont fait en sorte d’éviter de justesse la guerre tout en obtenant le résultat politique souhaité. 40. La Russie poursuit son ingérence en Ukraine. Le maintien en puissance et l’entraînement des forces insurgées à l’est de l’Ukraine est un excellent exemple de mission d'assistance militaire menée par la Russie. Le soutien apporté par Moscou aux forces supplétives bloque la capacité de Kiev de contrôler l’ensemble du territoire ukrainien et nuit donc aux efforts déployés par l’Ukraine pour poursuivre ses projets d’intégration euro-atlantique. Parmi les moyens non militaires employés pour déstabiliser Kiev, on citera : l’utilisation ou le contrôle de ressources naturelles pour exercer une pression économique et politique, les cyberattaques, le recours aux réseaux criminels, etc. Tout cela, sous un déluge permanent de propagande, de dezinformatzia et d'infox pour désancrer la perception de la vérité au sein de la population en faisant circuler différentes versions de tel ou tel événement d’actualité et allant même jusqu'à réinterpréter le passé récent ou le long passé historique. 41. Il ressort clairement de ce qui précède que la Russie conçoit ses forces militaires, et ce faisant ses SOF, comme un soutien à tous ses éléments de puissance nationale, et qu’elle les utilise pour réaliser ses objectifs de grande stratégie. Cela diffère grandement de la conception de l’Alliance. En effet, les Alliés semblent estimer que le déploiement de leurs forces doit servir à défendre leurs instruments de pouvoir nationaux. Ceci engendrera de manière permanente un déséquilibre et une faiblesse stratégiques face à la Russie. En d’autres termes, l’OTAN continue de réagir aux actions de la Russie plutôt qu’à les anticiper. 8
169 DSCFC 18 F Les réponses de l’OTAN face à l’environnement de sécurité en mutation – quel rôle pour un effort coordonné des SOF ? 42. L’OTAN répond au défi russe par le biais de toute une série d’initiatives visant à actualiser sa posture de défense et de dissuasion depuis 2014. Elle a renforcé sa présence dans les territoires de l’est avec la présence avancée rehaussée et la présence avancée adaptée. L’Alliance s’emploie aussi à coordonner sa dissuasion le long du flanc méridional par le biais d’initiatives telles que le pôle pour le sud, situé à Naples. La capacité à réagir et à renforcer les forces alliées en cas d’urgence a également été consolidée grâce à la restructuration de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), l’élargissement de la structure de commandement, le lancement d’une initiative pour la disponibilité opérationnelle et l’adoption d’un plan de facilitation de la zone de responsabilité du SACEUR. 43. D’une manière plus générale, toutefois, l’établissement de nouvelles missions et opérations, de nouveaux centres d’excellence de même que l’extension de la structure de l’Alliance fait partie intégrante de l’impulsion donnée pour que tous les Alliés s’engagent dans ce qui a été appelé l’approche à 360 degrés en matière de sécurité. Il s’agit pour l’essentiel d’un appel lancé aux Alliés pour qu’ils fassent preuve de résilience dans tous les domaines (y compris cybernétique), qu’ils prennent conscience que les situations de sécurité évoluent rapidement autour d’eux et qu’ils aient la capacité d’y répondre, et enfin, qu’ils projettent la stabilité à l’étranger au travers de partenariats. 44. C’est pourquoi une question clé se pose, celle de savoir comment l’OTAN s’emploie à coordonner l’entraînement et l’interopérabilité des SOF des Alliés pour pouvoir exécuter l’éventail de plus en plus large de tâches auxquelles elles doivent faire face alors que l’Alliance est en train de développer sa nouvelle posture de défense et de dissuasion. B. ÉVOLUTION DU RÔLE DES SOF AU SEIN DE L’OTAN2 45. En 2010, les Alliés ont établi un NSHQ, destiné à être un quartier général permanent pour la coordination plutôt qu’un commandement des opérations spéciales de l’OTAN. Le NSHQ a pour rôle principal de coordonner le développement des capacités SOF et l’interopérabilité pour les pays membres et les pays partenaires de l’OTAN3. Un support essentiel des efforts du NSHQ est représenté par l’école des SOF de l’OTAN, qui fournit un entraînement et une formation permettant aux SOF des pays membres et partenaires de l’OTAN « d’améliorer leurs capacités et leur interopérabilité ». L’école propose actuellement 27 cours différents à ses résidents, axés sur le développement professionnel, les études opérationnelles, le renseignement et les opérations d’exploitation technique, le développement des capacités aériennes des SOF et sur la formation médicale théorique et pratique des SOF. 46. Au-delà des pays membres de l’OTAN, les progrès actuels du NSHQ avec les partenaires concernent essentiellement des