Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH

 
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Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux
et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo

              Commission Justice et Paix
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
Carte du Congo
Capitale: Brazzaville           Principales exportations:Pétrole, Budget: US$4.515 milliards
Superficie: 341,500 sq km       Bois de construction              Dépenses d’éducation: 1.9% de
Population: 4.01 million        PIB (PPA): $15.35 milliards*      PIB (2005)
Espérance de vie: 54.1 années   PIB par habitant: $3,900*         * 2008, estimation. Source: The CIA World Factbook, 2009.

Couverture: Centrale thermique au charbon, Eggborough, UK. ©Greenpeace/Steve Morgan; 2.Zone d’exploration des sables bitumineux, Dionga,
Kouilou, Congo; 3. Étang de résidus des sables bitumineux contenant des déchets toxiques, Canada. ©Greenpeace / Eamon Mac Mahon
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
Résumé

Au sommet du G8 de cette année, les principales économies                     Les communautés locales affectées par la production de
et les producteurs d’énergie ont reconnu que résoudre les                  pétrole se plaignent depuis longtemps de l’inaction des
questions interdépendantes de l’investissement dans l’én-                  compagnies et du gouvernement en matière de lutte contre
ergie, de l’accès et de la disponibilité énergétiques, et de la            les impacts de l’exploitation pétrolière. Les niveaux de tor-
lutte contre le changement climatique représentait le défi                 chage du gaz sur le vaste gisement de pétrole onshore de
majeur pour leurs pays. Ils ont également promis des                       M’Boundi, désormais exploité par Eni, sont extrêmement
mesures décisives pour lutter contre la pauvreté énergétique               élevés (actuellement plus de 1 milliard de mètres cubes par
dans laquelle la plupart des citoyens du monde vivent                      an) et posent un risque sanitaire et environnemental depuis
encore, ce phénomène étant particulièrement frappant en                    des années. Le torchage du gaz est non seulement une viola-
Afrique, où deux tiers des ménages de la zone subsaharienne                tion du droit à la santé, mais aussi un énorme gaspillage de
n’ont pas accès à un approvisionnement sûr en énergie.                     ressources, et un contributeur majeur aux gaz à effet de serre
                                                                           (GES). Eni envisage de transformer le gaz en électricité, ce
   La République du Congo (Brazzaville) est l’un des pays où               qui constituerait une initiative bienvenue, mais cela ne
l’accès énergétique est très insuffisant. Le Congo est un petit            devrait pas empêcher la compagnie de remédier aux impacts
pays d’Afrique centrale où 70% de la population vit en                     actuels du torchage du gaz sur les communautés. On ignore
dessous du seuil de pauvreté, malgré les richesses                         par ailleurs dans quelle mesure la centrale apportera satis-
pétrolières du pays. En plus d’être le cinquième producteur                faction aux consommateurs congolais privés d’énergie, et
de pétrole d’Afrique sub-saharienne, le Congo bénéficie de                 quels seront son mode de gestion et sa structure de finance-
forêts d’une grande biodiversité qui couvrent les deux tiers               ment. Eni a également l’intention de demander des crédits
du pays. La forêt du Bassin du Congo est à la fois une                     de réduction des émissions par le biais du Mécanisme de
ressource majeure pour les populations locales et un gigan-                développement propre de l’ONU pour son projet d’électric-
tesque puits de carbone qui joue un rôle de plus en plus vital             ité; cette démarche est très problématique pour plusieurs
dans la protection de notre climat. Toutefois, le Congo                    raisons, notamment parce que l’usine pourrait fournir l’én-
affiche des performances extrêmement médiocres en                          ergie nécessaire au développement d’un projet de sables
matière de protection environnementale et de droits de                     bitumineux susceptible de produire de fortes émissions.
l’homme ainsi que de gestion transparente de ses ressources
naturelles. À l’heure actuelle, aucune réglementation envi-                   Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et le
ronnementale n’y est en vigueur. Malgré cela, le gouverne-                 palmier à huile sont intrinsèquement à haut risque. Dans
ment congolais souhaite prendre un rôle leader dans la ges-                d’autres parties du monde, ce type d’investissements a été
tion des ressources globales du Bassin.                                    fortement critiqué pour avoir causé des dommages sociaux
                                                                           et environnementaux, à la fois localement et globalement.
   Eni, l’ancienne compagnie pétrolière italienne d’État, est              L’extraction de goudron ou de bitume et sa transformation
l’une des dix premières entreprises énergétiques au monde.                 en brut synthétique nécessitent de grandes quantités d’eau
L’État italien détient encore 30% de ses actions. Eni a entre-             et d’énergie. Dans la province canadienne de l’Alberta, le
pris un nouvel investissement de plusieurs milliards de dol-               seul lieu où sont exploités les sables bitumineux à l’heure
lars au Congo dans le développement des sables bitu-                       actuelle, cette activité a entraîné l’épuisement et la pollution
mineux, de l’huile de palme pour l’alimentation, du bio-                   de l’eau, avec des impacts sur la santé des communautés, la
diesel et de l’électricité alimentée par le gaz. Son projet de             déforestation de la forêt boréale canadienne et la destruc-
sables bitumineux serait le premier en Afrique, et celui des               tion de l’habitat. La production d’un baril de sable bitu-
agro-carburants, l’un des plus importants du continent. Eni,               mineux est 3 à 5 fois plus intensive en termes d’émissions
qui affiche la plus grande présence en Afrique en tant que                 de GES que la production d’un baril de pétrole classique. Le
compagnie pétrolière, tient à instaurer des partenariats de                Canada affiche désormais le taux d’émissions par habitant le
longue durée avec des pays tels que le Congo et ce, au-delà                plus élevé des pays du G8, et il est de plus en plus critiqué
du secteur énergétique. Par ailleurs, la société est actuelle-             pour son inaction face au changement climatique. De nom-
ment classée comme la première compagnie pétrolière et                     breux groupes de la société civile, résidents autochtones
gazière « durable » au monde et s’attache à promouvoir ses                 locaux et scientifiques appellent à un moratoire sur les nou-
qualités écologiques.                                                      veaux investissements dédiés aux sables bitumineux.

