Les investissements d'Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo - RPDH
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo Commission Justice et Paix
Carte du Congo Capitale: Brazzaville Principales exportations:Pétrole, Budget: US$4.515 milliards Superficie: 341,500 sq km Bois de construction Dépenses d’éducation: 1.9% de Population: 4.01 million PIB (PPA): $15.35 milliards* PIB (2005) Espérance de vie: 54.1 années PIB par habitant: $3,900* * 2008, estimation. Source: The CIA World Factbook, 2009. Couverture: Centrale thermique au charbon, Eggborough, UK. ©Greenpeace/Steve Morgan; 2.Zone d’exploration des sables bitumineux, Dionga, Kouilou, Congo; 3. Étang de résidus des sables bitumineux contenant des déchets toxiques, Canada. ©Greenpeace / Eamon Mac Mahon
Résumé Au sommet du G8 de cette année, les principales économies Les communautés locales affectées par la production de et les producteurs d’énergie ont reconnu que résoudre les pétrole se plaignent depuis longtemps de l’inaction des questions interdépendantes de l’investissement dans l’én- compagnies et du gouvernement en matière de lutte contre ergie, de l’accès et de la disponibilité énergétiques, et de la les impacts de l’exploitation pétrolière. Les niveaux de tor- lutte contre le changement climatique représentait le défi chage du gaz sur le vaste gisement de pétrole onshore de majeur pour leurs pays. Ils ont également promis des M’Boundi, désormais exploité par Eni, sont extrêmement mesures décisives pour lutter contre la pauvreté énergétique élevés (actuellement plus de 1 milliard de mètres cubes par dans laquelle la plupart des citoyens du monde vivent an) et posent un risque sanitaire et environnemental depuis encore, ce phénomène étant particulièrement frappant en des années. Le torchage du gaz est non seulement une viola- Afrique, où deux tiers des ménages de la zone subsaharienne tion du droit à la santé, mais aussi un énorme gaspillage de n’ont pas accès à un approvisionnement sûr en énergie. ressources, et un contributeur majeur aux gaz à effet de serre (GES). Eni envisage de transformer le gaz en électricité, ce La République du Congo (Brazzaville) est l’un des pays où qui constituerait une initiative bienvenue, mais cela ne l’accès énergétique est très insuffisant. Le Congo est un petit devrait pas empêcher la compagnie de remédier aux impacts pays d’Afrique centrale où 70% de la population vit en actuels du torchage du gaz sur les communautés. On ignore dessous du seuil de pauvreté, malgré les richesses par ailleurs dans quelle mesure la centrale apportera satis- pétrolières du pays. En plus d’être le cinquième producteur faction aux consommateurs congolais privés d’énergie, et de pétrole d’Afrique sub-saharienne, le Congo bénéficie de quels seront son mode de gestion et sa structure de finance- forêts d’une grande biodiversité qui couvrent les deux tiers ment. Eni a également l’intention de demander des crédits du pays. La forêt du Bassin du Congo est à la fois une de réduction des émissions par le biais du Mécanisme de ressource majeure pour les populations locales et un gigan- développement propre de l’ONU pour son projet d’électric- tesque puits de carbone qui joue un rôle de plus en plus vital ité; cette démarche est très problématique pour plusieurs dans la protection de notre climat. Toutefois, le Congo raisons, notamment parce que l’usine pourrait fournir l’én- affiche des performances extrêmement médiocres en ergie nécessaire au développement d’un projet de sables matière de protection environnementale et de droits de bitumineux susceptible de produire de fortes émissions. l’homme ainsi que de gestion transparente de ses ressources naturelles. À l’heure actuelle, aucune réglementation envi- Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et le ronnementale n’y est en vigueur. Malgré cela, le gouverne- palmier à huile sont intrinsèquement à haut risque. Dans ment congolais souhaite prendre un rôle leader dans la ges- d’autres parties du monde, ce type d’investissements a été tion des ressources globales du Bassin. fortement critiqué pour avoir causé des dommages sociaux et environnementaux, à la fois localement et globalement. Eni, l’ancienne compagnie pétrolière italienne d’État, est L’extraction de goudron ou de bitume et sa transformation l’une des dix premières entreprises énergétiques au monde. en brut synthétique nécessitent de grandes quantités d’eau L’État italien détient encore 30% de ses actions. Eni a entre- et d’énergie. Dans la province canadienne de l’Alberta, le pris un nouvel investissement de plusieurs milliards de dol- seul lieu où sont exploités les sables bitumineux à l’heure lars au Congo dans le développement des sables bitu- actuelle, cette activité a entraîné l’épuisement et la pollution mineux, de l’huile de palme pour l’alimentation, du bio- de l’eau, avec des impacts sur la santé des communautés, la diesel et de l’électricité alimentée par le gaz. Son projet de déforestation de la forêt boréale canadienne et la destruc- sables bitumineux serait le premier en Afrique, et celui des tion de l’habitat. La production d’un baril de sable bitu- agro-carburants, l’un des plus importants du continent. Eni, mineux est 3 à 5 fois plus intensive en termes d’émissions qui affiche la plus grande présence en Afrique en tant que de GES que la production d’un baril de pétrole classique. Le compagnie pétrolière, tient à instaurer des partenariats de Canada affiche désormais le taux d’émissions par habitant le longue durée avec des pays tels que le Congo et ce, au-delà plus élevé des pays du G8, et il est de plus en plus critiqué du secteur énergétique. Par ailleurs, la société est actuelle- pour son inaction face au