programmes dotés d’importants moyens financiers en Ukraine, en Géorgie et en Tunisie. Si le NSHQ juge bénéfique l’élargissement des programmes de développement des partenaires, cela ne représente toujours pas une priorité politique pour l’OTAN. 2 Les informations fournies ci-après découlent d’un certain nombre d’entretiens ou de séances d’information que l’auteur et le personnel de la commission de la défense et de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) ont eus avec des commandants SOF des pays de l’OTAN au NSHQ, des membres de la conférence des commandants du NSHQ, et avec le personnel de la fondation internationale SOF. Toute erreur éventuelle ou interprétation erronée relèverait de notre propre fait. 3 Pour cette tâche, le NSHQ peut largement s’appuyer sur le système de recueil et d’exploitation des informations du champ de bataille (BICES). Actuellement, tous les pays partenaires SOF et approuvés de l’OTAN peuvent accéder à toutes les informations communicables disponibles dans BICES, les partager entre eux et collaborer à leur sujet. 9
169 DSCFC 18 F Les SOF de l’OTAN et l’adaptation d’après 2014 47. Comme mentionné plus haut, un élément essentiel de la réponse apportée par l’OTAN à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a été la restructuration de la NRF via le plan d’action « réactivité » (RAP), dont le but était d’augmenter les effectifs de la Force de réaction à 40 000 soldats et de les rendre plus flexibles et plus adaptables, afin de garantir renforcement rapide et mobilité. Le RAP a également donné lieu à la création de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) en tant que fer de lance de la NRF, capable de déployer une brigade de 5 000 hommes dans un délai de 2 à 7 jours à la périphérie de l’Alliance. 4 Depuis cette réforme, la NRF contient des composantes air, terre, mer ainsi que des unités de forces d’opérations spéciales. 48. Le rôle principal du NSHQ au sein de la NRF est la coordination du développement des capacités des SOF alliées pour permettre aux pays de réaliser le plan de rotation à long terme au titre de la NRF, y compris former les commandements de composante Opérations spéciales (SOCC) de la NRF et les groupes de travail (et unités) qui en dépendent. Étant donné que la formation d’un SOCC est le rôle le plus difficile qu’aient à remplir les pays de l’Alliance, le NSHQ dispose d’un programme spécifique pour l'élaboration à partir de zéro d'un SOCC de la NRF, qui consiste en une approche structurée sur cinq ans visant à développer la capacité d’un pays à fournir un SOCC. Le programme comprend une formation théorique et pratique, des exercices et une évaluation. Selon les besoins, le programme pourra également prévoir l’assistance de l’OTAN pour la fourniture de systèmes d’information et de communication (SIC) et d’autres capacités facilitatrices qu’un pays ne sera peut-être pas en mesure de financer seul. 49. Alors que l’OTAN continue d’adapter sa posture de défense et de dissuasion, les SOF alliées ont un rôle déterminant à jouer. Le NHSQ cherche à passer de la capacité opérationnelle de commande et de contrôle mentionnée plus haut à la fourniture d’une capacité stratégique de forces spéciales de théâtre. En tant que composante SOF de théâtre, le NSHQ se liera plus étroitement avec le directeur du bureau des opérations spéciales au SHAPE pour fournir des avis stratégiques et synchroniser les forces spéciales sur l’ensemble du théâtre à un niveau situé au-dessus des commandements de forces interarmées opérationnelles. Vers une régionalisation des SOF de l’OTAN ? 50. Aujourd’hui, il y a une volonté de porter le commandement, le contrôle et la planification à un niveau régional via l’extension du réseau des SOCC. Ces SOCC régionaux pourraient être configurés en fonction des communautés linguistiques, des liens géographiques ou historiques, ou des capacités. Cela se traduirait par une coordination des capacités SOF de pays membres dans telle ou telle région pour tirer parti de missions communes, afin d’obtenir une représentation de la situation régionale plus précise. Les SOCC régionaux multinationaux regrouperaient alors leurs résultats pour établir une synthèse du renseignement plus complète des développements hybrides, quels qu’ils soient, observés sur le territoire de l’Alliance, pour compilation en une représentation coordonnée à Bruxelles. La capacité de disposer de plus de ressources et opérant à l’échelle régionale est un atout essentiel pour augmenter la connaissance situationnelle et l’aptitude de l’Alliance à détecter des scénarios hybrides et à y réagir, ce qui, d’une certaine manière, permettrait de mettre de l’ordre dans la confusion qui peut régner dans la zone grise. 51. Un autre grand facteur de motivation à la régionalisation des SOF de l’OTAN provient du fait que les forces ont du mal à fournir le nombre requis de SOCC par niveau d’ambition. Étant donné que de nombreux pays manquent encore de ressources et de capacités, ça n’est pas encore aujourd’hui que pourront être constituées des SOCC conjointes, avec des rôles individualisés pour 4 Cette commission a examiné plus en détails l’impact de cette décision dans le rapport de 2015 [167 DSCFC 15 F bis], intitulé Le plan d’action « réactivité » de l’OTAN : assurance et dissuasion pour la sécurité après 2014, de Xavier Pintat (France). 10