   La teneur des accords conclus entre Eni et le gouverne-                    L’investissement dans des plantations en régime de
ment congolais n’a pas été divulguée. Des travaux de                       monoculture de palmiers à huile et d’autres cultures devant
recherche ont révélé que le public ignorait quasiment tout                 servir à la production d’agro-carburants, encouragé par des
de ces investissements au Congo. Ni Eni ni le gouverne-                    objectifs mis en place par les gouvernements nationaux et
ment n’a impliqué les citoyens congolais, que ce soit au                   l’Union européenne, est une cause de la déforestation qui
niveau local ou national, dans une discussion sur les                      représente environ 20% des émissions mondiales de gaz à
impacts potentiels – qu’ils soient d’ordre fiscal, social ou               effet de serre. En remplaçant les forêts tropicales et autres
environnemental – des projets. Cela va à l’encontre des                    écosystèmes, les plantations en régime de monoculture
propres politiques d’Eni en matière d’environnement et de                  entraînent une grave perte de biodiversité. Les modifica-
droits de l’homme.                                                         tions de l’utilisation des terres qu’elles entraînent sont

                                      AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo   3
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
également associées à une insécurité alimentaire accrue, à                 sur les exportations et sont réalisés dans des zones
des conflits fonciers, à des atteintes aux droits de l’homme et            écologiquement risquées et dans un pays où la transparence
à des menaces pour les populations autochtones.                            et la protection des droits de l’homme sont faibles. Compte
                                                                           tenu notamment de la nécessité urgente de remédier au
   Les risques posés par les investissements d’Eni sont                    changement climatique croissant et d’améliorer l’accès des
aggravés par le déficit de gouvernance au Congo, le manque                 plus pauvres à un approvisionnement énergétique, la collab-
de transparence et de consultation communautaire, et la                    oration du gouvernement congolais à ces projets diminue la
sensibilité écologique de la région. Eni a déclaré publique-               crédibilité de sa candidature en tant que gardien du Bassin
ment qu’aucun des investissements ne porterait sur des                     du Congo. Le gouvernement italien est le premier action-
zones de forêt tropicale ou d’autres zones de grande biodi-                naire de la compagnie. Étant donné son rôle de supervision
versité, et n’entraînerait aucune délocalisation de popula-                et ses engagements internationaux, il lui incombe de s’as-
tion. Pourtant, les études menées par l’entreprise elle-même               surer que tout investissement d’Eni tient compte des
révèlent que la zone d’exploration des sables bitumineux                   impacts potentiels sur le développement, les droits de
comprend jusqu’à près de 70% de forêts primaires et                        l’homme et l’environnement.
d’autres zones de haute biodiversité. Elle comprend égale-
ment des zones peuplées. Aucune information claire n’est                      En conclusion, il apparaît de plus en plus clair que cer-
disponible sur les technologies d’extraction et de traitement              taines formes d’investissements énergétiques nouveaux (à la
qu’emploierait Eni, et il est impossible de prévoir ses                    fois sous forme de combustibles fossiles et d’énergies dites
impacts sur les ressources en eau et en énergie du pays.                   « renouvelables ») sont particulièrement dommageables
                                                                           pour l’environnement local, les communautés et notre cli-
   L’investissement d’Eni met en question les revendications               mat. Pour ces raisons, ils devraient être considérés comme
de la société selon lesquelles elle serait un acteur du                    posant un risque trop important pour être menés à bien – en
développement durable. Il soulève également des questions                  particulier dans les pays en développement à très faible gou-
plus générales quant aux coûts sociaux et environnemen-                    vernance politique et environnementale. Les plans d’Eni
taux inhérents au développement de ce type d’investisse-                   visant à développer les sables bitumineux et la culture du
ments qui produisent une forte teneur en carbone, sont axés                palmier à huile au Congo tombent dans cette catégorie.

                                      AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo   4
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RECOMMANDATIONS