changement climatique. De nom- ment classée comme la première compagnie pétrolière et breux groupes de la société civile, résidents autochtones gazière « durable » au monde et s’attache à promouvoir ses locaux et scientifiques appellent à un moratoire sur les nou- qualités écologiques. veaux investissements dédiés aux sables bitumineux. La teneur des accords conclus entre Eni et le gouverne- L’investissement dans des plantations en régime de ment congolais n’a pas été divulguée. Des travaux de monoculture de palmiers à huile et d’autres cultures devant recherche ont révélé que le public ignorait quasiment tout servir à la production d’agro-carburants, encouragé par des de ces investissements au Congo. Ni Eni ni le gouverne- objectifs mis en place par les gouvernements nationaux et ment n’a impliqué les citoyens congolais, que ce soit au l’Union européenne, est une cause de la déforestation qui niveau local ou national, dans une discussion sur les représente environ 20% des émissions mondiales de gaz à impacts potentiels – qu’ils soient d’ordre fiscal, social ou effet de serre. En remplaçant les forêts tropicales et autres environnemental – des projets. Cela va à l’encontre des écosystèmes, les plantations en régime de monoculture propres politiques d’Eni en matière d’environnement et de entraînent une grave perte de biodiversité. Les modifica- droits de l’homme. tions de l’utilisation des terres qu’elles entraînent sont AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 3
également associées à une insécurité alimentaire accrue, à sur les exportations et sont réalisés dans des zones des conflits fonciers, à des atteintes aux droits de l’homme et écologiquement risquées et dans un pays où la transparence à des menaces pour les populations autochtones. et la protection des droits de l’homme sont faibles. Compte tenu notamment de la nécessité urgente de remédier au Les risques posés par les investissements d’Eni sont changement climatique croissant et d’améliorer l’accès des aggravés par le déficit de gouvernance au Congo, le manque plus pauvres à un approvisionnement énergétique, la collab- de transparence et de consultation communautaire, et la oration du gouvernement congolais à ces projets diminue la sensibilité écologique de la région. Eni a déclaré publique- crédibilité de sa candidature en tant que gardien du Bassin ment qu’aucun des investissements ne porterait sur des du Congo. Le gouvernement italien est le premier action- zones de forêt tropicale ou d’autres zones de grande biodi- naire de la compagnie. Étant donné son rôle de supervision versité, et n’entraînerait aucune délocalisation de popula- et ses engagements internationaux, il lui incombe de s’as- tion. Pourtant, les études menées par l’entreprise elle-même surer que tout investissement d’Eni tient compte des révèlent que la zone d’exploration des sables bitumineux impacts potentiels sur le développement, les droits de comprend jusqu’à près de 70% de forêts primaires et l’homme et l’environnement. d’autres zones de haute biodiversité. Elle comprend égale- ment des zones peuplées. Aucune information claire n’est En conclusion, il apparaît de plus en plus clair que cer- disponible sur les technologies d’extraction et de traitement taines formes d’investissements énergétiques nouveaux (à la qu’emploierait Eni, et il est impossible de prévoir ses fois sous forme de combustibles fossiles et d’énergies dites impacts sur les ressources en eau et en énergie du pays. « renouvelables ») sont particulièrement dommageables pour l’environnement local, les communautés et notre cli- L’investissement d’Eni met en question les revendications mat. Pour ces raisons, ils devraient être considérés comme de la société selon lesquelles elle serait un acteur du posant un risque trop important pour être menés à bien – en développement durable. Il soulève également des questions particulier dans les pays en développement à très faible gou- plus générales quant aux coûts sociaux et environnemen- vernance politique et environnementale. Les plans d’Eni taux inhérents au développement de ce type d’investisse- visant à développer les sables bitumineux et la culture du ments qui produisent une forte teneur en carbone, sont axés palmier à huile au Congo tombent dans cette catégorie. AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 4
RECOMMANDATIONS À l’attention d’Eni et du gouvernement congolais public, dans son Rapport sur la durabilité, des informa- tions détaillées par projet sur les émissions de gaz à effet de Étant donné le risque élevé de dommages environ- serre et sur la façon dont les investissements d’Eni con- nementaux et sociaux irréversibles, annuler l’investisse- tribuent aux engagements du gouvernement italien envers ment dans les sables bitumineux destiné à la production de la réduction des émissions de GES. pétrole et dans les palmiers à huile. Imposer un moratoire sur le projet de bitume destiné au À l’attention des actionnaires d’Eni revêtement des routes jusqu’à ce que ses risques sociaux et environnementaux potentiels soient complètement éval- Demander instamment à la direction d’Eni de mettre en ués et que les communautés locales aient donné leur con- œuvre toutes les recommandations relatives aux investisse- sentement libre, préalable et informé au projet. ments de la compagnie au Congo et à l’ensemble de son Divulguer les modalités fiscales de tous les accords portefeuille, comme cela est stipulé ci-dessus. signés entre le gouvernement congolais et Eni en relation Soutenir la mise en place d’un moratoire sur tout avec ses trois investissements (sables bitumineux, investissement supplémentaire par Eni dans le développe- palmiers à huile et centrale électrique) et de