169 DSCFC 18 F chaque pays, dans le but de former un réseau plus fort et plus résilient. Face à ce problème, certains pays réagissent déjà en conséquence. Par exemple, la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas ont signé, en juin 2018, un mémorandum d’entente sur la création d’un commandement conjoint de composante Opérations spéciales (C-SOCC). La capacité opérationnelle initiale de ce C-SOCC devrait être atteinte en 2019 et sa capacité opérationnelle totale en 2021 (OTAN, 2018). Exercices des SOF alliées organisés récemment 52. On constate également un mouvement allant dans le sens d’une plus grande coordination des exercices et des entraînements des SOF alliées. Par exemple, en 2016, les unités SOF de l’OTAN se sont entraînées ensemble durant l’exercice Cold Response. Conscients du fait que l’Arctique est devenu une nouvelle arène potentielle de compétition stratégique, 14 pays membres et pays partenaires de l’OTAN ont mené des exercices en Norvège, dans le but de renforcer les capacités des équipes SOF de l’OTAN pour les opérations par temps froid. 53. En juin 2018 a eu lieu l’exercice Trojan Footprint 18, dirigé par l’USSOCOM en Europe, auquel ont participé les forces d’opérations spéciales de 13 pays membres et pays partenaires de l’OTAN. L’exercice Trojan Footprint a lieu tous les deux ans. L’édition 2018 était axée sur « le déploiement rapide des SOF en cas de crise, l’établissement de structures de commandement de mission multinationales et l’intégration de SOF et de forces conventionnelles ». Trojan Footprint 18, qui s’est déroulé sur les territoires de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne, a fait intervenir des moyens aériens et navals (Weisman, 2018). Comme mentionné plus haut, Trident Juncture 2018 se déroule principalement en Norvège, mais certains éléments de scénario supplémentaires ont lieu en Suède, en Finlande, en Islande, en mer du Nord et en mer Baltique. L’exercice, qui met en scène d’importants éléments de forces spéciales, est conçu pour tester les composantes de la VJTF en vue de leur certification dans le cadre de la réforme de la NRF. IV. LES SOF ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE 54. Comme évoqué précédemment, les SOF peuvent jouer un rôle important dans la zone grise, située entre guerre et paix. Néanmoins, cette zone grise étant intrinsèquement vague et utilisée pour justifier une vaste gamme d’activités, les préoccupations de redevabilité vont croissant. 55. Ces préoccupations de redevabilité se manifestent de deux manières différentes. Premièrement, les forces spéciales n’ont traditionnellement pas besoin de l’approbation parlementaire pour des déploiements spécifiques. Deuxièmement, les gouvernements mentionnent généralement les opérations réussies mais gardent sous silence celles qui ont échoué. En conséquence de quoi la population pense que les opérations SOF sont plus fiables qu’elles ne le sont en réalité, du fait d’une utilisation sélective des données. 56. Pour de nombreuses raisons évidentes, les opérations SOF sont avant tout caractérisées par leur nature secrète. Mais, si les unités SOF relèvent en principe du même système de justice militaire que les troupes régulières, le caractère secret des opérations qu’elles mènent fait que les tribunaux sont souvent incapables d’accéder aux dossiers complets, y compris à l’identité du personnel. Dès lors, dû au manque d’informations relatives aux opérations, il est compliqué de poursuivre le personnel pour fautes graves, négligence ou pire encore. Il n'est également pas facile pour les parlementaires de s'assurer que le personnel des SOF bénéficient de la formation, de l'équipement et du leadership nécessaires pour faire face à d'éventuelles erreurs, ce qui leur est essentiel pour améliorer les bonnes pratiques. 57. Un bref aperçu du rôle que plusieurs parlements de pays membres jouent au niveau de la supervision de leurs forces spéciales à travers leurs politiques de sécurité nationales permet de faire ressortir toute la série d’approches adoptées pour instaurer un contrôle démocratique sur les forces spéciales dans tous les pays de l’Alliance. 11
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