      À l’attention d’Eni et du gouvernement congolais                          public, dans son Rapport sur la durabilité, des informa-
                                                                                tions détaillées par projet sur les émissions de gaz à effet de
          Étant donné le risque élevé de dommages environ-                      serre et sur la façon dont les investissements d’Eni con-
      nementaux et sociaux irréversibles, annuler l’investisse-                 tribuent aux engagements du gouvernement italien envers
      ment dans les sables bitumineux destiné à la production de                la réduction des émissions de GES.
      pétrole et dans les palmiers à huile.
          Imposer un moratoire sur le projet de bitume destiné au               À l’attention des actionnaires d’Eni
      revêtement des routes jusqu’à ce que ses risques sociaux et
      environnementaux potentiels soient complètement éval-                        Demander instamment à la direction d’Eni de mettre en
      ués et que les communautés locales aient donné leur con-                  œuvre toutes les recommandations relatives aux investisse-
      sentement libre, préalable et informé au projet.                          ments de la compagnie au Congo et à l’ensemble de son
          Divulguer les modalités fiscales de tous les accords                  portefeuille, comme cela est stipulé ci-dessus.
      signés entre le gouvernement congolais et Eni en relation                    Soutenir la mise en place d’un moratoire sur tout
      avec ses trois investissements (sables bitumineux,                        investissement supplémentaire par Eni dans le développe-
      palmiers à huile et centrale électrique) et de tout accord de             ment des sables bitumineux et la production industrielle
      financement lié à tous les aspects des projets, y compris                 d’agro-carburants.
Eni   les avenants.
          Divulguer l’accord de producteurs indépendants                        À l’attention de la Fondation Eni
      d’électricité (IPP) signé par le gouvernement congolais et
      Eni, et les accords d’achat d’électricité (PPA) conclus par le                Inclure des représentants indépendants de la société
      gouvernement avec Eni ou toute tierce partie.                             civile dans les structures de supervision de tout pro-
          Divulguer les structures de gouvernance et de partici-                gramme de développement social et développer un plan
      pation de la CEC et de la centrale existante à Djeno, y com-              d’engagement des parties prenantes qui soit transparent et
      pris l’Accord particulier M’Boundi.                                       mesurable afin de garantir une participation communau-
          Publier toutes les études de base, évaluations des                    taire à la conception et à l’exécution des programmes.
      impacts sociaux et environnementaux (EISE) et évalua-                         Procéder à une évaluation indépendante de la ges-
      tions de l’impact sanitaire (EIS) liées aux projets d’in-                 tion et des impacts du programme de santé, avec un
      vestissement dans leur ensemble et aux infrastructures                    audit indépendant des dépenses, y compris des fonds
      connexes (pipelines).                                                     transitant par la Fondation Congo Assistance, et publier
          Divulguer l’intégralité de l’EIS menée par Eni et des                 les résultats.
      données épidémiologiques sous-jacentes relatives aux
      impacts du torchage du gaz à M’Boundi, ainsi que toutes                   À l’attention du gouvernement congolais
      autres études, et faciliter l’évaluation indépendante du tor-
      chage du gaz à M’Boundi.                                                      Respecter ses engagements en vertu des conventions
          Divulguer les mesures d’atténuation en cours de plan-                 internationales relatives aux droits de l’homme et des
      ification en matière de torchage du gaz et instituer un                   traités environnementaux dont il est partie, et notam-
      processus de consultations sérieuses sur ces mesures                      ment son engagement, en vertu de la Constitution congo-
      avec les communautés affectées, y compris un processus                    laise, à protéger la santé publique, le droit à un environ-
      d’indemnisation.                                                          nement sain et durable et à garantir une indemnisation
                                                                                adéquate en cas de destruction et de pollution causées
      À l’attention d’Eni                                                       par l’activité économique.
                                                                                    S’engager à revoir les lois existantes régissant l’indem-
         Imposer un moratoire sur tout nouvel investissement                    nisation afin de les rendre conformes aux meilleures pra-
      dans le développement des sables bitumineux et sur toute                  tiques internationales, et veiller en particulier à mettre en
      production industrielle d’agro-carburants.                                place une indemnisation adéquate pour toutes les pertes
         Mettre en œuvre toutes les recommandations for-                        des produits de subsistance et les terres expropriées du fait
      mulées par Amnesty International en ce qui concerne les                   de l’exploitation du pétrole et des infrastructures connexes.
      opérations de la compagnie pétrolière au Nigeria, dans ses                    Élaborer un plan national de gestion consacré à l’appli-
      opérations au Congo et l’ensemble de son portefeuille d’in-               cation des lois forestières et à la protection d’autres zones
      vestissements. Faciliter notamment un examen indépen-                     de haute biodiversité comme les marécages, et publier les
      dant des processus de gestion environnementale de la                      conclusions de l’examen du secteur forestier produit en
      compagnie, réviser entièrement les pratiques d’engage-                    vertu de son accord d’allégement de la dette dans le cadre
      ment communautaire et s’assurer de la surveillance du                     de l’initiative des PPTE.
      processus de l’engagement communautaire.                                      Divulguer tout contrat conclu avec Eni ou toute autre
         Faire du consentement libre, préalable et informé                      société concernant la location de terres en vue de la pro-
      (CLPI) une condition de tous les projets d’investissement                 duction d’agro-carburants ou de tout autre projet connexe
      dans les pays en développement, en particulier dans ceux                  dans le secteur des agro-carburants.
      où la protection des droits de l’homme et de l’environ-                       Divulguer toutes les études menées par l’État sur l’util-
      nement est faible, comme c’est le cas au Congo.                           ité publique de la continuation du torchage du gaz selon le
         Rendre compte aux actionnaires et divulguer au grand                   décret 2007/294.

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Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
RECOMMENDATIONS

À l’attention du gouvernement italien                                       Rendre compte au public de la façon dont les
                                                                         investissements d’Eni dans les pays en développement
    Divulguer dans leur intégralité les informations qu’il               contribuent au développement, à la réduction de la pau-
détient sur les impacts environnementaux du torchage du                  vreté et aux objectifs de sécurité énergétique dans le
gaz sur le gisement de M’Boundi au moment de l’achat par                 cadre de l’UE et d’autres accords internationaux ratifiés
Eni de sa participation majoritaire en 2007, et du                       par le gouvernement italien.
développement des sables bitumineux au moment où Eni
a signé ses accords avec le Congo (mai 2008).                            À l’attention du conseil d’administration du Mécanisme
    S’assurer de la réalisation d’une enquête annuelle sur               de développement propre
les émissions de gaz à effet de serre des activités d’Eni par
projet et de la publication des résultats dans son Rapport                  Exclure du MDP tout projet dont les impacts globaux
sur la durabilité, y compris de la façon dont les investisse-            résultant d’activités de projets associés augmenteraient les
ments contribuent à la réduction des émissions au titre                  émissions de gaz à effet de serre et nuiraient aux critères de
des obligations de l’UE et d’autres accords internationaux               développement durable.
ratifiés par le gouvernement italien.