tout accord de ment des sables bitumineux et la production industrielle financement lié à tous les aspects des projets, y compris d’agro-carburants. Eni les avenants. Divulguer l’accord de producteurs indépendants À l’attention de la Fondation Eni d’électricité (IPP) signé par le gouvernement congolais et Eni, et les accords d’achat d’électricité (PPA) conclus par le Inclure des représentants indépendants de la société gouvernement avec Eni ou toute tierce partie. civile dans les structures de supervision de tout pro- Divulguer les structures de gouvernance et de partici- gramme de développement social et développer un plan pation de la CEC et de la centrale existante à Djeno, y com- d’engagement des parties prenantes qui soit transparent et pris l’Accord particulier M’Boundi. mesurable afin de garantir une participation communau- Publier toutes les études de base, évaluations des taire à la conception et à l’exécution des programmes. impacts sociaux et environnementaux (EISE) et évalua- Procéder à une évaluation indépendante de la ges- tions de l’impact sanitaire (EIS) liées aux projets d’in- tion et des impacts du programme de santé, avec un vestissement dans leur ensemble et aux infrastructures audit indépendant des dépenses, y compris des fonds connexes (pipelines). transitant par la Fondation Congo Assistance, et publier Divulguer l’intégralité de l’EIS menée par Eni et des les résultats. données épidémiologiques sous-jacentes relatives aux impacts du torchage du gaz à M’Boundi, ainsi que toutes À l’attention du gouvernement congolais autres études, et faciliter l’évaluation indépendante du tor- chage du gaz à M’Boundi. Respecter ses engagements en vertu des conventions Divulguer les mesures d’atténuation en cours de plan- internationales relatives aux droits de l’homme et des ification en matière de torchage du gaz et instituer un traités environnementaux dont il est partie, et notam- processus de consultations sérieuses sur ces mesures ment son engagement, en vertu de la Constitution congo- avec les communautés affectées, y compris un processus laise, à protéger la santé publique, le droit à un environ- d’indemnisation. nement sain et durable et à garantir une indemnisation adéquate en cas de destruction et de pollution causées À l’attention d’Eni par l’activité économique. S’engager à revoir les lois existantes régissant l’indem- Imposer un moratoire sur tout nouvel investissement nisation afin de les rendre conformes aux meilleures pra- dans le développement des sables bitumineux et sur toute tiques internationales, et veiller en particulier à mettre en production industrielle d’agro-carburants. place une indemnisation adéquate pour toutes les pertes Mettre en œuvre toutes les recommandations for- des produits de subsistance et les terres expropriées du fait mulées par Amnesty International en ce qui concerne les de l’exploitation du pétrole et des infrastructures connexes. opérations de la compagnie pétrolière au Nigeria, dans ses Élaborer un plan national de gestion consacré à l’appli- opérations au Congo et l’ensemble de son portefeuille d’in- cation des lois forestières et à la protection d’autres zones vestissements. Faciliter notamment un examen indépen- de haute biodiversité comme les marécages, et publier les dant des processus de gestion environnementale de la conclusions de l’examen du secteur forestier produit en compagnie, réviser entièrement les pratiques d’engage- vertu de son accord d’allégement de la dette dans le cadre ment communautaire et s’assurer de la surveillance du de l’initiative des PPTE. processus de l’engagement communautaire. Divulguer tout contrat conclu avec Eni ou toute autre Faire du consentement libre, préalable et informé société concernant la location de terres en vue de la pro- (CLPI) une condition de tous les projets d’investissement duction d’agro-carburants ou de tout autre projet connexe dans les pays en développement, en particulier dans ceux dans le secteur des agro-carburants. où la protection des droits de l’homme et de l’environ- Divulguer toutes les études menées par l’État sur l’util- nement est faible, comme c’est le cas au Congo. ité publique de la continuation du torchage du gaz selon le Rendre compte aux actionnaires et divulguer au grand décret 2007/294. AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 5
RECOMMENDATIONS À l’attention du gouvernement italien Rendre compte au public de la façon dont les investissements d’Eni dans les pays en développement Divulguer dans leur intégralité les informations qu’il contribuent au développement, à la réduction de la pau- détient sur les impacts environnementaux du torchage du vreté et aux objectifs de sécurité énergétique dans le gaz sur le gisement de M’Boundi au moment de l’achat par cadre de l’UE et d’autres accords internationaux ratifiés Eni de sa participation majoritaire en 2007, et du par le gouvernement italien. développement des sables bitumineux au moment où Eni a signé ses accords avec le Congo (mai 2008). À l’attention du conseil d’administration du Mécanisme S’assurer de la réalisation d’une enquête annuelle sur de développement propre les émissions de gaz à effet de serre des activités d’Eni par projet et de la publication des résultats dans son Rapport Exclure du MDP tout projet dont les impacts globaux sur la durabilité, y compris de la façon dont les investisse- résultant d’activités de projets associés augmenteraient les ments contribuent à la réduction des émissions au titre émissions de gaz à effet de serre et nuiraient aux critères de des obligations de l’UE et d’autres accords internationaux développement durable. ratifiés par le gouvernement italien. AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 6