                                    AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo   6
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
TABLE DES MATIÈRES
   Carte du Congo                                                                                                                                                2
   Résumé                                                                                                                                                        3
   Recommendations                                                                                                                                               5

 1 Introduction                                                                                                                                                  8
   1.1 Les accords d’Eni avec la République du Congo                                                                                                            10

 2 Défis à notre modèle énergétique                                                                                                                             11
   2.1 Nouvelles tendances énergétiques: le pétrole non conventionnel, une étape à ne pas franchir?                                                             13
   2.2 Nouvelles tendances énergétiques: des « énergies renouvelables » pas si renouvelables que cela...                                                        14
   2.3 Le changement climatique en Afrique                                                                                                                      14

 3 Contexte de l’investissement                                                                                                                                 16
   3.1 Gestion des ressources pétrolières congolaises                                                                                                           16
   3.2 Congo: la gestion des ressources forestières                                                                                                             17

 4 Sables bitumineux: l’expérience canadienne                                                                                                                   19
   4.1 Explosion écologique                                                                                                                                     19
   4.2 Extraction et valorisation                                                                                                                               20
   4.3 Coûts financiers des développements des sables bitumineux                                                                                                21
   4.4 Impacts sur les communautés                                                                                                                              21
   4.5 Émissions de gaz à effet de serre                                                                                                                        21
   4.6 Utilisation de l’eau et impacts                                                                                                                          22
   4.7 Pollution de l’air                                                                                                                                       22
   4.8 Impacts sur les terres                                                                                                                                   23
   4.9 Remise en état post-exploitation                                                                                                                         23

 5 Nouveaux investissements d’Eni: Développement des sables bitumineux au Congo                                                                                 24
   5.1 Impacts sociaux et environnementaux potentiels des sables bitumineux au Congo                                                                            24
   5.2 Évaluation de l’écologie de la zone du permis par Eni                                                                                                    25
   5.3 Zone d’exploration des sables bitumineux                                                                                                                 27
   5.4 Profil de risque des sables bitumineux congolais                                                                                                         29
       5.4.1 Extraction au lac Kitina                                                                                                                           30
       5.4.2 Extraction à Dionga                                                                                                                                30
       5.4.3 Valorisation                                                                                                                                       30
       5.4.4 Consommation d’énergie                                                                                                                             30
       5.4.5 Émissions de gaz à effet de serre                                                                                                                  30
       5.4.6 Questions auxquelles Eni devrait apporter des réponses                                                                                             30

 6 Nouveaux investissements d’Eni: Huile de palme pour l’alimentation et les agro-carburants                                                                    32

 7 Nouveaux investissements d’Eni: Production d’électricité à partir du torchage du gaz                                                                         35
   7.1 Mécanisme de développement propre                                                                                                                        36
   7.2 Le projet MDP d’Eni au Congo                                                                                                                             37

 8 Impacts des activités d’Eni sur les communautés locales                                                                                                      38
   8.1 Participation des communautés locales aux nouveaux projets d’Eni                                                                                         39
   8.2 Torchage de gaz – un risque sanitaire, climatique et énergétique                                                                                         41
   8.3 Torchage du gaz au Congo                                                                                                                                 42
   8.4 Politiques sociales et environnementales d’Eni – théorie et pratique                                                                                     43
   8.5 Performance sociale et environnementale d’Eni                                                                                                            45
       8.5.1 Kazakhstan – gestion des impacts lors du projet Kashagan                                                                                           45
       8.5:2 Dévastation sociale et environnementale au Nigeria                                                                                                 45

 9 Projets de développement social                                                                                                                              47

10 Conclusion                                                                                                                                                   48

   Notes de fin d’ouvrage                                                                                                                                       49
   Remerciements                                                                                                                                                54
   Addendum: Carte de la zone d’exploration des sables bitumineux (une page)                                                                                    56

                                    AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo    7
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
1        Introduction

La déforestation est une cause majeure du changement climatique.©Mauthe/Greenpeace

Lors du sommet du G8 de cette année, organisé par l’Italie,                  mais il s’agit aussi d’« un géant puits de carbone essentiel
les ministres de l’Énergie des grandes économies ont recon-                  pour la protection du climat »8. Toutefois, le Congo est
nu que « faire face aux questions interdépendantes ayant                     aussi un cas classique de la « malédiction des ressources » 9:
trait à l’investissement, à l’accès et à la disponibilité énergé-            malgré des décennies d’exploitation de sa richesse
tiques et au défi du changement climatique est essentiel                     pétrolière, le pays affiche de très faibles niveaux de
pour l’avenir de nos pays »1. En plus de s’être engagés à lim-               développement humain, et des niveaux élevés de répression
iter la hausse de la température mondiale à 2°C au-dessus                    et de corruption, avec un passé marqué par un conflit cen-
des niveaux préindustriels2, les gouvernements ont promis                    tré sur le contrôle du secteur pétrolier.
« une action décisive » afin d’aider le quart de la population
mondiale qui est privée d’énergie3.                                              En mai 2008, la compagnie énergétique Eni a annoncé un
                                                                             nouvel investissement de 3 milliards de dollars US au
  Cette pauvreté énergétique est particulièrement frap-                      Congo dans les sables bitumineux10, l’huile de palme pour
pante en Afrique, où près de deux tiers des foyers d’Afrique                 l’alimentation et le biodiesel et une centrale électrique ali-
sub-saharienne n’ont pas accès à un approvisionnement sûr                    mentée au gaz. Ancienne compagnie pétrolière italienne
en énergie4. C’est aussi le cas de pays riches en pétrole                    d’État, Eni se classe maintenant parmi les dix plus grandes
comme le Congo, un petit pays d’Afrique centrale où moins                    compagnies d’énergie du monde en termes de performanc-
du quart de la population a accès à l’électricité5.                          es financières11 et détient la plus grande présence en
                                                                             Afrique12, avec une part de marché de 1 million de barils
   Le Congo, en plus d’être le cinquième producteur de pét-                  (équivalent en pétrole) par jour et des réserves de 5 mil-
role d’Afrique sub-saharienne6, est également « le lieu de                   liards de barils13.
l’un des écosystèmes forestiers les plus riches et les plus
biologiquement importants de la planète ». Environ « 60%                        Aucune des modalités des accords signés entre Eni et le
du pays est couvert par les forêts tropicales, dont une                      gouvernement congolais n’est accessible au public en raison
grande partie est constituée de vastes étendues sauvages                     d’une clause de confidentialité14. Toutefois, si l’investisse-
intactes »7. Le Bassin du Congo est la deuxième plus grande                  ment se concrétise, il s’agira de la première exploitation de
zone de forêts tropicales au monde. Il est « d’une impor-                    sables bitumineux en Afrique et de l’un des plus gros
tance incalculable », en raison de sa biodiversité et en tant                investissements en agro-carburants sur le continent (voir p.
que ressource économique pour les populations locales,                       10). Cette transaction marque également un nouvel élan