TABLE DES MATIÈRES Carte du Congo 2 Résumé 3 Recommendations 5 1 Introduction 8 1.1 Les accords d’Eni avec la République du Congo 10 2 Défis à notre modèle énergétique 11 2.1 Nouvelles tendances énergétiques: le pétrole non conventionnel, une étape à ne pas franchir? 13 2.2 Nouvelles tendances énergétiques: des « énergies renouvelables » pas si renouvelables que cela... 14 2.3 Le changement climatique en Afrique 14 3 Contexte de l’investissement 16 3.1 Gestion des ressources pétrolières congolaises 16 3.2 Congo: la gestion des ressources forestières 17 4 Sables bitumineux: l’expérience canadienne 19 4.1 Explosion écologique 19 4.2 Extraction et valorisation 20 4.3 Coûts financiers des développements des sables bitumineux 21 4.4 Impacts sur les communautés 21 4.5 Émissions de gaz à effet de serre 21 4.6 Utilisation de l’eau et impacts 22 4.7 Pollution de l’air 22 4.8 Impacts sur les terres 23 4.9 Remise en état post-exploitation 23 5 Nouveaux investissements d’Eni: Développement des sables bitumineux au Congo 24 5.1 Impacts sociaux et environnementaux potentiels des sables bitumineux au Congo 24 5.2 Évaluation de l’écologie de la zone du permis par Eni 25 5.3 Zone d’exploration des sables bitumineux 27 5.4 Profil de risque des sables bitumineux congolais 29 5.4.1 Extraction au lac Kitina 30 5.4.2 Extraction à Dionga 30 5.4.3 Valorisation 30 5.4.4 Consommation d’énergie 30 5.4.5 Émissions de gaz à effet de serre 30 5.4.6 Questions auxquelles Eni devrait apporter des réponses 30 6 Nouveaux investissements d’Eni: Huile de palme pour l’alimentation et les agro-carburants 32 7 Nouveaux investissements d’Eni: Production d’électricité à partir du torchage du gaz 35 7.1 Mécanisme de développement propre 36 7.2 Le projet MDP d’Eni au Congo 37 8 Impacts des activités d’Eni sur les communautés locales 38 8.1 Participation des communautés locales aux nouveaux projets d’Eni 39 8.2 Torchage de gaz – un risque sanitaire, climatique et énergétique 41 8.3 Torchage du gaz au Congo 42 8.4 Politiques sociales et environnementales d’Eni – théorie et pratique 43 8.5 Performance sociale et environnementale d’Eni 45 8.5.1 Kazakhstan – gestion des impacts lors du projet Kashagan 45 8.5:2 Dévastation sociale et environnementale au Nigeria 45 9 Projets de développement social 47 10 Conclusion 48 Notes de fin d’ouvrage 49 Remerciements 54 Addendum: Carte de la zone d’exploration des sables bitumineux (une page) 56 AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 7
1 Introduction La déforestation est une cause majeure du changement climatique.©Mauthe/Greenpeace Lors du sommet du G8 de cette année, organisé par l’Italie, mais il s’agit aussi d’« un géant puits de carbone essentiel les ministres de l’Énergie des grandes économies ont recon- pour la protection du climat »8. Toutefois, le Congo est nu que « faire face aux questions interdépendantes ayant aussi un cas classique de la « malédiction des ressources » 9: trait à l’investissement, à l’accès et à la disponibilité énergé- malgré des décennies d’exploitation de sa richesse tiques et au défi du changement climatique est essentiel pétrolière, le pays affiche de très faibles niveaux de pour l’avenir de nos pays »1. En plus de s’être engagés à lim- développement humain, et des niveaux élevés de répression iter la hausse de la température mondiale à 2°C au-dessus et de corruption, avec un passé marqué par un conflit cen- des niveaux préindustriels2, les gouvernements ont promis tré sur le contrôle du secteur pétrolier. « une action décisive » afin d’aider le quart de la population mondiale qui est privée d’énergie3. En mai 2008, la compagnie énergétique Eni a annoncé un nouvel investissement de 3 milliards de dollars US au Cette pauvreté énergétique est particulièrement frap- Congo dans les sables bitumineux10, l’huile de palme pour pante en Afrique, où près de deux tiers des foyers d’Afrique l’alimentation et le biodiesel et une centrale électrique ali- sub-saharienne n’ont pas accès à un approvisionnement sûr mentée au gaz. Ancienne compagnie pétrolière italienne en énergie4. C’est aussi le cas de pays riches en pétrole d’État, Eni se classe maintenant parmi les dix plus grandes comme le Congo, un petit pays d’Afrique centrale où moins compagnies d’énergie du monde en termes de performanc- du quart de la population a accès à l’électricité5. es financières11 et détient la plus grande présence en Afrique12, avec une part de marché de 1 million de barils Le Congo, en plus d’être le cinquième producteur de pét- (équivalent en pétrole) par jour et des réserves de 5 mil- role d’Afrique sub-saharienne6, est également « le lieu de liards de barils13. l’un des écosystèmes forestiers les plus riches et les plus biologiquement importants de la planète ». Environ « 60% Aucune des modalités des accords signés entre Eni et le du pays est couvert par les forêts tropicales, dont une gouvernement congolais n’est accessible au public en raison grande partie est constituée de vastes étendues sauvages d’une clause de confidentialité14. Toutefois, si l’investisse- intactes »7. Le Bassin du Congo est la deuxième plus grande ment se concrétise, il s’agira de la première exploitation de zone de forêts tropicales au monde. Il est « d’une impor- sables bitumineux en Afrique et de l’un des plus gros tance incalculable », en raison de sa biodiversité et en tant investissements en agro-carburants sur le continent (voir p. que ressource économique pour les populations locales, 10). Cette transaction marque également un nouvel élan AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 8