                                        AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo   8
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
dans les activités d’Eni au Congo, où la société est présente
depuis 196815, produisant environ 64% du pétrole du pays16.
Le projet d’huile de palme est notamment décrit comme
s’inscrivant dans le cadre de l’initiative de « responsabilité
sociale » de la compagnie qui repose sur l’élaboration de
« nouveaux partenariats avec les pays impliqués dans le
secteur des hydrocarbures traditionnels, en proposant un
modèle de coopération à long terme pour les questions non
liées au secteur énergétique »17.

   Eni a récemment remporté plusieurs prix pour avoir
promu la durabilité dans son modèle d’activités – c’est même
la compagnie pétrolière et gazière la plus « durable » au
monde d’après l’indice Dow Jones18. Plus récemment, la
compagnie a annoncé fièrement que son PDG Paolo Scaroni
était « le seul Italien et le seul PDG de compagnie pétrolière »
à avoir pris la parole au Forum du Leadership des Nations
unies sur les changements climatiques à New York19. Scaroni
y a exhorté les délégués à saisir l’occasion offerte par les
prochaines négociations sur les changements climatiques à
Copenhague, proposé une taxe sur l’utilisation des com-
bustibles fossiles, admonesté les pays développés pour leurs
habitudes « gourmandes en énergie » et annoncé: « L’époque
où nous pouvions nous permettre de considérer le pétrole                    Le Premier ministre italien Silvio Berlusconi lors de la dernière
comme un intrant bon marché à la croissance économique et                   conférence de presse après la dernière réunion du G8.
sociale, sans tenir compte de son impact sur l’environ-                     G8website/PCM. Photo: Anticoli Livio
nement et sur les générations à venir, est révolue »20.

   Sécuriser l’approvisionnement énergétique pour permet-
tre aux économies industrialisées de fonctionner et aux pays
en développement d’assurer leur croissance et de réduire la
pauvreté, tout en respectant les droits de l’homme, en pro-
tégeant l’environnement et en réduisant les émissions qui                      L’investissement d’Eni va non seulement à l’encontre des
déstabilisent notre climat, tel est le principal défi que doit              bienfaits de la RSE de la compagnie, soulevant ainsi des
relever un monde sous emprise du carbone. Le problème                       questions quant à l’engagement réel de l’entreprise à être
peut notamment être envisagé de la manière suivante: la                     « un acteur du développement durable »22, en particulier
sécurité à long terme de l’approvisionnement ne peut être                   dans les pays africains producteurs de pétrole23. Il soulève
fondée que sur « le droit de chaque citoyen de disposer de                  également des questions plus globales sur les coûts sociaux
l’énergie nécessaire pour vivre dignement; cette énergie doit               et environnementaux inhérents au développement de ce
être produite de façon durable et en respectant les limites                 type d’investissements produisant de hautes teneurs de car-
écologiques », ce qui comprend le fait d’accorder la priorité               bone, tournés vers les exportations, et réalisés dans des
au contrôle et à la gestion décentralisés de l’énergie « par les            zones écologiquement risquées et dans des pays où la trans-
communautés et pour les communautés »21.                                    parence et la protection des droits de l’homme sont faibles –
                                                                            ce, d’autant plus qu’il s’agit d’une région où la menace du
   Les efforts visant à dynamiser de la part de tous les                    changement climatique vient s’ajouter aux défis déjà déli-
acteurs une action politique à cet égard sont essentiels, en                cats en matière de gouvernance. Comment les compagnies
particulier des grandes entreprises énergétiques mondiales,                 énergétiques et d’autres acteurs clés dotés d’un rôle de sur-
qui constituent le moteur de l’investissement. Pourtant, le                 veillance, tels que le gouvernement italien, (qui, dans le cas
présent rapport montre que l’investissement qu’Eni envis-                   d’Eni, détient une participation de 30% dans la société), se
age de faire au Congo n’est aucunement un pas dans le sens                  proposent-ils de gérer les risques inhérents à de tels projets?
de la durabilité énergétique. Au contraire, il pose un risque               Comment ces investissements concourent-ils à l’objectif de
extrêmement élevé vu les dégâts environnementaux et soci-                   lutte contre les problèmes interdépendants et incontrôlés du
aux qu’il pourrait engendrer, notamment en contribuant à                    changement climatique et de l’amélioration de l’accès des
dégrader encore plus notre climat.                                          plus pauvres à l’énergie?

                                       AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo   9
Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
1.1 Les accords d’Eni avec la République du Congo                       « des synergies résultant de la proximité des gisements
                                                                        pétrolifères de M’Boundi » car les gaz associés de ce gise-
Le 19 mai 2008, Paolo Scaroni a signé des protocoles d’ac-              ment serviront à la technologie « EST » (Eni Slurry
cord avec le ministre de l’Énergie de la République du                  Technology) utilisée dans l’usine de traitement du bitume
Congo, Bruno Itoua, pour un investissement projeté de 3                 extrait. Cela permettra aussi « d’atteindre l’objectif de
milliards d’euros sur plusieurs années24. Globalement, les              réduction des émissions atmosphériques tout en profitant
accords comportent 4 éléments:                                          de crédits au titre du Protocole de Kyoto »28.

Une nouvelle centrale électrique de 450 MW à proximité                  Un projet « nourriture plus biodiesel »: Eni et le gouverne-
du terminal pétrolier de Djeno. Une centrale thermique                  ment ont signé un protocole d’accord pour la culture du
au gaz d’une capacité de 25 MW, construite par Eni, est                 palmier à huile sur « environ 70 000 hectares inexploités
opérationnelle depuis 200225. La nouvelle centrale aura                 dans la région du Niari au nord-ouest du pays ». Cet
une capacité de 300 à 450 MW et, d’ici fin 2009, « con-                 investissement va produire « environ 340 000 tonnes par
tribuera à plus de 80% des besoins du pays en [électric-                an d’huile de palme brute, assez pour couvrir la demande
ité] » et, en outre, « assurera l’approvisionnement des                 alimentaire intérieure et produire 250 000 tonnes par an
clients industriels importants »26. La centrale sera                    de biodiesel. » L’excédent « sera destiné à la production de
exploitée par « une nouvelle société par actions détenue à              biodiesel à l’aide d’une technologie spécifique élaborée par
20% par Eni Congo et à 80% par la République du Congo.                  Eni dite Ultra-Bio-Diesel. Après une première phase pilote,
Elle sera alimentée par des gaz associés – produits lors de             la faisabilité de la construction d’une bio-raffinerie au
l’extraction de pétrole et qui sont actuellement brûlés ou              Congo sera envisagée »29.
« torchés » – sur le gisement pétrolier de M’Boundi
appartenant à Eni, et par la suite par les découvertes au               Des projets d’action sociale: 8,5M € seront consacrés à
large du permis Marine XII. « L’initiative bénéficiera des              « d’importantes initiatives sociales visant à améliorer la
crédits du Mécanisme de développement propre dans le                    santé infantile dans les zones rurales du Congo, promues et
cadre du protocole de Kyoto »27.                                        développées par la Fondation Eni, d’après l’accord signé en
                                                                        2007 entre Eni et le ministère congolais de la Santé, de la
Un permis d’exploitation des sables bitumineux dans                     Population et de la Famille et la Fondation Congo
deux secteurs (Tchikatanga et Tchikatanga-Makola)                       Assistance, une ONG locale »30.
« couvrant un total de 1790 km2 ». Le projet bénéficiera

                                   AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 10
2         Défis à notre modèle énergétique

Parc éolien dans la province du Guangdong, Chine.©Greenpeace/Canxiong

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), si notre                 role extra-lourd et les schistes bitumineux36, sont en aug-
consommation énergétique actuelle reste inchangée, les                     mentation. Dans l’ensemble, l’offre mondiale de pétrole non
combustibles fossiles représenteront 80% de notre bouquet                  conventionnel est appelée à augmenter, passant de 1,7 mb
énergétique d’ici 2030. Les énergies renouvelables (hors                   [millions de barils] par jour en 2007 à 8,8 mb par jour en
hydroélectricité) constitueront seulement 12% (une hausse                  203037 – soit environ 11% de la production totale de pétrole
de 1% par rapport aux niveaux actuels). En matière de                      en 2030. Plus de la moitié de cette augmentation proviendra
besoins globaux de transport, les bio- ou agro-carburants,                 de projets de sables bitumineux au Canada38.
selon les projections, contribueront dans ce scénario à 5%
du total31. L’Afrique deviendra un fournisseur de plus en                     Or ces sources sont plus difficiles et plus coûteuses à
plus important de pétrole et de gaz, avec 21% des réserves                 extraire, et beaucoup plus « sales », avec des émissions de
restantes de pétrole conventionnel32. Les exportations de                  gaz à effet de serre plus élevées. Même s’il était possible, sur
gaz venant de la région tripleront d’ici 203033.                           le scénario actuel de combustible fossile, de satisfaire la
                                                                           demande croissante d’énergie, peut-on se permettre le coût
   Toutefois, ce modèle d’approvisionnement énergétique à                  en carbone? Globalement, environ 60% des émissions de
haute teneur en carbone est en crise. L’une des raisons en est             carbone proviennent de l’utilisation d’énergie, et celles-ci
l’écart entre la demande croissante et la baisse de l’offre de             sont condamnées à pratiquement doubler d’ici 203039. La
pétrole. L’AIE prévoit que la production provenant des gise-               nécessité urgente de stabiliser notre climat rend notre utili-
ments conventionnels existants diminuera de 50% d’ici 2020                 sation énergétique actuelle de plus en plus intenable – ce
et anticipe pour 2015 un déficit global de près de 8% entre                que même le PDG d’une compagnie pétrolière importante
l’offre et la demande – soit environ 60% de la demande de la               comme Eni reconnaît.
Chine et 39% de la demande prévue aux États-Unis34. D’ici
2030, la planète aura besoin d’une hausse de l’approvision-                   En réponse à cette situation, la Commission européenne
nement en pétrole « équivalant à près de six fois la capacité              a élaboré en 2007 une « politique énergétique pour
actuelle de l’Arabie saoudite »35.                                         l’Europe ». Cette politique reconnaît que l’Europe devient de
                                                                           plus en plus dépendante des importations d’hydrocarbures
   Pour cette raison, les investissements dans le charbon et               qui constitueront 93% du pétrole et 84% de l’approvision-
les ressources en combustibles fossiles « non convention-                  nement gazier européen en 203040. Elle reconnaît en outre la
nels », tels que le goudron ou les sables bitumineux, le pét-              nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre,