dans les activités d’Eni au Congo, où la société est présente depuis 196815, produisant environ 64% du pétrole du pays16. Le projet d’huile de palme est notamment décrit comme s’inscrivant dans le cadre de l’initiative de « responsabilité sociale » de la compagnie qui repose sur l’élaboration de « nouveaux partenariats avec les pays impliqués dans le secteur des hydrocarbures traditionnels, en proposant un modèle de coopération à long terme pour les questions non liées au secteur énergétique »17. Eni a récemment remporté plusieurs prix pour avoir promu la durabilité dans son modèle d’activités – c’est même la compagnie pétrolière et gazière la plus « durable » au monde d’après l’indice Dow Jones18. Plus récemment, la compagnie a annoncé fièrement que son PDG Paolo Scaroni était « le seul Italien et le seul PDG de compagnie pétrolière » à avoir pris la parole au Forum du Leadership des Nations unies sur les changements climatiques à New York19. Scaroni y a exhorté les délégués à saisir l’occasion offerte par les prochaines négociations sur les changements climatiques à Copenhague, proposé une taxe sur l’utilisation des com- bustibles fossiles, admonesté les pays développés pour leurs habitudes « gourmandes en énergie » et annoncé: « L’époque où nous pouvions nous permettre de considérer le pétrole Le Premier ministre italien Silvio Berlusconi lors de la dernière comme un intrant bon marché à la croissance économique et conférence de presse après la dernière réunion du G8. sociale, sans tenir compte de son impact sur l’environ- G8website/PCM. Photo: Anticoli Livio nement et sur les générations à venir, est révolue »20. Sécuriser l’approvisionnement énergétique pour permet- tre aux économies industrialisées de fonctionner et aux pays en développement d’assurer leur croissance et de réduire la pauvreté, tout en respectant les droits de l’homme, en pro- tégeant l’environnement et en réduisant les émissions qui L’investissement d’Eni va non seulement à l’encontre des déstabilisent notre climat, tel est le principal défi que doit bienfaits de la RSE de la compagnie, soulevant ainsi des relever un monde sous emprise du carbone. Le problème questions quant à l’engagement réel de l’entreprise à être peut notamment être envisagé de la manière suivante: la « un acteur du développement durable »22, en particulier sécurité à long terme de l’approvisionnement ne peut être dans les pays africains producteurs de pétrole23. Il soulève fondée que sur « le droit de chaque citoyen de disposer de également des questions plus globales sur les coûts sociaux l’énergie nécessaire pour vivre dignement; cette énergie doit et environnementaux inhérents au développement de ce être produite de façon durable et en respectant les limites type d’investissements produisant de hautes teneurs de car- écologiques », ce qui comprend le fait d’accorder la priorité bone, tournés vers les exportations, et réalisés dans des au contrôle et à la gestion décentralisés de l’énergie « par les zones écologiquement risquées et dans des pays où la trans- communautés et pour les communautés »21. parence et la protection des droits de l’homme sont faibles – ce, d’autant plus qu’il s’agit d’une région où la menace du Les efforts visant à dynamiser de la part de tous les changement climatique vient s’ajouter aux défis déjà déli- acteurs une action politique à cet égard sont essentiels, en cats en matière de gouvernance. Comment les compagnies particulier des grandes entreprises énergétiques mondiales, énergétiques et d’autres acteurs clés dotés d’un rôle de sur- qui constituent le moteur de l’investissement. Pourtant, le veillance, tels que le gouvernement italien, (qui, dans le cas présent rapport montre que l’investissement qu’Eni envis- d’Eni, détient une participation de 30% dans la société), se age de faire au Congo n’est aucunement un pas dans le sens proposent-ils de gérer les risques inhérents à de tels projets? de la durabilité énergétique. Au contraire, il pose un risque Comment ces investissements concourent-ils à l’objectif de extrêmement élevé vu les dégâts environnementaux et soci- lutte contre les problèmes interdépendants et incontrôlés du aux qu’il pourrait engendrer, notamment en contribuant à changement climatique et de l’amélioration de l’accès des dégrader encore plus notre climat. plus pauvres à l’énergie? AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 9
1.1 Les accords d’Eni avec la République du Congo « des synergies résultant de la proximité des gisements pétrolifères de M’Boundi » car les gaz associés de ce gise- Le 19 mai 2008, Paolo Scaroni a signé des protocoles d’ac- ment serviront à la technologie « EST » (Eni Slurry cord avec le ministre de l’Énergie de la République du Technology) utilisée dans l’usine de traitement du bitume Congo, Bruno Itoua, pour un investissement projeté de 3 extrait. Cela permettra aussi « d’atteindre l’objectif de milliards d’euros sur plusieurs années24. Globalement, les réduction des émissions atmosphériques tout en profitant accords comportent 4 éléments: de crédits au titre du Protocole de Kyoto »28. Une nouvelle centrale électrique de 450 MW à proximité Un projet « nourriture plus biodiesel »: Eni et le gouverne- du terminal pétrolier de Djeno. Une centrale thermique ment ont signé un protocole d’accord pour la culture du au gaz d’une capacité de 25 MW, construite par Eni, est palmier à huile sur « environ 70 000 hectares inexploités opérationnelle depuis 200225. La nouvelle centrale aura dans la région du Niari au nord-ouest du pays ». Cet une capacité de 300 à 450 MW et, d’ici fin 2009, « con- investissement va produire « environ 340 000 tonnes par tribuera à plus de 80% des besoins du pays en [électric- an d’huile de palme brute, assez pour couvrir la demande ité] » et, en outre, « assurera l’approvisionnement des alimentaire intérieure et