                                      AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 11
d’améliorer l’efficacité énergétique et d’investir dans les                 conséquences sur le développement dans les pays four-
énergies renouvelables. Néanmoins, l’hypothèse clé est que                  nisseurs, elle minimise à la fois l’importance du problème
« le pétrole et le gaz continueront à couvrir plus de la moitié             des écarts d’approvisionnement et les conséquences du
des besoins énergétiques de l’Union » et que, par con-                      changement climatique pour la sécurité énergétique propre
séquent, « la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en                 européenne – et la sécurité géopolitique mondiale. Des mil-
gaz restera primordiale pour l’économie de l’UE »41. De ce                  itaires et des analystes du renseignement américains esti-
fait, la sécurité énergétique doit devenir « une partie centrale            ment désormais que le changement climatique « posera
de toutes les relations externes de l’Union européenne »42.                 d’énormes défis stratégiques aux États-Unis au cours des
                                                                            prochaines décennies »50. Le général Anthony C. Zinni,
    Une telle vision pourrait en effet remettre en question les             ancien chef du Commandement central des États-Unis,
« efforts internationaux visant à lutter contre le changement               affirme ainsi: « Nous allons payer pour réduire les émissions
climatique » approuvés par la Commission. L’accent semble                   de gaz à effet de serre aujourd’hui, et nous aurons à en
être davantage placé sur la production « durables » de car-                 accuser les répercussions économiques sous une forme ou
burants fossiles que sur une hausse massive des investisse-                 une autre. Ou nous en paierons le prix plus tard en termes
ments dans des solutions alternatives à faible intensité car-               militaires. Et cela impliquera des vies humaines »51.
bonique43. Un autre problème associé à la hiérarchisation de
la sécurité de l’approvisionnement en hydrocarbures                             Les experts estiment que les pays industrialisés doivent
importés est sa nature « euro-centrique », en cela que                      réduire leurs émissions d’au moins 45% ou plus en dessous
l’Afrique est perçue principalement comme un « fournisseur                  des niveaux de 1990 d’ici à 2020, et d’au moins 80% d’ici à
d’énergie »44. Cette vision pourrait compromettre les objec-                2050 pour limiter la hausse inévitable de la température
tifs plus globaux de l’UE en matière de développement et                    planétaire au niveau « sécuritaire » de 2°C ou en dessous, en
d’éradication de la pauvreté sur le continent. La moitié de la              évitant le dangereux « point de basculement » au-delà duquel
population de la partie la plus pauvre d’Afrique subsahari-                 il est peu probable que nous puissions stabiliser notre climat.
enne vit dans des pays dits « riches en ressources naturelles               Certains considèrent cela comme trop peu, trop tard52. On
», représentant 70% du PIB de l’Afrique et recevant « l’essen-              s’accorde également sur le fait que les pays développés étant
tiel des apports d’investissement direct étranger (IDE) des-                les principaux contributeurs aux gaz à effet de serre, ce sont
tinés à ce continent »45.                                                   eux qui doivent prendre en charge la plus grande partie du
                                                                            coût de l’atténuation et de l’adaptation53. Pour rester réaliste,
   Une nouvelle stratégie Afrique-UE commune a été                          un effort politique et financier massif en faveur de l’efficacité
annoncée à Lisbonne en décembre 200746: le « Partenariat                    énergétique et des investissements dans les énergies renouve-
pour l’énergie » a souligné la nécessité de mobiliser des                   lables dans les pays industrialisés et les pays émergents, ainsi
investissements accrus dans les infrastructures énergétiques                que le transfert de technologies sobres en carbone au niveau
du continent et de « promouvoir le développement des                        mondial, pourraient être requis avant que tout grand change-
interconnexions énergétiques entre l’Afrique et l’Europe47 »,               ment visant à réduire la consommation d’énergie à base de
par exemple au moyen du gazoduc transsaharien48.                            combustibles fossiles ne soit envisageable54.

   Toutefois, l’accent mis sur des projets énergétiques axés                   En Afrique, avant la crise financière, les experts prévoy-
sur l’exportation entrepris par les sociétés européennes en                 aient que les revenus du pétrole et du gaz se monteraient à
Afrique – y compris l’investissement d’Eni au Congo – omet                  environ 250 milliards de dollars en 203055. Même si les ten-
souvent de prendre en compte leurs implications au niveau                   dances énergétiques actuelles se poursuivent, un « boom »
de la sécurité énergétique des citoyens d’Afrique, et de s’in-              du carburant fossile est-il de nature à engendrer une crois-
terroger sur leur capacité à favoriser l’exploitation durable               sance durable et une réduction de la pauvreté? Les éléments
des ressources naturelles du continent. Le soutien qu’ac-                   de preuve convaincants pointent à la conclusion inverse: en
corde l’UE à ce genre de projets cadre difficilement avec les               l’absence d’institutions fortes et d’une gouvernance trans-
engagements pris au titre de la stratégie consistant à                      parente et responsable, un afflux soudain de richesses issues
« soutenir les efforts de renforcement des capacités en                     des ressources naturelles, notamment du pétrole, n’est pra-
Afrique dans la gestion durable des ressources naturelles » à               tiquement jamais propice à des améliorations au niveau du
travers une approche holistique qui reconnaît que cette ges-                développement56. Dans la plupart des cas, « la richesse
tion durable des ressources naturelles est un élément essen-                pétrolière fait souvent des ravages au niveau de l’économie
tiel pour la viabilité environnementale et la lutte contre le               et du système politique du pays »57, à tel point que les pays
changement climatique au niveau du continent, et inextri-                   dépourvus de ressources naturelles enregistrent souvent une
cablement liée à la « sécurité alimentaire, l’agriculture                   meilleure croissance économique que leurs voisins riches en
durable et la gestion des terres »49.                                       ressources58. Ces résultats sont clairement vérifiables dans
                                                                            le cas du Congo.
  En résumé, toute vision de la sécurité énergétique
européenne basée sur la hiérarchisation d’un approvision-                     Pour cette raison, certains groupes de la société civile pré-
nement continu en hydrocarbures pour les consommateurs                      conisent d’ores et déjà que cessent les nouveaux investisse-
européens est dangereusement limitée. En plus d’ignorer les                 ments dans l’extraction de pétrole dans les pays en

                                       AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 12
développement – notamment parce qu’au « cocktail tox-                       soulève des préoccupations quant aux implications de cette
ique » dans lequel se conjuguent mauvais résultats                          production intensive en énergie sur la sécurité énergétique
économiques / destruction de l’environnement / faible                       canadienne66. Hormis les coûts sociaux et environnementaux
développement humain qui caractérise la dépendance au                       au niveau local, la production d’un baril de sable bitumineux
pétrole, on peut maintenant ajouter sa contribution à l’ap-                 au Canada émet entre 3 à 5 fois plus de carbone que la pro-
pauvrissement de notre budget carbone déjà limité59. Une                    duction d’un baril de pétrole conventionnel67 (pour plus de
de ces propositions de « garder le pétrole dans le sol »                    détails, voir la Section 4). D’après des études récentes, les
émane de plusieurs groupes de la société civile au Nigeria                  émissions provenant des sables bitumineux pourraient
qui, en février 2009, ont demandé à ce que le pays n’attribue               représenter entre 127 et 140 millions de tonnes d’ici 2020,
aucune nouvelle concession pétrolière, au motif que la perte                dépassant les émissions actuelles de pays comme l’Autriche,
de revenus devait être comparée aux bénéfices associés au                   le Portugal, l’Irlande, le Danemark, et même la Belgique, un
fait que l’on évite les maux sociaux et environnementaux                    pays d’une dizaine de millions d’habitants68.
inhérents à l’exploitation du pétrole et que l’on réduit les
émissions carboniques60.                                                       Si toutes les réserves de pétrole non conventionnelles
                                                                            d’Amérique du Nord étaient entièrement développées – y
   Il est clair qu’il existe des formes de nouveaux investisse-             compris les huiles de schiste –, il est peu probable que les
ments énergétiques, aussi bien dans les combustibles fos-                   émissions de carbone puissent se maintenir en dessous du
siles que dans ce que l’on appelle les « énergies renouve-                  niveau requis pour empêcher la hausse de la température
lables », dont les impacts environnementaux et sociaux sont                 globale de dépasser le seuil critique de 2°C, car les émissions
particulièrement dommageables, notamment en termes                          totales seraient « équivalentes à 20 années d’émissions au
d’empreinte carbone. Pour ces raisons, on pourrait argu-                    niveau de 2004 »69.
menter qu’ils sont trop risqués pour être menés à terme – en
particulier dans les pays en développement à très faible gou-                   Ce scénario d’émissions signifie que la poursuite du
vernance politique et environnementale. Les plans d’Eni                     développement des sables bitumineux au Canada – ou
concernant l’exploitation des sables bitumineux et la pro-                  ailleurs – constitue une menace mondiale pour le climat qui
motion de la culture du palmier à huile au Congo tombent                    ne peut être ignorée. Le Canada a maintenant le niveau
dans cette catégorie.                                                       d’émissions le plus élevé par tête d’habitant de tous les pays
                                                                            du G870, et est de plus en plus critiqué pour son inaction à
2.1 Nouvelles tendances énergétiques: le pétrole non                        l’égard du changement climatique71. Selon Greenpeace:
conventionnel, une étape à ne pas franchir?                                 « Le Canada s’est activement battu contre les normes visant
                                                                            à réduire le contenu des carburants en carbone, a mené des
Les sables bitumineux – appelés sables pétroliers par l’in-                 activités de lobby à l’encontre de la législation américaine
dustrie du pétrole – sont des gisements de bitume, ou de pét-               pour baisser les émissions, muselé les scientifiques
role sous forme solide, qui doivent être extraits et traités                fédéraux et gêné les négociations internationales sur le
avant de pouvoir servir de pétrole brut (voir la Section 4). Les            changement climatique »72.
sables bitumineux de l’Athabasca, dans le nord du Canada,
représentent le deuxième plus grand gisement de pétrole au                     En raison de leurs impacts locaux et des dégâts clima-
monde61. Avec 173 milliards de barils de ressources                         tiques qu’ils entraînent, de nombreuses ONG appellent à un
définies62 et 30 à 40 ans de réserves attendues des projets                 arrêt de tous les nouveaux projets de sables bitumineux au
d’exploitation en cours, le Canada est maintenant considéré                 Canada, tandis que d’autres demandent un arrêt de tous les
comme la source marginale la plus importante d’approvi-                     projets existants73. Considéré sous l’angle du risque d’entre-
sionnement mondial en pétrole brut non contrôlée par les                    prise, le développement des sables bitumineux comporte
compagnies pétrolières nationales. Il s’agit également                      des risques inhérents à la valeur à long terme pour les
aujourd’hui de la première source d’importations de pétrole                 actionnaires qui pourraient finalement le rendre non viable.
des États-Unis63. Pour cette raison, les sables bitumineux                  Ces risques sont notamment – outre le risque posé par une
canadiens ont été décrits comme « jouant un rôle de plus en                 pénurie de main-d’œuvre et la hausse du coût de l’énergie –
plus important dans le tissu de la sécurité énergétique con-                une hausse de l’adoption des normes favorables aux com-
tinentale et mondiale » 64. Parmi les compagnies qui                        bustibles plus sobres en carbone, la nature expérimentale de
investissent dans l’exploitation des sables bitumineux fig-                 la technologie de capture et de stockage du carbone (CSS),
urent Shell, Statoil (la compagnie étatique norvégienne) et,                qui fait partie intégrante des prévisions en termes de coûts
depuis peu, des sociétés asiatiques65.                                      des investissements, les coûts des opérations de dépollution
                                                                            de l’environnement et, enfin, la possibilité de futurs litiges
   Les sables bitumineux exigent pour leur production de                    avec les communautés touchées74. Toutes les grandes com-
grandes quantités d’énergie et représentent l’un des carbu-                 pagnies pétrolières qui investissent dans les sables bitu-
rants les plus « sales » de la planète en termes d’empreinte                mineux au Canada rencontrent maintenant une opposition
carbone. Dans la province de l’Alberta, le développement des                croissante dans leur pays d’origine75, la participation de
sables bitumineux a conduit à la déforestation, à l’épuisement              Statoil étant notamment devenue il y a peu un enjeu élec-
et à la pollution de l’eau et à une pollution atmosphérique, et             toral en Norvège76.

                                       AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 13
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