produire 250 000 tonnes par an clients industriels importants »26. La centrale sera de biodiesel. » L’excédent « sera destiné à la production de exploitée par « une nouvelle société par actions détenue à biodiesel à l’aide d’une technologie spécifique élaborée par 20% par Eni Congo et à 80% par la République du Congo. Eni dite Ultra-Bio-Diesel. Après une première phase pilote, Elle sera alimentée par des gaz associés – produits lors de la faisabilité de la construction d’une bio-raffinerie au l’extraction de pétrole et qui sont actuellement brûlés ou Congo sera envisagée »29. « torchés » – sur le gisement pétrolier de M’Boundi appartenant à Eni, et par la suite par les découvertes au Des projets d’action sociale: 8,5M € seront consacrés à large du permis Marine XII. « L’initiative bénéficiera des « d’importantes initiatives sociales visant à améliorer la crédits du Mécanisme de développement propre dans le santé infantile dans les zones rurales du Congo, promues et cadre du protocole de Kyoto »27. développées par la Fondation Eni, d’après l’accord signé en 2007 entre Eni et le ministère congolais de la Santé, de la Un permis d’exploitation des sables bitumineux dans Population et de la Famille et la Fondation Congo deux secteurs (Tchikatanga et Tchikatanga-Makola) Assistance, une ONG locale »30. « couvrant un total de 1790 km2 ». Le projet bénéficiera AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 10
2 Défis à notre modèle énergétique Parc éolien dans la province du Guangdong, Chine.©Greenpeace/Canxiong Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), si notre role extra-lourd et les schistes bitumineux36, sont en aug- consommation énergétique actuelle reste inchangée, les mentation. Dans l’ensemble, l’offre mondiale de pétrole non combustibles fossiles représenteront 80% de notre bouquet conventionnel est appelée à augmenter, passant de 1,7 mb énergétique d’ici 2030. Les énergies renouvelables (hors [millions de barils] par jour en 2007 à 8,8 mb par jour en hydroélectricité) constitueront seulement 12% (une hausse 203037 – soit environ 11% de la production totale de pétrole de 1% par rapport aux niveaux actuels). En matière de en 2030. Plus de la moitié de cette augmentation proviendra besoins globaux de transport, les bio- ou agro-carburants, de projets de sables bitumineux au Canada38. selon les projections, contribueront dans ce scénario à 5% du total31. L’Afrique deviendra un fournisseur de plus en Or ces sources sont plus difficiles et plus coûteuses à plus important de pétrole et de gaz, avec 21% des réserves extraire, et beaucoup plus « sales », avec des émissions de restantes de pétrole conventionnel32. Les exportations de gaz à effet de serre plus élevées. Même s’il était possible, sur gaz venant de la région tripleront d’ici 203033. le scénario actuel de combustible fossile, de satisfaire la demande croissante d’énergie, peut-on se permettre le coût Toutefois, ce modèle d’approvisionnement énergétique à en carbone? Globalement, environ 60% des émissions de haute teneur en carbone est en crise. L’une des raisons en est carbone proviennent de l’utilisation d’énergie, et celles-ci l’écart entre la demande croissante et la baisse de l’offre de sont condamnées à pratiquement doubler d’ici 203039. La pétrole. L’AIE prévoit que la production provenant des gise- nécessité urgente de stabiliser notre climat rend notre utili- ments conventionnels existants diminuera de 50% d’ici 2020 sation énergétique actuelle de plus en plus intenable – ce et anticipe pour 2015 un déficit global de près de 8% entre que même le PDG d’une compagnie pétrolière importante l’offre et la demande – soit environ 60% de la demande de la comme Eni reconnaît. Chine et 39% de la demande prévue aux États-Unis34. D’ici 2030, la planète aura besoin d’une hausse de l’approvision- En réponse à cette situation, la Commission européenne nement en pétrole « équivalant à près de six fois la capacité a élaboré en 2007 une « politique énergétique pour actuelle de l’Arabie saoudite »35. l’Europe ». Cette politique reconnaît que l’Europe devient de plus en plus dépendante des importations d’hydrocarbures Pour cette raison, les investissements dans le charbon et qui constitueront 93% du pétrole et 84% de l’approvision- les ressources en combustibles fossiles « non convention- nement gazier européen en 203040. Elle reconnaît en outre la nels », tels que le goudron ou les sables bitumineux, le pét- nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 11
d’améliorer l’efficacité énergétique et d’investir dans les conséquences sur le développement dans les pays four- énergies renouvelables. Néanmoins, l’hypothèse clé est que nisseurs, elle minimise à la fois l’importance du problème « le pétrole et le gaz continueront à couvrir plus de la moitié des écarts d’approvisionnement et les conséquences du des besoins énergétiques de l’Union » et que, par con- changement climatique pour la sécurité énergétique propre séquent, « la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en européenne – et la sécurité géopolitique mondiale. Des mil- gaz restera primordiale pour l’économie de l’UE »41. De ce itaires et des analystes du renseignement américains esti- fait, la sécurité énergétique doit devenir « une partie centrale ment désormais que le changement climatique « posera de toutes les relations externes de l’Union européenne »42. d’énormes défis stratégiques aux États-Unis au cours des prochaines décennies »50. Le général Anthony C. Zinni, Une telle vision pourrait en effet remettre en question les ancien chef du Commandement central des États-Unis, « efforts internationaux visant à lutter contre le changement affirme ainsi: « Nous allons payer pour réduire les émissions climatique » approuvés par la Commission. L’accent semble de gaz à effet de serre aujourd’hui, et nous aurons à en être davantage placé sur la production « durables » de car- accuser les répercussions économiques sous une forme ou burants fossiles que sur une hausse massive des investisse- une autre. Ou nous en paierons le prix plus tard en termes ments dans des solutions alternatives à faible intensité car- militaires. Et cela impliquera des vies humaines »51. bonique43. Un autre problème associé à la hiérarchisation de la sécurité de l’approvisionnement en hydrocarbures Les experts estiment que les pays industrialisés doivent importés est sa nature « euro-centrique », en cela que réduire leurs émissions d’au moins 45% ou plus en dessous l’Afrique est perçue principalement comme un « fournisseur des niveaux de 1990 d’ici à 2020, et d’au moins 80% d’ici à d’énergie »44. Cette vision pourrait compromettre les objec- 2050 pour limiter la hausse inévitable de la température tifs plus globaux de l’UE en matière de développement et planétaire au niveau « sécuritaire » de 2°C ou en dessous, en d’éradication de la pauvreté sur le continent. La moitié de la évitant le dangereux « point de basculement » au-delà duquel population de la partie la plus pauvre d’Afrique subsahari- il est peu probable que nous puissions stabiliser notre climat. enne vit dans des pays dits « riches en ressources naturelles Certains considèrent cela comme trop peu, trop tard52. On », représentant 70% du PIB de l’Afrique et recevant « l’essen- s’accorde également sur le fait que les pays développés étant tiel des apports d’investissement direct étranger (IDE) des- les principaux contributeurs aux gaz à effet de serre, ce sont tinés à ce continent »45. eux qui doivent prendre en charge la plus grande partie du coût de l’atténuation et de l’adaptation53. Pour rester réaliste, Une nouvelle stratégie Afrique-UE commune a été un effort politique et financier massif en faveur de l’efficacité annoncée à Lisbonne en décembre 200746: le « Partenariat énergétique et des investissements dans les énergies renouve- pour l’énergie » a souligné la nécessité de mobiliser des lables dans les pays industrialisés et les pays émergents, ainsi investissements accrus dans les infrastructures énergétiques que le transfert de technologies sobres en carbone au niveau du continent et de « promouvoir le développement des mondial, pourraient être requis avant que tout grand change- interconnexions énergétiques entre l’Afrique et l’Europe47 », ment visant à réduire la consommation d’énergie à base de par exemple au moyen du gazoduc transsaharien48. combustibles fossiles ne soit envisageable54. Toutefois, l’accent mis sur des projets énergétiques axés En Afrique, avant la crise financière, les experts prévoy- sur l’exportation entrepris par les sociétés européennes en aient que les revenus du pétrole et du gaz se monteraient à Afrique – y compris l’investissement d’Eni au Congo – omet environ 250 milliards de dollars en 203055. Même si les ten- souvent de prendre en compte leurs implications au niveau dances énergétiques actuelles se poursuivent, un « boom » de la sécurité énergétique des citoyens d’Afrique, et de s’in- du carburant fossile est-il de nature à engendrer une crois- terroger sur leur capacité à favoriser l’exploitation durable sance durable et une réduction de la pauvreté? Les éléments des ressources naturelles du continent. Le soutien qu’ac- de preuve convaincants pointent à la conclusion inverse: en corde l’UE à ce genre de projets cadre difficilement avec les l’absence d’institutions fortes et d’une gouvernance trans- engagements pris au titre de la stratégie consistant à parente et responsable, un afflux soudain de richesses issues « soutenir les efforts de renforcement des capacités en des ressources naturelles, notamment du pétrole, n’est pra- Afrique dans la gestion durable des ressources naturelles » à tiquement jamais propice à des améliorations au niveau du travers une approche holistique qui reconnaît que cette ges- développement56. Dans la plupart des cas, « la richesse tion durable des ressources naturelles est un élément essen- pétrolière fait souvent des ravages au niveau de l’économie tiel pour la viabilité environnementale et la lutte contre le et du système politique du pays »57, à tel point que les pays changement climatique au niveau du continent, et inextri- dépourvus de ressources naturelles enregistrent souvent une cablement liée à la « sécurité alimentaire, l’agriculture meilleure croissance économique que leurs voisins riches en durable et la gestion des terres »49. ressources58. Ces résultats sont clairement vérifiables dans le cas du Congo. En résumé, toute vision de la sécurité énergétique européenne basée sur la hiérarchisation d’un approvision- Pour cette raison, certains groupes de la société civile pré- nement continu en hydrocarbures pour les consommateurs conisent d’ores et déjà que cessent les nouveaux investisse- européens est dangereusement limitée. En plus d’ignorer les ments dans l’extraction de pétrole dans les pays en AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 12
développement – notamment parce qu’au « cocktail tox- soulève des préoccupations quant aux implications de cette ique » dans lequel se conjuguent mauvais résultats production intensive en énergie sur la sécurité énergétique économiques / destruction de l’environnement / faible canadienne66. Hormis les coûts sociaux et environnementaux développement humain qui caractérise la dépendance au au niveau local, la production d’un baril de sable bitumineux pétrole, on peut maintenant ajouter sa contribution à l’ap- au Canada émet entre 3 à 5 fois plus de carbone que la pro- pauvrissement de notre budget carbone déjà limité59. Une duction d’un baril de pétrole conventionnel67 (pour plus de de ces propositions de « garder le pétrole dans le sol » détails, voir la Section 4). D’après des études récentes, les émane de plusieurs groupes de la société civile au Nigeria émissions provenant des sables bitumineux pourraient qui, en février 2009, ont demandé à ce que le pays n’attribue représenter entre 127 et 140 millions de tonnes d’ici 2020, aucune nouvelle concession pétrolière, au motif que la perte dépassant les émissions actuelles de pays comme l’Autriche, de revenus devait être comparée aux bénéfices associés au le Portugal, l’Irlande, le Danemark, et même la Belgique, un fait que l’on évite les maux sociaux et environnementaux pays d’une dizaine de millions d’habitants68. inhérents à l’exploitation du pétrole et que l’on réduit les émissions carboniques60. Si toutes les réserves de pétrole non conventionnelles d’Amérique du Nord étaient entièrement développées – y Il est clair qu’il existe des formes de nouveaux investisse- compris les huiles de schiste –, il est peu probable que les ments énergétiques, aussi bien dans les combustibles fos- émissions de carbone puissent se maintenir en dessous du siles que dans ce que l’on appelle les « énergies renouve- niveau requis pour empêcher la hausse de la température lables », dont les impacts environnementaux et sociaux sont globale de dépasser le seuil critique de 2°C, car les émissions particulièrement dommageables, notamment en termes totales seraient « équivalentes à 20 années d’émissions au d’empreinte carbone. Pour ces raisons, on pourrait argu- niveau de 2004 »69. menter qu’ils sont trop risqués pour être menés à terme – en particulier dans les pays en développement à très faible gou- Ce scénario d’émissions signifie que la poursuite du vernance politique et environnementale. Les plans d’Eni développement des sables bitumineux au Canada – ou concernant l’exploitation des sables bitumineux et la pro- ailleurs – constitue une menace mondiale pour le climat qui motion de la culture du palmier à huile au Congo tombent ne peut être ignorée. Le Canada a maintenant le niveau dans cette catégorie. d’émissions le plus élevé par tête d’habitant de tous les pays du G870, et est de plus en plus critiqué pour son inaction à 2.1 Nouvelles tendances énergétiques: le pétrole non l’égard du changement climatique71. Selon Greenpeace: conventionnel, une étape à ne pas franchir? « Le Canada s’est activement battu contre les normes visant à réduire le contenu des carburants en carbone, a mené des Les sables bitumineux – appelés sables pétroliers par l’in- activités de lobby à l’encontre de la législation américaine dustrie du pétrole – sont des gisements de bitume, ou de pét- pour baisser les émissions, muselé les scientifiques role sous forme solide, qui doivent être extraits et traités fédéraux et gêné les négociations internationales sur le avant de pouvoir servir de pétrole brut (voir la Section 4). Les changement climatique »72. sables bitumineux de l’Athabasca, dans le nord du Canada, représentent le deuxième plus grand gisement de pétrole au En raison de leurs impacts locaux et des dégâts clima- monde61. Avec 173 milliards de barils de ressources tiques qu’ils entraînent, de nombreuses ONG appellent à un définies62 et 30 à 40 ans de réserves attendues des projets arrêt de tous les nouveaux projets de sables bitumineux au d’exploitation en cours, le Canada est maintenant considéré Canada, tandis que d’autres demandent un arrêt de tous les comme la source marginale la plus importante d’approvi- projets existants73. Considéré sous l’angle du risque d’entre- sionnement mondial en pétrole brut non contrôlée par les prise, le développement des sables bitumineux comporte compagnies pétrolières nationales. Il s’agit également des risques inhérents à la valeur à long terme pour les aujourd’hui de la première source d’importations de pétrole actionnaires qui pourraient finalement le rendre non viable. des États-Unis63. Pour cette raison, les sables bitumineux Ces risques sont notamment – outre le risque posé par une canadiens ont été décrits comme « jouant un rôle de plus en pénurie de main-d’œuvre et la hausse du coût de l’énergie – plus important dans le tissu de la sécurité énergétique con- une hausse de l’adoption des normes favorables aux com- tinentale et mondiale » 64. Parmi les compagnies qui bustibles plus sobres en carbone, la nature expérimentale de investissent dans l’exploitation des sables bitumineux fig- la technologie de capture et de stockage du carbone (CSS), urent Shell, Statoil (la compagnie étatique norvégienne) et, qui fait partie intégrante des prévisions en termes de coûts depuis peu, des sociétés asiatiques65. des investissements, les coûts des opérations de dépollution de l’environnement et, enfin, la possibilité de futurs litiges Les sables bitumineux exigent pour leur production de avec les communautés touchées74. Toutes les grandes com- grandes quantités d’énergie et représentent l’un des carbu- pagnies pétrolières qui investissent dans les sables bitu- rants les plus « sales » de la planète en termes d’empreinte mineux au Canada rencontrent maintenant une opposition carbone. Dans la province de l’Alberta, le développement des croissante dans leur pays d’origine75, la participation de sables bitumineux a conduit à la déforestation, à l’épuisement Statoil étant notamment devenue il y a peu un enjeu élec- et à la pollution de l’eau et à une pollution atmosphérique, et toral en Norvège76. AVENIRS ÉNERGÉTIQUES Les investissements d’Eni dans les sables bitumineux et les palmiers à huile dans le Bassin du Congo 13
Vous pouvez aussi lire